CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Le besoin de quantifier les victimations est apparu au milieu des années 1960 aux États-Unis avec la mise sur pied de l’enquête nationale permanente américaine de victimation, une enquête par sondage qui consiste à interroger un échantillon de la population sur les actes criminels qu’il aurait subis sur une période donnée. Souvent opposée à la statistique administrative de la police, l’enquête de victimation apparaît depuis sa création comme une solution alternative de la quantification de la délinquance. De la sorte, à côté des registres administratifs de la police, elle constitue l’une des deux grandes catégories de sources de la statistique publique du crime [Robert, 1994 ; Desrosières, 2004].

2Dans cet article, il s’agit d’opérer un retour sur les conditions d’invention et d’institutionnalisation de l’enquête de victimation – retour nous incitant à revenir sur le travail accompli par les acteurs de cette innovation et le contexte social dans lequel s’inscrivait leur entreprise [Cantor et Lynch, 2000 ; Rand, 2007]. [2] Nous envisageons une sociologie de l’enquête de victimation à partir des multiples approches qui constituent la sociologie de la statistique [Desrosières, 1993 ; Anderson 1988 ; Duncan et Shelton, 1978 ; Davidson, 1985 ; Didier, 2009]. Celle portée par Alain Desrosières nous invite à ne pas enfermer l’examen de la quantification dans une problématique purement cognitive de reflet de réalité, mais à faire reconnaître l’aspect conventionnel des objets statistiques. Plus récemment, Alain Desrosières a élargi le domaine de recherche de la sociologie de la statistique à l’analyse des figures de compromis qui permettent de gérer les tensions entre les perspectives réalistes et constructivistes [Desrosières, 2007]. C’est à ce vaste programme de recherche que notre investigation sur l’enquête de victimation prétend modestement contribuer. En effet, les personnes qui œuvrent au développement de l’enquête de victimation ont su faire coexister les deux énoncés réalistes et constructivistes. Autrement dit, nous avons constaté que les scientifiques qui œuvrent à la fabrication de l’enquête de victimation ont à la fois une visée de réalité et une visée d’usage, et ce, en arbitrant explicitement face au spectre des usages potentiels.

3En privilégiant les débats et les discours autour de l’enquête de victimation, on peut comprendre les échappées politiques de sa fabrication. On y constate l’opposition classique entre science compréhensive (recherche « fondamentale ») et science d’expertise (recherche appliquée). Cette opposition, souvent interprétée en termes de rapport plus où moins direct à l’action, peut être analysée aussi comme deux façons de faire enquête qui correspondent à deux logiques bien différentes impliquant un aspect politique et cognitif. Cette opposition apparaît à travers les deux tendances qui semblent se dégager aux deux extrémités du processus de fabrication de l’enquête entre 1965 et 1985.

4L’enquête américaine de victimation, telle qu’elle est envisagée au départ, prend place dans un idéal de maîtrise par l’adaptation. Il s’agit de comprendre les changements sociaux en quantifiant des tendances sociales et donc d’adopter une visée futuriste. Dans un contexte où il s’agit de chercher les causes des problèmes de victimation et leurs remèdes dans la société et dans la loi, l’enquête doit permettre une posture suffisamment surplombante afin d’envisager un horizon lointain. L’enquête de victimation comme indicateur compréhensif institue cette réalité.
Le moment critique de 1977 permet de repérer un basculement progressif où l’on passe du besoin d’une enquête tournée vers la compréhension de la société vers une enquête dont la focale est réduite à l’analyse des facteurs de risque. On comprend cette évolution seulement si l’on tient compte du fait que le projet d’une action par la société se dérobe, car c’est la société elle-même, dans un contexte de progrès technique et social, qui implique de nouveaux modes de vie et l’abondance d’objets de consommation facilitant le crime. La science du crime n’a plus besoin d’une enquête de victimation comme instrument de prédictibilité ou de projection vectorielle pour agir sur la société mais d’une enquête tournée vers la précaution et la protection des victimes.
Après nous être intéressé aux scientifiques qui ont œuvré à la fabrication de l’enquête et à ce qu’ils disent de la statistique, nous verrons dans un second temps comment l’institutionnalisation de l’enquête de victimation est construite à la convergence des intérêts des chercheurs et du gouvernement dans un contexte où le progressisme socio-scientifique américain est à son apogée. Nous tenterons ensuite d’analyser comment et pourquoi l’enquête de victimation est remise en cause au milieu des années 1970. Nous terminerons en orientant brièvement la focale sur l’enquête britannique [3] qui, avec des caractéristiques différentes, devient une référence et ouvre des perspectives pour de nouveaux usages de l’enquête.

1 – Les légitimités politiques de deux scientifiques

5L’enquête de victimation n’émerge pas aux États-Unis, au milieu des années 1960, au hasard de l’espace scientifique et politique. Deux acteurs en particulier œuvrent à son développement : Albert Biderman et Albert Reiss, les deux scientifiques qui conduisent les premières expérimentations et qui deviennent rapidement les principaux porte-parole de l’instrument entre 1965 et 1985. Les deux promoteurs appartiennent à des univers intellectuels qui les prédisposent à développer cette forme d’enquête. Biderman fait carrière dans un laboratoire de recherche de statut privé, le Bureau of Social Science Research. Plus proche de l’université, Reiss est membre du Survey Research Center de l’université du Michigan entre 1965 et 1970 et intègre en 1971 la prestigieuse université de Yale comme professeur de sociologie. Nos deux promoteurs ont tous les deux su surfer sur la vague « quantitativiste » de la sociologie américaine des années 1950 en faisant leurs classes dans l’univers de la sociologie de Chicago et en suivant l’enseignement de William Fielding Ogburn [Abbott, 1999 ; Chapouli, 2001]. Nos deux promoteurs ne développent pas leurs recherches sur les mêmes objets, ce qui leur confère chacun une position différente mais complémentaire, dans le développement de l’enquête de victimation.

6Albert Reiss s’est fait remarquer depuis l’aboutissement de ses travaux de thèse de doctorat dans le domaine de la prévention de la délinquance juvénile en développant un instrument de prédictibilité du risque de récidive en libération conditionnelle. Quelques années après sa thèse, en 1952, il quitte l’univers de l’ « École de Chicago » à un moment où le département de sociologie est en proie à une véritable crise institutionnelle, à la suite, entre autres, du départ ou décès de ses principaux représentants [4]. Il oriente alors ses recherches vers une sociologie des institutions pénales, notamment la police [5], qu’il définit à la fois comme une sociologie de l’organisation sociale et de la déviance [6]. Reiss oscille entre deux postures intellectuelles : il passe d’une criminologie classique tournée vers l’explication des phénomènes de délinquance, à une posture plus descriptive qui s’inscrit totalement dans les travaux de sociologie de la déviance en pleine effervescence à cette époque [7]. On ne peut comprendre l’intérêt chez Reiss pour l’enquête de victimation sans tenir compte de cette double posture intellectuelle qui, on le verra plus loin, lui confère une légitimité à la fois scientifique et politique.

7Économiste de formation, Biderman devient sociologue en 1950 après un Ph. D. au département de sociologie de l’École de Chicago. C’est autant l’enseignement d’Ogburn concernant les outils statistiques, que ses analyses sur les changements sociaux qui semblent avoir retenu son attention. Chercheur touche à tout (éducation, armée, psychologie, méthodologie d’enquête, etc.), il se fait particulièrement reconnaître par ses travaux dans le domaine de la sociologie militaire – c’est à partir de la sociologie militaire que les statistiques s’établissent comme méthode faisant autorité [Bryant, 1989]. Biderman s’est familiarisé de longue date avec l’œuvre de Moris Janowitz, sociologue du changement social, dont les travaux, dans les années 1960 sur les rapports entre évolution des modes de fonctionnement de l’armée américaine et accélération du progrès technique, ont marqué les réflexions sur le rôle de l’organisation des armées dans les sociétés politiques contemporaines. Les liens entretenus avec Janowitz sont révélateurs du positionnement intellectuel de Biderman : il appartient à une communauté savante qui s’interroge explicitement sur les attitudes induites par l’État-providence. Par ailleurs, au milieu des années 1960, Biderman investit une partie de ses recherches dans l’étude des rapports de l’analyse sociologique aux politiques publiques, sorte de sociologie de la sociologie [8]. À l’instar de Reiss, il développe deux postures intellectuelles : parallèlement il produit un discours sociologique sur les phénomènes sociaux et observe l’organisation politique et sociale de la sociologie.

1.1 – L’enquête de victimation comme laboratoire de la politique de la statistique

8L’enquête de victimation apparaît à la croisée des postures intellectuelles et des projets scientifiques et politiques de ces deux chercheurs. Pour comprendre cette relative originalité, on doit restituer plus précisément les conditions de production de l’enquête.

9La fabrication de l’enquête de victimation s’inscrit comme un espace expérimental dans un projet de politique de science qui dépasse largement la recherche sur le crime et ses victimes. Il faut d’abord revenir sur le rôle crucial que joue Biderman en s’efforçant, au milieu des années 1960, avec une poignée d’autres scientifiques, de persuader le gouvernement de mettre à l’agenda une politique de statistiques sociales. Les contours d’un tel projet apparaissent au milieu des années 1960 à partir de l’ouvrage collectif Social Indicators qui correspond aux résultats d’une recherche commandée par la NASA en 1962. L’ouvrage reflète deux manières d’envisager les indicateurs sociaux. D’un côté, l’article d’un économiste, Bertram Gross, qui ouvre la problématique de l’adjonction d’un système de comptes sociaux à celui de la comptabilité nationale américaine [Spenlehauer, 1998]. De l’autre, l’article de Biderman qui construit sa réflexion en opposition à l’idée de Gross et en faveur de l’institution d’une science véritable qui permette un usage prudent de ces indicateurs sociaux. Il raconte cette divergence une dizaine d’années plus tard lors d’un colloque sur le thème des indicateurs sociaux :

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Ma contribution à l’ouvrage publié par Bauer ne s’attache guère à populariser les indicateurs sociaux comme slogan d’un mouvement social mais plutôt à participer au débat que l’on retrouve dans le volume préparé par la suite par Bert Gross dans le cadre de ce même projet. Dans son article, Gross postule une chose à laquelle j’étais totalement opposé. D’une certaine manière, il adopte le contrepied de ma thèse en acceptant comme modèle positif celui que j’avais clairement choisi comme modèle négatif, à savoir le système des comptes économiques nationaux. L’objectif [de Gross] était clair. L’objectif était [le maintien de] la domination de la perception du monde social par des systèmes statistiques monopolistiques hautement sélectifs, ceux qui avaient exactement les mêmes œillères, les mêmes idées préconçues, les mêmes partis pris, et la même attention sélective que les systèmes dominants d’organisation sociale. Dans le domaine du crime par exemple, ma thèse n’était pas de prétendre que les indicateurs du crime, tel que la police le conçoit, l’affronte et le combat, ne jouaient pas un rôle essentiel tant pour permettre à cette dernière de travailler efficacement que pour réaliser une analyse sociale du travail des policiers. L’objectif était bien plutôt de dire que nous avions également besoin d’indicateurs qui prendraient en compte différents points de vue en termes de valeurs, mis en œuvre selon différentes conceptions étiologiques, et visant à mesurer le crime indépendamment des transactions pénales [9].

11Biderman s’oppose à l’idée que l’amélioration des statistiques administratives conduirait à un large consensus, scientifiquement fondé, sur l’état de la société, sur les objectifs que l’on doit assigner à cette société et sur les moyens d’atteindre ces objectifs [10]. Biderman conçoit plutôt la production d’indicateurs dans une logique d’ouverture systématique à de nouvelles perceptions de la réalité. C’est moins un système de comptabilité sociale qui l’intéresse, qu’un dispositif régulier d’enquête innovante – l’enquête n’étant pas considérée comme un simple outil mais une institution en soi [11]. Biderman a formalisé concrètement sa manière d’envisager l’usage des statistiques dans un article publié en 1970 [12]. Biderman y développe un modèle de l’organisation et du rôle de la statistique sociale dans le gouvernement :

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Les propriétés normatives qui font que les statistiques sociales sont utiles en tant qu’indicateurs sociaux sont mises en lumière en tenant compte d’une part des différentes fonctions que joue la connaissance systématique des faits sociaux à différents niveaux de l’organisation sociale et d’autre part de l’implication des acteurs à ces différents niveaux dans des rôles qui découlent d’une telle connaissance. Les modes et degrés de généralisation qui rendent les savoirs utiles à l’action aux échelons les plus bas de l’organisation sociale (« information ») ou à l’administration aux niveaux bureaucratiques intermédiaires (« intelligence ») ne sont pas nécessairement applicables à l’élaboration d’une vaste politique sociale (« policy knowledge ») ou pour influer sur la conception générale du monde social que se fait le grand public (« enlightenment »). Ces deux dernières fonctions ne sont pas toujours bien prises en compte dans les données qui ont été recueillies et commandées par des systèmes essentiellement sensibles aux deux premières fonctions [13].

13Dans le cas de la fonction d’ « enlightenment », selon Biderman, les statistiques n’ont pas besoin d’être soumises à la manipulation – manipulation requise par la fonction d’ingénierie. Cette fonction d’ « enlightenment » pourrait avoir son utilité propre à travers des stratégies d’adaptation (distinctes des stratégies de modification issues des savoirs d’ingénierie) [14].

14La fonction de policy knowledge est analysée en détail par Albert Reiss lors de son adresse présidentielle, en 1969, à la Society for the Study of Social Problem, dont le titre résume clairement l’essentiel de son propos : Putting sociology into policy. Après avoir longuement discuté les rapports entre l’analyse sociologique et les valeurs dont elle est porteuse, Reiss en vient à plaider pour le développement de théories qui soient politiquement cadrées [15]. En d’autres mots, il nous dit : « La sociologie ne peut s’affranchir du politique, il est donc plus raisonnable d’assumer l’influence de ses jugements. » Il montre ainsi les « boulevards de recherches [16] » des statistiques sociales en fonction de la manière de poser les problèmes :

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Examinons la question des indicateurs de crimes. On peut sans peine trouver une multitude d’indicateurs qui permettent d’analyser les différents types de crime susceptibles d’avoir une importance pour la police. Si l’on doit faire des choix pour réduire le nombre de crimes, on sélectionnera probablement un ensemble d’indicateurs fort différents de ceux pris en compte pour limiter certaines de leurs conséquences, leur coût pour les victimes par exemple. Cela montre que la mise au point d’indicateurs sociaux dépend beaucoup de la formulation du problème en termes de politique sociale et des stratégies de progrès social auxquelles ils s’appliquent. Les propositions d’indemnisation des victimes d’un crime, par exemple, s’appuient sur des indicateurs sensiblement différents des propositions visant à réduire l’ampleur de la victimation. Aucun d’entre eux ne serait pour sa part très pertinent pour faire baisser la population des délinquants dans la société. Étant donné la relation relativement étroite entre politique sociale et indicateurs sociaux, on peut raisonnablement douter de notre capacité à mettre au point un nombre réduit d’indicateurs utiles à cette politique. Tout laisse à penser qu’on opterait au contraire pour un nombre anormalement élevé d’indicateurs, laissant ainsi la voie ouverte à la prise en compte d’autres politiques et stratégies de changement [17].

16En développant une sociologie de la statistique, sans en avoir l’intention, Reiss comme Biderman statuent en toute légitimité sur la signification à donner aux statistiques et sur l’emploi qu’il convient d’en faire [18]. On constate, en filigrane de leurs discours, cette idée qu’on ne peut pas distinguer la statistique du politique. En soulignant les contingences du contexte qui cadrent les orientations des politiques de la statistique administrative, ils proposent la fabrication systématique d’une multitude d’indicateurs qui permettent d’élargir le champ des possibles dans la manière de décrire la réalité – à la fois dans la perspective de créer les conditions d’un débat plus démocratique sur le crime (enlightenment) et pour accompagner les politiques publiques (policy knowledge). L’enquête de victimation comme alternative à la statistique administrative incarne cette manière d’envisager la politique des statistiques. C’est donc moins en invoquant l’épistémologie qu’en parlant politique que Biderman et Reiss se saisissent de l’enquête de victimation.

2 – La mise en forme de l’enquête et ses premiers usages

17Contrairement à ce que certains travaux de sociologie de la statistique ont montré pour d’autres indicateurs [Desrosières, 1997], la genèse de l’enquête de victimation n’est pas la genèse sociale d’un objet jugé social [19]. Autrement dit, on ne trouve pas dans l’histoire de la construction de la victime comme problème social, une compréhension des origines de l’enquête de victimation. Il faut comprendre l’origine de l’enquête de victimation à la convergence des intérêts scientifiques de Reiss et Berderman et du gouvernement. Nos deux scientifiques se saisissent de l’opportunité de développer l’enquête de victimation dans un contexte où le Gouvernement Johnson diffuse d’importants crédits de recherches afin de développer des savoirs innovants sur le crime. Les premiers résultats des enquêtes exploratoires sont, pour l’essentiel, valorisés à travers la notion de « chiffre noir », notion dont Biderman et Reiss tâcheront de définir la consistance politique. Si nos deux savants restent les principaux développeurs de ce savoir d’enquête, nous ne pouvons pas concevoir leur action dans une logique impérialiste, où en bons entrepreneurs ils s’efforceraient d’enrôler un maximum d’acteurs. On assiste plutôt à la coexistence de plusieurs processus de traduction dont les contradictions révèlent la fragilité de l’enquête de victimation.

2.1 – Une nouvelle division du travail scientifique et administratif : une période faste pour la recherche en science sociale

18Inscrite dans le sillage d’un projet ancien de développement de savoirs sur le crime, la President’s Commission on Law Enforcement and Administration of Justice, créée le 23 juillet 1965, marque une étape dans l’histoire du gouvernement du crime aux États-Unis [Simon, 2007]. Avec la mise sur pied de la commission, l’enjeu est de passer d’une logique technocratique, où les hauts fonctionnaires de la police et de la justice ont le monopole de l’expertise sur le crime, à une logique de politique de recherche. Instituant une nouvelle division du travail scientifique et politique, la commission est chargée de subventionner directement consultants et universitaires dans des programmes de recherche dans le domaine des sciences sociales. Dès lors que l’État inscrit sa responsabilité dans un horizon de bien-être pour tous largement déterminé par le futur, le pouvoir de gouverner le crime ne peut plus se contenter d’obéir aux intérêts des institutions qui en ont la responsabilité et à l’arbitraire des décisions individuelles. Ainsi faut-il augmenter les ressources de la recherche sur le crime et plus particulièrement celles sur les statistiques de la délinquance. L’objectif est d’améliorer la quantité et la qualité de l’information disponible : « Building better policies on better knowledge. » [Tonry, 1998]

19C’est dans ce cadre, où le progressisme socio-scientifique américain est à son apogée, que Biderman et Reiss bénéficient de crédits de la commission présidentielle pour expérimenter les premières enquêtes exploratoires. On peut dès lors s’interroger sur la manière dont ces premières recherches exploratoires participent à la définition du problème de la victime et, vice-versa, comment les acteurs de la sphère politique participent à la définition de l’objet à mesurer par l’enquête de victimation. Or, la commission reste assez floue sur l’intérêt qu’elle porte à la victime d’un côté et la mesure de la victimation de l’autre. Certes, le gouvernement Johnson exprime toute sa solidarité vis-à-vis des victimes de crime. De plus, depuis 1965, la plupart des États américains ont adopté une loi sur l’indemnisation des victimes (State Victim Compensation). Mais le rapport de la commission ne mentionne pas de lien direct entre les objectifs de l’enquête et la mise en œuvre de cette politique. En effet, bien qu’il souligne que « l’un des sujets les plus négligés des études sur le crime reste la victime », le rapport ne développe pas pour autant un questionnement plus précis sur cet objet [20]. De plus, le contenu du programme du Président Johnson reste très marqué par une croyance forte dans les programmes correctionnels alternatifs (la réhabilitation du délinquant) dont l’objectif est d’agir sur les causes de la délinquance [Walker, 1978].
Dans ce contexte, on comprend mieux les premiers usages de l’enquête où les victimes sont considérées comme des sources d’information sur les taux du crime. L’enquête est définie sur la base de la codification de la statistique administrative et non pas à partir de nouvelles catégories de victimes. L’enquête est ainsi mise dans une situation de concurrence avec les statistiques officielles. En 1967, les enquêtes exploratoires sont pour l’essentiel valorisées à travers leur capacité à produire une mesure fiable de l’incidence de la victimation, souvent illustrée par des graphes qui montrent le décalage impressionnant entre la statistique administrative et l’enquête de victimation [21] :

Graphe illustrant le décalage entre les statistiques officielles et l’enquête de victimation

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Graphe illustrant le décalage entre les statistiques officielles et l’enquête de victimation

2.2 – L’enquête de victimation comme compromis entre réalistes et institutionnalistes

20Cette focalisation sur la fiabilité de l’incidence de la victimation ne signifie pas pour autant que Biderman et Reiss envisagent naïvement le crime comme un objet mesurable selon une métrologie réaliste. Ils discutent cet écart de résultat, célébré par la notion de « chiffre noir » de la délinquance, dans un article marquant de l’histoire de la quantification du crime [22]. Retraçant l’histoire de la statistique criminelle depuis le xixe, Biderman et Reiss prennent place dans la controverse sur la signification des statistiques officielles. Les deux sociologues relèvent dans ce récit historique deux postures intellectuelles antagonistes : d’un côté, les réalistes qui considèrent qu’il manque quelque chose à l’enregistrement de la police ou de la justice et raisonnent en termes de « criminalité inconnue » et « criminalité apparente », tout en estimant pouvoir mesurer la « criminalité réelle », soit indirectement, soit en perfectionnant le système de recueil de données. De l’autre côté, les institutionnalistes qui estiment que la quantité mesurée n’est que le reflet de l’activité répressive de la police, et dénoncent les conditions sociales de production des statistiques par les services de police, en récusant toutes les formes de codage de la déviance. Dans l’article de Biderman et Reiss, les sociologues Kitsuse et Cicourel apparaissent comme les porte-parole de ce deuxième groupe. Ils citent A Note on the Use of Official Statistics qui, à cette époque, a pour effet d’atténuer radicalement la prétention à considérer les recueils statistiques comme des sources « prêtes à l’emploi ». C’est sur ce fil critique que Reiss et Biderman surfent pour justifier la mise sur pied d’une grande enquête nationale de victimation. En effet, l’argumentaire de leur article n’est pas seulement fondé sur l’enjeu de révéler la face cachée du crime (le fameux chiffre noir) grâce aux enquêtes de victimation, mais de proposer une nouvelle façon plus légitime de construire une totalité. Ils se positionnent dans la controverse comme dans un mouvement de balancier entre les institutionnalistes et les réalistes :

Le nœud de la controverse classique entre réalistes et institutionnalistes tourne plus autour des questions de validité que de fiabilité. L’enquête par sondage correspond à un pôle extrême dans le mouvement de l’approche « institutionnaliste » vers l’approche « réaliste », en ce qu’elle dépend entièrement d’un hypothétique témoignage verbal d’un acteur civil […]. Lorsqu’on analyse le chiffre noir de la délinquance, l’enquête présente généralement plusieurs autres avantages sur les statistiques officielles. Premièrement, elle offre une forme d’organisation qui transcende les pratiques locales en proposant des définitions opérationnelles homogènes. Deuxièmement, les enquêtes fixent les définitions du mot victime en toute indépendance et les comparent à celles des organismes responsables de la statistique officielle. Troisièmement, l’enquête permet d’identifier et comparer ce qu’y est étiqueté comme crime du point de vue institutionnel par rapport à ce qui est étiqueté comme crime de manière consensuelle [23].
En distinguant nettement les institutionnalistes des réalistes, Biderman et Reiss sont plus à même de proposer une forme de compromis. Si l’enquête de victimation implique des codifications (vol avec violence, violence interpersonnelle, etc.), elle vise néanmoins à interroger longuement les victimes et à tester la fiabilité des catégorisations. Par exemple, en étudiant les violences interpersonnelles, Biderman pose la question de savoir « à partir de quand la violence interpersonnelle devient-elle un crime ? [24] » Quelques années plus tard, au début des années 1980, Reiss publie un article dans le même sens en posant la question « Quel est le degré de gravité des crimes graves ? [25] » Seule l’enquête de victimation permet ce type d’analyse. De la sorte, elle rend acceptable les vastes totalisations en ceci qu’elle n’a pas ce biais de la statistique administrative, dénoncé par Kitsuse et Cicourel, de compter ensemble des choses qui sont en fait différentes.

2.3 – L’enquête de victimation : son institutionnalisation et la question de ses usages

21Reste la question du positionnement de l’enquête dans l’administration. Alors que Biderman est favorable à la création d’un bureau statistique complètement indépendant des agences opérationnelles et des appareils politiques [26], le gouvernement choisit de créer une sorte d’observatoire national, le National Criminal Justice Center, sous la tutelle du ministère de la Justice (Department of Justice). L’enquête passe donc de la recherche à l’administration. On peut dès lors s’interroger sur la manière dont les statisticiens du gouvernement et les gestionnaires se réapproprient l’enquête. Différents éléments d’archives permettent de reconstituer avec une relative précision la manière dont l’enquête est réceptionnée entre 1968 et 1972 par les statisticiens du Census Bureau qui ont la responsabilité de l’administration du questionnaire et les gestionnaires de la division statistique du LEAA [27].

22Durant l’année 1969, le personnel du Census Bureau et celui du LEAA travaillent en étroite collaboration [28], tout en sollicitant systématiquement Reiss et Biderman. À l’issue de ces rencontres, le National Criminal Justice Statistics Center propose un premier plan d’étude. Dans ce rapport, nous trouvons la première définition administrative de l’usage de l’enquête : « To measure the annual change in crime incidents for a limited set of major crimes and to characterize some of the socio-economic aspects of both the reported events and their victims [29]. » L’idée de concevoir l’enquête comme un indicateur social fait largement consensus [30].
En juillet 1972, la grande enquête permanente est lancée. Le gouvernement entend bien tirer les bénéfices de la somme considérable investie dans les recherches exploratoires et le lancement de la première grande enquête permanente. Les résultats sont attendus dans trois ans [31]. Les gestionnaires du LEAA demandent aux statisticiens d’indiquer comment les informations recueillies pourraient être mobilisées et intégrées à l’action du gouvernement. Antony Turner est contraint à cette occasion de produire un document sur les usages potentiels des données de l’enquête. Il publie un rapport, Victimation Surveying. Its History, Uses, and limitations, pour le compte de la National Advisory Commission on Criminal Justice Standards and Goals. Dans ce rapport prenant place dans un document qui deviendra la doctrine officielle des politiques sur la loi et l’ordre du gouvernement Nixon, le statisticien du Bureau of Census ouvre des pistes pour de nouvelles fonctions en décrivant des usages qui permettent d’intégrer directement le dispositif d’enquête au dispositif d’action (l’évaluation des programmes du contrôle du crime et de prévention, la planification et l’allocation des ressources, etc.) [32]. On relève ici l’embryon d’un décalage progressif entre la politique de la statistique telle qu’envisagée par Reiss et Biderman sous le gouvernement Johnson et la nécessité pour l’enquête de prendre place dans la nouvelle administration du gouvernement Nixon. Apparaissent ici les premières confusions et les contradictions autour des usages assignés à l’enquête. Celles-ci annoncent l’entrée dans une phase de remise en cause de l’utilité de l’instrument.

3 – La remise en question de l’enquête

23À partir de 1977, l’enquête fait l’objet de nombreuses critiques. Ce moment, souvent présenté comme un simple jalon par l’histoire officielle, permet d’identifier un point de départ où les critiques adressées à l’enquête sont révélatrices d’une nouvelle manière de l’envisager. C’est ici que s’opère le travail de traduction, que s’accomplit, plus ou moins facilement, l’adaptation de l’enquête aux nouveaux usages et objectifs qui lui sont assignés. En essayant d’identifier les raisons qui font que, à un moment précis, l’institutionnalisation d’une forme d’enquête est remise en cause, on se donne les moyens de comprendre comment, à la faveur d’une transformation de contexte, elle est l’objet de modifications qui reposent sur des « investissements de forme ». Ce deuxième temps de l’institutionnalisation de l’enquête de victimation nous incite à dépasser l’analyse du rapport entre le savant et le politique, pour comprendre comment, entre 1972 et 1985, d’autres acteurs (des administrateurs, des criminologues, etc.) se réapproprient l’enquête et en font circuler les résultats. Il faut se situer ici à un moment où le dispositif n’est pas encore stabilisé, où il se présente encore de manière confuse et contradictoire à tous ceux qui cherchent à le faire fonctionner.

3.1 – De nouveaux scientifiques se réapproprient l’enquête

24À partir du milieu des années 1970, d’autres scientifiques s’approprient l’enquête. Parmi eux Wesley Skogan, politiste et criminologue à l’université de Chicago, dont les travaux prennent place dans un dispositif de recherche qui écarte l’étude de la compréhension des phénomènes de délinquance, au bénéfice de la production de savoirs et d’instruments tournés directement vers des actions de lutte contre le crime [33]. Il s’agit d’une perspective de recherche marquée par le souci de production de savoirs directement opérationnels, sorte de recherche-action directement mobilisable par les administrations. Chercheur invité durant l’année 1975 au National Institute of Law Enforcement Assistance Administration, Skogan publie à cette occasion un article, où il tente de repérer les potentialités d’usage de l’enquête. Dans cet article, Skogan conclut sur les autres usages potentiels de l’enquête de victimation :

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Il évoque d’abord la possibilité de mesurer l’efficacité de l’activité policière afin de développer des modèles de mécontentement des usagers à l’égard des services de police. À cet usage tourné vers l’évaluation de la qualité des services, Skogan ajoute la possibilité d’évaluer le succès des programmes récemment mis en œuvre en matière de prévention du crime par l’urbanisme et la construction dans plusieurs États. Il note également tout l’intérêt des enquêtes locales dans l’évaluation des programmes locaux de lutte contre la criminalité [34] dont l’objectif est de réduire l’occurrence de certaine victimation en durcissant les cibles (violence, cambriolage, vol sur la voie publique) : « l’enquête permettrait à un évaluateur d’examiner les cibles criminelles d’une manière détaillée, en comparant les violences étrangères et non étrangères ou bien les crimes qui prennent place dans l’espace privé et public » [35].

26La conclusion programmatique de Skogan montre clairement comment d’autres scientifiques peuvent se réapproprier l’enquête à des fins complètement différentes. Les exemples cités renvoient à des programmes tournés vers la prévention des victimations – programmes dans lesquels le gouvernement conservateur Nixon met alors beaucoup d’espoir – qu’il propose d’évaluer à partir de l’enquête de victimation. Or, il s’agit ici d’une forme d’évaluation bien spécifique et différente de celle proposée par Biderman et Reiss. En effet, comme le soulignent Thoenig et Mény, il existe deux attitudes face à l’évaluation : « L’une est d’étudier s’il existe dans un système politique des organismes, des milieux, qui assument une activité d’évaluateur. […] des acteurs sociaux et politiques consacrent-ils des efforts à repérer et à expliquer le contenu des résultats générés par des politiques publiques ? L’autre attitude, tout à fait différente de la première, consiste pour l’analyste à bâtir des concepts et des méthodes qui permettent précisément de décrire, d’expliquer et de juger de façon scientifique les résultats de l’action gouvernementale. » [Mény et Thoenig, 1989]

27Des chercheurs tels que Biderman ou Reiss pourraient représenter une troisième attitude. Ils privilégient la première posture intellectuelle en considérant que l’évaluation constitue davantage un problème politique qu’une solution méthodologique. Mais ceci ne les empêche pas de s’investir dans le développement d’une méthode d’enquête, considérant que la contribution de l’enquête doit être d’éclairer ce problème à travers le prisme scientifique et politique d’une sociologie compréhensive. La deuxième attitude représentée par Skogan est plus proche du modèle de l’évaluation-expérimentation. Ici, évaluer un programme, c’est mesurer scientifiquement son efficacité en observant l’évolution des variables d’impact pour deux échantillons statistiquement comparables de bénéficiaires et non bénéficiaires [36].
Cette orientation instrumentale et gestionnaire suscite beaucoup d’attentes, notamment chez les praticiens du management public du LEAA qui appelleront dès 1977 à une reconversion de l’enquête vers un usage plus opérationnel.

3.2 – L’impossible suspension de l’enquête

28En 1974, les administrateurs du LEAA commanditent une évaluation de l’enquête à la National Academy of Sciences qui mobilise un groupe d’experts pluridisciplinaire. Ces derniers examinent tous les aspects de l’instrument, des objectifs qui lui sont assignés à la manière dont l’équipe qui en a la charge le dirige, en passant par la politique de publication des informations produites à partir du NCS. Dès la préface du rapport final, Surveying Crime, publié en 1976, les auteurs expriment la vulnérabilité d’une telle innovation dans un univers politique et institutionnel instable, aux intérêts multiples et contradictoires :

29

Les chercheurs en sciences sociales pourraient considérer ce rapport comme une illustration des difficultés à institutionnaliser une innovation, car l’enquête NCS est pratiquement aussi récente que l’art d’enquêter sur les victimes et en est encore au premier stade de son développement. La mise en œuvre de l’enquête NCS est également extrêmement complexe et onéreuse. Elle coûte en effet au public plus de dix millions de dollars par an, et ses auteurs et administrateurs sont pressés de démontrer que les connaissances qu’elle pourrait à terme générer permettraient de réduire le taux national de la criminalité avant la fin de l’année. Toutes les séries statistiques sont soumises à des pressions et se heurtent à un effet de plafonnement en termes de budget et de personnel, mais la NCS est particulièrement vulnérable en ce qu’elle se déroule au sein d’une agence officielle, le LEAA (Law enforcement assistance administration) qui n’a pas de charte permanente. Pour une série à grande échelle, dans laquelle les ménages échantillonnés sont inclus pour trois ans, la nécessité opérationnelle d’une planification et d’une budgétisation à long terme est manifeste. Tout aussi manifeste est le besoin politique de justifier le recueil de données en termes d’utilité à court terme [37].

30C’est depuis le LEAA, l’agence chargée de financer l’enquête, que le débat autour de l’usage de l’enquête de victimation se cristallise. Rapidement, les gestionnaires du LEAA se heurtent à la difficulté de concilier les intérêts scientifiques de l’enquête avec ceux des agences opérationnelles [38]. On constate que la question de la division du travail scientifique et politique ne se pose plus de la même manière pour les gestionnaires du LEAA. Il ne s’agit plus de penser les rapports entre science et politique, mais de retrouver la légitimité du pouvoir politique et administratif sur l’instrumentation scientifique de la statistique.

31On comprend mieux ce déplacement si l’on tient compte des évolutions plus générales dans le fonctionnement de l’administration américaine. Au milieu des années 1970, le New Federalism porté par le gouvernement Nixon implique de nouveaux modes de gestion et d’évaluation des politiques publiques mises en œuvre par les États [Kempf et Toinet 1980]. Cette évolution se traduit par une crise interne au LEAA. Née dans un contexte de relative aisance budgétaire sous un gouvernement à tendance progressiste (la Great Society de Johnson), l’agence traverse une période critique à partir du milieu des années 1970 avec l’arrivée au pouvoir du gouvernement conservateur Nixon qui enrôle le LEAA dans une politique de réduction des dépenses publiques et de réforme administrative. La mission principale du LEEA devient la vérification de l’utilité des dépenses publiques en matière de lutte contre le crime [39]. À cette occasion, une équipe spécialisée est mise en place au LEAA pour mesurer l’efficacité du système pénal. Or, celle-ci découvre rapidement les limites de l’enquête de victimation d’un point de vue opérationnel. La remise en cause est explicite dans une annonce, parue dans la presse, déclarant la suspension de l’enquête de victimation. [40].

32Quelques semaines plus tard, la suspension de l’enquête est débattue au Congrès. Le débat oppose d’un côté les scientifiques qui souhaitent maintenir l’enquête en préservant les objectifs qui lui sont assignés, et de l’autre James Gregg, le directeur administratif du LEAA et son personnel chargé d’évaluer au niveau local et à celui des États l’efficacité des programmes. [41] À l’issue de ce long débat, Gregg ne parvient pas à obtenir la suspension de l’enquête. Il est trop coûteux de l’abandonner et de renoncer à récolter les bénéfices de l’usage d’un indicateur social qui devient d’autant plus précieux que les données s’accumulent au fil des années. On voit comment, dès sa création, l’enquête de victimation crée des effets d’inertie qui rendent possible une résistance à des pressions extérieures. La suppression et la redéfinition de l’enquête de victimation met en cause l’ « acteur réseau » qui est constitué autour d’elle. Il faut souligner ici l’importance décisive des choix antérieurs (en faire un indicateur social) sur les nouvelles possibilités d’usage.

3.3 – Vers une nouvelle forme d’enquête : la référence à l’enquête britannique

33Entre 1979 et 1985, Biderman prend la direction d’un consortium composé d’experts en criminologie, de statisticiens et d’administrateurs chargés d’étudier la faisabilité de diverses transformations de l’enquête et de ses usages. Le consortium est divisé en deux groupes [42]. D’un côté, la vieille garde des indicateurs sociaux qui agissent pour améliorer la fiabilité des résultats de l’enquête tout en maintenant ses usages originels (un indicateur social compréhensif). De l’autre, un groupe, composé pour l’essentiel de criminologues, qui souhaitent substituer à l’enquête américaine une autre forme d’enquête, similaire à l’enquête britannique nouvellement créée :

34

On trouve dans cette communauté de spécialistes, des chercheurs comme Rob Sampson, Kenneth Land, Wesley Skogan, Marcus Felson, Michael Hindelang, Michael Gottfredson, James Garofalo, etc., un groupe qui élabore à cette époque des théories sur le crime dans la perspective de développer des savoirs sur la prévention des victimations. Ils sont porteurs de deux modèles théoriques développés dans le même temps, à la fin des années 1970 : l’un est basé sur le concept de style de vie (life style) et l’autre sur celui d’activité routinière (routine activity approach). Les deux théories, développées en grande partie à partir des données de l’enquête, ont pour point commun de mettre au centre de leur analyse le rôle de la victime dans l’explication du passage à l’acte du délinquant. Dès lors, ils souhaitent développer un instrument de mesure leur permettant d’analyser comment, sur le plan empirique, les variables style de vie et activité routinière peuvent expliquer la relation qui existe entre le fait d’être victime d’un acte criminel et le milieu urbain [43].

35Si l’enquête américaine a permis d’instituer ces théories sur la victimation à partir de mesures indirectes sur le style de vie ou l’activité routinière, elle ne permet pas d’apporter les données suffisantes pour renforcer les hypothèses des nouveaux utilisateurs de l’enquête. Et pour cause, la structure du questionnaire n’a pas été conçue pour informer avec précision les variables dont ils ont besoin. En revanche, l’enquête britannique (British Crime Survey), mise en place au début des années 1980 [Hough et Maxfield, 2007], devient rapidement une référence car elle a été développée dans la perspective de produire des mesures directes des opportunités criminelles afin d’étayer des théories sur le crime. Un criminologue du laboratoire de recherche du ministère de l’Intérieur britannique, qui participe au début des années 1980 à la conception d’une grande enquête permanente, raconte comment se présente la question du choix entre les deux modèles d’enquête :

36

À l’époque, il est apparu aux concepteurs de l’enquête BCS que 2 modèles pouvaient être adoptés. Le modèle des « indicateurs sociaux » avait été suivi par le NCVS. Son but était de créer un nouvel indicateur de délinquance qui servirait simplement d’indicateur social. Le modèle alternatif était de concevoir l’enquête comme un instrument de recherche en criminologie, avec suffisamment de souplesse pour traiter tout un éventail de questions de recherches qui seraient aussi pertinentes pour les politiques publiques. Nous avons décidé d’adopter ce modèle, dont le trait caractéristique était une structure modulaire [44].

37Les chercheurs britanniques conçoivent une enquête dont la structure du questionnaire est suffisamment flexible. Et c’est son système de questions modulaires qui lui confère cette flexibilité. Au début des années 1980, l’enquête britannique couvre six thématiques qui sont autant de modules : victimation ; style de vie ; peur et perception du crime ; pratiques de prévention du crime ; contact avec la police ; délinquance auto-reportée. Les modules sont distribués dans un questionnaire divisé en trois parties : un questionnaire principal ; des formulaires victimes ; un questionnaire de suivi tourné sur les thématiques qui peut être modifié à chaque vague. Comme ce type de questions demande moins de précision que celles visant à estimer le volume de la délinquance, il n’est pas nécessaire d’interroger la totalité de l’échantillon sur ces thèmes. Afin d’abréger l’entretien, la personne interrogée ne répond qu’à l’un de ces six modules. Cette flexibilité et ce faible investissement dans la recherche d’une incidence de la victimation fiable sont les deux grandes caractéristiques divergentes de sa grande sœur américaine, plus rigide et plus stable [Cantor et Lynch, 2007].

38L’enquête britannique devient une référence dans les débats américains opposant les deux groupes qui composent le consortium chargé de la refonte (redesign) de l’enquête. Le deuxième groupe conçoit l’enquête non pas comme une institution mais un instrument chargé d’apporter des éléments d’explication et d’analyse des facteurs de la victimation. Il cherche à étudier les variations des victimations en fonction de facteurs modifiables, pour déterminer sur quel facteur il faut jouer pour éradiquer le crime. L’objectif n’est pas tant de comprendre la croissance ou la baisse de la délinquance que de permettre l’adoption par le gouvernement de politiques de prévention efficaces. Leur approche vise à prévoir pour prévenir, donc agir, mais agir sans tout comprendre de la délinquance [45]. C’est ce qui permet à ces nouveaux usagers de l’enquête d’adopter une posture intellectuelle qui associe étroitement recherche et prévention. En donnant la primauté à la prévention sur la compréhension, ils privilégient une conception multifactorielle du lien causal centré sur la victime. Autrement dit, ils s’appuient sur une certaine façon de faire science dans laquelle l’analyse compréhensive est abandonnée au profit de celle de facteur de risque.
La refonte de l’enquête américaine, entamée concrètement en 1985, s’opère dans la recherche d’un compromis entre ces deux usages et de l’adaptation de l’outil à d’autres catégories de victimation [Rand, 2007]. Pendant près de dix ans, les chercheurs bénéficieront de nombreux crédits afin de formaliser un nouveau questionnaire et relever le défi méthodologique d’améliorer la fiabilité des résultats. Mais on rentre ici dans une deuxième phase importante de l’histoire de l’enquête qui mérite une autre investigation.
Cette analyse de l’évolution de l’enquête de victimation, a été réalisée dans une perspective diachronique, à partir des acteurs qui s’en saisissent, en déploient des usages, la font évoluer et composent à partir d’elle des communautés de spécialistes. Elle aura permis, espérons-le, de donner à voir comment le politique se loge dans ce savoir d’enquête, et comment les acteurs eux-mêmes parviennent à tenir compte de cette dimension lorsqu’il s’agit de justifier l’usage de la quantification.

Notes

  • [1]
    Une version précédente de ce texte (plus longue) a fait l’objet d’une présentation lors du 10e Congrès de l’Association française de science politique, dont nous remercions les organisateurs, en septembre 2009. Cet article a bénéficié des conseils de Renée Zauberman et des lectures attentives de Philippe Robert et Julien Langumier, que nous tenons à remercier ici. Nous adressons un remerciement particulier à Fabrice Bardet pour son amicale exigence tout au long de ce travail de recherche.
  • [2]
    Il existe toute une tradition de travaux sociologiques qui prennent pour objet d’étude la mesure de la criminalité dans une logique réflexive. Pour se limiter au domaine français, on peut consulter [Robert, 1977 ; Robert et al., 1994]. Sur l’enquête de victimation plus précisément, on peut consulter [Robert et al., 2004 ; Didier et al., 2009 ; Zauberman et al., 2009]. Pour une histoire des défis méthodologiques autour de la construction de l’enquête américaine, on peut lire [Grémy, 2006]. On peut se référer également à l’ouvrage collectif sur la comparaison entre enquêtes et statistiques administratives en Europe [Robert, 2009]. En ce qui concerne la comparaison entre enquêtes et statistique de police aux Etats-Unis, on peut consulter [Lynch et Addington, 2007].
  • [3]
    Nous aurions également pu nous référer à l’enquête néerlandaise qui est d’une ancienneté comparable. Sur ce point on peut consulter ce qu’en dit son créateur Jan Van Dijk dans son rapport de synthèse in Robert Ph., 2009, Comparing Crime Date in Europe: Official Crime Statistics and Survey Based Data, Brussels, VUBPress.
  • [4]
    On retrouve des éléments d’analyse de ce départ de Reiss dans [Topalov, 2004].
  • [5]
    Reiss A., 1966, « The role of the police in a changing society », Working papers of the center for research on social organization, department of sociology, University of Michigan.
  • [6]
    Bordu D.J. and Reiss A.J., 1967, « Sociology in Law enforcement », Working Paper of the Center for Research on Social Organisation, Department of sociology, University of Michigan.
  • [7]
    Dans le domaine de la sociologie de la déviance, Reiss est l’auteur d’un article célèbre, paru dans la revue Social Problems, sur la prostitution homosexuelle : « The social integration of Peers and Queers ». Dans cet article, il remercie John Kitsuse et Howard Becker.
  • [8]
    Crawford E.H. and Biderman A., 1969, Social Scientists and International Affairs. A case for a Sociology of Social Science, New York, John Wiley and Sons.
  • [9]
    Biderman A., 1979, « Aversions to social concepts », Proceedings of the Social Statistics Section, American Statistical Association. p. 329.
  • [10]
    Cette divergence est un point souvent oublié de l’histoire des indicateurs sociaux plus souvent associée plus souvent décrite à travers le projet de la mise sur pied d’une comptabilité sociale. Pour information, notons également que, au milieu des années 1960, Biderman rejoint le débat sur les indicateurs sociaux dans une perspective critique radicale contre le Program, Planning, and Budgeting System (PPBS), un instrument mis en place pour la réalisation efficace des programmes nationaux, s’appliquant à tous les domaines de politiques publiques [Spenlehauer, 1998].
  • [11]
    Biderman A., 1976, “The Survey Method as an Institution and the Survey Institution as a Method”, in Sinaiko H.W., Broedling L.A. (eds.), Perspectives on Attitude Assessment: Surveys and their Alternatives, Champaign, Pendleton Publ., p. 39-53.
  • [12]
    Biderman A., 1970, « Information, Intelligence, Enlightened Public Policy: Functions and Organization of Societal Feedback », Policy Sciences, n° 1, 217-230.
  • [13]
    Biderman,A., 1969, art. cité.
  • [14]
    Biderman définit les stratégies d’adaptation de la manière suivante, difficilement traduisible en français: “By an adapational strategy we mean acting in such way as to accommodate to, or exploit, an environmental change from an output of some other system by behavioral change that is not directed toward altering the source of this output.” in Crawford E., et Biderman A. art. cité, p. 240.
  • [15]
    La formule de Reiss en anglais est plus directe: policy science require theory that is policy oriented.
  • [16]
    Reiss emploie la formule: avenues of exploration.
  • [17]
    Reiss A., 1970, « Putting Sociology into Policy », Social Problems, vol. 17, n° 3, p. 289-294.
  • [18]
    Nous sommes contraints d’ignorer dans le cadre de cet article une tension qui oppose Reiss et Biderman sur l’usage de la statistique dès 1970. L’idée d’injecter la sociologie dans les politiques publiques (putting sociology into policy) chez Reiss peut s’opposer, par certains aspects, à l’idée d’enlightenment chez Biderman.
  • [19]
    Dans une perspective de sociologie des conventions, nous faisions, à l’origine de cette recherche, l’hypothèse d’une conception welfariste de la victimation pour expliquer la genèse de l’enquête. Mais au fil de la recherche, l’hypothèse s’est avérée sinon insatisfaisante, du moins trop tranchée. Néanmoins, pour être plus précis, il faudrait montrer les difficultés rencontrées par Biderman pour parvenir à imposer une conception welfariste de la victimation quelques années après les premières enquêtes exploratoires.
  • [20]
    President’s commission on Law Enforcement and administration of Justice, 1967, The Challenge of Crime in a free Society, Washington: U.S. Government Printing Office.
  • [21]
    Biderman A., 1967, « Surveys of Population Samples for estimating Crime Incidence », Annals of the American Academy of Political and Social Science, 374, p. 16-33. Dans le même sens, Reiss développe un projet de recherche méthodologique in Reiss A., Jr., 1967, Overview of Problems and Suggestions for Research on Crime and Law Enforcement in Metropolitan Areas, NCJ 122, Washington D.C., United States Department of Justice, Law Enforcement Assistance Administration.
  • [22]
    Biderman A. and Reiss A., 1967, « On exploring the ‘dark figure’ of crime », Annals of the American Academy of Political and Social Science, 374, p. 1-15.
  • [23]
    Biderman A., Reiss A., 1967, art. cité.
  • [24]
    Dès 1970, Biderman se penche sur l’étude des violences interpersonnelles. On trouve une valorisation de son travail plus tardivement, en 1973 : Biderman A., 1973, « When Does Interpersonal Violence Become Crime ? Theory and Methods for Statistical Surveys », communication à un colloque sur Access to law, Research committee on the sociology of law, International Sociological Association, Girton College, Cambridge, England, September 25-28.
  • [25]
    Reiss A., 1982, « How Serious is Serious crime? », Vanderbilt Law Review, 35, p. 541-585.
  • [26]
    Biderman A., 1968, « Proposed National Criminal Statistics Center », Hearings. Testimony before the Subcommittee on Census and Statistics, Committee on Post Office and Civil service, U.S. House of Representatives, 90th Congress, Second Session, March 5-23, p. 182-227.
  • [27]
    C’est le Law Enforcement Assistance Administration (LEAA) qui fournit les crédits nécessaires à la recherche et l’institutionnalisation de l’enquête. Le LEAA est l’agence chargée de financer les programmes expérimentaux au niveau des villes et des États et d’encourager la recherche et l’innovation.
  • [28]
    Cinq rapports nous ont permis de comprendre la nature des débats durant les quatre années qui précédent la mise sur pied de la grande enquête nationale : U.S. Department of Commerce, 1968, Report on national needs for criminal justice statistics, Washington, D.C.,U.S. Government Printing Office ; Turner, A.G., 1970, National Victimization Survey, Study Design Proposal, (document interne LEAA) ; Dodge R.W. et Turner A., 1971, « Methodological foundations for establishing a national survey of victimization », repris dans Lehen R.G. et Skogan W.G., 1981, The national crime survey, Working papers, vol.I: Current and historical perspectives, Washington, DC: U.S. Department of Justice ; Turner A.G., 1972, « LEAA’S National Crime Panel », LEAA-Project SEARCH, International Symposium on Criminal Justice, Information and Statistics Systems. (Document interne LEAA) ; Turner A.G., 1972, « Victimization Surveying. Its History, Uses, and Limitations », chapitre du Report of the National Advisory Commission on Criminal Justice Standards and Goals.
  • [29]
    Turner A.G., 1970, op. cit.
  • [30]
    Dodge R.W. et Turner A.,art. cité.
  • [31]
    Le choix a été d’adopter une enquête permanente sur panel. Il s’agit d’interroger les mêmes personnes tous les six mois afin de suivre l’évolution de la délinquance. Chaque personne est interrogée 7 fois.
  • [32]
    Turner A., 1972, op. cit.
  • [33]
    En ce sens, il suit le célèbre criminologue James Q. Wilson qui explicite sa posture de recherche dans Wilson J.Q., 1974, « Crime and the Criminologist », Commentary, July, p. 47-53, cité dans Laub J., 2003, « The Life-Course of Criminology in the United States », Presidential Address, 55th Annual Meeting of the American Society of Criminology.
  • [34]
    Il s’agit à cette époque du Law Enforcement Assistance Administration’s High Impact Cities Program.
  • [35]
    Skogan W.G., 1976, « Victimization Surveys and Criminal Justice Planning », University of Cincinnati Law Review, 45, 2, p. 167-206.
  • [36]
    Pour une synthèse européenne récente sur l’évaluation des politiques de sécurité, on peut consulter [Robert, 2009].
  • [37]
    Penick B.K.E., and Owens M., 1976, Surveying crime. Panel for the Evaluation of Crime Surveys. Committee on National Statistics Assembly of Mathematical and Physical Sciences. National Research Council, Washington, D.C., National Academy Press.
  • [38]
    Renshaw B. H., 1978, « A Managerial perspective on the redesign of the national Crime survey », in Lehnen R.G. and Skogan W.G., 1981, The National Crime Survey. Working Papers, Volume I: Current and Historical Perspectives, U.S. Department of Justice, Bureau of Justice Statistics.
  • [39]
    Sur ce point, on se réfère aux témoignages suivants : Diegelman R.F., 1982, « Federal Financial Assistance for Crime Control: Lessons of the Leaa Experience », The Journal of Criminal Law and Criminology, 73, 3, p. 994-1011; Hagerty J.E., 1978, « Criminal Justice: Toward a New Federal Role », Public Administration Review, vol. 38, n° 2, p. 173-176.
  • [40]
    C’est James Gregg, le directeur administratif du LEAA, qui fait cette déclaration dans la presse qui annonce : « After collecting and analyzing crime victim data for nearly five years at a cost of $53 million, the program’s manager yesterday cited budget shortages and questions about the survey’s validity and reliability as reasons for the suspension », in « Justice Division Suspends Survey on National Crime », 22 septembre 1977, Washington Post.
  • [41]
    Hearings before the subcommittee on crime of the Judiciary house of representatives, 95th congress, first session on Suspension of The National Crime Survey, October 13, 1977.
  • [42]
    Entretien avec le criminologue James Lynch, septembre 2007, John Jay College of Criminal Justice.
  • [43]
    Les deux textes fondateurs de ces théories sont : Cohen L E. and Felson M., 1979. « Social change and crime rate trends: A routine activity approach », American Sociological Review, 44, p. 588-608 ; et Hindelang, M. J., Gottfredson M.R., and Garofalo J., 1978, Victims of personal Crime: an Empirical Foundation for a Theory of Personal Victimization, Cambridge, Mass., Ballinger.
  • [44]
    Hough M., 2008, « Recherches sur la victimation et l’insécurité en Grande-Bretagne », in Zauberman R., Victimation et l’insécurité en Europe. Paris, L’Harmattan.
  • [45]
    Pour l’analyse d’un glissement similaire dans le domaine de la santé publique, on peut consulter [Peretti-Watel, 2004].
Français

Résumé

Dans cet article, nous opérons un retour sur les conditions d’invention et d’institutionnalisation de l’enquête de victimation américaine en revenant sur le travail accompli par les acteurs de cette innovation et le contexte politique et social dans lequel s’inscrivait leur entreprise. Cette recherche permet de repérer une évolution des usages de l’enquête qui renvoie à l’opposition classique entre recherche compréhensive et recherche appliquée. Notre objectif est d’analyser les formes de l’enquête de victimisation américaine, dans une perspective diachronique à partir des acteurs qui s’en saisissent et en définissent les usages. L’enquête américaine de victimation, telle qu’elle est envisagée au départ, prend place dans un idéal de maîtrise par l’adaptation. Il s’agit de comprendre les changements sociaux en quantifiant des tendances sociales et donc d’adopter une visée futuriste. Le moment critique de 1977 permet de repérer un basculement progressif où l’on passe du besoin d’une enquête tournée vers la compréhension des phénomènes sociaux vers une enquête dont la focale est réduite à l’analyse des facteurs de risque. Au final, l’analyse donne à voir comment le politique se loge dans ce savoir d’enquête.

Mots-clés

  • enquête de victimation
  • sociologie de la statistique
  • sociologie des savoirs
  • politique publique
  • criminologie
  • constructivisme
  • réalisme
  • science dans le gouvernement

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Bilel Benbouzid
RIVES, ENTPE - Université Lumière Lyon 2
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Mis en ligne sur Cairn.info le 19/05/2010
https://doi.org/10.3917/rfse.005.0063
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