1Dans quelle mesure le développement du numérique engendre-t-il des modèles productifs ou des formes sociales suffisamment inédits et spécifiques pour qu’ils appellent un renouvellement des cadres d’analyse ? Depuis bientôt vingt ans que l’Internet et le numérique sont l’objet d’analyses économiques et sociologiques, les interprétations sur la nouveauté qu’ils représentent divergent profondément. Pour les uns, les plus entendus mais aussi les plus contestables, le développement de l’Internet mènerait inexorablement à une révolution de l’économie, à une réinvention de ses fondamentaux, et à l’émergence d’une nouvelle société de l’information et de la connaissance. L’une des théorisations les plus radicales de ce courant, est sans doute celle qui annonce, à la faveur d’une nouvelle « grande transformation », l’avènement d’un capitalisme cognitif, « troisième espèce » du capitalisme, après le capitalisme marchand et le capitalisme industriel [Moulier-Boutang, 2007]. Pour d’autres, ces nouveaux modèles économiques continueraient de reposer sur les fondamentaux traditionnels de l’économie capitaliste marchande : les informations ne se dématérialiseraient guère plus qu’avant, la « nouvelle économie » ne serait qu’un épiphénomène, et les usagers, loin de gagner en autonomisation ou en capacitation (empowerment), seraient aussi aliénés qu’auparavant [Weygand, 2008].
1 – Des effets différenciés selon la nature des produits : biens intangibles, biens tangibles, services
2Pour apprécier l’importance relative des changements introduits par la numérisation, et dénoncer les sur-interprétations dont elle a été l’objet, on peut se fonder utilement sur la distinction introduite par Hill [1997] entre biens tangibles, biens intangibles et services. Les interprétations radicales de l’Internet et du numérique reposent le plus souvent sur une attention trop exclusive accordée aux biens « intangibles ». Les biens « intangibles » sont les « originaux » résultant d’une activité de création, inscrits sur des supports divers, pouvant être facilement dupliqués à un coût de plus en plus faible et généralement sans commune mesure avec le coût de création de l’original qui, lui, peut être extrêmement élevé. La numérisation de ces biens exacerbe leur propriété de non-rivalité, renforçant par là leur caractère « naturellement » collectif. Elle permet un « découplage presque parfait entre l’information et ses supports (...) », l’information devenant « fluide, partout disponible, difficile à protéger, impossible à contrôler » [Gensollen, 2009]. Trop souvent, ce sont les modifications spectaculaires concernant les biens intangibles, leur production, leur diffusion, leur appropriation, qui polarisent l’attention des analystes du numérique. Mais ces transformations ne peuvent être généralisées aux deux autres catégories de Hill, biens tangibles et services. Or aujourd’hui, s’il est vrai que les personnes actives passent la majeure partie de leur temps de travail à effectuer des opérations informationnelles, ce n’est que très minoritairement pour l’élaboration de biens « intangibles » mais très majoritairement pour la production de biens tangibles ou de services. Par exemple, dans la formation, l’utilisation de ressources numériques ne remplace pas les nécessaires relations interpersonnelles instituées socialement entre enseignants et apprenants. Une observation similaire vaudrait à propos des activités « hors travail » où la consommation croissante d’informations s’intègre plus qu’elle ne se substitue aux différentes occupations et interactions humaines. Jusqu’à présent, et à l’horizon aujourd’hui envisageable, l’évolution de la division du travail n’entraîne que de façon limitée une autonomie des activités informationnelles dans la vie économique et sociale. Les opérations informationnelles demeurent très largement encastrées dans des activités à finalités matérielles ou de « production » des personnes et des institutions. Cet aspect décisif a été considérablement sous-estimé, tant dans les théorisations sur les nouvelles modalités de fonctionnement de l’économie induites par le numérique, que dans les pratiques des entreprises qui croyaient avoir trouvé dans une « nouvelle économie » numérique un moyen simple de s’affranchir des lois de l’économie capitaliste. Une déconstruction rigoureuse de ces mythes avait déjà été effectuée par Gadrey [2000] et Boyer [2002] avant même l’éclatement de la bulle spéculative. Dix ans plus tard, ces analyses critiques conservent toute leur pertinence. Reste qu’avec le numérique et l’internet, de nouveaux rapports à l’information sont bien apparus, des échanges se sont bien dématérialisés, et des usages de biens et services se sont vus durablement modifiés. Dans le même temps, les biens tangibles et les services voient leur composante informationnelle se renforcer du fait du numérique. Ces changements s’hybrident, se recomposent avec des modèles productifs et des formes sociales traditionnelles Ce sont ces changements qui font l’objet du dossier de ce numéro. Les innovations du numérique nous paraissent se déployer sur différents plans, bien illustrés par les articles composant ce dossier : la crise des modes de régulation traditionnels des échanges, la réduction de l’asymétrie d’informations entre offreurs et demandeurs, l’émergence de nouvelles modalités de production estompant la barrière producteurs-utilisateurs, l’apparition de nouveaux usages liés au caractère gratuit et « illimité » de l’offre de certaines ressources numérisées.
2 – Production, « jugements », usages : qu’est-ce qui change vraiment avec le numérique ?
3L’enrichissement en information des services et biens tangibles permis par le numérique connaît des évolutions notables depuis le développement d’Internet. En effet, le développement de méta-informations a pour particularité de se déplacer de sources contrôlées par les producteurs (publicités) ou des intermédiaires spécialisés (critiques, guides) vers l’agrégation des jugements des utilisateurs. Ainsi, notamment pour les biens d’expérience (qui ne peuvent être évalués qu’après avoir été consommés, à l’instar d’un repas ou d’une séance de cinéma...), c’est la socialisation des goûts et des jugements qui se voit transformée. L’information permettant de choisir ces biens s’avère aussi efficacement produite par l’appréciation des autres usagers, que ce soit sous forme de commentaires ou de dispositifs de scoring, déplaçant ainsi les modes de production des représentations collectives des biens et de leurs qualités. Ceci ne produit pas seulement un changement du rapport entre producteurs et clients, mais également l’apparition de nouveaux intermédiaires qui organisent et valorisent en modèle économique ces jugements ordinaires. L’exemple d’activités d’édition de contenus en ligne – telles que l’édition de guides de sorties culinaires ou culturelles – est intéressant à ce propos. Ces activités reposent largement sur la rencontre entre des acteurs économiques intéressés par la visibilisation de leurs produits et services, et des contributeurs enclins à livrer leurs expériences et appréciations dans la consommation et l’usage de ceux-ci. L’accroissement des utilisateurs produit des effets d’externalités de réseaux doublement vertueux : plus les sites sont alimentés en appréciation, plus de nouveaux utilisateurs sont enclins à s’y référer et plus les produits et services y sont discutés, plus ce contenu éditorial peut être valorisé, et attirer annonceurs et fournisseurs de services complémentaires sur le site... [Weygand, 2008].
4Cependant, c’est lors de la numérisation des biens intangibles (comme dans le cas de la presse, de la musique, du cinéma, des ouvrages de référence, etc.) que les modèles économiques se voient les plus perturbés et hybridés par des logiques hétérogènes. La dissociation de l’information de son support rend ces biens non rivaux et repousse les mécanismes d’excluabilité. Des modèles économiques nouveaux sont créés, associant gratuité et valorisations marchandes [Gensollen, 1999 ; Bomsel, 2007] dont l’exemple le plus significatif est la constitution de « marchés à deux versants », reposant sur l’existence d’un point de rencontre, d’une plate-forme, où l’accès au client gratuit est revendu à d’autres clients payants. Si ces modèles économiques ont comme caractéristique d’être marqués par des dynamiques fortes issues tant des contraintes de réactivité aux mutations des contextes qu’à la créativité des porteurs de projet, ils ne se révèlent pas moins extrêmement fragiles et vulnérables. Le développement d’externalités de réseaux significatives permettant d’aboutir à une situation de winner take all (le gagnant emporte tout) où le moindre avantage compétitif permet de surpasser largement la concurrence, repose en effet avant tout sur des investissements initiaux conséquents et très risqués...
5Outre l’invention de nouveaux modèles économiques, le numérique apporte également de nombreuses transformations sur le plan des modalités de production des biens. L’exemple le plus significatif à cet égard est le développement de la figure du « contributeur » et des agrégations de ceux-ci en « communautés virtuelles » productives. La nouveauté provient non seulement de la mise à disposition individuelle de compétences dans le développement de produits en dehors des formes habituelles de contractualisation (par le droit du travail ou le droit commercial) et d’interconnaissance préalable. Mais elle repose également, dans le cas de collectifs, sur le caractère composite des arrangements organisationnels permettant la poursuite d’intérêts individuels et la construction de projets partagés [Proulx et Latzko-Toth, 2001], dans des situations où les acteurs arrivent à coopérer tout en occultant leurs attributs identitaires... Les modèles dits d’innovation ascendante sont basés sur un principe de libre circulation et de réappropriation des idées. Ils visent à associer les usagers d’un produit ou d’un service à sa conception (comme dans le cas des usagers de sites musicaux, de la presse en ligne via les dispositifs de forums et de débats, etc.) voire à renverser la situation et faire du public les financeurs de projets particuliers (comme dans le cas des plates-formes de financements de projets type Kickstarter ou Akamusic). Toutefois, si les cas de réussite de ces formes d’innovations sont désormais relativement connus et renseignés, la réalité est loin de correspondre à une tendance lourde, comme le manifeste du Wikinomics [Tapscott et Williams, 2007] et des partisans de l’open innovation peuvent le prétendre. Ceux-ci sont d’ailleurs critiqués pour leur naïveté quand ils postulent l’émergence d’un collectivisme public d’acteurs mus par le besoin fondamental de communication et d’expression créative de soi fournissant une activité de R&D gratuite mais valorisable économiquement [van Dijck et Nieborg, 2009]. Les recherches empiriques montrent en effet davantage que loin d’obéir à un modèle unique, ces configurations productives se répartissent sur un gradient des possibles, depuis les plus adossées à un modèle productif détenu et élaboré par une entreprise, aux plus « distribuées » et réfractaires à quelque centralisation et possibilité d’appropriation par un acteur donné, des plus pérennes et structurées, aux plus soudaines et labiles [Aguiton et Cardon, 2007].
6Enfin, dans une économie potentielle d’abondance, l’appréciation des usages et des catégories d’usagers est également à repenser. Si, au final, une minorité d’usagers de l’Internet sont engagés dans des participations actives, tous sont confrontés à de nouvelles problématiques d’ordonnancement, de hiérarchisation, de mémorisation des contenus informationnels, qui peuvent être facilement utilisés sans être nécessairement assimilés. La relation entre producteurs de contenus et usagers participe d’une économie de l’« attention » : dans un monde d’abondance d’informations la ressource rare – qu’il s’agit de capter – devient l’intérêt et le temps passé par les utilisateurs. Certains usages avancés du numérique, comme dans le cas des jeux vidéo multi-joueurs, consistent à associer fidélisation des usagers, supposant une relation entretenue dans la durée, et mobilisations intensives lors de la survenance d’événements, agissant comme des « alertes » ayant pour effet de revivifier la mobilisation et de réaffirmer les appartenances [Boullier, 2009].
7Sans épuiser l’ensemble de ces questions, les quatre articles qui composent ce numéro adressent une variété de problématiques reliées à ce panorama des évolutions significatives permises par le numérique, à partir de terrains d’enquête tout aussi divers. Nicolas Auray étudie ainsi la question de la consommation en régime d’abondance en analysant les modes de consommation de biens numériques d’usagers de services – payants – offrant un accès illimité aux biens culturels. Il montre que face à l’abondance de ressources directement accessibles, les usages produisent de nouvelles problématiques : la fascination peut conduire à l’anomie du fait des artefacts techniques limitant, au final, l’accès illimité ; les comportements d’exploration de nouveaux horizons peuvent s’épuiser et mener à l’autorestriction ; la curiosité peut rencontrer la banalité et la déception et conduire à la protestation...
8L’article de Laurence Le Douarin et Hélène Delaunay-Téterel s’intéresse à la question de l’usage, par les jeunes lycéens, des ressources issues de l’Internet dans leurs productions scolaires. En analysant les temporalités des élèves, et en observant des formes différenciées d’articulation et d’hybridation entre temps scolaire et temps de loisirs, les auteurs mettent au jour quatre types de régimes spatio-temporels des lycéens au travers desquels des usages différenciés de l’Internet se révèlent. Loin des a priori habituels attribués à une prétendue génération de digital natives, les résultats montrent que plusieurs logiques d’usage sont à l’œuvre (instrumentales, complémentaires, de compensation), et sont toujours à comprendre en lien avec les modes d’enseignements.
9À l’appui de l’étude de cas d’un collectif virtuel – la « communauté GéoRezo » qui participe à l’animation d’un portail de géomatique –, Nicolas Jullien, Karine Roudaut et Sandrine Le Squin analysent les processus d’implication et d’engagement dans des activités d’élaboration de biens collectifs en ligne. En observant les carrières d’engagement des contributeurs au travers d’une double enquête par questionnaires et par entretiens, les auteurs recensent les facteurs favorables à l’intensification de la participation, et les processus d’enrôlements tacites qui mènent à la prise de responsabilités, et à un sentiment d’obligation rendant l’exit paradoxalement difficile.
10Enfin, la contribution de Marie Trespeuch retrace le processus ayant mené La Française des Jeux d’une situation de monopole public à une organisation concurrencée par le foisonnement d’offres de paris en ligne traversant efficacement les frontières de la légalité. L’article montre ici combien le développement d’Internet a conduit à une forme de reterritorialisation de l’activité : cette concurrence inopinée s’est accompagnée d’un travail de redéfinition des contours législatifs de l’activité et d’un ajustement du régime fiscal, mais également de la redéfinition d’une identité « responsable ».
3 – Modèles économiques, configurations productives, logiques d’usage : des articulations repensées
11Ces nouveaux modèles économiques, configurations productives et logiques d’usage ont fait l’objet de nombreux travaux, d’économie pour les uns, de sociologie et de psychologie pour les autres. Mais le numérique pose un autre défi qui est celui de la cohérence entre ces différents termes. De fait, la cohérence entre les nouvelles logiques d’usage exploitant les potentialités de la numérisation et des modèles économiques permettant à des entreprises privées de réaliser des profits, est souvent difficile à trouver.
12L’histoire des moteurs de recherche illustre cette difficulté, en soulignant comment un modèle économique (financer un site gratuit par de la publicité) peut entrer en contradiction avec la logique d’utilisation qui fait que ce site est fréquenté. En effet, la majorité des moteurs de recherche ont tenté d’introduire une publicité intrusive voire de fonder le classement des réponses aux requêtes des utilisateurs sur l’importance des versements effectués par des sites clients. Ces modèles se sont soldés par des échecs retentissants (Altavista, Lycos par exemple). À l’inverse, une partie du succès de Google par rapport aux moteurs concurrents a été assurée par un modèle nettement différent [1]. Les recettes publicitaires de Google, qui sont à la base des résultats financiers impressionnants de cette société, reposent sur une forme de publicité très particulière, peu intrusive (en marge de la page web) et, surtout, qui n’interfère pas dans le classement des réponses. Celui-ci reste déterminé par la pertinence et la popularité du site, seul principe légitime aux yeux des utilisateurs.
13Des difficultés identiques à celles qu’ont rencontrées les moteurs de recherche surviennent quand des entreprises qui proposaient dans un premier temps, sur l’Internet, des ressources gratuites, tentent de transformer leur succès de diffusion en rentrées financières par des formules diverses de ventes de contenus auparavant gratuits. Par exemple, dans de nombreux domaines (la santé, le droit...) des entreprises qui proposaient des services gratuits d’expertise en ligne à partir de sites portails et qui avaient réussi à conquérir une certaine audience, ont vu celle-ci s’effondrer quand elles ont tenté de vendre leurs prestations, au profit d’autres entreprises qui proposaient des services quasi identiques mais gratuitement. La même situation est peut-être en train de se reproduire dans la musique où les sites de streaming ont commencé par produire de nouveaux usages d’écoute gratuite et illimitée, sur lesquels ils tentent maintenant de revenir, en rendant ces prestations payantes. Ce modèle, somme toute classique, où la gratuité est destinée à n’être que temporaire, pour séduire des utilisateurs que l’on espère « verrouiller » durablement, et conserver lors du passage au payant, fonctionne difficilement dans l’univers du numérique. Les aspirations des utilisateurs, produites par l’usage de ressources illimitées et gratuites, s’accommodent mal d’un passage au payant. C’est ainsi qu’en cherchant à réaliser des profits en mettant en œuvre des formules anciennes, les sites sont souvent amenés à scier la branche sur laquelle ils étaient assis. La réussite économique dans le domaine du numérique nécessite une combinaison nouvelle entre logiques d’usage et modèles économiques, et c’est bien là que réside l’essentiel de la nouveauté du numérique.
14Avançons donc l’hypothèse suivante : les cas les plus intéressants en termes de socio-économie du numérique sont ceux où un nouveau modèle se dégage de l’articulation réussie entre nouveau modèle économique, nouveaux modes productifs et logiques d’usages. Cette cohérence entre production et utilisation peut parfois se réaliser à partir des seules contributions volontaires d’une partie des utilisateurs qui permettent d’alimenter continûment un patrimoine numérique commun, dont la libre accessibilité, source d’une diffusion potentielle importante, permet d’encourager de nombreuses participations désintéressées : l’encyclopédie Wikipédia, les sites de partage de photos (Flickr), de vidéos (YouTube)... Dans d’autres cas, dont le plus emblématique est sans conteste le modèle de développement de logiciels libres, la production peut s’appuyer, en plus des implications communautaires bénévoles, sur le soutien d’entreprises aux motivations variées (vente de biens et services complémentaires, mutualisation des efforts de développement...). La collaboration entre acteurs aux logiques très différentes, marchandes et non marchandes, rationnelles en valeur et en finalité, nécessite la production d’arrangements et de compromis, l’élaboration de dispositifs de coordination ; des dispositifs nécessaires pour que la participation des uns ne décourage pas l’implication des autres et que le produit continue à répondre aux besoins des utilisateurs dont la frontière est faible avec les contributeurs [Demazière et al., 2008]. Mais la construction de cette cohérence ne passe pas nécessairement par des modalités économiques reposant sur l’initiative privée. Dans certaines situations de non-rivalité, s’appuyer sur des droits de « propriété intellectuelle », quel que soit le sens qu’on donne à cet oxymore [Gensollen, 2009], en limitant le droit à la copie et au réemploi conduit à refuser les avantages spécifiques apportés par la numérisation. La pleine exploitation des potentialités du numérique peut donc être durablement contradictoire avec la réalisation de bénéfices par des entreprises privées et il peut être préférable de recourir à des interventions publiques au niveau de la production ou du financement de l’activité, comme l’illustre la proposition solidement argumentée de création d’une licence globale pour financer la création culturelle consommée sous forme numérique [Aigrain, 2008]. On retrouve là une des fonctions traditionnelles de l’État dans la fourniture de ces nouveaux biens collectifs numériques que sont par exemple les publications scientifiques ou les ressources éducatives numériques.
15Si la véritable nouveauté du numérique réside dans l’élaboration de dispositifs inédits parvenant à concilier logiques d’usage nées de la gratuité et de l’illimité et rentabilité économique, des approches qui, comme la socio-économie, articulent elles aussi l’économique et le sociologique, sont a priori les mieux placées pour en rendre compte. Mais les difficultés sont nombreuses. Lorsque les logiques d’usage s’accompagnent de nouvelles logiques identitaires, lorsque des modes productifs reposent autant sur l’intéressement que sur la constitution de communautés de contributeurs, lorsque les modèles économiques doivent combiner le vieux compromis coût/efficacité avec le développement de biens collectifs interopérables, alors les concepts de « communauté », d’« identité », de « marché », de « production », issus des disciplines mères, l’économie et la sociologie, ne suffisent plus. Ils doivent eux aussi être retravaillés, modifiés, reprécisés, réarticulés, dans de nouvelles configurations théoriques. C’est le défi d’une socio-économie du numérique.
Notes
-
[1]
C’est une des raisons du succès de Google, les autres raisons étant la performance de son algorithme de recherche et l’originalité de la commercialisation des liens commerciaux à partir de la mise aux enchères des différents mots clés.