CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 – Introduction

1De nos jours, s’il est devenu finalement assez banal d’évoquer la guerre économique tant sa réalité semble représenter une évidence, cette expression en vogue n’est pas sans poser problème. D’une part, elle fait rarement l’objet d’une définition précise chez les auteurs qui l’emploient, ce qui pose, au-delà de la question de sa pertinence, celle du contenu qui lui est attaché. D’autre part, si dans son acception la plus fréquente la guerre économique semble renvoyer à la mise en œuvre par les États d’un ensemble de pratiques orientées vers la recherche de puissance économique, commerciale, industrielle, technologique et/ou financière, certaines d’entre elles sont loin d’être neuves dans l’histoire du capitalisme. Au-delà du seul aspect sémantique, l’un des problèmes que nous semble poser l’utilisation parfois abusive de cette expression, que C. Schmidt [Schmidt, 1991] n’a pas hésité à qualifier de pseudo-concept, est qu’en se focalisant sur certains aspects économiques de la phase de mondialisation en cours elle tend à en masquer ou tout au moins à en renvoyer à l’arrière-plan le versant politique. Certes, au cours de ces dernières décennies, la concurrence s’est fortement intensifiée à l’échelle mondiale, la montée en puissance des pays émergents, la révolution des NTIC (nouvelles technologies de l’information et de la communication), la déréglementation et la globalisation financière en ont été de puissants accélérateurs. Mais à force de considérer que la guerre aujourd’hui, c’est fondamentalement la guerre économique, c’est-à-dire de privilégier le champ de la géoéconomie sur celui de la géopolitique, on en vient à négliger des questions essentielles.

2Se demander si la guerre économique est devenue la forme moderne de la guerre soulève en effet un certain nombre d’interrogations :

  1. La guerre militaire, que nous entendrons dans tout cet article en tant que conflit de haute intensité dans l’espace international, sachant par ailleurs que les conflits infra-étatiques et les conflits régionaux n’ont en rien disparu depuis 1945, tend-elle désormais à être remplacée par une nouvelle forme de guerre, la guerre économique ? S’est-il produit un basculement dans les modes d’expression de la rivalité et de la recherche de puissance du terrain politique vers celui de l’économie ?
  2. La guerre économique représente-t-elle véritablement une nouveauté dans l’histoire du capitalisme ?
  3. L’ordre international issu de la disparition du système soviétique et dominé depuis lors par les États-Unis peut-il être stable ? Sera-t-il pacifique ou sera-t-il confronté à des tensions et à des contestations susceptibles de déboucher sur le retour de conflits majeurs ?
Afin d’apporter des réponses à ces questions, nous nous demanderons, dans un premier temps, si l’économie mondiale est devenue un nouveau champ de bataille. Après nous être interrogé sur l’expression « guerre économique », en mobilisant les points de vue d’auteurs qui font autorité sur le sujet (C. Schmidt, F. Coulomb et J. Fontanel, P. Boniface, F. Munier), nous reviendrons sur les prises de position d’analystes, experts en stratégie pour les uns (B. Esambert, E. N. Luttwak, C. Harbulot), économistes pour les autres (C. Barrère, P. Labarde et B. Maris, K. Postel-Vinay, J.-P. Maréchal), qui considèrent que cette dernière est devenue la forme moderne de la guerre. Nous soulignerons, enfin, que si l’on veut bien conférer au concept de guerre économique quelque portée opératoire, sa réalité ne représente nullement une nouveauté dans l’histoire du capitalisme. C’est ce que confirment les travaux menés par des historiens de l’économie (F. Crouzet, J-.C. Asselain) et par certains spécialistes de la guerre économique, anciens (S. Herzog) comme modernes (C. Harbulot).

3Dans un second temps, nous défendrons l’idée que la guerre, au sens premier du terme, représente une thématique qui est toujours d’actualité. Après avoir insisté sur la transformation de la guerre à l’époque contemporaine en nous référant aux thèses défendues par des experts en questions militaires (M. Van Creveld, B. Wicht) mais aussi par le philosophe F. Gros, nous soulignerons que le versant politique de la mondialisation ne doit pas être négligé. Les travaux menés par G. Modelski et par B. J. L. Berry qui portent sur la longue durée et sur la coévolution des rythmes économiques et politiques nous y convient. Cette démarche nous conduira à revenir sur un certain nombre de menaces qui existent aujourd’hui et qui ne peuvent être ignorées. Ces dernières, qui résultent de la dynamique même du système international, invitent à remettre au premier plan la question du politique et à penser l’avenir des conflits au xxie siècle.

2 – L’économie mondiale : un nouveau champ de bataille ?

4L’idée selon laquelle la guerre économique s’imposerait aujourd’hui comme la forme moderne de la guerre est une idée qui est largement ancrée tant dans les opinions publiques des pays développés que chez nombre d’économistes, d’experts en stratégie et de responsables politiques. Les débats qui ont été menés au cours de ces dernières années autour de la question des délocalisations, du patriotisme économique, des différends commerciaux qui opposent certains pays, de l’agressivité voire de la concurrence déloyale exercée par les économies émergentes, des OPA hostiles, etc., sont là pour en témoigner.

5Cet engouement pour la guerre économique n’est pas dû au hasard. Il doit être directement mis en rapport avec la crise systémique qui affecte les économies capitalistes depuis le début des années 1970 et avec l’évolution des formes de la concurrence, qui est devenue un enjeu central dans les changements institutionnels contemporains. Les mutations intervenues dans les pratiques concurrentielles au cours de ces dernières décennies se trouvent d’ailleurs au centre de nombreuses recherches qui ont été menées depuis les années 1990 [1]. La croissance molle, le chômage de masse, l’accentuation des déséquilibres internationaux et l’exacerbation de la concurrence à l’échelle mondiale, représentent autant de réalités qui caractérisent la période contemporaine. Dans un environnement beaucoup plus turbulent et beaucoup plus incertain qu’à l’époque des Trente Glorieuses (1945-1973), il est un fait que les rivalités économiques entre firmes et entre États se sont fortement intensifiées. Mais que doit-on entendre par guerre économique ?

2.1 – Qu’est-ce que la guerre économique ?

6L’expression guerre économique, largement employée au cours des vingt dernières années, a des origines théoriques pour le moins obscures. Remise à l’ordre du jour depuis les années 1990 par certains courants de l’économie politique internationale, la notion n’est en tout cas pas nouvelle. Elle est présente chez les auteurs mercantilistes des xvie et xviie siècles, chez un certain nombre d’historicistes allemands du xixe siècle, ainsi que dans le courant marxiste. Évidemment, elle interpelle directement la théorie libérale qui, depuis la fin du xviiie siècle, défend la thèse selon laquelle le laisser faire et l’accroissement du « commerce des nations » vont dans le sens d’une pacification des relations entre pays. Puisque dans le courant libéral le marché pacifie la rivalité, la paix autorisée par l’extension de la logique marchande doit représenter la norme du développement harmonieux et non conflictuel du capitalisme. Par conséquent, il est peu surprenant que les libéraux contemporains n’aient rien à dire de particulier au sujet de la guerre économique qui, comme la question du pouvoir, demeure en dehors de leur objet d’étude.

7Dans ses travaux, C. Schmidt établit une distinction entre deux catégories distinctes et analytiquement différentes de guerres [Schmidt, 1991]. La guerre économique, d’une part, qui se déroule entre les firmes, et la guerre militaire, d’autre part, qui intervient entre les nations. La guerre économique apparaît ainsi comme une catégorie de guerre réservée aux actions entreprises par des agents économiques contre la volonté d’autres agents opérant sur le même champ, à l’occasion de transactions portant sur des biens économiques privés. Une question mérite cependant d’être posée. La guerre politique et militaire et la guerre économique représentent-elles deux variantes d’un même phénomène ou, comme le pense C. Schmidt, s’agit-il de deux phénomènes différents ? La stratégie d’entreprise et la stratégie militaire seraient, dans ce cas, deux domaines distincts et indépendants.

8Quoi qu’il en soit, et comme le rappellent à juste titre F. Coulomb et J. Fontanel, le concept de guerre économique ne fait l’objet d’aucune définition précise et demeure par conséquent un concept flou [Coulomb et Fontanel, 2006]. Les auteurs qui l’utilisent l’emploient en effet pour désigner des situations et/ou la mise en œuvre de la part d’acteurs de stratégies qui peuvent présenter des contenus différents.

9La guerre économique est souvent entendue au sens de guerre commerciale, c’est-à-dire d’affrontements qui opposent au moins deux pays au moyen d’instruments qui ont d’ailleurs évolué au fil du temps. Ainsi, depuis le xixe siècle, si l’on se limite au développement du capitalisme industriel, les États ont fréquemment eu recours au protectionnisme. Si, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, c’est essentiellement l’arme tarifaire qui a été utilisée, dans le cadre du néo-protectionnisme qui s’est développé à partir des années 1970, ce sont au contraire des armes non tarifaires qui ont été mobilisées (contingentements, subventions, dévaluations compétitives, dumping, réglementation, etc.). Il est ainsi assez fréquent que l’expression soit utilisée en référence aux stratégies déployées par les États pour promouvoir des intérêts économiques nationaux jugés prioritaires. P. Boniface et F. Munier, par exemple, considèrent que la guerre économique est avant toute chose une affaire d’États [2]. Les mesures interventionnistes mises en œuvre par ces derniers pour permettre à des entreprises nationales de conquérir des marchés extérieurs ou celles qui visent à attirer des capitaux étrangers au détriment d’autres espaces de valorisation, entrent tout à fait dans le cadre d’une telle conception.

10F. Coulomb et J. Fontanel proposent de retenir deux grandes acceptions de la guerre économique. Au sens strict, on peut parler de guerre économique lorsque des États sont disposés à subir une perte de leur propre bien-être pour atteindre des objectifs politiques ou stratégiques, ou encore lorsque des mesures économiques accompagnent un conflit militaire (embargos, boycotts, etc.). Selon cette première définition, la guerre économique n’est qu’un outil qui permet d’atteindre des objectifs qui demeurent fondamentalement d’ordre politique. Au sens large, la guerre économique renvoie à un ensemble d’actions mises en œuvre par des firmes et/ou des États dans le but d’obtenir (ou de maintenir) un (des) avantage(s) concurrentiel(s) dans les domaines industriels et commerciaux. C’est cette définition que nous retiendrons : la guerre économique entendue comme ensemble de pratiques mises en œuvre par des firmes et par des États motivés par la recherche de puissance dans le champ de l’économie. Soulignons, toutefois, que l’expression « exacerbation de la concurrence » aurait notre préférence car une question de fond demeure en suspens : le vocable de guerre qui est employé pour faire état de la compétition et de la concurrence est-il vraiment justifié ? Est-on autorisé à évoquer la guerre à propos de certaines formes de rivalités économiques et les mettre sur le même plan que l’affrontement physique meurtrier entre groupements sociaux armés qui, justement, la définit [3] ? Pour dire les choses autrement, si l’expression guerre économique renvoie à un cadre dans lequel se développe une concurrence économique exacerbée qui implique firmes et États et où, en quelque sorte, tous les coups sont permis, le problème est que l’on ne voit pas très bien en quoi la guerre économique se distingue fondamentalement de la compétition ou de la concurrence, d’autant que ces dernières suggèrent clairement l’idée de rivalité. Certes, la question est épineuse, puisque certaines approches qui s’intéressent pourtant aux processus concurrentiels à l’œuvre sur les marchés tendent à évacuer l’idée de rivalité et de concurrence effective entre firmes [4], alors que d’autres prennent explicitement en compte l’idée de conflictualité en introduisant notamment les pratiques de guerre des prix.

2.2 – La guerre aujourd’hui : la guerre économique ?

11Au début des années 1990, B. Esambert a été l’un des tout premiers auteurs à souligner que nous vivions désormais dans un état de guerre économique mondiale [Esambert, 1991]. Celui-ci impose à chaque nation de créer des emplois chez elle et à chercher coûte que coûte à capter des revenus croissants au détriment des autres. La guerre économique est présentée par Esambert comme une guerre d’un genre nouveau. Les entreprises en sont les armées et les chômeurs les victimes. Dans cette forme nouvelle d’expression de la rivalité, l’objectif de conquête des marchés s’est substitué à celui de conquête des territoires. Désormais, ce ne sont plus les stocks d’armements et les idéologies qui jouent un rôle déterminant, mais la lutte pour l’accroissement des parts de marchés extérieurs et la progression au sein de la hiérarchie mondiale. Selon Esambert, les origines de la guerre économique dans son acception moderne remontent au début des années 1960.

12E. N. Luttwak, pour sa part, souligne que la guerre économique n’est que la transposition sur un mode différent de la compétition que se livraient autrefois les puissances sur les champs de bataille [Luttwack, 1995] [5]. Les conflits d’intérêts entre pays développés ne peuvent désormais trouver d’expression qu’à travers l’affrontement économique, car le temps des conflits frontaux associés aux conquêtes territoriales est révolu.

13Fondateur et directeur de l’école de guerre économique en France, C. Harbulot explique à son tour que la compétition économique est devenue le principal terrain d’affrontement dans la recherche de puissance [Harbulot, 1992, 2005]. La raison en est que depuis la fin de la guerre froide, les pays occidentaux ne sont plus tenus d’appliquer le même type de solidarité face à l’adversaire commun que représentait le bloc soviétique. Par conséquent, cette dilution de la solidarité du bloc occidental a fait ressurgir les clivages géoéconomiques qui avaient été contenus pendant des décennies. Cinq raisons permettent d’expliquer la montée en force des affrontements économiques entre puissances au cours des vingt dernières années : 1) le durcissement de la concurrence induit par l’augmentation du nombre de pays industrialisés ; 2) les délocalisations massives d’activités industrielles dans les zones à faibles coûts salariaux ; 3) la réduction des ressources énergétiques, accélérée par la croissance de la Chine et de l’Inde ; 4) le différentiel de développement des économies en matière de technologies de l’information ; 5) les tentatives de standardisation des modes de vie et les conflits de civilisation. Dans le cadre de cette guerre économique qui oppose des firmes et des États, la course aux NTIC a supplanté la course aux armements. Comme l’explique C. Harbulot, la montée en force des NTIC au cours des vingt dernières années et l’affirmation d’une économie de la connaissance se sont traduites par une modification de la nature des affrontements concurrentiels. De ce point de vue, la récurrence de polémiques portant sur la qualité des produits, la sécurité sanitaire, le non-respect des cadres réglementaires en matière environnementale, les pratiques de concurrence déloyale, ou encore le comportement des dirigeants, ne fait qu’exprimer la réalité de la guerre cognitive [6], stade suprême de l’intelligence économique et dernier avatar de la guerre économique moderne.

14La réflexion à laquelle nous convie C. Harbulot présente l’intérêt d’insister, à juste titre, sur le fait que la révolution technologique en cours a offert de nouvelles armes et de nouvelles potentialités aux compétiteurs qui s’affrontent à l’échelle mondiale. Pour autant, la vision véhiculée par l’auteur n’est pas sans poser problème. S’il est en effet incontestable que la période contemporaine se caractérise par une intensification de la concurrence dans certains compartiments de l’économie mondiale, les ententes, abus de position dominante, et autres pratiques anticoncurrentielles n’en demeurent pas moins une réalité dans d’autres. Ainsi, au cours des trente dernières années, des structures oligopolistiques se sont affirmées ou ont été consolidées dans de nombreux secteurs. Au vu des barrières à l’entrée existantes, les comportements anticoncurrentiels se sont accrus dans bon nombre d’entre eux. Ce sont justement ces pratiques que veulent combattre les autorités en charge de la concurrence. Cela signifie que les relations entre firmes ne sauraient se réduire à des séquences d’affrontements continus. Les alliances stratégiques et les collusions de marché représentent une réalité incontournable dans le capitalisme contemporain que, peu ou prou, l’idée de guerre économique tend à masquer.

15Au-delà de l’argumentaire développé par ces experts en stratégie, la thèse selon laquelle la guerre économique a désormais remplacé la guerre militaire est également soutenue par certains économistes.

16C’est ainsi que C. Barrère considère que ce qui caractérise la guerre moderne, c’est en premier lieu la fin de la guerre entre les grands [Barrère, 1996, 2004]. Cette dernière n’est plus envisageable du fait de l’élévation du coût social, idéologique et politique d’éventuels conflits mondiaux. Par contre, depuis les années 1980-1990, il existe une tendance à la substitution d’une guerre économique à la guerre militaire, qui traduit l’éclatement des formes de gestion de la rivalité des intérêts propres au système des années 1960. Deux grands faits stylisés confortent cette thèse. D’une part, depuis les années 1980, le discours économique a changé. Celui-ci intègre de façon croissante la notion de guerre économique et remet au premier plan la conception mercantiliste selon laquelle, pour accroître ses débouchés, il faut les prendre aux autres. La récurrence des débats autour de l’impératif de compétitivité internationale en témoigne. D’autre part, au plan empirique, on assiste au retour et à la multiplication de guerres des prix, à la résurgence de la concurrence sauvage, au recours croissant à la justice dans la gestion des conflits entre firmes, à des OPA hostiles, etc. Ainsi, en opposition avec la période des Trente Glorieuses, les années 1980-1990 consacrent le passage d’une phase de concurrence entre les capitaux à une phase de guerre entre les capitaux, reflétant l’exacerbation de la concurrence et la montée d’incertitudes multiples. Selon C. Barrère, ces tendances manifestes à la guerre économique nécessitent un désarmement économique.

17De leur côté, P. Labarde et B. Maris soulignent que la phase de mondialisation en cours doit être lue comme une phase de guerre universelle, civile et permanente, basée sur une organisation oligopolistique et cartellisée du monde qui favorise la logique financière des firmes multinationales [Labarde et Maris, 1998]. L’Organisation mondiale du commerce, l’euro, les privatisations, la libéralisation des marchés financiers et le dumping social s’inscrivent en tant que résultats de décisions politiques qui ne font que répondre à l’attente des marchés, cela au détriment des salariés. La guerre au sens strict, c’est-à-dire la guerre armée, n’est plus un instrument de gestion des conflits entre les États car, d’une part, elle est devenue trop coûteuse et, d’autre part, parce que l’essor de la démocratie représente un facteur de paix.

18K. Postel-Vinay explique à son tour que la plupart des nations les plus puissantes aujourd’hui sont des démocraties qui partagent les mêmes valeurs [Postel-Vinay, 2002]. Il est dès lors extrêmement improbable qu’éclate entre elles un conflit militaire. Par conséquent, c’est désormais sur le terrain économique que s’expriment leurs divergences d’intérêt.

19J.-P. Maréchal, enfin, relève qu’avec la fin de la guerre froide, la menace d’un conflit armé qui opposerait frontalement des nations industrialisées s’est définitivement évanouie et que la disparition de « l’ennemi commun » a engendré une intensification des rivalités économiques [Maréchal, 2002].

20Au total, il ressort de ces prises de position que la logique conflictuelle et les rivalités entre États s’étant déplacées du terrain politique à celui de l’économie, la géoéconomie a pris le pas sur la géopolitique.

2.3 – La guerre économique : une nouveauté ?

21Pour autant, force est de constater à l’aune des enseignements de l’histoire, que des épisodes de guerre économique de durée plus ou moins étendue ont toujours accompagné le développement du capitalisme. Par conséquent, celle ci ne saurait représenter une nouveauté apparue soudainement au cours des années 1980-1990.

22On peut, pour s’en convaincre, se reporter aux contributions de l’économiste et historien F. Crouzet [7], du spécialiste d’intelligence économique C. Harbulot, et du stratège de la guerre économique que fut en son temps S. Herzog. Il s’agit, certes, d’auteurs très différents, mais il est intéressant d’établir un parallèle entre leurs travaux, car ces derniers mettent justement en évidence que la guerre économique ne représente nullement une chose nouvelle dans l’histoire du capitalisme. De fait, ils se rejoignent pour souligner la nature profondément et intrinsèquement conflictuelle de ce mode de production.

23L’histoire du développement du capitalisme offre, en effet, de nombreux exemples qui confortent l’idée que la concurrence civilisée relève du mythe et que, dans biens des cas, les firmes comme les États ne reculent devant aucun moyen pour parvenir à leurs fins. Les simples pratiques d’espionnage industriel sont là pour le rappeler. Dans le cas de l’économie française et, comme le note F. Crouzet, il a existé une longue tradition d’espionnage industriel qui remonte au moins au xviiie siècle [Crouzet, 1996]. C’est à partir des années 1760, lorsque de nouveaux progrès techniques furent réalisés en Angleterre, que celui-ci s’intensifia. À l’époque, les districts manufacturiers britanniques étaient parcourus par des agents français en quête de renseignements. Ces derniers tentaient de soudoyer des mécaniciens et des ouvriers qualifiés pour les attirer en France en leur promettant des salaires plus élevés et des avantages divers. C’est ainsi que des dessins, des modèles et des pièces détachées furent exportés clandestinement des ports anglais, suivis en 1835 par une nouvelle génération de machines à filer le lin.

24Les deux épisodes anciens de guerre économique, celui de la « guerre du coton » qui débuta à la fin du xviiie siècle et celui de la « guerre du pétrole », qui se déclencha un siècle plus tard, qu’évoque C. Harbulot sont eux aussi tout à fait éclairants [Harbulot, 1992]. L’exemple de la guerre du coton qui, en raison de l’avance technologique dont disposait l’Angleterre, opposa les producteurs anglais à ceux du sud des États-Unis est particulièrement intéressant. On y retrouve, en effet, plusieurs constantes de la guerre économique : piratage technologique, protectionnisme, guerre des prix et contrôle des ressources naturelles. Celui de la guerre du pétrole [8] à la fin du xixe siècle l’est tout autant, en raison des pratiques qui accompagnèrent la phase d’appropriation des gisements pétrolifères : opérations de déstabilisation des régimes politiques en place, manipulation des autorités locales, sabotages des puits des concurrents, auxquels il convient d’ajouter les entorses juridiques visant à obtenir l’exclusivité des concessions.

25La Grande Dépression de la fin du xixe siècle (1873-1896) fut une période marquée par l’accroissement de la rivalité entre capitalismes nationaux, notamment dans les secteurs de la première industrialisation. À cette époque, les tendances à la guerre économique étaient bien réelles. En dehors du recours à l’arme de la protection tarifaire, qui exprime cette intensification de la concurrence à l’échelle internationale, le dernier quart du xixe siècle s’accompagna d’une poussée de la concentration et de la centralisation du capital, de la montée en force des trusts, des cartels et des monopoles, de l’affirmation du capital financier, mais également du militarisme, du colonialisme, et de l’expansion territoriale. Cette période de l’histoire du capitalisme apparaît, rétrospectivement, comme une période de durcissement concurrentiel entre firmes et entre États, de rivalités et de frictions, d’affrontements et d’élans patriotiques qui ne sont pas sans rappeler, tout au moins pour certains d’entre eux, le dernier quart du xxe siècle et la première décennie du xxie siècle. D’ailleurs, de nombreux économistes et historiens attribueront la responsabilité du fléchissement de la croissance britannique à la fin du xixe siècle à la dureté de la concurrence étrangère. À l’époque, comme le rapporte J.-C. Asselain, éditorialistes et parlementaires anglais multiplieront les métaphores guerrières en évoquant les positions exportatrices conquises par les États-Unis et l’invasion commerciale allemande [Asselain, 1985].

26Entre 1896 et 1914, l’accumulation du capital se poursuivra dans le cadre d’une compétition extrêmement vive entre puissances capitalistes. De ce point de vue, la publication, à la fin de la Première Guerre mondiale par l’économiste et ingénieur allemand S. Herzog, de ce qui apparaît rétrospectivement comme un véritable manuel de guerre économique [Herzog, 1919] n’est pas due au hasard. Dans ce dernier, sont exposés les éléments d’une stratégie globale devant permettre à l’Allemagne de s’assurer des victoires commerciales au détriment des autres pays. La stratégie préconisée par Herzog s’articule autour de deux idées centrales :

27d’une part, il convient de conserver en Allemagne certaines « industries protectrices ». Ces dernières permettront de mettre les autres à l’abri d’éventuelles représailles commerciales ;

28d’autre part, l’Allemagne doit pouvoir se procurer toutes les matières premières dont elle a besoin et se soustraire aux menaces de rationnement que les alliés pourraient décider.

29Puisque, selon Herzog, seuls les résultats comptent et que tous les moyens sont bons pour y parvenir, le système de renseignements devra faire l’objet d’une organisation minutieuse. À cette fin, Herzog préconise de mettre en place un suivi systématique de toutes les inventions et perfectionnements techniques réalisés dans les autres pays, afin qu’ils soient portés à la connaissance des industriels allemands. L’État est par ailleurs invité à mobiliser tous les moyens dont il dispose pour éviter l’apparition de conflits entre employeurs et salariés, et garantir ainsi les performances industrielles. Afin d’éviter que les « industries protectrices » ne soient victimes d’éventuelles fluctuations des cours des matières premières lorsqu’elles dépendent de fournisseurs étrangers, Herzog envisage la mise en place de fonds de garanties ou de compensations, grâce à des contributions prélevées sur les autres industries. Ces fonds devraient permettre de rétablir l’équilibre des prix mais également d’indemniser les industries dont l’État arrêtera les exportations pour faire pression sur les pays qui refuseraient d’acheter certains produits allemands. Ce dispositif devrait faciliter l’écoulement de ces derniers à l’échelle mondiale. Pour Herzog, le commerce étant la guerre et le monde un champ de bataille, l’État se voit légitimement confier un rôle protecteur.

30Si l’aggravation des rivalités entre expansionnismes nationaux à la Belle Époque, où les épisodes de guerre économique furent loin d’être absents, a constitué un puissant facteur de déclenchement de la Première Guerre mondiale, l’entre-deux-guerres sera de nouveau une période riche en exemples de guerre économique, avec le protectionnisme douanier, les manipulations monétaires, et le contrôle des exportations de capitaux mis en œuvre dans certains pays.

3 – La guerre au sens premier du terme : une thématique toujours d’actualité

31La période contemporaine nous semble marquée, entre autres, par deux grandes conceptions diamétralement opposées, mais qui se rejoignent néanmoins, quant à l’avenir de la guerre militaire, guerre militaire, soulignons-le de nouveau, que nous entendons en tant que conflit de haute intensité dans l’espace international. Ce point mérite d’être rappelé car il ne s’agit nullement pour nous d’oublier, ni les conflits qui se sont déroulés au cours des dernières décennies : Somalie, Yougoslavie et, bien entendu, Irak et Afghanistan, toujours en cours actuellement (pour ne mentionner que ceux où des puissances impérialistes sont intervenues directement, quand elles ne les ont pas déclenchés), ni les guerres civiles, dont celles qui, aujourd’hui encore, déchirent certains pays (Libye et Syrie notamment).

32La première, comme nous l’avons vu, revient à considérer que la guerre économique a supplanté la guerre militaire puisque l’on voit mal en quoi, dans un monde désormais globalisé, il serait envisageable, et même seulement pensable, que certains États se risquent à déclencher des opérations militaires d’envergure avec d’autres, au vu de l’existence d’armes de destruction massive, de la sophistication des systèmes d’armement, et non moins fondamentalement, des multiples interdépendances commerciales, technologiques et financières qui les relient.

33La seconde, soutenue par les économistes libéraux, consiste à affirmer que la guerre militaire est vouée à disparaître car la phase de mondialisation en cours et l’extension de la logique marchande qui l’accompagne conduisent inexorablement à la progression de la démocratie [9] et à la paix entre les nations.

34Bref, quelle que soit la variante retenue, la guerre, au sens premier du terme, ne semble plus être à l’ordre du jour.

35Cette thèse est selon nous très discutable, et ceci pour au moins trois raisons.

  1. En premier lieu, bien plus que de disparaître, la guerre se transforme à l’époque contemporaine. Cela signifie que les modes d’expression de la violence politique ont changé, mais que l’on ne peut pas pour autant considérer que la guerre militaire ait disparu ou soit appelée à le faire. De nouveaux modes d’expression de la violence armée peuvent très bien se développer dans un cadre de guerre économique.
  2. Ensuite, et il s’agit là d’un point essentiel, l’hégémonie américaine, qui sera certainement de plus en plus contestée au cours du xxie siècle, pose directement la question de la stabilité de l’ordre international issu de la disparition du bloc soviétique et, implicitement, celle du devenir des conflits.
  3. Enfin, la forte progression des dépenses militaires depuis le début de la décennie 2000, la dynamique inégalitaire de la phase de mondialisation en cours, le terrorisme, la prolifération des armes de destruction massive, et la compétition pour l’accès aux ressources, représentent autant de menaces qui invitent à exclure, a priori, tout risque de réapparition de conflits majeurs au cours du xxie siècle. Les formes d’expression contemporaines de la guerre économique peuvent très bien représenter une première étape dans la montée de tensions de nature politique à l’échelle mondiale.

3.1 – Disparition de la guerre ou transformation de la guerre ?

36L’idée d’une transformation de la guerre à l’époque contemporaine a été développée par de nombreux auteurs, parmi lesquels l’historien militaire israélien M. Van Creveld [Van Creveld, 1998]. Celui-ci a soutenu la thèse selon laquelle la guerre avait changé depuis le milieu du xxe siècle, et que cette dernière, comme poursuite de la politique par d’autres moyens selon la définition clausewitzienne, ainsi que la distinction ternaire entre gouvernement, population et armée, n’avaient plus cours à notre époque. Van Creveld a tout particulièrement insisté sur la montée en puissance des forces spéciales d’intervention, les technologies de pointe à bas prix et l’interconnexion des réseaux, qui permettent aux armées conventionnelles de se transformer en fonction des menaces asymétriques.

37Lecteur de Van Creveld mais également d’A. Toynbee, B. Wicht a soutenu une thèse qui est intéressante pour notre propos et sur laquelle il convient de s’attarder : la guerre, telle qu’elle s’est manifestée par le passé, a changé de forme, mais on ne peut pas dire pour autant qu’elle disparaît au profit de la guerre économique [Wicht, 2002]. Il interprète les attaques menées contre les États-Unis en septembre 2001 en tant que réaction des périphéries contre le centre ou, pour reprendre la formule de J.-C. Ruffin, des nouveaux barbares contre l’empire [Ruffin, 2001]. Selon lui, la période contemporaine est marquée par l’émergence d’un empire mondial, l’empire américain, réalisant l’union de la plupart des grands États autour de lui et faisant usage intensif de la force et de la violence pour asseoir l’ordre international global. Pour penser la guerre et ses mutations contemporaines, Wicht préconise d’en dresser la cartographie afin d’identifier les types d’affrontements, les acteurs impliqués, ainsi que le rôle et la nature de la guerre par rapport à chacun d’eux. Cette démarche le conduit à établir une double distinction. La première concerne trois types de confrontations : celles qui décident d’une succession hégémonique entre les États du centre du système monde ; celles qui manifestent la réaction des périphéries contre le centre ; celles qui correspondent aux actions impériales de répression contre les périphéries. La seconde, deux couples de protagonistes : leader contre challenger(s) dans le cas des guerres de succession hégémonique du système-monde ; centre contre périphéries ou empire contre prolétariats en cas d’affrontement dans un contexte civilisationnel. Pour l’auteur, le second couple est le mode de confrontation qui est devenu déterminant. Par conséquent, le cadre traditionnel de lutte entre États-nations pour l’exercice du leadership se trouve dépassé par un nouveau cadre dans lequel un pouvoir mondial cherche à imposer une autorité politique centralisée sur de vastes territoires peuplés d’une multitude de groupes sociaux et ethniques différents. Les interventions militaires de l’empire fonctionnent sur le mode de la répression et ne sont ni plus ni moins que des opérations de police visant à gérer des crises régionales. La réaction des prolétariats extérieurs à la domination impériale s’exprime par le terrorisme, la guérilla et l’immigration. Dans cette nouvelle configuration d’exercice de la violence politique, l’ennemi se trouve non plus à l’extérieur mais à l’intérieur des frontières nationales. Il contribue à dissoudre le corps social en jouant sur la frontière civil-militaire. D’où une guerre endémique et prolongée entre l’empire mondial et une nébuleuse terroriste originaire du Sud. Selon Wicht, la prolifération des armes de destruction massive et la production de plus en plus répandue de missiles balistiques à longue portée annoncent certainement l’ouverture prochaine d’une nouvelle phase beaucoup plus meurtrière pour l’empire.

38La réflexion à laquelle nous invite le philosophe foucaldien F. Gros pour tenter d’envisager ce qu’est la guerre aujourd’hui mérite également de retenir notre attention. Ce dernier pose des questions qui, si elles peuvent sembler triviales, n’en sont pas moins des questions de fond : qui fait la guerre à notre époque ? contre qui ? pourquoi et comment ? [Gros, 2006]. Comme le souligne l’auteur, la philosophie occidentale a longtemps pensé la guerre en tant que conflit armé, public et juste [10], soutenu par trois piliers fondamentaux : un objectif politique (donner consistance à un État), un cadre juridique (fonder le droit, défendre une cause considérée juste, définir des règles de combat) et une tension éthique (défense de l’honneur, sens du sacrifice, etc.). Pour F. Gros, cette construction a constitué un horizon régulateur qui, en Occident, a servi à définir un droit à la guerre, des conventions internationales, mais aussi un imaginaire collectif. Cette perception de la guerre est cependant devenue obsolète et échoue, de fait, à penser les nouvelles formes de violence qui traversent le monde contemporain : attentats terroristes, bandes armées sillonnant des régions ravagées par des guerres civiles, envoi de « missiles intelligents » pour des conflits « à zéro mort », etc. La guerre « publique et juste » a laissé place à de nouvelles formes de violence collective et armée, des « états de violence » inédits, dont les lignes de force demeurent à dégager, à décrire et à conceptualiser. Les changements radicaux intervenus au niveau des temps, des espaces et des acteurs impliqués dans les formes d’expression de la violence politique contemporaine expriment ce changement de paradigme. Les « états de guerre », tels qu’on a pu les connaître par le passé, ne semblent plus envisageables dans une configuration mondiale où les principales puissances disposent de l’arme nucléaire et qu’une seule, les États-Unis, possède une supériorité écrasante des forces classiques de destruction, des technologies de repérage et des techniques de frappe de précision. La guerre et la paix tendent ainsi à disparaître pour laisser place au couple intervention-sécurité.

39Les thèses, certes, très différentes, défendues par B. Wicht et par F. Gros, sont loin d’être dénuées d’intérêt car elles mettent l’accent sur un certain nombre de réalités qui caractérisent la guerre à l’époque contemporaine. Toutes deux insistent, en effet, sur la transformation de la guerre (celle-ci allant jusqu’à disparaître chez F. Gros) et soulignent qu’elle ne se déroule plus entre États du centre du système monde. Par ailleurs, elles mettent l’accent sur les nouvelles formes d’exercice de la violence politique en évoquant notamment le terrorisme et les « opérations de police » internationales menées par certains pays, en l’occurrence, par les forces états-uniennes.

40Il est vrai que, dans l’ordre international qui a émergé depuis la chute du bloc soviétique, la guerre, telle qu’on l’a connue par le passé, c’est-à-dire un conflit armé opposant des États-nations, a laissé place à des interventions qui s’apparentent à des opérations de police internationale. Il en résulte que, vus d’Occident, les conflits qualifiés de locaux sont généralement appréhendés en tant que « désordres barbares » face auxquels les actions militaires menées par les États-Unis et leurs alliés sont conduites sous le signe du maintien (ou du rétablissement) de la paix.

41Ces interventions militaires fonctionnent effectivement selon le mode de la répression, mais, pour autant, le développement de la conflictualité à l’échelle planétaire est aujourd’hui tel, qu’il ne doit pas occulter le caractère global des actuels conflits locaux. De nombreux conflits considérés comme locaux ainsi que la guerre contre le terrorisme dans laquelle se sont lancés les États-Unis il y a une dizaine d’années ont incontestablement des effets d’une portée mondiale. Certains auteurs vont même jusqu’à se demander si cette guerre contre le terrorisme n’est pas construite comme une guerre mondiale, transcendant l’espace et défiant les conventions internationales [Jabri, 2006]. Elle se distingue des grands conflits militaires antérieurs (y compris des deux guerres mondiales du xxe siècle), en ce que ces derniers ont toujours été analysés comme des confrontations interétatiques, mais elle n’en revêt pas moins une dimension globale. Transgressant les frontières nationales et se déroulant sur un théâtre d’opérations planétaire, elle a été utilisée par les États-Unis pour légitimer le déploiement de troupes dans certains pays (Irak et Afghanistan notamment). Ainsi serait-on passé d’une forme de guerre à des formes d’actions dispersées mais de portée mondiale.

42Cela étant, il est un fait que la thèse de B. Wicht présente l’intérêt de poser explicitement la question du terrorisme en rapport avec celle de l’hégémonie américaine, terrorisme que de nombreuses contributions de ces dernières années placent au centre d’une forme de guerre aujourd’hui dominante, la guerre asymétrique [Courmont et Ribnikar, 20012]. La question de fond qui est cependant sous-estimée par B. Wicht, et qui est d’ailleurs totalement occultée par F. Gros, est celle de la poursuite de l’hégémonie américaine. Il s’agit pourtant d’une question essentielle qui invite à ne pas exclure la possibilité de réapparition d’un conflit majeur, même à terme éloigné.

43En effet, depuis plusieurs années, et il s’agit là, incontestablement, de l’un des enjeux centraux de la période actuelle, le centre de gravité de l’économie mondiale se déplace des États-Unis et de l’Occident vers la Chine et l’Asie. Pourra-t-on parvenir pacifiquement à un nouvel ordre mondial (asiatique) autour de la Chine au cours des prochaines décennies ? Jusqu’à présent, et c’est l’enseignement qui se dégage des nombreuses recherches qui ont été menées sur les cycles hégémoniques, des conflits militaires ont toujours accompagné les périodes de crise, de transition et de basculement des hiérarchies : à ce jour, aucune nouvelle grande puissance n’est jamais parvenue à imposer son leadership sans guerre. La prise en compte de la longue durée a d’ailleurs conduit plusieurs chercheurs, dont la réflexion puise sa source dans la problématique des ondes longues Kondratiev, à insister sur la réalité d’une certaine périodicité dans le retour des guerres, et certains d’entre eux à ne pas écarter la possibilité de réapparition d’un conflit majeur à l’horizon 2020-2030 [Bosserelle, 2009].

44Évidemment, on pourra toujours rejeter l’idée que puisse réapparaître, au cours des prochaines décennies, un conflit de haute intensité qui opposerait des grandes puissances. Pour autant, certaines menaces sont aujourd’hui bien réelles et elles ne doivent pas être sous-estimées. Ajoutons, d’ailleurs, que contrairement à la doxa dominante sur l’état du monde post-guerre froide, ces menaces sont le plus souvent secrétées par la dynamique du système mondial lui-même, quand elles n’émanent pas directement de lui. Elles invitent à ne pas négliger le versant politique de la mondialisation.

3.2 – Le versant politique de la mondialisation

45Entre la chute du mur de Berlin et les attaques menées sur les États-Unis en septembre 2001, on aurait pu penser que le pilotage de la mondialisation économique pouvait faire l’économie d’une réflexion sur les enjeux politiques de la mondialisation. Or, depuis le 11 septembre, la problématique de la gouvernance mondiale doit composer avec des objectifs sécuritaires accrus et la lutte contre le terrorisme. Cela signifie que la mondialisation est également une dynamique politique puissante qui façonne et transforme la nature du système international.

46Mais ne nous y trompons pas : la question de la sécurité internationale telle qu’elle est posée par les États-Unis et leurs alliés, n’est autre que celle qui est formulée par les puissances impérialistes. Conformément à l’idéologie sécuritaire qui l’inspire, elle vise à convertir les problèmes politiques en problèmes policiers, où les interventions militaires de l’Occident pour les résoudre sont présentées comme de simples « opérations de police » (pour reprendre la terminologie officielle légitimant les guerres d’agression de ces dernières années menées par les forces états-uniennes : bombardement de la Serbie, invasion de l’Irak, etc.).

47À l’évidence, la question centrale qui mérite d’être posée aujourd’hui est celle de la poursuite de l’hégémonie américaine. En raison des contestations que cette dernière suscite, elle se trouve à l’origine de dynamiques dont les conséquences sont difficilement prévisibles. On a vu, par exemple, combien l’engagement américain en Irak avait entraîné des répercussions politiques à l’échelle mondiale et avait contribué, tout au moins dans certaines régions, à alimenter une contestation croissante des valeurs du monde occidental.

48Or, et comme le souligne à juste titre le politologue G. Modelski, au cours des prochaines décennies, certaines puissances peuvent être tentées de s’opposer à l’hégémonie américaine et, comme ce fut le cas à différentes périodes de l’histoire, ressentir le besoin de former une coalition qui pourrait prétendre à l’exercice du leadership mondial [Modelski, 2006].

49On ne peut ignorer que, depuis la disparition du bloc soviétique, le concept de multipolarité progresse et qu’il est régulièrement mis en avant par un certain nombre de responsables politiques à travers le monde. Ce besoin de multipolarité doit être lu comme une réponse à l’unipolarité qui s’est affirmée dans le monde de l’après-guerre froide avec la domination américaine. D’où une question de fond : les tendances actuelles et celles qui se dessinent pour les prochaines décennies vont-elles dans le sens de la multipolarité ? En termes de distribution de la puissance militaire à l’échelle mondiale, l’unipolarité ne fait aucun doute, mais la situation est beaucoup moins claire à d’autres niveaux, et tout particulièrement au niveau économique. Comparativement à la situation qui prévalait en 1945 où ils représentaient à eux seuls plus d’un tiers de l’économie mondiale, les États-Unis ont perdu cette suprématie. La montée en force de pays, tels la Chine et l’Inde, laisse à penser que l’on se trouve dans un cadre de multipolarité croissante. Le nouveau paradigme technoéconomique basé sur les NTIC continue de se diffuser dans un nombre croissant de pays et de régions, et quand bien même les États-Unis parviendraient à maintenir un gap en matière technologique, ils ne peuvent plus prétendre assurer la prospérité internationale par leurs seules décisions. Ils ne peuvent pas plus s’isoler du reste du monde tant leur croissance est dépendante de celle des autres pays. Cette dépendance est perceptible à plusieurs niveaux : financier, avec la question de la soutenabilité d’un déficit extérieur colossal dont le pendant correspond, pour l’essentiel, aux excédents engrangés par la Chine ; au niveau d’autres inputs, humains, manufacturiers et énergétiques ; au niveau des marchés extérieurs sur lesquels sont engagées leurs firmes. Cela signifie qu’au vu des multiples interdépendances créées par la mondialisation, les États-Unis, comme d’autres pays, se trouvent contraints à négocier et à accepter des compromis avec leurs partenaires, sauf à se retrouver isolés et privés de marges de manœuvre. Par ailleurs, en termes de puissance au sein des grandes institutions de l’économie mondiale, la situation est également moins fluide. Il est en effet fréquent que des prises de décisions ne soient rendues possibles que par la formation de coalitions ad hoc.

50Prenant acte, lui aussi, de la forte co-intégration des rythmes macroéconomiques et des processus politiques, B. J. L. Berry considère, de façon tout à fait réaliste selon nous, que trois scénarios sont envisageables pour les décennies à venir [Berry, 2006] :

  • dans le premier, la démocratie basée sur le marché devient mondiale et les États-Unis demeurent fermement établis dans leur rôle d’hyperpuissance incontestée ;
  • dans le deuxième, l’économie mondiale demeure cantonnée dans la configuration d’instabilité et d’incertitude qu’a ouverte l’après-guerre froide. Il est par conséquent indispensable de réduire cette dernière pour faire reculer les risques de déclenchement de conflits internationaux ;
  • dans le troisième, l’opposition extérieure au leadership américain demeure soutenue. Les coûts que représente le maintien de celui-ci atteignent des niveaux tels que les États-Unis sont contraints à un désengagement. Dans cette configuration, le monde se trouverait dans une dangereuse vacance de puissance qui pourrait ouvrir la voie à un nouveau conflit majeur.

3.3 – Des questions à ne pas négliger

51Alors que pour la première fois depuis 1945, la décennie 1990 s’est accompagnée d’une réduction substantielle des dépenses militaires, au cours des dix dernières années, celles-ci ont fortement progressé à l’échelle mondiale. Or, comme l’ont relevé plusieurs auteurs [11], et comme le confirme l’expérience historique, l’augmentation des budgets militaires accroît fortement la probabilité de survenance de conflits. Au-delà de la seule question des dépenses militaires, d’autres menaces qui entretiennent des liens étroits entre elles ne sauraient être négligées. Au premier rang de celles-ci figure le caractère asymétrique de la mondialisation.

52La dynamique de la mondialisation est une dynamique profondément inégalitaire puisque deux milliards d’individus environ (un tiers de la population mondiale) en sont exclus. Comme l’a souligné fort justement J. Stiglitz, la persistance de la pauvreté alimente la tentation de radicalisme de populations, de mouvements, d’États, qui ne perçoivent nullement les bénéfices d’une organisation multilatérale de l’économie mondiale [Stiglitz, 2002]. Elle suscite, de fait, des oppositions et des contestations qui sont appelées à se radicaliser. C’est pourquoi la dynamique inégalitaire du système mondial actuel est à elle seule potentiellement porteuse de risques de déclenchement de conflits, de dérèglements politiques et sociaux, qu’à l’évidence les seuls mécanismes du marché ne peuvent endiguer. C’est dire combien les économistes libéraux se sont trompés en affirmant que la mondialisation était pacificatrice [Martin, Mayer et Thoenig, 2008].

53C’est justement dans le cadre de cette mondialisation asymétrique qui continue de creuser les inégalités entre le Nord et le Sud et qui est marquée par la volonté des États-Unis d’imposer leur hégémonie, qu’il convient de poser la question du terrorisme. Certes, ce dernier ne représente nullement un phénomène nouveau, mais il revêt aujourd’hui des formes inédites qui entraînent d’importants bouleversements au sein des sociétés contemporaines. Certains auteurs n’hésitent d’ailleurs pas à affirmer qu’il est devenu la forme moderne de la guerre [12].

54Le terrorisme contemporain, qui fait plein usage de la mondialisation en utilisant des réseaux internationaux qui mobilisent des acteurs localisés dans différents pays, crée incontestablement de nouveaux risques d’instabilité régionale et mondiale. La déterritorialisation est devenue un élément stratégique majeur au sein de celui-ci et, dans une configuration où tout peut devenir une cible potentielle, le jeu international s’en trouve profondément modifié. Il ne place plus seulement des États en position de face à face, mais il met en scène des acteurs non étatiques privés de toute base territoriale propre.

55Non indépendants de la question du terrorisme, et dans un contexte où le traité de non-prolifération nucléaire entré en vigueur en 1970 se porte mal, les risques liés à la prolifération des armes de destruction massive doivent également retenir l’attention. Depuis la fin de la guerre froide, et malgré les acquis des traités de non-prolifération, les menaces de recours à celles-ci n’ont en rien disparu. Alors que les risques de dissémination augmentent, avec, pour certains pays, des capacités accrues en matière balistique, les mécanismes de vérification prévus par les traités ou les conventions demeurent d’une efficacité très variable selon les types de menaces. Des scénarios d’utilisation de ces armes ne peuvent pas être totalement écartés. Il serait d’ailleurs peu sérieux d’ignorer les risques que fait peser l’existence d’armes de destruction massive en prétextant qu’elles n’ont pas plus de raison d’être employées dans l’avenir que par le passé. Cette idée repose sur une réalité qui est erronée puisque toutes ces armes ont déjà eu l’occasion d’être utilisées [13]. La prolifération des technologies nucléaires et balistiques, en particulier, s’est considérablement accélérée depuis la fin des années 1990, mais les pays membres permanents du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies sont d’autant moins en mesure de maîtriser la prolifération qu’ils ne sont plus seuls au sein du « club atomique » [14]. Ils doivent compter avec l’Inde, Israël et le Pakistan, sans oublier le nouveau membre qu’est la Corée du Nord et la candidature de l’Iran. À l’exception de l’Inde, d’Israël et du Pakistan, le traité de non-prolifération nucléaire s’est universalisé, mais ces trois pays peuvent également adopter une attitude proliférante. À l’évidence, l’élargissement du nombre de pays disposant de l’arme nucléaire ne peut manquer d’interroger la gouvernance mondiale.

56La lutte pour l’accès aux ressources représente une autre menace qu’il convient également de ne pas sous-estimer. Cette dernière, qu’il s’agisse de ressources naturelles (matières premières), territoriales ou humaines, n’a-t-elle pas toujours représenté l’une des causes fondamentales des guerres ? À cet égard, et comme le pointe R. Boyer, dans le contexte contemporain qui est celui de la crise écologique mondiale et faute d’avancées rapides et décisives dans les énergies non polluantes et les produits recyclables, les pays industrialisés demeurent toujours très dépendants des ressources naturelles, dont une large partie se trouve localisée dans des pays qui n’ont pas connu la révolution du capitalisme [Boyer, 2004, p. 227-228]. Les conditions de conflits que l’on croyait dépassés, par exemple des guerres liées à la compétition pour l’accès aux ressources naturelles (notamment pour maintenir la continuité des approvisionnements en pétrole), se trouvent dès lors réunies. Ainsi, selon Boyer, la période actuelle doit être resituée dans le cadre d’une configuration mondiale où l’exaspération des laissés-pour-compte alimente une forme originale de terrorisme, dont l’efficacité tient au retournement des réseaux et des techniques qui sont au centre de l’activité économique contemporaine. D’où la montée des problèmes de sécurité susceptibles d’alimenter une forme bien particulière de capitalisme centré sur la défense nationale.

4 – Conclusion

57À l’encontre de l’opinion selon laquelle la guerre économique s’imposerait désormais comme la forme moderne de la guerre, il nous semble que la fin de la guerre froide et la trajectoire empruntée par la phase de mondialisation en cours ont redonné toute son importance et toute son actualité à la question des conflits militaires. La focalisation sur la thématique de la guerre économique, dont la montée en force depuis une vingtaine d’années s’explique par l’âpreté de la concurrence dans une économie globalisée et en crise, tend cependant à renvoyer à l’arrière-plan le versant politique de la mondialisation. Ceci nous invitait à faire retour au politique et à nous questionner sur la transformation et le devenir de la guerre. De près ou de loin, on est finalement conduit à s’interroger sur l’éventuelle poursuite du leadership américain, qui se trouve directement et au plus haut degré impliqué dans les questions relatives à la gouvernance mondiale. Aujourd’hui, il est un fait que la crise que traverse le capitalisme mondial a ouvert une période d’incertitude radicale. Si la trajectoire dans laquelle est engagé celui-ci ne s’infléchit pas, il n’est pas à exclure que les prochaines décennies soient marquées par la coexistence de la guerre économique et de conflits militaires, bien plus que par la substitution de la première aux seconds.

Notes

  • [1]
    Comme celle du théoricien américain en management R. A. D’Aveni [1995]. Ce dernier a proposé une approche qualifiée d’hypercompétitive dans laquelle les firmes sont engagées dans une lutte acharnée sur les marchés et où la concurrence revêt explicitement une métaphore guerrière. Le travail de D’Aveni vante, en effet, les mérites de l’agressivité concurrentielle. Celle-ci y est présentée comme la seule stratégie efficace dans un environnement turbulent et hyperdynamique. La concurrence y est analysée comme un phénomène destructeur et guerrier, où la survie s’impose comme le seul enjeu véritable pour les participants au marché. Selon D’Aveni, « les entreprises ne peuvent plus se fonder sur la vieille idéologie du fair-play et de la courtoisie. Elles prennent conscience de la nécessité d’une nouvelle idéologie de l’hypercompétition. Les plus agressives d’entre elles savent très bien qu’elles ne se battent plus sur des marchés nationaux, relativement tranquilles et isolés. Elles sont, au contraire, au beau milieu d’une lutte à mort, d’une guerre mondiale » [D’Aveni, 1995, p. 371].
  • [2]
    Selon P. Boniface, « la guerre économique peut se définir par la mobilisation de l’ensemble des moyens économiques d’un État à l’encontre d’autres États pour accroître sa puissance ou le niveau de vie de ses habitants » [Boniface, 2001, p. 120]. Quant à F. Munier, « l’expression guerre économique doit être comprise dans un sens restreint, celui de l’affrontement entre nations par et pour l’économie » et « élargir le concept reviendrait à y inclure la compétition économique qui, après tout, n’est que le lot commun des entreprises » [Munier, 2009, p. 60].
  • [3]
    Comme le soulignait le sociologue G. Bouthoul, fondateur de la polémologie, « une lutte ou un conflit pour présenter le caractère guerrier doit être sanglant et armé. Ce dernier trait permet de distinguer la guerre des autres formes d’opposition ou de compétition, comme la concurrence économique, les luttes sportives, la propagande politique ou religieuse, et les discussions de toutes sortes » [Bouthoul, 1962, p. 43].
  • [4]
    C’est le cas, par exemple, dans le duopole de Cournot où chaque firme adopte un comportement de « suiveur » et ne fait que s’adapter pacifiquement à l’action/réaction de sa rivale. Le modèle de Cournot s’est vu reprocher, à juste titre, d’évacuer l’idée même de concurrence et de rivalité entre compétiteurs sur le marché.
  • [5]
    « Au centre de l’arène des échanges mondiaux où Américains, Européens et Japonais collaborent et rivalisent tour à tour, c’est essentiellement par des moyens économiques que les attitudes antagonistes trouvent aujourd’hui leur expression » et « les capitaux investis ou drainés par les États sont l’équivalent de la puissance de feu ; les subventions au développement des produits correspondent aux progrès de l’armement ; la pénétration des marchés avec l’aide de l’État remplace les bases et garnisons militaires déployées à l’étranger ainsi que “l’influence diplomatique” » [Luttwack, 1995, p. 34].
  • [6]
    Que C. Harbulot définit comme « la manière d’utiliser la connaissance dans un but conflictuel » [Harbulot, 2005, p. 77].
  • [7]
    F. Crouzet a consacré un ouvrage à la guerre économique entre la France et l’Angleterre au xviiie siècle. Il y évoque notamment la « guerre du sucre » qui, entre 1720 et 1740, opposa les deux pays [Crouzet, 2008].
  • [8]
    La première guerre du pétrole fut lancée par la Standard Oil américaine à la fin du xixe siècle. À l’époque, celle-ci cherchait à étendre son monopole de la vente des carburants sur l’Europe occidentale. La réplique à cette offensive commerciale fut lancée par les jeunes compagnies anglaises. La concurrence qui s’enclencha entre ces dernières et les sociétés américaines, mais également avec les représentants de la Russie, donna lieu à d’importantes frictions dans les régions richement pourvues en pétrole comme l’Iran et le Moyen-Orient.
  • [9]
    La position de K. Arrow sur le sujet est on ne peut plus claire : « De manière générale, on peut penser que la globalisation mène à la paix. Il est certain que de plus grands contacts peuvent réduire les différences entre les peuples et permettre une meilleure compréhension des autres. » [Arrow, 2003, p. 67]
  • [10]
    La définition de la guerre comme « conflit armé, public et juste », à laquelle se réfère Frédéric Gros dans son essai de 2006, a été proposée par Alberico Gentilis dans son De jure belli de 1597.
  • [11]
    Voir notamment: Lewis Richardson, Arms and insecurity – a mathematical study of the causes and origins of war, The Boxwood Press, Pittsburgh, 1960 ; Raimo Väyrinen, « Economic fluctuations, technological innovation and the arm race in a historical perspective », Cooperation and Conflict, 18, n° 3, 1983 ; Joshua Goldstein, Long cycles : Prosperity and War in the Modern Age, New Haven and London, Yale University Press, 1988 ; Yury Yakovets, « The Kondratieff’s waves and cyclic dynamics of the economy and wars : theory and prospect », in [Devezas, 2006].
  • [12]
    T.C. Devezas et H. Santos, par exemple, soulignent que le terrorisme doit être analysé comme un nouveau type de guerre dont l’asymétrie représente la caractéristique majeure Voir Devezas et Santos, « The emergence of modern terrorism », in Devezas [2006, p. 245-249].
  • [13]
    L’arme nucléaire, par deux fois en 1945 ; les armes biologiques ont été employées par le Japon au cours de la Seconde Guerre mondiale ; les armes chimiques ont été mobilisées en 1914-1918 et en 1939-1945, de même qu’au cours de la guerre Iran-Irak, et certainement par les Serbes contre les Bosniaques en 1995.
  • [14]
    Actuellement, neuf États possèdent officiellement ou officieusement l’arme nucléaire : Chine, Corée du Nord, États-Unis, France, Inde, Israël, Pakistan, Royaume-Uni et Russie.
Français

Résumé

Soutenue depuis plusieurs années par de nombreux auteurs, la thèse selon laquelle la guerre économique s’imposerait aujourd’hui comme la forme moderne de la guerre est une thèse qui est pour le moins discutable. À l’encontre de cette dernière, il nous semble, au contraire, que la fin de la guerre froide et la trajectoire empruntée par la phase de mondialisation en cours ont redonné toute leur actualité à la question des conflits militaires. Par conséquent, cet article s’interroge sur la transformation et le devenir de la guerre, et sur l’éventuelle poursuite du leadership américain qui se trouve impliqué au plus haut degré dans les questions relatives à la gouvernance mondiale.

Mots-clés

  • guerre
  • guerre économique
  • géopolitique
  • géoéconomie
  • gouvernance mondiale

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Éric Bosserelle
Laboratoire OMI, Université de Reims
Mis en ligne sur Cairn.info le 29/11/2011
https://doi.org/10.3917/rfse.008.0167
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