CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 – Introduction

1La statistique de l’emploi et du chômage fait partie des grandeurs macroéconomiques les plus citées et les plus commentées. Le taux de chômage, en particulier, est l’indicateur du marché du travail privilégié tant par les « professionnels » de la science économique que par les médias. Il est devenu, au fil du temps, le symbole paradigmatique du mal-être d’une économie. La pléthore d’analyses, d’interprétations et de commentaires dont il a déjà été l’objet pourrait faire craindre que le présent article ne suscite qu’un intérêt mitigé. Et pourtant, si la définition théorique du chômage est relativement bien établie et acceptée, sa mesure continue de faire l’objet d’une intense controverse car démarquer empiriquement les actifs occupés des chômeurs et des inactifs s’avère, dans la pratique, un exercice éminemment difficile.

2La population active constitue une des catégories statistiques les plus complexes et l’évaluation du nombre d’actifs pose de nombreux problèmes conceptuels et empiriques, qu’il s’agisse par exemple de cerner avec précision le type d’activité que doit exercer une personne pour qu’elle soit considérée en emploi, ou de fixer les frontières entre le chômage et l’inactivité. Cette évaluation constitue néanmoins un enjeu stratégique. Elle doit permettre d’estimer l’offre de travail, c’est-à-dire le nombre de personnes susceptibles de contribuer à la production intérieure de biens et services, et d’apprécier le poids relatif de ce groupe de personnes par rapport à celui des inactifs : enfants, étudiants, retraités, hommes et femmes au foyer, personnes en incapacité de travailler, etc.

3Les principes qui servent à circonscrire la population active sont rattachés à la notion d’emploi. La résolution de 1982 de la conférence internationale des statisticiens du travail définit en 15 points les règles qui permettent de classer la population en âge de travailler entre les différents « états » possibles vis-à-vis du marché du travail [ILO, 1983]. Selon ces règles, une personne pourvue d’un emploi est une personne âgée de 15 ans ou plus qui a travaillé ne serait-ce qu’une heure au cours d’une semaine de référence. Est au chômage tout individu sans emploi qui désire travailler au taux de salaire en vigueur et qui recherche activement un emploi. Dans ce cadre, le chômage est considéré comme une situation extrême de totale privation d’emploi.

4Or, contrairement à la plupart des pays industrialisés caractérisés par un nombre élevé de demandeurs d’emploi, le chômage mesuré est habituellement faible dans les économies en voie de développement. En revanche, des situations apparemment moins dramatiques de privation partielle d’emploi sont courantes. Dans ce contexte, la statistique du chômage ne donne qu’une vue partielle de la sous-utilisation de la main-d’œuvre et le statut dans l’emploi ne peut plus être conceptualisé comme une dichotomie emploi/non-emploi mais comme un continuum allant de l’emploi adéquat au sous-emploi et au chômage. Il faut donc introduire dans la statistique de l’emploi le concept fondamental de sous-emploi.

5Une difficulté supplémentaire que l’on rencontre lorsqu’on s’intéresse au milieu rural des économies en voie de développement, est d’appréhender des formes d’emploi peu ou pas articulées au marché avec les outils de la statistique élaborés dans le cadre des lois du marché. Dans ce contexte particulier où la plupart des travailleurs dépendent de la petite agriculture familiale pour leur subsistance, les critères habituels qui permettent de déterminer qui est ou qui n’est pas employé de manière adéquate sont d’un usage délicat. En effet, lorsqu’il existe un marché du travail où emploi et revenus sont le résultat d’une relation privée entre employeur et employés, où la journée de travail est fixe et définie d’avance, et les tâches délimitées selon le poste ou la fonction occupée par l’employé, alors la définition théorique de la population active, du chômage et du sous-emploi est relativement simple. Mais dans les conditions qui prévalent habituellement en milieu rural, il n’existe pas de marché du travail, au moins pendant certaines périodes de l’année. Il est alors nécessaire de reconsidérer les principes qui permettent de classer les individus ainsi que les outils permettant d’appréhender la diversité des situations d’emploi.
Cet article se propose de résumer certains des enjeux théoriques et pratiques de la statistique de l’emploi et de les illustrer à partir d’un travail de terrain mené en milieu rural péruvien [1]. On montrera que faute d’avoir conduit une réflexion épistémologique sur les catégories d’analyse utilisées, les deux principaux instituts de la statistique péruviens (Instituto Nacional de Estadistica y Informacion, Instituto Cuanto) produisent des données sur l’emploi en milieu rural incomplètes et peu fiables. Le strict respect des normes conceptuelles et théoriques établies sous les auspices de l’OIT, en passant sous silence les particularités des transactions locales de travail, a conduit à une regrettable sous-estimation de l’importance et surtout de la diversité de l’emploi des ruraux, qui est souvent aux marges de l’économie moderne. La compréhension des transformations du monde rural s’en est trouvée considérablement altérée et les politiques destinées à l’espace rural, dominées par la volonté de promouvoir l’agriculture, ont longtemps négligé le moyen que représentait l’interaction des activités de sauver ou revitaliser les campagnes.

2 – Déterminer le bon nombre d’actifs

2.1 – À quel âge peut-on travailler ? À quel âge travaille-t-on ?

6La délimitation de la population en âge de travailler, qui se rapporte aux personnes appartenant à une certaine tranche d’âge, relève à la fois de données biologiques et de choix politiques et sociétaux. La borne inférieure (le plus souvent 15 ans) est habituellement fixée en fonction de trois critères : l’âge en dessous duquel les individus sont considérés trop jeunes pour être physiquement capables de travailler ; l’âge de fin d’obligation d’instruction ; l’âge légal d’embauche imposé par la législation du travail. Il va de soi que l’établissement de cette borne ne fait sens que dans les pays où la scolarité obligatoire et la législation du travail sont respectées. Or, c’est rarement le cas dans les zones rurales d’un pays comme le Pérou. De la même façon, la spécification d’un âge maximum (la plupart du temps 65 ans) n’a guère de sens car même lorsqu’il existe un système de retraite on trouve un grand nombre de travailleurs dans les tranches d’âge élevées.

Tableau 1

Taux d’activité des enfants (6-14 ans) et des personnes âgées de plus de 65 ans

Tableau 1
Source : CUANTO, 2000, Enquête nationale sur la mesure des niveaux de vie. IEP/IRD, 2001-2002, Enquête sur la mesure de l’emploi rural.

Taux d’activité des enfants (6-14 ans) et des personnes âgées de plus de 65 ans

7Afin d’illustrer notre propos, on a calculé, à partir de deux sources qui recensent les activités des individus « trop » jeunes ou « trop » âgés (les enquêtes de l’Institut Cuanto et nos propres données d’enquête), le taux d’activité des enfants, défini comme le rapport entre la population active et la population totale de la tranche d’âge des 6-14 ans [2] ainsi que celui des personnes de plus de 65 ans (âge officiel de la retraite au Pérou). Les résultats portés au tableau 2 font apparaître l’ampleur du travail des enfants et des personnes de plus de 65 ans, en particulier en milieu rural. Le taux d’activité des 6-14 ans est de 47,2 % en moyenne dans l’enquête Cuanto et de 59,8 % dans notre propre enquête ; chez les plus de 65 ans, ses chiffres sont respectivement de 67,2 % et 79,1 %. Les enfants résidant dans les zones rurales travaillent plus souvent que les enfants résidant dans les zones urbaines : 49,2 % de ceux qui habitent à la campagne ont un emploi contre 37,3 % de ceux qui habitent en ville. Ces différences géographiques sont nettement moins marquées pour les personnes de plus de 65 ans.

Tableau 2

Distribution du type d’activité exercée par les enfants et les personnes de plus de 65 ans

Tableau 2
Source : CUANTO, 2000, Enquête nationale sur la mesure des niveaux de vie IEP/IRD, 2001-2002, Enquête sur la mesure de l’emploi rural.

Distribution du type d’activité exercée par les enfants et les personnes de plus de 65 ans

8Dans les campagnes, près de 90 % des enfants qui travaillent se consacrent aux travaux des champs et/ou aux soins portés aux animaux. La proportion des enfants qui occupent des postes rémunérés est beaucoup plus faible (autour de 10-12 %) que celle des enfants des villes (32 %). Ces derniers sont aussi plus souvent salariés (17 % d’entre eux contre 7 % en zone rurale). Les seniors ne se répartissent pas dans l’emploi de la même manière que leurs cadets. Leur poids est moins élevé dans l’exploitation agropastorale et ils sont plus nombreux à occuper des emplois salariés.

9Il faut rester prudent sur l’interprétation de ces chiffres. Le travail des personnes âgées, tout comme celui des enfants, recouvre des situations très diverses. Certes, les entreprises qui recrutent des enfants sont habituellement à la recherche d’une main-d’œuvre docile et bon marché. Assurément, les groupes les plus pauvres sont les plus vulnérables aux pratiques peu scrupuleuses de certains employeurs car ils doivent utiliser toute la main-d’œuvre disponible dans le foyer pour pouvoir subsister. Ils sont donc plus tributaires que les autres du travail des enfants. Mais il n’est pas certain que la mise au travail des enfants au sein de l’unité productive familiale corresponde systématiquement à une nécessité économique immédiate, ou à une des formes d’exploitation les plus choquantes. La participation aux activités productives peut aussi s’interpréter comme une période de formation et/ou d’insertion sociale dans la communauté. À l’appui de cet argument on peut avancer que 91,3 % des enfants actifs en milieu rural vont à l’école. La poursuite de la scolarité n’est donc pas totalement incompatible avec les activités productives. Les enfants travaillent en fait très peu de jours par an et le type de travaux auxquels ils sont affectés dans le cadre familial tient compte des rythmes scolaires. Ils accomplissent leurs tâches généralement après l’école ou pendant les vacances scolaires. De même, le travail des personnes âgées ne présente pas que des inconvénients. Il permet d’éviter une brutale réduction du revenu, de tisser et d’entretenir des contacts sociaux. Il peut donc s’inscrire dans le cadre de l’entretien de réseaux de réciprocité et répondre à des motivations d’ordre relationnel.
Au total, les populations rurales, quel que soit leur âge, travaillent pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille, cumulant ainsi des statuts a priori incompatibles pour la statistique de l’emploi (« élèves-travailleurs », « retraités-travailleurs »). Ces situations, qui indiquent l’existence d’individus aux marges de la population active, complexifient singulièrement le classement. Dans quelle catégorie ranger ces personnes ? Elles n’exercent que marginalement une activité professionnelle mais sont plus proches du marché du travail que les inactifs « purs », car leur participation aux activités productives signale une démarche significative d’insertion dans l’emploi. Elles constituent, le plus souvent, des ressources en main-d’œuvre précieuses, notamment au moment des temps forts du calendrier agricole. Leur contribution, même modeste et ponctuelle, à la production intérieure de biens ou de services, plaide pour leur intégration dans la population active. En conséquence, les enquêtes emploi qui n’enregistrent pas l’activité des membres du foyer dont l’âge est inférieur à 14 ans, ce qui est le cas de celles menées par l’INEI péruvien, sous-estiment considérablement le nombre d’actifs.

2.2 – Qu’est-ce que travailler : une activité économique et/ou une activité sociale ?

10Être actif, c’est être économiquement actif. En conséquence, le concept et les limites de l’activité économique doivent être clairement définis de façon à ce que le traitement statistique des nombreuses situations rencontrées dans la pratique soit correctement effectué. Démarquer les activités économiques des activités non économiques est pour l’essentiel une affaire de convention. La référence en la matière est le Système des comptes nationaux (SCN) établi par les Nations unies en 1968, puis très légèrement révisé en 1993 [Hussmanns et al., 1990 ; ILO, 1990]. Le principal critère qui permet de distinguer l’activité économique des autres activités est celui de la tierce personne : l’activité économique produit des biens et services qui pourraient être produits par une autre unité économique. En conséquence, l’activité économique englobe toute la production de biens et services marchands et certains types de production non marchande (comme par exemple la transformation des produits primaires pour l’autoconsommation). Sont exclus en revanche les services produits par le ménage comme le travail domestique non rémunéré et les services volontaires à la communauté.

11Sur ce dernier point, le débat reste particulièrement vif [Benaria, 1999]. À l’heure actuelle, la valeur sociale et économique des activités domestiques et bénévoles n’est ni reconnue ni quantifiée dans les comptes nationaux. Ce travail dit invisible, bien que considéré comme un objet légitime d’intérêt et de recherche scientifiques, reste pensé par les économistes et les sociologues comme relevant du « hors travail » [Juster, et Stafford, 1991]. Or, si l’on retient le principal critère qui permet de distinguer l’activité économique des autres activités (la tierce personne), la plupart des activités domestiques peuvent être traitées comme des activités productives.

12Le fait que les activités domestiques et bénévoles soient considérées dans les normes internationales hors du champ de l’activité économique n’implique pas qu’elles doivent être ignorées. Depuis longtemps, les économistes ont soutenu que l’exclusion de ces activités était préjudiciable à de nombreux champs de l’analyse économique : Kuznets (1944) et Clark (1958) ont montré que le revenu national en était considérablement sous-estimé ; Nordhaus et Tobin (1972) suggèrent que leur omission donne une fausse image de l’utilisation des ressources en travail, de leur contribution au bien-être de la communauté et au développement de l’économie. Lorsque le temps consacré à ces activités est mesuré, ce qui reste rare en raison des difficultés méthodologiques et du coût de la collecte, on constate qu’il représente la moitié du temps de travail total des actifs [Goldschmidt-Clermont, 1990 ; Goldschmidt-Clermont et Pagnossin-Aligisakis, 1999 ; Chadeau, 1992].

13Si le travail domestique a fait l’objet de nombreux travaux, le bénévolat reste un comportement mal connu et par conséquent mal mesuré. L’investigation empirique reste embarrassée par la grande hétérogénéité des activités concernées et du cadre (institutionnel ou non) dans lequel elles sont exercées. Si, par bénévolat, on entend généralement un don de temps réalisé en dehors de la sphère familiale et professionnelle, pour lequel il ne peut y avoir de rémunération directe, l’inscription du bénévolat dans le champ des activités productives ne fait nulle part consensus : pour les uns, il ne peut être pris en compte que s’il s’inscrit au sein d’une organisation ; pour d’autres, son champ doit être étendu à l’ensemble des services qui sont rendus à d’autres ménages ; enfin seules les activités productives doivent être prises en compte ce qui implique de pouvoir, en pratique, les différencier des autres activités [3].
Dans les pays en développement, l’importance relative des aides individuelles apportées à la communauté est plus élevée que dans la plupart des pays industrialisés où les services sociaux et l’offre de biens publics sont assurés par l’État ou fournis dans un cadre marchand. Les difficultés des États du Sud à offrir ces biens et services sont récurrentes et nécessitent une forte implication de la société civile pour pallier ce manque. Dans les zones rurales péruviennes, la participation des individus à des travaux d’intérêt collectif est répandue : elle peut représenter jusqu’à 11 jours de temps de « travail » par an. Les tâches exécutées pour le compte de la collectivité regroupent un large éventail d’activités (entretien voire construction de canaux d’irrigation, de routes, d’écoles ; organisation de soupes populaires, etc.) qui peuvent être sans difficulté considérées comme du travail productif. Elles fournissent des substituts gratuits de biens ou services qui, dans d’autres contextes, sont fournis par l’État ou achetés sur le marché. Les personnes qui participent à ces activités et qui n’occupent pas d’autre emploi doivent être considérées comme économiquement actives.

3 – Comment classer ceux qui n’ont pas d’emploi et n’en recherchent pas ?

14Dans la plupart des pays, identifier les personnes dans l’emploi est relativement aisé. En revanche, la distinction entre chômeur et inactif a été vigoureusement discutée. L’essentiel du débat a porté sur la question du classement des individus qui n’ont pas d’emploi et n’en recherchent pas [OCDE, 1987, 1995]. En effet, la résolution de 1982 impose au chômeur d’être en quête d’un travail et exige un acte effectif de recherche au cours d’une période de temps. Or, on peut admettre que certaines personnes qui ne recherchent pas un emploi soient rattachées à la population active. L’OIT reconnaît que le critère de recherche d’emploi doit être relâché dans au moins trois situations [ILO, 1998] :

15- Lorsque les moyens conventionnels de recherche sont limités voire inexistants. La proportion de ceux qui déclarent ne pas rechercher d’emploi ne peut être considérée comme indépendante de l’existence de canaux de transmission de l’information sur le marché du travail tels que les agences d’emploi, les médias, la presse écrite, internet, etc., et de leur efficacité. Étant donné que les zones rurales des pays en développement sont dépourvues de tels canaux, la notion de recherche active d’emploi et les comportements qui y sont rattachés perdent leur intérêt taxinomique.

16- Lorsque le contexte économique implique de grandes difficultés à trouver ou retrouver un emploi. Au Pérou, les zones rurales sont caractérisées par un sous-emploi chronique dans l’agriculture et le manque d’opportunités d’emploi non agricole. L’absence de comportement de prospection relève très fréquemment du découragement et la démotivation apparente d’un nombre important de personnes s’explique largement par le contexte peu incitatif à l’emploi et par l’isolement relatif de nombreux villages. Nos données d’enquête montrent que les travailleurs ruraux sont parfaitement conscients de la rareté des opportunités d’emploi dans leur environnement proche et se dispensent de recherches actives perçues (fort justement) comme inutiles. En outre, dans les zones éloignées, le coût de la recherche comparé à son maigre bénéfice potentiel s’avère bien souvent dissuasif.

17- Lorsque l’immense majorité de la population est auto-employée. La théorie néoclassique fait une distinction claire entre la théorie de la production et la théorie de la consommation : la production est le fait d’entreprises alors que la consommation est le domaine des ménages. L’entreprise vend le produit final aux ménages en échange de leur travail. Ces lignes de distinction entre unités de production et unités de consommation sont discutables lorsqu’elles s’appliquent aux économies en développement pour la simple raison que les entreprises familiales sont le principal employeur et souvent le seul en milieu rural. L’offre et la demande de travail émanent en fait du même agent économique, la famille entrepreneuriale (agricole ou non agricole), et le marché du travail, défini comme le lieu où se rencontreraient un travailleur et un employeur, est quasi inexistant.
Afin d’illustrer le peu d’intérêt taxinomique du critère de recherche d’emploi, on a calculé le pourcentage d’individus sans emploi qui n’en recherchent pas dans les zones rurales péruviennes. Le tableau 3 indique clairement que c’est le cas de l’immense majorité des personnes sans emploi et ce, quelle que soit la source statistique. L’ampleur du phénomène suggère qu’on ne peut raisonnablement considérer que toutes ces personnes ne font pas partie de la population active.

Tableau 3

Distribution des personnes sans emploi dans les zones rurales péruviennes[4]

Tableau 3
Sources : INEI, 2000, Enquête nationale spécialisée sur le niveau d’emploi CUANTO, 2000, Enquête nationale sur la mesure des niveaux de vie IEP/IRD, 2001-2002, Enquête sur la mesure de l’emploi rural.

Distribution des personnes sans emploi dans les zones rurales péruviennes[4]

18Si la recherche d’emploi ne peut être un critère discriminant, il faut alors définir autrement le nombre de personnes sans emploi que l’on considère comme économiquement actives. L’approche classique qui permet de cerner cette catégorie consiste à scinder les personnes sans emploi en deux groupes, ceux qui déclarent vouloir travailler mais qui ne recherchent pas activement un emploi et ceux qui en recherchent un, et de comparer leur probabilité de transition dans l’emploi. Les tests empiriques destinés à vérifier l’hypothèse de similarité des comportements entre les deux groupes ont été menés presque exclusivement au Canada et aux États-Unis [Clark et Summers, 1979 ; Hall, 1970 ; Flinn et Heckmann, 1983 ; Gonül, 1992 ; Jones et Ridell, 1999]. Cette ligne de recherche a été quasiment inexplorée dans les pays en développement, à l’exception du travail de Kingdom et Knight (2006) sur l’Afrique du Sud et de Byrne et Strobl (2001) sur Trinidad et Tobago. Les conclusions de ces travaux suggèrent que l’usage du critère de recherche d’emploi pour distinguer les chômeurs des inactifs est, dans la pratique, souvent arbitraire et ambigu, en particulier lorsque les travailleurs des zones rurales sont concernés.

19Il reste, dès lors, une solution, certes très empirique mais non dénuée de sens dans le contexte très particulier des zones rurales : s’appuyer sur les déclarations des personnes qui expriment le désir de travailler et sont disponibles pour travailler. Les questions portant sur les attentes et la disponibilité des travailleurs sont absentes des grandes enquêtes nationales polarisées sur la recherche active d’un emploi. Pourtant, lors de notre enquête, 24 % des personnes sans emploi ont déclaré vouloir travailler et être disponibles pour cela (alors que 6,5 % seulement ont recherché un emploi). Ces personnes, qui sont en grande majorité des femmes au foyer et des étudiants, appartiennent à la population qui rentre facilement dans l’emploi dès que des opportunités apparaissent et doivent, selon nous, être comptabilisées comme chômeurs et non comme inactifs.

4 – Querelles méthodologiques

4.1 – Comment tenir compte de la saisonnalité de l’activité agricole ?

20La mesure de la population active sert à évaluer les changements dans l’emploi et le chômage. Pour que cette mesure soit valide, l’idéal est que les questions portent sur un laps de temps court et soient répétées fréquemment. L’avantage d’une période de référence courte (habituellement la semaine précédant l’enquête) est qu’elle minimise les erreurs imputables à un défaut de mémoire. Elle évite également les difficultés de classement liées aux changements d’occupation et/ou de statut qui ont une probabilité plus élevée d’apparition lorsque la période de référence est plus longue. Mais, si l’enquête emploi n’a lieu qu’une fois par an, ce qui est fréquent, la référence hebdomadaire est inadaptée à la saisie de la multiplicité des emplois et des statuts des individus dont l’occupation est soumise à de fortes variations saisonnières.

21En effet, dans ce dernier cas, un référentiel de temps très court donne une image de la population active à un moment donné qui n’est pas représentative des autres périodes de l’année car la saisonnalité de l’agriculture entraîne habituellement une grande variabilité de l’emploi agricole au cours d’une année. La population doit donc s’adapter aux fluctuations saisonnières de la demande de travail des exploitations, soit en se retirant de la population active, soit en passant par une phase de chômage saisonnier, soit, lorsque c’est possible, par le cumul de plusieurs emplois, souvent dans différentes branches. Le retrait de la population active est un comportement fréquent chez les personnes très jeunes ou très âgées, les personnes scolarisées et les femmes au foyer ne participant aux activités productives que dans des circonstances exceptionnelles (comme la période des récoltes). Les autres travailleurs occupent divers emplois alternatifs [5], pour des durées variables mais souvent assez courtes au cours d’un cycle agricole. Ainsi, une même personne peut être dans l’emploi ou au chômage, active ou inactive, engagée dans l’agriculture, les services ou l’industrie à différents moments de l’année.

22Comme la probabilité que chacun de ces « états » se réalise varie tout au long du cycle agricole, le biais que génère une référence temporelle courte apparaît clairement : si l’enquête a lieu en saison haute des travaux agricoles, la plupart des individus seront dans l’emploi et le travail exécuté la semaine précédant l’enquête a toutes les chances d’être agricole. Si l’enquête a lieu en saison basse, de nombreux individus ne seront plus dans l’emploi et ceux qui travaillent auront plus probablement occupé un emploi non agricole la semaine précédant l’enquête. Le cadre hebdomadaire n’apparaît donc pas bien adapté aux situations où domine l’emploi saisonnier lorsque l’enquête a lieu une fois par an. Si la mesure hebdomadaire reste privilégiée, elle doit être couplée avec une fréquence élevée de l’enquête emploi.

23Afin de montrer que la référence annuelle est plus appropriée lorsque le nombre relatif de personnes qui changent de statut au cours d’une année est élevé, on a quantifié les flux de main-d’œuvre entre les différents « états » possibles sur le marché du travail des zones rurales péruviennes selon les différents moments du calendrier agricole. On a utilisé trois enquêtes de l’année 2000 qui comportent un module emploi afin d’analyser d’une part les variations de la population active au cours de l’année, et d’autre part l’évolution des types d’emploi occupés [6].

24Le nombre de chômeurs, qui résulte de la différence entre la population active et l’emploi, affiche une faible volatilité au cours de l’année. Les données ne suggèrent pas l’existence d’un chômage saisonnier important. Cela peut signifier que les travailleurs sont nombreux à rester dans l’emploi tout au long de l’année. On peut cependant soupçonner que les faibles fluctuations saisonnières du taux de chômage ne reflètent pas toute la portée de la sous-utilisation saisonnière de la main-d’œuvre puisque les travailleurs qui perdent leur emploi après le pic saisonnier ont la possibilité de quitter la population active.
Les chiffres présentés au tableau 4 indiquent que ce sont les femmes qui ont tendance à se retirer de la population active au cours du troisième trimestre de l’année qui correspond à la saison sèche : 68,3 % d’entre elles seulement se déclarent actives alors que cette proportion s’élève à 71,4 % au quatrième trimestre [7]. Toutefois, un des faits les plus significatifs est sans doute l’explosion du nombre de personnes qui occupent deux emplois alternatifs au cours du troisième trimestre. Ce résultat confirme l’idée largement répandue selon laquelle les occupations alternatives ont une fonction contracyclique par rapport à l’activité agropastorale. Il souligne à quel point le volume et surtout la répartition sectorielle de la population active fluctuent en fonction du moment où est réalisée l’enquête et révèle l’ampleur de la différence qui peut exister entre la mesure hebdomadaire et annuelle de l’emploi lorsque le nombre relatif de personnes qui changent de statut au cours d’une année est élevé.

Tableau 4

Population active, chômage et emploi alternatif selon les périodes de l’année

Tableau 4
Sources : Trimestre II : Enquête sur l’éducation, la santé, l’emploi et les revenus, INEI, 2000. Trimestre III : Enquête spécialisée sur les niveaux d’emploi, INEI, 2000. Trimestre IV : Enquête sur les conditions de vie et la pauvreté, INEI, 2000.

Population active, chômage et emploi alternatif selon les périodes de l’année

4.2 – L’ambiguïté des notions d’activité principale et d’activité secondaire

25Un dernier problème que soulèvent les enquêtes nationales vient de l’usage des notions d’occupation principale et secondaire, respectivement définies comme l’occupation qui accapare le plus de temps, et l’occupation qui accapare le plus de temps après l’occupation principale. Appliquée au monde rural, cette typologie ne va pas sans équivoque. L’expérience de terrain personnelle montre que ces notions sont souvent mal comprises des personnes interviewées qui ont tendance à énumérer l’ensemble des activités exercées au cours d’une année, en les considérant toutes comme principales, c’est-à-dire en fait importantes de leur point de vue. Cette « incompréhension » est potentiellement source de nombreuses erreurs dans l’enregistrement des réponses qui dépend, en dernière analyse, de l’interprétation que fait l’enquêteur des informations données par l’enquêté.

26En outre, les foyers ruraux, au Pérou tout comme dans bien d’autres pays, sont engagés dans des stratégies de diversification de l’activité agropastorale. Or, faute de précision conceptuelle et d’instauration de règles claires de codification, l’occupation secondaire, telle qu’elle est enregistrée dans les enquêtes nationales, relève tantôt de l’activité propre à l’exploitation agropastorale tantôt d’activités alternatives. L’élevage, par exemple, est fréquemment enregistré comme occupation secondaire des actifs dont l’occupation principale est centrée sur l’agriculture. Dans ce cas, les activités que l’on nomme alternatives ne sont pas répertoriées car les questionnaires ne prévoient qu’une seule occupation secondaire [8]. Mais l’élevage est parfois considéré, à juste titre, comme partie intégrante de l’activité agropastorale prise dans son ensemble. L’occupation secondaire qui est enregistrée dans le questionnaire est alors bien une activité alternative. Il s’ensuit une grande hétérogénéité du contenu de la catégorie « occupation secondaire », ce qui entraîne, d’une part, une sous-estimation indubitable du nombre et de la diversité des emplois occupés par les actifs ruraux et, d’autre part, des difficultés notables d’interprétation.

5 – Comment juger de l’excès d’offre de travail ?

27Dans la plupart des pays en développement les taux de chômage dit ouverts sont plutôt faibles, en particulier en milieu rural, et sont souvent considérés comme des taux de chômage frictionnel normaux. Le Pérou ne fait pas exception à cette règle puisque le taux de chômage s’élevait à 4,5 % environ dans les zones urbaines en 2007, et à 1,6 % dans les zones rurales. Cette quasi-absence d’individus sans emploi s’explique de plusieurs façons. Elle reflète d’abord la rationalité économique des exploitations agropastorales péruviennes, largement documentée dans la littérature [Golte, 1980 ; Caballero, 1981 ; Gonzales de Olarte, 1987], fondée sur la maximisation de la production plutôt que sur la maximisation du profit. Cette logique d’organisation de la production implique la mise au travail de toute la main-d’œuvre familiale disponible (alors que la maximisation du profit imposerait l’emploi des seuls travailleurs dont le produit marginal est positif). Ensuite, en l’absence de toute forme de protection sociale garantie par l’État, les liens familiaux et communautaires fonctionnent comme une sorte d’assurance chômage et de sécurité sociale informelle entre des individus qui ne peuvent se permettre d’être sans emploi. Ces liens sont mis en jeu chaque fois qu’il faut attribuer un emploi, fût-il insuffisant ou inadéquat, et garantir un revenu minimum à chacun des membres de la communauté jugé en âge de travailler. C’est ainsi qu’une des caractéristiques des entreprises agropastorales de type familial réside dans leur propension à employer les plus jeunes et les plus vieux et à offrir des perspectives de travail à une population souvent exclue du système éducatif et de l’emploi dans les secteurs les plus lucratifs.

28Cette organisation économique et sociale produit peu de chômeurs, mais fabrique des actifs faiblement productifs, vulnérables aux chocs économiques, et qui ont une capacité limitée à prendre en charge économiquement les inactifs. Dans ce contexte, un nombre réduit de personnes sans emploi ne peut être considéré comme une preuve de l’absence d’excès d’offre de travail. La grande hétérogénéité des situations impose d’accompagner l’évaluation de l’emploi d’indicateurs complémentaires de la sous-utilisation de la main-d’œuvre. Parmi ces indicateurs, le concept de sous-emploi est devenu central.

29La notion de sous-emploi est ancienne. Elle remonte aux travaux d’Arthur Lewis (1954) suggérant que, dans les pays à faibles revenus, la main-d’œuvre ne peut pas être employée de manière efficace à la production agricole parce que la pression démographique sur les terres cultivables est forte et les facteurs complémentaires au facteur travail sont rares. L’excédent structurel de main-d’œuvre qui découle de cette situation se traduit par la persistance d’un large sous-emploi dans les campagnes, appelé chômage déguisé.

30Dans la statistique du travail, la notion de sous-emploi a été définie en 1966 lors de la 11e conférence internationale des statisticiens du travail, puis révisée en 1982. Deux formes principales de sous-emploi sont identifiées : le sous-emploi visible qui traduit un volume insuffisant d’heures travaillées sur une période donnée ; le sous-emploi invisible caractérisé par un faible revenu, une sous-utilisation des compétences et une faible productivité au travail. Dans la pratique, la statistique de l’emploi ne mesure que le sous-emploi visible et définit les personnes sous-employées comme les personnes qui travaillent involontairement moins que le nombre normal d’heures dans l’activité considérée, et qui recherchent ou sont disponibles pour du travail supplémentaire au cours d’une période donnée. L’introduction du critère de recherche d’emploi a ici pour objectif d’éclairer la nature involontaire ou non du sous-emploi, toujours difficile à trancher dans la pratique. Par hypothèse, les personnes à la recherche de travail supplémentaire souffrent d’un sous-emploi involontaire.

5.1 – Les difficultés de mesure du sous-emploi visible

31En dépit de la simplicité de la définition, mesurer le sous-emploi visible avec la meilleure précision n’est pas chose aisée. Il existe deux grandes façons de procéder : évaluer le nombre normal d’heures de travail dans l’activité considérée, mesurer le temps de travail réel effectué par les individus et confronter les deux chiffres ; interroger les personnes occupées sur la façon dont elles perçoivent leur temps de travail et s’appuyer sur leur jugement. La grande difficulté empirique de la première méthode est d’établir le seuil en dessous duquel le temps de travail est anormalement faible. La procédure est d’autant plus complexe qu’il est nécessaire de définir des seuils différents selon les groupes de population, les unités économiques, les différentes branches d’activité, les régions, etc. L’avantage de la seconde méthode est sa flexibilité car elle s’adapte bien à toutes les formes d’activité et d’occupation. Elle convient particulièrement bien aux situations où il n’existe pas de régulation contractuelle ou conventionnelle ni de législation sur le nombre normal d’heures de travail que l’on pourrait facilement identifier. Son inconvénient réside dans la subjectivité des réponses et la difficulté de les interpréter, notamment lorsque les personnes sont auto-employées [9].

32Établir un volume horaire normal en agriculture soulève des problèmes insolubles compte tenu de l’extrême diversité des besoins en main-d’œuvre selon les types d’exploitation et leur environnement agro-écologique. En conséquence, notre évaluation du sous-emploi visible dans les campagnes péruviennes repose sur la réponse des agriculteurs échantillonnés lors de notre enquête aux questions portant sur le désir de travail supplémentaire, sur la recherche d’un emploi complémentaire à l’emploi ou aux emplois actuellement occupés. Le tableau 5 fait apparaître l’insatisfaction d’un nombre élevé d’actifs quant à leur temps de travail : 55 % à 75 % d’entre eux souhaiteraient travailler plus, cette volonté de travail supplémentaire étant plus forte chez les hommes que chez les femmes.

Tableau 5

Recherche de travail supplémentaire

Tableau 5
Source : IEP/IRD, 2001-2002, Enquête sur la mesure de l’emploi rural.

Recherche de travail supplémentaire

33Paradoxalement, du moins en apparence, cette insatisfaction a peu souvent débouché sur la recherche d’un emploi : un peu moins d’un tiers environ des actifs désirant travailler plus, quelle que soit la zone d’enquête, a cherché un travail supplémentaire. Une première explication à cette absence d’intention de recherche d’emploi tient au fait que beaucoup d’individus expriment le souhait de travailler plus dans l’emploi actuel, c’est-à-dire de développer les activités productives agropastorales et améliorer la capacité d’emploi de l’entreprise familiale. Mais le manque d’actes positifs de recherche d’emploi supplémentaire peut aussi s’interpréter de la même façon que le renoncement à la recherche d’un premier emploi : un indice de la connaissance qu’ont les individus du faible nombre d’emplois disponibles dans les zones rurales, et/ou de leurs difficultés à s’éloigner du foyer (femmes et enfants notamment), et/ou encore de leur faible propension à s’insérer sur le marché du travail du fait des qualifications inadéquates dont ils sont dotés ; un symptôme de mauvaise circulation de l’information, d’absence de véritable « lieu » de rencontre des offres et des demandes d’emploi, des distances importantes que cette recherche suppose souvent de parcourir.

5.2 – Le débat autour de la définition du sous-emploi invisible

34En regard du sous-emploi visible qui est un concept statistique, directement mesurable par les enquêtes emploi, le sous-emploi invisible est un concept analytique qui désigne une mauvaise allocation des ressources en main-d’œuvre ou un déséquilibre structurel entre la quantité de travail disponible et les autres facteurs de production. Dans la littérature existante, l’appréciation de ce sous-emploi a reposé, selon nous, sur des critères discutables, et peu d’efforts ont été faits pour développer un cadre d’analyse rigoureux.

35Plusieurs critères sont potentiellement utilisables (et ont été utilisés) pour juger du sous-emploi des producteurs agricoles indépendants et de leurs familles : le niveau de la production et des revenus, les besoins techniques en main-d’œuvre, et la productivité marginale du travail. Ainsi, serait sous-employé celui qui, bien qu’au travail, générerait une faible production ou un revenu insuffisant, ne serait pas affecté aux différentes tâches de manière optimale, ou enfin celui dont le retrait n’entraînerait pas de perte de production. Quel que soit l’intérêt potentiel de ces critères, leur utilisation soulève de nombreux problèmes théoriques et empiriques.

36Le critère de faible production paraît peu pertinent parce qu’il confond ce qui relève du sous-emploi avec ce qui relève des autres (nombreuses) causes possibles de mauvaises récoltes. Des facteurs autres qu’un petit nombre d’heures de travail peuvent expliquer de grands écarts entre la production réelle et la production potentielle : accident climatique, piètre qualité des sols, technologie peu productive, etc. Le critère de faible revenu n’est pas plus satisfaisant car il est source de confusion entre la pauvreté et le sous-emploi. En effet, on peut être pauvre sans être sous-employé, comme par exemple les agriculteurs qui, du fait de prix agricoles peu rémunérateurs, obtiennent de maigres revenus en dépit de moissons abondantes.

37Le critère des besoins techniques en main-d’œuvre considère les travailleurs sous-employés comme des travailleurs mal employés, c’est-à-dire des travailleurs qui, dans des conditions optimales, devraient produire davantage. L’évaluation du sous-emploi, qui repose ici sur la comparaison entre les besoins techniques de main-d’œuvre agricole et son emploi effectif, se heurte à une difficulté de taille : celle de la définition, forcément normative, des besoins théoriques en main-d’œuvre. Deux méthodes sont couramment utilisées : la méthode du point de référence fondée soit sur l’utilisation optimale du travail au cours d’une hypothétique période d’efficience, soit sur la « meilleure pratique » à l’intérieur d’un groupe d’exploitations ; la méthode de la norme qui part d’estimations agronomiques. L’inconvénient de ces démarches est qu’elles supposent que toutes les unités productives fonctionnent sur le même standard. Dans la réalité, les besoins en main-d’œuvre varient en fonction des techniques utilisées, selon les cultures, les régions, la taille des exploitations, etc., et appliquer une même norme de référence expose à mal évaluer le sous-emploi. D’un autre côté, si l’on considère comme besoins théoriques en main-d’œuvre chaque utilisation réelle de travail de chaque exploitation (à supposer que cet inventaire soit empiriquement possible), alors la notion de sous-emploi s’évapore.

38Le concept de productivité marginale, qui est le plus utilisé, considère comme travailleur sous-employé tout individu dont le retrait n’entraînerait pas de perte de production car son produit marginal (sa contribution à la production) est nul. Ce concept fondateur de la notion de chômage déguisé s’avère inexploitable dans un contexte marqué par une forte saisonnalité des besoins en main-d’œuvre. La production agricole est une activité séquentielle par nature. Il s’ensuit que le résultat final dépend non seulement de la quantité totale de travail affectée à la production mais aussi de sa répartition entre les différentes tâches et de leur rapidité d’exécution. Théoriquement, chaque type de travail, selon la période de l’année, exerce un effet variable sur le produit marginal, amplifié par le respect d’un calendrier plus ou moins adéquat. Malheureusement, il est empiriquement quasi impossible d’établir la contribution de chaque opération et le fait qu’elle soit mise en œuvre à temps sur le résultat final [10].
Du fait des nombreux problèmes auxquels elles se sont heurtées, les tentatives d’estimation du sous-emploi, ou encore du nombre de travailleurs « en surplus » sont peu nombreuses [Hauser, 1977 ; Hsu, 1982 ; Chu et al., 2000]. Leur concentration sur le continent asiatique tient à la forte préoccupation des pays concernés (Chine, Taiwan, Malaisie) d’évaluer les réserves de mains-d’œuvre et l’éventualité d’une pénurie néfaste à la poursuite d’un développement industriel particulièrement rapide. La plupart des méthodes ne permettent pas de faire la distinction entre les trois types de travailleurs « excédentaires » mentionnés, et elles ont par conséquent tendance à surestimer le nombre de travailleurs qui pourraient être déplacés vers l’industrie sans perte de production agricole ; l’estimation est par ailleurs sensible au choix de la méthodologie (frontière de production fixe ou stochastique, méthode des courbes enveloppantes), au choix de la forme fonctionnelle de type Cobb-Douglas ou non, à l’utilisation de séries temporelles ou de données de panel [Thiam et al., 2001].

6 – Conclusion

39Rendre compte de l’emploi en milieu rural dans une économie en voie de développement est un exercice difficile, tant les sources statistiques nationales sont partielles et les méthodologies d’enquête finalement assez peu appropriées à cette mesure. À partir de l’exemple péruvien, qui est loin d’être un cas isolé, on a pu rendre compte des principales lacunes dont souffrent les données institutionnelles : l’absence de recueil des activités productives des personnes de moins de 14 ans, la référence à la semaine précédent l’enquête combinée à une fréquence insuffisante de l’enquête emploi, l’utilisation peu pertinente du principe de recherche active d’emploi, l’omission des activités domestiques et bénévoles, le peu de considération du calendrier agricole lors de la réalisation des enquêtes, et la confusion conceptuelle associée aux notions d’occupation principale et secondaire.

40On peut imputer les défaillances dans l’information disponible au manque d’intérêt dont les décideurs ont longtemps fait preuve pour le monde rural. Mais la mauvaise appréhension de l’emploi en milieu rural au Pérou doit aussi beaucoup à l’application stricte des règles de l’OIT visant à classer la population en âge de travailler entre les différents « états » possibles vis-à-vis du marché du travail. La nécessité d’une harmonisation internationale des données recueillies a imposé un contenu aux enquêtes fortement influencé par des questions qui sont plus directement en rapport avec les économies de marché des pays industriels développés qu’avec les économies en développement. La diversité des formes d’emploi et des statuts du travail en milieu rural qu’à permis de soulever un minutieux travail d’enquête conduit à mettre en question certaines catégories fondamentales : la délimitation de l’intervalle à l’intérieur duquel les individus travaillent, l’opposition entre les personnes sans emploi qui en recherchent activement un ou non, le clivage entre travail rémunéré et non rémunéré, et finalement l’emploi comme relation durable. Le cadre empirique des enquêtes emploi en milieu rural devrait donc être reconsidéré avec le plus grand soin.

41L’absence de données satisfaisantes au niveau national a sans aucun doute contribué à l’image imprécise que les responsables politiques se sont formée de l’économie rurale. Cette distorsion entre les représentations à l’œuvre sur le monde rural et sa réalité est sans conteste un des éléments qui expliquent les erreurs des orientations et des interventions des pouvoirs publics péruviens. En effet, l’idée qui a longtemps dominé les politiques de développement des espaces ruraux est qu’un secteur agricole performant est une condition essentielle à la croissance économique et à la réduction de la pauvreté, et que la principale cause de la stagnation de la production et par conséquent des revenus réside dans une mauvaise répartition des terres. L’emploi rural non agricole, mal appréhendé par la statistique publique, est resté considéré comme une catégorie insignifiante, et le monde rural confondu avec l’agriculture. Le corollaire de cette vision agro-centrée du monde rural est que les politiques économiques se sont peu souciées de la santé des entreprises non agricoles localisées en milieu rural.

42Or, à l’évidence, il n’y a pas que dans l’agriculture que l’on peut trouver une occupation rémunérée. L’emploi rural non agricole, longtemps ignoré, a fait l’objet d’un nombre croissant d’études depuis le début des années 1990 [Lanjouw et Lanjouw 1995 ; Reardon et al., 1994 ; Phélinas, 2009] qui ont mis en évidence son importance, sa persistance, et parfois sa progression. Ces travaux soulignent les nombreuses retombées positives de la localisation rurale d’emplois. Le principal atout des entreprises qui s’installent dans les espaces ruraux tient au fait que leur création n’exige pas de lourds investissements financiers ou matériels ni une très longue formation du fondateur et de ses employés. En conséquence, les emplois qu’elles offrent sont souvent accessibles aux pauvres. Il s’ensuit que l’emploi rural non agricole, même dans ses formes les moins attrayantes, représente un formidable instrument de politique économique. Il permet aux travailleurs modestes de bénéficier d’emplois et de revenus supplémentaires ; il assure une fonction de redistribution des revenus et de la richesse moins coûteuse qu’une fiscalité toujours difficile à mettre en œuvre ; il évite que les inégalités foncières ne se transforment en inégalités excessives de revenu.
Indubitablement, la politique agricole péruvienne a trop longtemps été considérée comme l’unique levier possible du développement rural et l’absence d’attention portée à la diversité des activités en milieu rural fut probablement une erreur. La posture de désintérêt qui a longtemps prévalu n’est plus justifiée car dans un contexte où l’agriculture a une capacité limitée à créer des emplois, et où les terres sont mal réparties, les occupations non agricoles constituent une des voies de sortie de la pauvreté des foyers les plus démunis. Soutenir la croissance du secteur rural non agricole est donc cohérent avec la recherche d’un développement équitable qui ne marginalise pas les pauvres. Par conséquent, la pénétration d’activités non agricoles dans les espaces ruraux est un fait que la statistique devrait s’attacher à mesurer correctement.

Notes

  • [1]
    Ce travail a été mené dans le cadre d’une convention de partenariat signée entre l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) et l’Instituto de Estudios Peruanos (IEP). Les accords prévoyaient la réalisation d’une enquête emploi en milieu rural. Un échantillon de trois provinces comprenant chacune 100 foyers ruraux a été sélectionné selon les méthodes standard de sondage aléatoire à plusieurs degrés. La phase de collecte a eu lieu entre les mois de septembre et octobre 2002, et a porté sur la campagne agricole 2001-2002. La base de données est composée de 303 exploitations comprenant 1 418 personnes.
  • [2]
    Dans la pratique, on n’observe quasiment jamais d’enfants au travail en dessous de six ans.
  • [3]
    Les « coups de main » donnés pour la construction ou l’entretien des édifices religieux n’ont aucune raison de figurer au nombre des activités bénévoles productives. En revanche, d’autres types de prestations de services à la communauté, comme une aide à l’entretien d’infrastructures collectives, ne sont pas irrecevables ni impensables.
  • [4]
    On a choisi, parmi l’ensemble des enquêtes nationales disponibles, celles qui présentaient un degré suffisant de cohérence avec notre travail de terrain (année de réalisation, date de passage de l’enquête) et on a isolé le sous-échantillon représenté par les foyers agropastoraux, c’est-à-dire les foyers déclarant mettre des terres en valeur. Cette juxtaposition ne permet pas de comparer directement les différentes sources entre elles, car les méthodologies d’enquête et les échantillonnages divergent, mais d’apprécier dans quelle mesure les conclusions que l’on peut tirer de ces différentes sources se recoupent.
  • [5]
    Il est difficile de trouver un terme satisfaisant et concis pour décrire l’ensemble des activités que développent les travailleurs des unités agropastorales afin de diversifier leurs sources de revenus. Le terme d’activité secondaire est utilisé dans la plupart des enquêtes statistiques pour définir l’activité qui occupe le second rang dans l’allocation du temps productif, après l’activité principale. Il a l’inconvénient de conforter une vision répandue mais fausse, selon laquelle ces activités occupent un rang secondaire à l’activité agropastorale et représentent des sources de revenus moindres que ceux tirés de l’agriculture et de l’élevage. Le terme d’activité complémentaire, parfois employé, est porteur de la même confusion sémantique. L’expression activités extérieures, moins couramment utilisée, suggère des activités exercées hors de l’exploitation agropastorale. Or beaucoup d’activités non agricoles, comme la fabrication de sous-produits de l’agriculture et de l’élevage, ont lieu dans le cadre de l’unité agropastorale. Enfin, la formule activité non agricole exclut de fait les emplois d’ouvriers agricoles qui sont fréquemment occupés par les agriculteurs. En conséquence, les vocables activité, emploi ou occupation alternative (au double sens d’alternance et d’opportunité) nous ont paru les plus appropriés.
  • [6]
    Seules les sources de l’INEI de l’année 2000 ont permis de réaliser un tel travail. Après cette date, l’enquête sur les conditions de vie et la pauvreté a été conduite régulièrement une fois par an mais les autres enquêtes n’ont pas été répétées.
  • [7]
    On rappelle que les personnes âgées de moins de 14 ans ne sont pas interviewées dans les enquêtes de l’INEI. Si l’on disposait de ces données, on devrait constater également de fortes variations intra-annuelles de la population active dans cette classe d’âge.
  • [8]
    Même dans le cas où il n’y a pas confusion entre activité agropastorale et activité alternative, les occupations alternatives qui arrivent en troisième position ou plus dans la hiérarchie du temps de travail ne sont jamais répertoriées. Si ce cas de figure est peu fréquent, il n’est pas non plus exceptionnel.
  • [9]
    Un des grands obstacles à la rigueur du travail empirique est l’absence fréquente de conscience du temps réel de travail qui entraîne de graves imprécisions dans les réponses aux questions portant sur les heures de travail. Il n’est pas rare que certaines personnes se déclarent sous-employées même lorsque leurs journées de travail sont particulièrement longues.
  • [10]
    Si l’agronomie a beaucoup investi dans l’examen de la réponse des cultures aux engrais, à différents types de produits phytosanitaires, etc., en revanche l’appréciation de l’impact des variations du temps de travail sur la production aux différents moments du calendrier agricole reste, à notre connaissance, une question largement inexplorée.
Français

Résumé

La statistique de l’emploi et du chômage fait partie des grandeurs macroéconomiques les plus citées et les plus commentées. Pourtant, si la définition théorique du chômage est relativement bien établie et acceptée, sa mesure continue de faire l’objet d’une intense controverse car démarquer empiriquement les actifs occupés des chômeurs et des inactifs s’avère, dans la pratique, un exercice éminemment difficile. Cet article se propose de résumer certains des enjeux théoriques et pratiques de la statistique de l’emploi et de les illustrer à partir d’un travail de terrain mené en milieu rural péruvien. On montre que faute d’avoir conduit une réflexion épistémologique sur les catégories d’analyse utilisées, les instituts de la statistique péruviens produisent des données sur l’emploi en milieu rural incomplètes et peu fiables.

Mots-clés

  • emploi
  • chômage
  • sous-emploi
  • Pérou

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Pascale Phélinas
UMR 201 « Développement et Sociétés », IRD-Paris 1
Mis en ligne sur Cairn.info le 19/05/2010
https://doi.org/10.3917/rfse.005.0103
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