1La Responsabilité sociale des entreprises est définie de façon courante, en se référant au livre vert de la Commission européenne [2], comme l’intégration volontaire des préoccupations sociales et écologiques des entreprises à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes. On considère également que cette notion traduit l’application microéconomique du concept de développement durable impliquant une responsabilité : sociale, environnementale et économique. La Responsabilité sociale des entreprises (RSE) peut être considérée de multiples façons d’un point de vue positif ou normatif. Du point de vue normatif, que je privilégierai dans un premier temps pour établir une typologie sommaire, on peut affirmer que les appréciations du concept se situent sur un continuum allant d’une vision instrumentale et stratégique jusqu’à une vision altruiste et socialement bienveillante. La première conception considère la RSE comme un outil au service de la stratégie de la firme cherchant, par exemple, une différenciation « qualitative » de ses produits par un « signal » de « qualité » (l’engagement dans une démarche « responsable »), il ne s’agit donc pas d’un engagement moral ou éthique mais plus simplement d’une logique utilitaire fondée sur la recherche de rentes et la maximisation du profit. La seconde conception polaire voit dans la RSE une forme de « don » de l’entreprise à la société puisque celle-ci, volontairement, chercherait à aller au-delà des préconisations légales en vigueur et à s’imposer des normes plus contraignantes dans le souci du bien commun. Ces deux conceptions simplificatrices, mettent en évidence le caractère multiforme du phénomène et rendent difficile une recension exempte d’un certain dogmatisme, souvent lié à une conception restrictive de l’action et de l’acteur, qu’il soit individuel ou collectif. Il me semble en effet que de nombreuses approches prennent en compte un acteur (la firme) déjà institué, avec une identité bien définie, doté de préférences figées et dont les actions ne font que refléter l’actualisation. On aboutit ainsi à des visions typologiques qui rendent mal compte de la réalité. Les points de vue normatifs doivent en particulier être nuancés à l’aune de la diversité des pratiques observées.
2Dans cet article je propose une lecture transactionnelle de la RSE issue de la philosophie pragmatique américaine, en particulier des travaux de J. Dewey et G.H. Mead. Cette approche pragmatique/transactionnelle a toujours refusé de séparer les aspects normatifs et positifs en mettant l’action au centre de l’analyse. En renouvelant la conception de l’action et de la socialité, l’approche transactionnelle me semble pertinente pour mettre en évidence certains enjeux de la RSE dans l’espace social. Parmi les incarnations diverses de la RSE, la production de chartes ou de codes et les accords entre des firmes et des ONG ou des associations voire des collectivités publiques, par exemple autour de dimensions éthiques, me semblent plus particulièrement réclamer attention du fait de leur prégnance grandissante dans l’espace public et des négociations qu’elles impliquent. Il s’agit alors d’explorer et d’expliciter les éléments se situant en filigrane d’une acception courante de la mise en œuvre de la RSE via un dialogue entre la firme et ses parties prenantes [Capron et Quairel-Lanoizelée, 2007, p. 50]. Je montrerai que l’approche transactionnelle, en insistant sur les dimensions communicationnelles de l’action, permet d’appréhender les phénomènes de mise en perspectives et de négociation qui sous-tendent les démarches de RSE, celles-ci impliquant – à des degrés divers – la prise en compte des « parties prenantes » ou des « partenaires » (stakeholders) [3]. Cette approche trouve un écho dans le champ de la théorie économique : elle correspond en effet aux fondements de l’approche développée par J.R. Commons faisant de la transaction l’unité principale d’analyse et soulignant la nécessité d’intégrer une nouvelle conception de l’action humaine [Commons, 1931] issue des travaux de J. Dewey. Si une situation transactionnelle est définie comme problématique par les acteurs, ceux-ci s’engagent dans un processus d’enquête sociale qui implique une négociation. Ce caractère problématique peut concerner aussi bien la nature des biens échangés (que peut-on vendre ou acheter ? Quels types de produit désire-t-on échanger ?…), les conditions de leur production (les conditions de travail sont-elles acceptables ? L’environnement est-il respecté ?…), les modalités de l’échange (comment les termes de l’échange sont-ils définis ? Comment le surplus est-il réparti ?…). Par exemple, les négociations entre Wal-Mart et Seventh Generation, un fabricant de produits ménagers « verts », répondent bien à cette logique et ont conduit Seventh Generation à refuser de devenir le sous-traitant principal de produits « verts » de Wal-Mart, essentiellement pour des raisons de nature « morale » [4]. La transaction peut alors être définie, suivant Commons, comme une situation de négociation entre volontés conflictuelles. Il s’agit en particulier de redéfinir les règles opérantes. Les aspects relationnels et communicationnels des transactions deviennent alors des objets d’analyse centraux. Ainsi, si on reprend le cas Wal-Mart/Seventh Generation, le processus de négociation entre les deux firmes a contribué à changer la stratégie de Wal-Mart et sa perception de Seventh Generation. Les acteurs ne demeurent donc pas inchangés car ils sont obligés, dans le cours des négociations, de prendre en compte le point de vue des autres.
3En insistant sur les aspects communicationnels, le modèle transactionnel de l’action me semble également particulièrement apte à prendre en compte les phénomènes de structuration des espaces rhétoriques [Code, 1995] qui se font jour dans le cas de la RSE. Les chartes, codes de conduites, règles de reporting… peuvent ainsi apparaître comme des mises en forme de grammaires sociales [Painter-Morland, 2006] élaborées via des processus discursifs. Dans ce cadre, il s’agit de négocier la réalité et de structurer et restructurer les espaces rhétoriques, ce qui implique le conflit. On voit bien, si on prend le cas du commerce équitable [Le Velly, 2006], souvent pris comme exemple d’une démarche « responsable » et « éthique », que la structuration de ce champ met en scène des relations de dépendance (pour se développer et remplir ses idéaux le secteur doit passer des accords avec des distributeurs ; les distributeurs, par exemple des grandes surfaces, pour des raisons d’image et de profitabilité, se doivent de ne pas délaisser ce champ) et de conflit (au sein du champ, certains comme Artisans du monde ou Minga refusent la distribution en grande surface pour des raisons éthiques). Les aspects de « dépendance » et de « conflit » qui structurent le champ de la RSE méritent ainsi d’être approfondis.
4Dans cet article je développerai ainsi successivement la conception transactionnelle de l’action et de l’acteur (I) qui amène à une approche communicationnelle et perspectiviste de la formation de « sentiments moraux » ou de règles morales (II), ce qui oblige à dévoiler les processus sociaux parfois conflictuels qui sous-tendent les processus négociationnels amenant à l’élaboration de grammaires sociales (III). Dans une large mesure, il s’agit d’expliciter dans le cas de la RSE les trois relations sociales fondamentales qui sous-tendent les transactions chez J.R. Commons : la dépendance, le conflit et l’ordre [Commons, 1934].
1 – Une approche transactionnelle de l’action
5Appréhender la RSE amène à considérer la firme comme une unité multi-fonctionnelle, pluraliste et légitimée produisant une valeur ajoutée et remplissant des fonctions socio-économiques diversifiées pour différents partenaires [5].
- La multi-fonctionnalité renvoie au fait que l’entreprise se voit investie de missions allant au delà de la simple production de biens et services en raison des attentes diversifiées des parties prenantes (citoyens, associations, collectivités publiques, ONG…). Par exemple, des élus politiques pourront souhaiter que des firmes s’implantant sur leur territoire respectent des critères en matière d’emploi ou de conditions de travail, qu’elles participent à la dynamique du territoire, qu’elles s’engagent dans des instances consultatives ou décisionnaires… Des associations liées à l’environnement attendront qu’elles s’engagent sur des pratiques respectueuses de l’environnement…
- Le pluralisme désigne, d’une part, le fait qu’une firme n’est pas un individu dont l’identité serait bien définie, mais un collectif traversé par des lignes de fracture, des visions contradictoires… et qui est toujours en train de se construire et de se définir. Dans le cas de Seventh Generation, l’accord envisagé avec Wal-Mart a suscité des débats internes eu égard aux valeurs environnementales et sociales définissant la firme, il s’est agi de s’identifier et de porter un jugement collectif plutôt que de prendre une décision individuelle déléguée au seul chef d’entreprise [6]. La pluralité matérialise, d’autre part, la pluralité des formes d’entreprises, trop souvent approximées par un singulier (« la » firme). Quoi de commun entre de grandes firmes s’engageant dans un processus d’institution du social via la production normative (on peut penser par exemple aux plus grandes entreprises françaises engagées dans la Global Reporting Initiative) et des PME ou TPE largement majoritaires dans la structure économique française ? Ou encore entre des entreprises de l’économie sociale et solidaire et des grandes surfaces ? Les acteurs du champ de la RSE sont également très diversifiés : associations, ONG… Cette pluralité renvoie évidemment à des formes très différenciées d’articulation avec l’espace public et à des modalités d’institutionnalisation divergentes de la RSE.
- La légitimité renvoie au fait que les activités des firmes doivent êtres justifiées et articulées vis-à-vis de dispositifs de justification s’inscrivant dans des ordres différenciés et parfois contradictoires et conflictuels, par exemple l’ordre économique et l’ordre moral ou encore l’ordre économique et l’ordre écologique [7]. Cela montre que la RSE et l’approche partenariale de la firme mettent en scène la construction sociale, nécessairement inachevée, de compromis entre les voix plurielles émanant des diverses parties prenantes [Renou et Renault, 2007]. Ces voix plurielles manifestent à la fois la dépendance – l’entreprise a besoin d’un certain modus vivendi avec son environnement, ne serait-ce qu’avec ses clients – mais aussi le conflit, car les attentes vis-à-vis d’elles (ou les missions dont on les investit) ne sont pas forcément cohérentes. La RSE met donc en scène des acteurs et des logiques souvent contradictoires, du moins si on les considère dans une perspective interactionnelle au sens de J. Dewey et A. Bentley [1949] qui suppose des acteurs déjà constitués aux intérêts bien définis, ce qui est loin d’être évident. D’une certaine façon, on retrouve la distinction largement évoquée par J. Dewey entre les noms et les verbes : responsabilité est un nom qui suppose quelque chose de bien défini, responsabiliser est un verbe qui renvoie au processus continu de définition de la responsabilité [8]. Il me semble ainsi que la RSE répond à un modèle de négociation et non à une seule logique de gouvernance ou de décision individuelle [Venkatamaran, 2002 ; Painter-Morland, 2006].
1.1 – Une approche renouvelée de l’action et de l’acteur
6L’un des traits distinctifs de l’approche pragmatique est de rompre avec un ensemble de dualismes issus de l’analyse cartésienne de la réalité humaine et sociale ainsi qu’avec la notion de raison suffisante qui lui est associée [Renault, 1992 ; Renou et Renault, 2007] [9]. Cette dernière réfléchit en effet le monde pour en dévoiler les vérités et les lois universelles, ce qui renvoie à une conception « spectatrice » de la connaissance [10]. Pour le pragmatisme, il n’y a pas de réalité transcendante coupée de l’expérience vécue des individus. Ce que nous considérons comme des vérités sont en fait des « assertions garanties », c’est-à-dire ce sur quoi nous sommes d’accord à un moment donné, résultat de ce que Dewey appelle l’enquête sociale [11]. Le pragmatisme reconnaît qu’il existe une pluralité de descriptions du monde et que chercher la plus vraie est une mauvaise démarche, il faut au contraire considérer l’utilité qu’elles peuvent revêtir pour tel ou tel projet d’action [Demeestère, 2005, p. 104]. De même, les agents agissent au sein de « situations » [12], qui ne peuvent être considérées comme données et qui doivent être définies ; cela implique de prendre en compte les systèmes interprétatifs et les actions entreprises pour définir une situation. Dans ce cadre, la réflexion est indissociable de l’action qui implique la mobilisation de ressources, le dialogue avec les parties prenantes d’une situation, l’activation de supports techniques ou documentaires (documentations, chartes, procédures…) [Journé et Raulet-Croset, 2005, p. 8]. Cette centralité de l’activité humaine conduit alors à appréhender comme indissociables la connaissance, l’action et les transactions avec la réalité.
7Le pragmatisme refuse de considérer qu’il existe des entités fixes, isolées et déjà constituées, et postule un individu intrinsèquement social. Il s’agit là d’un rejet explicite de l’individualisme atomistique qui sous-tend de nombreuses approches [Buchholtz et Rosenthal, 2005 ; Beji-Bécheur et Bensebaa, 2008]. L’individu et les groupes sociaux vivent dans un monde peuplé, un monde interactif et intersubjectif qui ne contient pas que l’individu mais également d’autres individus ou entités [Goldstein, 2007, p. 76]. Cette socialité nécessite en particulier, comme l’avait souligné G.H. Mead [1936], que l’individu soit doté de la capacité de se mettre à la place de l’autre, d’adopter les perspectives et les points de vue de l’autre. Cette capacité est fondamentale dans les processus d’individuation et fonde également les processus institutionnels : elle peut en effet générer un système d’attentes réciproques, constitutif de toute institution [Renault, 2004]. Cependant, l’approche de Mead ne se limite pas à la seule univocité de l’acteur se plaçant dans la perspective des autres, les acteurs peuvent aussi modifier la façon dont les autres les voient [King-To Yeung et Martin, 2003]. Les comportements moraux découlent de cette mise en perspectives. R.A. Buchholtz et S.B. Rosenthal [2005, p. 142] soulignent ainsi qu’avoir un « soi » (self) correspond à l’aptitude particulière de prendre en compte le comportement et les attentes des autres, l’origine du soi étant fondamentalement intersubjective. Les acteurs sont donc incomplets et les processus sociaux contribuent à pallier cette incomplétude, à instituer les individus en tant que « soi » (subjectivation). Cette conception méthodologique générale est pertinente pour des agents collectifs, les firmes en particulier, qui ont aussi à définir leur identité [Beji-Bécheur et Bensebaa, 2008, p. 182]. Toute firme présente ainsi des dimensions institutionnelles qui relèvent d’un processus d’institutionnalisation au sens de Mead, cela permet de les appréhender comme des agents collectifs, des « going concerns » au sens de Commons [13].
8Pour J. Dewey et A. Bentley [1973 (1949), p. 185], contrairement aux approches économiques usuelles qui considèrent des agents déjà constitués et des préférences déjà formées, l’approche transactionnelle considère que, par le processus d’échange, les agents subissent des changements par lesquels ils acquièrent (et/ou perdent) certaines capacités ou connexions relationnelles. L’approche transactionnelle met ainsi en avant la communication et ne la considère pas comme une simple caractéristique humaine parmi d’autres, mais en tire les conséquences pour l’action. En ce sens, la démarche transactionnelle ne s’intéresse pas simplement à l’agrégation des préférences ou des choix mais à la transformation de ces préférences par l’intermédiaire des processus communicationnels [Van Aaken, 2002, p. 369]. Cette perspective me semble particulièrement pertinente en ce qui concerne la RSE. Quelles que soient les motivations initiales qui font qu’une firme s’engage dans une démarche de RSE, celle-ci implique que la firme (ou plus exactement les individus parlant et agissant en son nom) se mette à la place des autres pour prendre en compte leurs attentes et y répondre. En ce sens, l’acteur (ou l’agent selon que l’on considère l’individu ou la firme) ne demeure pas inchangé au cours de ce processus : il y a bien au sens propre transaction. La moralité peut alors être considérée non comme conformité à des règles ou des normes préétablies, mais comme un résultat émergent du processus social [Painter-Morland, 2006].
1.2 – Des perspectives à la moralité
9Une telle approche fait écho aux propos de J.R. Commons quand il parlait d’une psychologie négociationnelle requérant que l’on imagine ce que les acteurs ont anticipé quand ils ont agi [Albert et Ramstad, 1997, 1999 ; Renault 1997, 1999]. Cette logique d’action met l’accent sur la construction du raisonnable par opposition à la seule considération du rationnel.
10Ce point mérite d’être explicité et renvoie à la perspective transactionnelle. Celle-ci refuse les dualismes et la conception de règles fixes existant indépendamment des processus au sein desquels l’action prend forme. Le rationnel renvoie, comme le soulignait Commons [1934, p. 748], à la « théorie » et est issu de philosophies présumant, par exemple, que l’on puisse concevoir des individus absolument libres dont la composition des actions amène à une harmonie des intérêts. Pour l’approche transactionnelle, se limiter à cela fait perdre de vue que la réalité quotidienne des transactions est éloignée de cet ordre de choses abstrait. Le raisonnable est ce qui se construit jour après jour dans le cadre des transactions mettant en scène des relations de conflit et de dépendance entre acteurs qui nécessitent d’être réglées pour que les transactions puissent avoir lieu. L’objet des règles opérantes est ainsi, pour un moment donné, d’assurer la conformité des actions individuelles avec l’action collective [Commons 1934, p. 681]. Pour Commons, rendre le capitalisme « raisonnable » supposait la mise en œuvre de règles contredisant, ou contrecarrant, le principe dominant de l’absence de sentiment d’obligation [Bazzoli et Kirat, 2008, p. 21]. Se borner à n’appréhender que le seul rationnel reviendrait à penser que l’on puisse concevoir in abstracto des règles qui ne feraient que s’appliquer en oubliant qu’elles s’interprètent. La psychologie transactionnelle ou « négociationnelle » [14] que Commons appelait de ses vœux avait pour objet d’appréhender ces phénomènes et de construire une approche de l’action éloignée des philosophies mécanistes.
11Dans cette logique, la théorie des perspectives de G.H. Mead permet d’appréhender de façon plus fine la complexité des relations qui existent au sein des systèmes sociaux et la détermination des comportements des acteurs [15]. Selon Mead, la clé de la compréhension des événements réside dans les idées de processus, d’interaction et de socialité et, au-delà encore, dans la capacité de se placer dans la perspective de l’autre ou des autres. C’est ce qui a pu être appelé le perspectivisme de Mead. On peut définir une perspective de façon simple, à la suite de J. Martin [2005, p. 231], comme une représentation conceptuelle et perceptuelle d’une situation, contingente à une vision de la façon d’agir au sein de cette situation. Cela correspond à la conception générale de l’action développée plus haut puisque l’action est toujours reliée à une situation définie comme « problématique ». On peut rappeler que pour Commons ce n’est que lorsqu’une situation est définie comme problématique que l’action se déploie et que de nouvelles significations et interprétations sont recherchées, au-delà des hypothèses habituelles [Commons, 1934, p. 698]. Dans l’optique de Mead, la réalité est perspectiviste dans la mesure où tous les phénomènes émergent dans le cadre de la relation des entités et de leur environnement. Les perspectives sont indissociables de l’action et autorisent des formes d’action d’une complexité croissante.
12Le processus d’individuation chez Mead repose largement sur la capacité de se « placer dans la perspective des autres » [16], la définition de son individualité par un acteur passe par la capacité progressivement acquise de se considérer lui-même comme un objet. Pour Mead, cela est réalisé en prenant les attitudes des autres envers soi-même au sein d’un ensemble organisé de relations sociales [Mead, 1934, p. 225]. La formation de l’individu socialisé est référée à un processus qui voit l’individu progressivement se former une image de ce qui est attendu de lui dans telles ou telles circonstances et, chez Mead, l’autrui généralisé matérialise les normes comportementales en vigueur dans une société ou un groupe social donné à un moment donné [17]. Ainsi, l’acteur n’agit pas seulement dans le cadre de sa propre perspective mais aussi dans la perspective des autres et particulièrement dans la perspective commune d’un groupe via l’autrui généralisé [Mead, 2002 (1932), p. 174]. Le fait que l’individu est « social » est ainsi explicité chez Mead, la socialité renvoie en effet à la capacité de se placer dans plusieurs perspectives différentes à la fois, ou encore d’être plusieurs individus ou entités à la fois [Joas, 1985, p. 112]. Par l’intermédiaire de l’autrui généralisé, la communauté exerce un « contrôle » sur l’individu, ce qui est caractéristique des phénomènes institutionnels [18]. Ce qui crée les devoirs, les droits, les coutumes, les lois et les institutions variées de la société humaine est la capacité de l’individu d’assumer l’attitude organisée de la communauté envers lui-même aussi bien qu’envers les autres [Mead, 1936, p. 625]. Le perspectivisme offre donc une approche des phénomènes institutionnels qui me semble pertinente pour appréhender la RSE. La conception de la moralité qui émerge est en effet relationnelle et intrinsèque, comme le soulignent D. Wilson et W. Dixon [2008, p. 259].
13Même si le perspectivisme concerne initialement des individus, il a été étendu par Mead lui-même à des entités collectives, des groupes ou des associations. Dans ce cadre, la communication constitue le phénomène fondamental sous-jacent à la socialité. Pour J. Martin [2005, p. 238], le monde naturel et social consiste en une multiplicité de perspectives dont l’une ou l’autre peut entrer dans le champ d’action d’un organisme, et c’est par la capacité de « mise en perspectives » que l’organisme peut faire face à la nouveauté. Parce que les êtres humains sont sociaux, la mise en perspective peut être élargie par la communication avec les autres. Les processus de socialisation qui sous-tendent l’institution des individus en tant que membres de multiples collectifs génèrent autant d’« autruis » généralisés ; en ce sens les individus dotés d’un « esprit institutionnalisé » peuvent se placer dans la perspective des autres, en leur nom propre, mais aussi au nom du collectif. Le perspectivisme ne met donc pas en scène que des dimensions individuelles mais également des dimensions collectives. Envisager la RSE sous cet angle me paraît offrir un point de vue original et permettre de formuler un cadre analytique éclairant certains aspects des processus en cause.
14Les organisations ou les entreprises sont en effet quotidiennement confrontées et exposées à l’expérience des « autres », à une multiplicité d’autruis généralisés, dont elles sont amenées à partager de façon sérielle et simultanée les perspectives. Comme le disaient Commons et Dewey, ce phénomène est intrinsèque aux phénomènes économiques puisque, a minima, le vendeur et l’acheteur ne se définissent en tant que tels que par rapport à une situation, par rapport à une représentation de l’autre et par rapport à ce que Mead appelait une « attente de comportement généralisé ». Il y a donc bien au sens propre une « mise en perspectives » dans le cadre des transactions sociales [19]. La formulation d’orientations stratégiques par des firmes implique également une mise en perspectives, au sens où cela a été défini. Cela renvoie aussi au fait que le processus social, qui irrigue les processus économiques, est un processus éducatif. En effet, la confrontation permanente aux autres individus ou entités sociales, amène à participer, au moins par substitution, à des perspectives qui constituent des formes d’action qui n’ont pas été expérimentées et ne font pas partie du répertoire usuel [Martin, 2005, p. 241]. Les démarches de RSE impliquent toujours une mise en perspectives qui ne laisse pas les acteurs d’un tel processus inchangés. Pour proposer des produits « santé » à des prix abordables dans le cadre d’une situation sociale spécifique, par exemple, Danone Pologne s’est engagé dans un dialogue avec des parties prenantes multiples, dialogue qui a généré un apprentissage et n’a pas laissé la firme inchangée. Il y a un ajustement mutuel continu des perspectives qui n’est ni une assimilation des perspectives les unes aux autres ni une fusion des perspectives en une seule, mais qui peut être défini comme une « accommodation » [Buchholtz et Rosenthal, 2005, p. 143], par l’intermédiaire de laquelle chaque acteur est affecté de façon créative par l’autre et affecte l’autre. Ce fait, souvent négligé par de nombreuses approches, amène à faire naître des sentiments moraux. Les firmes, via les démarches de RSE, participent donc d’un processus éducatif, puisqu’en mettant leur action et les situations en perspectives elles font émerger une forme de moralité liée à la prise en compte des attentes des autres acteurs, parties prenantes à une situation. Cela renvoie également au fait que la notion de « situation » permet de prendre en compte des collectifs qui ne correspondent pas aux catégories usuelles et qui vont au-delà des organisations [Journé et Raulet-Croset, 2005, p. 12]. Ce processus éducatif consiste à trouver de nouvelles significations éthiques, de nouveaux intérêts, de nouvelles interprétations… dans la situation et constitue ainsi un processus qui reconstruit la situation et l’identité de l’acteur [Handel, 2003, p. 151]. Un tel processus ne peut donc être neutre.
15La conception de la moralité qui émerge du perspectivisme met en scène des acteurs qui cherchent moins la conformité à des normes morales préexistantes que la détermination conjointe, via des processus communicationnels, d’accords dans l’action et la production de normes ou de règles n’ayant pas, au moins en première analyse, la prétention d’être généralisables. Il s’agit donc de moraliser [20] au sens où la distinction entre verbes et noms évoquée plus haut matérialise bien cette logique processuelle. Cela ne se déroule pas dans un vide institutionnel : les normes juridiques ou comportementales existantes sont toujours en filigrane et contribuent à canaliser les actions. Les acteurs se réfèrent, dans le cours de l’action, à des grammaires de justification de nature différente, qui renvoient au pluralisme déjà évoqué. La dépendance, conjointement avec les prétentions concurrentes et potentiellement conflictuelles, nécessite une mise en ordre des transactions et une « accommodation » des justifications. Cela amène à « prêter attention à la manière dont les différents acteurs s’accordent sur des règles communes » [Postel et Rousseau, 2008, p. 139] et les processus discursifs revêtent alors une grande importance.
16En mettant l’accent sur la nécessaire coopération impliquée par l’action sociale, la conception transactionnelle me semble ainsi bien armée pour appréhender le champ de la RSE. Le langage et la communication sont des instances fondamentales du processus de mise en perspectives.
1.3 – Les transactions comme processus de communication
17Les transactions constituent un processus de communication qui peut être défini plus précisément [Renault, 1999, 2004] :
- chaque transaction met en scène la résolution d’un problème de coordination d’agents qui sont dans une situation de dépendance mutuelle afin de réaliser des buts communs ou interdépendants. Dans le cas de la RSE, les parties prenantes sont dans une situation de dépendance mutuelle autour d’une situation considérée comme problématique.
- une transaction entreprise afin d’atteindre ces buts constitue un processus communicationnel qui repose sur la triple réciprocité des perspectives, des motivations et des images. La réciprocité désigne le fait que l’action d’un acteur est toujours connectée avec l’action d’un autre acteur dans un processus social. Elle implique :
- la réciprocité des motivations qui signifie que les fins poursuivies par chaque individu (ou groupe) sont interdépendantes et que les actions sont connectées. Par exemple en matière de commerce équitable, la volonté de reconfiguration de l’espace marchand par certains agents « militants » est connectée avec l’objectif de profit recherché par certaine firmes cherchant à se positionner sur ce champ.
- la réciprocité des perspectives qui permet aux participants dans la transaction de croire qu’ils sont en mesure de coordonner leurs interprétations ou définitions de la situation dans le cadre d’un savoir social commun ; nous sommes ici renvoyés au perspectivisme de Mead et à la recherche de coordination impliquée par l’action. Sans cela, aucun dialogue ne serait possible. Cela ne signifie cependant en aucun cas que l’on débouche systématiquement sur une définition commune ou sur un accord.
- la réciprocité des images qui désigne la similarité ou au moins la compatibilité, de la définition de la situation ou du monde social des agents [Bange, 1992]. Ainsi, quand une firme allemande [21] est retenue pour fournir des revêtements anti-graffitis pour le mémorial de l’Holocauste, ceux qui lui rappellent son implication avec le régime nazi lors de la Seconde Guerre mondiale présupposent une réciprocité des images concernant la nature de l’Holocauste et le jugement qui s’y applique.
18La réciprocité des images mérite d’être précisée et renvoie à des intuitions intéressantes de K. Boulding. Pour lui, les agents agissent sur la base d’images [22] dont le rôle fondamental est de définir le monde [Samuels, 1997, p. 311]. Les transactions sont encastrées dans un processus d’imagination qui implique des jugements de valeur [Boulding, 1997, p. 11] c’est-à-dire tout ce qui se réfère à des définitions de ce qui est meilleur ou pire, bien ou mauvais… eu égard à une situation définie comme problématique et impliquant une coordination minimale des actions. La RSE comme processus mettant en scène des transactions entre des firmes et des parties prenantes, si l’on admet cette simplification, est le théâtre de phénomènes de ce type. On peut alors s’interroger sur la formation de ces perceptions, préférences, jugements de valeurs, ainsi que sur l’influence des autres dans ce processus. K. Boulding, comme G.H. Mead, met en avant le fait que les agents communiquent via des symboles signifiants véhiculés, par exemple, par des supports documentaires de nature diverse aussi bien que par des conversations en face à face. Selon lui, c’est par la communication que les images sont formées et se modifient [Boulding, 1997, p. 44 ; Samuels, 1997, p. 317]. Certaines images deviennent « publiques » à partir du moment où elles sont partagées par les agents composant une collectivité, c’est-à-dire à partir du moment où une image a été transmise et partagée. K. Boulding insistait également sur le fait qu’il n’y a pas à un moment donné qu’une image publique mais une multiplicité, autant qu’il y a de groupes partageant une image commune. Il y a, par exemple, plusieurs images publiques du commerce équitable.
19Dans ce cadre la coordination et la mise en compatibilité mutuelle (accommodation) des actions des agents est atteint par un processus de modification mutuelle des images au cours des processus communicationnels [Boulding, 1997, p. 103]. Cependant cette mise en compatibilité n’est jamais totale et définitive et les images, en particulier en matière de comportement « moral » ou « responsable », demeurent diversifiées et potentiellement conflictuelles. Cela implique de prendre en compte l’émergence, ce que Mead appelait un univers de discours qui est le medium des processus sociaux [Mead, 1934, p. 260] [23]. Les processus dialogiques ne peuvent jamais être considérés comme ayant une fin et les accords dans l’action sont toujours provisoires et soumis à de nouvelles interprétations.
2 – Une approche communicationnelle de la RSE comme Grammaire sociale
20L’approche transactionnelle de l’action met l’accent sur la communication qui amène à la formation de grammaires sociales partagées qui servent de référentiel à l’action, en particulier de référentiel moral. Cela correspond aussi à l’ordre évoqué par Commons. Ces éléments méritent d’être précisés analytiquement et développés dans le cas de la RSE.
Transactions communicationnelles et voyage conversationnel
21Une grammaire sociale peut être définie, à la suite de L. Wittgenstein, comme un réseau de significations socialement construites qui informe chacun et sans lequel aucun individu, entité ou mot ne peut avoir de sens [Painter-Morland, 2006, p. 352]. Cela matérialise également les dimensions institutionnelles qui participent à la définition des situations. Au cœur des processus conduisant à l’élaboration de grammaires sociales résident ainsi des transactions communicationnelles [24] qui désignent : des transactions entre acteurs cognitivement interdépendants qui leur permettent de générer une définition commune d’une situation particulière et de créer de nouvelles significations et anticipations inter-subjectivement partagées dans le but de réduire leur incertitude mutuelle et d’orienter leur activité. Les transactions communicationnelles peuvent être médiatisées et supportées par des symboles ou des artefacts tels des contrats, des chartes, des codes… La multiplication des chartes, codes de conduites, normes, etc., qui constitue l’un des faits stylisés majeurs de la RSE peut donc être abordée par cette grille de lecture.
22Ce qui est véhiculé par l’intermédiaire des transactions, ce ne sont pas simplement des biens matériels mais de la (re)connaissance, des signes, des symboles… qui génèrent un apprentissage mutuel et produisent des agents moraux. Un produit important des transactions communicationnelles est donc de contribuer à résoudre trois problèmes usuels [Cosgel, 2005] :
- le problème de l’alignement ou de la mise en compatibilité des intérêts, des définitions et des perspectives. Les processus communicationnels permettent de se mettre à la place de l’autre, de comprendre ses intérêts et motivations et ainsi d’accommoder ses intérêts en développant le sens d’un présent partagé et d’un futur commun, d’une anticipation de transactions bénéfiques [25], selon les termes de Commons. Le processus de définition commune de la situation est une composante de cette mise en compatibilité. La RSE répond à ce processus.
- Le problème de la « dispersion de la connaissance ». Chaque individu ou groupe possède des connaissances subjectives qu’il faut communiquer, faire comprendre, si on veut mener une action collective, coordonner des actions. L’action communicationnelle permet de créer une « connaissance commune » aux différents partenaires. La RSE, envisagée comme une institution [Dupuis et Le Bas, 2005] [26], permet de fournir au sens d’A. Smith une grammaire sociale.
- le problème de l’identité. L’institution marchande génère des dualismes qui sous-tendent les modalités de consommation et de production (moyens/fins, matrice biologique/matrice culturelle, sujets/objets, gaspillage/économie…). La question de l’identité renvoie alors à la mise en compatibilité des comportements et des valeurs ainsi qu’au processus d’individuation qui se produit via les processus communicationnels [27]. Cela suppose qu’on ne considère pas des agents déjà institués et dotés de préférences fixées mais comme perpétuellement en cours d’individuation et de subjectivation. Ici encore la RSE contribue à (re)définir l’identité des firmes, via la mise en perspectives qu’elle impose.
- des dimensions cognitives : qui se réfèrent aux codes et langages partagés, aux représentations et valeurs communes, à la construction de l’identité, aux processus permettant de développer le sens d’un présent partagé et d’un futur commun possible… Elles sont essentielles si les acteurs veulent se comprendre. Ces dimensions cognitives participent aux processus de construction sociale d’un nous et il me semble que c’est ce qu’a cherché à appréhender l’École de l’économie des conventions, en particulier si on interprète les conventions comme un modèle formel d’ordre négocié [Handel, 2003, p. 135] [28]. Le passage du « je » au « nous » est un enjeu majeur des processus de RSE et de la transformation du capitalisme en ordre raisonnable ; nous verrons plus loin que cela ne va pas de soi, ce qu’avait bien saisi Commons [Bazzoli et Kirat, 2008].
- des dimensions relationnelles : qui renvoient aux modalités émotionnelles, affectives… impliquées dans les transactions. Cet aspect mobilise les processus de construction sociale de la confiance, de génération d’obligations mutuelles, de référentiels moraux (dévouement, loyauté, respect, etc.). Ces dimensions matérialisent un processus éducatif qui contribue à la construction de l’identité sociale de l’individu ou de l’organisation et renvoie au soi évoqué par G.H. Mead ou aux individus moraux d’A. Smith.
- des dimensions structurelles : qui renvoient aux modalités institutionnelles d’organisation des réseaux d’échange et de communication (droits de propriété, appareillage juridique…), aux modalités de définition des frontières du réseau (dedans/dehors, définition des participants…) et d’inclusion dans ces réseaux… Cela renvoie plus spécifiquement à l’aspect grammaire qui implique une structuration forte des transactions. C’est le cas, par exemple, du champ d’application des chartes de RSE et de leur degré d’opposabilité.
Une perspective transactionnelle des modalités de dialogue entre parties prenantes (adaptée de Calton et Payne [2003])

Une perspective transactionnelle des modalités de dialogue entre parties prenantes (adaptée de Calton et Payne [2003])
23Sur ce schéma, l’axe vertical met en scène le degré de consensus entre les différentes parties prenantes (conformité ou non-conformité avec l’ordre établi, la grammaire sociale), l’axe horizontal retrace le caractère local ou global des problèmes traités, des solutions apportées et des processus de construction du sens [29]. Les approches en termes de gouvernance se positionnent essentiellement dans le quadrant I pour ce qui concerne les conditions optimales d’attribution des droits de propriété et/ou de partage du surplus, le respect de règles éthiques, le respect de principes liés à l’environnement… Il s’agit d’établir des principes généraux ayant une portée universelle. L’idée ici serait pour la RSE de produire un référentiel universel, dans une certaine mesure l’idée d’un référentiel ISO pour la RSE procède de cette logique. Les autres quadrants mettent aussi en scène des situations stylisées. Le quadrant II retrace des situations dans lesquelles des acteurs locaux ayant des prétentions diversifiées (par exemple des agriculteurs et des associations liées à l’environnement) mais partageant une même finalité située (le maintien de la ressource en eau), cherchent à parvenir à un accord. Le quadrant III retrace le cas d’acteurs n’ayant pas de finalités qui soient réductibles à un dénominateur commun et se situant dans des ordres de discours a priori séparés (économique d’une part et écologique d’autre part), mais qui cherchent localement à établir un modus vivendi (des écologistes et une firme polluante par exemple). Le quadrant IV retrace le cas d’acteurs n’ayant pas de finalités qui soient réductibles à un dénominateur commun, mais qui cherchent à établir des règles ou des propositions de validité globale pour résoudre les problèmes (par exemple l’engagement dans des procédures de type agendas 21, des protocoles type « Kyoto », des chartes de portée générale…). Les situations concrètes renvoient alors à un voyage (les flèches au centre) entre ces différents quadrants mettant en jeu des transactions communicationnelles [30].
24Ainsi, les énoncés moraux sont soumis à une définition et à une évaluation intersubjective via le processus d’enquête délibératif se produisant lorsque des situations problématiques se font jour. Afin de surmonter ces dernières, les acteurs se lancent dans un processus de délibération inter et/ou externe [31] au cours duquel ils vont s’instituer. Cela renvoie également au fait, souligné par Mead, que le développement moral consiste à trouver de nouvelles interprétations, de nouvelles significations, de nouveaux intérêts… dans le cadre d’une situation problématique. Il s’agit alors d’un processus de reconstruction de la situation aussi bien que de redéfinition des acteurs ou entités concernés par la situation.
3 – Négocier la réalité : structurer des espaces rhétoriques
25Le modèle d’action transactionnel implique que, pour parvenir à un compromis, les agents impliqués doivent construire, au moins temporairement, une définition commune de la situation dans laquelle ils s’insèrent. Cela met en jeu des dimensions rhétoriques impliquant des processus de persuasion, de propagande… (selon les termes de J.R. Commons). L’espace de dialogue apparaît alors comme un espace rhétorique [Code, 1995] impliquant un processus de structuration des processus communicationnels [32] qui n’est pas neutre et touche toutes les phases des transactions communicationnelles. La construction d’un (et l’insertion dans un) espace rhétorique se réfère à la connaissance sociale tacite et aux impératifs structurels (hiérarchie sociale, pouvoir, définitions admises des parties prenantes…) qui structurent et circonscrivent l’expression et les modalités de communication des parties prenantes [McKie, 2003, p. 308]. Cela renvoie aussi, dans la trilogie des relations sociales sous-tendant les transactions de J.R. Commons, au conflit.
Transactions et rhétorique
26Les modalités d’expression des voix plurielles impliquées dans des transactions sont contraintes par les espaces rhétoriques. Ainsi, par exemple, les modalités de partage du surplus généré par les activités de nature économique, ce que J.R. Commons appelait des transactions de répartition, sont affectées par la définition de ces espaces rhétoriques et les négociations qui s’y déroulent. Comme le souligne I. Leroux [2002, p. 119-120], « J.R. Commons […] met en évidence l’hétérogénéité des comportements de négociation. Cette multiplicité des comportements de négociation doit alors être appréhendée comme l’hétérogénéité conflictuelle des processus de répartition, caractérisés non seulement par des intentions et des buts distincts, potentiellement conflictuels, mais aussi par des rapports de pouvoir [33] ». Ces aspects sont toujours en filigrane des démarches liées à la RSE, puisque à des degrés variables, elles mettent en cause cette répartition. Par exemple, si seules les voix des actionnaires et des managers peuvent s’exprimer, cela conduira à un partage effectif qui sera différent de celui qui se serait produit si d’autres parties prenantes (salariés, collectivités locales, associations de citoyens…) avaient pu prendre part au processus communicationnel. K. Boulding [1990] a aussi souligné la persuasion et la manipulation qui peuvent irriguer les phénomènes communicationnels amenant à la formation d’images publiques. L’aspect rhétorique renvoie également à la structuration de l’espace discursif par les acteurs. En ce sens la capacité d’argumentation et de persuasion est inégalement répartie et génère, de fait, des phénomènes de pouvoir. Le développement de mouvements divers cherchant à modifier les conditions de fonctionnement de l’économie et de ses acteurs principaux peut être interprété comme la volonté de restructurer certains espaces rhétoriques pour faire entendre de nouvelles voix [34]. Dans l’optique transactionnelle, il s’agit de mettre en actes la démocratie et non de la réduire à un processus institutionnel particulier qui ferait du vote une simple alternative au système des prix. Selon Mead, la démocratie, via la participation et le dialogue, mais aussi le conflit médiatisé, permet un degré plus élevé de mise en perspectives et conduit à une meilleure adaptation sociale [Martin, 2005, p. 250]. Cela n’implique pas une vision naïve du dialogue amenant à une résolution de tous les conflits dans une logique d’engagement mutuel et de réciprocité. Les acteurs ont des intérêts à défendre et le dialogue n’est pas le consensus. Les firmes (comme les autres acteurs) cherchent ainsi à structurer les espaces rhétoriques. Et si l’accès à « une position politique et symbolique impose aux entreprises de répondre à la critique sociale, en s’engageant à réduire leurs externalités négatives (pollution, licenciements boursiers…) » [Bodet et Lamarche, 2007, p. 5], cela les amène aussi via la constitution de codes, de chartes…, qui constituent une soft law, à évincer certains acteurs ou certaines formes de négociation des espaces rhétoriques, par exemple la négociation collective [ibid., p. 11].
27Il s’agit ainsi de négocier la réalité [Friedman et Berthoin-Antal, 2005], c’est-à-dire de rendre apparentes les hypothèses et connaissances tacites des différentes parties prenantes à une transaction et de se servir de ces connaissances pour traiter et résoudre des situations problématiques ou répondre à des questions spécifiques, éventuellement en faisant prévaloir son opinion sur celle des autres. La reconnaissance des relations de dépendance implique que les firmes doivent se positionner de telle façon à ce qu’elles puissent prendre conscience de la diversité des attentes à leur égard, en particulier en matière de légitimité. Négocier la réalité implique une prise de conscience active de la part de tout acteur du caractère pluraliste de la réalité et une capacité à s’engager, avec d’autres, pour explorer les hypothèses tacites, les représentations… qui sous-tendent les comportements et les finalités. Cela implique également une certaine ouverture pour explorer des façons de penser différentes [ibid., p. 70-71]. Une telle approche impose de considérer que la connaissance est élaborée au moyen d’enquêtes dans le cadre de situations d’incertitude, ces enquêtes étant toujours situées. Il s’agit ainsi, au sens où je l’ai envisagé, d’une forme particulière de mise en perspectives dialogique reposant sur des images. Cela rend ainsi plus probable la convergence vers un sens commun et vers la coopération, mais n’exclut en rien instrumentalisation ou manipulation.
28La négociation peut en effet conduire à un accord ou un compromis et donc être « stabilisatrice », mais elle peut être aussi « déstabilisatrice » [Leroux, 2002, p. 121-122] si elle conduit à une instrumentalisation des dispositifs à des fins univoques (celles des entreprises par exemple). Les images publiques constituent un enjeu de luttes politiques. La substitution de la soft law au droit institué, en particulier sous l’égide de démarches de type RSE, peut apparaître comme une entreprise de privatisation du droit au service d’intérêts stratégiques [Salmon, 2002]. Ainsi, la définition des droits de propriété, leur répartition et la gestion des « effets externes », apparaissent en filigrane de la logique d’inclusion de parties prenantes dans l’élaboration des modalités de répartition des surplus et des coûts générés par les activités économiques. Les droits civiques, ouvrant et régulant l’accès aux espaces rhétoriques, sont donc toujours en interaction avec les droits de propriété et plus largement avec les droits sociaux. De même, la définition de la valeur et des valeurs, largement nominale, apparaît comme un enjeu de ces processus discursifs de définition et de négociation de la réalité. Les mesures ou évaluations sont contingentes aux définitions des situations problématiques, celles de la/des valeur(s) ne font pas exception [Demeestère, 2005]. Le positionnement des experts comptables, par exemple en matière de développement durable et des indicateurs comptables afférents, dans le cadre de la Global Reporting Initiative, est significatif des enjeux en termes d’évaluation qui sous-tendent des démarches de RSE. J.R. Commons soulignait ainsi que les référentiels normatifs changent par l’intermédiaire du processus graduel mais universel du discours humain qui exclut d’anciennes significations et en inclut de nouvelles pour adapter le langage aux pratiques et aux coutumes changeantes qui nécessitent le langage pour générer des accords [Commons, 1934, p. 691].
29Même si le conflit est inhérent à la constitution de nouveaux espaces rhétoriques, et le champ de la RSE en est un, il ne faut ni le sous-estimer ni le surestimer. En effet, la logique perspectiviste implique que les acteurs se placent dans la perspective de l’autre ce qui les amène non à une assimilation mais à une accommodation des perspectives fondée sur la dépendance mutuelle des acteurs. Un tel processus implique qu’on ne se limite pas seulement à une rhétorique visant à persuader, et cela à n’importe quel prix, mais impose le recours à l’argumentation qui peut être objet de débats raisonnables et impose un degré supérieur de réflexivité [Zakhem, 2008, p. 397]. La négociation ne repose pas uniquement sur le conflit mais également sur la nécessité pour des acteurs de parvenir à un accord sur une définition commune de la réalité, sur les règles et les procédures à mettre en place pour ce faire, sur les mesures que l’on peut adopter pour résoudre une situation problématique et sur la mesure de leur impact [Dillenbourg et Baker, 1996]. Le voyage conversationnel évoqué plus haut matérialise cela. Les processus liés à des démarches de RSE définissent ainsi des espaces de négociation particuliers, où il s’agit de négocier la définition d’une situation problématique, de trouver un accord sur ses dimensions, de définir les variables à prendre en compte… C’est par exemple le cas quand Carrefour « négocie » avec la Fédération internationale des droits de l’homme. Ces espaces de négociation (qui renvoient aux dimensions plus structurelles des transactions communicationnelles), comme les espaces rhétoriques, sont des enjeux de pouvoir pour les acteurs.
Conclusion
30Pour conclure il est nécessaire d’évoquer un point qui n’a été abordé que superficiellement, celui du droit et des dimensions légales de la RSE, même si je ne développerai pas très avant ces éléments, faute de place. Dans une large mesure, le développement d’une forme de soft law renvoie à une caractéristique de la société moderne qui peut être entendue comme une communauté « productrice de lois », régie par le droit qui cherche à organiser sa vie commune sur la base de lois qui reçoivent l’assentiment de tous les individus concernés [Smith, 2004, p. 321]. Cela s’inscrit également dans la perspective d’un recul de la loi de l’État à laquelle tendraient à se substituer des pratiques négociationnelles [Leroux, 2002, p. 157]. Cette émergence d’un droit négocié renvoie au pluralisme, à la multiplicité des attentes, à la complexité de l’environnement… auxquels font face les organisations et les individus et qui rendent, au moins partiellement, caduques les tentatives d’établir des règles de validité universelle dans tous les domaines de la vie sociale [35]. Cela renvoie à la conception du droit et de l’État que l’on trouve dans le cadre de l’approche transactionnelle. Ils sont considérés avant tout comme des moyens de résoudre des situations problématiques et non comme des fins en soi ou des absolus ; en ce sens l’universalisation de leurs formes est intrinsèquement problématique. En revanche, ce qui peut être éventuellement « universalisé » ce sont les procédures amenant à la constitution de règles, ce qui renvoie dans une certaine mesure à ce que Commons évoquait quand il parlait de la « méthode de la common law de faire la common law ». Il mettait alors en avant les processus dialogiques et interprétatifs qui sous-tendent la fabrication progressive, via la confrontation à des situations problématiques, de règles légales. L’aspect créatif est donc valorisé par rapport à l’aspect restrictif des normes et des règles, ce que mettait aussi en avant Dewey. De même K. Boulding [1990, p. 114] privilégiait le pouvoir « intégrateur » par rapport au « pouvoir destructeur » issu du conflit. Par l’intermédiaire de ce pouvoir intégrateur, des images publiques intersubjectives sont formées et modifiées, ce qui implique des médiations pour organiser, faciliter et légitimer les processus de résolution de conflit. L’État peut donc trouver ici un rôle important au niveau procédural. L. Bazzoli et T. Kirat [2008] ont ainsi bien montré l’importance des régulations collectives pour Commons. Cependant, insister sur les procédures implique de ne pas être naïf sur cette logique nouvelle de construction du droit conférant à l’État un rôle plus subalterne ; en effet la constitution d’espaces rhétoriques et d’espaces de négociation implique le pouvoir et son inégale répartition. Dans ce cadre, l’éthique communicationnelle issue des travaux de J. Habermas peut apporter certaines réponses procédurales en encadrant les processus communicationnels qui sous-tendent les transactions entre parties prenantes, ce qui implique une conception arbitrale et arbitrée de la négociation [Leroux, 2002 ; Postel et Rousseau, 2008].
Notes
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[1]
Je tiens à remercier Y. Renou et E. Raufflet, ainsi que les deux rapporteurs de cet article qui ont permis de mettre en évidence les limites de ce texte et d’en préciser le sens ; je demeure seul responsable sur le fond et la forme.
-
[2]
Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises, 2001.
-
[3]
La théorie des parties prenantes, lancée par Freeman [1984], fait partie des fondements théoriques de la RSE [Béji-Bécheur et Bensebaa, 2008].
-
[4]
Pour une analyse de cela voir Raufflet et Batellier [2008].
-
[5]
Définition inspirée de Burchell et Cook [2006].
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[6]
E. Raufflet et P. Batellier [2008] opposent ainsi décider individuellement à juger ensemble qui renvoie à une appréciation de la cohérence interne et externe de choix envisagés par rapport à une identité toujours en train de se définir.
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[7]
Le développement du champ de la RSE est lié à une érosion de la légitimité des firmes, en particulier la légitimité instrumentale et la légitimité cognitive selon la classification de M.Suchman [1995], ce qui implique un recours à une troisième forme de légitimité : la légitimité morale.
-
[8]
Commons soulignait également qu’un processus est décrit avec plus d’exactitude quand on substitue des verbes à des noms [1934, 513].
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[9]
Rappelons que le pragmatisme fut fondé par W. James, C.S. Peirce et J. Dewey.
-
[10]
Pour Dewey, « notre modèle de savoir suppose un spectateur qui regarde une image achevée plutôt qu’un artiste aux prises avec la production de ce tableau » [2003, p. 114].
-
[11]
Dewey [1993, p. 169] donnait la définition suivante : « L’enquête est la transformation contrôlée ou dirigée d’une situation indéterminée en une situation qui est si déterminée en ses distinctions et relations constitutives qu’elle convertit les éléments de la situation originelle en un tout unifié ».
-
[12]
Cela renvoie au fait que les définitions constituent des cadres qui sont des catégories cognitives et des outils analytiques que les acteurs utilisent pour décrire, interpréter et trier des événements, des entités… pour eux-mêmes et pour les autres afin de comprendre et de prédire leur milieu [McLean, 2008, p. 6].
-
[13]
On peut renvoyer par exemple aux travaux de De Cremer et al. [2005] qui montrent, à travers une démarche expérimentale, les phénomènes de « fusion » interpersonnelle (merging) dont les organisations sont le théâtre. Même si ce fait n’épuise pas le sujet, cela matérialise empiriquement les phénomènes sous-jacents aux processus de création de collectifs. Une entreprise, même si elle ne parle pas, est un agent organisé qui se construit une identité dans le cadre des transactions internes et externes, identité qui est partagée. Cela renvoie aussi à l’autrui généralisé de Mead.
-
[14]
Commons assimile « négociationnel » à transactionnel [1934, p. 106] cependant la psychologie négociationnelle demeure relativement peu spécifiée chez lui, ce qui nécessite de compléter ses intuitions par les analyses de Dewey et Mead.
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[15]
Voir par exemple J. Martin [2005] ou D. Wilson et W. Dixon [2008].
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[16]
Comme le note J. Martin [2005], Mead, dans ses derniers écrits, a remplacé assez systématiquement « prendre le rôle de l’autre » ou « se mettre à la place de l’autre » par « se placer dans la perspective de l’autre ». C’est cette formulation que nous avons retenue. Voir également sur ce sujet : J.A. Goldstein [2007].
-
[17]
Chez Smith, cela renvoie à la métaphore du spectateur impartial.
-
[18]
Ce que l’on trouve également chez Commons. Je ne développerai pas cette conception qui a déjà été mise en évidence par ailleurs [Renault, 1999]. Il ne s’agit pas d’affirmer que l’approche de Commons et celle de Mead sont en accord sur tout ; simplement l’approche de Mead permet d’éclaircir des aspects que Commons laisse dans l’ombre, en particulier les phénomènes mentaux qui sous-tendent la constitution des règles d’action et les phénomènes institutionnels. Commons met ainsi en évidence le fait que la psychologie négociationnelle est une psychologie des idées, des significations, et qu’elle renvoie aux modalités de connexion de la partie et du tout. Cela renvoie également aux phénomènes d’anticipation réciproque des actions que l’on trouve en particulier dans le cas des transactions d’échange [Commons, 1934, p. 106].
-
[19]
Par exemple Wilson et Dixon [2008, p. 260] soulignent que chez Mead, l’idée d’une vente suppose l’idée d’un acheteur et plus généralement les agents agissent d’une façon qui présuppose un ou des autres pour le(s)quel(s) l’action fera sens.
-
[20]
Je préfère, d’une façon générale, employer le terme « morale » au terme « éthique » dans la mesure où le premier renvoie à la création de « sentiments moraux », et concerne les rapports entretenus par les acteurs avec les autres acteurs, l’éthique quant à elle renvoyant à une recherche individuelle de ce qui est bon ou juste. Jean-Paul Maréchal a fait une recension des différentes acceptions des termes « moral » ou « éthique » que l’on peut rencontrer ; il apparaît nettement qu’il y a des visions contradictoires de ces terminologies et je ne prétends pas trancher ce débat [Maréchal, 2005, p. 66-67]. J’ai repris ici l’une des oppositions entre éthique et morale évoquées par J.P. Maréchal. Dans une large mesure, la perspective développée renvoie à celle issue de D. Hume et A. Smith et reprise et transformée par J. Dewey et G.H. Mead. On retrouve ainsi dans l’analyse de Dewey et de Mead le concept de sympathie renvoyant à la capacité de mise en perspectives.
-
[21]
Voir Raufflet et Batellier [2008].
-
[22]
Pour K. Boulding, le comportement représente la réponse à une image, non la réponse à un stimulus, et sans le concept d’image on ne pourrait prétendre comprendre le comportement [Boulding, 1997(1956), p. 43].
-
[23]
Une telle perspective renvoie aussi à l’approche de J. Habermas à travers son analyse du discours, centrée sur un processus idéal de prise de rôle largement inspiré de Mead. Voir par exemple Zackhem [2008].
-
[24]
Cette définition est adaptée de M. Zacklad [2004], il doit donc être crédité pour la formulation originale de cette définition.
-
[25]
Cela renvoie à ce que J.J. Gislain [2004] a appelé une « futurité significative commune ».
-
[26]
C’est-à-dire un système de règles socialement construites qui génèrent des régularités dans le comportement des agents.
-
[27]
M.Cosgel [2005, p. 13] affirme ainsi que pour résoudre la question de l’identité les individus s’engagent dans une conversation avec eux-mêmes et les autres, la consommation et ses modalités participent de ces conversations.
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[28]
Je ne présuppose pas que la construction d’un « nous » soit une issue forcée des transactions communicationnelles, il peut évidemment y avoir rupture de ces transactions. Cependant ces dimensions cognitives sont essentielles si on veut appréhender la construction d’un « nous ».
-
[29]
Ce terme renvoie aux analyses de K. Weick et aux processus de sensemaking. De tels processus sont importants dans le cadre de le RSE et ils sont en filigrane des développements. Voir : Daft et Weick [1984] ou Nijhofand et Jeurissen [2006].
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[30]
Ce schéma peut aussi permettre d’appréhender les différences d’échelle concernant les firmes (par exemple entre une PME localisée et une firme transnationale).
-
[31]
Si l’on prend comme exemple les cas de Seventh Generation et Danone Pologne, la première s’est engagée dans une délibération essentiellement interne, la seconde dans une délibération à la fois interne et externe autour des dimensions « responsables » de sa stratégie dans un contexte local spécifique.
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[32]
J. Dewey avait souligné ce fait par rapport aux processus d’enquête quand il disait que les significations qui les composent sont transmises dans le langage commun ordinaire qui permet la communication entre les membres du groupe et qu’elles règlent ce qui peut faire l’objet d’utilisation et de jouissance et la manière dont se produisent l’utilisation et la jouissance [1993, p. 180].
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[33]
Chez Commons, la psychologie négociationnelle apparaît ainsi comme une psychologie de la persuasion, de la coercition, de la contrainte, du commandement, de l’obéissance, de la peur et de l’espoir [Commons, 1950, p. 105].
-
[34]
Il s’agit aussi, au sens de F. Eymard Duvernay [2007], de restructurer les institutions de valorisation.
-
[35]
Buchholtz et Rosenthal soulignaient ainsi que la théorie des parties prenantes, souvent mobilisée dans les approches en termes de RSE implique non seulement une conception relationnelle de la firme mais également une compréhension de la nature situationnelle de la prise de décision en matière éthique telle qu’elle opère dans des contextes spécifiques [2005, p. 145]. Palazzo et Scherer [2006] partagent cette conception et mettent l’accent sur le caractère crucial dans ce cas des questions de légitimité et de légitimation, la légitimité étant considérée comme le produit d’une délibération publique.