CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1La première organisation internationale à faire explicitement référence au développement durable est l’Union internationale pour la conservation de la nature [UICN, 1980] dans son rapport sur la Stratégie mondiale de la conservation, publié en 1980. Ce rapport se fixait comme objectif de « contribuer à l’avènement du développement durable, fondé sur la conservation des ressources vivantes ». Il soulignait qu’un développement durable nécessite avant tout la conservation des écosystèmes qui supportent ce développement. La définition courante du développement durable, celle du rapport Brundtland, est cependant beaucoup plus vague : « Le développement soutenable est un développement qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs » [Commission mondiale sur l’environnement et le développement, 1988, p. 51].

2Le concept a bénéficié d’un fort engouement à partir de la conférence de Rio en 1992, au point qu’il est aujourd’hui difficile de parler de développement sans lui adjoindre l’adjectif « durable ». Ce succès est en partie lié à la définition du rapport Brundtland qui permet une grande diversité d’interprétations, en particulier de l’adjectif « durable ». En fait, comme pour beaucoup d’autres concepts onusiens, le caractère « mou » de cette définition représente sa force mais aussi sa faiblesse. Il est consensuel mais finalement peu opérationnel [Zaccaï, 2002]. C’est pourquoi les indicateurs de développement durable (IDD) doivent pouvoir offrir des points de repère à partir desquels il est possible de mieux appréhender les enjeux du développement durable.

3Ainsi, comme le soulignait l’Agenda 21 dans son 40e et dernier chapitre, « les méthodes d’évaluation des interactions entre les divers paramètres de l’environnement, de la démographie, de la société et du développement, ne sont pas suffisamment développées et appliquées. Il faut donc élaborer des indicateurs du développement durable afin qu’ils constituent une base utile pour la prise de décisions à tous les niveaux et contribuent à la durabilité autorégulatrice des systèmes intégrés de l’environnement et du développement » [Nations unies, 1992, 40.4].

4De nombreuses organisations internationales, telles que l’Organisation de coopération et de développement économique [OCDE, 1994], la Commission pour le développement durable [CSD, 2001] ou l’Agence européenne de l’environnement [AEE, 2003], se sont donc lancées dans le développement d’IDD. Plus récemment, des démarches ont été lancées pour mettre en place des IDD nationaux [Ayong Le Kama, 2004 ; CNDD, 2003 ; IFEN, 2001a, 2003].

5L’avantage des indicateurs par rapport à d’autres outils d’évaluation est qu’ils ont pour particularité d’évaluer de manière indirecte ce qu’il est trop coûteux de mesurer directement.

6Ainsi, selon Alain Desrosières [2003, p. 61], le point fort des indicateurs par rapport à d’autres outils d’évaluation est d’avoir pour particularité de « disjoindre le signifiant et le signifié ». Ils représentent d’une certaine manière des « fictions utiles ». C’est pourquoi, face à un concept polymorphe, complexe et controversé comme celui du développement durable, le recours à des indicateurs considérés de facto comme approximatifs est une aubaine. Par ailleurs, les indicateurs sont des outils « plastiques » : ils peuvent prendre la forme d’une donnée statistique, d’un modèle mathématique ou informatique, d’une carte géographique, d’un indice synthétique…

7Ces propriétés font des IDD un outil efficace pour créer des passerelles entre le monde des experts et celui des profanes, entre celui de la science et celui de la politique [Levrel, 2006]. À ce titre, ils représentent un instrument précieux pour alimenter les débats publics [1] et offrent l’opportunité de créer un langage commun entre différentes communautés de pratique.

8Pourtant, la question de la décision n’est pas ou peu prise en compte par les concepteurs d’indicateurs. Les IDD sont fondés sur l’existence implicite d’un planificateur omniscient – souvent appelé « gestionnaire » – capable de piloter [2] un système société-nature grâce à une batterie d’IDD. Savoir qui est réellement ce gestionnaire et quels sont ses besoins en matière d’informations n’est pas la priorité des concepteurs d’indicateurs.

9Il est possible de mesurer cela à l’aune des principes utilisés pour évaluer la qualité des indicateurs. Les critères retenus par l’OCDE, qui est la première organisation à avoir travaillé sur les IDD, sont la pertinence politique, la solidité analytique et le caractère quantifiable des indicateurs [OCDE, 1994]. La plupart des organisations internationales ont repris à peu de choses près ces critères qui sont issus d’une tradition « statisticienne ». C’est pourquoi ces principes peuvent être rapprochés des six critères de qualité édictés officiellement par le Comité du programme statistique [3] [Desrosières, 2003] : la pertinence qui implique une adéquation entre l’outil et les besoins de l’utilisateur ; la précision qui nécessite une proximité entre la valeur estimée et la vraie valeur ; l’actualité et la ponctualité qui renvoient aux échéances décisionnelles ; l’accessibilité des données statistiques et la clarté de leurs formes pour les instances décisionnaires ; la comparabilité des données ; la cohérence qui est relative à la méthode de standardisation des données et à leurs interprétations.

10La question de l’adaptation des indicateurs aux besoins des « décideurs » renvoie aux critères de « pertinence » et de « clarté ». Pourtant, dans les faits, ces deux principes sont peu ou pas pris en compte par les groupes de travail en charge d’évaluer la qualité des données statistiques nationales ou européennes. Ces groupes de travail sont en effet composés majoritairement de métrologues, pour la plupart statisticiens, ayant une vision étroite des problèmes de qualité [Desrosières, 2003]. Cela explique pourquoi les débats au sein de ces groupes de travail se résument le plus souvent à des discussions sur les conventions statistiques d’agrégation, les problèmes de pondération ou les marges d’erreur acceptables.

11Nous souhaitons reprendre cette question de la qualité des IDD, dans cet article, en mettant au cœur de l’analyse le processus de décision. Plus particulièrement, nous souhaitons identifier un certain nombre de principes – ou critères – qui puissent permettre d’évaluer la qualité des IDD du point de vue de la théorie évolutionniste de la décision. Pour cela, nous procéderons en trois étapes. La première consistera à préciser la manière dont nous envisageons les « processus de décision » et à mettre l’accent sur la question de la perception. Nous nous attacherons ensuite à décrire les processus d’apprentissage en utilisant les notions de dissonance cognitive et de cycle adaptatif. Enfin, nous proposerons une liste de principes permettant d’évaluer la qualité des IDD à l’aune des modèles cognitifs utilisés par les « décideurs ».

1 – Décision et perception

12La théorie de la décision en économie est liée à l’individualisme méthodologique. L’approche néoclassique, dominante, est focalisée sur une hypothèse d’anticipation rationnelle en situation d’information plus ou moins parfaite [Biencourt et al., 2001]. Concrètement, l’individu collecte des informations, les traite et fait un choix qui va lui permettre de maximiser son intérêt compte tenu de son système de préférences. Il s’agit là d’un monde certain dans lequel toutes les informations sont accessibles et où les capacités de traitement infinies de l’homme lui offrent la possibilité de comparer les utilités dégagées par différents choix. Toute l’information nécessaire à la prise de décision est intégrée dans le signal [4] prix qui fournit à l’individu l’unique indicateur dont il a besoin. Dans ce contexte, le signal renvoie directement à une information et l’information à une connaissance [Sapir, 2000].

13Du point de vue des sciences humaines travaillant sur la perception, les hypothèses comportementales des économistes néoclassiques apparaissent extrêmement fortes et finalement peu réalistes. Toutes les questions de capacité cognitive, d’information et de contexte social, se réduisent en effet à des axiomes mathématiques extrêmement simplistes : optimisation d’une fonction d’objectif, information plus ou moins parfaite et équilibre général caractérisent en effet ces trois questions, objets de disciplines à part entière.

14Cependant, si on ne limite pas l’économie au courant néoclassique, les questions de capacité cognitive et d’information ont grandement évolué dans cette discipline.

15Le contexte dans lequel l’homme prend ses décisions, en particulier, n’est pas caractérisé par une information plus ou moins imparfaite – c’est-à-dire une situation où les risques seraient probabilisables – mais par une incertitude radicale. Cette dernière a deux origines [Kinzig et al., 2003 ; Biencourt et al., 2001 ; North, 2005 ; Keynes, 1936]. La première est extérieure à l’individu : « les agents ne connaissent ni la liste des états de la nature susceptibles de se réaliser, ni celle des actions qu’ils peuvent entreprendre et de leurs résultats possibles » [Biencourt et al., 2001, p. 197]. La seconde est intérieure : les agents sont incapables de faire des choix optimaux car ils ne disposent pas des capacités de traitement de l’information nécessaires à la réalisation de tels choix. Il existe en effet un phénomène de saturation cognitive lorsque les informations deviennent trop nombreuses [Sapir, 1998]. Un paramètre temporel accroît cette incertitude : les préférences et les connaissances individuelles évoluent dans le temps [Buchanan, 1954] tout comme l’environnement social et naturel. L’incertitude interne et l’incertitude externe sont par ailleurs interconnectées : un manque d’information sur les états de la nature conduit à une plus grande incapacité à faire des choix ; les changements environnementaux engendrent des changements de préférence ; un accroissement des sources d’information pose des problèmes de traitement et d’interprétation de l’information…

16C’est en mettant au cœur de la décision cette question de l’incertitude que les travaux d’Herbert Simon (1982) ont conduit à délaisser la dichotomie rationalité illimitée vs rationalité limitée pour une autre, plus réaliste : rationalité substantive vs rationalité procédurale. L’hypothèse de rationalité substantive est fondée sur l’idée que l’homme est « par nature » rationnel et qu’il est donc capable de prendre les décisions qui vont lui permettre de maximiser son utilité – que l’information soit parfaite ou non. L’hypothèse procédurale est fondée sur l’idée que la rationalité est liée au processus de décision (un processus d’interactions) et non pas au résultat de cette décision (une fonction d’objectif).

17Dans ce contexte, la décision doit être considérée comme un processus séquentiel d’interactions impliquant des acteurs hétérogènes [Weber et Reveret, 1993 ; North, 2005] dans lequel le comportement des agents dépend de structures sociales, d’un contexte géographiquement et historiquement situé, ainsi que d’un environnement incertain [Simon, 1982]. Dès lors, la rationalité ne se conçoit qu’ex post et peut être évolutive car les anticipations et les préférences sont le résultat des expériences passées et de l’acquisition d’informations nouvelles (voir [Crozier et Friedberg, 1977 ; Batifoulier, 2001] ; tableau 1).

Tableau 1

Deux modèles de décision

Tableau 1
Décision traditionnelle Décision en situation d’incertitude « Choix tranchés » « Enchaînement de rendez-vous » Un moment unique, un acte Une activité itérative enchaînant des décisions de second rang Prise par un acteur légitime Engageant un réseau d’acteurs diversifiés selon les responsabilités Clôturée par l’autorité politique ou scientifique Réversible, ouverte à de nouvelles informations ou à de nouvelles formulations de l’enjeu Source : [Callon, Lascoumes et Barthe, 2001, p. 307].

Deux modèles de décision

18Les préférences sont ainsi dépendantes du contexte et ne préexistent pas au choix. L’ajustement des conduites dans le cours même des interactions donne le véritable caractère procédural de la rationalité. Cela nous conduit à adopter une approche évolutionniste de la décision. Pour North (2005), adopter une telle approche implique la prise en compte des comportements adaptatifs et de l’apprentissage, ce qui nécessite de respecter sept principes : la dimension dynamique et interprétative des modèles mentaux (1) ; la pertinence heuristique d’une approche qui met au cœur de la décision la question de l’apprentissage (2) ; l’importance de la dépendance contextuelle des modèles interprétatifs et des règles de décision (3) ; l’endogénéité des objectifs et des préférences (4) ; l’organisation comme entité comportementale (5) ; les processus d’apprentissage, d’adaptation et de découverte guident les représentations et les comportements (6) ; l’importance du modèle connexionniste pour comprendre les processus d’apprentissage (7).

19L’approche évolutionniste de la décision met donc au cœur de sa posture la question de la perception et de l’apprentissage. Pour traiter ces deux points, il est utile de faire un détour par la psychologie de la perception.

20Trois grandes approches de la psychologie de la perception existent : le behaviourisme, le computationnisme et le connexionnisme [Jimenez, 1997 ; North, 2005 ; Seca, 2002].

21Il est possible tout d’abord de considérer l’homme comme un animal adaptatif qui va adopter des réponses instantanées pour répondre aux stimuli qu’il reçoit de son environnement en perpétuel changement. C’est l’approche de la perception directe ou behaviouriste. Cette hypothèse comportementale est valable pour les réflexes, mais elle ne permet pas de comprendre les choix non routiniers. C’est pourquoi la théorie behaviouriste a été abandonnée.

22Une deuxième perspective, dite computationniste, prend en compte les représentations et considère la perception comme une suite de traitements d’information envisagées comme un processus d’interprétation. L’interprétation implique un processus ascendant qui renvoie à des caractéristiques sensorielles (les stimuli) et un processus descendant qui fait appel à des représentations [5] préexistantes [Neisser, 1976]. Pour relier ces deux processus et qu’il y ait émergence de sens, l’approche computationniste envisage le processus d’interprétation à travers trois étapes. La première est l’étape sensorielle ascendante qui renvoie à des tâches perceptives – détection, discrimination, reconnaissance, groupement automatique. La deuxième est l’étape figurative qui consiste à repérer des figures, parmi les groupements, ayant des propriétés structurales. Enfin, dans la dernière étape, le sujet identifie l’objet grâce à un processus d’appariement consistant à faire correspondre l’ensemble des caractéristiques structurales perçues avec une représentation préexistant dans sa mémoire. Les stimuli sont alors transformés en signaux pour l’individu qui les perçoit. Du point de vue décisionnel, cette approche correspond à l’hypothèse de rationalité utilisée par les économistes néoclassiques.

23Assimiler le fonctionnement du cerveau humain à celui d’un ordinateur constitue la limite de cette approche et pose au moins deux problèmes [Jimenez, 1997]. Tout d’abord, un objet peut se présenter avec un très grand nombre de propriétés structurales du fait d’un environnement changeant – lumière, distance, angle, etc. –, ce qui implique une infinité de perceptions possibles d’un même objet par un seul individu et, a fortiori, par plusieurs [6]. D’autre part, chaque individu dispose de milliers de représentations et l’hypothèse computationniste d’appariement conduit à imaginer une vitesse de consultation des représentations incompatible avec les capacités réelles du système nerveux humain.

24La perspective connexionniste résout ce double problème en montrant que l’homme mobilise en permanence des modèles cognitifs qui présélectionnent, parmi les représentations existantes, celles qui ont le plus de chances de correspondre aux propriétés structurales des objets perçus [7] et raccourcissent ainsi le temps nécessaire à la réalisation du processus d’appariement [Douglas, 1999 ; Jimenez, 1997 ; North, 2005, chap. 3 ; Westley et al., 2002]. Ces modèles ou schémas cognitifs permettent aussi de résoudre les ambiguïtés perceptives issues de l’environnement. Enfin, ils tissent des connexions entre les représentations, de manière à créer de l’ordre, de la hiérarchie et des relations causales entre ces dernières.

25Ainsi, les modèles cognitifs sont toujours en activité et pré-mobilisent en permanence les représentations qui correspondent « statistiquement » le mieux au contexte environnemental dans lequel l’individu se situe ou se situera quelques instants plus tard : « le système cognitif se trouve à chaque instant à un état donné, où le degré d’activation de ses éléments correspond à cette accessibilité ou “probabilisation” [8] […]. La probabilisation subjective permet de percevoir plus vite ce qui nous semble probable, mais aussi ce qui nous est important. Elle dépend ainsi, en plus des représentations culturelles stables et du contexte épisodique, des besoins et des valeurs de chaque individu, des intérêts du sujet qui perçoit » [Jimenez, 1997, p. 39-41].

26Dès lors, le contexte géographique et historique, les expériences passées de l’individu, ses connaissances spécifiques, les tâches qu’il risque d’avoir à réaliser… vont lui permettre d’activer des modèles perceptifs. Ce processus peut concerner des objets physiques très simples ou des objets abstraits très complexes :

27- Un objet physique lorsqu’une personne en distingue les caractéristiques physiques familières et utilise le contexte pour évacuer les ambiguïtés perceptives. Si nous prenons l’exemple d’un verre contenant un liquide rouge qui pourrait aussi bien être du vin que du jus de raisin, c’est le contexte qui va peut-être permettre d’identifier le contenu réel du verre. Ainsi, il sera d’autant plus probable que ce soit du vin si le verre est un verre à pied, qu’il est l’heure de l’apéritif, que l’on est en France et qu’il est tenu par un adulte.

28- Un concept abstrait lorsqu’une personne lit un article dans un journal sur un sujet particulier et qu’il interprète ce qu’il perçoit à partir de sa propre expérience et de ses connaissances sur la question. Ainsi, un article qui parlera d’un « homme pauvre », terme ambigu, pourra conduire le lecteur à se représenter une personne sans domicile fixe ou sans ressources financières, voire sans liens sociaux. Cependant, le reste de l’article permettra probablement au lecteur de mettre un sens plus précis derrière le mot « pauvre ».

29Cette construction perceptive renvoie au concept de rationalité interprétative, utilisé par les économistes des conventions, les institutionalistes et les « socio-économistes » de manière générale [Batifoulier et Thévenon, 2001]. Pour ces différents courants, c’est l’hétérogénéité des parcours individuels, des expériences, des contextes culturels et naturels, des connaissances spécifiques… qui conditionnent la manière dont fonctionnent les modèles cognitifs et donc les interprétations des signaux perçus. La perception, dans ce cadre, est fonction d’un processus d’appariement, comme pour l’approche computationniste, mais ce dernier est réalisé grâce à des modèles cognitifs qui rendent compte de la complexité du processus et des erreurs perceptives qui peuvent exister.

30L’approche connexionniste considère que les représentations ne sont pas fixes dans le temps. La structure initiale des modèles cognitifs est génétique, mais elle évolue ensuite au fil des expériences physiques et sociales [North, 2005]. Cela explique pourquoi le système de préférences d’un individu est avant tout le résultat de ses choix passés. Toutes les expériences que les individus vivent sont sources de connaissance et vont, à travers des rétroactions, agir sur les modèles cognitifs de l’individu. Ces rétroactions renforcent ou modifient ses modèles et représentent ainsi des processus d’apprentissage individuel. Adopter une approche évolutionniste de la décision nécessite donc de comprendre comment ces rétroactions fonctionnent. Pour cela, il faut s’intéresser aux erreurs perceptives.

2 – L’apprentissage

31Le fondement de l’apprentissage est la dissonance cognitive [Shackle, 1949]. Celle-ci ne peut apparaître que lorsqu’il y a une inadéquation entre le stimulus perçu et les représentations mobilisées par le modèle cognitif pour réaliser le processus d’appariement.

32Ainsi, lorsqu’un agent fait un choix, il mobilise un modèle cognitif qui lui permet d’anticiper un lien de causalité entre une action menée et un événement espéré. Si l’événement qui se réalise est en accord avec celui espéré, il se produit un processus de renforcement du modèle cognitif. En revanche, si l’événement n’a pas lieu ou si un événement inattendu apparaît, en bref si les conséquences de son action ne sont pas en rapport avec ce qu’il espérait, alors il y a une dissonance cognitive qui se traduit par une surprise et peut nécessiter une réorganisation du modèle, à défaut de quoi la même action risquera de conduire à la même erreur.

33C’est ce processus qui permet de construire à tâtons les représentations individuelles et les croyances. Si l’individu fait un choix qui « réussit », l’adéquation entre le processus perceptif ascendant et les représentations descendantes conduira à un renforcement de ses représentations – et des croyances auxquelles elles correspondent. Si ce choix échoue, la dissonance cognitive l’oblige à apprendre. Chaque erreur est donc source d’enrichissement pour les modèles cognitifs. C’est l’évolution de ses modèles cognitifs qui permet à l’individu de réutiliser les fruits de ses expériences passées.

34Ainsi, la comparaison entre les anticipations ex-ante et le résultat ex post d’un choix est à l’origine des rétroactions sur les représentations individuelles et des adaptations comportementales. C’est la surprise (souvent considérée de manière négative dans un monde rationnel) qui fait évoluer les croyances et les comportements [Shackle, 1949 ; 1983].

35Cependant, les dissonances cognitives sont souvent ignorées par les individus car elles menacent l’intégrité de leur système symbolique [Westley et al., 2002]. En effet, comme nous l’avons dit, les systèmes symboliques sont composés de milliers de représentations entre lesquelles il existe des milliers d’interactions. En remettre une en cause, c’est parfois remettre en cause tout son système de croyances et de valeurs à partir duquel chaque individu fait la plupart de ses choix. C’est pourquoi l’apprentissage passe souvent par un effondrement préalable de ses représentations. Or, il n’est pas facile d’accepter un tel effondrement. Le refus sera d’autant plus probable s’il s’agit d’une expérience qui n’a eu lieu qu’une seule fois et qui sera classée comme un « accident ».

36Il existe ainsi des phénomènes d’inertie dans les systèmes symboliques qui peuvent être assimilés à des niveaux de résilience. Ces niveaux de résilience correspondent aux quantités de dissonances cognitives que les systèmes symboliques peuvent subir sans s’effondrer. Cette résilience peut être renforcée par des petites dissonances cognitives, car elles obligent les individus à chercher des réponses argumentaires – pour eux-mêmes ou un interlocuteur – en mobilisant d’autres connaissances qui vont renforcer leur système symbolique et la résilience des représentations en question. Mais si les conflits de représentation deviennent trop importants, les ressources argumentaires s’épuisent et l’effondrement du système symbolique menace. C’est pourquoi les individus adoptent inconsciemment des stratégies qui leur permettent d’éviter d’avoir à faire face à ces dissonances. Il est en particulier possible de ne pas s’intéresser aux signaux qui pourraient conduire à un conflit de représentation (lire des journaux « de droite » si l’on est « de gauche » par exemple).

37Compte tenu de ce que nous venons de souligner, il est possible d’appréhender les processus d’apprentissage à partir de la métaphore des cycles adaptatifs [Berkes et Folke, 1998 ; Gunderson et Holling, 2002]. Ces derniers permettent de décrire la dynamique des systèmes complexes à travers quatre phases. La phase de croissance r est la période pendant laquelle un individu construit sa représentation d’un objet. La fin de la phase de croissance correspond à l’établissement d’une croyance spécifique sur un objet. La phase de conservation K est la période pendant laquelle la représentation apparaît comme vraie et les dissonances cognitives sont refusées car elles mettraient en danger le système symbolique de l’individu. Mais il s’agit aussi d’une période d’accroissement des dissonances cognitives qui réduisent petit à petit la résilience du système symbolique qui a été construite pendant la première phase. La phase de destruction créatrice ? correspond à un événement particulier qui crée une contradiction de trop, provoquant l’effondrement d’une croyance spécifique propre à un objet et laissant en même temps la place à de nouvelles croyances. La phase de réorganisation ? correspond à l’émergence d’une nouvelle représentation de l’objet et à la réorganisation du système symbolique.

38Pendant la phase de réorganisation, les croyances et les savoirs sont soumis à une grande instabilité et à une succession de dissonances et de renforcements cognitifs qui engendrent de riches périodes d’apprentissage. Cette phase de réorganisation peut être plus ou moins rapide mais elle correspond toujours à une période de réflexion et de discussion importante.

39La dissonance cognitive, comme nous l’avons dit, peut avoir pour origine une inadéquation entre le résultat espéré d’une action individuelle et le résultat effectif de cette action. Cependant, cette dissonance peut aussi avoir pour origine une interaction sociale [North, 2005]. Une discussion entre deux personnes ayant des parcours de vie différents, à propos d’un événement, peut ainsi conduire à des conflits de représentation puisqu’elles n’ont pas les mêmes expériences, connaissances ou intérêts relatifs à cet événement. Les représentations individuelles se construisent donc aussi à partir des interactions qui se produisent entre les individus et c’est pourquoi « opposer l’individu (psychologie) à la société (sociologie) n’a pas de sens théorique pertinent » [Séca, 2002, p. 33]. Dès lors, une théorie purement cognitive de l’apprentissage est incomplète [Biencourt et al., 2001].

40Les processus d’apprentissage collectif sont cependant difficiles à réaliser. En effet, les dissonances cognitives subies par un individu sont d’autant moins bien acceptées qu’elles ont pour origine une personne qui n’appartient pas à son « monde » et qui mobilise un argumentaire ne correspondant pas à son langage ni à ses principes de légitimité [Boltanski et Thévenot, 1991]. Une piste pour améliorer ces processus d’apprentissage collectif est d’avoir recours à des objets frontières qui offrent un langage commun [Arias et Fischer, 2000] à partir duquel des acteurs aux représentations différentes peuvent interagir. Les indicateurs peuvent offrir ce type d’outil.

41Ceci est particulièrement vrai pour la question du développement durable qui renvoie à différents principes de légitimité – concernant notamment les critères de durabilité faible ou forte. Ces principes de légitimité impliquent le recours à des indicateurs très différents tels que l’épargne véritable pour la durabilité faible [Atkinson et Pearce, 1993] ou le capital naturel critique pour la durabilité forte [Ekins, 2003], mais permettent en tout état de cause de clarifier les postulats sur lesquels les débats peuvent être construits.

3 – Repenser les IDD à partir des modèles cognitifs

42Comme nous l’avons indiqué dans l’introduction, la conceptualisation des IDD fait l’impasse sur la question de la décision. L’hypothèse sous-jacente étant, comme nous l’avons souligné, que le tableau de bord d’IDD permettra au décideur de maîtriser le système d’interactions société-nature en vue de lui faire adopter une trajectoire durable – ou équilibrée [Briassoulis, 2001 ; Hukkinen, 2003 ; Levrel et al., 2006]. On retrouve ici les hypothèses de la théorie néo-classique de la décision et de l’approche computationniste de la perception que nous avons décrites plus haut. Elles conduisent à imaginer l’existence d’un décideur rationnel, disposant de capacités illimitées de collecte et de traitement de l’information, et capable par là-même de réaliser des calculs d’optimisation.

43Selon cette approche, le gestionnaire n’a pas besoin de percevoir directement l’environnement auquel renvoient les IDD. Il gère le système par le biais des indicateurs, comme le fait le pilote d’avion avec ses instruments de vol : l’altimètre, l’anémomètre, le variomètre et le GPS lui offrent les signaux nécessaires à l’adoption d’une trajectoire optimale qui consiste à aller d’un point A à un point B. Mais cette vision est-elle valable pour les IDD [9] ? Au regard de ce que nous avons souligné précédemment, cela apparaît discutable. En effet :

44- Les indicateurs liés au développement durable sont des indicateurs qui admettent des espaces d’incertitude très importants.

45- Les indicateurs ne sont pas d’une grande utilité si on ne sait pas traiter l’information contenue dans les signaux envoyés par les indicateurs.

46- Les indicateurs ne contiennent pas, le plus souvent, un sens univoque. Des personnes différentes auront des interprétations différentes d’un même signal.

47- Il n’y a pas un décideur rationnel pour piloter l’avion mais une multitude d’acteurs hétérogènes qui ne veulent pas aller au même endroit et ne souhaitent pas piloter l’avion de la même manière.

48C’est pourquoi, dans les faits, les décideurs ou les gestionnaires ne se considèrent jamais comme s’ils étaient en situation de piloter un système, mais plutôt comme des acteurs parmi d’autres qui essaient d’influer sur les dynamiques dans le sens qui les arrange le mieux. Ils doivent composer avec un collectif dans lequel ils ne représentent que des agents parmi d’autres. En réalité, il existe de nombreux acteurs hétérogènes qui utilisent tous des indicateurs différents – sans jamais appeler ça des « indicateurs » – adaptés à leurs besoins spécifiques et leur permettant de faire des choix dans leurs vies quotidiennes [Levrel et al., 2006]. Seuls les concepteurs d’indicateurs arrivent à imaginer une situation de tableau de bord permettant de piloter un système.

49Un premier point pour questionner la qualité des IDD est donc d’admettre qu’il n’existe pas un planificateur rationnel qui pourrait piloter un système d’interactions société-nature en vue de lui faire adopter une trajectoire optimale grâce à l’usage d’une liste d’indicateurs scientifiquement validés et organisés sous forme de tableau de bord.

50La prise en compte des modèles cognitifs et des processus d’apprentissage utilisés par les individus nous permet de reposer la question de la qualité des indicateurs et d’identifier cinq critères complémentaires à ceux utilisés par les organisations statistiques [10] (tableau 2) : un principe de contextualisation (1), un principe de hiérarchisation (2), un principe de rétroaction (3), un principe d’exploration (4) et un principe d’interaction (5).

Tableau 2

Synthèse sur les critères de qualités des IDD

Tableau 2
Principe Problèmes / capacités cognitives Enjeux pour la conception des IDD Objectif des IDD Exemple d’IDD Contextualisation Défaut de mise en perspective des IDD crée des problèmes d’interprétation Situer les IDD au regard de mondes communs spécifiques Fournir un ou des langages communs qui facilitent les débats Éco-efficience (renvoie au « monde industriel ») Hiérarchisation Effet de liste lié à la grande quantité d’IDD : saturation, confusion, répulsion Prendre en compte les systèmes de préférences des usagers Offrir des signaux parlants et classés par ordre de grandeur Indicateur de développement humain (indicateur « tête d’affiche » mobilisateur) Rétroaction IDD envisagés comme outils de planification plutôt que d’apprentissage Identification des signaux à partir desquels les agents révisent leurs préférences Être une source de surprises pour engendrer des dissonances cognitives et des processus d’apprentissage Empreinte écologique (outil didactique fondé sur des changements d’échelles) Exploration Des capacités limitées pour appréhender les échelles de temps long Accroître l’aptitude des individus à appréhender les dynamiques de long terme Articuler les usages micro à court terme avec les changements globaux à long terme Capital naturel critique (prend en compte la résilience, les effets de seuil, et permet de réaliser des simulations) Interaction Des capacités limitées pour appréhender les interactions non linéaires Accroître l’aptitude des individus à comprendre comment les interactions animent le système Aider à appréhender la complexité des dynamiques société-nature SMA ou modèles de dynamique des systèmes (prise en compte de nombreuses interactions)

Synthèse sur les critères de qualités des IDD

3.1 – Un principe de contextualisation

51Il est primordial de considérer que la rationalité des acteurs est procédurale et que les signaux émis par les indicateurs transportent toujours une information dont le sens doit être extrait à travers une interprétation et complété par des connaissances spécifiques. Pour comprendre les liens qui existent entre les connaissances des acteurs et les connaissances véhiculées par les indicateurs, il est possible d’avoir recours aux notions de connaissance codifiée et de connaissance tacite [11] [Cowan et Foray, 1998]. Il existe en effet une relation de complémentarité entre ces dernières : sans connaissances tacites, il est impossible d’utiliser les connaissances codifiées qui ne transportent qu’une information incomplète. C’est pourquoi les différences de connaissances tacites des acteurs conduisent à des interprétations différentes des signaux émis par les indicateurs [Batifoulier et Thévenon, 2001]. Par ailleurs, l’utilisation de connaissances codifiées va avoir une influence sur les connaissances tacites qu’ont les individus du monde et, inversement, ces représentations mentales vont jouer un rôle sur les représentations simplifiées du monde qu’offrent les indicateurs. Les « décideurs » auxquels s’adressent les indicateurs, leurs capacités de traitement de l’information et leurs représentations doivent donc être sérieusement pris en compte lorsqu’on cherche à évaluer la pertinence des IDD.

52Tous les individus se sont construit un véritable monde virtuel dans lequel des représentations interagissent. Les indicateurs doivent pouvoir être situés par rapport à ces représentations du monde. Il faut qu’il existe une adéquation entre les « mondes » créés par les indicateurs et les « mondes communs » auxquels font référence les communautés de pratique lorsqu’elles agissent.

53Un élément qui nous intéresse ici tout particulièrement est la capacité dont disposent les individus à traiter les signaux émis par les indicateurs. En fait, ces capacités sont beaucoup plus faibles que ne l’imaginent les concepteurs de systèmes d’information [North, 2005] et elles le seront d’autant plus que les informations transmises sont éloignées de la culture, de la connaissance et des habitudes de l’individu. Pour améliorer ces capacités de traitement, il est possible d’accroître ce que nous avons appelé les probabilités d’occurrence d’un événement en contextualisant l’indicateur (voir les exemples du « verre contenant un liquide rouge » ou de « l’homme pauvre » évoqués p. 205). Cela permettra de rendre les modèles cognitifs plus à même de traiter rapidement l’information contenue dans les signaux. En effet, c’est le contexte qui crée une situation dans laquelle les indicateurs vont être parlants, qui permet de compléter les connaissances codifiées transmises par le signal et qui donne un caractère pertinent à l’indicateur. Ce contexte renvoie à plusieurs choses.

54Tout d’abord à l’interface. En effet, pour que les indicateurs atteignent leurs cibles et soient pertinents, il faut que l’interface utilisée soit adaptée au public visé [Levrel et al., 2006]. Il sera par exemple totalement inefficace de vouloir communiquer avec des chasseurs africains analphabètes à partir d’indicateurs représentant des taux de croissance d’évolution des populations animales d’une réserve. En revanche, des indicateurs spatialisés concernant l’évolution de l’abondance du gibier seront vraisemblablement bien accueillis par ces communautés de pratique. Inversement, un scientifique veut voir des courbes, des ratios et des indices qui concernent des objets précis. Un deuxième élément, important pour replacer dans leur contexte les indicateurs, est que les informations transmises par ces derniers puissent se traduire en événements concrets sur la vie des personnes. Ainsi « le développement des connaissances dépend de leurs incidences attendues sur la vie de tous les jours » [Douglas, 1999, p. 70]. Cela veut dire, notamment, que les indicateurs peuvent évoluer sur des pas de temps relativement courts tout en traduisant des tendances de long terme, mais aussi que ces tendances sont reliées à des paramètres qui touchent le quotidien des communautés de pratique concernées [12]. Un troisième élément est relatif à la présentation du système dans lequel l’indicateur s’inscrit, à sa portée réelle et à ses limites, sans quoi il risquera d’être équivoque.

55Un exemple d’IDD qui répond bien à ce critère est l’indicateur d’éco-efficience. Cet indicateur a pour objectif de mesurer l’intensité de matière utilisée – en équivalent énergie – par unité de service ou de bien produit – en équivalent monétaire [OCDE, 1998]. Il permet de mesurer l’efficacité avec laquelle les ressources sont utilisées pour produire des biens et des services. Concrètement, l’éco-efficience permet de réaliser des mesures à l’échelle de l’entreprise ou du pays, à travers le calcul d’une valeur ajoutée ou d’un PIB, découplés de leur consommation énergétique. Il doit permettre de comparer des produits, filières ou techniques alternatives, à partir d’un écobilan consistant à évaluer leurs impacts respectifs sur l’environnement naturel [CENECO, 1995]. Cet IDD est très parlant pour le « monde industriel » qui utilise comme principe supérieur commun l’« efficacité » [Boltanski et Thévenot, 1991] et se fixe des objectifs de « performance ». Il renvoie à des méthodes de production concrètes, et le calcul des coûts et des bénéfices liés au changement technique est aisé. L’usage de cet outil doit cependant se faire avec précaution car, comme tous les outils qui mobilisent fortement les représentations, il peut être une source de manipulation importante [Hukkinen, 2003]. Ainsi, l’éco-efficience est un IDD qui ne prend pas en compte l’évolution de la consommation énergétique en valeur absolue (effet rebond) ni la part de l’efficacité qui est simplement due à la dématérialisation de l’économie (effet secteur).

3.2 – Un principe de hiérarchisation

56Les expériences menées dans la mise en place d’IDD depuis une quinzaine d’années par les organismes nationaux et internationaux ont permis d’identifier une constante : un effet de liste relatif aux batteries d’IDD [Lavoux, 2006]. La plupart des rapports sur les IDD souhaite en effet offrir une vision relativement exhaustive de la question du développement durable, de manière à bien souligner le caractère multidimensionnel de cet objet, mais aussi à prendre en compte la grande diversité des représentations le concernant. C’est à partir d’un tel objectif que l’Institut français de l’environnement en était arrivé en 2001 à identifier 307 IDD [IFEN, 2001a]. Cet effet de liste est aussi lié à la multiplication des programmes de construction d’IDD au sein de nombreux organismes ces dernières années avec :

57- Les indicateurs synthétiques, d’une part, tels que l’empreinte écologique [Rees, 1992 ; Wackernagel et Rees, 1996], l’épargne véritable [Atkinson et Pearce, 1993], l’indicateurs de bien-être durable [Cobb et Cobb, 1994], l’indicateur de progrès véritable [Lawn, 2003].

58- Les tableaux de bord d’indicateurs, d’autre part, tels que le cadre pression-état-réponse de l’OCDE (OCDE, 1994), le cadre force motrice-pression-état-impact-réponse de l’Agence européenne de l’environnement [AEE, 2003], le cadre du Millenium Ecosystem Assessment [MEA, 2005], le système de comptabilité économique et environnementale [Vanoli, 2002].

59La grande quantité d’indicateurs et la multiplication des programmes créent trois problèmes majeurs [Lavoux, 2006]. En premier lieu, ils sont à l’origine d’un phénomène de saturation informationnelle. En effet, les indicateurs envoient des signaux qui doivent permettre de prendre des décisions. Si le manque de signaux accroît les espaces d’incertitude pour la prise de décision, l’excès de signaux pose aussi un problème car il nécessite des capacités de perception et de traitement dont l’homme ne dispose pas. Ainsi, la mise en place d’un trop grand nombre d’indicateurs peut devenir une source d’accroissement de l’incertitude plus que de réduction de celle-ci. Ceci est d’autant plus vrai que les indicateurs n’évoluent pas de concert dans les tableaux de bord et que le sens de ces évolutions est souvent équivoque pour les indicateurs synthétiques. Ainsi, l’interprétation de ces systèmes d’indicateurs est malaisée. À ce phénomène de saturation se joint un problème de hiérarchisation. Les indicateurs sont en effet présentés sous forme de batteries non hiérarchisées. Or, la coexistence de plusieurs indicateurs non hiérarchisés peut déstabiliser l’environnement informationnel de l’individu, créer de l’incertitude et de l’incohérence. C’est pourquoi il est bien souvent difficile de tirer des signaux clairs des tendances décrites par les IDD. Un dernier problème est que ces batteries d’indicateurs créent un effet de répulsion. Il faut beaucoup de temps pour lire, comprendre et interpréter de telles batteries d’indicateurs qui sont souvent peu parlantes. Tout ceci ne peut pas inciter les acteurs à utiliser des indicateurs.

60Les systèmes symboliques créent des hiérarchies abstraites en donnant du sens aux choses et en les classifiant à travers des ordres de grandeur [Boltanski et Thévenot, 1991]. Tout comme les représentations sont hiérarchisées au sein d’un système symbolique, les indicateurs doivent être hiérarchisés pour qu’ils puissent être utilisés efficacement. Cette question de la hiérarchisation doit être appréhendée à partir des les systèmes de préférences des individus, des communautés de pratique, des sociétés.

61On peut noter que de nombreuses organisations tiennent de plus en plus compte de l’effet de liste et des contraintes de hiérarchisation dans leurs tableaux de bord d’IDD. Plusieurs exemples peuvent être évoqués. En premier lieu le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) qui utilise un indicateur « tête d’affiche » emblématique – l’indicateur de développement humain – pour inciter les usagers à consulter, dans un second temps, les autres indicateurs de développement humain présents dans le Rapport mondial sur le développement humain publié tous les ans : indicateurs concernant l’éducation, les inégalités de genre, l’accès aux ressources naturelles… À l’IDH vient généralement s’ajouter des indicateurs synthétiques qui ont été développés à partir de la thématique d’un rapport annuel (l’IDH genre en 1995 ou l’indicateur de pauvreté humaine en 1997). La stratégie du PNUD est de faire naître l’intérêt du grand public et d’inciter les utilisateurs potentiels à découvrir leurs autres indicateurs thématiques moins médiatisés mais plus précis. Un autre exemple est celui de l’Agence européenne de l’environnement qui propose des indicateurs clés (3 indicateurs) destinés au grand public, des indicateurs têtes d’affiche (entre 10 et 15) destinés aux décideurs politiques et des indicateurs thématiques (30 indicateurs) destinés aux usagers directs de l’environnement. Un dernier exemple concerne deux indicateurs emblématiques du réchauffement climatique : l’évolution de la date des vendanges depuis une centaine d’années et l’évolution de la distribution des vignobles dans les cent ans à venir [Bovar et Pennequin, 2006]. Il s’agit là d’indicateurs qui sont bien relayés par les médias et qui sont très parlants car ils renvoient à un critère de hiérarchisation des préférences de l’opinion publique française. Il existe cependant beaucoup d’autres indicateurs sur le réchauffement climatique qu’il est possible de mobiliser lorsqu’on cherche à disposer d’une information plus fine sur la réalité du réchauffement climatique (évolution des températures, bilan de masse des glaciers, composition des bulles d’air emprisonnées dans la glace…).

3.3 – Un principe de rétroaction

62Les changements de comportements individuels apparaissent aujourd’hui souvent comme la condition nécessaire à l’avènement d’un développement durable. Il est donc possible de considérer qu’un bon IDD, lorsqu’il évolue, crée des rétroactions (positives ou négatives) sur les comportements des individus. L’un des ressorts du changement de comportement est l’apprentissage et en particulier l’apprentissage fondé sur l’expérience – learning by doing. Il est donc possible de considérer qu’une des fonctions centrales des IDD est de fournir un outil didactique d’apprentissage basé sur l’expérimentation, qui a le gros avantage de faire l’économie des coûts de l’expérience réelle.

63L’empreinte écologique offre à cet égard un IDD particulièrement pertinent. Elle est construite à partir de la consommation finale et utilise une matrice de conversion qui permet de calculer l’équivalent de ressources naturelles renouvelables consommées. L’unité d’équivalence utilisée pour réaliser ce rapport est l’hectare d’écosystème consommé par un individu [13], une ville, une entreprise ou un pays. Elle permet donc de simuler « en ligne » les effets de l’évolution de certains comportements sur la consommation d’écosystèmes naturels (évaluée en nombre de planètes Terre pour être plus parlante). Cette dimension interactive a été l’une des sources majeures du succès [14] de l’empreinte écologique qui apparaît comme un IDD ludique et didactique.

64Comme nous l’avons souligné plus haut, les systèmes symboliques créent des possibilités de réflexivité en permettant aux individus de réorganiser en permanence leurs représentations grâce au processus continu d’apprentissage. Le degré de réflexivité est fonction des dissonances cognitives qui représentent le moteur de l’apprentissage. Il semble donc important que les IDD soient à l’origine de surprises, de manière à créer les dissonances cognitives qui engendrent des processus d’apprentissage individuels et collectifs à propos des questions de développement durable. Ces surprises seront avant tout liées à des changements d’échelles spatiales, temporelles et symboliques. C’est ainsi le fait de passer d’un indicateur de consommation finale à un indicateur de consommation d’unités de biosphère – représentant un changement d’échelle spatiale et symbolique – qui fait réagir l’utilisateur de l’empreinte écologique. Une autre source de surprise est de pouvoir passer d’IDD intéressant une communauté de pratique spécifique à ceux intéressant d’autres communautés de pratique, concernées par la durabilité du même système. Cela offre en effet l’opportunité de mieux comprendre les contraintes et les objectifs de son « voisin ». Ainsi, c’est le fait de passer d’indicateurs liés à la parcelle agricole – échelle spatiale fine – à des indicateurs concernant l’ensemble de l’écosystème qui crée une surprise pour l’agriculteur et lui permet de mieux comprendre les impacts de ses usages. Pour le gestionnaire d’une zone protégée, c’est l’inverse : c’est le fait de passer d’une échelle spatiale de référence qui est la zone protégée, à celle de la parcelle agricole, qui lui fera prendre conscience de l’impact de certains aménagements sur d’autres acteurs. Cela pose la question des outils qui permettent de proposer une image multi-échelles de la durabilité d’un système et d’articuler ainsi des IDD de différentes natures fonctionnant à différentes échelles spatiales. Il semble en particulier important de pouvoir mobiliser des modèles de durabilité spatialement explicites qui soient flexibles dans leur forme et didactiques dans leur usage, de manière à articuler entre eux des IDD fonctionnant à des échelles spatiales et symboliques hétérogènes [Boulanger et Bréchet, 2005].

3.4 – Un principe d’exploration

65L’être humain, en plus de se représenter le monde, a pour particularité de pouvoir anticiper les évolutions de ce dernier. Ainsi, il adopte des comportements aujourd’hui en fonction d’anticipation sur les événements de demain, ce qui représente un élément important pour le développement durable.

66La question des capacités réelles dont disposent les individus à percevoir des signaux relatifs aux événements à venir est cependant rarement posée. En fait, l’homme a de grandes difficultés à interpréter des signaux qui concernent des paramètres à évolution lente telle que la résilience des systèmes par exemple [Westley et al., 2002]. Ils sont même parfois très difficiles à se représenter tant certains changements apparaissent irréalistes pour le public, tout en étant probables pour les scientifiques. Cette dimension irréaliste est justifiée par un argumentaire sur l’incertitude des connaissances actuelles.

67Par ailleurs, il est difficile de relier les dynamiques micro et macro car elles n’ont pas lieu aux mêmes échelles temporelles, ce qui permet d’éluder le problème des changements de comportement ou d’en minimiser l’impact. Or, ce sont les changements micro à court terme qui sont à l’origine de la perte de résilience macro des systèmes société-nature à long terme [Gunderson et Holling, 2002].

68Les IDD doivent donc permettre de projeter les individus dans différents futurs possibles de manière à articuler les pratiques de court terme avec les changements globaux de long terme. Il faut pouvoir explorer différents scénarii pour appréhender les risques potentiels dont sont porteuses les dynamiques actuelles [Callon et al., 2001]. En particulier, les indicateurs doivent permettre d’articuler les paramètres à évolution lente avec ceux à évolution rapide, et de souligner ainsi les risques d’effondrement que ces évolutions font peser sur le système lorsque sa résilience est trop érodée.

69Le concept de « capital naturel critique » répond bien au principe d’exploration que nous venons de détailler. Le Capital naturel critique (CNC) a été développé pour offrir une réponse aux indicateurs économiques envisagés à partir d’un critère de faible durabilité [Ecological Economics, 2003, vol. 44, nos 2-3]. La notion de CNC est en effet fondée sur un principe de durabilité forte qui implique qu’une part importante du capital naturel n’est pas substituable par du capital physique [Ekins, 2003]. Le caractère critique de ce capital est à relier avec la notion de résilience. Le niveau critique de capital naturel est atteint lorsque l’utilisation d’une unité supplémentaire de ressource naturelle renouvelable conduit à l’érosion de la résilience de l’écosystème. Les trois critères qui peuvent être retenus pour caractériser le CNC sont l’absence de substituts, l’importance vitale ou stratégique pour les activités humaines et le risque de disparition de la ressource ou de l’écosystème [IFEN, 2001b]. Les scientifiques qui travaillent sur cette question proposent d’utiliser une batterie d’indicateurs en considérant le CNC du point de vue de l’utilité des écosystèmes pour la santé humaine (physique et psychologique), des niveaux de risques qui touchent les évolutions fonctionnelles liées aux activités humaines et des principes de durabilité économique qui doivent être respectés dans toutes les activités [Ekins, 2003]. Pour mettre en place ces indicateurs, il faut identifier : les fonctions fournies par les écosystèmes ; les bénéfices que l’homme en tire directement ou indirectement pour son bien-être ; les pressions socio-économiques que ce capital naturel subit ; les standards de soutenabilité qu’il est nécessaire de respecter ; les conséquences socio-économiques liées aux politiques de développement durable adoptées. Le CNC permet ainsi d’articuler entre eux des IDD fonctionnant à des échelles temporelles hétérogènes, et de lancer des scénarios prospectifs – what if scenarios. Le problème majeur du CNC est qu’il renvoie plus à une méthode qu’à un indicateur à proprement parler [15], ce qui est intéressant d’un point de vue scientifique et décisionnel mais ne permet pas d’avoir un outil de communication efficace.

3.5 – Un principe d’interaction

70Les indicateurs économiques, écologiques et sociaux doivent pouvoir être interconnectés et représenter ainsi les dynamiques qui animent les systèmes société-nature. C’est uniquement à cette condition qu’il sera possible de disposer d’IDD intégrés soulignant les interdépendances entre des paramètres appartenant aux sphères économique, sociale et écologique.

71Du point de vue cognitif, il existe des liens entre les représentations qui impliquent des logiques de causalité. Les réponses individuelles adoptées pour faire face à des questions de développement durable sont fonctions des liens de causalité que les systèmes symboliques des individus établissent entre différents paramètres. Ainsi, même si des liens de causalité sont avérés d’un point de vue scientifique, ce n’est pas pour autant qu’il va être possible d’observer une meilleure prise en compte de ces interactions par les décideurs politiques. Il suffit de prendre l’exemple de la crise de l’amiante pour voir qu’une connaissance scientifique établie à propos de certains liens de causalité peut mettre beaucoup de temps à être appropriée socialement, y compris lorsqu’il s’agit d’un élément qui concerne la santé de millions de personnes [16].

72Un enseignement important des crises environnementales et sanitaires qu’ont connues les pays de l’OCDE depuis une vingtaine d’années est qu’il faut éviter de considérer les liens de causalité comme univoques [Beck, 1986]. En effet, dans les systèmes complexes, les dynamiques sont fonctions de multiples interactions non linéaires et c’est pourquoi il est important de privilégier une gestion adaptative des dynamiques, fondée sur l’apprentissage [Arrow et al., 2000 ; Kinzig et al., 2003].

73Le problème, là encore, est que l’homme a des capacités limitées pour pouvoir appréhender les dynamiques complexes générées par les interactions société-nature [Gunderson et Holling, 2002]. En fait, le système cognitif humain a de grandes difficultés à gérer plusieurs objectifs simultanément et à tenir compte des interactions entre eux. Ces difficultés à appréhender les liens de causalités multiples conduisent les individus à imaginer des relations univoques entre les phénomènes observés et à ne pas prendre en compte les effets indirects que pourraient engendrer leurs choix. Cela explique en grande partie le succès de l’approche de command and control qui se focalise sur un paramètre comme le rendement économique ou la conservation d’une espèce, créant par là même des problèmes de myopie.

74Les indicateurs doivent donc permettre d’accroître l’aptitude qu’ont les individus à interpréter les interactions qui animent le système société-nature auquel ils appartiennent. Cela nécessite de recourir à des modèles systémiques prenant en compte un grand nombre d’interactions [Boulanger et Bréchet, 2005]. Le développement des capacités de traitement des modèles informatiques offre à cet égard un moyen intéressant pour appréhender les dynamiques complexes.

Conclusion

75Comme nous l’avons énoncé dans l’introduction, l’évaluation de la qualité des IDD nécessite de poser la question de leur fonction. Pour y répondre, il est nécessaire d’insister sur le fait que l’émergence d’un développement durable implique au final de relever deux enjeux très concrets. Le premier est de faire évoluer les comportements individuels pour faire émerger des pratiques durables et agir concrètement sur les changements globaux qui menacent aujourd’hui la planète. Le second est de coordonner des acteurs hétérogènes par rapport à ces changements, en vue de réaliser des choix collectifs permettant d’instituer des systèmes de régulation qui incitent les individus à adopter des pratiques durables.

76Les IDD, envisagés sous cet angle, doivent répondre à deux fonctions prioritaires.

77Ils doivent produire des rétroactions sur le comportement des individus qui en ont l’usage lorsqu’ils évoluent, en étant à l’origine de dissonances cognitives – base des processus d’apprentissage individuel.

78Ils doivent participer à la clarification des enjeux liés au développement durable et nourrir les débats à son propos. En particulier permettre d’articuler des mondes communs et d’explorer des futurs possibles en vue de faire converger les représentations relatives aux questions du développement durable.

79Les IDD pourront d’autant mieux répondre à ces fonctions qu’ils respecteront cinq principes que nous avons détaillés (tableau 1) :

  • un principe de contextualisation qui nécessite de penser les IDD à partir de systèmes symboliques spécifiques ;
  • un principe de hiérarchisation qui nécessite de limiter les risques de saturation informationnelle due au trop grand nombre d’IDD, en prenant en compte les systèmes de préférence des acteurs ;
  • un principe de rétroaction qui conduit à envisager les IDD sous l’angle des dynamiques d’apprentissage qu’ils peuvent faire émerger chez les utilisateurs potentiels ;
  • un principe d’exploration qui souligne que les IDD ont pour fonction d’anticiper des futurs possibles en articulant entre eux des paramètres évoluant à différents rythmes ;
  • un principe d’interaction qui insiste sur le fait que les IDD doivent permettre de mieux appréhender la complexité des dynamiques société-nature.
Il faut souligner que les principes de contextualisation et de hiérarchisation sont étroitement liés. Ils représentent en effet les contraintes à respecter pour développer des IDD parlants, c’est-à-dire des IDD adaptés aux représentations des usagers potentiels. De la même manière, les principes de rétroaction, d’interaction et d’exploration sont complémentaires car ces trois propriétés s’auto-renforcent pour produire des IDD dynamiques et interactifs qui permettent de mieux comprendre comment les systèmes société-nature fonctionnent.

80Cette liste de « principes » ne doit cependant pas être envisagée comme la liste de critères de qualité que devraient respecter tous les IDD, mais comme une liste complémentaire aux principes « techniques » proposés par les instituts statistiques. L’hypothèse que nous avons cherchée à défendre dans ce papier est que les IDD doivent permettre d’appréhender la complexité des questions que soulève le développement durable tout en produisant des signaux adaptés aux capacités cognitives des usagers.

81C’est pourquoi une première étape pour repenser la question des IDD est de considérer que les individus utilisent déjà de nombreux indicateurs dans leurs activités de tous les jours et qu’ils font évoluer leurs pratiques, petit à petit, en fonction des nouvelles informations que ces indicateurs leur apportent. Ces derniers renvoient, le plus souvent, à des conventions, des institutions ou des représentations individuelles, qui permettent à la fois de stabiliser les préférences individuelles et les relations sociales. En comprenant mieux la manière dont ces indicateurs structurent les comportements et les interactions sociales, il semble possible de dégager de nouvelles pistes pour élaborer des indicateurs concernant les interactions entre les dynamiques environnementales et les activités humaines.

82Un autre point important pour pouvoir produire des IDD qui respectent les principes que nous avons évoqués est le recours à des modèles systémiques au sein desquels les indicateurs sont interconnectés. En effet, les modèles permettent de replacer dans leur contexte les indicateurs et offrent l’opportunité de réaliser les changements d’échelles spatiales et symboliques qui sont source de surprise et de rétroactions sur les comportements des usagers. Il faut souligner par ailleurs le rôle central des simulations qui permettent, petit à petit, d’explorer les futurs possibles et de faire émerger les indicateurs qui structurent le plus la dynamique du système d’interaction société-nature. Les simulations fournissent ainsi un moyen de hiérarchiser les indicateurs en fonction de leur caractère plus ou moins structurant. Deux catégories de modèles disposent de propriétés particulièrement adaptées pour cela : les systèmes multi-agents [Boulanger et Bréchet, 2005 ; Janssen, 2002] et les jeux de rôle [Barreteau et al., 2001 ; Bousquet et al., 2002]. Les premiers permettent d’appréhender la complexité et d’articuler entre elles différentes échelles spatiales, temporelles et symboliques, tandis que les seconds fournissent un outil convivial qui offre l’opportunité d’utiliser les IDD de manière didactique et interactive.

Notes

  • [1]
    À l’heure actuelle, les débats que permettent d’alimenter les IDD sont largement – voire totalement – dominés par la question de la mesure de la richesse – entendue dans un sens large – à l’échelle macro-économique [Gadrey et Jany-Catrice, 2005 ;Viveret, 2003]. Ces indicateurs doivent renseigner sur le degré de durabilité du développement en vue d’orienter les politiques publiques.
  • [2]
    La métaphore du « pilotage » est très souvent utilisée par les organismes qui ont la charge de produire des IDD.
  • [3]
    Le Comité du programme statistique est composé des directeurs généraux des instituts nationaux de statistique des pays de l’Union européenne ainsi que du directeur général d’Eurostat.
  • [4]
    Un signal est un stimulus qui contient du sens pour celui qui le reçoit.
  • [5]
    Les représentations sont des schémas mentaux structurants et organisateurs qui permettent de réaliser des classifications symboliques [Séca, 2002].
  • [6]
    Ce risque d’ambiguïté perceptive sera d’autant plus important qu’il concernera un objet abstrait comme le développement durable.
  • [7]
    Ansii, sleon une édtue de l’Uvinertisé de Cmabrigde, l’odrre des ltteers des mtos n’a pas d’ipmrotncae, la suele coshe ipmronatte est que la pmeirère et la drenèire soit à la bnnoe pclae. Le rsete peut êrte dans un dsérorde ttoal et vuos puoevz tujoruos lrie snas porlbème. C’est prace que le creaveu hmauin ne lit pas chuaqe ltetre elle-mmêe, mias le mot cmome un tuot.
  • [8]
    Il s’agit de la « probabilité de convenance » des représentations à utiliser.
  • [9]
    Même si nous posons cette question de manière spécifique pour les IDD, il est possible de considérer qu’elle est valable pour la plupart des indicateurs « sociaux ».
  • [10]
    Précisons qu’il existe des tensions entre ces principes, comme il existe des tensions entre les critères de qualité édictés par le Comité du programme statistique [Levrel, 2006] et que la conceptualisation des IDD nécessite de réaliser des arbitrages à ce propos.
  • [11]
    Les connaissances codifiées sont formalisées – livres, données statistiques, modèles mathématiques ou indicateur – tandis que les connaissances tacites appartiennent au monde des représentations sociales, du savoir-faire et de l’expérience. Les connaissances tacites sont définies comme « ce que nous savons », mais que « nous ne pouvons pas toujours dire ». Ce sont des connaissances difficiles à exprimer ou qui peuvent apparaître de prime abord inutiles car les individus en ignorent la valeur.
  • [12]
    Cela ne veut pas dire que les événements qu’il est difficile de renseigner à partir d’indicateurs touchant le quotidien des acteurs ne doivent pas être pris en compte – ces questions sont à gérer en premier lieu par les décideurs politiques qui peuvent adopter des stratégies de long terme –, mais que l’appropriation des problématiques globales sera d’autant plus forte qu’elle pourra être reliée à des éléments du quotidien auxquels les individus sont d’ores et déjà sensibilisés.
  • [13]
    Le calcul à l’échelle individuelle est d’autant plus aisé qu’il est possible de le faire en ligne (http:// www. earthday. net/ footprint/ index. asp) en répondant à une liste de questions simples.
  • [14]
    L’empreinte écologique représente en effet l’IDD le plus emblématique et le plus médiatisé aujourd’hui. Il a donné lieu à une émission en prime time sur France 2 pendant laquelle diverses personnalités du PAF devaient calculer leurs empreintes écologiques. Cette émission, intitulée ClimAction (3 juin 2003), était organisée autour de 43 questions auxquelles les invités répondaient les uns après les autres pour calculer petit à petit leurs empreintes écologiques. Ponctuée d’interventions de scientifiques et d’explications sur l’impact des activités humaines sur l’environnement, cette émission représente un exemple unique de l’utilisation d’un indicateur dans un cadre pédagogique à très large échelle. L’empreinte écologique a par ailleurs été le seul indicateur évoqué par Jacques Chirac lors de son intervention au sommet de Johannesburg en 2002 [Gadrey et Jany-Catrice, 2005, p. 69].
  • [15]
    Il est cependant intéressant d’évoquer la tentative de l’IFEN qui a proposé une liste de variables correspondant au capital naturel critique de la France [IFEN, 2001b, p. 26].
  • [16]
    Classée cancérigène depuis 1976 par les médecins, et depuis 1978 par une résolution du Parlement européen, son usage n’a été interdit en France qu’en 1997.
Français

Résumé

Les indicateurs de développement durable sont souvent envisagés comme des outils de planification permettant de piloter un système société-nature. Cette approche sous-estime la complexité des processus de décision et les capacités cognitives des individus. Notre article propose de mettre au cœur de l’analyse des indicateurs de développement durable les questions de perception et d’apprentissage, en vue d’imaginer des indicateurs de développement durable plus en rapport avec les besoins des acteurs.

Mots-clés

  • indicateurs de développement durable
  • apprentissage
  • perception
  • coordination
  • décision

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Mis en ligne sur Cairn.info le 09/10/2008
https://doi.org/10.3917/rfse.002.0199
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