CAIRN.INFO : Matières à réflexion
« La logique du calcul est libre. L’explosif le plus énergique, c’est peut-être la passion dans le calcul. »
Pierre Naville (1982)

Introduction

1Cet article porte sur la pensée formalisatrice des ingénieurs et sa dénonciation fréquente par les sciences sociales [1]. En prenant appui sur un matériau d’histoire de la pensée centré sur le xixe siècle, nous tenterons de cerner ce que l’on peut appeler l’« esprit d’ingénieur » dans le domaine socio-économique. Nous entendons par là un mode de construction des connaissances, marqué par le souci de la mesure, de la formalisation et du calcul, mais aussi tourné vers l’action. Selon un tel esprit, d’essence pragmatique, la pertinence d’une mesure ou d’un calcul se juge d’abord sur sa praticabilité matérielle et sur sa capacité à orienter l’action et non sur des critères de cohérence formelle.

2L’esprit d’ingénieur a souvent été critiqué par les sciences sociales, surtout quand il a été appliqué au-delà du domaine strictement technique pour traiter de questions économiques et sociales. On parle alors de « technocratie » pour dénoncer le pouvoir de calculs aveugles peu soucieux des valeurs humaines. Contrairement à cette vulgate, nous voudrions montrer que le calcul d’ingénieur ne s’oppose pas, par nature, au sens, à la valeur. Si parfois, souvent peut-être même, le calcul masque le sens, c’est qu’on ne prend pas la peine d’examiner avec soin les conditions de sa construction, autrement dit les valeurs qui le sous-tendent. Paradoxalement, de ce fait, les critiques de la pensée calculatoire qui en dénoncent l’« inhumanité » renforcent ses thuriféraires qui en sacralisent l’« objectivité ».

3Nous développerons cette thèse en nous appuyant sur diverses études que nous avons réalisées sur la pensée d’ingénieur. Nous aborderons d’abord le cas le plus connu : celui des ingénieurs mécaniciens et notamment des ingénieurs du corps des Ponts et Chaussées, qui, tel Jules Dupuit, sont souvent présentés, à tort selon notre jugement, comme des « précurseurs » des économistes « néoclassiques ». En contrepoint, nous présenterons le cas moins connu des ingénieurs forestiers, qui, plus que tout autre, permet de mettre en évidence les valeurs sociales, voire existentielles, présentes derrière l’apparente objectivité du calcul. Dans une troisième partie, revenant sur le terrain des Ponts et Chaussées, nous montrerons l’intrication étroite du principe d’efficience et du principe d’équité, soit donc de la valeur et du calcul. Nous tenterons alors de dégager quelques conclusions plus générales dans l’optique d’une sociologie économique soucieuse d’éviter le face-à-face stérile entre calcul et valeur.

1 – Retour sur l’économie des ingénieurs

4Qu’est ce que l’ « esprit d’ingénieur » en économie ? Pour répondre à cette question, on peut prendre appui sur Léon Walras [Dumez, 1985 ; Sen, 1987, p. 8], qui incarne souvent cet esprit dans la représentation commune [2] :

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« Ouvrez la mécanique analytique de Lagrange, vous y verrez que P et Q étant deux forces ou puissances appliquées aux deux points d’un système, dp et dq étant les vitesses virtuelles de ces forces mesurées par les espaces infiniment petits susceptibles d’être parcourus dans un même instant par leurs points d’application suivant leurs directions, Pdq et Qdp étant les moments des forces P et Q suivant la définition de Galilée l’équation Pdq + Qdp = 0 exprimera l’équilibre des deux forces. Eh bien changez les termes. Au lieu de force, mettez raretés ou intensités des derniers besoins satisfaits; au lieu de vitesses virtuelles, mettez quantités virtuellement échangeables, ou quantités infiniment petites susceptibles d’être ajoutées par achat aux quantités possédées ou d’en être retranchées par vente dans un échange; et la même équation exprimera la satisfaction maxima des besoins d’un individu ou l’équilibre économique. Ainsi l’économique est sinon la mécanique elle-même appliquée à l’équilibre et au mouvement de la richesse sociale, comme l’hydraulique est la mécanique elle-même appliquée à l’équilibre et au mouvement des liquides, du moins une science analogue à la mécanique. »
[Walras, 1992, p. 405-406]

6Devant un texte aussi net, la question semble entendue. La pensée d’ingénieur, serait, appliquée à l’économie, un réductionnisme mécaniciste qui ramène les rapports sociaux à un jeu d’équilibre entre des particules élémentaires dotées d’hypothèses comportementales ad hoc. Selon une vulgate assez répandue, cette conception de l’économie, inaugurée par des « ingénieurs-économistes », tels Augustin Cournot et Jules Dupuit [3], puis systématisée par Léon Walras dominerait aujourd’hui l’enseignement universitaire [Maréchal, 1997] [4]. Elle aurait fourni en effet les canons du modèle «standard », « néoclassique », appuyé sur une philosophie rationaliste et un idéalisme mathématique. Philip Mirowski a critiqué la recherche par les économistes de la légitimité épistémologique dans cette imitation naïve de la physique mathématique [Mirowski, 1989] [5]. Il a vu dans l’imitation de la « physique des champs » de la fin du xixe siècle la source de la pensée néoclassique. La théorie néoclassique des prix, vecteur résultant d’un champ de forces économiques, selon le modèle de Walras que nous venons de citer, se serait ainsi substituée, par un désir imitatif de « faire science », à la conception antérieure, « classique » de la valeur. Mais celle-ci aurait été elle-même déjà assise sur une épistémologie physicaliste antérieure, de nature substantiviste, dans laquelle la valeur économique figure comme analogon de la masse dans la physique galiléenne.

7Que la pensée économique, comme tout autre champ du savoir, soit soumise aux cadres « paradigmatiques » du temps, voilà qui n’est guère discutable. Que les premiers économistes néoclassiques, et tout particulièrement Walras, aient été fascinés par la mécanique, discipline qui incarnait pour eux une forme de perfection épistémologique, est évident. Toutefois, une pensée comme celle de Philip Mirowski, comme, naguère, celle de Michel Foucault [Foucault, 1966], risque d’enfermer l’histoire dans un carcan, en soumettant l’ensemble du réel au cadre interprétatif d’un modèle exclusif, quitte à prendre parfois quelque liberté avec les données. Ainsi Foucault rangeait dogmatiquement les physiocrates français dans l’âge du « tableau » et Smith dans celui de l’« analyse ». De même, Mirowski est amené à nourrir sa thèse en adoptant l’illusion historique de ceux qu’il critique : les néoclassiques. Ceux-ci cherchèrent en effet dans l’histoire de la pensée économique des « précurseurs » et les trouvèrent chez les ingénieurs, qui avaient développé des modèles analytiques qui annonçaient formellement les leurs, tel le calcul de l’utilité, forgé par Dupuit en 1844. Pourtant, comme nous allons tenter de le montrer, malgré de telles similitudes, la posture intellectuelle de ces ingénieurs est aux antipodes de celle des économistes néoclassiques. Si le calcul d’ingénieur a nourri la théorie néoclassique naissante, il n’en est pas pour autant une formulation anticipée.

8L’appropriation symbolique par les premiers néoclassiques d’un certain nombre d’auteurs du xixe siècle, tels Augustin Cournot (qui n’était d’ailleurs pas lui-même ingénieur, mais était familier de ce monde et de cette pensée) ou Jules Dupuit, repose sur une confusion épistémologique. Celle-ci est en partie délibérée chez les premiers néoclassiques en quête d’ancêtres ; elle fut ensuite reprise, sans toujours le discernement nécessaire, par les économistes et les historiens de la pensée économique [Vatin, 1998 ; Grall, Vatin, 1997]. L’origine de la confusion repose sur l’ambivalence de la notion de « mécanique » elle-même, qui, comme le précise Cournot dans le texte qui suit, recouvre deux acceptions très différentes :

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« Depuis deux siècles, ces deux sciences qui portent le même nom, sont en contraste, et jusqu’à un certain point en conflit ; et le contraste, sinon le conflit, tient au fond des choses. Dans la mécanique qui s’applique au mouvement des corps célestes, l’on conçoit que les corps agissent à distance les uns sur les autres, d’une action permanente, qui ne s’épuise ou ne se dépense point par l’exercice (…). Au contraire, dans la mécanique des machines, il n’y a pas à proprement parler d’action à distance ; (…) et tous les moteurs naturels, poids, vent, cours d’eau, ressorts, gaz ou vapeurs qui se détendent, animaux de trait, etc., ne peuvent agir sur nos appareils mécaniques qu’au moyen de liens matériels, en cheminant dans le sens suivant lequel ils sollicitent les corps qu’ils mettent en mouvement, et en consommant ainsi, par leur chute, par leur détente ou de toute autre manière équivalente, la quantité de force vive ou de travail que la Nature ou l’art avait pour ainsi dire amassée en eux, et que la science du mécanicien recueille ou utilise ».
[Cournot, 1982a]

10Des auteurs comme Cournot, et a fortiori Dupuit, étaient principalement inspirés par la mécanique industrielle, à la constitution de laquelle ils ont participé [Vatin, 1998 ; Simonin et Vatin, éd., 2002], et non par la mécanique rationnelle, qui fournit en revanche à Walras son modèle épistémologique. Or, la mécanique industrielle, telle qu’elle est élaborée dans les années 1820-1830, est déjà elle-même une « économie de la machine », construite autour du concept de « travail mécanique » [Vatin, 1993]. Ses concepteurs étaient des ingénieurs qui connaissaient la pensée économique classique française, celle de Jean-Baptiste Say, et entendaient, selon la formule de Claude Burdin en 1815 « rattacher la mécanique à l’économie politique » [Burdin, 1815]. Le cœur gestionnaire de leur démarche consiste à dégager un optimum productif, correspondant à la maximisation du « rendement mécanique », rapport du « travail utile » sur le travail total dépensé [Vatin, 1993].

11Par cette évocation de la mécanique pratique du xixe siècle, nous entendons faire saisir l’ambivalence de l’ « esprit polytechnicien » qui marqua la pensée des ingénieurs français de ce siècle. D’un côté, bien sûr, cette école prestigieuse, conçue à la fin du xviiie siècle alors que triomphait la science newtonienne, promut les vertus de la rigueur mathématique et assura la diffusion des procédures calculatoires issues de l’analyse et de l’algèbre et tout particulièrement du calcul différentiel. C’est en son sein que furent formés les plus grands savants français du xixe siècle et que prit naissance le positivisme scientifique incarné par Auguste Comte. L’ombre de Lagrange et de son élégante « mécanique analytique », qui faisait penser à Comte que la science avait dit en la matière son « dernier mot » et qui faisait encore rêver Walras un siècle plus tard, celle de Laplace et de son si complet « système du monde », qui permettait de concevoir dans l’équilibre cosmique la figure idéale d’un ordre mathématique applicable aux hommes comme aux choses, ont assurément durablement marqué des générations d’ingénieurs.

12Pour autant, ramener la pensée d’ingénieur à la production intellectuelle d’un penseur contemplatif qui, la tête dans les étoiles, rêverait à l’ordre éternel d’un monde mis par Dieu en chiffres est un contresens. Car l’ingénieur du xixe siècle, s’il a parfois « la tête dans les étoiles », a aussi le plus souvent les « pieds dans la glaise » et, si l’on nous permet de filer la métaphore, les « mains au charbon ». Le cas du corps des Ponts mérite à cet égard qu’on s’y arrête [Picon, 1992 ; Brunot et Coquand, 1982]. Il est composé d’ingénieurs, formés d’abord à Polytechnique, puis à l’école d’application des Ponts et Chaussées, aux plus hautes mathématiques du temps, et qui sont ensuite dispersés sur le territoire national, souvent dans des zones rurales isolées, avec pour charge l’entretien et la construction des routes, des canaux, et plus tard des chemins de fer… Dans leur pratique, il est impossible de départager ce qui relève de la technique et ce qui relève de l’économie. C’est ainsi une même pensée qui court chez eux, de l’ingénierie physique à l’ingénierie économique et sociale, celle de la recherche d’optima gestionnaires. Or, comme l’a remarquablement montré Bernard Grall [Grall, 2003] [6], la matrice théorique à partir de laquelle se déploie toute cette pensée gestionnaire n’est autre que la mécanique industrielle. La mesure en « travail mécanique » et le ratio de rendement mécanique ont fourni les bases à partir desquelles ces ingénieurs élaborèrent des mesures dérivées plus ou moins complexes. Progressivement, sans que la structure analytique des modèles changeât en profondeur, ils remplacèrent, notamment dans le cadre de l’économie des chemins de fer, les mesures en travail par des mesures en monnaie. Mais, si cette substitution d’une mesure à l’autre fut ainsi possible, c’est bien parce que le « travail » mécanique, équivalent général des échanges machiniques, était déjà lui-même une mesure économique.

13Si les ingénieurs des Ponts aboutissent à la construction de modèles mathématisés, analytiquement raffinés, en comparaison des travaux des économistes de leur temps, il ne faut donc pas oublier le caractère pratique de leur démarche. C’est à partir de questions concrètes de gestion qu’ils ont élaboré leurs modèles : mesure de l’usure des chaussées, de l’organisation de leur entretien, choix des normes à imposer aux véhicules roulants, recherche de la pente optimum des voies, évaluation de la qualité des matériaux de revêtement, problème de la distribution dans l’espace des sources de matériau, comparaison des réseaux, pour distribuer équitablement le budget, dans le cas de la route, ou évaluer l’efficacité de l’organisation, dans le cas des chemins de fer, etc. Ces questions, traitées sous le registre de l’optimisation emprunté à la mécanique industrielle, conduisent les ingénieurs des Ponts à élaborer des modèles formellement analogues à ceux que les économistes néoclassiques allaient construire. Mais, si l’outil mathématique (le calcul différentiel qui soutient la procédure mathématique d’optimisation) est le même, ce qui induit une indiscutable similitude de résultats locaux, la perspective diffère. Il ne s’agit pas pour ces ingénieurs de montrer comment d’aveugles « forces du marché » aboutiraient spontanément à l’équilibre si on les laissait « s’exprimer sans entraves ». Il s’agit au contraire de fournir aux décideurs les instruments « rationnels », mais aussi « raisonnables » (voir infra) et surtout praticables, qui leur permettront d’arbitrer en raison, c’est-à-dire d’opérer des choix rationnels et équitables, et finalement d’orienter le monde. On n’est pas dans le registre de la mathématique spéculative adoptée par Léon Walras et après lui par Gérard Debreu, mais bien dans celui de la « mathématique de la décision » pour reprendre ici la formule de Bertrand Saint-Sernin [1973] [Martin (éd.), 2000].

14Il serait long de débattre à fond cette question sous un angle épistémologique, car on ne peut pas totalement isoler les deux registres, en économie comme en mécanique. Depuis le xviie siècle, la rationalisation pratique du monde n’a cessé de s’appuyer aussi sur la figure d’un cosmos rationnel auquel s’identifie le Dieu horloger des Lumières. En rationalisant les pratiques techniques comme sociales, ingénieurs et économistes cherchent donc toujours à se rapprocher d’un idéal qui serait en quelque sorte déjà là, dans un horizon philosophique que, mieux que quiconque, Leibniz, qui était le philosophe de chevet de Cournot, a éclairé. Il n’empêche que l’on ne peut, comme Cournot le soulignait dans le passage cité plus haut, rabattre l’un sur l’autre. L’opposition entre la mécanique rationnelle et la mécanique industrielle dégagée par Cournot se développe sous deux registres. D’une part, celui, déjà évoqué, de la posture du savant : contemplative dans le premier cas, engagée dans l’action dans le second. D’autre part, celui du rapport à l’idéalité. Dans la science « pure », économique comme physique, le frottement est un résidu qu’on néglige, car il vicie le modèle. Dans la science pratique, il est au contraire au cœur même de la problématique. Sans doute on cherchera à le réduire, en se rapprochant en ce sens des idéalités mathématiques, mais cette réduction ne sera jamais qu’asymptotique.

15Le frottement est donc le véritable objet de la science des ingénieurs, comme l’« à peu près », celui des mathématiques de la décision [Guilbaud, 1998] [7]. La comparaison est pertinente, au sens où c’est en portant le regard sur les impensés d’une science « pure » : l’erreur, le frottement, que la science des praticiens a ouvert au xixe siècle de nouveaux horizons épistémologiques : la théorie des probabilités et la thermodynamique. La philosophie scientifique de Cournot illustre, à la différence de celle de Comte, ce renouvellement épistémologique [Vatin, 2003]. C’est pourquoi, aussi, la science des ingénieurs ne saurait se passer d’une procédure de mesure effective : expérimentale et/ou statistique. Tel est peut-être le cœur même de l’esprit d’ingénieur : mesurer à tout prix, quelles qu’en soient les difficultés, quels qu’en soient aussi les risques et les limites. Citons Guilbaud : « Les systèmes normalisés de Tolérance sont connus de tous les apprentis ajusteurs ; le professeur de mathématiques se doit d’y jeter un regard, et de se faire expliquer le pourquoi des choses » [Guilbaud, 1998, p. 169] ; ou encore G.A. Boutry : « La mesure physique est un art, au sens large et classique du mot » [Boutry, 1942, p. 3]. L’obsession de la mesure n’exprime donc pas la conviction de la pureté du monde qui s’incarnerait dans le chiffre. L’ingénieur connaît parfaitement l’imprécision, l’impureté, voire parfois même la fausseté de sa mesure. Mais, pour lui, « mieux vaut une mesure médiocre que pas de mesure du tout ». Car la mesure est la condition de la décision. Et tel est l’enjeu de son art.

16Nous allons illustrer ce point en changeant de terrain. Quittant les sentiers battus de la voirie, nous allons en effet pénétrer dans les chemins de traverse de la forêt. Nous pourrons ensuite revenir au calcul économique des ingénieurs des Ponts en montrant en quoi il repose aussi sur des principes de valeur sociale.

2 – Quel optimum forestier ?

17Curieusement, quand on évoque en France la pensée d’ingénieur, on pense exclusivement à l’usine ou aux travaux publics. On parle bien pourtant aussi d’« ingénieurs agronomes ». Or, la pensée agronomique qui s’élabore, comme l’ingénierie mécanique, au cours des xviiie et xixe siècles, autour d’un principe de « rendement », relève de cette même pensée, tout à la fois formelle et pratique, rationalisatrice et pragmatiste. Comme l’ingénierie mécanique, l’ingénierie agronomique a contribué à la genèse de la pensée énergétique, chez Liebig par exemple [Vatin, 2006]. Comme elle aussi, elle fut une des sources de l’introduction de la pensée mathématique en économie avec, notamment, le cas célèbre de Heinrich von Thünen en Allemagne. Nous venons ici de citer deux Allemands et ce n’est pas un hasard. Si la mécanique industrielle fut une élaboration principalement française, en revanche, c’est bien d’Allemagne qu’est venue au xixe siècle la rénovation de la pensée agronomique, qui avait pourtant connu son heure de gloire en France au xviiie siècle [8]. C’est vrai également dans le domaine de la pensée forestière sur le cas de laquelle nous allons nous pencher plus précisément.

18Dans la pensée agronomique, la gestion forestière occupe une place particulière qui la rapproche de celle des ponts et chaussées. Comme la route, la forêt fut de longue date considérée, en partie au moins, comme un bien public, car militairement stratégique : la première sert au transport des troupes, la seconde à la fourniture de bois d’œuvre pour la marine. C’est dans ce contexte que Colbert prit en 1669 une célèbre ordonnance qui réglementait l’exploitation des forêts. Prérogative du Roi, des grands aristocrates et du clergé sous l’Ancien Régime, la forêt française fut en bonne part nationalisée en 1790 du fait de l’expropriation des biens de l’Église et des immigrés. L’État pensait alors la vendre rapidement au public suivant le projet de dissémination de la propriété dans la nation qui était au cœur de l’idéal social de 1789. Une loi libérale, abrogeant la réglementation de Colbert fut édictée en 1791, et une partie du patrimoine fut effectivement vendu. Mais les pouvoirs publics durent vite se rendre à l’évidence : la privatisation totale de la forêt conduirait inéluctablement à une déforestation accélérée. L’État ralentit donc l’aliénation des forêts nationales (qui se poursuivit toutefois pour financer ses déficits) et redéfinit des mesures conservatoires s’imposant aux propriétaires privés. Cette nouvelle politique de protection publique de la forêt s’affirma sous la Restauration sous l’inspiration en bonne part de la pensée « contre-révolutionnaire » [Larrère et Nougarède, 1990, p 17] [9]. Les pouvoirs publics créèrent en 1824 une école forestière à Nancy et édictèrent en 1827 un code forestier [10]. La forêt française passa donc sous la tutelle d’un corps d’ingénieurs publics, conçu sur un modèle similaire au corps des Ponts ou au corps des Mines. Ces ingénieurs se dotèrent d’une revue, les Annales forestières, créées en 1842, dont la vocation est analogue à celles des Annales des Mines et des Annales des Ponts[11]. Ils purent, grâce à cet organe, débattre de la question forestière et élaborer une doctrine visant à l’exploitation « rationnelle » de la forêt au bénéfice de la collectivité.

19Or, du point de vue économique, la question forestière est rien moins que triviale [Vatin, 2005a]. Il s’agit, comme toujours chez les ingénieurs, d’un problème d’optimisation, posé dès 1739 par Buffon, alors jeune mathématicien, mais aussi grand propriétaire forestier comme le note Jacques Roger dans la biographie intellectuelle qu’il fit de lui [Roger, 1989]. Il fournit à cette occasion la première formulation, à notre connaissance, d’un principe de productivité marginale : « il serait bien à souhaiter qu’on pût […] déterminer au juste l’âge où on doit couper les taillis ; cet âge est celui où l’accroissement du bois commence à diminuer. Dans les premières années le bois croît de plus en plus, c’est à dire, la production de la seconde année est plus considérable que celle de la première année, l’accroissement de la troisième année est plus grand que celui de la seconde, ainsi l’accroissement du bois augmente jusqu’à un certain âge, après quoi il diminue : c’est ce point, ce maximum qu’il faut saisir pour tirer de son taillis tout l’avantage et le profit possible » [Buffon, 1739, p. 144-145].

20Explicitons l’intention de Buffon. Alors qu’on discute de la pertinence du règlement de Colbert, Buffon cherche à montrer que l’on peut concilier l’intérêt personnel du propriétaire de la forêt et celui de la nation à l’aide d’une science forestière capable de définir un optimum productif. Or, comme on le voit, cet optimum est défini en termes marginalistes. Si l’on considère la production forestière comme une fonction d’une seule variable qui serait le temps, Y = f(t), Buffon définit comme optimum, le point où la productivité marginale par rapport au temps est maximale, soit l’âge t qui maximise dY/dt. Pourtant la détermination précise et pratique de ce maximum, si clairement défini mathématiquement par Buffon, va s’avérer un parcours semé d’embûches, qui mobilisa des générations de forestiers. Après avoir posé le problème de façon particulièrement claire (voir infra), les maîtres de la science forestière française : Bernard Lorentz et Adolphe Parade concluent en effet ainsi dans leur Traité de 1837 : « La détermination rigoureuse de l’exploitabilité absolue d’une forêt, est une question de calcul importante, et qui exige une suite de recherches et d’expériences dont le détail ne saurait trouver sa place ici. Au surplus, l’observation attentive de la marche de la croissance des bois a fourni à cet égard des indications assez précises pour pouvoir suppléer au calcul dans un assez grand nombre de cas » [Lorentz, Parade, 1855, p. 152].

21On s’aperçut vite en effet, avec le grand forestier français de la fin du xviiie siècle, Philibert Varenne de Fenille [Varenne de Fenille, 1791], qu’il fallait distinguer différents maxima emboîtés, qui posaient chacun des problèmes pratiques de mesure. Varenne distingue d’abord l’« accroissement » (croissance du volume effectif de l’arbre) du « grossissement » (croissance de sa circonférence), qui est ce que l’on mesure pratiquement. Or, comme il le souligne, pour des raisons mathématiques élémentaires, « le grossissement peut avoir commencé de décroître […] quoique l’accroissement continue d’augmenter » [Buffon, 1739, p. 32] [12]. De même, il distingue « le maximum d’un arbre considéré individuellement » et « le maximum d’un taillis considéré en masse » [Varenne de Fenille, 1791, p. 29]. Le premier « se prolonge jusqu’à l’instant où l’arbre commence à s’altérer dans le cœur », alors que le second dépend de la gêne que se causent les arbres les uns aux autres. Aussi recommande-t-il une procédure statistique de mesure de la croissance d’un échantillon d’arbres. Enfin, comme la plupart des forestiers du xixe siècle, il ne s’intéresse pas au concept de Buffon, soit le maximum du produit marginal, mais au maximum du produit moyen, c’est-à-dire à d(Y/t)/dt.

22Tout étudiant de première année d’économie sait aujourd’hui que la courbe du produit marginal coupe celle du produit moyen en son maximum. Le maximum du produit moyen est donc « postérieur » (terme qu’il faut prendre ici à la lettre puisque l’abscisse est le temps) à celui du produit marginal. Ce résultat classique de la théorie économique néoclassique est formulé clairement en 1837 par M. Lorentz et A. Parade dans leur Cours élémentaire de culture des bois en trois propositions :

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« 1° Tant que l’accroissement annuel augmente, l’accroissement moyen augmente évidemment aussi ;
2° Lorsque l’accroissement annuel diminue, l’accroissement moyen continue à augmenter aussi longtemps que l’accroissement annuel, tout en diminuant, reste plus grand que l’accroissement moyen correspondant ;
3° L’accroissement moyen atteint son point culminant lorsqu’il devient égal à l’accroissement annuel correspondant ».
[Lorentz, Parade, 1855, p. 152]

24Si un tel résultat mathématique n’échappait pas aux forestiers, pourquoi alors privilégier le produit moyen ? La raison en est statistique ; le croît annuel de la forêt étant sujet à des variations interannuelles en raison de la météorologie, la référence à un croît moyen permet de lisser les données consignées dans les tableaux statistiques. On aperçoit ici l’effet de l’instrumentation mathématique sur l’analyse techno-économique. La théorie économique néoclassique exprime les problèmes d’optimisation sur un mode fonctionnel ou géométrique dont l’origine se trouve chez Cournot en 1838. Cette mathématique sans nombre, selon l’expression de Cournot, fait l’hypothèse de la continuité des courbes, ce qui est en toute généralité discutable [13]. Mais cette hypothèse est heuristique pour concevoir de façon systématique l’optimisation. La systématicité théorique se paye d’une prise de distance avec le réel. Les forestiers du xixe siècle restent quant à eux dans l’univers concret de leurs relevés statistiques de la croissance des arbres. De plus, ils ne transforment pas ces tableaux en graphiques, comme commencent à le faire à la même époque les ingénieurs des Ponts, ce qui les aurait mis sur la voie du calcul fonctionnel [14].

25Dans ce contexte, Louis Noirot-Bonnet, géomètre forestier dont le nom mérite d’être exhumé, car il fut une source importante d’inspiration pour Cournot [Vatin, 1998 ; 2005a] [15], en vint à nier l’existence même du maximum du produit moyen recherché par Varenne. En effet il n’observait pas dans ses tableaux une décroissance du produit moyen après que la décroissance du produit marginal eut commencé : « Il résulte clairement de ces calculs que la recherche d’un plus grand produit annuel moyen, antérieur au dernier âge de l’arbre, est dénué de tout objet : ce prétendu régulateur de l’exploitabilité des forêts n’est qu’une illusion, qu’une donnée chimérique. Le produit moyen est une quantité qui s’élève graduellement à partir de la naissance de l’arbre, jusqu’au dernier instant de son accroissement. C’est à ce point extrême et non plus tôt que se présente le maximum simple ; idée que Varenne de Fenille a tenté d’élever à la hauteur d’une théorie, ce qui n’est au fond qu’une abstraction sans valeur, et sans application possible » [Noirot Bonnet, 1852, p. 5-6]. Sans doute de nombreux forestiers vont lui répondre en s’indignant ou en s’amusant de ce qui leur apparaît comme un inutile paradoxe visant un dogme bien établi de la science forestière. Mais le débat se perdra dans des considérations agronomiques complexes sur la croissance des arbres sans qu’aucun des protagonistes ne s’appuie sur le résultat mathématique, aujourd’hui connu de tout apprenti économiste et clairement formulé en 1837 par Lorentz et Parade. En fait, cette question en masquait une autre, autrement importante, qui remontait aussi à Varenne : celle du rendement financier des forêts. C’est, comme nous allons le voir, ce dernier problème qui explique en effet l’insistance de Noirot-Bonnet à nier l’existence du « maximum simple ».

26Dès la fin du xviiie siècle, en effet, les forestiers réalisent que la forêt a le caractère d’un capital et que le rendement forestier ne doit donc pas se mesurer uniquement en revenu annuel, mais aussi en revenu rapporté à la valeur capitalisée, ce que Noirot-Bonnet appelle la « rente ». Autrement dit, au lieu de laisser croître sa forêt, un particulier, comme d’ailleurs l’Etat, peut la couper et placer le produit de sa coupe au taux d’intérêt courant. C’est pourquoi Varenne définit en 1790, à côté du « maximum simple » (celui de Buffon [16]), un « maximum composé » qui tient compte du taux d’intérêt. Nous ne pouvons reprendre ici de façon détaillée l’histoire de la définition du « maximum composé », concept qui entraîna Varenne et ses émules au xixe siècle, tant en France qu’en Allemagne, à soumettre la gestion forestière à des calculs actuariels plus ou moins complexes. L’important est ici la conclusion et ses conséquences pratiques. Les forestiers débouchaient en effet sur le constat évident que le « maximum composé » était atteint beaucoup plus vite que le maximum simple : vingt à trente ans suivant les espèces et les terrains, quand le maximum simple ne pouvait être atteint qu’au bout de plus d’un demi-siècle pour les bois tendres et de beaucoup plus pour les bois durs [Varenne de Fenille, 1791, p. 44] [17].

27Louis Noirot-Bonnet radicalisa ce résultat : d’après lui, raisonnant en termes de produit financier, un propriétaire aurait intérêt à couper sa forêt dès la première année et, raisonnant en termes de production biologique, à la laisser croître jusqu’à son dépérissement : « Ces forêts présentent ainsi deux produits de nature distincte dont le développement est soumis à des lois dissemblables ; il existe même entre ces lois un contraste tel, que l’un des produits ne peut croître sans qu’aussitôt l’autre soit frappé d’une réduction. En effet, la production de matière, rapportée à l’année moyenne, va sans cesse en augmentant d’un an jusqu’à cent-cinquante ans, tandis que la production annuelle en argent va sans cesse en diminuant du premier de ces termes à l’autre » [Noirot-Bonnet, 1842, p. 90] [18]. Cournot lui reprendra cette conclusion [Cournot, 1861] [19]. De cette distinction entre produit en matière et produit en argent se dégage en effet une contradiction majeure entre intérêt particulier et intérêt général, qui avait déjà été mise en évidence par Varenne en 1790 :

28

« … je ne crois pas mieux terminer cette première partie que par un aperçu rapide de la très grande différence de l’intérêt du propriétaire qui coupe un bois pour le vendre, avec l’intérêt du consommateur, c’est à dire du Public. Un propriétaire possède un taillis de 20 ans, et de la valeur de 3000 livres ; la production annuelle de ce bois doit être évaluée à 150 l. Si le propriétaire vend la dépouille de ce taillis à vingt ans et place à intérêt ces 3000 livres, ils augmenteront encore son revenu de 150 livres. S’il suspend sa vente et que la valeur intrinsèque acquise par le taillis pendant la vingt-et-unième année excède 300 livres, il a bien fait de suspendre. Si la valeur acquise pendant la vingt-unième année ne s’élève qu’à 250 livres, le propriétaire est en perte de 50 livres, mais la consommation a gagné 100 livres, c’est à dire que le même terrain qui, si le bois eût été coupé, n’eut reproduit qu’une valeur de 150 livres, en a physiquement reproduit une de 100 livres de plus. Dans ces circonstances, peut-on forcer le propriétaire à suspendre sa coupe ? Non, sans blesser son intérêt et commettre une injustice. Si un bois semblable était à la disposition de la Nation, l’Administrateur ferait-il bien d’en ordonner la coupe ? Non, parce qu’il blesserait essentiellement l’intérêt du consommateur ou du Public, dont il est le délégué et le représentant ».
[Varenne de Fenille, 1791, p. 59-60]

29Noirot-Bonnet reprend en le radicalisant ce résultat de Varenne, mais il pousse le raisonnement au-delà, dans une optique de sociologie économique. Sa question peut en effet se formuler en ces termes : puisqu’il est mathématiquement démontré que les propriétaires de forêt auraient « intérêt » à déboiser pour placer le capital ainsi réalisé sur d’autres spéculations, pourquoi ne le font-il pas systématiquement ? Autrement dit pourquoi y a-t-il encore des forêts sur pied si l’exploitation de celles-ci est anti-économique ? Le raisonnement de Noirot-Bonnet est raffiné. Il note tout d’abord que c’est en termes relatifs (soit, selon son expression, en termes de « rente », i.e. taux de rendement du capital immobilisé) que l’activité forestière apparaît peu rentable, et non en termes absolus (le montant monétaire du revenu d’exploitation). Or, souligne-t-il, l’acteur économique peut se contenter d’une rente d’autant plus faible qu’il dispose d’un capital important. Ce raisonnement est similaire à celui formulé en 1738 par Daniel Bernoulli pour résoudre le paradoxe du « jeu de Saint-Pétersbourg » [20] ; il équivaut, dans les termes de la théorie néoclassique contemporaine, à poser le principe de l’utilité marginale décroissante de la monnaie. La « rente » acceptée, soit ce que les économistes contemporains appellent le « taux d’actualisation » [21], devient ainsi une variable sociologique. Ce point est admis par la littérature moderne qui attribue la genèse de ce concept aux forestiers allemands et notamment à Faustmann en 1849 [Frayssé et al., 1990 ; Poupardin et Larrère, 1990, p. 39-75 ; Terreaux, 1996]. Autrement dit, le taux d’intérêt du marché ne saurait être considéré comme le ratio universel exprimant le rendement attendu d’un investissement. Cournot prend le problème sous un autre angle en distinguant l’économie « réelle » de l’économie spéculative : « Si l’on va au fond de la difficulté, on voit qu’elle tient précisément à ce que le capital réel ne peut suivre, comme le capital fiduciaire, la loi d’accroissement en progression géométrique. […] Ce sou placé à intérêt composé depuis le début de l’ère chrétienne et les sommes étourdissantes qu’il produit, sont un jeu de l’esprit, bon à laisser dans nos classes de mathématiques » [Cournot, 1981, p. 227-228] [22].

30L’analyse de Noirot-Bonnet permet de rendre compte des phénomènes historiquement observables. On comprend en effet que le petit propriétaire qui achète une forêt la coupe immédiatement pour mettre la terre en culture, car il a un besoin urgent de revenu. En revanche, les grands propriétaires peuvent se permettre un taux d’actualisation faible : « Ce serait donc une erreur de croire qu’on subit une perte quelconque, parce qu’on possède des capitaux à faible rente; on ne ressent aucune perte réelle, on n’éprouve aucun dommage dans sa fortune, si l’on est assez riche pour posséder des capitaux de ce genre et si l’on en possède que dans une proportion convenable » [Noirot-Bonnet, 1842, p. 248] [23]. Au sommet de la hiérarchie des propriétés, l’État peut se contenter du taux d’actualisation le plus faible. C’est donc lui qui doit conserver la propriété des forêts aux cycles les plus longs, celles de hautes futaies, qui constituaient, jusqu’à l’avènement de la marine à vapeur, un bien stratégique pour la Marine. L’erreur révolutionnaire, dénoncée par les forestiers de la Restauration, était donc de penser que l’on pouvait distribuer la propriété forestière comme celle de la terre arable dans un large public. La sociologie économique de Noirot-Bonnet s’inscrit donc dans un esprit contre-révolutionnaire, partagé par nombre de forestiers de sa génération. Elle l’amène, comme Cournot qui s’en inspire [Vatin, 1998], à se prononcer en faveur d’une socialisation partielle de la propriété forestière, dans l’esprit de ce que Karl Marx identifiera, dans le contexte allemand, comme un « socialisme réactionnaire ».

31Ainsi, dans le domaine forestier, comme dans celui des ponts et chaussées, le calcul techno-économique ne se referme pas sur lui-même, mais, au contraire, débouche sur des questions éthiques et politiques : statut de la propriété, relation entre l’intérêt privé et l’intérêt collectif, arbitrage entre le présent et l’avenir, etc. S’inspirant de l’exemple forestier, qu’il considérait comme particulièrement emblématique, Cournot [24] donna à ces questions leur juste ampleur philosophique [Vatin, 2000 ; 2005], laquelle influença Gabriel Tarde, et, incidemment, si on lit bien le texte qui suit, il montra la place décisive occupée dans nos sociétés par l’ingénieur, au sens large du terme, celui qui doit malgré tout décider, là où, finalement, ses calculs, menés à leur terme, montrent l’impossibilité d’une décision pleinement rationnelle :

32

« L’obligation d’embrasser, pour la définition de l’optimisme économique, la suite des générations successives, devient évidente lorsqu’il s’agit de l’utilité à tirer des richesses qui s’épuisent par l’exploitation, ou dont l’épuisement est subordonné au mode d’aménagement. En effet, jusqu’à quel point, dans quelles limites rendra-t-on solidaires les uns des autres les intérêts des générations successives ? […] Il est clair que, pour rendre au principe de l’optimisme économique sa valeur idéale et absolue, il faudrait avoir résolu ces problèmes transcendants, que nous avons entendus dès l’abord mettre hors de discussion, parce qu’il est certain que les philosophes ne les résoudront jamais. Il faudrait savoir quelle est au juste la destinée des espèces vivantes, et quelle est la destinée de l’humanité ; s’il vaut mieux que le foyer de la civilisation brûle plus longtemps, ou qu’il brûle plus vite avec une ardeur plus intense ; qu’il reste fixe ou qu’il se déplace ; qu’une plus longue suite de générations se réchauffent et s’éclairent plus ou moins à ses rayons, ou que son action se concentre sur quelques générations privilégiées : toutes questions que chacun peut trancher et même doit trancher à sa guise, quand les besoins de la pratique l’y obligent, en faisant la part du présent et des intérêts spéciaux dont il a la tutelle, et un peu aussi la part de l’avenir et d’une philanthropie plus large, de manière à éluder les conséquences extrêmes que repousserait le bon sens pratique, mais sans règles précises, de la nature de celles qu’exigerait la rigueur d’une construction scientifique ».
[Cournot, 1981, p. 266-267]

3 – Efficience et équité : le retour de la valeur

33Amartya Sen distingue en économie deux sources intellectuelles : une tradition « éthique », qu’il fait remonter à Aristote, et une tradition « mécanique », qu’il associe à la pensée d’ingénieur [Sen, 2001, p. 6-10]. Comme les précédents développements le montrent, une telle opposition ne saurait être retenue. L’illusion est de penser en effet que l’ingénieur pourrait raisonner dans un univers sans valeur. Cette illusion a été d’une certaine manière relayée par Max Weber dans sa distinction canonique entre la « rationalité en valeur » et la « rationalité en finalité » ou « instrumentale » [Weber, 1995, tome 1, chapitre 2]. La première ne porterait que sur la cohérence de l’action relativement à des choix axiologiques. La seconde, qui s’incarnerait principalement dans la pratique de l’ingénieur et de l’économiste, ramènerait en revanche les moyens aux fins dans une optique économique.

34Sans doute une telle distinction est-elle importante, car elle fait saisir le moment du calcul dans ce « rapport » qu’évoque la notion même de rationalité (ratio). Elle ne doit toutefois pas être réifiée, comme c’est bien souvent le cas, en une opposition des sociétés « traditionnelles » qui raisonneraient en « valeur » et des sociétés modernes qui, seules, calculeraient [Vatin, 1996 ; Weber, 2000]. On peut en effet dégager la rationalité en valeur à partir de la rationalité instrumentale par un « passage à la limite » : il suffit de donner à la fin une valeur infinie pour retrouver mathématiquement la première comme cas particulier de la seconde. Sous sa forme absolue, elle n’est donc jamais réalisée, car les sociétés, même les plus « traditionnelles » en apparence, ont plus de plasticité que les observateurs « occidentaux » ne leur en accordent généralement, pour le regretter ou, au contraire, pour s’en réjouir dans une critique de notre propre civilisation. Il vient donc toujours un moment où une conduite socialement prescrite sous le registre de la valeur, mais « inefficace », finit par être rejetée sous la pression des fins. Telle est la source du « changement social » que connaissent, à un rythme plus ou moins rapide, toutes les sociétés. Mais il est certain toutefois que, dans nos sociétés « modernes », ce changement est accéléré par la systématisation de la procédure de calcul et par la légitimité qui lui est accordée comme source même des choix individuels et sociaux. Nous rejoignons ici la problématique de la « performation » développée par Michel Callon [1998].

35Sur cette base, Jürgen Habermas a défendu naguère une thèse forte et pourtant discutable : celle selon laquelle la science et la technologie modernes pourraient se passer d’idéologie, car elles secréteraient elles-mêmes leur idéologie [Habermas, 1973]. Le principe d’efficience, supportant la notion de « progrès » dans tous ses registres (technique, économique, social), serait par lui-même une valeur, susceptible donc de se substituer à toute autre valeur sociale. Par cet argument raffiné, Habermas renouvelait un vieux fonds de critique de la pensée technique, de l’imaginaire rationalisateur, qu’il avait notamment repris de Martin Heidegger [1958]. Au-delà de considérations de philosophie politique et morale hors de propos ici, cette thèse nous paraît viciée par une incompréhension de la pensée d’ingénieur qui prend sa source dans l’interprétation habituellement donnée à la notion weberienne de « rationalité instrumentale ». On raisonne en effet comme si une telle rationalité pouvait se déployer sans référence aux valeurs sociales. Or, pour rapporter mathématiquement les fins aux moyens, il faut disposer d’une mesure des unes et des autres. Ces mesures participent d’un découpage métrique du monde qui ne peut s’opérer sans faire, explicitement ou implicitement, des choix quant aux valeurs sociales. Nous l’avons montré à propos du concept apparemment le plus « neutre » : celui de « rendement mécanique » en analysant comment les ingénieurs avaient construit les concepts de « travail dépensé » et de « travail utile », dans un mouvement récurrent de va-et-vient entre l’homme et la machine, leurs produits et leurs dépenses [Vatin, 1993] [25].

36En ce sens, il est profondément faux de se représenter l’ingénieur comme un « homme sans valeur ». Il en hérite et il en produit sans cesse, car il faut qu’il décide. On peut aller à l’envi en répétant que « la vie humaine n’a pas de prix » et maudire le gestionnaire de santé qui calcule et ainsi envoie certains à la mort [26]. Mais c’est le prix à payer pour en sauver d’autres. Tout moyen affecté ici a, suivant la formule des économistes, un « coût d’opportunité » : il n’est pas affecté ailleurs. Ce qu’on reproche ainsi aux ingénieurs et autres « technocrates », c’est bien de mettre, du fait de la transparence de leurs calculs, la société en toute clarté face à des choix sociaux qu’on préférerait implicites : faut-il fournir prioritairement un cœur aux cardiaques non fumeurs ou à ceux qui ont le plus de chances de survie ? À partir de combien de morts sur une route faut-il refaire un carrefour ?… Les choix seront effectués avec plus ou moins de transparence, les valeurs sociales qui président en définitive à ces choix seront plus ou moins mises en évidence et débattues, mais il est faux de penser que le calcul aurait en lui-même, par sa valeur propre en quelque sorte, la capacité à déterminer ces choix. C’est, à notre sens, ce que montre bien Cournot dans notre longue citation ci-dessus.

37Il y a donc une interpénétration permanente dans le travail d’ingénieur entre calcul et principe de valeur. L’ingénieur ordinaire n’a sans doute pas toujours conscience des valeurs qu’il met en œuvre, il est souvent dupe, le premier, de l’« objectivité » de son calcul, lui faisant oublier la construction qui le rend possible et les normes de valeur qui le régissent. Il faut donc souvent remonter à la source du calcul d’ingénieur et reprendre les débats dans leur épaisseur historique pour repérer où les choix fondateurs ont été faits, choix souvent masqués ensuite par la sophistication du calcul, qui ne prend la figure de l’objectivité que quand ses bases ne sont plus discutées, quand l’inertie d’un travail intellectuel répétitif, l’automatisme de l’algorithme leur ont donné un caractère d’évidence [27]. Cela jusqu’à ce qu’un retournement paradigmatique (au sens précis de Kuhn) intervienne, et que l’on reprenne la discussion à la base. Tel est le travail accompli par Bernard Grall sur la pensée des ingénieurs des Ponts. On trouvera chez eux peu de discussions philosophiques sur la valeur. Mais une interrogation sur la valeur est pourtant présente en permanence dans leur gigantesque œuvre collective qui se déploie à partir des questions pratiques qui se posent à eux.

38Une bonne partie de leur travail porte dans la première partie du xixe siècle sur l’entretien des routes. Il s’agit de mesurer la « fatigue de la chaussée » due au passage des véhicules et d’en déterminer les variables. Certains véhicules seraient-ils plus destructifs de la chaussée que d’autres ? Faudrait-il alors édicter des normes, par exemple sur la largeur des jantes, ou faire payer des taxes différentiées suivant les véhicules et leur chargement ? Mais ne pénaliserait-on pas ainsi la vie économique, par exemple en surtaxant les véhicules les plus destructifs mais aussi les plus « utiles » ? Le choix fait en France sera, à l’opposé de la législation anglaise, de laisser l’usage de la route libre et gratuit. C’est donc le budget de l’État qui dut prendre en charge l’entretien des routes, et cela largement sous la pression des ingénieurs des Ponts, même des plus « libéraux » d’entre eux, tel Jules Dupuit [Vatin, 2002a] [28]. Mais l’État a alors une autre mission : celle d’affecter « équitablement » le budget routier entre les routes, c’est-à-dire, concrètement, entre les départements. Et c’est pour assurer cette équité, celle d’un État impartial qui traite identiquement tous ses citoyens, quelle que soit leur résidence [29], qu’il faut mesurer l’usure et ses facteurs. Les formalisations théoriques qui mènent les ingénieurs des Ponts et Chaussées à des calculs de type néoclassique trouvent leur source dans ce type de questionnements. Ainsi, par exemple, l’usure de la chaussée est-elle une fonction affine ou une fonction exponentielle du trafic, autrement dit, l’« usure marginale », qui a le statut théorique d’un « coût marginal », est-elle constante ou croissante ? Choisir une clé de répartition du budget est ainsi tout à la fois relatif à une connaissance plus ou moins fine des mécanismes à l’œuvre, à la qualité du recueil des données statistiques, et à une norme d’efficience intrinsèquement liée à une norme d’équité.

39C’est un débat du même ordre qui se développe avec l’avènement des chemins de fer à propos de la tarification. S’y affrontent en effet la majorité des ingénieurs qui pensent l’efficacité et l’équité en termes de coûts : faire payer chacun à proportion de ce qu’il coûte, et ceux, minoritaires, dont Dupuit, qui les pensent au contraire en termes de moyens : faire payer chacun à proportion de ce qu’il peut payer, ce qui justifie des modes de tarification différentielle, qui privent le consommateur riche de la « rente » qui résulte pour lui de la différence entre le prix qu’il consentirait à payer et celui qu’on lui impose [Marshall (1890) 1971 ; Grall et Vatin, 1997 ; Vatin, 2002b], et permettent symétriquement au moins riche d’accéder à un bien auquel un prix trop élevé le ferait renoncer [Dupuit, 1844]. En raisonnant ainsi, Jules Dupuit a mis en évidence le concept d’utilité marginale que reflète ce « prix maximum accepté » [30]. Cette innovation théorique magistrale ne peut se comprendre sans référence à cette intense réflexion sur l’optimisation et sur la mesure des variables techno-économiques auxquels procèdent les ingénieurs du corps des Ponts depuis le début du siècle.

40Il faut souligner à cet égard le paradoxe qui veut que ce soit Dupuit, ingénieur qui, à la différence de bien d’autres de sa génération, ne travailla jamais dans les chemins de fer, qui pût ainsi, selon la formule de Bernard Grall, passer de « l’économie des forces à la production d’utilité ». En effet, ce n’est pas dans le cadre de la gestion ferroviaire que le concept d’utilité marginale fut dégagé, mais bien dans celui de la gestion routière a priori moins versée dans l’économie telle qu’on l’entend ordinairement, puisque la mise à disposition gratuite des voies ne laissait aucune place à un marché. La raison de cet apparent paradoxe a été bien dégagée par Bernard Grall. C’est dans une discussion des conceptions de Say et de son collègue Navier sur « la mesure de l’utilité des travaux publics » que Dupuit a développé le concept d’utilité marginale, afin de montrer que le calcul sayen surestimait la valeur d’un bien public comme un pont en évaluant la valeur des transports qu’il permettrait d’effectuer à partir du prix des transports anciennement réalisés [31]. Il s’agissait donc de fournir un nouveau critère de gestion pour arbitrer dans les choix d’investissement. Or les ingénieurs ferroviaires n’avaient pas besoin d’un tel instrument de calcul puisqu’ils étaient guidés par le profit. C’est précisément en revanche parce qu’il raisonnait dans une économie sans profit, que Dupuit dut construire un tel modèle.

41Mais c’était bien aussi une nouvelle façon de penser la valeur sociale, une nouvelle éthique économique que Dupuit mettait ainsi en évidence. Il en avait d’ailleurs conscience en n’hésitant pas à comparer le dispositif qu’il entendait mettre en œuvre dans la facturation des services publics (taxes sur les ponts ou facturation de l’eau [Chatzis et Coutard, 2002]) avec les « ruses » d’un commerçant avisé : « il a recours à une infinité de ruses pour se faire payer par chacun d’eux (de ses clients) la plus grande part possible de ce bénéfice qu’il considère comme fait à ses dépens. La même marchandise, déguisée dans divers magasins sous des formes variées, se vend souvent à des prix très différents aux gens aisés et aux gens pauvres. Il y a le fin, le très fin, le superfin, l’extra-fin qui, quoique sortis du même tonneau et ne présentant d’autres différences réelles que celle du superlatif et de l’étiquette, se vendent à des prix très différents » [Dupuit, 1844]. Comme on le voit, Dupuit souligne que le commerçant s’est lui-même moralement justifié, puisqu’il croit que ce « bénéfice » (cette utilité non payée que Marshall nommera la « rente du consommateur ») est fait « à ses dépens ». Mais, au-delà de cette rationalisation morale de l’intérêt par le commerçant lui-même, Dupuit entend souligner que cette perversité apparente recèle une morale supérieure : « À Dieu ne plaise que nous ne voulions justifier toutes les fraudes du commerce ; mais il est bon de les étudier parce qu’elles sont fondées sur une connaissance exacte du cœur humain, et que dans beaucoup de cas on y trouve souvent plus d’équité qu’on ne s’y attendait d’abord, et même de bons exemples à suivre » [Dupuit, 1844]… Exemple à suivre par l’ingénieur des Ponts comme nous le soulignons [Grall et Vatin, 1997].

Conclusion : pensée critique et pensée calculatoire

42Nous avons essayé de montrer dans ce rapide parcours que la pensée d’ingénieur est, souvent malgré elle, une pensée critique, car elle est une pensée pratique. La formalisation, loin d’exclure les choix de valeurs, les exacerbe. En poussant le raisonnement à ses limites, on fait apparaître les choix dans toute la crudité de leur arbitraire. Car, au bout du compte, il faut bien faire des choix, les instrumenter, les légitimer.

43Il est absurde à cet égard de critiquer, comme c’est trop souvent le cas, le caractère déshumanisant du calcul, car le problème, réel, est ailleurs. Il est dans le manque de maîtrise sociale des choix de valeur qui se cachent derrière les calculs. Il ne s’agit pas ici de dénoncer les ingénieurs et autres technocrates qui imposeraient leurs valeurs au monde. Car ils sont le plus souvent tout aussi dupes que le reste de la société des valeurs qu’ils manipulent. C’est dans l’implicite social, dans ce que Marx appelait l’ « idéologie », qu’il faut voir la source de ces valeurs. Et nous entendons moins par là l’idéologie restreinte d’un groupe professionnel, que celle, collective, qui traverse la société tout entière. Non qu’il faille négliger la première, mais s’y référer comme explication ultime tourne vite court. Les ingénieurs figurent dans une telle démarche comme le « bouc émissaire » commode, qui évite de penser le processus général de rationalisation du monde qui transforme ce que Durkheim appelait la « conscience collective ».

44De ces réflexions se dégage selon nous un chantier prioritaire pour les sciences sociales : ouvrir les « boîtes noires » des dispositifs techno-économiques pour en exhiber les valeurs constitutives [32]. Mais un tel projet ne pourra se déployer que si les sciences sociales renoncent à la rhétorique de la dénonciation a priori de toute procédure de calcul, à l’opposition simpliste d’un univers du « sens » qu’elles incarneraient, et d’un univers de la raison mécanique, qui serait celui des ingénieurs, des économistes et autres technocrates. Le face-à-face d’une pensée calculatoire ignorante des valeurs qu’elle met en œuvre et d’une pensée de critique sociale convaincue que la valeur ne peut exister qu’en dehors du calcul nous apparaît à cet égard particulièrement stérile.

Notes

  • [1]
    Cet article a pour origine un exposé fait en juin 2002 au Centre de Cerisy-la-Salle dans le cadre d’un colloque organisé par Nicolas Bouleau, Konstantinos Chatzis et Olivier Coutard sur le thème : « Modélisation et pensée critique ». Nous avons eu le grand plaisir de faire cet exposé en présence de Marcel Boiteux, digne représentant de cet esprit d’ingénieur que nous tentons de saisir. Nous avons repris cet exposé pour la présente publication afin de corriger sa forme orale primitive et de l’enrichir des développements ultérieurs de notre réflexion.
  • [2]
    Léon Walras (1834-1910), qui avait fait des études de mathématiques supérieures, rata le concours d’entrée à Polytechnique ; il sortit finalement sans diplôme de l’École des Mines en 1854. Après des débuts médiocres comme publiciste, il obtint finalement un poste aux Chemins de fer du Nord. Mais Léon Say qui présidait le Conseil d’administration de cette société appartenant aux Rothschild, l’entraîna dans l’aventure coopérativiste. C’est en 1870 qu’il entame sa carrière professorale à Lausanne. Le rapport de Walras à l’ingénierie apparaît donc bien mince.
  • [3]
    Précisons qu’Augustin Cournot, mathématicien de formation, n’a jamais été ingénieur. Quant à Jules Dupuit, il serait plus juste de dire qu’il fut ingénieur, puis économiste. L’expression d’ « ingénieur-économiste » n’a véritablement de sens selon nous appliquée qu’à des auteurs du xxe siècle, qui, de François Divisia à Marcel Boiteux en passant par Maurice Allais, ingénieurs de formation, ont fait une carrière d’économistes mathématiciens. Si de nombreux ingénieurs ont publié des travaux d’économie politique au xixe siècle, ce fut à la marge de leur carrière professionnelle proprement dite et la plupart du temps sans recourir à l’instrumentation mathématique. Jules Dupuit ne déroge pas à cette règle, puisque ses travaux proprement économiques sont dénués de tout argument mathématique explicite. Sur la vie et l’œuvre de Jules Dupuit, voir Jean-Pascal Simonin et François Vatin (éditeurs) [2002].
  • [4]
    Jean-Paul Maréchal avait repris ce beau titre « le rationnel et le raisonnable » à Serge Latouche [2004].
  • [5]
    Soulignons que le titre manifeste une symétrie qui n’est pas vraiment confirmée par le développement de l’ouvrage. Nous avons quant à nous essayé de mettre en œuvre ce principe de symétrie dans deux ouvrages [Vatin, 1993 ; 1998].
  • [6]
    Nous (FV) avons dû reprendre pour sa publication la rédaction de cet ouvrage, en raison du décès accidentel de B. Grall en 1997.
  • [7]
    La tradition épistémologique française, par trop héritière du comtisme, a souvent sous-estimé l’importance de cette émergence de l’« impur » dans la genèse du savoir.
  • [8]
    La réflexion économique de J.-E. Briaune en France, comme celle d’H. von Thünen en Allemagne ont pour origine une technique de comptabilité agricole, alors connue sous l’expression de « statique agricole » ou « agronomométrie ». Cette technique prend sa source dans la pensée d’Albrecht Thaer (1752-1828), le fondateur de l’agronomie allemande, qui entendait mesurer l’effet de la fumure sur les cultures.
  • [9]
    Longtemps la destruction des forêts figura, avec les crimes de la Terreur ou le saccage des églises, comme une des manifestations les plus probantes de l’erreur révolutionnaire. Les historiens ont depuis discuté de l’importance réelle des destructions forestières dues à la Révolution.
  • [10]
    L’histoire des institutions forestières françaises peut être lue comme un cas exemplaire de la théorie de Karl Polanyi [1983 (1944)], qui a montré comment le développement du libéralisme économique a entraîné à rebours un mouvement d’« auto-protection » de la société, marqué par une resocialisation d’un certain nombre de biens, que l’on ne pouvait sans risque pour la survie même de la société, laisser sous la tutelle du seul marché. Polanyi identifie ces biens comme des « marchandises fictives » (échangées, mais non produites pour le marché) : le travail, la nature et la monnaie. Si, en France, le « droit du travail » ne se mit en place qu’au début du xxe siècle, en revanche, le « droit de la forêt », bien « naturel » date du début du xixe siècle.
  • [11]
    Une première publication portant ce titre avait été créée en 1809, laquelle prolongeait elle-même le Mémorial forestier, créé sous la Révolution.
  • [12]
    L’accroissement du volume de l’arbre est fonction, en négligeant sa hauteur, de celle du diamètre de son tronc, lequel progresse proportionnellement au carré de son diamètre. En revanche, la circonférence croît en raison simple du diamètre. Ainsi, pour une même fonction de croissance du diamètre en fonction du temps, le maximum de circonférence marginale (respectivement moyenne) sera atteint avant le maximum de surface et conséquemment de volume marginal (respectivement moyen).
  • [13]
    Le problème est soulevé notamment pour les gros investissements par nature insécables.
  • [14]
    Quand un graphique met en évidence une variation régulière dans un espace à deux dimensions, il préfigure une relation fonctionnelle. Concrètement, il « suffit » de « relier les points », c’est-à-dire d’admettre la continuité d’une courbe dont on ne connaît qu’un nombre fini de points en définissant les coordonnées des autres par extrapolation.
  • [15]
    En introduisant en économie le calcul fonctionnel (« mathématique sans nombre »), Cournot renonçait de fait à l’usage d’un argumentaire statistique. Claude Ménard a exagéré en la matière en évoquant une « résistance aux statistiques » [Ménard, 1977], car Cournot ne niait nullement, dans ses Recherches, que ses fonctions économiques puissent faire l’objet d’une probation statistique dès lors que des séries fiables seraient disponibles [Cournot, 1980, p. 37-40]. Mais il faut reconnaître qu’il ne s’y est pas essayé personnellement. Il faudra attendre les années 1930-1940 avec la naissance de l’économétrie pour qu’on cherche à associer systématiquement recueil de statistiques et théorie économique.
  • [16]
    Nous laissons ici de côté la différence entre produit marginal et produit moyen. C’est en effet Varenne qui se réfère lui-même à Buffon tout en mesurant des produits moyens et non marginaux.
  • [17]
    Varenne notait alors : « L’usage, presque universellement suivi dans le royaume par les grands propriétaires, de régler la coupe de leur taillis à vingt ans, s’éloigne donc fort peu, comme on le voit, de ce qu’annonce notre théorie par rapport au maximum composé. Il me semble que cela devait être. Des calculs par approximation, souvent répétés, ont dû naturellement conduire à des résultats peu différents de ceux que nous avons rigoureusement démontrés » (cité par Philibert Le Duc [1869], p. 197). Ce mode de raisonnement, qui relève de ce qu’on appelle aujourd’hui l’évolutionnisme économique était habituel à l’époque. Charles Augustin Coulomb analysait de la même manière en 1781 la forme des moulins à vent : « L’on peut, ce me semble, tirer une conclusion bien intéressante, c’est qu’il est probable qu’à force de tâtonnements, la pratique s’est très rapprochée du degré de perfection…» [Coulomb, 1821]. C’est le même point de vue qu’il développait également dans son analyse du travail humain. Voir F. Vatin, [1993, chapitre 2]. La science industrielle n’a pas alors le caractère rigidement prescriptif qu’elle revêtira plus tard.
  • [18]
    On comprend maintenant le sens de la suppression par Noirot-Bonnet en 1852 du concept de « maximum simple », qui lui permet de simplifier son modèle : on n’a d’un côté une fonction de rendement physique qui ne cesse de croître avec l’âge de la coupe, et, de l’autre, une fonction de rendement financier qui ne cesse de décroître.
  • [19]
    A. Cournot reprit son modèle puis il le développa dans ses Principes de la théorie des richesses (1863) [1981]. Mais ce n’est que dans son dernier livre : La revue sommaire des doctrines économiques (1877) [1982b], qu’il se décidera finalement à citer « l’ouvrage estimable et trop peu connu de Louis Noirot-Bonnet » (p. 25). Cournot connaissait en fait Louis Noirot-Bonnet par l’intermédiaire du frère de celui-ci, l’Abbé Noirot, professeur de philosophie à Lyon, dont il était ami proche.
  • [20]
    Pour déjouer ce paradoxe qui troubla beaucoup les esprits du xviiie siècle, Daniel Bernoulli suggéra que la « valeur » d’un même gain monétaire n’était pas la même suivant la quantité de monnaie déjà possédée, autrement dit que la « valeur subjective » de la monnaie était une fonction décroissante de la quantité possédée.
  • [21]
    En fait, comme nous l’avons montré, des idées similaires ont été développées en France à la même époque, notamment par L. Noirot-Bonnet.
  • [22]
    Pour le dire autrement, le taux d’intérêt « raisonnable » à long terme ne saurait correspondre au taux d’intérêt du marché à court terme. Pratiquement, la conclusion est la même : un investissement à long terme exige un taux d’actualisation faible. La méconnaissance de cette réalité ne peut aboutir qu’à de la dévalorisation du capital… comme les petits actionnaires du tunnel sous la Manche viennent d’en faire l’expérience.
  • [23]
    Noirot-Bonnet emploie, p. 289, le terme de « justice distributive », dans le sens originaire de Saint-Thomas d’Aquin, pour qui il désigne un principe de répartition selon le « rang » des personnes, à la différence de la « justice commutative », égalitariste.
  • [24]
    Cournot, très attaché à sa Franche-Comté natale, était lui-même propriétaire de forêts qu’il géra selon ses principes de philosophie économique.
  • [25]
    Le rendement mécanique est le rapport du « travail utile » sur le « travail dépensé ». Le calcul ne peut se déployer qu’une fois qu’on a isolé ces deux grandeurs qui sont moins évidentes qu’on ne le suppose habituellement.
  • [26]
    Il faut faire ici référence au calcul, si discuté du « prix de la vie humaine », qui a, ce n’est pas un hasard, pour origine les travaux de deux ingénieurs des Ponts et Chaussées : Claude Abraham et Jacques Thédié. Voir à ce propos, Daniel Benamouzig [2005, chapitre 4]. Marcel Boiteux, au cours du séminaire où fut présenté le présent papier, soulignait qu’on pouvait, par refus moral ou par doute radical sur la valeur de la mesure adoptée, refuser de prendre en considération un tel paramètre dans les calculs de voirie, mais que, pratiquement, cela revenait à compter la valeur de la vie humaine à zéro. Il incarnait là l’esprit d’ingénieur, tel que nous tentons de le décrire ici.
  • [27]
    Il ne s’agit pas ici non plus de critiquer cette tendance de la pensée calculatoire à se figer dans des algorithmes que le praticien peut répéter sans plus y réfléchir. Telle est aussi sa fonction, car une remontée permanente aux fondements entraînerait une régression infinie entravant la capacité à décider qui est, si on nous a suivi, l’objet même de la procédure de calcul. Mais assurément le danger de l’inertie croît quand l’algorithme se matérialise dans des objets : les abaques des ingénieurs et maintenant les logiciels informatiques. Prisonniers de leurs algorithmes, les ingénieurs peuvent facilement devenir des « idiots rationnels », tels les agents économiques « purs » selon Sen (« Des idiots rationnels. Critique de la conception du comportement dans la théorie économique », in Sen, [2001, p. 87-116]. L’humour polytechnicien s’est souvent repu de cette tendance naturelle de la pensée d’ingénieur.
  • [28]
    Jules Dupuit rejetait, par orthodoxie libérale, le financement par l’État de chaires d’économie politique. En revanche, il ne doutait pas de la pertinence du monopole du corps des ingénieurs des Ponts et Chaussées !
  • [29]
    L’équité exigerait pour le commerce, non que le coût kilométrique du transport soit le même dans l’espace national (il restera plus élevé en zone montagneuse qu’en plaine), mais que le mode d’allocation des moyens publics ne soit pas lui-même cause de disparité.
  • [30]
    Précisons les choses. Le point de départ de Dupuit est la critique des conceptions de Jean-Baptiste Say, qui mesure l’utilité par le prix de marché. Dupuit montre que pour un acheteur donné l’utilité peut être supérieure au prix, puisque cet acheteur continuerait peut être à acheter en cas de hausse de prix. Inversement, d’autres individus, qui n’achètent pas à ce prix, achèteraient peut être à un prix plus faible.
  • [31]
    C’est une application du modèle présenté dans la note précédente. Chaque unité de transport n’a pas la même valeur. Le prix de marché ne peut donc servir de mesure fixe qu’on appliquerait à des quantités variables.
  • [32]
    C’est ce que nous avons tenté de faire sur quelques objets rapidement survolés ici, comme le rendement mécanique, l’optimum forestier, l’économie routière.
Français

Résumé

Cet article porte sur la pensée économique des ingénieurs. Prenant appui sur un matériau d’histoire de la pensée, nous chercherons à définir l’ « esprit d’ingénieur », c’est-à-dire un mode de construction des connaissances, caractérisé par le souci de la mesure, de la formalisation et du calcul, mais, aussi, tourné vers l’action. Nous montrons que ce type de pensée ne méconnait pas les valeurs sociales, comme on le croit souvent. L’enjeu est alors de dégager les valeurs sociales et l’éthique économique cachées derrière l’apparente objectivité du calcul économique des ingénieurs.

Mots-clés

  • pensée économique (histoire de la)
  • ingénieur (esprit d’)
  • calcul économique
  • valeur sociales
  • éthique économique
  • mécanique
  • foresterie
  • Cournot (Augustin)
  • Dupuit (Jules)

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François Vatin
IDHE - Université Paris X – Maison Max Weber - bureau K211
200 av. de la République 92001 Nanterre
Mis en ligne sur Cairn.info le 15/04/2008
https://doi.org/10.3917/rfse.001.0131
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