CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 – La responsabilité sociale des entreprises (RSE) comme institution

1La Responsabilité sociale des entreprises (désormais RSE) est devenue une thématique dominante en sciences de gestion [de Bry, 1998 ; Capron et Quairel, 2004 ; Chauveau et Rosé, 2003 ; David et al., 2005 ; De Woot, 2004 ; Dupuis, 2005, Dupuis et Le Bas, 2005a et b ; Gendron et al., 2004 ; Igalens, 2004 ; Koleva, 2005 ; Pesqueux, 2003 ; Pérez, 2002 ; 2003], une exigence stratégique portée par les grands organismes internationaux (BIT, Commission européenne, ONU, etc.), un sujet récurrent de débats et d’échanges entre praticiens, professionnels, hommes d’entreprises.

2Le contenu de cette notion fait aujourd’hui l’objet d’une définition largement stabilisée. La RSE se caractérise ainsi par des démarches volontaires visant à aller au-delà des obligations légales et des conventions collectives ; par un souci d’intégrer durablement les vues des différentes parties prenantes de l’entreprise (actionnaires, salariés, clients, fournisseurs, riverains, etc.) ; et par un engagement à une certaine transparence [Commission européenne, 2001]. La RSE renvoie ainsi à une proactivité des entreprises en matière environnementale ou écologique (réduction des déchets, des différents types de pollution, promotion de la diversité écologique, etc.) et/ou sociale (promotion de l’employabilité des ressources humaines, de leur diversité, etc.) et/ou sociétale (mécénat, développement des territoires, etc.). La RSE concrétise donc un modèle de gouvernance d’entreprise plural, s’opposant en quelque sorte au modèle financier et moniste dans lequel la responsabilité de la firme se limite au respect des lois et à la maximisation du profit.

3La RSE n’est pas un épiphénomène, ni un effet de mode sans lendemain. Elle correspond à un ensemble de pratiques lourdes, bien que diversifiées, et à une vision de la place de l’entreprise dans son environnement économique, sociétal et écologique, consolidant des comportements « nouveaux ». En tant que tendance forte, la RSE peut s’interpréter comme une institution économique nouvelle en cours d’émergence, d’expérimentation et de diffusion. L’hypothèse fondatrice de cet article est de lire la RSE comme une institution nouvelle (ce qui n’exclut pas une certaine évolution de ses formes). D’où notre propos qui est d’analyser la RSE à travers les grandes approches de l’Économie des institutions, de manière à voir et noter ce que ces discours nous livrent en termes de prédictions concernant sa possible institutionnalisation.

4Il existe une ligne de partage au sein des approches institutionnalistes (ou des approches économiques des institutions), entre celles qui postulent que les institutions mises au point par les agents sont nécessairement efficientes (puisqu’on ne voit pas pourquoi des agents économiques rationnels mettraient au point des arrangements qui seraient sous-optimaux), et les approches qui, soulignant la complexité du processus d’émergence et de consolidation des institutions, admettent que des institutions ne soient pas nécessairement efficientes. Clairement, ce que nous savons de la RSE nous fait dire que son émergence est beaucoup mieux décrite comme un processus historique qu’un pur processus de rationalisation de comportements d’acteurs. La multiplicité de ses formes, la variabilité de ses rythmes de diffusion selon les pays, les secteurs, les types d’entreprise, font de la RSE une pratique en cours d’expérimentation quasi spontanée (quelquefois également contestée). Elle n’est pas un ensemble de règles ou de normes « contraignant » les acteurs à adopter des comportements spécifiques.

5De ce fait, nous proposons de comprendre la RSE comme un ensemble de règles et de comportements en cours d’institutionnalisation, processus dont P. Petit (2003) a pointé l’importance. Ce processus renvoie donc à l’émergence et la diffusion de normes sociales. Toutefois, l’institutionnalisation ne correspond pas à la définition rigide de comportements ou à l’imposition stricte d’une règle. Au contraire, les agents y disposent de marges de manœuvre et d’appréciation, la frontière du délibératif restant encore floue et mettant en jeu des valeurs politiques et idéologiques.

6Trois approches des institutions économiques sont ici mobilisées : la théorie évolutionniste moderne, la théorie des conventions et la théorie de la régulation. L’idée est de confronter les lectures du processus d’institutionnalisation émergent que chacune de ces grilles permet, notamment pour en saisir les implications normatives, et ceci au regard des facteurs et conditions à même de le rendre viable.

2 – La RSE comme méta-technologie sociale

7Du point de vue évolutionniste les institutions sont définies comme « une sous-classe » de technologies sociales [voir en particulier Nelson, 2003]. D’une certaine façon, cette définition est très proche de celle qui est donnée dans les autres approches institutionnalistes. En retenant la métaphore du jeu, on avance qu’il s’agit d’une certaine façon de jouer entre acteurs ou organisations, une spécification des règles du jeu. Souvent d’ailleurs elle incorpore une vision normative : les meilleures façons de jouer entre acteurs, les « bonnes » règles, normes ou croyances. Nous retenons ici cette définition des institutions et envisageons comment la RSE peut être analysée à travers ce prisme.

8Mais revenons, en premier lieu, sur ce qu’implique cette notion de technologie sociale. Le point de départ est la constatation que le savoir des organisations est nécessairement divisé en de multiples savoirs élémentaires de base. Ceux-ci sont distribués à des agents, services, départements différents de l’entreprise, mais cette distribution est faite de manière à agir efficacement. Comment le savoir peut-il être séparé, distribué et coordonné ? Ce processus dépend de « technologies sociales » [Nelson et Sampat, 2001], c’est-à-dire des formes de division du travail (dans l’entreprise en général mais sans doute également entre les entreprises), des procédures et conventions de coordination [2]. On pourrait sans doute dire également que cela dépend fondamentalement du management, c’est-à-dire de la « main visible », cette coordination se faisant hors du marché (« la main invisible »). Certains modèles généraux de management peuvent être considérés comme de véritables technologies sociales génériques, comme par exemple dans l’automobile, le modèle fordien de production de masse, ou le modèle dit de lean production. Nelson (2003) écrit : « ces modèles impliquent à la fois un ensemble d’actions sur le process et une division du travail et des mécanismes de coordination des actions ». Ce qui est envisagé à travers cette notion de technologie sociale, c’est fondamentalement la manière dont sont organisés le manufacturing et le processus de production dans leur ensemble. Elle permet également de comprendre comment est généré le changement technique (c’est-à-dire comment la technologie évolue).

9Venons-en au cœur de la démonstration de Nelson (2003). Son but est de montrer pourquoi le développement de ce type particulier de technologies apparaît beaucoup plus difficile que celui des technologies « physiques ». En effet, les technologies sociales ne peuvent être spécifiées en détail, répliquées parfaitement, totalement expérimentées, ce qui rend pratiquement impossible (ou pour le moins difficile) un apprentissage. Les critères de sélection sont plus « aiguisés », standardisés, les performances peuvent être plus aisément identifiées, et analysées, dans le cas des technologies « physiques ». Au contraire, avec les technologies sociales (l’auteur prend l’exemple des cercles de qualité et des modes d’organisation des entreprises – forme U et forme M), il est très difficile de mesurer l’efficacité de chaque technologie, de procéder à des expérimentations (comme dans le cas de vaccins ou de médicaments nouveaux par exemple). Le fonctionnement de l’environnement de sélection ne se présente pas de la même façon dans des deux types de technologies. Il fonctionne bien et clairement dans le cas des technologies physiques (faciles à répliquer et à évaluer) et beaucoup moins bien avec les technologies sociales (peu « répliquables » et mal évaluables).

10Cet argumentaire fournit, selon nous, la base d’une approche évolutionniste du changement institutionnel. À l’opposé de ce que pouvait penser Hayek, le modèle de variation-sélection élaboré pour les technologies physiques ne peut s’appliquer dans toutes ses dimensions pour expliquer la mise en place et la diffusion d’institutions nouvelles (technologies sociales). On pourrait, nous semble-t-il, non pas considérer la RSE comme une simple technologie sociale, mais plutôt comme une « méta-technologie sociale » (c’est-à-dire une « grande » institution pour faire écho à la notion de grande convention, dont on a parlé précédemment), destinée à régler le comportement de l’entreprise avec son environnement [3], entendu au sens large c’est à dire les parties prenantes, l’ensemble de la société (et de ses membres, citoyens), les générations futures (via, notamment, les questions d’environnement).

11Il y a un avantage à retenir cette notion de « technologies sociales ». Celle-ci met en évidence une prédiction cruciale : les difficultés inhérentes à la mesure des performances des technologies sociales. Ceci est, nous semble-t-il, parfaitement illustré dans le cas de la RSE. On prend appui ici sur un document de l’Orse (Observatoire sur la responsabilité sociétale des entreprises) de juillet 2003, intitulé « Les stratégies de développement durable nourrissent-elles la performance économique des entreprises ? » [4]. Le rapport envisage plusieurs relations possibles entre performance sociétale et performance financière. Citant le travail de Gond (2001) qui a recensé plusieurs études, principalement américaines, sur le sujet, il fait ressortir que 124 études font état d’un lien positif entre les deux phénomènes, 42 une absence de lien et 42 des liens négatifs. Il faut, bien entendu, interpréter ces résultats avec prudence, car les études ne retiennent pas nécessairement le même concept de RSE, ni a fortiori les mêmes indicateurs de mesure (il en va de même pour la mesure de la performance financière). Si l’on veut conclure à un effet positif, il reste que la grande variété des approches des interactions entre les deux types de performance ne permet pas à ce jour d’envisager ni d’identifier les vrais facteurs qui agissent au cœur des relations entre les deux variables [5]. Cela étant, le rapport note quatre mécanismes qui pourraient expliquer l’effet positif de la RSE sur les performances économiques des entreprises : l’avantage de marché de l’entreprise lorsqu’elle est perçue comme socialement responsable ; la meilleure anticipation des contraintes et la prévention des risques ; l’amélioration durable de la réputation ; et la réduction des coûts due à la réduction de la production de déchets.

12Alors que les études académiques ne sont pas vraiment concluantes quant à l’existence de liens entre RSE et performances économiques et financières, ce rapport conclut qu’il est frappant de voir que les entreprises incorporent de plus en plus de critères relevant du développement durable et de la responsabilité sociale. La question de la profitabilité de la RSE est souvent abordée de façon souvent trop définitive par les différents auteurs mais avec des conclusions contradictoires. D’une part, certaines institutions internationales affirment que la RSE est rentable [6]. D’autre part, des études empiriques pointent que la rentabilité de la RSE est problématique, en particulier, pour la dimension environnementale. On ne peut pas être plus explicite s’agissant de la délicate évaluation des impacts d’une technologie sociale.

13La question centrale traitée ici est que d’une certaine manière le processus de diffusion de nouvelles technologies sociales (le processus d’institutionnalisation) obéit bien à certains invariants d’un processus évolutionniste. Une nouvelle technologie sociale « supérieure » permettra la croissance de l’unité économique qui la met en œuvre, elle pourra être répliquée en son sein, et entraînera la croissance relative de l’unité économique qui la réplique. Elle sera sans doute également imitée par d’autres organisations. Elle s’imposera alors comme « design dominant ». Ainsi un processus de sélection qui n’est pas purement « systématique » est à l’œuvre car, très souvent, il implique des comportements conscients des agents [7]. Un autre aspect qui pourrait éclairer l’approche évolutionniste des technologies sociales est le difficile apprentissage entre les firmes. Dans ce domaine, il n’est pas certain qu’existent des bonnes pratiques que les entreprises pourraient facilement imiter des autres, même quand elles font partie du même secteur. C’est pour cette raison que le processus évolutionniste de sélection des technologies sociales semble moins « pur » et plus « complexe » que le processus de réplication/sélection des technologies physiques. D’une certaine façon les autres approches institutionnalistes, notamment l’approche des conventions, nous en disent plus sur cette complexité.

3 – La RSE comme transformation de l’identité des entreprises

14L’approche économique des conventions que nous mobilisons est celle de l’Économie des conventions [Orléan, 1994 ; Batifoulier, 2001], autrement dit l’approche interprétative des conventions. L’approche stratégique des conventions, qui s’inspire de la vision de la convention du logicien Lewis, analyse, elle, la convention comme le résultat d’une interaction stratégique et elle la définit comme une règle de comportement qui permet aux individus de se coordonner ou de coopérer. Dans l’approche interprétative, les conventions ne sont pas seulement des règles de comportement, elles sont aussi des modèles d’évaluation qui permettent d’interpréter et d’évaluer les règles de comportement. La convention n’apparaît plus alors uniquement comme le moyen de coordonner des actions, il s’agit avant tout d’un moyen de coordonner les représentations et, avec elles, les individus inscrits dans un collectif.

15Autrement dit, l’Économie des conventions reconnaît aux acteurs une capacité de réflexivité, c’est-à-dire une capacité à se questionner sur les finalités des règles de comportement, quitte à les refuser et à en changer. De ce fait, si les acteurs suivent une règle, c’est qu’elle fait sens pour eux. L’approche interprétative des conventions met en exergue qu’à défaut de satisfaire à une contrainte de justice, le suivi de règles ne peut être que précaire dans des sociétés démocratiques, car la coopération contrainte n’y est pas l’idéal visé [voir par exemple, Eymard-Duvernay, 2004, p. 93-94]. De ce fait, les institutions y sont conçues comme « des environnements structurés par des finalités communes, des valeurs communes, des biens communs » [Eymard-Duvernay, 2004, p. 71].

16La grille d’analyse proposée par l’Économie des conventions est donc la suivante (cf. figure 1) :

  • deux espaces de coordination : celui des actions où jouent les règles de comportement et celui des représentations en surplomb où jouent les modèles d’évaluation, ce qui signifie que toutes les règles incorporent un élément normatif ;
  • trois types de règles : la règle-contrainte, la règle-contrat et la règle conventionnelle [8] ;
  • la convention étant définie comme « un type particulier de règles, empreintes d’un certain arbitraire, la plupart du temps non assorties de sanctions juridiques, d’origine obscure, et de formulation relativement vague ou alors éventuellement précise mais sans version officielle » [Favereau, 1999, p. 4].

Figure 1

Architecture théorique de l’Économie des conventions

Figure 1

Architecture théorique de l’Économie des conventions

17Cette grille permet d’interpréter la RSE comme un ensemble de discours et de pratiques véhiculant un changement institutionnel, changement qui traduirait un affaiblissement et une remise en question des modèles d’évaluation jusqu’alors dominants dans la sphère économique, en l’occurrence les modèles industriel et marchand. La RSE concrétiserait donc une perte de légitimité de l’ancien ordre de valeurs, crise de légitimité appelant une redéfinition de l’identité des entreprises. Il en va ainsi des salariés et des représentants du monde de l’écologie qui contestent de plus en plus la souveraineté du marché à fixer ce qui vaut dans l’espace économique et qui revendiquent un pouvoir de valorisation aux côtés des actionnaires et des consommateurs. Bien plus qu’un nouveau paradigme managérial ou qu’une nouvelle métatechnologie, la RSE renverrait à l’émergence d’un nouvel « esprit du capitalisme », les conflits observables étant plutôt des conflits axiologiques que des conflits cognitifs. Et il semble bien que la contestation sociale véhiculée par la RSE porte plus sur les fins visées par les entreprises que sur leurs moyens, soit plus sur la gouvernance des entreprises que sur leur management stricto sensu.

18L’approche conventionnaliste fournit ainsi une grille permettant de caractériser la nature des apprentissages conditionnant le processus d’institutionnalisation de la RSE. Elle met en effet en évidence que la RSE est un changement institutionnel engageant une transformation de l’identité des entreprises. Des trois niveaux de la politique d’entreprise, identité, stratégie et structure [Strategor, 1988], c’est ce premier niveau qui est la commande. Certes, de manière concomitante, des changements stratégiques et structurels sont nécessaires [Capron et Quairel, 2004], mais ils participent d’une volonté plus globale de redéfinir l’identité de l’entreprise [9]. M. Capron et F. Quairel (2004) aboutissent à une conclusion identique à l’issue d’un examen de la structure des systèmes de management de la performance globale : « Finalement, il apparaît que le concept de performance globale fonctionne surtout comme une utopie mobilisatrice, susceptible de sensibiliser les différents acteurs de l’entreprise aux préoccupations du développement durable. » [Capron et Quairel, 2005, p. 20]. On retrouve là le fait que la RSE engage une transformation des conventions constitutives de l’entreprise, des représentations de ses acteurs et non pas seulement des règles de l’entreprise, la stratégie et la structure opérant au niveau de la sphère des actions (cf. schéma 1). L’analyse conventionnaliste permet ainsi de pointer que l’adoption d’un nouveau modèle d’entreprise passe surtout par des « apprentissages en double boucle » [Argyris et Schön, 1978], car c’est ce type d’apprentissage, et non l’« apprentissage en boucle simple » qui ne porte que sur les règles, qui amène les acteurs à reconsidérer les cadres d’interprétation et les systèmes de valeurs et de croyances, soit les modèles d’évaluation conventionnels mobilisés jusqu’alors. Reste qu’un tel apprentissage, mais cela est également valable pour l’apprentissage en boucle simple, bien qu’à un moindre degré, les règles (de niveau 2) incarnant les modèles d’évaluation (règles de niveau 1) (cf. figure 1), est difficile à mettre en œuvre car cela implique de remettre en question les principes de jugement, d’évaluation et donc la hiérarchie sociale établie[10]. Les individus victimes des renversements de valeurs opposent en conséquence une résistance.

19L’approche conventionnaliste souligne donc que le processus d’institutionnalisation de la RSE est conditionné par la capacité des acteurs qui la promeuvent à satisfaire à une contrainte de justification. Son institutionnalisation implique en effet que ses promoteurs aient la capacité de convaincre que l’adoption et la diffusion de la RSE seraient à même d’améliorer tant le bien-être collectif (justification générale) que l’intérêt (individuel) des différentes parties prenantes concernées (justification individuelle) [11]. L’institutionnalisation de la RSE impliquerait donc un processus délibératif de qualité, notamment en termes démocratiques, à même de laisser libre cours aux débats et de démontrer la supériorité des pratiques de type RSE. Reste que l’approche conventionnaliste n’est pas très explicite sur les formes que devrait prendre un tel processus délibératif, notamment sur la place dévolue à l’action collective et donc au droit d’État.

4 – La RSE, composante du changement institutionnel et les formes institutionnelles de la régulation

20Nous situons ici maintenant la RSE par rapport à l’approche régulationniste des institutions. Dans la théorie de la régulation les institutions-clés émergent de conflits sociaux et doivent passer par la sphère politique et la reconnaissance par le droit pour avoir un impact sur la dynamique économique [Boyer, 2003]. Cela ouvre une perspective très différente de celle tracée par l’approche évolutionniste de la réplication/sélection par exemple qui, sans exclure la présence et l’importance du droit et du politique, ne les prend pas en compte dans l’analyse.

21Il importe au préalable de bien saisir son dispositif analytique [12]. Dans celui-ci au moins cinq formes structurelles ou institutionnelles sont repérées : l’État, la monnaie, les relations internationales d’une économie, les formes de la concurrence (l’institutionnalisation des rapports de commerce et d’industrie), le rapport salarial, c’est-à-dire les institutions liées à la mise en œuvre, à l’utilisation et à la reproduction du travail et de l’emploi [Boyer, 1986] [13]. Le mode de régulation d’une économie articule ces formes. Toutefois, les rapports des unes aux autres, la prédominance de certaines (et l’affaiblissement des pouvoirs des autres) contribuent à définir les traits spécifiques de l’accumulation du capital et de la régulation d’ensemble au cours d’une période singulière. Ainsi, dans la période de croissance d’après-guerre (1950-1975), le rapport salarial fordiste est considéré comme absolument déterminant pour expliquer la croissance économique et sa régularité. Au contraire, on s’accorde à reconnaître aujourd’hui une réelle priorité aux formes de concurrence. Pour cette raison, et parce que la RSE est également liée aux formes de concurrence, il s’avère pertinent d’être plus explicite sur elles. Suivons P. Petit [1998, p. 180] : « Ce que l’on entend par formes de concurrence dépasse le cadre étroit de simples ensembles de réglementations organisant l’accès aux marchés et la libre concurrence pour inclure tout l’écheveau des médiations qui concourent à la mise en œuvre et à la réalisation de transactions entre individus. Dans cette conception étendue, les formes de concurrence concernent toutes les relations entre agents ou unités économiques, hormis les relations proprement salariales. Il s’agit là d’un vaste ensemble de relations qui inclut non seulement les transactions effectuées par les producteurs, mais aussi toutes celles réalisées par les consommateurs. C’est même du côté de ces derniers qu’il faut envisager dans la période contemporaine des mutations importantes. Plus exactement, l’évolution du rapport entre producteurs et consommateurs va devenir une des caractéristiques fortes du nouveau régime. » Ainsi, on remarque des modifications importantes des rapports de concurrence sous l’effet de changements cruciaux : la période de production et de consommation, ainsi que des institutions qui les structurent ; l’internationalisation croissante des activités ; et la déréglementation de certains marchés (dans le secteur des télécommunications, les services publics).

22Notre hypothèse sera la suivante : la RSE est une composante du changement institutionnel en cours, qui affecte nécessairement les formes institutionnelles du mode de régulation de l’économie. Les remarques précédentes doivent nous servir à évaluer son impact et son potentiel de diffusion. Par exemple, la RSE, comme approche des parties prenantes (stakeholder approach versus shareholder approach), est donc ici fortement impliquée par les transformations affectant les formes de concurrence. Il nous semble que dans l’approche régulationniste, la RSE n’est pas une forme institutionnelle nouvelle (au sens donné à ce terme dans l’approche de la régulation), mais un nouveau type de comportements porteur de nouvelles valeurs. Dans notre esprit, la RSE serait une nouvelle institution affectant transversalement plusieurs formes institutionnelles et, peut-être plus spécifiquement, les formes de la concurrence et le rapport salarial. Aussi est-il nécessaire d’examiner plus scrupuleusement les rapports de la RSE aux différentes dimensions du mode de régulation.

4.1 – RSE et rapport salarial

23Beaucoup d’auteurs ont noté que les pratiques de type RSE apparaissent avec la crise du rapport salarial fordien [Capron et Quairel-Lanoizelée, 2004 ; Le Bas, 2004]. Pour cette raison, on peut envisager, au moins à titre d’hypothèse, que la RSE serait une réponse à cette crise. Bien qu’elle ne corresponde pas directement à un type particulier de rapport salarial, la RSE co-détermine un certain type de gestion du travail, de l’emploi, du salaire, etc. La RSE semble aller à l’encontre des tendances à l’individualisme ou à l’individualisation dans la gestion du salaire, dans les situations de travail ou dans la vie domestique (avec la dimension de la famille, l’omniprésence de l’automobile…). Toutefois la RSE comme nouveau système de valeurs est parfaitement compatible avec des formes « non agressives » d’individualisation. En effet, elle n’apparaît pas contradictoire avec la mise en place de formes « douces » de la régulation concurrentielle, c’est-à-dire avec un recours plus fréquent aux ajustements sur les marchés (par exemple, plus de flexibilité quant aux ajustements de l’emploi), tout en gardant une gestion publique des systèmes de santé et de formation. La RSE peut être considérée comme en phase avec cette tendance à l’individualisation puisqu’elle repose sur l’idée qu’en matière de responsabilité sociale, c’est à l’entreprise de définir elle-même [14] ce qu’elle veut (ou peut) faire, sans tutelle publique, en plus des réglementations visant à fixer des minima. Elle s’accommode d’une régulation avec moins d’État pour au moins deux raisons [15] : 1. les pratiques de type RSE tendent à faire prendre en compte ou en charge par l’entreprise un certain nombre d’actions concernant la société civile ; 2. la gestion de certaines externalités peut, en partie, être réalisée à ce niveau. Elle s’accorde également assez bien avec une organisation plus flexible de la production.

4.2 – La RSE et les relations internationales

24La RSE affecte également les relations internationales pour plusieurs raisons. En premier lieu parce que, dans de nombreuses activités (y compris, maintenant, dans les activités de services), la concurrence s’est déportée, du cadre national au cadre international. Les interactions avec les parties prenantes sont maintenant « mondialisées ». Le développement du commerce international avec des pays qui ne disposent pas des mêmes législations [16] pose avec beaucoup plus d’acuité des questions centrales – très prégnantes dans la problématique de la RSE – comme le « commerce équitable », le commerce « éthique », etc. De nouvelles revendications émergent d’emblée au niveau international, comme la protection de l’environnement et la nécessité d’un développement durable. L’avance de la mondialisation n’est pas totale. Il y a toutefois des « exceptions » comme certaines formes de cultures (nationales ou locales) ou de productions (« les appellations contrôlées ») en contrepoint de la diffusion de standards culturels mondiaux.

4.3 – RSE et finance

25Les relations entre la RSE et la sphère de la finance sont naturellement à replacer dans le contexte du développement de la finance contemporaine. Celui-ci a été caractérisé par une approche centrale, celle de la souveraineté des actionnaires et de la diffusion d’une norme de gestion qui a fortement poussé à un mode de gouvernance : la création de la valeur actionnariale. Sur le plan historique, cette tendance est liée à la persistance de la bulle financière et au discours relatif à la nouvelle économie, dont beaucoup pensaient qu’elle était en phase avec les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Cette prégnance de la logique du capitalisme financier aurait deux conséquences dans l’esprit de ses défenseurs [Aglietta et Rebérioux, 2004]. D’une part, l’approfondissement de la logique financière devrait permettre une meilleure répartition des risques et une meilleure efficacité économique dans l’allocation du capital. D’autre part, la suprématie des actionnaires mettrait définitivement fin au pouvoir des managers, et donc à la séparation entre le pouvoir de direction et le contrôle [17].

26On voit déjà que la RSE s’appuie, au contraire, sur une vision des mécanismes économiques et des questions de gouvernance qui les oppose terme à terme. Il n’y a pas approfondissement de la logique financière puisque coexistent avec la RSE d’autres logiques : sociale et environnementale notamment. Il ne peut y avoir « suprématie des actionnaires » mais une coexistence des différentes parties prenantes (« stakeholders » plutôt que « shareholders »).

27Le modèle américain de gouvernance, magistralement décrit par Aglietta et Rebérioux (2004), se caractérise par l’importance qu’il confère à la liquidité des marchés financiers. Le droit des sociétés, pas plus que le droit du travail, ne porte réellement atteinte au pouvoir discrétionnaire des dirigeants. Deux groupes d’agents, autres que celui des dirigeants, peuvent dans un tel système jouer un rôle. D’une part, la Security and Exchange Commission supervise le bon fonctionnement des marchés des capitaux. Elle est aidée en cela par un droit boursier hypertrophié qui est l’envers du droit des sociétés très peu développé. Les investisseurs institutionnels (les gestionnaires de portefeuille pour le compte d’autres agents), d’autre part, ont un poids réel dans l’élaboration des décisions. Ils ont été, par exemple, le vecteur de la diffusion du modèle de la valeur actionnariale. Dans un tel système marqué par la souplesse [18] et le primat des relations contractuelles, des relations de type RSE ne peuvent être signifiées. Certes il y a bien un droit du travail. Mais il n’y a pas, dans ce système, une intervention des salariés reconnue au moins par le droit du travail qui tendrait à qualifier le salarié comme un élément constitutif de l’entreprise. En conséquence, on comprend que dans un tel environnement institutionnel, éthique des affaires et RSE se recouvrent, se confondent très largement au sens où l’approche de la RSE développée met au premier plan la responsabilité individuelle, celle de chaque contractant, et que l’entreprise reste une affaire contractuelle.

28Le cas allemand s’avère très différent. Son modèle d’Économie sociale de marché (le capitalisme rhénan) a deux caractéristiques : le rôle crucial joué par les banques (et non les marchés financiers) dans le financement de l’économie, et le contrôle managérial des grandes entreprises industrielles (via l’influence des managers dans les conseils de surveillance) ainsi que la large place faite aux représentants des salariés dans la gestion des entreprises. Ce système qu’on a pu qualifier de « cogestion » affecte les aspects « sociaux » des entreprises (embauche, rémunérations, temps de travail, promotion, etc.), mais aussi, et cela est constitutif du modèle allemand, les principales décisions stratégiques en matière industrielle et financière. En réalisant un compromis de gestion entre actionnaires, salariés et créanciers à travers un droit des sociétés et du travail conséquent [Aglietta et Rebérioux, 2004], le modèle allemand dessine une certaine forme, disons ancienne, de RSE. Par rapport aux formes modernes, contemporaines, on voit qu’elle est limitée aux accords des principales « parties prenantes », actionnaires, managers, salariés. Notamment ne font pas partie du dispositif des parties prenantes, ni les fournisseurs, ni les clients. Le cas français peut sembler intermédiaire entre le modèle libéral des États-Unis et le système de cogestion du capitalisme rhénan, en ce que la gouvernance d’entreprise est davantage encadrée par le droit des sociétés que par le droit boursier (à la différence des États-Unis), le marché financier et le droit boursier y sont par contre plus développés qu’en Allemagne [Aglietta et Rebérioux, 2004]. Bien entendu malgré les nombreux rapports sur la « nécessaire » réforme de l’entreprise (dont le fameux rapport de Bloch-Lainé du début des années 1960), il n’y a pas cogestion des orientations stratégiques de l’entreprise. Toutefois l’intervention des salariés a été au cours du temps, codifiée, pour aboutir à des dispositifs de « co-surveillance » [Grumbach, 1995] donnant, notamment au comité d’entreprise, un pouvoir concernant l’information, l’alerte, l’expertise économique… Plus récemment les lois de 2002 relatives à la Nouvelle régulation économique (NRE), s’inscrivent plus explicitement dans une démarche fondée sur l’obligation de publier des rapports concernant l’engagement sociétal et environnemental des grandes entreprises [19]. Cette orientation, partagée par les Pays-Bas et la Suède, est beaucoup plus avancée (au moins dans la réglementation) que les pratiques allemandes qui n’en restent, en ce domaine, qu’au niveau des déclarations d’intention ou des protocoles d’incitation. La France est même jugée leader en l’espèce [de la Cuesta et Valor, 2004].

29Que retenir de ce panorama ? Deux éléments, nous semble-t-il :

  • Les formes institutionnelles nationales tendent à définir les contours et le contenu de RSE. Par exemple, le modèle américain est fondé sur le primat de la régulation concurrentielle des marchés, de la conception de l’entreprise comme nœud de contrats, de la soumission du gouvernement de l’entreprise aux intérêts des actionnaires. Le modèle européen est différent en ce qu’il reconnaît une spécificité aux salariés qui participent (à des degrés divers selon les pays) à la vie de l’entreprise. Il tend à protéger la direction d’entreprise de la sphère boursière. Les éléments qui, aujourd’hui, modifient les traits du modèle européen, ne semblent pas toutefois l’entraîner au voisinage du modèle américain. Les matériaux rassemblés par Aglietta et Rebérioux (2004) tendent à montrer qu’il n’y a pas réellement convergence. Dans cette perspective, il y a bien deux visions de l’éthique des affaires, non antagoniques, partiellement imbriquées. La vision 1 correspond à un projet d’éthique largement assimilé à un ensemble de règles et de références nécessaires à l’organisation des rapports entre les personnes, les agents, constituant les parties prenantes. Ce projet intègre des éléments qui le rapprochent de la responsabilité sociale des entreprises, car souvent les projets d’entreprise, chartes éthiques et/ou codes de conduite, abordent des questions sociétales ou environnementales. Cette vision est portée par les (très) grandes entreprises, plutôt européennes continentales. La vision 2 apparaît plus limitée au périmètre de l’entreprise. Les chartes éthiques, les droits d’alerte, ont pour objectifs d’instaurer la confiance, d’améliorer les relations de travail (le supplément d’âme ?). Ces pratiques sont en phase avec l’émergence et la consolidation d’un rapport salarial plus concurrentiel (individualisation des salaires, disparition des conventions collectives de branche). On retrouverait ici le modèle américain (et sans doute également britannique). Dans la première vision, éthique et RSE sont complémentaires, dans la seconde, pratiques éthiques et RSE sont substituables.
  • D’autre part (mais de façon articulée) les formes institutionnelles nationales tendent à définir sans doute également le rythme de diffusion des pratiques de type RSE. Le survey entrepris par de la Cuesta et Valor (2004) est de ce point de vue exemplaire : deux pays qui ont le même modèle de RSE (la France et l’Allemagne, par exemple) peuvent avoir des rythmes différenciés de diffusion de cette nouvelle institution.

5 – Conclusion

30Reprenons nos principaux résultats. Notre perspective était de saisir comment trois analyses institutionnalistes contemporaines permettaient d’appréhender le processus de diffusion de la RSE, comprise comme une nouvelle institution et, par voie de conséquence, les conditions nécessaires pour qu’elle puisse éventuellement à terme s’institutionnaliser. La conclusion à laquelle nous aboutissons, est la complémentarité des trois approches, d’un point de vue analytique, lesquelles demeurent divergentes sur le plan normatif.

31Analytiquement, chacune éclaire une partie des logiques qui sous-tendent le processus d’institutionnalisation émergent. Le regard de la théorie évolutionniste est ainsi plutôt concentré sur le processus de variation-sélection, notamment sur les comportements d’imitation des acteurs individuels qui contribuent à une diffusion de la RSE. Il en va différemment de la théorie des conventions et de la théorie de la régulation qui focalisent leur attention sur les logiques politiques. Alors que la théorie de la régulation invite à ne pas perdre de vue que le processus d’institutionnalisation est affaire de rapports de force collectifs, la théorie des conventions insiste, elle, sur le processus délibératif qui se joue à cette occasion, cette préoccupation dérivant du fait que, pour les conventionnalistes, dans les sociétés démocratiques, la contrainte seule ne peut suffire à instituer des normes.

32Chacune des grilles théoriques ne prend donc en compte qu’une partie de la totalité de la réalité sociale en jeu dans le processus d’institutionnalisation de la RSE. Si, sur un plan analytique, cela conduit à percevoir ces grilles comme complémentaires, sur le plan normatif, il en va autrement. Pour un théoricien évolutionniste, la RSE ne pourra ainsi s’institutionnaliser que si la technologie qu’elle promeut s’avère à terme mieux adaptée aux conditions d’environnement. Cette position découle bien évidemment du fait que, pour un auteur évolutionniste, l’opérateur de sélection est in fine l’environnement. Elle dérive donc d’une conception « écologique » du processus d’institutionnalisation.

33Il en va différemment pour la théorie des conventions et la théorie de la régulation. Partageant une conception téléologique ou plutôt politique, ces grilles théoriques mettent en avant que c’est avant tout le pouvoir dont pourront disposer les promoteurs de la RSE qui fera qu’elle institutionnalisera ou pas. Elles insistent donc sur la dimension de deliberate goal-seeking de tout processus historique, c’est-à-dire sur la capacité des hommes à influer sur leur histoire. Pour les auteurs conventionnalistes, l’institutionnalisation sera surtout fonction du pouvoir de légitimation détenu par les défenseurs de la RSE (versus ses détracteurs). Pour les auteurs régulationnalistes, elle sera plutôt fonction de l’évolution des rapports de force collectifs et donc de l’émergence d’une configuration politique rendant possible une reconnaissance juridique de la RSE à défaut de laquelle son institutionnalisation ne pourrait que rester lettre morte.

Notes

  • [1]
    Des premières versions de ce texte ont successivement fait l’objet d’une communication à l’école thématique CNRS-INRA-CIRAD Analyse des changements institutionnels (La Rochelle, 14-17 septembre 2005), d’un exposé lors d’un séminaire du GEMO, et d’une communication au 3e Congrès de l’ADERSE (Lyon, 18-19 octobre 2005). Nous remercions les membres d’ESDES Recherche pour leurs commentaires. Nous avons notamment apprécié les remarques de Jérôme Blanc et Véronique Dutraive.
  • [2]
    Dans Nelson et Sampart (2001) une technologie sociale est définie dans ces termes : « Comment des individus doués de compétences agissent et interagissent lorsque que la coordination de ces interactions est cruciale pour la réalisation des tâches ».
  • [3]
    Quelques exemples donnés par Nelson (2003) pourraient aller dans ce sens. Sont considérées comme technologie sociale, des formes d’organisations industrielles, des pratiques de management, des mécanismes et structures affectant les machines, des politiques publiques, des dispositions réglementaires, etc. La notion de méta-technologie sociale est proche de celle de paradigme. Tout comme il existe des paradigmes technologiques « physiques », des paradigmes existent pour les technologies sociales (les institutions). La RSE serait rien moins qu’un nouveau paradigme concernant le management.
  • [4]
    Consultable et téléchargeable en ligne : www. orse. org.
  • [5]
    Le rapport de l’Orse avance que « la recherche d’une explication très générale du lien entre RSE et performance financière semble un objectif difficilement accessible, voire impossible à atteindre ».
  • [6]
    Par exemple un document de la Commission européenne affirme péremptoirement que la RSE est « rentable à long terme » (voir Commission des communautés européennes, Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises, Bruxelles, juillet 2001).
  • [7]
    Nelson (2003) remarque : « Les jugements et les choix conscients des agents constituent une composante de l’évolution des technologies ; dans bien des cas ils jouent un rôle plus important que la croissance relative des firmes qui les utilisent… ».
  • [8]
    Dans la terminologie d’Olivier Favereau, les règles conventionnelles sont des « conventions de niveau 2 » alors que les « conventions de niveau 1 » constituent les modèles d’évaluation. François Eymard-Duvernay (2004) parle lui de « conventions constitutives » pour les modèles d’évaluation et de « conventions » quand il s’agit de règles.
  • [9]
    Il est préférable de parler d’identité plutôt que de culture car cette dernière notion a une connotation conservatrice et elle occulte les jeux de pouvoir dans les changements institutionnels engageant une évolution des représentations.
  • [10]
    « Fondamentalement, une institution est une unité de compte » [Eymard-Duvernay, 2004, p. 73] qui détermine une hiérarchie sociale (des personnes et/ou des produits). Le changement institutionnel engage donc une remise en question des classements établis et est donc par nature conflictuel.
  • [11]
    Il y a en effet lieu de ne pas confondre les « justifications individuelles (en quoi une personne trouve des raisons dans l’entreprise capitaliste) » et les « justifications générales (en quoi l’engagement dans l’entreprise capitaliste sert le bien commun) » [Boltanski et Chiapello, 1999, p. 45].
  • [12]
    Cette approche des institutions et de la dynamique économique est plurielle. Pour une sensibilité renouvelée, voir [Billaudot, 2008].
  • [13]
    Tout en acceptant le projet régulationniste dans sa substance, Billaudot (2001) propose une autre architecture centrée autour d’un rapport commercial (production/consommation) et d’un rapport financier.
  • [14]
    Et volontairement.
  • [15]
    On trouvera dans Le Bas et Forest (2008) un ensemble d’arguments montrant comment la RSE constituerait les bases d’une régulation des activités.
  • [16]
    Voire des législations du travail autorisant des abus comme le travail de jeunes enfants.
  • [17]
    Alors que « plus les dispositifs de contrôle aux mains des actionnaires se multiplient, plus les dirigeants des entreprises exploitent aux fins de leur enrichissement personnel la dépendance des entreprises à l’égard des marchés boursiers » [Aglietta et Rebérioux, 2004].
  • [18]
    Qui n’exclut pas, bien au contraire, les tensions et les crises.
  • [19]
    Certaines semblent d’ailleurs s’exonérer d’une telle obligation. Le bilan général qui est fait de la mise en place des dispositions de la loi NRE est plutôt en demi-teintes.
Français

Résumé

La RSE est devenue une thématique dominante en sciences de gestion. À la différence d’autres approches du phénomène, l’hypothèse fondatrice de ce papier est de la lire comme une institution nouvelle en cours d’émergence, d’expérimentation et de diffusion. En mobilisant trois grandes approches de l’Économie des institutions, le but est de repérer les principales logiques à l’œuvre dans le processus d’institutionnalisation de la RSE, de manière à noter ce que ces discours nous livrent en termes de prédictions concernant sa possible diffusion. Trois approches des institutions économiques sont ici mobilisées : la théorie évolutionniste moderne, la théorie des conventions et la théorie de la régulation, chacune éclairant une partie du processus d’institutionnalisation. Alors que la théorie évolutionniste donne à voir l’institutionnalisation plutôt comme un processus « écologique », l’économie des conventions et la théorie de la régulation insistent elles sur ses dimensions politiques. Cette différence de lecture les conduit à diverger sur les conditions à satisfaire pour que la RSE puisse s’institutionnaliser.

Mots-clés

  • RSE
  • institutionnalisation
  • théorie évolutionniste
  • économie des conventions
  • théorie de la régulation

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Mis en ligne sur Cairn.info le 12/11/2009
https://doi.org/10.3917/rfse.004.0083
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