CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1La grande transformation qui s’est produite au sein de la science économique à partir des années 1970 n’a pas seulement affecté sa composante néoclassique, avec la reconnaissance des limites de la théorie de l’équilibre général comme théorie positive d’une économie de marché et la nécessité de se préoccuper de la coordination par des règles contractuelles, organisationnelles ou conventionnelles [Postel, 2003]. L’économie critique, encore qualifiée d’hétérodoxe ou de socio-économie, a aussi été le cadre de profonds changements avec l’abandon d’une posture essentiellement structuraliste-holiste. S’y sont tout particulièrement affirmés à la fois un tournant institutionnaliste et un tournant pragmatique.

2Envisagé en un sens large, le tournant institutionnaliste consiste à « prendre en compte les règles » en se fixant pour tâche d’expliquer leur formation et leur stabilité. En ce sens, la révolution qui a eu lieu au sein de la science normale relève de ce tournant, en délimitant alors une branche de l’institutionnalisme qui peut être qualifiée d’institutionnalisme rationnel et dans laquelle prennent place aussi bien la théorie standard étendue délimitée par Favereau (1989), la théorie néo-institutionnaliste des coûts de transaction de Coase-Williamson, la théorie évolutionniste de la firme de Nelson et Winter que la théorie cognitiviste des institutions et du développement économique de North [Billaudot, 2004 ; Chavance, 2007 ; North, 2005] [1]. Ce tournant est circonscrit de façon plus restrictive si la prise en compte des règles (au sens large) est réalisée en considérant que la rationalité individuelle se forme dans les solutions de coordination (elle ne préexiste pas aux processus d’institution). Il l’est de façon encore plus stricte si on se limite aux analyses qui adoptent plus ou moins explicitement la proposition centrale de l’ancien institutionnalisme américain du début du xxe siècle (Veblen, Commons) selon laquelle tout processus d’institution relève pour partie, au moins à l’échelle sociétale, d’une action collective mobilisant le droit, la formulation inverse de cette proposition étant de retenir qu’il est exclu que le seul mode d’autorisation des pratiques sociales soit celui qui mobilise l’éthique, adossé aux sanctions de la privation de ressources ou de l’appartenance au groupe. Ce sens strict est celui que l’on retient, dans la mesure où le tournant institutionnaliste, qui est ainsi délimité, est bien distingué du tournant pragmatique que l’on a en vue.

3Ce tournant pragmatique est celui qui « accorde une position centrale à l’action dotée de sens, réhabilite l’intentionnalité et les justifications des acteurs dans une détermination réciproque du faire et du dire » [Dosse, 1995, p. 12] [2] afin d’éviter les impasses du déterminisme des comportements par la structure. Il ne s’agit donc pas, ou pas seulement, d’un retour au pragmatisme américain (Peirce, Dewey), ce mouvement philosophique qui a inspiré l’ancien institutionnalisme [Pirou, 1939]. Certes, ce mouvement accorde une place centrale à l’expérience et à l’inférence pour comprendre les actions humaines et il considère en conséquence que les seules fins dont on puisse parler en science sociale comme étant celles qui sont visées par ces actions sont « les conséquences prévues qui apparaissent au cours de l’activité et qui sont employées pour accroître sa signification et diriger son cours ultérieur ». Mais une question demeure sans réponse satisfaisante. Comment distinguer une routine d’une convention sociale qui met en jeu un idéal moral, si les seuls idéaux qui peuvent être pris en compte dans une démarche « scientifique » sont les idéaux concrets procédant de l’expérience ? Cette distinction est faite, au sein du tournant pragmatique que l’on considère, en ayant recours à la justification : une routine s’impose seulement par l’expérience, tandis qu’une convention sociale doit être justifiée. Ainsi, pour les membres du programme de recherche de l’Economie des conventions dont les travaux relèvent de ce tournant, tout accord sur des règles contractuelles, et plus généralement tout processus d’institution de règles, repose sur une convention constitutive ; cette convention est commune aux personnes qui se coordonnent de cette façon ; elle a un fondement éthique, puisqu’elle signifie un accord sur un principe de justice, une valeur éthique ou un bien supérieur commun. On est alors confronté au « fait du pluralisme » dont parle Rawls, c’est-à-dire au pluralisme des cités [Boltanski et Thévenot, 1991] ou à celui des grammaires de justification [Bessy et Favereau, 2003], si ce n’est à celui des mondes communs justifiés en incertitude radicale [Salais, 1998]. Dans tous les cas, le normatif s’invite dans l’analyse positive sans que l’on bascule pour autant dans une analyse normative – terrain sur lequel se situent aussi bien Sen que Rawls.

4Ainsi délimités, ces deux tournants ne sont pas propres à l’économie [3]. Mais, à s’en tenir à cette discipline, le constat que l’on peut faire est qu’aucune jonction entre les deux n’est en voie de réalisation [Billaudot, 2006b] [4]. En laissant de côté la question des liens entre la révolution qu’a connue la science normale et l’affirmation de ces deux tournants, l’objet de cet article est de montrer que cette jonction est possible et qu’une avancée importante dans cette voie passe par la prise en compte de la distinction entre deux conceptions générales de la justice – il s’agit en l’occurrence de la distinction entre une conception de la justice en termes d’excellence et une conception de la justice en termes de coordination efficace qui a été dégagée par le philosophe américain MacIntyre d’une analyse de l’histoire des débats philosophiques à ce sujet. Cette double proposition sera établie en trois temps. Dans une première partie, on tente une mise en rapport entre les trois types de transaction de Commons et les cités de Boltanski et Thévenot, la conclusion tirée de cette mise en rapport étant que la jonction recherchée est possible, mais que sa réalisation demeure problématique (1). La seconde partie traite spécifiquement de l’apport de MacIntyre, en constatant alors un manque important dans la mesure où le sens de la distinction qu’il propose est très insuffisamment spécifié dans le cadre de la société moderne (2). Dans la troisième partie, ce manque est d’abord comblé, puis la distinction ainsi précisée est mobilisée afin de résoudre les problèmes mis en évidence à la fin de la première partie (3).

1 – Portée et limites d’une mise en rapport entre les types de transaction de Commons et les cités de Boltanski et Thévenot

5Afin de montrer qu’une jonction entre le tournant pragmatique et le tournant institutionnaliste est possible, il y a lieu de sélectionner dans chaque démarche une analyse qui est considérée comme tout à fait représentative du paradigme pris en compte et qui traite d’une question assez générale ayant des points communs avec la question traitée par l’autre analyse sélectionnée, puis de procéder à la mise en rapport de ces deux analyses et d’établir un bilan qui en fasse voir la portée et les limites. Les deux analyses prises en compte sont, du côté du tournant institutionnaliste, la théorie de la transaction de Commons (1934), et du côté pragmatique, la théorie de la justification de Boltanski et Thévenot (1991).

1.1 – Les trois modes de règlement des transactions économiques chez Commons : marchandage, direction et répartition

6La transaction est l’unité de base prise en compte par Commons dans son analyse de la « société économique ». Comme son nom l’indique, il s’agit de la rencontre de deux ou plusieurs actions, donc d’une catégorie qui se situe dans l’entre-deux entre l’individu (ou l’organisation) qui passe une transaction et le groupement humain à l’échelle duquel sont instituées les working rules présidant à l’établissement des transactions, ce groupement humain étant une organisation (going concern) ou la « société économique » dans son ensemble [5]. La première étape de l’analyse de Commons est de proposer une formule de la transaction. Toute transaction respecte trois principes : le conflit, la dépendance et l’ordre. Le conflit : il y a un conflit de prétentions entre les protagonistes ; on est en présence d’intérêts contradictoires. La dépendance : aucun ne peut se passer de l’autre avec lequel il est en conflit ; pour parvenir à ses fins, chacun doit passer par une transaction [6]. L’ordre : toute transaction est réglée. L’« ordre tiré du conflit » procède d’une « action collective en contrainte, en libération et en expansion de l’action individuelle » [Commons, 1934, 2e vol., p. 73].

7La seconde étape de l’analyse de Commons est celle qui fera l’objet de la mise en rapport (voir 1.3 infra). Elle traite de ce que Commons appelle les « types » de transaction. Ce sont la transaction de marchandage (bargaining transaction), la transaction de direction (managerial transaction) et la transaction de répartition (rationing transaction). L’interprétation la plus courante est qu’un type est une sorte de transaction ou encore une classe de transactions, la transaction de direction étant alors considérée comme le type de transaction que l’on rencontre au sein d’une firme, la transaction de marchandage comme le type que l’on rencontre entre organisations sur quelque marché que ce soit et la transaction de répartition comme le type que l’on rencontre lorsqu’une instance dont c’est la fonction répartit des ressources entre diverses personnes ou organisations. La façon dont Commons analyse la bargaining transaction accrédite cette interprétation [7].

8Une seconde interprétation est toutefois possible : un type serait un idéal-type, une forme polaire de règlement d’une transaction quel qu’en soit l’objet, la conséquence de cette interprétation étant que les formes observables de règlement combineraient le plus souvent les trois modes considérés. Le marchandage est alors le mode dont il appartient aux seules parties prenantes de la transaction de fixer toutes les conditions à égalité (aucune n’a autorité sur une autre en quelque domaine que ce soit). La direction est le mode dont il appartient à l’une des parties prenantes de fixer toutes les conditions (elle a l’autorité en tous points). La répartition enfin est le mode tel que toutes les conditions de la transaction sont réglées d’au dessus par une instance collective – celle-ci est l’émanation d’un ensemble de personnes, qui déborde (le plus souvent) le périmètre des seules parties prenantes à la transaction. Deux arguments peuvent être avancés à l’appui de cette seconde interprétation. Cette solution convient tout à fait pour analyser la transaction salariale ; si on s’attache aux règles qui à la fois l’habilitent et la contraignent, on constate sans difficulté que les trois modes sont en jeu, la « répartition » avec la législation du travail et les conventions collectives, le « marchandage » pour l’appariement (le qui avec qui) et la « direction » pour l’affectation à un poste de travail. Le second argument est que, pour Commons, les trois types ne sont pas de même niveau dans la mesure où « la répartition est la caractéristique particulière de l’action concertée qui édicte des règles pour les transactions de management et de marchandage » (1934 : 761) [8]. Cette seconde interprétation est celle qui est retenue dans cet article.

1.2 – Le modèle de cité de Boltanski et Thévenot : une pluralité de principes de justification commune

9Dans de la construction de Boltanski et Thévenot, le point de départ de leur modèle de cité est l’existence de la justification par l’homme ordinaire de ce qu’il fait ou plus précisément de ce dans quoi il s’engage. Une précision est donc d’entrée de jeu nécessaire pour bien comprendre cet apport théorique [9]. Il y a lieu de distinguer la justification par un individu de l’un de ses actes ou de l’une de ses activités – justification dite individuelle – et la justification par cette personne des normes sociales qui encadrent cette activité – justification dite sociale. Cette distinction renvoie à celle que fait Rawls entre les deux qualités morales qu’il attribue à l’homme moderne, le fait d’être rationnel et le fait d’être raisonnable. En effet, la justification individuelle est associée au sens que l’individu donne à son activité, lorsque ce sens manifeste que c’est une activité à signification rationnelle : elle exprime que les raisons personnelles qui sont données dans la signification sont de bonnes raisons pour elle (c’est de son intérêt personnel qu’il est alors question) ; quant à la justification sociale, elle est exprimée à l’occasion des débats portant sur le caractère juste ou injuste de l’organisation d’un groupement humain, c’est-à-dire sur la forme dans laquelle cette organisation a été, est ou pourrait être instituée. Intérêt personnel d’un côté, intérêt général de l’autre. C’est de justification sociale qu’il est question avec le modèle de cité, même s’il y a nécessairement une certaine cohérence entre la justification sociale d’un système institué de règles et la justification individuelle d’une activité réalisée en conformité avec ce système, cohérence impliquant de retenir, avec Rawls, que « le Raisonnable présuppose […] et conditionne le Rationnel » [Rawls, 1993, p. 93].

10La principale proposition de la Théorie de la justification de Boltanski et Thévenot est que des individus ne peuvent se coordonner sans problème que s’ils adoptent le même registre de justification. En qualifiant un tel registre de grammaire [Bessy et Favereau, 2003], on explicite bien le fait que cela permet aux individus concernés de se comprendre (coordination cognitive) et, comme ils justifient leurs actions menées dans le cadre de cette coordination en se référant à la même valeur – à la même grandeur ou encore au même principe de bien supérieur commun (voir infra) –, aucun conflit entre leurs intérêts personnels respectifs tenant à ces actions ne peut voir le jour (coordination dite politique, lorsqu’on utilise ce terme pour désigner le niveau des rapports des hommes entre eux, et qui sera qualifiée de sociale dans la suite).

11Le modèle de cité est alors défini comme un cadre de principes que tout registre de justification doit respecter pour qu’il soit acceptable, ou légitime si on préfère (voir encadré). Cela revient à exclure les grandeurs qui mettent en jeu la domination et la force, en ne respectant pas l’égalité fondamentale des individus [10]. On retrouve ainsi la même inscription historique de la théorie que chez Rawls : elle n’a pas la prétention de s’appliquer à tous les genres de société, seulement au genre « démocratique » procédant d’une citoyenneté généralisée.

12On retrouve aussi le respect du « pluralisme des valeurs » dans la mesure où ces principes ne mobilisent aucune doctrine particulière. L’apport spécifique de ce modèle est d’offrir un cadre d’intégration à ce pluralisme : (i) toutes les valeurs ou doctrines ne sont pas acceptables (solubles) dans la démocratie, (ii) toutes les justifications procédant de valeurs acceptables relèvent du même modèle (les six principes du modèle de cité) et (iii) la déclinaison de ce modèle en diverses cités tient au seul sixième principe ou axiome : d’une cité à l’autre le bien supérieur commun diffère [11]. Dans De la justification, les cités analysées sont la cité inspirée (dont le principe supérieur commun est le jaillissement de l’inspiration), la cité domestique (l’engendrement depuis la tradition), la cité de l’opinion (la réalité de l’opinion), la cité civique (la prééminence des collectifs), la cité marchande (la concurrence) et la cité industrielle (l’efficacité).

13Il n’en reste pas moins que l’observation des modalités de coordination pratiquement instituées dans l’espace public fait apparaître qu’elles ne relèvent pas d’une seule cité, mais d’une coexistence de plusieurs cités – ce qui peut s’analyser comme un compromis. Or ces compromis sont paradoxaux pour la théorie, puisqu’on ne peut faire appel à une super-cité pour résoudre le « fait du pluralisme ». De plus, cette coexistence est souvent rendue possible en mobilisant le droit adossé à la force, c’est-à-dire par une action collective qui est exorbitante pour le « commun » auquel se limite cette théorie [12].

Encadré : les principes du modèle d’une cité

P1 : le principe de commune humanité
  • une partition du monde est établie entre personnes humaines et êtres non humains
  • seules les personnes humaines ont le statut de sujets
  • les membres de la société se reconnaissent mutuellement comme tels (position symétrique de base)
P2 : le principe de différence
  • il existe plusieurs positions sociales différenciées à distribuer entre les membres de la société
P3 : le principe de commune dignité
  • chaque membre bénéficie formellement d’un égal potentiel d’accès aux différentes positions sociales, sans discrimination liée à la naissance ou au sexe
P4 : le principe d’ordre
  • les différences de positions sociales sont classées selon une hiérarchie de grandeur
P5 : le principe de sacrifice (ou formule d’investissement)
  • l’accès aux positions sociales supérieures a un coût qui implique un sacrifice de la part des postulants
P6 : le principe (de bien) supérieur commun
  • au-delà de leur propre satisfaction, ceux qui occupent une position de grandeur produisent un bien commun dont profitent tous les membres.
Source : [Rousselière (2006, p. 327], d’après [Boltanski, Thévenot 1991, p. 96-103].

1.3 – La mise en rapport et son bilan

14Les deux analyses peuvent être mises en rapport parce qu’elles portent toutes deux sur les conditions et les modalités de réalisation d’un ordre social ou d’une coordination. De plus, elles ont le même degré de généralité ; en effet, la triade de Commons s’applique aussi bien à une organisation qu’à la société économique dans son ensemble et le modèle de cité de Boltanski et Thévenot s’applique aux trois régimes d’engagement que sont le régime du proche, celui du plan et celui de l’espace public [Thévenot, 2006] [13]. Enfin, elles sont toutes deux relatives à un contexte sociétal moderne [14] ; ce qui vaut en effet pour le modèle de cité vaut aussi pour la triade de Commons dans la mesure où sa formule de toute transaction exclut que les entités qui établissent une transaction se trouvent préalablement dans une situation de dépendance à l’ancienne (ex : le serf vis-à-vis du seigneur ; le bénéficiaire d’un don dans la relation de don / contre-don).

15La mise en rapport conduit de prime abord à constater que l’on a d’un côté des modes polaires de règlement de transactions et de l’autre des régimes de justification sociale, qui ont aussi le statut de solutions idéal-typiques puisqu’il s’agit de justifications communes. Le premier problème soulevé est que le nombre n’est pas le même des deux côtés : trois du côté des modes de règlement d’une transaction et un nombre indéterminé (six ou plus) de l’autre. Pour autant, une solution simple de rapprochement s’impose : lier le marchandage à la cité marchande, la direction à la cité industrielle et la répartition à la cité civique. Les autres cités sont alors mises de côté. La jonction est donc possible. Mais sa réalisation nécessite que l’on réponde au moins aux deux questions suivantes. Comment expliquer la sélection de trois cités – marchande, industrielle et civique – et l’exclusion des autres ? Pourquoi le marchandage, versus la direction ou versus la répartition, est-il le mode de règlement polaire d’une transaction qui est sélectionnée lorsque le principe de bien supérieur commun retenu pour justifier cette sélection est la concurrence, versus l’efficacité ou versus la prééminence des collectifs ?

16Il n’est pas interdit de penser que les réponses à ces questions puissent conduire à reconsidérer certains aspects de l’une ou l’autre de ces analyses [15]. On le constatera dans la troisième partie. Il importe maintenant de se doter de l’outillage conceptuel permettant d’avancer dans la construction de réponses à ces questions d’ordre théorique.

2 – L’apport de MacIntyre : la distinction entre deux conceptions générales de la justice

17L’apport, qui est pris en compte, est l’analyse que MacIntyre a développée dans Whose Justice? Which rationality? (1988) [16]. Dans cet ouvrage, celui-ci ne fait pas état de sa propre réponse à ces deux questions. Ce point de vue n’apparaît à aucun moment, dans la mesure où il y procède à une analyse historique de la façon dont différentes traditions philosophiques appréhendent les liens entre la justice et la rationalité pratique dans le cadre de l’investigation en raison engagée par Platon. Cette analyse positive le conduit à faire état d’une opposition récurrente entre deux conceptions de la justice répondant l’une et l’autre aux critères d’une telle investigation – conceptions qui doivent être qualifiées de « générales » dans la mesure où elles se dégagent des formulations qui se sont renouvelées dans le temps avec les changements socio-institutionnels qui ont marqué l’histoire humaine [17]. Il s’avère nécessaire de présenter succinctement la démarche de l’auteur avant de voir ce qu’il nous dit de cette opposition, mais aussi ce qu’il ne nous en dit pas. Nous verrons en effet que son propos est incomplet et insatisfaisant en ce qui concerne la façon dont il caractérise, en modernité, le couple de conceptions en question.

2.1 – La démarche : une analyse historique en termes de traditions

18MacIntyre se propose « d’examiner ce qui fait qu’il est rationnel d’avancer et de défendre telle conception de la rationalité pratique plutôt que telle autre » en ayant pris conscience « du lien étroit et caractéristique qui existait entre des conceptions de la justice différentes et incompatibles et des conceptions de la rationalité pratique différentes et incompatibles » (1993 : V, souligné par nous). Cet examen n’est pas d’ordre logique, mais historique. En effet, quelque chose doit être ajouté à l’observance des règles de la logique « pour justifier la reconnaissance de la rationalité » [MacIntyre, 1993, p. 5].

À la recherche d’une compréhension historique

19La problématique de MacIntyre est donc d’abandonner le terrain de la seule logique pour une compréhension historique et réhabiliter ainsi la tradition, rejetée par les penseurs des Lumières, parce « qu’ils la considéraient comme l’antithèse de la quête rationnelle » [MacIntyre, 1993, p. 8]. Sa thèse consiste à rejeter l’idée que les investigations concernant les questions de vérité et de justification rationnelle des diverses doctrines philosophiques, qui s’affrontent et se renouvellent dans l’histoire, relèveraient d’une approche dans laquelle ces questions sont tenues pour éternelles (anhistoriques) [18]. Et à défendre « le concept d’une investigation rationnelle inséparable d’une tradition intellectuelle et sociale dans laquelle elle s’est incarnée » (p. 9). Le concept de justification rationnelle associé est « historique par essence. Justifier revient à faire l’historique de l’argument » (idem). Il n’y a donc pas une seule tradition d’enquête, mais une diversité, chacune avec son mode spécifique de justification rationnelle [19].

Deux sujets essentiels de discorde

20Dans le champ limité pris en considération par MacIntyre, le processus d’inscription dans le temps d’une tradition et de renouvellement des traditions prend naissance à la fois en Grèce avec Homère et au Moyen-Orient avec le monothéisme. Cette histoire fait d’abord clairement ressortir que chaque tradition forme un tout qui se tient, avec son langage, sa propre définition de ce qui est juste. Le second enseignement, sans doute le plus important, est que chaque tradition est associée à un contexte social (ou institutionnel, si on préfère) spécifique [20]. À chaque contexte, sa rationalité pratique et sa justification rationnelle des normes ou règles sociales.

21Deux sujets font principalement l’objet de discorde, si ce n’est au sein de chaque tradition du moins entre traditions. Le premier concerne le rapport entre la théologie et la philosophie ; l’opposition qui se manifeste alors est celle entre le point de vue selon lequel la théologie offre la meilleure compréhension de la morale et celui selon lequel la rationalisation des justifications (le fait que les justifications doivent être rationnelles) ne peut devoir quelque chose à la religion. Le second sujet de discorde concerne la justice à la fois dans l’ordre social et en tant que vertu individuelle ; l’opposition qui se manifeste alors est celle entre une conception de la justice en termes d’excellence, qui implique une priorité du bien sur le juste, et une conception en termes de coordination efficace, dans laquelle le juste a priorité sur le bien. Ce sont deux conceptions « radicalement incompatibles » (p. 49) de la justification rationnelle, qu’il s’agisse de justification sociale ou de justification individuelle. Ces deux débats se mêlent et s’entrechoquent à chaque époque entre traditions, et même au sein de chacune, en étant formulés dans des termes qui, parce qu’ils sont spécifiques au contexte social, soit ne sont plus les mêmes, soit changent de sens dans le temps. La seconde opposition est celle qui nous intéresse. Il importe de l’analyser plus précisément.

2.2 – La distinction entre la conception de la justice en termes d’excellence et la conception de la justice en termes de coordination efficace : un sens qui reste à préciser en modernité

22MacIntyre ne nous en dit guère plus que ce qui précède concernant, en toute généralité, cette opposition entre deux conceptions de la justice. Si tel n’était pas le cas, cela signifierait qu’il a adopté la problématique des Lumières rappelée supra et serait en contradiction avec la sienne propre. Pour autant, comme ce n’est pas précisément son objet, il ne nous raconte pas l’histoire de l’actualisation de cette opposition dans des contextes institutionnels différents. Il ne décrit avec un certain détail que sa première forme d’apparition dans la cité athénienne, avec la dissolution de la vision homérique. Pour la période moderne, il se contente de faire état de la forme spécifique que prend la conception de la justice en termes de coordination efficace dans la tradition qu’il appelle le libéralisme moderne. Ce manque sera comblé dans la troisième partie.

Une première caractérisation des deux conceptions : similitudes et différences dans le cadre de la polis athénienne

23Notre auteur rapporte l’origine de la distinction qui nous occupe aux deux dimensions distinctes de la notion d’accomplissement incarné par l’areté homérique – « accomplir quelque chose signifie exceller, mais aussi gagner » (p. 30) – en notant que Homère les a perçues très clairement [21]. La tension latente à l’areté homérique – exceller/gagner - se transforme en opposition dans la vie sociale d’Athènes au ve siècle. Ainsi, la victoire peut ne plus être le signe de l’excellence. Deux traditions vont en naître. L’opposition entre ces deux conceptions du juste ne tient pas au fait qu’une personne ou un ordre social ne pourrait être en même temps juste selon ces deux sens du terme. Au contraire, on a besoin, pour l’excellence dans l’exercice de telle ou telle activité (la poésie, la guerre, etc.), des biens de la coordination efficace. Ces biens sont la richesse, la puissance (le pouvoir) et la célébrité ; ce sont ceux qu’une coordination efficace permet d’atteindre et qui servent de critères pour juger de l’efficacité de la coordination ; et inversement. D’ailleurs, il arrive que « les deux types de justice, la justice conçue comme ce qui est dû à l’excellence et la justice conçue comme ce qui est requis par la réciprocité d’une coopération efficace, exigent […] des règles identiques ou similaires » (p. 40). En fait, « les divergences entre les deux parties […] touchent plus profondément aux questions de savoir comment et à l’intérieur de quel cadre conceptuel on doit comprendre à la fois l’excellence et l’efficacité » (p. 118). À l’époque considérée, ce cadre est la polis (la cité athénienne). Les principales différences entre ces deux conceptions sont alors les suivantes (voir tableau I).

24Dans la cité athénienne, aucune de ces deux conceptions ne s’impose comme étant la seule acceptable pour justifier l’organisation de la cité.

Tableau 1

Deux conceptions différentes de la justice à Athènes

Tableau 1
Ce à propos de quoi se manifeste une différence La conception de la justice en termes d’excellence (justice du mérite) La conception de la justice en termes de coordination efficace La justice en tant que vertu individuelle Elle peut être définie antérieurement à l’institution de règles de justice susceptibles d’être imposées, et de manière indépendante. Ces règles sont conçues pour atteindre ce résultat. Elle est définie à partir des règles de justice : une personne juste (vertu) est quelqu’un qui observe toujours les règles de la justice. La justice est une vertu parmi d’autres et le maintien de la justice à la fois dans l’ordre social et en tant que vertu individuelle requiert, dans un cas comme dans l’autre, l’exercice d’un ensemble de vertus autres que la justice. C’est la relation entre la vertu de la justice et les règles de justice qui diffère. La coopération Le bien qui donne son but et sa raison d’être à la coopération entre des individus en une occasion donnée est conçu comme un bien indépendamment de la coopération de ces individus particuliers et antérieurement à elle. C’est ce bien lui-même qui est l’objet de ce rapprochement. Elle exige que chacun reconnaisse les raisons d’agir des autres comme de bonnes raisons pour eux. Tout bien commun auquel tend la coopération découle et est composé des objets de désir et des aspirations que les participants ont apportés avec eux dans le processus de négociation. La coopération permet à chaque participant d’en retirer le plus grand bénéfice possible. Le contenu de la justice Il est défini en termes de mérite : chaque personne, chaque performance, doit recevoir son dû selon son mérite, les cas comparables étant jugés en termes égaux, les cas différents avec le degré de proportionnalité qui convient. Dans les conflits humains, la justice ne fait l’objet d’un accord que lorsque la nécessité pèse d’un poids égal des deux côtés ; dans le cas contraire, ceux qui ont l’avantage de la puissance exigent le plus possible et les faibles doivent céder aux conditions qu’on a daigné leur accorder. La polis Elle est conçue comme intégrant toutes les formes d’activité. C’est le but, le bien humain en tant que tel. C’est un cadre tourné vers les biens de l’efficacité. C’est dans ce cadre qu’ils peuvent être atteints.

Deux conceptions différentes de la justice à Athènes

La conception de la justice dans la tradition du libéralisme moderne : une version particulière de la conception de la justice en termes de coordination efficace

25Pour MacIntyre, le libéralisme moderne repose sur l’idée que « tout individu doit être également libre de proposer sa conception du bien et de vivre selon cette conception […], mais toute tentative de lui donner une dimension publique est proscrite » [MacIntyre, 1993, p. 361]. En conséquence, le système d’évaluation libéral est « qu’il n’existe pas de bien prépondérant » [MacIntyre, 1993, p. 362]. Cette condition s’exprime par la priorité du juste (le sens de cette proposition sera précisé dans la troisième partie). Ainsi, la justice libérale se présente comme une nouvelle version de la conception de la justice en termes de coordination efficace.

26Cela conduit à préciser la notion et la fonction de la justice dans un ordre social et culturel de ce type. En effet, puisqu’« aucune théorie générale du bien humain ne peut [y] être justifiée » [MacIntyre, 1993, p. 368], « il n’est pas surprenant […] que le libéralisme requiert dans sa dimension sociale un débat philosophique et quasi philosophique permanent sur les principes de la justice » [MacIntyre, 1993, p. 369]. Et comme ce débat est voué à rester sans conclusion – il ne peut y avoir d’accord sur une quelconque formulation précise des principes de la justice –, il n’y a d’accord que sur « ce que devrait être la fonction de ces principes » (ibid.). Cette fonction est de justifier toute inégalité de traitement entre les individus en tant qu’individus – ce qui fait jouer un rôle central aux règles et procédures du système juridique, dans la mesure où « la fonction de ce système est d’imposer un ordre dans lequel la résolution des conflits peut se faire sans invoquer une théorie générale du bien humain » [MacIntyre, 1993, p. 370, souligné par nous].

Quel est le manque ?

27La « tradition du libéralisme moderne » prise en considération par MacIntyre ne constitue que l’une des traditions entretenant un lien de filiation avec la philosophie des Lumières [22]. Ainsi, la tradition prussienne (Kant, Fichte et Hegel) a été laissée de côté. Cela est justifié à partir du moment où le propos de l’auteur est seulement d’illustrer sa thèse (voir supra). Mais cela pose un problème. En effet, on ne dispose pas d’une caractérisation relativement précise de la façon dont la distinction « générale » en question s’actualise dans le cadre du type de société qui se met en place en Occident à l’époque moderne et au sein de laquelle voit le jour cette tradition particulière. Pour le dire autrement, un manque résulte du fait que cette tradition soit la seule à être prise en compte et ce manque est qu’on ne sait pas si la conception dite libérale de la justice – celle qui est constitutive de cette tradition selon MacIntyre – est la conception de la justice en termes de coordination efficace qui est spécifique à la société moderne réellement existante en Occident ou si ce n’en est que l’une des expressions dans ce cadre. Certes MacIntyre ne réduit pas cette tradition à sa composante utilitariste (Bentham, Mill, etc.), courant pour lequel les biens qui sont jugés utiles – on peut les qualifier de biens ordinaires – sont ceux en lesquels se décline la richesse. Mais il ne procède à aucun rapprochement avec la façon dont il a spécifié la conception concernée dans la cité athénienne, cadre dans lequel les biens supérieurs visés sont la richesse, la puissance et la célébrité – ces biens sont dits supérieurs parce qu’ils sont une concrétisation de l’idée de bien (opposée au mal). Les biens visés dans la « conception libérale » sont-ils ces derniers ou seulement la richesse ? En tout état de cause, MacIntyre ne nous donne pas les nouveaux sens modernes de ces termes.

3 – La jonction entre la triade de Commons et le modèle de cité(s) de Boltanski et Thévenot : conditions de réalisation et résultat

28L’objectif visé dans cette troisième partie est de montrer que l’on peut répondre aux questions laissées sans réponse à la fin de la première partie sous l’égide de la distinction entre les deux conceptions de la justice mises en évidence par MacIntyre. La première étape dans cette voie est de combler le manque qui vient d’être pointé. La seconde est de procéder à la double appropriation critique qui assure la jonction visée sous la forme d’une synthèse.

3.1 – Le sens précis de la distinction entre la conception de la justice en termes de coordination efficace et la conception de la justice en termes d’excellence dans le cadre de la société moderne

29La conjecture, qui est formulée au regard de l’apport de MacIntyre et du manque qui y a été décelé, est la suivante. 1/ La conception libérale de la justice n’est que l’une des expressions de la version moderne de la conception de la justice en termes de coordination efficace, en l’occurrence celle qui est attachée au bien supérieur « richesse ». 2/ Il y a lieu de ne pas identifier la modernité à la seule modernité occidentale, c’est-à-dire considérer que la seule conception moderne de la justice serait la conception en termes de coordination efficace. L’élaboration théorique de cette conjecture est la façon dont le manque en question va être surmonté.

La version de la conception de la justice en termes de coordination efficace propre à la modernité occidentale

30Nous avons vu que la conception de la justice en termes de coordination efficace, en toute généralité, se caractérisait par une priorité du juste sur le bien, tandis que la priorité était inversée pour l’autre conception. Dans les deux cas, le juste et le bien sont considérés comme complémentaires : on a un effet du bien sur le juste et un effet du juste sur le bien ; le premier est que toute conception du juste (ou de la justice, si on préfère) repose sur différentes idées du bien et le second, que ces idées acceptables du bien (ou ces biens supérieurs, si on préfère) doivent respecter des limites fixées par la conception du juste. La priorité du juste signifie que ces idées doivent être des idées sociales, au sens où elles mettent en jeu les rapports des hommes entre eux [23]. Autrement dit, les valeurs qui servent de référence dans les jugements selon lesquels il s’agit d’idées du bien sont des valeurs sociales, et non pas des valeurs éthiques, en ce sens précis où ces dernières relèvent d’un rapport à soi-même (Ricœur, 1990) [24]. De plus, étant entendu que, dans le groupement humain considéré, on justifie en raison les formes instituées de la structure de base de ce groupement, cette priorité signifie que ces biens supérieurs qui sont jugés comme tels en se référant à ces valeurs sociales sont des biens visés par ce groupement humain. Cette priorité signifie enfin que l’efficacité est le critère qui permet de porter un jugement sur les règles qui rendent possible la coordination des membres du groupement humain : ces règles sont justes lorsqu’elles sont porteuses d’une coordination efficace. Ainsi, lorsque le bien visé est la richesse, la coordination est efficace si elle conduit à une richesse du groupe et à un ensemble de richesses des individus telles qu’on ne peut améliorer la richesse des plus pauvres en réduisant la richesse des plus riches. Cela s’applique aussi aux inégalités entre les hommes que ces règles instaurent – dire que ces règles sont justes et dire que les inégalités qu’elles instaurent ou permettent sont justes, est une seule et même proposition. On retrouve alors le principe de différence de Rawls : les inégalités sociales sont justifiées si elles procurent le plus grand bénéfice aux membres les plus défavorisés de la société. Il peut être formulé plus précisément comme suit : il est juste que les « grands » – ceux qui bénéficient des inégalités – aient cette position au regard des « petits » parce qu’ils réalisent, pour atteindre le bien commun visé (la richesse, la puissance ou la célébrité), un investissement que ne réalisent pas les petits ; sans cet investissement (ou ce sacrifice, si on préfère), les petits seront moins riches, moins puissants ou moins célèbres [25].

31On le constate déjà pour la version de la conception de la justice en termes de coordination efficace propre à la cité athénienne : la richesse, la puissance et la célébrité sont des biens supérieurs et ils sont considérés comme des biens visés par la cité et par chaque membre de la polis, lorsque la conception du juste qui s’impose est la conception de la justice en termes de coordination efficace. Il doit en être de même pour la version propre au type de groupement humain qu’est la société moderne occidentale. La question posée est alors de savoir quels sens précis ont la richesse, la puissance et la célébrité et quelles sont les valeurs sociales qui servent de référence à leur élection comme biens supérieurs. Ce genre de société est une société d’individus [Elias, 1991] dont la structure de base repose sur la citoyenneté et la monnaie et se caractérise par la dépersonnalisation et l’absence de localisation a priori des institutions dont elle se compose [Billaudot, 2006a]. Dans ces conditions, ces valeurs sont la liberté, l’efficacité technique et le collectif. Et ces valeurs sociales ont des sens précis, étant entendu que l’efficacité technique est l’efficacité concernant le rapport des hommes à la nature [26] et le collectif, le « nous » citoyen identitaire (voir tableau II).

Tableau II

Les biens de la coordination efficace et les valeurs qui leur correspondent en modernité occidentale

Tableau II
Les biens supérieurs visés Les valeurs correspondantes Les sens de ces valeurs La forme d’État La richesse La liberté Exprimer et pouvoir satisfaire ses désirs dans le cadre d’une libre compétition entre individus égaux État libéral La puissance L’efficacité technique Utiliser et exploiter scientifiquement la nature – l’exploiter en mobilisant au mieux les connaissances scientifiques et techniques* État saint-simonien La célébrité Le collectif Un « nous » exclusif construit à un seul niveau infra mondial, en l’occurrence à l’échelle d’une nation ou d’une fédération de nations (ou peuples)** État républicain * Sans considérer que cette exploitation fait partie d’un système comprenant une rétroaction. ** Le « nous » en question est un groupement humain. En toute généralité, un nous « inclusif » inclut tous les présents (en excluant s’il y a lieu les absents), tandis qu’un nous « exclusif » exclut certains présents en incluant du même coup des absents (Descombes, 2005). À propos des humains, le nous inclusif est l’humanité tout entière et le nous exclusif, une fraction présente de celle-ci.

Les biens de la coordination efficace et les valeurs qui leur correspondent en modernité occidentale

32Un retour en arrière sur la conception libérale de la justice définie par MacIntyre en fait voir l’ambiguïté : à certains titres, cette dernière se confond avec la conception que l’on vient de définir, tandis qu’à d’autres elle n’en est que la forme idéal-typique associée à la valeur « liberté » au sens qui vient d’être défini. La concordance vaut pour une proposition essentielle : la conception de la justice en termes de coordination efficace est la seule conception qui a droit de cité dans l’espace public. La conception de la justice en termes d’excellence est reléguée dans l’espace privé, c’est-à-dire en ce qui concerne la justification des règles internes aux organisations (entreprise, famille, etc.). Bien entendu, la conception en termes de coordination efficace peut tout autant présider aux justifications/contestations qui s’expriment dans l’espace privé. Quant à la cohérence entre justification sociale et justification individuelle (ou encore entre le rationnel et le raisonnable), elle est la suivante : la conception de la justice en termes de coordination efficace s’accorde avec la rationalité en finalité, tandis que la conception de la justice en termes d’excellence s’accorde à la rationalité en valeur [27].

33En matière d’institutions, l’espace public couvre les processus d’institution de la structure de base (les trois rangs supérieurs d’institution de Commons) : les questions débattues concernent alors tous les citoyens et tous ont en principe voix au chapitre. Les controverses qui s’y développent sont sous-tendues par le fait qu’il y a trois valeurs de référence possibles ; certaines règles (au sens large, c’est-à-dire y compris les interventions de l’État) peuvent être justifiées en se référant à l’une ou l’autre ; mais dans d’autres cas, ce qu’une valeur autorise ou prescrit, une autre l’interdit. Cela permet de comprendre que la société moderne occidentale est un type abstrait qui a pu prendre et prend encore aujourd’hui une diversité de formes, chacune se distinguant des autres par le fait que les trois valeurs de référence n’y ont pas présidé au processus d’institution de la structure de base avec les mêmes poids.

De la modernité occidentale comme type particulier de modernité

34On doit, a priori, considérer que la modernité occidentale n’est pas le tout de la modernité. Une autre modernité est envisageable. Tant que celle-ci n’a pas vu le jour, la seule réflexion concernant le bien-fondé de cet a priori est de faire voir qu’une définition plus générale de la modernité est possible [28].

35Les caractéristiques de dépersonnalisation et d’absence de localisation a priori des institutions de base, ainsi que le recours quasi exclusif à l’investigation rationnelle dans les débats de justification concernant les formes que peuvent prendre ces institutions ne sont pas spécifiquement occidentaux. En effet, ils ne sont pas attachés à tel ou tel sens des trois valeurs-piliers qui ont été dégagées par référence à la conception de la justice en termes de coordination efficace. Et comme c’est la définition générale (au-delà de la seule modernité occidentale) de cette conception qui a été alors mobilisée, il en va de même pour ces trois valeurs sociales : la liberté, l’efficacité technique et le collectif sont les trois valeurs-piliers de la modernité en général. Ce sont les sens donnés à ces valeurs qui changent d’un type de modernité à l’autre. Autrement dit, les sens précis qui ont été donnés dans le tableau II sont propres à la modernité occidentale en ce qu’elle se caractérise par le fait que seule la conception de la justice en termes de coordination efficace a droit d’expression dans l’espace public. Sont envisageables d’autres sens qui s’accordent avec la priorité du bien sur le juste, c’est-à-dire avec la conception de la justice en termes d’excellence [29]. Ainsi, l’exclusivité dont on vient de faire état n’est pas une caractéristique de la modernité en général. Cela dessine la possibilité d’une autre modernité. Dans cette autre modernité, les deux conceptions pourraient être mobilisées dans l’espace public [30]. Il s’agirait donc d’une ouverture et non pas d’un basculement consistant à retirer le droit d’expression dans l’espace public à des justifications sociales émises en se référant à la conception du juste en termes de coordination efficace, de l’ouverture à des valeurs éthiques et non pas d’un remplacement de valeurs sociales par des valeurs éthiques [31].

3.2 – Une synthèse qui réalise la jonction recherchée

36Les développements qui précèdent permettent de répondre aux questions laissées en suspens à la fin de la première partie, en faisant apparaitre la nécessité d’une appropriation critique de part et d’autre. Ces réponses conduisent à une synthèse entre les deux apports ainsi revisités.

Des réponses aux questions de la première partie faisant apparaître la nécessité d’une double appropriation critique

37La première question met avant tout en jeu le modèle de cité, tandis qu’il s’agit de l’analyse de Commons pour la seconde.

La distinction des trois cités – marchande, industrielle ou civique – comme cités « occidentales »

38Dans le modèle de cité, toutes les cités sont mises sur le même plan. La sélection de trois « cités » – marchande, industrielle ou civique – et l’exclusion des autres trouve sans problème son explication : (i) la modernité repose, du point de vue de la justification de sa structure institutionnelle de base, sur une triade de valeurs – la liberté, l’efficacité technique et le collectif – et (ii) ces trois valeurs sont porteuses de trois grammaires de justification sociale dans le cadre de la modernité occidentale. Ces trois grammaires sont distinctes, mais elles ont comme point commun de s’inscrire dans la conception de la justice en termes de coordination efficace. Les autres « cités » (au sens de Boltanski et Thévenot) reposent sur d’autres valeurs ; et elles n’ont pas de point commun, ce qui permet de comprendre que la liste de ces autres grammaires de justification n’est pas fermée.

39Cette réponse n’est acceptable qu’à la condition de procéder à certains amendements du modèle de cité. 1/ Une « cité » n’est pas autre chose qu’une grammaire de justification sociale (de justification en raison des institutions sociales). 2/ Les trois premiers principes sont relatifs à la modernité en général – ils déclinent l’avènement d’un rapport de citoyenneté –, tandis que les trois suivants sont propres à la seule modernité occidentale. Cela se constate tout particulièrement pour le cinquième qui est relatif à la justification des inégalités sociales, le critère retenu étant propre à la conception de la justice en termes de coordination efficace. Le sixième principe doit d’ailleurs être reformulé, parce qu’une valeur – un principe supérieur commun ou un principe de bien supérieur commun – ne suffit pas à la constitution d’une grammaire de justification sociale opérationnelle, tout particulièrement dans le débat citoyen (l’espace public en modernité). 3/ Les « cités » ne se distinguent pas par le bien commun qui serait visé, puisque cela n’a de sens que dans le cadre de cette conception, mais par les valeurs de référence ; chaque « cité » procède de l’accord sur une valeur supérieure commune et comprend la façon dont celle-ci sert de référence dans la sélection de tel bien supérieur, mais ce bien n’a pas nécessairement le statut d’un bien visé [32]. La correspondance entre valeur et bien supérieur visé ne vaut que dans le cadre d’une priorité du juste, c’est-à-dire pour les trois cités « occidentales ». 4/ La valeur supérieure commune de la « cité marchande » n’est pas la concurrence, mais la liberté, même si la concurrence fait partie de la définition précise de la liberté comme valeur sociale, qui est propre au libéralisme moderne « occidental ». 5/ Pour la « cité civique », ce n’est pas la valeur qui la sous-tend qui est en question, mais le bien supérieur commun qui est visé ; ce n’est pas la paix civique, mais la célébrité ; d’ailleurs ce terme, ou celui de renommée, n’est sans doute pas le plus adéquat à l’idée de bien qui est sélectionnée en se référant au collectif ; peut-on envisager la reconnaissance [33] ? Il n’en reste pas moins que cet amendement élimine le risque de prendre cette « cité » pour une super-cité [Riœur, 1995], c’est-à-dire de confondre cette grammaire de justification sociale commune avec l’action collective mobilisant le droit pour surmonter et régler les conflits qui naissent de la pluralité des « cités » – ce qui sera qualifié sous peu de justification collective en droit. 6/ Pour les autres « cités » qui reposent sur une valeur éthique et qui procèdent donc de la conception de la justice en termes d’excellence, le cinquième principe ne s’applique pas à l’échelle de toute la collectivité citoyenne (la nation ou la fédération de nations).

De la justification des trois modes de mise en ordre de Commons

40La seconde question, qui en contient trois, doit d’abord être reformulée en tenant compte des amendements précédents. De plus, il n’y a rien dans tout ce qui précède qui soit spécifiquement économique, ou propre à l’économie – peu importe alors la façon de la définir. Il n’y a donc aucune raison de considérer qu’aussi bien les « cités » que les « modes de mises en ordre » ne concerneraient que l’économie. Les « cités » s’appliquent à tout processus d’institution en modernité et les « modes de mise en ordre », à tout processus d’institution d’une structure de gouvernance de transactions. Cet élargissement conduit à ne plus parler, pour le troisième mode de mise en ordre, de répartition (rationing), mais d’action collective proprement dite. La reformulation de la seconde question est en conséquence la suivante. Pourquoi le marchandage, la direction et l’action collective proprement dite sont-ils les modes de règlement sélectionnés en se référant respectivement à la liberté, l’efficacité technique et le collectif ? Cette reformulation, même si c’est de façon implicite, postule que ces trois modes sont « modernes » en toute généralité, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas propres à la modernité occidentale au sens défini supra. Cela signifie qu’à ce niveau de généralité, ces modes sont justifiés à chaque fois de façon floue et vague. D’une forme de modernité à l’autre, la justification change, même si le nom de la valeur de référence est le même. La question devient propre à la modernité occidentale lorsqu’elle est formulée comme suit : pourquoi les trois grammaires de justification sociale « occidentales » conduisent-elles à sélectionner à chaque fois l’un des trois modes ?

41Le recours à la grammaire procédant de la liberté et visant la richesse conduit à justifier le choix exclusif du marchandage parce que les autres modes portent atteinte à la liberté et qu’ils introduisent des inégalités de richesse qui sont injustifiables en se référant à cette valeur. Le recours à la grammaire, procédant de l’efficacité technique et visant la puissance [34], conduit à justifier la direction parce que l’efficacité technique nécessite de rassembler-centraliser des savoirs différents distribués entre des personnes [35] et que les autres modes introduisent des inégalités de pouvoir qui sont injustifiables en se référant à l’efficacité technique comme valeur. Enfin, le recours à la grammaire procédant du collectif et visant la célébrité conduit à justifier l’action collective proprement dite parce que celle-ci est exercée par une entité représentative du « nous » en question, le suivi des règles ainsi instituées se justifiant par le fait que chaque membre du collectif, qui souvent est le siège de conflits d’intérêts, prend exclusivement en compte le fait qu’il s’identifie à celui-ci.

Une synthèse

42La jonction recherchée a finalement été réalisée. L’objet de cette synthèse est la mise en forme institutionnelle de toute structure sociale d’activités coordonnées en dynamique par des transactions. Une telle structure peut être une organisation incluse dans une société territorialisée (une organisation au sens de Commons) [36] ou une structure de gouvernance de transactions relevant de la structure de base de celle-ci, les parties prenantes des dites transactions étant alors des individus physiques ou des individus moraux (des organisations au sens de Commons) [37]. Une telle structure peut être qualifiée de going concern (en un sens élargi).

43La première proposition qui résume le contenu de cette synthèse est une formule, la formule de toute mise en forme institutionnelle d’un going concern en modernité (voir figure 1).

44Cette formule ne préjuge pas des sens précis des trois valeurs qui sont respectivement mobilisées dans la constitution de ses trois pôles. Elle n’est donc pas spécifique à la modernité particulière, qui se caractérise par une exclusivité de la conception de la justice en termes de coordination efficace dans l’espace public. Cette formule est précisée dans ce cadre. Elle ne concerne plus alors que les formes instituées de la structure de base de la société moderne occidentale. Cette spécification est (i) que le processus de mise en forme voit alors s’affronter trois logiques de mise en ordre (voir tableau III) et (ii) que la forme instituée à la sortie de ce processus est une combinaison de ces trois logiques, les proportions changeant d’une forme à l’autre.

Figure 1

La formule de tout going concern

Figure 1

La formule de tout going concern

Tableau III

Les trois logiques polaires de règlement d’une transaction dans l’espace public en modernité occidentale

Tableau III
Valeur élue pour construire l’intérêt général comme intérêt commun* Mode de règlement des transactions qui est préconisé Bien de la coordination efficace qui est visé Liberté Marchandage Richesse Efficacité technique Direction Puissance (pouvoir) Collectif (le « nous » identitaire) Action collective proprement dite Célébrité *Voir supra, pour les sens précis de ces valeurs.

Les trois logiques polaires de règlement d’une transaction dans l’espace public en modernité occidentale

45La pluralité des logiques de justification ne fait que refléter la diversité des intérêts au sein de la société moderne. Ces intérêts personnels, ou particuliers à des groupes ou classes sociales, ne s’expriment pas comme tels dans l’espace public, puisqu’ils ne peuvent être à la base de la constitution de l’intérêt général. Ils avancent masqués derrière des grammaires de justification commune. Cette pluralité pose problème, dans la mesure où elle interdit, sauf à ce que certains arrivent à convaincre tous les autres de rejoindre leur propre point de vue concernant la « bonne » grammaire de justification sociale, que se construise un intérêt commun. Le conflit qui naît de la pluralité des « cités », quelle que soit la liste prise en compte, ne peut être résolu que sous la forme d’un compromis qui ne soit pas lui-même construit par référence à une idée du juste – nous avons vu qu’il ne pouvait y avoir de super-grammaire. Comme cela a été clairement analysé par MacIntyre (voir supra), la constitution d’un tel compromis mobilise le droit. Cette proposition n’est pas propre à la modernité occidentale. On retrouve ainsi le premier mode d’autorisation des pratiques sociales pris en considération par Commons [38]. Il se trouve articulé au second, celui dont il dit qu’il mobilise l’éthique et que l’on doit comprendre comme étant le mode procédant d’une valeur supérieure commune et se traduisant par l’institution de conventions (au sens de Hume ou de Weber) [39]. En modernité occidentale dans l’espace public, ces compromis ont lieu entre les trois logiques polaires qui s’accordent à la conception de la justice en termes de coordination efficace.

Conclusion

46L’objectif visé par cet article était de montrer que la jonction entre le tournant institutionnaliste et le tournant pragmatique était non seulement possible, mais pratiquement réalisable. Montrer n’est pas démontrer. La jonction n’est tentée qu’à propos d’un couple d’analyses particulières, la théorie de la transaction de Commons distinguant trois types et la théorie de la justification de Boltanski et Thévenot dont le modèle de cité(s) est la mise en forme. Et sa réalisation pour ce couple d’analyses est seulement esquissée. De plus, la prise en compte de l’apport de MacIntyre a bien montré que les règles de la logique ne suffisaient pas à apporter une réponse à la question relative à ce qui est juste lorsqu’on entend s’en remettre seulement à l’investigation en raison : il convient de comprendre un processus historique ouvert, et non pas de démontrer que telle conception est plus « rationnelle » qu’une autre ou qu’elle devait voir le jour.

47Dans le cadre d’une telle méthodologie historique, les deux théories prises en compte ont été analysées comme étant relatives aux processus d’institution en modernité occidentale, en distinguant les moments de ces théories qui valent pour la modernité en général et ceux qui sont spécifiques à la modernité occidentale. La modernité en général a été caractérisée avant tout par le fait que la justification de sa structure institutionnelle de base, justification qui est essentiellement une justification en raison, reposait sur trois valeurs-piliers – la liberté, l’efficacité technique et le collectif. Quant à la spécification dite « occidentale » de la modernité en général, elle l’a été par le fait que les seules grammaires de justification en raison des règles sociales qui ont droit d’expression dans l’espace public sont celles qui relèvent de la conception de la justice en termes de coordination efficace, en excluant du même coup celles qui relèvent de la conception de la justice en termes d’excellence [40]. Ces deux conceptions ont été établies dans leur version moderne à partir de l’apport de MacIntyre. Elles ont en commun d’être toutes deux des justifications en raison et de s’appliquer aussi bien aux actions individuelles qu’à l’organisation sociale, mais elles s’opposent dans la façon de penser l’interdépendance entre le bien et le juste. La conception « occidentale » procède d’une priorité du juste sur le bien, priorité qui implique que les valeurs servant de référence pour juger de ce qui est bien soient des valeurs sociales et que les biens supérieurs associés à ces valeurs soient des biens visés. Les biens visés, associés dans la modernité occidentale aux trois valeurs-piliers de la modernité, sont la richesse pour la liberté, la puissance pour l’efficacité technique et la célébrité pour le collectif. Ce sont ainsi trois grammaires de justification sociale, opérationnelles dans l’espace public, qui sont obtenues par déconstruction-reconstruction du modèle de cité(s).

48La jonction visée consiste finalement à retenir que chacun des trois types de transaction distingués par Commons – types qui sont vus comme des modes idéal-typiques de mise en ordre d’une transaction – se justifie en mobilisant l’une de ces trois grammaires de justification commune. On parvient ainsi à une synthèse. Son objet est la mise en forme institutionnelle de toute structure sociale d’activités coordonnées en dynamique par des transactions. Son contenu est en premier lieu de donner la formule d’une telle structure ; cette formule combine trois logiques polaires de mise en ordre – la logique « liberté-richesse-marchandage », la logique « efficacité technique-puissance-direction » et la logique « collectif-célébrité-action collective proprement dite » ; ces trois logiques s’affrontent dans tout processus d’institution de telle ou telle composante de la structure de base de la société (nationale ou fédérale) en modernité occidentale. L’intérêt général ne peut être un intérêt commun. Seul un compromis mobilisant le droit permet de régler cet affrontement. Ce compromis entre logiques de mise en ordre justifiées sur une base commune traduit un compromis entre les intérêts particuliers de groupes sociaux, dans la mesure où chacun de ces intérêts particuliers avance masqué derrière la grammaire de justification sociale commune qui permet le mieux de le défendre ou de le promouvoir. Cette analyse synthétique ne s’applique pas seulement à l’économie, c’est-à-dire aux processus d’institution (dans certaines formes) des structures de gouvernance des transactions salariales, commerciales et financières. Elle s’applique aussi à l’État, c’est-à-dire à ses interventions.

Notes

  • [1]
    Pour North, il s’agit de l’analyse, nouvelle, développée dans [North, 2005].
  • [2]
    Autrement dit, il consiste à accorder « une plus grande attention à la part explicite, réfléchie de l’action » en procédant à « un rééquilibrage, un changement d’échelle qui permet de s’interroger au niveau de l’individu sur ce qui fonde l’être ensemble, le lien social » [Dosse, 1995]. Voir aussi [Gauchet 1988].
  • [3]
    À ce sujet, voir Théret (2000) pour le tournant institutionnaliste et Dosse (1995) pour le tournant pragmatique.
  • [4]
    Certains considèrent d’ailleurs que cette jonction est impossible [Amable et Palombarini, 2005].
  • [5]
    Commons retient la délimitation substantielle classique : cette « société économique » comprend tout ce qui a trait à la production et à la distribution des richesses, les transactions économiques étant celles qui permettent cette production et cette distribution. Plus précisément, il retient que la science économique est « la science des bonnes et des mauvaises habitudes et pratiques courantes des fermiers, des propriétaires fonciers, des hommes d’affaires, des travailleurs et autres, dans leurs ajustements mutuels à la rareté des ressources et dans leurs concurrences et conflits que cette rareté leur impose » [Commons, 1925 ; 2006, p. 123].
  • [6]
    Il y a lieu de préciser, avec Théret (2003), que cette dépendance est réciproque : les personnes sont dépendantes en ce sens que telle activité de l’une ne peut avoir lieu ou se conclure qu’en raison de la réalisation d’une activité de l’autre ou d’autres – ce qui implique un intérêt commun à arriver à un accord.
  • [7]
    Cette interprétation est notamment celle de Gislain et Morel (2003) pour qui il s’agit d’un classement des transactions selon leur « objet » qui serait à chaque fois « spécifique ». C’est moins explicitement le cas chez Allaire (2007), Bazzoli (2001), Saglio (2001) et Théret (2001, 2003).
  • [8]
    Traduction tirée de Théret (2003).
  • [9]
    Cette précision n’est pas donnée dans l’ouvrage (1991) dans lequel ce modèle est pour la première fois exposé. Elle n’est pas non plus apportée par Thévenot dans son denier ouvrage (2006) dans lequel il distingue trois régimes d’engagement. Elle est tout juste esquissée par Boltanski et Chiapello (1999) dans une note p. 45.
  • [10]
    Ainsi les auteurs ont écarté « les systèmes qui, dans une visée réaliste ou critique, font reposer toutes les relations sociales sur la domination ou sur la force au profit des constructions attachées à construire l’équilibre dans une cité, qui ont en commun de dessiner un monde dans lequel les êtres humains sont nettement distingués des autres êtres et sont d’autre part rapprochés par une égalité fondamentale » [Boltanski et Thévenot, 1991, p. 27].
  • [11]
    L’énoncé de ce sixième principe dans (1991) est tantôt « principe supérieur commun » (p. 100), tantôt « principe de bien supérieur commun » (p. 99), formulation notamment retenue par Godard (2004).
  • [12]
    Elle ne prend en compte que « le mode d’autorisation mobilisant l’éthique » de Commons.
  • [13]
    La mise en correspondance en la matière est que le régime de l’espace public correspond aux trois rangs supérieurs d’institution chez Commons, tandis que les régimes du plan et du proche correspondent au processus de régulation interne à une organisation (le premier rang d’institution de Commons).
  • [14]
    Par époque moderne, on entend celle qui commence en Occident à la Renaissance en étant marquée, d’un point de vue factuel, par l’essor de la science et une philosophie qui n’est plus la servante de la religion. Sa caractérisation théorique est faite dans la troisième partie.
  • [15]
    De plus, une question a été laissée de côté parce qu’elle porte sur un problème qui demeure non résolu dans l’une et l’autre analyses. Comment s’articulent le mode d’autorisation mobilisant le droit, qui ne peut pas ne pas intervenir chez Commons aux rangs supérieurs d’institution, et le mode d’autorisation mobilisant l’éthique, le seul auquel se réfère le modèle de cité ? Nous verrons dans la dernière partie que la solution au manque d’articulation constaté chez Commons se trouve dans la jonction réalisée.
  • [16]
    Les citations qui suivent sont tirées de la traduction française de cet ouvrage, parue sous le titre Quelle justice ? Quelle rationalité ? (1993).
  • [17]
    Du moins à l’échelle méditerranéenne, étant données les traditions prises en compte.
  • [18]
    Cette thèse est précisément la suivante : « Ce à quoi les Lumières ont rendu la plupart d’entre nous aveugles, et que nous devons à présent retrouver, est une conception de l’investigation rationnelle incarnée dans une tradition et selon laquelle les critères mêmes de la justification rationnelle émergent d’une histoire dont ils font partie et où ils sont justifiés par la façon dont ils transcendent les limites des critères précédents et remédient à leurs faiblesses à l’intérieur de l’histoire de cette même tradition » [MacIntyre, 1993, p. 8].
  • [19]
    Cette diversité tient d’abord à la pluralité des traditions, mais aussi aux différenciations au sein d’une tradition.
  • [20]
    La polis chez Aristote, la civitas dei chez saint Thomas, le droit de propriété chez Hume, l’individu dans le libéralisme moderne.
  • [21]
    Mais cela ne constitue pas la base d’une opposition entre deux conceptions de la justice (diké), parce que, à cette époque, ce terme « présuppose un univers régi par un ordre unique et fondamental, un ordre structurant à la fois la nature et la société, de sorte que la distinction que nous faisons nous modernes en opposant le naturel et le social ne pouvait pas encore être exprimée. Être dikaios signifie conduire ses actions et ses affaires conformément à cet ordre » [MacIntyre, 1993, p. 15].
  • [22]
    MacIntyre n’est pas très explicite concernant les contours de cette tradition. Il paraît toutefois clair qu’elle comprend la conception libérale du politique, que Locke a été le premier à formuler, et ne comprend pas l’autre pôle, celui qui conçoit la constitution du politique (de l’État) comme solution face aux menaces existentielles de la violence et de la domination (Hobbes, Hegel, Weber). Concernant cette distinction, voir notamment l’introduction à l’ouvrage de Rawls (1993) par Audard.
  • [23]
    Tous ceux qui disent que le niveau des rapports des hommes entre eux est la politique parlent d’idées politiques.
  • [24]
    Chez Commons, l’utilisation du terme éthique dans l’expression « mode d’autorisation des pratiques sociales mobilisant l’éthique » relève d’un sens différent : il signifie plus largement que l’on se réfère à des valeurs qui sont qualifiées d’éthiques pour les distinguer des valeurs artistiques ou des valeurs économiques.
  • [25]
    Ce critère est profondément différent de celui qui découle de la conception de la justice en termes d’excellence, puisque les inégalités sociales ne sont alors justifiées que si ceux qui en profitent sont justes en termes d’excellence dans la fonction ou la position qu’ils ont dans la société.
  • [26]
    Voir note 29 supra.
  • [27]
    Cette distinction est reprise de Weber (1995). Ainsi, la personne qui guide sa vie en se référant exclusivement ou principalement au sens du juste en termes d’excellence est une personne dont les activités sont à signification rationnelle essentiellement ou principalement en valeur ; elle ne peut mobiliser cette conception pour intervenir dans l’espace public et le fait que les règles sociales ont été justifiées sur la base de la conception du juste en termes de coordination efficace crée assez souvent pour cette personne des tensions, par manque de cohérence.
  • [28]
    On ne traite pas de l’autre question : cette possibilité a-t-elle une actualité, en raison de l’entrée en crise de la modernité occidentale ? On ne discute pas, par ailleurs, de la proximité et des différences entre l’analyse qui est développée ici et le postmodernisme (Lyotard, Foucault, Jameson, etc.), courant pour qui la modernité est la modernité occidentale, un point c’est tout.
  • [29]
    Par exemple, la liberté peut être entendue comme la capacité de chaque être humain d’exprimer son conatus dans le respect de ceux des autres humains, à commencer par les générations futures (sinon la persévérance dans l’être n’est plus assurée de génération en génération), l’efficacité technique, comme une efficacité durable ou soutenable et le collectif, comme un « nous » de l’humanité tout entière.
  • [30]
    Ceci s’accorde tout à fait au constat déjà indiqué que les deux conceptions en question sont transverses à la distinction entre justification individuelle et justification sociale.
  • [31]
    Avec toutes les dérives communautaristes, intégristes ou antidémocratiques que cela pourrait engendrer.
  • [32]
    Il revient au même de dire que les idées acceptables du bien qui sont sélectionnées par ces valeurs ne sont pas nécessairement des idées sociales. Ou plus simplement que ces valeurs ne sont pas nécessairement des valeurs sociales. Il peut s’agir de valeurs éthiques, comme dans le cas de la cité inspirée.
  • [33]
    Voir l’expression : « à un tel, la patrie reconnaissante ».
  • [34]
    La puissance en question est le pouvoir au sens de « la capacité de produire des résultats » [Giddens, 1987, p. 318], et non pas seulement le pouvoir sur d’autres humains.
  • [35]
    Il ne s’agit donc pas seulement de centraliser des informations, ce que considère Arrow (1973) dans son explication de l’organisation (non marchande). On peut ajouter que la liberté-concurrence y fait obstacle et que l’action collective proprement dite ne peut disposer de la compétence technique d’une direction, puisqu’elle procède d’un collectif qui est extérieur aux parties prenantes de la transaction.
  • [36]
    C’est une unité institutionnelle dans la dite société qui est dotée de son propre institutionnel interne (son organisation proprement dite).
  • [37]
    Concernant la distinction entre organisation et société-territoire, voir Billaudot (2007).
  • [38]
    Tout particulièrement la common law qui « concerne la protection des pratiques approuvées et l’exclusion des pratiques désapprouvées par les tribunaux, par le moyen des sanctions physiques et de l’autorité de l’État » (1925 ; 2006 : 121). Précisons que ces pratiques peuvent être proprement individuelles ou relever de conventions communes à un groupe social.
  • [39]
    Ces deux modes sont des niveaux. Comme modes purs, les modes de règlement de transactions (le marchandage, la direction et l’action collective proprement dite) relèvent du niveau d’autorisation mobilisant l’éthique (au sens de Commons), c’est-à-dire une valeur supérieure commune. Les compromis entre ces logiques polaires relèvent du niveau mobilisant le droit.
  • [40]
    Leur usage éventuel est réservé à la justification en raison dans l’espace privé (les règles internes aux organisations telles que la famille, l’entreprise, etc.).
Français

Résumé

Cet article traite de la place de la justification dans les processus d’institution en modernité. Une synthèse est réalisée entre la théorie de la transaction de Commons et la théorie de la justification de Boltanski et Thévenot. Cette synthèse procède d’un processus de déconstruction-reconstruction de chacune de ces théories sous l’égide de la distinction faite par le philosophe américain MacIntyre entre deux conceptions générales de la justice, la conception de la justice en termes d’excellence et la conception de la justice en termes de coordination efficace.
Codes JEL : A12, A13, B52, K00

Mots-clés

  • institution
  • justification
  • transaction
  • éthique
  • droit
  1. Introduction
  2. 1 - Portée et limites d’une mise en rapport entre les types de transaction de Commons et les cités de Boltanski et Thévenot
    1. 1.1 - Les trois modes de règlement des transactions économiques chez Commons : marchandage, direction et répartition
    2. 1.2 - Le modèle de cité de Boltanski et Thévenot : une pluralité de principes de justification commune
    3. 1.3 - La mise en rapport et son bilan
  3. 2 - L’apport de MacIntyre : la distinction entre deux conceptions générales de la justice
    1. 2.1 - La démarche : une analyse historique en termes de traditions
      1. À la recherche d’une compréhension historique
      2. Deux sujets essentiels de discorde
    2. 2.2 - La distinction entre la conception de la justice en termes d’excellence et la conception de la justice en termes de coordination efficace : un sens qui reste à préciser en modernité
      1. Une première caractérisation des deux conceptions : similitudes et différences dans le cadre de la polis athénienne
      2. La conception de la justice dans la tradition du libéralisme moderne : une version particulière de la conception de la justice en termes de coordination efficace
      3. Quel est le manque ?
  4. 3 - La jonction entre la triade de Commons et le modèle de cité(s) de Boltanski et Thévenot : conditions de réalisation et résultat
    1. 3.1 - Le sens précis de la distinction entre la conception de la justice en termes de coordination efficace et la conception de la justice en termes d’excellence dans le cadre de la société moderne
      1. La version de la conception de la justice en termes de coordination efficace propre à la modernité occidentale
      2. De la modernité occidentale comme type particulier de modernité
    2. 3.2 - Une synthèse qui réalise la jonction recherchée
      1. Des réponses aux questions de la première partie faisant apparaître la nécessité d’une double appropriation critique
        1. La distinction des trois cités – marchande, industrielle ou civique – comme cités « occidentales »
        2. De la justification des trois modes de mise en ordre de Commons
      2. Une synthèse
  5. Conclusion

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Bernard Billaudot
Professeur émérite, LEPII-CNRS-UPMF-Grenoble
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 15/04/2008
https://doi.org/10.3917/rfse.001.0153
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