CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 – Introduction

1Christophe Ramaux [2006, p. 297] définit l’État social par la présence de quatre piliers « que sont la protection sociale, le droit du travail, les services publics et les politiques de soutien à l’activité et à l’emploi ». Le présent texte va surtout aborder ce quatrième pilier, en présentant les théories postkeynésiennes qui justifient des politiques budgétaires et monétaires expansionnistes.

2Le message postkeynésien est simple. Selon Sheila Dow [1990, p. 354], citant Geoff Harcourt, la vision des économistes postkeynésiens est « de transformer le monde pour le rendre meilleur pour les hommes et les femmes ordinaires, de construire une société plus juste et plus équitable ». C’est un objectif des plus louables, mais certains pourraient objecter que c’est aussi l’objectif de toutes les écoles de pensée en économie, ou presque. Comment parvenir à cet objectif ? Les économistes postkeynésiens croient que c’est en poursuivant l’objectif du plein emploi, un plein emploi qui va au-delà du niveau d’emploi compatible avec le prétendu taux de chômage à inflation stable (TCIS, plus connu par son acronyme anglais NAIRU). Ce qui distingue particulièrement les économistes postkeynésiens, c’est leur affirmation que le problème du chômage est essentiellement un problème lié à l’insuffisance de la demande effective, et que cette insuffisance relève autant du long terme que du court terme. L’insuffisance de la demande globale peut se manifester autant par une insuffisance chronique (liée aux esprits animaux des entrepreneurs qui seraient inadéquats, des consommateurs trop craintifs, une politique budgétaire trop restrictive, des exportations anémiques) que par une insuffisance structurelle, associée notamment aux changements et au progrès techniques ainsi qu’à une répartition des revenus trop inégalitaire.

3C’est en créant les conditions compatibles avec le plein emploi que le gouvernement va le plus contribuer à transformer le monde pour en faire un meilleur endroit pour les gens ordinaires. Le plein emploi va renforcer l’équité dans la répartition des revenus ; il va réduire la pauvreté, car le chômage frappe surtout les citoyens dont les revenus sont les plus faibles ; il va favoriser le progrès technique et donc la hausse du pouvoir d’achat des gens ordinaires ; il va engendrer un rapport de force qui va être favorable aux trois autres piliers de l’État social.

2 – Les mythes combattus par les postkeynésiens

4Sous de nombreux aspects, les postkeynésiens ne sont pas très éloignés des positions défendues naguère par les premiers keynésiens, notamment par Abba Lerner [1972]. Les postkeynésiens sont favorables à des politiques monétaires de taux d’intérêt bas ; certains auteurs pensent même que ces taux devraient être totalement déconnectés des politiques anti-inflationnistes, et qu’en termes réels ou même en taux nominaux, ils devraient rester approximativement constants, déterminés par des considérations de répartition du revenu, les taux directeurs fixés par les banques centrales ne devant refléter que des taux justes, c’est-à-dire des taux qui procurent un gain raisonnable aux rentiers ou aux prêteurs, en proportion avec le taux de croissance de la productivité du travail [Lavoie, 2000] [2].

5La plupart des postkeynésiens sont plutôt favorables à des politiques budgétaires actives, en particulier des politiques budgétaires expansionnistes quand l’économie stagne. De fait, la plupart des postkeynésiens pensent que la politique monétaire telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, en modifiant les taux d’intérêt, a peu d’influence réelle sur l’économie, sauf lorsqu’elle est extrêmement restrictive, auquel cas ses effets sont dévastateurs et difficiles à renverser. Les postkeynésiens ont davantage confiance dans la capacité de la politique budgétaire à modifier la demande globale [Arestis et Sawyer, 2004]. Ils n’hésitent pas à promouvoir des déficits budgétaires si ceux-ci sont nécessaires pour lutter contre le chômage, ou à promouvoir des dépenses d’infrastructures – les investissements publics – afin d’améliorer les services publics et accroître la productivité du secteur privé (autoroutes, TGV, internet, etc.). Autrement dit, les postkeynésiens voient l’investissement public comme un moteur de la croissance [Seccareccia, 1995]. Les postkeynésiens sont aussi favorables à la présence de grandes entreprises publiques faisant concurrence à des entreprises privées. De fait, les gouvernements devraient toujours avoir une liste de projets d’infrastructures, prêts à être mis en route, dès qu’il y a ralentissement de l’économie nationale (et non lorsque les recettes de l’État augmentent, en situation de boom, et qu’elles semblent faciliter le financement du projet).

6Même si l’on désire éviter un « positionnement en négatif par rapport à la théorie néoclassique dominante », il pourrait être utile de rappeler ce qui constitue la « pensée unique » des politiques budgétaires. Chacune des propositions énoncées ici est rejetée par les économistes postkeynésiens. Ces assertions de la théorie économique dominante, qui est aussi celle qui semble s’être imposée dans le monde politique, sont les suivantes, telles que définies par Nell [1988, p. 212-213 ].

Tableau 1

Les pseudo-vérités de la « pensée unique »

Tableau 1
Les déficits budgétaires Entraînent l’élévation des taux d’intérêt Causent l’inflation Évincent l’investissement privé La dette nationale… Alourdit injustement le fardeau des générations futures Pourrait mener à la faillite de l’économie nationale Devra être remboursée un jour Les dépenses gouvernementales… Sont improductives Sont trop élevées Encouragent la paresse des gueux* Les impôts… Sont trop élevés Découragent l’ardeur au travail et l’entrepreneurship Réduisent l’épargne, et donc la croissance Source : Nell [1988, p. 212-213] * Pour faire écho au titre du livre de Laurent Cordonnier [2000].

Les pseudo-vérités de la « pensée unique »

7Les affirmations concernant les dépenses gouvernementales et les impôts sont maintes fois entendues sur les diverses tribunes. S’il fallait en croire les économistes néolibéraux, le secteur privé est toujours efficace, tandis que le secteur public est toujours improductif. Évidemment, les forts émoluments versés aux dirigeants d’entreprise, même lorsque celles-ci sont au bord de la faillite, sont des dépenses productives, tandis que les salaires élevés versés aux fonctionnaires de l’État sont des dépenses improductives ! Selon les promoteurs de la pensée unique, il faut verser des salaires faibles aux travailleurs, afin de les inciter à travailler un nombre d’heures suffisamment grand ; mais dans le cas des dirigeants, ce sont des émoluments plus élevés, par la réduction des taux d’imposition sur les revenus élevés et par l’octroi de généreuses primes de départ, qui vont inciter ces dirigeants à travailler davantage.

8Quant à l’argument selon lequel des taux d’imposition élevés réduiraient les taux d’épargne et donc la croissance, de toute évidence, dans un monde keynésien où c’est l’investissement qui détermine l’épargne, et non l’inverse, cette affirmation n’a aucun sens et n’est aucunement pertinente. Ce qui compte, ce sont les déterminants de l’investissement. Or, toutes les études économétriques ont montré que ce sont les ventes passées et le cash-flow des entreprises qui incitent celles-ci à investir davantage. Autrement dit, la demande globale macroéconomique est le principal moteur de l’investissement.

9Venons-en rapidement aux mythes relatifs au déficit budgétaire et à la dette publique. Les postkeynésiens récusent totalement la relation positive entre taux d’intérêt et déficit budgétaire, et même entre taux d’intérêt et dette publique. Selon les postkeynésiens, les taux d’intérêt sont entièrement déterminés par les décisions de la banque centrale. Les relations de Kalecki montrent aussi que les déficits budgétaires mènent à la hausse des profits des entreprises : il ne saurait donc être question d’un effet d’éviction. Pour ce qui est de la relation entre déficit budgétaire et inflation, habituellement justifiée par la monétisation du déficit, cette relation ne peut être qu’indirecte selon les postkeynésiens puisque, selon ceux-ci, il ne peut jamais y avoir de monnaie excédentaire ; par contre, si le déficit budgétaire aide à relancer l’activité économique, il pourrait activer des forces inflationnistes, comme l’indiquerait la relation de la courbe de Phillips.

10Les postkeynésiens ne voient pas nécessairement la dette publique d’un mauvais œil. La dette nationale a pour contrepartie les actifs (bons du Trésor, obligations gouvernementales) détenus directement par les ménages ou indirectement à travers les institutions financières. La dette publique ne constitue pas nécessairement un fardeau pour les générations futures, puisque ces générations vont aussi hériter des revenus en intérêt associés à cette dette [3]. De plus, comme c’est le cas de la dette des entreprises privées, il n’est aucunement nécessaire que la dette publique soit un jour remboursée. Elle peut croître avec le revenu national. Enfin, sans dette nationale, les institutions financières ne disposeraient d’aucun actif dont le risque de défaut est virtuellement nul. Le danger d’une telle situation a été largement illustré à l’été 2007 et lors de la crise financière généralisée de 2008. On s’est alors aperçu que bien des institutions financières et non financières, à la recherche de titres financiers à court terme, avaient largement investi dans les marchés de titres adossés à des créances hypothécaires commerciales ou sur les marchés du papier commercial adossé à des actifs, marchés peu régulés et bien plus risqués que celui des titres d’État. De fait, les dettes des états constituent des actifs refuges, indispensables au bon fonctionnement des marchés financiers, de par leur liquidité et de par la stabilité que leur confère la qualité de leur contrepartie.

11Sur toutes ces questions, les économistes postkeynésiens ont un point de vue très voisin de celui développé par Abba Lerner [1943, 1944, 1972], dans le cadre de ce qu’il a appelé la finance fonctionnelle, par opposition à la finance saine [Nell et Forstater, 2003]. C’était aussi le point de vue d’un certain nombre d’économistes keynésiens, comme Paul Samuelson, jusque dans les années 1960. La finance saine, c’est l’affirmation que les dettes publiques sont un fardeau pour l’économie et donc qu’elles devraient être minimisées, tandis que les déficits gouvernementaux devraient être éliminés. Pour Lerner, comme pour les postkeynésiens, le niveau exact de la dette publique, des dépenses publiques ou des impôts est déterminé par l’objectif que la société veut bien se donner. Si l’objectif est le plein emploi, il est possible que les décisions des agents du secteur privé, entreprises ou ménages, soit telles qu’un ratio dette/PIB élevé soit requis pour réaliser cet objectif. Le ratio dette/PIB, ainsi que le niveau du solde budgétaire, ne peuvent être en soi des objectifs ; ils ne peuvent être que des instruments [Forstater, 2003].

12Par exemple, si les ménages désirent atteindre un ratio richesse/revenu élevé, il est probable que les gouvernements devront avoir un ratio dette/revenu élevé. Il ne peut en être autrement de par les lois de la comptabilité nationale, puisque la somme des actifs doit égaler la somme des passifs. Ainsi, dans une économie fermée, la richesse financière des ménages V est nécessairement égale à la dette gouvernementale D plus la valeur de marché des entreprises, qK, où K représente les actifs physiques des entreprises et q le coefficient de Tobin. En divisant par le PIB, on obtient l’équation : V/Y = D/Y + qK/Y. Ainsi, à partir du moment où les ménages visent une norme stock-flux fixant leur ratio désiré richesse/revenu (ce qui est nécessairement le cas si les ménages consomment en fonction de leur revenu et de leur richesse), tandis que le ratio K/Y, le rapport capital/output, dépend essentiellement de considérations technologiques, on comprend que le ratio dette publique/revenu D/Y dépend autant du comportement des ménages et des entreprises privées que de celui des gouvernements [Godley et Lavoie, 2007, p. 442]. Par exemple, si les ménages visent un ratio V/Y plus élevé, cela tendra à faire augmenter le taux d’endettement du secteur public. En d’autres mots, le désir des ménages d’épargner davantage pour atteindre leur nouvelle norme stock-flux provoquera l’apparition d’un déficit public qui conduira à un endettement public accru qui sera la contrepartie de la richesse accrue des ménages. De même, un écroulement de la valeur boursière des entreprises devrait mener à une hausse du ratio dette publique /revenu D/Y, pour autant que les ménages s’obstinent à vouloir préserver leur norme stock-flux de richesse par rapport au revenu V/Y.

3 – La dynamique de la dette publique

3.1 – Dette publique et demande effective

13Selon certains auteurs hétérodoxes, y compris certains postkeynésiens comme Palley [1998] ou des auteurs classico-marxistes, les déficits publics auraient des effets favorables sur la demande effective à court terme, comme l’affirment traditionnellement les keynésiens, mais par contre leurs effets seraient négatifs à long terme. Deux types d’arguments sont avancés par ces auteurs. Selon les classico-marxistes, puisque les déficits publics réduisent le taux d’épargne national, ils réduisent le taux de croissance garanti de Harrod [4] ; ainsi le taux de croissance réalisé à long terme devra s’ajuster à ce taux de croissance garanti réduit, et donc malgré les effets positifs de court terme, les effets négatifs du déficit budgétaire finiront par surpasser les effets positifs transitoires. Encore faudrait-il démontrer que le taux de croissance réalisé va s’ajuster au taux de croissance garanti, plutôt que l’inverse, ce qui était précisément la critique des premiers postkeynésiens, Joan Robinson et Nicholas Kaldor, face à l’équation du taux de croissance garanti de Harrod et aux conséquences de politique économique que Harrod et de nombreux économistes néoclassiques pouvaient tirer de cette équation, à savoir que l’État devait encourager l’épargne et réduire ses déficits.

14Quant à lui, Palley argumente, dans le cadre d’un modèle reposant essentiellement sur les identités de la comptabilité nationale de Kalecki, qu’à la suite de l’augmentation de la dette publique, le gouvernement sera en fin de compte dans l’obligation d’engendrer des soldes budgétaires primaires ou opérationnels positifs (le solde avant paiement des intérêts sur la dette). Ainsi, toujours selon Palley, à long terme, les effets positifs sur les profits des entreprises des flux de déficits budgétaires seront complètement annihilés par les effets négatifs dus au stock de dette existant. La façon la plus simple de modéliser cet effet est de postuler que le gouvernement décrète que le niveau de dette publique va rester à tout jamais constant, autrement dit que le gouvernement s’impose une contrainte budgétaire forte, en s’obligeant dorénavant à ramener le déficit public à zéro. Dans ce cadre, le solde primaire doit exactement compenser les paiements en intérêts sur la dette, et il est alors exact de prétendre que les déficits passés auront un effet négatif sur les profits des entreprises d’aujourd’hui, avec tous les effets négatifs que ces profits réduits pourraient engendrer pour l’investissement et éventuellement la croissance.

15Mais ces résultats peuvent être complètement inversés si l’on suppose que le gouvernement accepte de laisser croître le déficit au même taux que l’économie (autrement dit le gouvernement accepte de conserver un ratio déficit/PIB constant). Dans ce cadre, développé par Lavoie [2003], les déficits accumulés dans le passé, autrement dit la dette publique, auront des effets favorables sur les profits des entreprises, même à long terme, pourvu que le taux de croissance de l’économie soit supérieur au produit du taux d’intérêt net d’impôt et du taux d’épargne des rentiers. Donc, même pour une vaste plage de taux de croissance inférieurs au taux d’intérêt brut, les effets à long terme des déficits budgétaires resteront positifs.

16Un modèle kaleckien plus sophistiqué et complet, celui de You et Dutt [1996], confirme ces résultats. You et Dutt construisent une extension du modèle de croissance kaleckien canonique de Bhaduri et Marglin [1990], en y introduisant un taux de taxation différencié sur les salaires et sur les profits et intérêts. Les dépenses gouvernementales d’opération (excluant le service de la dette) sont fixées comme une certaine proportion du stock de capital ou de l’output. Leur modèle a plusieurs caractéristiques intéressantes.

17Tout d’abord, dans un monde où le taux de croissance du capital dépend du taux d’utilisation de la capacité, le rapport dette publique/capital, ou encore le ratio dette publique/PIB, s’il peut s’accroître, ne peut exploser indéfiniment. Autrement dit, ou bien le ratio dette/PIB diminue inexorablement, ou alors il converge vers une valeur positive. Si le modèle kaleckien est une représentation adéquate du monde réel, il n’y a donc pas lieu de s’inquiéter que le ratio dette/PIB explose par suite de politiques budgétaires qui seraient démesurément expansionnistes.

18De fait, l’augmentation de la part des dépenses publiques opérationnelles par rapport au PIB n’entraîne pas nécessairement une augmentation du ratio dette/PIB de long terme. Il est possible, en particulier lorsque ce ratio est déjà élevé, que l’augmentation des dépenses publiques mène à une baisse du ratio dette/PIB de long terme, en raison notamment des effets accélérateurs qui pourraient engendrer une réduction du ratio déficit/PIB. Quoi qu’il en soit, même si l’augmentation de la proportion de dépenses publiques devait mener à une hausse du ratio dette/PIB de long terme, ce qui selon You et Dutt [1996, p. 343 ] est le cas le plus probable, cette hausse serait limitée, comme on l’a déjà dit. Quant aux effets sur le taux d’accumulation de l’économie, ils seraient normalement positifs, mais on ne peut exclure le cas où, en raison de la réduction paradoxale des paiements sur la dette, les effets sur le taux d’accumulation d’une augmentation des dépenses publiques pourraient être négatifs à long terme.

3.2 – Dette publique et effets de répartition

19You et Dutt [1996] démontrent aussi que la hausse des dépenses publiques, ou la baisse des taux de taxation, ne mène pas nécessairement à un accroissement de la part du revenu personnel net allant aux mains des rentiers (les récipiendaires de profits et de versements en intérêt). Il est tout à fait possible que la part des revenus personnels nets versés aux salariés augmente, à court terme bien sûr en raison de l’effet multiplicateur, mais aussi à long terme, malgré la hausse du ratio dette/PIB. Ainsi il n’est pas exact de prétendre que la hausse du déficit gouvernemental, et donc la hausse subséquente des paiements en intérêt sur la dette dont vont bénéficier les rentiers, va être financée par les impôts prélevés sur les salaires.

20Cette question, qui relève de la distribution intergénérationnelle du fardeau de la dette, est aussi abordée de façon astucieuse par Pasinetti [1996]. Celui-ci définit ce qu’il appelle le « fardeau social» de la dette publique. Sa mesure du fardeau dit social suppose que le gouvernement tienne à conserver le ratio dette/PIB (D/Y) à son niveau actuel. Dans une économie qui croît au taux réel g, tandis que le taux d’intérêt réel est i, ce fardeau social est défini comme étant : f = (i-g)D/Y. C’est que, pour conserver le ratio dette/PIB constant, l’État peut se permettre un déficit de gD par année, tandis que les paiements en intérêt sont de iD. Le solde primaire nécessaire est donc (i-g)D. Cela implique que, en sus des dépenses d’opération financées par taxation, le solde primaire (i-g)D doit lui aussi être financé par l’impôt, ce qui signifie un taux de taxation supplémentaire, f = (i-g)D/Y, qui constitue le fardeau social de la dette publique. S’il n’y avait pas de dette, ce montant n’aurait pas à être financé par la taxation.

21Il est dès lors évident que le fardeau social de la dette publique dépend de la relation entre le taux de croissance et le taux d’intérêt de l’économie. Quand i = g, le fardeau social est nul. Quand i > g, le fardeau social est d’autant plus élevé que le ratio dette/PIB est élevé, ce qui est le cas généralement considéré comme pertinent par les économistes néolibéraux. Pour maintenir le ratio dette/PIB à un niveau constant, le gouvernement doit alors opérer avec un solde primaire positif, précisément égal à (i-g)D. Dans ce cas, on peut dire que les déficits des années antérieures constituent un fardeau social pour les générations présentes, puisque le taux de taxation moyen, pour éviter que le ratio dette/PIB ne s’accroisse, doit être augmenté de f. Par contre, quand i < g, ce qui est un cas tout à fait réaliste dans les pays industrialisés, le fardeau social de la dette publique est négatif. Comme le dit Pasinetti [1996, p. 163], « La communauté bénéficie d’un subside ou, si vous préférez, d’une taxe négative. Ceci peut sembler paradoxal, mais nous devons réaliser que plus élevé est le niveau de la dette publique plus élevé est le déficit (…) que le gouvernement peut se permettre sans empirer le ratio D/Y. Autrement dit, le taux d’imposition négatif – c’est-à-dire le taux de subside – pour la communauté dans son ensemble est d’autant plus élevé que le ratio (stabilisé) D/Y est élevé ».

22Vues sous cet angle, les politiques monétaires anti-inflationnistes qui ont engendré des taux d’intérêt réels de 5 à 10 % dans les années 1980 et 1990 paraissent totalement aberrantes du point de vue des finances publiques. Non seulement ces politiques ont freiné l’activité économique et créé du chômage, mais en plus elles ont imposé un fardeau social excédentaire parfaitement inutile à la collectivité. Cela s’est traduit soit par l’augmentation des taux d’imposition soit par une diminution des services publics. Tandis que ce fardeau social était inexistant, puisque négatif en moyenne, sur la période entre 1945 et 1979 pour la plupart des pays de l’OCDE, ou à tout le moins pour les États-Unis et le Canada [Fullwiller, 2007 ; Stanford, 1999, p. 189], il a subi une hausse vertigineuse en raison des politiques discrétionnaires des banques centrales [5].

3.3 – La détermination des taux d’intérêt

23Selon les économistes néoclassiques, les taux d’intérêt dépendent uniquement des relations entre offre et demande de fonds prêtables, et donc le fardeau social dépendrait en grande partie de facteurs qui sont hors de contrôle des gouvernements. Au mieux, les États peuvent aider à garder les taux d’intérêt à de bas niveaux en pratiquant l’austérité budgétaire, donc en réduisant leurs déficits budgétaires et leur dette publique. Dans la version plus sophistiquée de la théorie néoclassique, celle des néoclassiques wickselliens, la banque centrale est capable, pour un certain temps, de fixer des taux d’intérêt à court terme de son choix ; mais les taux d’intérêt de long terme résulteraient de la confrontation des forces de la productivité et de l’épargne, qui donneraient naissance à ce que Wicksell appelait le taux d’intérêt naturel. Des taux d’intérêt à court terme inférieurs au taux d’intérêt naturel seraient insoutenables, car ils conduiraient à une accélération de l’inflation, tout comme un taux de chômage inférieur au taux de chômage naturel (ou au TCIS évoqué précédemment) conduirait inéluctablement à une poussée inflationniste. Pour ces néo-wickselliens, la banque centrale doit en définitive se soumettre aux diktats des marchés financiers, les taux à court terme devant en fin de compte s’ajuster aux taux à long terme, eux-mêmes déterminés par le taux d’intérêt naturel. Dans le cas de déficits budgétaires, l’épargne nationale est réduite, et donc le taux d’intérêt naturel sera plus élevé.

24Dans les faits, nous savons qu’il n’en est rien. À la suite du krach boursier de l’après 2000, les États-Unis ont connu de gigantesques déficits budgétaires, et pourtant leurs taux d’intérêt sont restés à des niveaux relativement bas. Et que dire de la situation du Japon, où le rapport dette/PIB a grimpé de façon vertigineuse au cours des derniers 15 ans, approchant les 200 %, pendant que la Banque du Japon réussissait sans peine à conserver les taux d’intérêt à court terme à 0 % pendant près de 10 ans, tandis que les taux d’intérêt à long terme avoisinaient à peine les 2 %.

25Ces observations empiriques sont en revanche tout à fait compatibles avec la théorie postkeynésienne des taux de l’intérêt, selon laquelle les taux d’intérêt à court terme sont sous le contrôle de la banque centrale, avoisinant le taux directeur fixé par la banque centrale, comme on le verra ci-dessous. Pour ce qui est des taux d’intérêt à long terme, certains postkeynésiens, tel Alain Parguez [2001, p. 93], estiment que la banque centrale est aussi en mesure de les contrôler, ou à tout le moins de contrôler les taux d’intérêt sur les titres d’État, les autres taux de rendement sur les titres longs s’ajustant aux taux des obligations d’État. On peut démontrer une telle assertion dans le cadre d’un modèle à cohérence stock-flux avec choix de portefeuille, quand les divers titres sont des substituts imparfaits [Godley et Lavoie, 2007, ch. 5]. Dans ce cas, les taux de rendement des titres dépendent de l’offre relative de ces titres, et donc les autorités monétaires peuvent parvenir à modifier le taux d’intérêt des titres d’État, à court et à long termes, en modifiant l’offre de bons du Trésor et d’obligations, et en modifiant la composition du portefeuille de la banque centrale, comme Alan Greenspan, l’ancien gouverneur de la Réserve fédérale américaine, a d’ailleurs menacé de le faire à quelques reprises. En général cependant, puisque les banques centrales ne tentent aucunement de gérer les taux longs, les taux à long terme vont graviter à plus ou moins grande distance des taux à court terme, fixés par la banque centrale, influencés à la fois par les quantités relatives offertes sur les divers marchés et les taux à court terme futurs anticipés, tout en étant contraints de ne pas trop s’éloigner des taux courts en raison des possibilités d’arbitrage entre actifs à court et long termes [6].

26Les procédures maintenant suivies par la plupart des grandes banques centrales nous permettent de voir à travers le voile flou qui entourait autrefois les opérations des autorités monétaires et la rhétorique monétariste. Nous savons maintenant qu’en fixant un taux plafond et un taux plancher pour les emprunts et les dépôts des banques de second rang auprès des banques centrales, celles-ci sont en mesure d’orienter le taux de financement interbancaire au niveau du taux directeur qu’elles se sont donné pour cible. Dans certains pays, comme au Canada ou en Australie, le contrôle du taux directeur est virtuellement parfait, sans qu’aucune intervention sur l’open market ou le marché des prises de pension ne soit nécessaire.

27Nous savons aussi que toutes les banques centrales poursuivent essentiellement des opérations défensives qui ont pour but d’accorder l’offre de monnaie banque centrale à la demande de monnaie banque centrale [Le Bourva, 1962; Fullwiler, 2007]. Leur objectif est de fournir au marché interbancaire le montant exact de monnaie banque centrale qui est demandé, au taux directeur ciblé. Dans les pays comme le Canada ou l’Australie, outre les billets de banque détenus par le public ou dans les guichets automatiques, la quantité de monnaie banque centrale demandée est exactement égale à zéro : le taux de réserve obligatoire est nul, et les banques ne désirent pas détenir des dépôts auprès de la banque centrale, puisque ces dépôts ont un rendement inférieur aux autres actifs. Donc, en dehors des périodes de crises financières comme celles que nous avons connues en 2007-2008, quand les banques commerciales préfèrent détenir des encaisses sûres mais non rémunérées de monnaie banque centrale plutôt que de consentir des prêts interbancaires rémunérés mais risqués, la demande de monnaie banque centrale sous forme d’encaisses de règlement est donc connue et nulle. Pour contrôler parfaitement le taux d’intérêt au jour le jour, la banque centrale n’a donc qu’à s’assurer que l’offre d’encaisses de règlement est nulle elle aussi.

28Pour ce faire, dans les pays comme le Canada, la banque centrale cesse de transiger avec les banques commerciales l’après-midi, si bien qu’en fin de session, elle peut calculer avec exactitude la position de l’ensemble des banques de second rang par rapport à la banque centrale. Elle peut alors retirer ou fournir les liquidités nécessaires pour que l’offre d’encaisses de règlements soit exactement égale à zéro, avant que les banques ne procèdent à leurs dernières transactions sur le marché interbancaire au jour le jour. Lorsqu’elle désire fournir davantage de liquidités, la banque centrale transfère des dépôts du gouvernement auprès de la banque centrale vers les comptes du gouvernement auprès des banques de second rang ; lorsqu’elle désire réduire les liquidités, la banque centrale ordonne le transfert de dépôts du gouvernement auprès des banques de second rang vers le compte du gouvernement auprès de la banque centrale. Les banques en déficit d’encaisses de règlement savent donc que d’autres banques se trouveront en surplus d’encaisses de règlement pour un montant exactement égal, quel que soit le taux d’intérêt. Le taux directeur de la banque centrale constitue alors la norme, une convention, vers laquelle convergeront les transactions entre banques et participants au marché monétaire.

29Dans les systèmes américain et européen, où l’information est moins parfaite, l’offre d’encaisses monétaires n’est pas systématiquement égale à la demande quel que soit le taux monétaire, et donc, pour éviter des fluctuations trop grandes du taux au jour le jour, il est nécessaire de conserver des exigences de réserves obligatoires, afin que le système bancaire, par exemple, absorbe une offre excédentaire d’encaisses de règlement en faisant l’acquisition immédiate de réserves en prévision des exigences futures de la période de réserves. Mais, outre ces imperfections, la logique des systèmes monétaires américain et européen est rigoureusement identique à celle des systèmes australien ou canadien plus transparents, comme le rapporte de façon éclairante un économiste de la BCE [Bindseil, 2004].

3.4 – Le financement des dépenses publiques

30Depuis quelques années, alors qu’auparavant l’analyse portait principalement sur les relations entre banques et entreprises privées, les économistes postkeynésiens ont développé leur analyse des transactions entre le gouvernement, la banque centrale, et les banques de second rang [Wray, 1998 ; Bell, 2000].

31Lorsque le gouvernement se livre à des dépenses publiques, il fait généralement des chèques tirés sur son compte de la banque centrale, lesquels sont ensuite déposés sur les comptes des bénéficiaires de ces dépenses publiques, auprès des banques de second rang. Ces banques, au terme des règlements opérés à la chambre de compensation, se retrouveront donc avec des liquidités excédentaires. Les banques, prises dans leur ensemble, n’ont aucun moyen de se débarrasser par elles-mêmes de ces liquidités excédentaires. Il faut une intervention défensive de la banque centrale. Les liquidités excédentaires seront normalement épongées par le transfert de dépôts gouvernementaux auprès des banques de second rang en direction du compte du gouvernement auprès de la banque centrale (cas A du Tableau 2) [7]. Ou alors, dans le cas de déficit budgétaire systématique, les banques de second rang pourront se débarrasser de leurs liquidités excédentaires (à taux de rendement faible ou nul) en achetant les titres émis par le gouvernement déficitaire. Aux liquidités excédentaires (les dépôts des banques de second rang auprès de la banque centrale) se substitueront des titres gouvernementaux à l’actif des banques de second rang ; au passif de la banque centrale, les dépôts des banques commerciales seront remplacés par les dépôts du gouvernement, produit de la vente de titres au secteur bancaire (cas B).

32Le même résultat aurait été obtenu si le gouvernement avait au préalable vendu directement ses titres auprès de la banque centrale afin de financer ses dépenses publiques, bien que cela soit formellement interdit en Europe par l’article 104 du Traité de Rome. Il aurait ensuite fallu que la banque centrale éponge les liquidités excédentaires des banques en procédant à des opérations d’open market (cas C). Dans tous les cas, la banque centrale conserve le contrôle parfait du taux d’intérêt interbancaire et, en fin de journée, l’offre d’encaisses monétaires est rigoureusement égale à sa demande ! Dans tous les cas, le gouvernement est en mesure de financer son déficit budgétaire, quelles que soient les institutions ou les contraintes fictives mises en place.

33L’analyse postkeynésienne de la dépense gouvernementale donne donc des résultats qui sont exactement contraires à ceux de l’analyse traditionnelle. Dans le cadre de l’analyse néoclassique habituelle, la hausse des dépenses publiques accompagnée d’une hausse du déficit budgétaire doit normalement engendrer une hausse des taux d’intérêt, et donc un effet d’éviction (crowding out) du secteur privé. Il en va tout autrement de l’analyse postkeynésienne qui intègre les transactions monétaires et les opérations qui se déroulent à la chambre de compensation. Selon les postkeynésiens, le déficit budgétaire mène au contraire à des pressions à la baisse sur le taux d’intérêt du marché monétaire, puisque ce déficit induit une offre excédentaire d’encaisses de règlement. Cette offre excédentaire est absorbée soit par le transfert de dépôts du gouvernement, à l’initiative de la banque centrale, comme il a été expliqué ci-dessus, soit par l’émission de titres gouvernementaux que les institutions financières voudront acheter puisque l’alternative est de détenir des encaisses de règlement ne rapportant rien ou ayant un rendement inférieur.

Tableau 2

Le financement des dépenses gouvernementales

Tableau 2
Banque centrale Banque de second rang Actif Passif Actif Passif Cas A Dépôt du gouvernement -100 Réserves +100 Réserves +100 Dépôt secteur privé +100 Dépôt du gouvernement 0 Réserves 0 Réserves 0 Dépôt secteur privé +100 Dépôt du gouvernement -100 Cas B Dépôt du gouvernement -100 Réserves +100 Réserves +100 Dépôt secteur privé +100 Dépôt du gouvernement 0 Réserves 0 Réserves 0 Titres +100 Dépôt secteur privé +100 Cas C Titres +100 Dépôt du gouvernement +100 Titres +100 Dépôt du gouvernement 0 Réserves +100 Réserves +100 Dépôt secteur privé +100 Titres 0 Dépôt du gouvernement 0 Réserves 0 Réserves 0 Titres +100 Dépôt secteur privé +100

Le financement des dépenses gouvernementales

34Ainsi, pour récapituler sur cette question, les déficits budgétaires n’ont aucune influence sur les taux d’intérêt à court terme, puisque ceux-ci sont entièrement manipulés et sous le contrôle de la banque centrale; et ils n’ont aucun effet prévisible sur les taux d’intérêt à long terme ou sur les taux d’intérêt administrés par les banques de second rang, en raison des complexités et non-linéarités qui régulent la formation de ces taux d’intérêt [Godley et Lavoie, 2007, ch. 10 et 11 ]. De plus, il est toujours possible pour un gouvernement central moderne, disposant d’un pouvoir de taxation étendu, de financer ses dépenses publiques, tant que le gouvernement et la banque centrale font partie des agents participant à la chambre de compensation [Fullwiler, 2007]. Un gouvernement sensé, qui comprend ces éléments de théorie économique, ne devrait jamais autoriser sa banque centrale à fixer des taux d’intérêt qui surpassent de beaucoup le taux de croissance de l’économie, à moins d’être déterminé à créer des conditions qui contraignent l’État à réduire sa taille relative et à couper dans ses services publics. D’ailleurs, c’est la hausse brutale des taux d’intérêt dans les années 1980, associée à l’accélération des taux d’inflation, qui a mené à la grave crise des finances publiques qui a affecté tous les pays occidentaux.

4 – L’état employeur de dernier recours et l’économie solidaire

4.1 – L’employeur de dernier recours

35Mais ce qui est sans doute le plus original chez les postkeynésiens en ce moment, c’est la proposition de l’État comme employeur de dernier recours, le programme ELR (Employment of last resort), qui porte aussi les noms de Buffer stock employment, Job guarantee ou encore Public service employment [Mitchell et Wray, 2005, p. 243-244]. Ces programmes contiennent des éléments qui se rapprochent des propositions mises de l’avant par les partisans de l’économie solidaire, selon lesquels l’économie sociale se doit d’être un tremplin vers le marché du travail traditionnel. Ceci nous permettra de voir ce qui fait l’originalité du programme prôné par les postkeynésiens, ou à tout le moins certains de leurs représentants.

36Le programme EDR, l’employeur de dernier ressort, a été mis de l’avant à la fin des années 1990 par deux groupes de chercheurs initialement indépendants l’un de l’autre [8]. Le premier groupe est localisé à l’Université de Newcastle, en Australie, sous la direction de Bill Mitchell qui a mis en l’avant l’expression Buffer stock employment [Mitchell, 1998; Mitchell et Watts, 1997; Juniper et Mitchell, 2005]. Le second groupe, mené par Randall Wray [1998] et Mathew Forstater [1998, 2005], et inspiré par les suggestions d’anciens keynésiens comme Abba Lerner, Hyman Minsky [1986] et William Vickrey [1997], ainsi que par les idées de Warren Mosler [1997-98], est situé dans un ancien bastion institutionnaliste, l’Université du Missouri à Kansas City, dont le département de science économique abrite un programme de doctorat à composante multidisciplinaire. [9] Le principe essentiel du programme EDR est le suivant :

37

« Tous ceux qui sont prêts à travailler au salaire de base du secteur public, environ le salaire minimum actuel, auraient l’assurance d’obtenir un emploi. »

38C’est le gouvernement central, ou fédéral, qui financerait ce programme, car il a le pouvoir de financer ses déficits, même si les gouvernements régionaux ou locaux pourraient en être les administrateurs. Les partisans du programme EDR envisagent toutes sortes d’emplois: l’aide aux vieillards, enfants et malades; des surveillants à l’école, des artistes ou des musiciens; des travailleurs de l’environnement; la restauration des immeubles abandonnés ou d’installations communautaires, etc. Ces emplois, selon les qualifications requises, seraient à des salaires voisins du salaire minimum ou à des salaires excédant le double du salaire minimum.

39Selon ces économistes postkeynésiens, l’emploi est une responsabilité sociale, qui incombe à l’État et qui donc, à ce titre, dépend de la régulation de l’État social. La notion d’EDR est l’expression ultime de l’État-providence. Si le secteur privé est incapable de fournir le plein emploi, alors le secteur public doit le faire. Si certains agents du secteur privé sont frustrés par l’ampleur du secteur public, ils n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes. Si l’économie privée investissait davantage et était proche du plein emploi, la taille du secteur public serait réduite.

40Quel est l’avantage d’un tel programme par rapport aux programmes keynésiens de relance traditionnels, fondés sur des politiques monétaires et budgétaires expansionnistes ? Ce type de politique de plein emploi risque moins d’avoir des conséquences inflationnistes. Selon les termes employés par Mitchell, le programme EDR permet de diminuer le TCIS, c’est-à-dire qu’il permet d’atteindre un taux de chômage plus faible sans provoquer pour autant des pressions inflationnistes. Autrement dit, le programme EDR, du moins selon ses défenseurs, permettrait de répondre aux détracteurs des programmes de relance, qui accusent les keynésiens et postkeynésiens d’ignorer les conséquences inflationnistes de leurs politiques expansionnistes globales. Un des problèmes associés à ces politiques de relance est qu’effectivement certains secteurs industriels ou régions géographiques de l’économie opèrent déjà dans des conditions proches de la pleine capacité ou du plein emploi, même quand le reste de l’économie stagne ou est en récession. Par exemple, avant la récession mondiale déclenchée par la crise financière internationale, avec la montée du dollar canadien et la hausse du prix du pétrole et des céréales, l’ouest canadien, producteur de céréales et de pétrole, était en pleine expansion en 2007-2008, tandis que l’est du pays, producteur de produits manufacturés, était déjà en stagnation à cause de la forte appréciation du dollar canadien.

41Un programme EDR permet de cibler davantage les dépenses du gouvernement dans les régions touchées par des taux de chômage élevés, et il verse les revenus directement à ceux qui sont affectés par la crise, et dont la propension à consommer est la plus élevée. Dans le cas traditionnel des dépenses publiques, les ménages et les consommateurs ne profitent qu’indirectement de l’accroissement des dépenses publiques, lorsque celles-ci engendrent des créations d’emploi ou des revenus accrus. Les partisans du programme EDR affirment aussi que ce programme permet de conserver les qualifications d’une main-d’œuvre qui autrement se mettrait à dépérir, ce qui assurera une source de main-d’œuvre abondante lorsque l’économie sortira de la stagnation et sera en régime de croissance. Ainsi, encore une fois, les pressions inflationnistes seront moindres lorsque l’économie privée sera en situation de boom.

42Outre les difficultés pratiques de la mise en œuvre du programme EDR, évoquées par certains critiques [Sawyer, 2003], des économistes postkeynésiens comme Seccareccia [2004] et Sawyer [2003, 2005] craignent que les gouvernements profitent de la mise sur pied de ces programmes d’emploi pour transférer une partie de leurs activités et de leur main-d’œuvre sous la forme EDR. Ainsi, c’est une partie substantielle de la fonction publique qui pourrait se retrouver au salaire minimum ou à un salaire un peu supérieur au salaire minimum. La fonction publique au lieu d’être un moteur pour les revendications relatives aux conditions de travail deviendrait un frein. Dans ces conditions, ne serait-il pas préférable de mettre en œuvre des investissements publics (routes, installations touristiques, complexes sportifs) plus conventionnels, dans les régions affectées par un ralentissement ou une récession ?

43Vu sous un certain angle, le programme EDR, présenté par des économistes de gauche, semble avoir certaines similarités avec les programmes de workfare recommandés par les conseils du patronat et les économistes de droite. Selon ceux-ci, les bénéficiaires de l’aide sociale devraient être forcés de travailler et de fournir des services à la collectivité. Mais on peut aussi y voir des ressemblances avec les principes de l’économie solidaire, ou de l’économie sociale, mis de l’avant par des sociologues ou des économistes du travail, qui se situent plutôt à gauche. Avant d’aller plus loin dans cette comparaison, je voudrais souligner que le programme EDR ne serait en rien obligatoire : il ne s’applique qu’à ceux ou celles qui veulent travailler. De plus, contrairement à ce qui était parfois affirmé dans les premiers énoncés de ses partisans, le programme EDR ne remplace pas les programmes de bien-être social ou de protection sociale. Il ne fait que s’ajouter à la panoplie des programmes existants. En ce sens, le programme EDR n’est pas un autre programme de workfare, du moins pas dans l’esprit de ses concepteurs.

4.2 – Critique de l’économie solidaire ou sociale

44L’économie solidaire, dont les partisans sont nombreux et bien structurés, est parfois présentée comme une panacée, qui permettrait d’apporter une solution à ce que ses partisans appellent la nouvelle pauvreté [10]. La lecture d’un livre consacré à la sociologie économique et favorable à l’économie solidaire, rédigé par Lévesque et al. [2001], permet de renforcer cette impression. Selon une citation du livre, attribuée au Mouvement anti-utilitariste en sciences sociales, le MAUSS, on peut lire :

45

« Cette alternative prend tout son sens à partir du constat que partagent de plus en plus d’analystes en ce qui concerne la nature structurelle du problème de l’emploi. Même lorsque la croissance économique réussit une diminution du chômage, elle n’entraîne pas nécessairement une réduction comparable de la pauvreté. […] Des alternatives se dessinent également au sein du paradigme salarial, tel que le partage du temps de travail. »
[Lévesque et al., 2001, p. 46.]

46Deux idées ressortent de cette citation. D’un côté on a le constat que le chômage structurel et la nouvelle pauvreté sont inéluctables. L’État ne peut rien y faire. Ce sont les lois naturelles de la nouvelle régulation, le nouveau régime d’accumulation que je présume être imposé par le nouvel ordre mondial, les nouvelles technologies et les limites à la croissance que nous imposent la préservation de notre environnement et l’épuisement des ressources naturelles. S’il faut en croire les tenants de l’économie solidaire, on ne peut accroître la taille du gâteau ; on ne peut que partager le gâteau existant d’une façon plus équitable.

47Sur un sujet proche, le partage du temps de travail, l’Appel européen pour une citoyenneté et une économie plurielle, cité favorablement par les auteurs, contient aussi une phrase qui me semble révélatrice :

48

« Il est en outre nécessaire de redistribuer de façon continue sur l’ensemble de la population active un volume de travail régulier… qui est en voie de contraction inéluctable. »
[Lévesque et al., 2001, p. 80.]

49Ainsi, ces deux citations donnent clairement l’impression que nous vivons maintenant sous un nouveau régime de régulation où la croissance économique ne saurait ni créer des emplois ni réduire la pauvreté. La contraction de l’emploi est inéluctable. On ne nous dit pas pourquoi, mais on peut présumer que c’est en raison du progrès technique, qui supprime les emplois en rendant bon nombre de postes de travail redondants, et en raison de la concurrence étrangère. Les partisans de l’économie sociale donnent parfois l’impression que la croissance économique, ce que les économistes hétérodoxes appellent la croissance de la demande effective, est impuissante à régler les problèmes du chômage et de la pauvreté. Pour les post-keynésiens, et aussi les régulationnistes, le progrès technique est bénéfique pour tous et ne détruit que des emplois sectoriels, sans diminuer l’emploi global, pourvu que le progrès technique soit accompagné de hausses de salaire réel suffisantes. Autrement dit, la relation d’Okun existe encore.

50Pour les postkeynésiens, il est possible d’accroître à la fois le taux de salaire et le taux de profit. Un salaire minimum plus élevé, et un salaire réel moyen plus élevé, ont des effets favorables sur la demande effective, la productivité, la croissance, et l’emploi. Par exemple, le partage du travail est une bonne chose, mais seulement s’il est accompagné par une hausse du salaire réel. Si on veut réduire la durée de la semaine de travail, il faut éviter de diminuer la rémunération hebdomadaire des travailleurs de façon proportionnelle, autrement il n’y aura aucune augmentation de la demande effective [Cordonnier et Van De Velde, 1999 ]. Si le salaire hebdomadaire ou mensuel diminue, proportionnellement au nombre d’heures travaillées, on aura augmenté l’emploi, mais la production sera la même qu’avant, et les taux d’utilisation des capacités productives resteront inchangés. On aura seulement redistribué le gâteau, sans en augmenter la taille. Pire même, si le partage du temps de travail s’accompagne d’une hausse de la productivité, on pourrait même n’avoir aucune augmentation de l’emploi.

51L’autre inquiétude que soulève, chez un postkeynésien, toute l’attention portée à l’économie sociale ou solidaire pourrait aussi s’appliquer au programme EDR :

52

« On perçoit bien, chez les auteurs de ce courant [l’économie sociale], la mesure des risques d’une gestion sociale des exclusions : en particulier celui d’une ghettoïsation des initiatives communautaires, avec une privatisation au rabais des services publics. »
[Lévesque et al., 2001, p. 86.]

53L’économie solidaire, et les programmes de type EDR, pourraient-ils devenir des ghettos, des trous noirs qui absorberaient de plus en plus de démunis et de travailleurs infortunés ou déqualifiés, en permettant au secteur privé et au secteur public de diminuer leurs coûts ? Et à la page suivante, Lévesque et al. discutent d’un nouveau contrat social, qui permettrait « le passage d’un État-providence à un État solidaire ». Les pauvres et les travailleurs en chômage qui sont recrutés par les entreprises d’économie sociale ne sont pas dupes : sur les lignes ouvertes ils dénoncent l’exploitation dont ils sont les victimes, sacrifiés sur l’hôtel de l’économie solidaire et du quasi-bénévolat. D’ailleurs l’apologie du bénévolat qui a cours actuellement est un retour aux pratiques qui prévalaient avant l’instauration de l’État-providence, quand les religieux et les religieuses donnaient littéralement leur temps et leur savoir aux institutions hospitalières et d’enseignement.

54Avec l’économie sociale, on a l’impression que ses partisans cherchent à institutionnaliser une situation qui devrait être inacceptable. Les défenseurs de l’économie sociale tolèrent le retrait de l’État-providence. C’est comme si on avait deux marchés du travail : le marché primaire pour les syndiqués, les fonctionnaires de l’État et les professeurs qui disposent d’un emploi à durée quasi illimitée, avec d’excellentes conditions de travail ; et le marché secondaire pour les gens qui travailleraient dans l’économie solidaire: emplois mal payés pour travailleurs sociaux, gardiennes d’enfant, ou anciens prestataires de l’aide sociale ou de l’assurance-emploi, subventionnés par les miettes jetées par les différents ministères…

55La distinction entre marchés primaire et secondaire de l’emploi, chère aux institutionnalistes américains, est une distinction primordiale, que l’on observe tant dans les divers champs d’activité économique que dans la plupart des organisations où, à l’intérieur d’une même organisation, des travailleurs occupant des postes identiques bénéficient de rémunérations et d’avantages sociaux complètement différents. Les récessions qui nous ont été volontairement imposées depuis 1980 par les banques centrales, et les politiques d’austérité budgétaires que nos gouvernements ont cru bon devoir suivre, ont conduit à un affaiblissement du pouvoir des travailleurs, un rétrécissement du marché primaire et une extension du marché secondaire.

4.3 – Distinction entre employeur de dernier recours et économie solidaire

56L’objectif des économistes de gauche devrait être de rétablir le marché primaire de l’emploi ; ceci peut se faire en prônant une économie axée sur la croissance, les hausses de productivité et les augmentations du salaire minimum ; on ne peut garantir un État social en s’appuyant sur une peur obsessionnelle de l’inflation et des déficits publics, et sur une vision étriquée des capacités du système productif à s’ajuster aux fluctuations. Au contraire des socio-économistes prônant l’extension et la généralisation de l’économie solidaire, les économistes postkeynésiens qui prônent le programme EDR ont, eux, une vision macroéconomique du phénomène du chômage ; ils ont une théorie de la création monétaire et une théorie du financement du déficit gouvernemental qui divergent clairement toutes deux de celles défendues par les économistes du mainstream. Quelles que soient les craintes que l’on peut entretenir concernant le mauvais usage qui pourrait être fait d’un programme EDR, au moins les partisans d’un tel programme récusent la métaphore du gâteau de taille fixe dont il faudrait se partager les morceaux de façon solidaire.

57Pour les défenseurs du programme EDR, la monnaie n’est pas rare. Il est toujours financièrement possible pour un État souverain qui dispose de sa propre monnaie d’accroître ses dépenses publiques ; c’est un choix de société, le taux d’endettement jugé maximal n’étant qu’une convention. L’État souverain, plus facilement encore dans une économie avec taux de change flexibles, peut imposer les taux d’intérêt de son choix. Ces taux n’ont rien à voir avec le niveau d’endettement public ou le déficit budgétaire comme le démontre bien le cas du Japon. Les agences de cotation comme Moody’s peuvent bien baisser la cote du Japon à n’en plus soif, il n’en reste pas moins que ses taux d’intérêt sont les plus bas du monde. D’ailleurs, dans le contexte actuel où les marchés financiers ont démontré qu’ils étaient incapables de s’auto-réguler, étant plongés dans des abîmes de dettes, on voit mal comment les marchés financiers et les agences de cotation pourraient donner quelque leçon que ce soit au secteur public.

58C’est cet aspect macroéconomique de la problématique qui semble complètement absent de l’économie sociale. Bien des partisans de l’économie solidaire appuient les économistes néolibéraux quand ils réclament des budgets équilibrés ou lorsqu’ils dénoncent la dette publique comme fardeau pour les générations futures ; ils ne s’opposent à ces derniers que lorsqu’ils réclament davantage de programmes publics tout en acceptant des hausses des taux de taxation. Autrement dit, l’économie sociale, c’est l’acceptation inavouée de la « pensée unique », même si elle s’accompagne de bonnes intentions. Pourtant, il est possible d’aller au-delà de la « pensée unique » ; il existe un corpus théorique qui présente une vision alternative de la macroéconomie : c’est, notamment, le cas de la théorie économique postkeynésienne.

5 – Conclusion

59Les postkeynésiens, comme certains des anciens keynésiens, tel Abba Lerner, récusent les politiques budgétaires de déficit zéro et les métaphores qui associent le comportement des gouvernements à celui d’un bon chef de famille qui voudrait équilibrer son budget. Bien entendu, nul ne peut s’opposer à la vertu, et les postkeynésiens, comme tous les économistes, aimeraient bien éliminer les dépenses inutiles, le gaspillage et les travailleurs surnuméraires de la fonction publique.

60Mais ce qui caractérise la pensée postkeynésienne, c’est l’affirmation qu’il n’existe aucune relation positive entre les taux d’intérêt et les ratios déficit/PIB ou dette/PIB. À partir du moment où cette relation est niée, la plupart des conséquences négatives associées à des ratios déficit/PIB ou dette/PIB élevés disparaissent. Selon les postkeynésiens, les dépenses gouvernementales devraient être fixées au niveau optimal, selon les besoins de la société, et les taux de taxation, et donc les déficits gouvernementaux, devraient s’ajuster à l’effet multiplicateur recherché afin d’amener l’économie le plus près possible d’une situation de plein emploi avec taux d’inflation sous contrôle. Autrement dit, les postkeynésiens reprennent à leur compte les principes de la finance fonctionnelle de Lerner. Dans le cadre d’une économie monétaire capitaliste moderne, on ne peut justifier la réduction des services publics en prétendant que les ressources financières du gouvernement sont insuffisantes ou que le budget doit être équilibré.

61La crise financière actuelle, déclenchée depuis l’été 2007, annonce une grave récession, peut-être la pire depuis la Grande Dépression des années 1930. Les gouvernements vont-ils adopter les politiques du pire, en réduisant leurs dépenses publiques afin de les ajuster à leurs recettes fiscales en baisse ? Ou bien vont-ils faire preuve de réalisme, en poursuivant des politiques contracycliques keynésiennes ? Dans le second cas, l’ampleur de la crise et ses répercussions exigeront peut-être des mesures inhabituelles, comme par exemple l’adoption de politiques d’employeur de dernier recours, l’expérience japonaise ayant montré que les politiques monétaires et fiscales conventionnelles étaient impuissantes à relancer une économie stagnante et affaiblie par un système bancaire fragilisé.

Notes

  • [1]
    Texte présenté au colloque État et régulation sociale, organisé par le MATISSE, à Paris, en septembre 2006. Je remercie Bruno Tinel et Liêm Hoang-Ngoc, qui m’ont incité à rédiger ce texte lors de diverses discussions ayant eu lieu notamment à l’université de Lille 1, lorsque j’y ai été invité par Laurent Cordonnier et Franck Van De Velde en juin 2006. Je remercie aussi les deux rapporteurs anonymes de la revue qui, par leurs commentaires, m’ont amené à préciser certaines parties du texte.
  • [2]
    D’autres postkeynésiens, tout en acceptant l’idée que les taux d’intérêt fixés par la banque centrale devraient rester approximativement constants, défendent cependant d’autres points de vue quant à la détermination de leur niveau. Voir Rochon [2007] et son introduction au symposium portant justement sur ce sujet dans un récent numéro du Journal of Post Keynesian Economics.
  • [3]
    On objecte parfois que la dette, lorsqu’elle est détenue à l’étranger, pourrait constituer un fardeau dans le futur, puisque le compte courant ne sera équilibré que si le solde commercial est favorable (si les exportations surpassent les importations). Il faut noter qu’un déficit extérieur, qui conduit à l’accroissement de la dette extérieure, n’est pas nécessairement lié au déficit budgétaire (les présumés déficits jumeaux) ; ce déficit extérieur peut être causé par une déficience du système productif, qui produit insuffisamment de biens et services demandés par l’étranger ou par l’économie nationale. Autrement dit, une forte dette publique n’est pas nécessairement associée à une dette extérieure, comme en fait foi la situation du Japon.
  • [4]
    Le taux de croissance garanti de Harrod est donné par l’expression gw = s/k, s est le taux d’épargne national, et où k est le rapport capital/output, K/Y déjà identifié à la section précédente. C’est le taux qui assure que les effets de revenu et de capacité, induits par l’investissement en capital, soient cohérents entre eux. Autrement dit, c’est le taux de croissance qui assure le respect des normes stock-flux de l’économie productive.
  • [5]
    On pourrait dire que ces taux d’intérêt élevés étaient nécessaires à cause des forts taux d’inflation de la fin des années 1970 et du début des années 1980. Mais d’autres politiques étaient possibles. Pour lutter contre la stagflation, les économistes dominants de l’époque prônaient une politique budgétaire expansionniste combinée à une politique monétaire restrictive (voir, par exemple, Fortin [1978, p. 56]). Cette politique a conduit à la hausse des taux d’endettement public, et à une dynamique explosive du ratio dette/PIB. Il aurait été préférable d’adopter des taux d’intérêt faibles accompagnés de politiques fiscales restrictives, et de restaurer des contrôles de prix et de salaires.
  • [6]
    La récente crise financière ne remet pas en cause cette vision. Il est vrai que les taux de rendement sur certains actifs privés et donc risqués ont brutalement augmenté, mais les taux de rendement sur les actifs sûrs, les titres d’état, ont par ailleurs diminué durant la crise. Les banques centrales ont clairement démontrées qu’elles étaient capables de conserver constants, ou de diminuer, les taux d’intérêt pertinents aux décisions du secteur privé, malgré la hausse des primes de risque causée par la crise de confiance.
  • [7]
    Évidemment, la seconde ligne du cas A implique aussi que la dépense gouvernementale aurait pu être financée directement à partir d’un compte bancaire du gouvernement, auquel cas aucune encaisse de règlement (réserves) n’aurait été créée. Le gouvernement, comme toute entreprise privée, pourrait donc financer ses dépenses en tirant sur une ligne de crédit qui lui aurait été consentie par la banque, comme c’était le cas à l’époque des Rois maudits !
  • [8]
    Fabrice Colomb, de l’université de Paris 1, m’a fait remarquer que le programme EDR présentait certaines similarités avec le concept « d’emploi aidé non marchand » ou les « travaux d’utilité collective ». Voir Robineau [2002].
  • [9]
    Lerner a autrefois enseigné à la New School, d’où proviennent Nell et Forstater, et Wray a été un étudiant de Minsky. Autre affiliation, Lerner a aussi été professeur pendant deux ans à l’Université du Missouri à Kansas City, dans les années 1940. Notons que William Vickrey a obtenu le prix Nobel de la Banque de Suède, pour ses travaux antérieurs de facture néoclassique, et que son manifeste de 1997, hétérodoxe et radical, devait constituer son discours d’acceptation. Malheureusement, Vickrey n’a pu prononcer ce discours, car il est mort quelques jours après l’annonce de son prix.
  • [10]
    L’économie solidaire ou sociale est un champ d’études très à la mode en sciences sociales et bien financé depuis une quinzaine d’années, notamment au Québec.
Français

Résumé

Ce texte aborde le quatrième pilier de l’État social, les politiques de soutien à l’activité et à l’emploi. Les économistes postkeynésiens contemporains soutiennent les principes de finance fonctionnelle mis de l’avant par Abba Lerner, dont les fondements sont solidifiés par l’analyse postkeynésienne du processus de création monétaire et de détermination des taux d’intérêt. Certains postkeynésiens proposent aussi un programme d’employeur de dernier recours.

Mots-clés

  • finances publiques
  • dette publique
  • employeur de dernier recours
  • détermination des taux d’intérêt
  • économie solidaire

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Marc Lavoie
Département de science économique, Université d’Ottawa
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Mis en ligne sur Cairn.info le 07/04/2009
https://doi.org/10.3917/rfse.003.0055
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