CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 – Introduction

1L’attention accordée par la tradition autrichienne à la concurrence comme « procédure » explique la place centrale qu’elle accorde à l’entrepreneur. Celui-ci, considéré par Mises comme le moteur du marché, présent chez Hayek comme agent traduisant en action les changements de prix et opérant de ce fait la transmission de l’information sur les raretés, a été l’objet d’une analyse plus systématique de la part de Kirzner [1973, 1979, 1992b] qui est apparu comme le principal théoricien autrichien de l’action entrepreneuriale.

2Contrastant avec la négligence dans laquelle a longtemps été tenue l’analyse de l’entrepreneur, cet intérêt précoce explique sans doute pourquoi les théories autrichiennes ont été considérées comme un apport essentiel. Ainsi Endres et Woods [2006] délimitent-ils, pour les comparer, trois types de théories de l’entrepreneur dans le dernier quart du xxe siècle : une théorie néoclassique avec Khilstorm et Laffont [1979], une théorie comportementaliste à la suite de March et Simon [1958], enfin une théorie autrichienne dont la référence essentielle réside dans les travaux de Kirzner.

3Interroger la tradition autrichienne quant à sa cohérence et à sa pertinence apparaît ainsi nécessaire pour délimiter son éventuel apport.

4Le premier aspect de notre interrogation concernera l’unité supposée de cette tradition. Souvent, en effet, des éléments d’analyses provenant des écrits de Mises, Hayek, Kirzner, Lachmann sont repris pour offrir une vision unifiée de ce que serait une théorie autrichienne de l’entrepreneur. Or l’unité entre ces auteurs peut être discutée et la présence d’une pluralité de problématiques quant à l’analyse de l’entrepreneur, au sein même de la tradition autrichienne, doit être soulignée. Celle-ci commence à être reconnue. Ainsi, à la suite de Selgin [1990], Rothbard [1992] et Salerno [1993], Whelan [2008] a souligné l’importance de ce qu’il qualifie de courant « autrichien rationnel » inspiré par les travaux de Menger, Mises et Rothbard, distinct des références habituelles à Kirzner, Hayek et Lachmann.

5Notre propos sera de monter qu’au sein même de cette dernière approche de l’entrepreneur des différences profondes de problématique sont présentes et empêchent d’utiliser de manière non critique des analyses partielles d’auteurs de référence. Mais notre objectif sera aussi de souligner les limites de ces analyses. Celles-ci ont comme point commun d’aborder l’entrepreneur à travers sa fonction de coordination. En cela la théorie de l’entrepreneur appartient à la fois à la théorie du marché et à la théorie des organisations et plus particulièrement à la théorie autrichienne de la firme.

6Nous considérerons ici le concept d’entrepreneur principalement en tant qu’élément d’une théorie de la firme. Certains auteurs ont dénoncé une confusion entre l’entrepreneur et le manager. Nous nous interrogerons néanmoins sur sa fonction de coordination interne pour deux raisons. D’une part parce que ces analyses présentant l’entrepreneur comme un type de comportement plus que comme un agent distinct en viennent à souligner le développement d’un comportement entrepreneurial à l’intérieur de la firme ; d’autre part parce que la distinction trop rigide entre l’entrepreneur et le manager risque de ne pas permettre de saisir les contraintes d’origine interne à la firme, contraintes qui pèsent sur l’action entrepreneuriale et sur les rapports que celle-ci entretient avec la fonction de coordination marchande.
Si cette fonction de coordination interne peut être interrogée de manière différente selon les auteurs, l’analyse qui en est faite débouche, comme nous le verrons, sur une limite comparable : malgré leurs différences de problématiques les auteurs se référant à la tradition autrichienne tendent à surévaluer les capacités de coordination de l’entrepreneur alors même que leurs approches tendraient à souligner les ressorts profonds des problèmes de coordination. En cela ces limites nous apparaîtront bien paradoxales.
Nous commencerons par considérer les caractéristiques de l’entrepreneur chez Kirzner puisque cet auteur est la plupart du temps considéré comme la référence autrichienne sur cette question. Les limites de son analyse, identifiées dans le développement insuffisant des fondements cognitifs et dans l’absence de véritable relation avec la théorie autrichienne de la structure du capital (1), nous conduiront à nous demander en quoi l’œuvre de Hayek d’un côté et celle de Lachmann de l’autre pourraient compléter la théorie de Kirzner. La première pourrait permettre d’approfondir les contraintes de l’action entrepreneuriale à travers la théorie cognitive de Hayek et la distinction entre ordres spontanés et ordres organisés. Cependant, elle contient potentiellement une interrogation spécifique plus centrée sur les limites de l’action entrepreneuriale que sur sa créativité (2). La seconde permettrait d’intégrer créativité et structure du capital, mais elle reste marquée par une surprenante surévaluation des capacités coordinatrices de l’entrepreneur (3).

2 – L’entrepreneur et la firme chez Kirzner

7Le concept d’entrepreneur est un élément nécessaire à la théorie kirznérienne du processus de marché. L’entrepreneur fait varier les prix, les quantités et la qualité des produits. Il est défini chez Kirzner par sa capacité de vigilance (alertness) aux opportunités de profit, capacité qui explique pourquoi l’action de l’entrepreneur a un rôle équilibrant. L’entrepreneur est l’opérateur de cette tendance vers l’équilibre qui caractériserait le marché.

8Si l’entrepreneur pur est ainsi un simple arbitragiste, il peut effectuer cet arbitrage en mettant en œuvre une production de biens. Dans ce cas, il repère les écarts entre le prix des inputs et ceux des produits. Dans une économie de production et d’échange, il convient alors de parler de producteur et l’analyse de Kirzner souligne la nécessité de séparer ce qui relève de la production au sens strict et ce qui relève de l’échange. Cette distinction entre producteurs et entrepreneurs se retrouve dans The Meaning of Market Process [Kirzner, 1992b] sous la forme d’une distinction entre l’entrepreneur et le planificateur? [1]. De la même manière que le producteur en tant que propriétaire de ressources pouvait être conçu comme un maximisateur, les plans, qu’ils soient individuels ou centraux, correspondent à la recherche d’une position optimale. Kirzner affronte ainsi directement le problème des rapports entre planification et connaissance ébauchant une théorie des limites de la firme. Pour cela il introduit ce qu’il appelle le problème de la connaissance, à savoir le problème posé à chaque plan par une inadéquation de la connaissance du planificateur qui empêche d’atteindre une position optimale. Ce problème ne peut être éliminé par une recherche planifiée. Tout d’abord parce que la connaissance d’une technique de recherche plus efficace n’est pas nécessairement disponible, ensuite parce que l’information consciemment recherchée n’est pas nécessairement pertinente pour les objectifs ultimes, enfin parce que le planificateur peut ne pas même savoir qu’il manque de certaines informations essentielles [Kirzner, 1992b, p. 157].

9Si ce problème de connaissance ne peut être supprimé, il peut être réduit grâce au processus de marché mis en mouvement par l’action des entrepreneurs :

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« La vigilance entrepreneuriale de l’homme opère à tout moment pour placer ses étroites activités de planification au sein du cadre plus large de l’action humaine. Au moment même où l’homme calcule de manière routinière l’allocation optimale de ressources données par rapport à des fins données, il garde une oreille entrepreneuriale dressée pour tout ce qui pourrait suggérer que les ressources disponibles sont différentes de ce qui avait été supposé, ou que peut-être un ordre différent de buts pourrait valoir la peine d’être recherché. » [Kirzner, 1992b, p. 161.]

11Ainsi, le comportement d’optimisation, lié à l’activité de planification, est inclus dans le comportement de vigilance entrepreneuriale. Cette distinction maximisation-vigilance recoupe, comme on le voit dans ce texte, la distinction entre comportement routinier et comportement entrepreneurial. La routine n’est donc pas liée, comme chez Hayek, au comportement de conformité aux règles mais au comportement rationnel qui est adapté au caractère donné des fins et des moyens. L’articulation entre ces deux types de comportements pose alors problème : Kirzner suppose leur ajustement parfait car le problème de la connaissance qu’affronte la planification se trouve nécessairement réduit par l’activité entrepreneuriale qui « révèle » l’information pertinente.

12Cette position n’est cependant pas démontrée : puisque ce qui définit l’entrepreneur est sa capacité de « vigilance » aux opportunités de profits, la révélation de l’information est contenue dans la définition même de cet agent moteur du processus de marché. L’articulation de ces deux types de comportement s’effectue à sens unique car la relation de causalité va de l’entrepreneur au planificateur : ce dernier s’adapte aux décisions de l’entrepreneur mais en aucun cas les caractéristiques de la planification (liée à un appareil de production) ne semblent constituer des contraintes pour l’action de l’entrepreneur.

13Les limites de la firme découlent alors de la prise en compte des problèmes de connaissance. La planification recèle certains avantages, souligne Kirzner, car elle permet, par exemple, d’éviter le gaspillage dû aux doubles activités liées à la concurrence. Mais lorsque son domaine d’action s’étend, le problème de la connaissance s’accroît : « Nous pouvons attendre que des firmes tendent spontanément à s’étendre jusqu’au point où les avantages additionnels de “la planification centrale” soient juste compensés par les difficultés de connaissance accrues qui proviennent de l’information dispersée. » [Kirzner, 1992b, p. 162] Ainsi, selon Kirzner, le problème de la dispersion de la connaissance peut être résolu à une petite échelle par une recherche délibérée. Il existera cependant une taille critique au-delà de laquelle le problème posé par la connaissance réduira les profits des firmes. La concurrence se chargera alors de déterminer la taille optimale.

14La théorie de l’entrepreneur est donc bien articulée à une ébauche de théorie de la firme chez Kirzner. On peut ainsi reprendre dans cette optique le texte de 1973. Le producteur a la capacité d’organiser une équipe de production à partir d’un ensemble « de facteurs de production non coordonnés » [Kirzner, 1973, p. 43]. Mais la firme doit être comprise comme une « entité complexe » [Kirzner, 1973, p. 52] dont la logique de fonctionnement ne doit pas être confondue avec le comportement de l’entrepreneur. Pour exploiter les opportunités de profits l’entrepreneur doit acquérir les ressources nécessaires à sa production : « Il est engagé (à un degré qui dépend de la spécificité et de la mobilité des ressources déjà acquises) dans une branche particulière de l’industrie et il est capable maintenant, en acquérant les ressources additionnelles nécessaires, de tirer parti de ses acquisitions antérieures. L’entrepreneur particulier n’est plus seulement un entrepreneur pur ; il est devenu, en conséquence de ces décisions entrepreneuriales antérieures, un propriétaire de ressources. » [Kirzner, 1973, p. 53] On peut alors comprendre pourquoi Kirzner s’attache tellement à séparer la fonction entrepreneuriale de celle du producteur. Ces deux fonctions révèlent deux types spécifiques de compétences, la vigilance pour l’entrepreneur et la coordination des ressources pour le producteur. Or, si la firme suppose par définition l’existence d’un agent (ou d’un groupe d’agents) coordinateur, rien n’assure que le comportement entrepreneurial sera possédé par celui-ci.

15De cette distinction provient la volonté de présenter la firme comme une entité complexe : son fonctionnement résultera non seulement de la planification effectuée par le producteur, mais aussi des interactions entre actionnaires, salariés et managers. Kirzner abandonne alors le raisonnement en termes d’entrepreneur pur pour souligner que la capacité entrepreneuriale peut être possédée à des degrés divers par chacun des agents. Puisque le comportement entrepreneurial se définit comme la capacité à saisir des opportunités de profits, on ne peut identifier a priori les agents qui disposent de cette capacité. La complexité des relations provient alors de la différence des capacités de vigilance individuelles. Kirzner illustre cette idée à travers un exemple simple que nous allons analyser [Kirzner, 1973, p. 57-62]. Supposons, dit-il, une économie dans laquelle une hausse du prix de la viande fait de la chasse une activité profitable. Un individu aperçoit cette opportunité de profit, achète ou loue un fusil et embauche un chasseur. Il perçoit ce profit jusqu’à l’arrivée de concurrents. Ce profit temporaire est lié à la vigilance supérieure, à sa capacité à avoir perçu avant les autres cette opportunité de profit. L’histoire cependant ne s’arrête pas là : « Un cas important est celui où A n’a pas seulement précédé les autres hommes d’affaires en installant sa firme, mais est aussi plus vigilant dans sa capacité à sentir où sont les meilleures opportunités de chasse, de telle sorte qu’il envoie ses chasseurs dans des expéditions qui fournissent un plus grand revenu de chasse par semaine. » [Kirzner, 1973, p. 58]

16La capacité de vigilance de l’entrepreneur a donc une double dimension : la perception du caractère profitable de l’activité et la capacité à percevoir les modalités les plus profitables de cette activité. S’il enrichit sa conception, Kirzner semble cependant s’éloigner de la perspective qu’il avait adoptée, puisque maintenant ce sont bien les modalités de la planification de l’activité qui relèvent d’un type particulier de vigilance entrepreneuriale.

17La mise en évidence de ces deux types de vigilance permet alors de passer à l’étape suivante qui consiste à attribuer chacune de ces capacités à des individus différents. On suppose maintenant que A embauche un individu B parce qu’il dispose de cette capacité à percevoir la meilleure façon de chasser. Le premier problème consiste à savoir pourquoi B ne crée pas sa propre firme : « La réponse à cette question doit, selon nos hypothèses, être que quelque vigilance que possède B, elle n’est pas pour une raison ou une autre de la vigilance entrepreneuriale ; c’est-à-dire que la conscience des opportunités supérieure de B est suffisante pour lui faire vendre ses services en échange d’un salaire, mais qu’elle n’est pas suffisante pour le convaincre d’aller rechercher les profits qu’il pense percevoir. Si cette réponse est correcte, alors notre conclusion doit être que seul A a montré qu’il possède la vigilance supérieure pour ce qui est des possibilités de chasse exceptionnelle qui en font l’entrepreneur. A est le seul entrepreneur dans sa firme ; B exerce une capacité de nature différente, il est un meilleur chasseur en vertu de cette capacité, mais il n’est pas un entrepreneur. » [Kirzner, 1973, p. 60]

18La capacité de vigilance n’est donc pas nécessairement entrepreneuriale. Pour qu’elle le soit, elle doit être utilisée par l’individu qui la possède afin d’obtenir le profit qu’elle permet. Les deux types de vigilance sont alors hiérarchisés et la vigilance entrepreneuriale est placée dans une position dominante. Ceci permet alors à Kirzner de préciser la nature de la connaissance entrepreneuriale qui apparaît non pas comme une connaissance directe des opportunités de profit, mais comme la possibilité de savoir où trouver la connaissance utile [Kirzner, 1973, p. 68]. Plus important cependant, cette conception de la relation d’emploi contient nécessairement en elle-même un problème que l’on peut qualifier d’aléa moral. En effet, si le raisonnement précédent a été mené en supposant que « B remplit fidèlement sa part de l’accord » [Kirzner, 1973, p. 60], cela n’est pas nécessairement le cas. A peut être « sans pouvoir » à cause de « l’environnement institutionnel » [Kirzner, 1973, p. 62] pour forcer B à honorer fidèlement l’accord. Il peut être surtout victime d’une sorte d’asymétrie d’information en étant incapable « peut-être même de détecter » le comportement inadéquat de B [Kirzner, 1973, p. 60].
Destinée à éclairer, selon Kirzner, la nature des relations entre actionnaires et managers, cette analyse pourrait être logiquement étendue à l’ensemble des agents qui composent la firme. De la même manière que l’actionnaire doit laisser une autonomie d’action au manager s’il veut profiter de cette vigilance supérieure, le salarié qui dispose d’une compétence spécifique ne peut voir son activité totalement contrôlée par son supérieur hiérarchique. Seulement ébauchée, la théorie de Kirzner ne franchit pas ce stade comme en témoigne son invocation du cadre institutionnel (exogène) comme un élément qui explique quels sont les agents qui jouent véritablement le rôle d’entrepreneur. L’invocation des caractéristiques du cadre institutionnel apparaît donc plus comme une échappatoire, le symptôme d’une théorie non développée, que comme un véritable enrichissement de l’analyse.
Le concept de vigilance a pour but de doter l’entrepreneur d’une capacité de perception qui lui permette d’apprendre à modifier ses comportements en fonction de l’expérience du marché. Il est destiné à éviter le recours à la psychologie pour comprendre le processus d’apprentissage : « Pour le but de l’économiste il n’est pas nécessaire d’explorer la psychologie du processus d’apprentissage (…). » [Kirzner, 1973, p. 71] Il suffit donc d’introduire l’idée que ce processus existe : « Pour ceci, la reconnaissance de l’élément entrepreneurial dans l’action individuelle est complètement adéquate. » [Kirzner, 1973, p. 72] D’une certaine manière, on peut considérer que l’analyse des déterminants et de la modification des schèmes de perception et d’action sur laquelle Hayek a attiré l’attention se situe hors du cadre de la perspective de Kirzner. Le concept de vigilance condense ainsi cette démarche et explique l’absence d’analyse des règles dans la théorie de Kirzner.
Ce concept, qui exprime une activité de perception des opportunités existantes, correspond néanmoins à une forme de passivité cognitive puisque l’entrepreneur note (enregistre) les différences de prix mais ne semble pas les interpréter. Ceci explique la réticence de certains Autrichiens. Ainsi, High [1986] a attiré l’attention sur le rôle du jugement et White [1986] sur celui de l’imagination. Même si Kirzner a cherché à répondre à ces critiques [Kirzner, 1994], il a maintenu l’essentiel de sa position. Sans doute cela tient-il au fait que les critiques ont davantage insisté sur l’importance de l’incertitude qui impose à l’entrepreneur d’envisager des pertes futures que sur les règles qui déterminent les schèmes cognitifs. L’absence de prise en compte des processus cognitifs, comprise dans le rejet de la « psychologie », bloque ainsi l’analyse et semble incompatible avec la problématique de la connaissance. Elle paraît ainsi correspondre à un développement contradictoire du subjectivisme puisque, si le comportement entrepreneurial est bien actif, sa perception, comme nous l’avons vu, demeure en partie passive. Il semble donc inadapté de compléter une théorie qui insisterait sur le rôle de la connaissance et des règles dans les organisations par la théorie de l’entrepreneur de Kirzner.

3 – Les conditions de l’ordre spontané : Hayek

19Nous insisterons dans cette section sur deux aspects qui sous-tendent la réflexion hayékienne sur l’ordre (spontané ou organisé) et qui sont susceptibles d’entrer en écho avec certaines réflexions autrichiennes sur la firme. Nous considérons tout d’abord les conditions cognitives de l’ordre, ensuite les conditions institutionnelles de sa permanence.

20La théorie développée par Hayek dans Sensory Order [Hayek, 1952] et dans plusieurs articles complémentaires fournit le soubassement cognitif à la réflexion hayékienne sur l’ordre et les institutions et, en cela, elle devrait permettre de dépasser la passivité cognitive présente chez Kirzner. Hayek s’interroge dans cet ouvrage sur la relation entre événements physiques et événements mentaux. L’interaction entre inputs sensoriels et organes récepteurs établit un ensemble de couplages qui créent les catégories favorisant les perceptions ultérieures et fondent la capacité à reproduire l’environnement. Cette reproduction est hiérarchisée et Hayek distingue la carte « semi-permanente » de l’environnement – qui constitue un cadre d’évaluation des impulsions et qui délimite ce qui peut être enregistré – et le modèle qui représente l’environnement particulier de l’individu à un moment donné. Ce dispositif cognitif remplit alors les fonctions de mémorisation, de communication, d’interprétation et d’anticipation, fonctions qui se situent alors en partie à un niveau préconscient.

21La dimension heuristique de cette approche cognitive commence à être perçue par les Autrichiens. Ainsi, Steven Horwitz [2008] s’intéresse à la pertinence de Sensory Order comme élément de constitution d’une théorie hayékienne de la firme. Il avance certains rapprochements entre la théorie cognitive et certaines règles de fonctionnement des organisations. Il assimile ainsi la carte au business plan et le modèle à la représentation comptable des organisations, et esquisse une théorie autrichienne de l’apprentissage fondé sur des routines, rapprochant ainsi sa problématique de celle des évolutionnistes [Nelson et Winter, 1982].

22En l’état, ce type de recherche nous semble poser trois ensembles de problèmes. Tout d’abord, la recherche en reste à un stade métaphorique associant d’une manière sans doute suggestive et stimulante mais encore vague les fonctions cognitives et certaines fonctions de traitement de l’information et de production de connaissances au sein de la firme. Ensuite, la question de l’articulation entre l’approche cognitive et la question des règles et des ordres n’est pas développée. Au lieu de distinguer soigneusement les deux types de problèmes pour mettre en valeur l’apport spécifique de la problématique cognitive, Horwitz se détourne de son propos principal plus original pour réaffirmer la nécessaire présence d’ordres spontanés dans les organisations déjà depuis longtemps soulignées par les recherches d’inspiration hayékienne [Ioannides, 1999a, 1999b, 2003].

23Enfin, l’analyse proposée ne perçoit pas toutes les conséquences de cette perspective cognitive. Toute difficulté de communication, toute erreur d’interprétation, tout échec d’anticipation provoquera une modification du modèle tout d’abord, de la carte ensuite. Si l’agent est bien cognitivement actif, ce processus d’échec et de correction conduit néanmoins à une adaptation du dispositif cognitif à l’environnement. On peut ainsi considérer que la réflexion hayékienne sur l’ordre suppose des schèmes adaptés ou en cours d’adaptation, ce qui supprime l’un des problèmes de coordination. Cette analyse, si nous la transposons au problème des ordres spontanés et des organisations, signifie aussi que l’adaptation n’est pas synonyme d’une plus grande efficacité des comportements : si un environnement est suffisamment stabilisé par des règles et des commandements pour servir de référence dans un processus d’adaptation, il contribuera à renforcer les dispositifs cognitifs qui le soutiennent, indépendamment de toute considération d’efficacité. Se pose alors le problème d’une éventuelle hétérogénéité du dispositif cognitif. Puisque, en effet, celui-ci est composé du modèle de l’environnement de l’agent, on peut envisager la participation à plusieurs environnements qui génèrent des modèles différents et peut-être parfois contradictoires. Hayek a lui-même noté la coexistence de types d’ordres différents constituant une pluralité de mondes : « Une partie de notre difficulté présente est que nous devons constamment ajuster notre vie, nos pensées et nos émotions de façon à vivre simultanément au sein de types d’ordres différents, conformément à des règles différentes. » [Hayek, 1988, 1993, p. 28] Cette phrase, concernant dans le texte les ordres fondés sur la solidarité et l’altruisme, peut concerner les organisations. L’hétérogénéité du dispositif cognitif reflétant l’inclusion des organisations dans l’ordre spontané pourrait ainsi constituer une source interne de problèmes de coordination.

24Tel n’est cependant pas l’objectif de Hayek et son analyse de l’adaptation des schèmes le conduit à neutraliser les problèmes cognitifs pour se concentrer sur l’effet des prix, des commandements ou des règles sur le comportement des agents. En revanche, on peut ici mettre en perspective des développements plus récents qui ont relié ce type de problématique avec le problème de l’entrepreneur. Ainsi, Witt [1998, 1999] a-t-il souligné la dimension de leadership cognitif d’un entrepreneur devant assurer la coordination des schèmes hétérogènes des agents. Si cette hétérogénéité est chez lui une donnée, les développements que l’on pourrait entreprendre à partir de la théorie cognitive de Hayek conduiraient à en faire une variable endogène. Ainsi, les problèmes de coordination cognitive tendraient à se reconstituer. Il y a alors une curieuse évolution comparable des problématiques autrichiennes ou d’inspiration autrichienne : alors que l’approfondissement de la réflexion sur la dimension cognitive semblerait permettre de dépasser la passivité présente chez Kirzner, l’entrepreneur a dans les deux approches – mais avec des perspectives différentes – la même fonction : réduire les problèmes de coordination. La vigilance entrepreneuriale réduit les problèmes de coordination chez Kirzner, le leadership réduit la diversité des schèmes chez Witt. Dans les deux cas, la reproduction endogène des problèmes de coordination, pourtant au cœur de la problématique autrichienne, est écartée.

25L’adaptation suppose un environnement suffisamment régulier et celui-ci résulte de la conformité des comportements aux règles. Cependant, l’émergence spontanée des règles ne garantit pas nécessairement que l’ordre spontané soit maintenu. Le processus négatif – celui de la « route de la servitude » – peut s’enclencher, générant une croissance cumulative des contraintes imposées à l’ordre spontané et débouchant sur l’extension des principes de l’organisation à l’ensemble de la société. Ainsi, pour que l’évolution produise des effets bénéfiques de sélection des règles les plus efficaces, les comportements doivent être soigneusement encadrés par des règles générales, abstraites et intangibles. Autrement dit, le processus évolutionnaire aura des effets positifs si les comportements des individus sont contraints par une constitution (cf. le tome 3 de Droit, législation et liberté). Ces règles constitutionnelles définissent l’organisation et les limites de l’exercice des pouvoirs. En cela, elles garantissent la permanence de l’ordre spontané.

26Ceci peut conduire alors à envisager la firme sous un angle constitutionnel comme l’ont fait Langlois [1997], Garrouste [1999], Kaisla [2003], à partir des approches constitutionnalistes de la firme [Vanberg, 1992]. La « constitution » de la firme, si elle est « bien conçue » est un système de règles qui « détourne les membres du groupe de la quête de rentes improductives et dirige leur énergie vers la quête de rentes productives » [Langlois, 1997, p. 66]. Langlois complète alors cette approche par la théorie des capacités qui privilégie la règle comme cause de l’action à travers le concept de routines, par rapport à la règle comme contraintes de l’approche constitutionnaliste et qui met davantage l’accent selon lui sur la dimension productive de la firme. Une approche constitutionnelle de la firme dans une optique hayékienne semblerait à la fois nécessaire et différente de celle proposée par Vanberg.
Elle serait nécessaire en conséquence des interactions spontanées et des règles qui émergent au sein de la firme. Ces règles, comme nous l’avons vu, peuvent être considérées comme des routines, des connaissances tacites qui contribuent à forger les schèmes cognitifs des individus. D’une part, cependant, rien n’assure que cette évolution interne permettra le maintien des positions concurrentielles de la firme ni, a fortiori, qu’elle garantira une meilleure efficacité. D’autre part, l’existence d’un ordre spontané au sein de la firme peut être perturbé par les instructions du centre et déboucher de proche en proche sur une stricte relation hiérarchique reposant sur le simple commandement. Dans ce cas, le commandement conduira, à terme, à une perte d’efficacité de l’organisation. Pour conjurer une telle menace, il faudrait envisager que certaines règles limitent le pouvoir des dirigeants, ceux-ci, comme les dirigeants politiques, devraient accepter des contraintes comme conséquence de leur rationalité et de leurs connaissances limitées.
Cette conception de la constitution de la firme serait différente de celle de Vanberg pour deux raisons. D’une part, son objectif n’est ni de détourner de la recherche de rentes improductives ni d’orienter vers la recherche de rentes productives : elle doit déterminer un cadre favorisant l’évolution des règles internes. D’autre part, cette constitution correspond moins à une contrainte sur l’action des membres qu’à une limite à l’exercice du pouvoir des dirigeants. Comme dans le domaine politique, le pouvoir discrétionnaire doit être contraint par des règles. Cela signifie que les interactions spontanées sont nécessaires à l’utilisation de cette connaissance dispersée que l’entrepreneur ne peut parfaitement contrôler. La réduction du pouvoir du dirigeant correspondrait ainsi à une limitation des droits de propriété, et en particulier du droit d’usage, limitation déterminée par le fonctionnement interne de l’entreprise.
Ainsi l’intégration de la problématique de l’ordre spontané au sein de la firme exigerait de prendre en compte l’émergence possible d’ordres inefficaces ou le risque d’évolution négative et, d’autre part, d’analyser les règles qui fonctionnent comme constitution en ce qu’elles limitent le pouvoir des dirigeants (et des propriétaires) et réduisent leur domaine de liberté d’action. Fondée sur une hypothèse d’adaptation des schèmes de perception, la théorie hayékienne de l’ordre évacue certains problèmes de coordination et ne peut ainsi être considérée que comme un cas particulier, utilisable uniquement après avoir prudemment pris en compte ses conditions de validité. Paradoxalement cette théorie entrepreneuriale serait une théorie des limites nécessaires de l’action interne de l’entrepreneur. Se poserait alors la question de l’effet des contraintes internes sur l’efficacité de l’entrepreneur dans le processus de concurrence marchande. Pour être développée une telle réflexion exigerait alors de prendre en compte la contrainte imposée par la structure du capital elle-même et de considérer l’interaction d’une telle structure avec le système de règles. L’entrepreneur apparaîtrait ainsi à la croisée des contraintes productives, cognitives et institutionnelles. On conçoit alors qu’une telle perspective ferait plus qu’enrichir l’analyse de Kirzner : elle ouvrirait sur une problématique bien différente.

4 – Structure du capital et institutions chez Lachmann

27L’approche de Lachmann offre sans doute l’analyse la plus développée des relations entre capital, entrepreneur, règles et connaissances. Son subjectivisme radical interdit de supposer donnés ou adaptés les schèmes de perception. Il invite à intégrer l’analyse des problèmes posés par l’interprétation nécessairement subjective de l’information et à considérer les effets d’un futur imprévisible.

28Nous chercherons dans cette partie à dégager des éléments cohérents susceptibles de dessiner les contours d’une approche spécifique. Ainsi nous limiterons-nous à souligner comment l’incertitude peut être reliée à la raison d’être de la firme, la structure du capital, au rôle de la hiérarchie et comment la théorie des institutions semble susceptible d’éclairer certains aspects institutionnels de la firme et à la fonction que remplit l’entrepreneur.

29La théorie du capital s’intéresse à la structure du capital, c’est-à-dire aux relations existantes entre biens capitaux. Ces biens sont considérés comme hétérogènes car ils sont affectés à des usages différents. Mais ils ne peuvent être utilisés que pour un nombre limité d’usages et cette « spécificité multiple » signifie, puisque les biens capitaux doivent être utilisés de manière conjointe, que la complémentarité caractérise les relations entre biens capitaux. Ces relations de complémentarité sont réalisées par l’entrepreneur qui recherche les meilleures combinaisons de biens capitaux [Lachmann, 1956, p. 72]. L’activité qui consiste à changer, dissoudre et reformer les combinaisons de capital est ainsi la « fonction réelle de l’entrepreneur » [Lachmann, 1956, p. 13] qui doit « spécifier et prendre des décisions sur la forme concrète que les ressources en capital prendront » [Lachmann, 1956, p. 16]. Ainsi ce dernier articule biens capitaux et structure du capital. La production se déroulant dans le temps, l’entrepreneur doit alors anticiper le futur et forger un plan. Puisque ce futur est incertain, ce plan doit comporter des possibilités de recombinaisons productives et ce possible changement de situation impose de concevoir les possibilités de substitution entre biens capitaux, que ce soit par la constitution d’un stock de substituts ou on essayant d’augmenter la substituabilité par divers moyens « comme la standardisation de l’équipement » [Lachmann, 1977, p. 201]. D’une manière surprenante pour une approche soulignant les limites cognitives des agents, l’entrepreneur apparaît doté d’une parfaite capacité de contrôle sur les éléments qui composent la structure productive. S’il est contraint en effet par les relations de complémentarité entre les biens capitaux, il semble néanmoins capable de les recombiner de la manière qui lui paraît la plus profitable et d’imaginer les moyens d’accroître cette substituabilité qui permet d’affronter les événements imprévus. Ainsi, l’incertitude qui régit les échanges marchands semble exclue du fonctionnement interne de la firme grâce à l’activité cognitive de l’entrepreneur qui introduit un ordre, fondement de la capacité de contrôle :

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« L’esprit humain est un instrument pour réduire le chaos à l’ordre. Il est peu probable que tous ces actes qui sont inspirés par le même esprit manifesteront une incohérence chaotique. Quel que soit le nombre d’actes qu’un esprit peut contrôler, il peut aussi les mettre en cohérence, et comme la cohérence de l’action est une condition nécessaire, quoique non suffisante bien sûr, des succès de l’action, l’esprit devra en faire ainsi. Mais au-delà de cette sphère de manifestation de l’esprit individuel, hors de la firme et du ménage aucun agent de ce type n’existe. » [Lachmann, 1956, p. 40, c’est moi qui souligne.]

31Ainsi, la firme est constituée d’un ensemble d’actes susceptibles d’être « contrôlés » et « mis en cohérence » par un seul esprit. La relation hiérarchique n’est donc pas médiée par les interactions des agents et l’incertitude est éliminée et renvoyée exclusivement au processus marchand. Mais cette incertitude marchande, en retour, a pour Lachmann un effet important qui explique certaines caractéristiques des firmes.

32Tout d’abord, elle permet de rendre compte de leur diversité qui est conçue en termes subjectivistes. En recombinant son capital, l’entrepreneur sacrifie un bénéfice futur pour un usage présent. Ce « coût d’usage », repris de Keynes, reflète les anticipations du futur. Or la diversité des anticipations individuelles explique pourquoi le coût d’usage différera même pour des firmes avec une combinaison de capital identique [Lachmann, 1956, 1986]. En outre, cette combinaison de capital elle-même reflétera l’optimisme, l’audace, l’attitude envers un futur inconnu. Ainsi, coût d’usage et combinaison de capital sont tous deux « l’expression de l’individualité de la firme ». Une telle conception interdit ainsi toute démarche en termes de firme représentative et incite à les étudier dans leur singularité.

33Pouvons-nous tirer maintenant de la théorie des institutions de Lachmann des éléments susceptibles, si ce n’est de développer une théorie de la firme, au moins de dégager quelques perspectives ? La distinction entre institutions externes et internes, intentionnelles et non intentionnelles, semble, de ce point de vue, fournir un cadre de réflexion propice :

34

« Dans une telle société on pourrait dire que les institutions involontaires qui se développent graduellement comme le résultat non intentionnel et imprévisible de la poursuite des intérêts individuels s’accumulent dans les interstices de l’ordre juridique. Les interstices ont été planifiés bien que les sédiments qui s’accumulent en leur sein ne l’aient pas été et ne puissent pas l’avoir été. Dans une société de ce type, nous pourrions distinguer entre les institutions externes qui constituent, pour ainsi dire, le cadre extérieur de la société, l’ordre juridique, et les institutions internes qui se développent graduellement comme le résultat des processus de marché et d’autres formes d’actions individuelles spontanées. » [Lachmann, 1971, p. 81]

35Lachmann semble assimiler dans ce texte les institutions externes et les institutions intentionnelles, volontairement créées. Si une telle assimilation peut être délicate dans le cadre d’une théorie générale des institutions sociales, elle peut constituer un point de départ intéressant pour replacer l’entrepreneur au sein d’une théorie de la firme. Les institutions intentionnelles, volontairement créées, sont les institutions pragmatiques de Menger ; leur présence introduit alors un dessein, une intention originelle comme élément constitutif d’un ordre institutionnel. Une telle conception semble pouvoir être transposée à la logique de la firme définie par le but introduit par l’entrepreneur. Elle permet de dépasser le problème posé par l’introduction de l’analyse des ordres spontanés dans les études des organisations selon une perspective hayékienne. L’analyse de Lachmann conduit, en effet, non pas à assurer par hypothèse la combinaison harmonieuse des institutions organiques et pragmatiques, comme pourrait le suggérer le texte précédent, mais à identifier les difficultés potentielles d’une telle combinaison.

36Elle conduit à s’interroger, tout d’abord, sur la nature du dessein originel. Lachmann évoque la « qualité » qui imprime ses caractéristiques au résultat [Lachmann, 1971, p. 138]. Si l’analyse de cette qualité n’est pas menée, la réflexion suggère néanmoins la multiplicité des configurations institutionnelles envisageables. Elle permettrait alors de retrouver, dans le cadre d’une approche institutionnelle, cette hétérogénéité des firmes que la théorie du capital tendait à souligner. D’autre part, le dessein institutionnel est relatif à la situation initiale : « […] les institutions peuvent seulement être destinées à satisfaire un certain nombre de situations connues ou un nombre limité de situations possibles, c’est-à-dire concevables, mais pas un nombre illimité de situations inconnues. Néanmoins, le seul trait disponible pour nous, afin de déterminer la qualité du dessin d’une institution, est le test de l’histoire. » [Lachmann, 1971, p. 138]

37La réaction au changement imprévu prend ainsi non seulement la forme du développement d’institutions organiques dans les interstices des institutions pragmatiques mais aussi celle de la nécessaire modification des institutions externes intentionnelles. On pourrait dire alors que, de la même manière que l’entrepreneur doit constamment réarranger sa combinaison de biens capitaux et modifier ses plans pour s’adapter aux changements non anticipés, il doit réformer ses institutions internes. Pourtant, à la différence de sa fonction à l’égard de la structure de capital, le développement spontané des institutions fournit une flexibilité institutionnelle plus importante que celle de l’appareil productif.

38Ensuite, l’analyse de Lachmann oriente vers les problèmes posés par la combinaison des deux types d’institutions. Lachmann souligne trois problèmes principaux : la vitesse relative des changements, l’interaction entre institutions et la mise en péril de la cohérence de l’ordre institutionnel. En premier lieu, il n’y a aucune raison, souligne-t-il, de considérer que la vitesse de changement des institutions intentionnelles est plus lente que celle des institutions non intentionnelles. Mais si les premières sont modifiées plus rapidement que les secondes, elles ne peuvent plus jouer le rôle d’un cadre garantissant la cohérence des institutions spontanées et, en conséquence, elles ne peuvent plus garantir que les institutions serviront de « poteaux indicateurs » communs suffisamment stables pour orienter l’action dans le sens de la coordination. Dans le cadre d’une théorie de la firme, un tel risque semble d’autant plus présent que l’entrepreneur doit réagir aux changements imprévus en modifiant non seulement sa combinaison de capital mais aussi les règles internes qui régissent la firme. Cela signifierait alors que les actions à l’intérieur de la firme sont soumises à une incertitude aussi grande que celle du marché. La nécessité d’assurer une certaine cohérence en supposant que les agents prévoient le type de changement et sa direction peut alors permettre une certaine conciliation entre la flexibilité nécessaire et le maintien de la cohérence. Dans le domaine des institutions sociales, Lachmann souligne ainsi le besoin d’institutions immuables servant de « charnières » : « Les charnières immuables et connues en tant que telles permettent aux autres éléments de “tourner” à l’intérieur de limites. » [Lachmann, 1994, p. 258] Nous retrouvons, en conséquence, un effet implicite que nous avions déjà rencontré en analysant les conditions d’une évolution interne positive de la firme chez Hayek. Ces « charnières immuables » limitent en effet le domaine de modification des institutions intentionnelles, elles réduisent donc le domaine d’action de l’entrepreneur. Comme chez Hayek avec les conditions constitutionnelles de l’évolution, la limite posée à l’action de l’entrepreneur apparaît nécessaire pour garantir le bon fonctionnement de l’organisation. Chez Lachmann cependant, il s’agit moins de favoriser la meilleure utilisation possible de connaissances locales que de réduire l’incertitude à laquelle les agents sont soumis. Il s’agit donc moins de favoriser une meilleure efficacité que d’écarter le risque de chaos.

39Comment certaines institutions peuvent-elles donc être « immuables » ? On pourrait considérer qu’elles le sont si leur changement provoque une transformation de la nature même de l’ordre institutionnel. Ainsi, l’immuabilité peut être considérée comme relative aux caractéristiques d’un ordre donné. Cela ne nous dit encore rien sur ses fondements. Dans le domaine politique, Lachmann insiste sur la nécessaire présence d’un « grand compromis » entre groupes sociaux différents. Ce qui distingue un grand d’un petit compromis n’est pas la taille des populations concernées mais la conviction ou l’absence de conviction des différentes parties quant à sa permanence [Lachmann, 1971, p. 109]. Chacune des parties peut alors considérer à la fois les termes du compromis et les institutions dans lesquelles il s’exprime dans sa propre perspective [Lachmann, 1971, p. 141].
Une telle conception développée pour comprendre l’ordre institutionnel des sociétés complexes peut être étendue à une analyse de la firme. D’une part, la présence de groupes différenciés au sein des organisations, conséquence de la division intra-organisationnelle du travail, pose la question des compromis. Différents types de compromis se traduiraient en institutions charnières et règles intentionnelles spécifiques qui fonderaient la différenciation des firmes. Le succès de la firme ne pourrait alors se définir selon des critères a priori car il ne pourrait être évalué qu’en relation avec le compromis bien souvent implicite. Comme le dit Lachmann, le seul test pour juger la qualité du dessein d’une institution est le « test de l’histoire ». Ainsi, seul le maintien de la permanence et de la cohérence d’une firme dans le temps manifesterait l’efficacité du compromis ou de la suite de compromis sur lequel ou lesquels elle a été fondée. Une théorie de la firme exigerait donc de passer à un niveau d’abstraction moins élevé en construisant l’analyse des différents types de compromis et de leur évolution dans le temps.
Une telle perspective institutionnelle semble engager dans une voie différente de celle esquissée par l’analyse de la « structure de contrôle » qui mettait l’accent uniquement sur l’importance des relations entre « entrepreneur-manager » et « entrepreneur-propriétaire » [Lachmann, 1956]. Lachmann insistait alors davantage sur l’impact de la propriété des actifs et sur le contrôle indirect exercé par les marchés financiers. Cette différence apparente suggère pourtant deux remarques. La théorie de la structure de contrôle apparaît plus complémentaire que contradictoire avec la perspective institutionnelle. En insistant sur le rôle dominant de la propriété des actifs, elle peut simplement conduire à réduire les types de compromis pertinents qu’il convient de considérer. À l’inverse, la perspective institutionnelle invite à s’interroger sur les relations entre la structure de contrôle et le type de compromis envisageable. Après tout, comme nous l’avons vu, l’importance du compromis ne réside pas dans la taille des groupes qui le constituent mais dans la conviction de sa permanence. Cette conviction présuppose ainsi l’accord des propriétaires. Cependant, en ce qui concerne des firmes qui ne sont pas directement dirigées par les propriétaires, la nature de la structure de commandement n’est pas nécessairement affectée uniquement par le contrôle indirect exercé par les marchés financiers.

5 – Conclusion

40L’analyse des positions de Kirzner, Hayek et Lachmann nous a permis de souligner les limites de ces différentes approches qui fondent simultanément les théories autrichiennes contemporaines de la firme et de l’entrepreneur. À travers le concept de vigilance, la théorie de Kirzner écarte l’analyse des problèmes de coordination liés à la diversité des schèmes cognitifs ; celle de Hayek apparaît comme un cas particulier d’une théorie plus vaste car elle les neutralise en les supposant adaptés ou en voie d’adaptation à l’environnement. Le subjectivisme radical de Lachmann semble alors un fondement plus pertinent en insistant sur les problèmes d’interprétation et sur l’incertitude radicale. Mais l’hypothèse d’un contrôle parfait exercé à l’intérieur de la firme est largement insatisfaisante car incompatible avec ce subjectivisme d’interprétation et d’anticipation utilisé dans l’analyse des processus de marché.

41Il n’existe donc pas, à l’heure actuelle, de véritable théorie autrichienne de l’entrepreneur fondée sur des bases solides. Comme nous l’avons vu, les approches actuellement développées tendent souvent à réduire le problème de la connaissance dispersée et non communicable à celui des limites de l’information disponible. Elles reposent en outre sur une surévaluation des capacités de coordination de l’entrepreneur et du contrôle qu’il peut exercer sur la firme. Elles s’appuient enfin souvent sur des fondements hétérogènes en recourant de manière non critique aux différents auteurs de référence de la tradition autrichienne.

42C’est pourtant à travers l’étude de ces derniers que l’on peut identifier la racine des limites et de la fragilité des bases des théories actuelles. Le concept de vigilance de Kirzner, la théorie de l’adaptation des schèmes cognitifs de Hayek ou l’hypothèse ad hoc du contrôle de l’esprit humain à l’intérieur de la firme de Lachmann, concourent tous à cette confiance à l’égard des capacités coordinatrices de l’entrepreneur. Une théorie autrichienne devrait cependant s’attacher à analyser les divers problèmes de coordination internes à la firme et à étudier la façon dont ils pourraient être résolus. De ce point de vue, la position de Lachmann apparaît singulière. Son hypothèse de contrôle, incompatible avec son subjectivisme, empêche provisoirement de développer une analyse des problèmes de coordination internes à la firme susceptible d’être mise en parallèle avec sa théorie des processus de marché. Cette hypothèse devrait donc être levée pour permettre l’élaboration d’une théorie de la firme fondée sur la diversité de connaissances individuelles et clairement distinctes d’approches en termes d’information qui évacuent les difficultés liées aux interprétations subjectives. Une voie pourrait alors être ouverte qui réconcilierait les théories de la connaissance, des institutions et de la structure productive dans une théorie de la firme et de l’entrepreneur.

Notes

  • [1]
    Cette distinction, proche de celle de Hayek entre ordre spontané et organisation, va plus loin car elle incorpore la façon d’appréhender le comportement individuel lui-même.
Français

Résumé

L’article analyse et discute les positions de Kirzner, Hayek et Lachmann sur lesquelles s’appuient les théories autrichiennes contemporaines de la firme et de l’entrepreneur. Il montre comment le concept de vigilance de Kirzner, la théorie de l’adaptation des schèmes cognitifs de Hayek ou l’hypothèse ad hoc du contrôle de l’esprit humain à l’intérieur de la firme de Lachmann, reposent sur une confiance à l’égard des capacités coordinatrices de l’entrepreneur et négligent les problèmes de coordination.

Mots-clés

  • tradition autrichienne
  • entrepreneur
  • théorie de la firme
  • cognition
  • coordination

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Mis en ligne sur Cairn.info le 17/05/2011
https://doi.org/10.3917/rfse.007.0103
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