CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Marianne Weber, sociologue, féministe et analyste de la vie parlementaire [1]

1 Après être longtemps restée dans l’ombre, Marianne Weber (1870-1954) fait l’objet depuis quelques années à peine d’une attention nouvelle. En Allemagne, les premières journées d’étude consacrées à l’épouse de Max Weber, elle-même sociologue, datent de septembre 1998 [2]. En plus d’articles et de contributions diverses, une importante biographie a été rédigée depuis par Bärbel Meurer [3]. En France, Marianne Weber demeure malheureusement une inconnue. Hormis un court extrait de son autobiographie Lebenserinnerungen[4], nous ne disposions jusqu’à présent d’aucune traduction de ses travaux. Marianne Weber a pourtant beaucoup écrit, et sur des sujets variés. Nous avons fait le choix de traduire et de présenter ici un texte consacré à la vie politique parlementaire allemande que Marianne connaissait bien pour avoir pu en expérimenter de l’intérieur les usages et les rites.

2 Tout comme ceux de Max, les écrits de Marianne ne se prêtent pas aisément à la traduction. Une première raison tient aux subtilités de la langue allemande et aux multiples difficultés et apories auxquelles, plus généralement, se heurtent celles et ceux qui se lancent dans un travail de transposition qui oblige à opérer des choix, parfois difficiles, pour respecter autant que possible la lettre du texte d’origine et favoriser la compréhension des lecteurs francophones. Il se trouve, par ailleurs, que la façon dont Marianne Weber rédige est aussi parfois déconcertante. Mais ses choix n’altèrent jamais la qualité des arguments développés. Avant de présenter les conditions qui ont présidé à la rédaction de l’article que nous avons traduit, puis d’évoquer certains aspects centraux du texte et les enjeux, toujours actuels, des réflexions de Marianne Weber, un court détour biographique s’impose [5].

Trajectoire et œuvre

3 Marianne Weber est née le 2 août 1870 dans une famille d’industriels spécialisée dans le textile depuis le 17e siècle. En 1851, son grand-père Carl David Weber crée une entreprise à Oerlinghausen (Rhénanie du Nord). Ce même Carl David est, par ailleurs, un oncle du père de Max Weber. Anna, la mère de Marianne, épouse un médecin de campagne qui, en raison de son statut, ne sera jamais considéré par la famille Weber. Marianne naît à Oerlinghausen quelques mois après le mariage de ses parents. Le malheur frappe rapidement puisque sa mère décède deux ans plus tard et que son père sombre dans la démence. Élevée par une de ses tantes, Marianne est envoyée à Hanovre par son grand-père afin de suivre des études qui lui permettront notamment d’apprendre le français et l’anglais. En 1892, elle est accueillie à Berlin par la famille de Max, avec lequel elle se marie le 20 septembre 1893.

4 Jusqu’à la mort de son époux, la vie de Marianne est largement rythmée par les choix et les contraintes de ce dernier, à commencer par la maladie qui affaiblit Max à partir de 1898 et qui le conduit cinq ans plus tard à se défaire de ses fonctions universitaires. Marianne assiste en permanence son mari et fait de sa guérison un objectif prioritaire. Durant cette période difficile, elle se forme néanmoins à la philosophie et rédige son premier travail académique sur le socialisme fichtéen qui paraît dans une collection dirigée par Carl Johannes Fuchs, Gerhard von Schulze et Max Weber [6].

5 Marianne et Max partagent de nombreuses valeurs et options conceptuelles dont on retrouve trace dans l’œuvre de l’un et de l’autre, et qu’ils ont pu par ailleurs partager ou discuter avec d’autres intellectuels dont ils étaient proches, comme Roberto Michels, Werner Sombart, le couple Simmel, Gertrud Baümer… Au milieu de la décennie 1890, Marianne commence à porter un intérêt de plus en plus appuyé aux conditions des femmes et aux féminismes. Elle assiste à des congrès sur la question, agit avec son époux pour favoriser l’accès des étudiantes à l’université, prend la responsabilité d’un cercle féministe…

6 En 1904, le couple Weber voyage aux États-Unis. Lors du périple, Max trouve une abondante matière pour enrichir sa réflexion sur les affinités entre protestantisme et capitalisme. À cette occasion, Marianne rencontre des théoriciennes et militantes féministes renommées, comme Jane Adams, Florence Kelley et Lillian Wald. En 1905, à un moment où le thème de la « nouvelle femme » perce dans les principaux pays industrialisés, elle publie deux articles documentés sur ce que l’Amérique offre aux femmes [7]. En 1907 paraît son œuvre majeure, un épais volume de presque 600 pages consacré à l’évolution historique du statut juridique des épouses et des mères [8]. Les nombreux articles qu’elle publie dans les deux décennies qui précèdent le décès de Max témoignent de sa capacité à aborder des champs et des objets variés (le droit, l’éthique, la culture, la guerre, la science, l’autorité, le travail…) tout en maintenant ferme l’idée que les sciences de l’esprit ont à gagner à considérer les rapports entre les hommes et les femmes pour produire une intelligence sociologique de ces multiples phénomènes [9].

7 En 1904, année où Max fait paraître son célèbre article sur « l’objectivité de la connaissance dans les sciences et la politique sociales » [10], Marianne publie un court article sur la contribution des femmes au savoir, qui sera suivi de nombreuses années plus tard par un essai sur les profils des étudiantes accédant à l’université [11]. Au début des années 1900 toujours, Marianne Weber engage un débat avec Georg Simmel sur la culture et la place qu’y occupent les hommes et les femmes. À l’analyse simmelienne qui sépare culture objective (hommes) et culture subjective (femmes), Marianne Weber oppose la thèse des femmes comme êtres de l’entre-deux [12]. Pour la sociologue, les femmes participent déjà et doivent avoir la possibilité de participer plus encore à la production de ce que G. Simmel nomme la culture objective : la politique, l’éducation, l’art, la science [13]… Pour Marianne Weber, l’administration du monde domestique n’en demeure pas moins l’apanage des femmes.

8 Lorsque Max Weber disparaît le 14 juin 1920, Marianne préside l’organisation féministe la plus importante en Allemagne, le Bund Deutscher Frauenvereine (BDF), aux orientations réformistes et aux revendications plutôt tempérées. Le décès de Max laisse Marianne complètement désemparée, au point qu’elle sombre dans la dépression et se retire de la vie publique près de quatre ans durant. Elle se remet ensuite au travail, en mettant l’essentiel de son énergie au service de la postérité de son époux. Elle travaille à l’édition de ses œuvres, dont Économie et Société. Entre 1923 et 1926, Marianne rédige une biographie de Max Weber aux fortes tonalités hagiographiques [14], ouvrage qui contribuera fortement au succès de son époux au sein des sciences sociales du 20e siècle. Faite docteure honoris causa en droit par l’Université de Heidelberg en 1924, elle s’implique à nouveau dans la vie publique et continue d’écrire sur les rapports entre les femmes et les hommes [15]. Au début des années 1930, sa voix féministe s’éteint sous la pression des événements. Marianne subit alors avec pessimisme les turbulences de la société allemande et les atrocités de la seconde guerre mondiale. Avant de disparaître en 1954, elle laisse deux ouvrages, l’un dans lequel elle analyse la catastrophe des années 1940 [16], l’autre où elle fait le bilan de sa propre vie [17].

Le tournant de 1919

9 En Allemagne, la loi autorisant les femmes à voter entre en vigueur le 30 novembre 1918. Ce nouveau droit est le résultat de longues luttes des mouvements féministes mais aussi des partis de gauche, parmi lesquels figure le Sozialdemokratische Partei Deutschland (SPD) qui est entré au gouvernement le 4 octobre 1918. Comme le mentionne Marianne Weber, la période est troublée : par la fin de la guerre (armistice du 11 novembre 1918 à la suite de l’effondrement de l’armée allemande) et par des éléments de nature politique (démission du gouvernement le 8 novembre 1918, chute du régime impérial, nomination du social-démocrate Friedrich Ebert au poste de chancelier, proclamation de la République par Philipp Scheidemann et de la République socialiste par Karl Liebknecht le 9 novembre 1918, soulèvements spartakistes dans toute l’Allemagne dès octobre 1918 et poursuite du mouvement en janvier 1919).

10 Le 19 janvier 1919 ont lieu les élections à l’Assemblée nationale constituante qui donneront plus de 75 % des voix aux partis républicains. La mobilisation est forte : 83 % des électeurs se rendent aux urnes ; près de neuf électrices sur dix, selon certaines estimations, sont dans ce cas [18]. 300 femmes sont candidates aux 423 sièges en jeu. 37 seulement sont élues, ce qui représente un taux de féminisation de 8,7 % [19]. La Constitution de Weimar est alors âprement discutée (cinq projets se succèdent) et entre en vigueur le 14 août 1919. « La Constitution ne créait pas un État nouveau, mais donnait à l’État préexistant une forme nouvelle » [20]. Le Reich allemand est une république (art. 1) qui s’affirme Volksstaat (État-peuple) et qui doit composer avec les Länder[21]. Chaque Land doit, selon l’article 17, avoir une Constitution républicaine, proposer le suffrage universel et organiser son système parlementaire. C’est à cette tâche que s’attelle le Parlement de Bade auquel est élue Marianne Weber, le 5 janvier 1919, sous la bannière du Deutsche Demokratische Partei (DDP) [22]. Lors de la séance inaugurale du 15 janvier 1919, Marianne Weber prend la parole et déclare à ses collègues masculins :

11

« Nous les femmes ne pouvons qu’exprimer notre joie et notre satisfaction d’être appelées pour participer à cette tâche, et je crois pouvoir vous dire que nous sommes mieux préparées à cela que ne le pensent peut-être la plupart d’entre vous. » [23]

12 Le DDP, auquel appartient Marianne Weber, a été fondé le 25 novembre 1918. Sous Weimar, il représente « l’Allemagne urbaine protestante à quoi s’ajoute le Sud Ouest – Bade catholique et Wurtemberg protestant – ayant en commun la tradition d’un vieux libéralisme remontant à 1848 » [24]. Parti bourgeois, il est marqué par de fortes personnalités qui ont voulu participer à la création du nouvel État. On compte entre autres Hugo Preuss, juriste et père de la Constitution, Ernst Troeltsch, théologien, Walther Rathenau, homme aux multiples facettes (il est industriel, écrivain, homme politique) et Max Weber, universitaire. Les dirigeantes féministes Gertrud Bäumer, Marie-Elisabeth Lüders et Marie Baum sont également membres du DDP. C’est sous son égide que, comme Marianne Weber, elles candidatent pour accéder à la fonction élective [25].

13 Dans la biographie qu’elle consacre à son époux, Marianne Weber note :

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« La vague puissante des événements a uni une grosse part de la bourgeoisie naguère “national-libérale” aux progressistes pour former une nouvelle configuration adaptée à l’époque [zeitgemässe Neubildung]… Nombreux sont les membres des couches dirigeantes intellectuelles qui y adhèrent, décidés comme les ouvriers socialistes à se positionner sur le terrain de la vraie démocratie. Mais contrairement à ces derniers, ils refusent de toucher au système économique et ils placent l’enjeu national au-dessus de l’international. » [26]

15 Les époux Weber sont de la partie. Tous deux s’impliquent à leur façon dans le renouveau politique dont le Deutsche Demokratische Partei est porteur.

Les Weber en politique

16 Fondateur avec d’autres du DDP, Max Weber se donne le plus ardemment à la chose publique. Entre octobre 1918 et mai 1919, il est « actif presque exclusivement dans la sphère politique. Il se passionne pour son temps, développe une intense activité d’orateur et de rédacteur d’articles à tonalité politique, notamment pour le Frankfurter Zeitung. Sur invitation de la rédaction, entre le 21 novembre et le 5 décembre 1918, il écrit cinq articles relatifs à la forme que doit prendre le futur gouvernement allemand. À la suite de cette publication, il est informellement appelé par Hugo Preuss, en décembre 1918, comme expert pour donner son avis sur le travail en cours concernant la future Constitution. Pour avoir publié des textes contre l’attribution de la responsabilité de la guerre à l’Allemagne, et après avoir contribué à la rédaction de la note de réponse allemande au mémorandum des alliés sur la responsabilité de la guerre, il participe à la délégation de professeurs envoyée à Versailles. Il rédige ensuite sa conférence sur la politique comme profession (Beruf), tenue à Munich le 29 janvier 1919, pour publication ultérieure sous forme de brochure » [27].

17 Devant les succès remportés par le sociologue lors de ses conférences politiques, le DDP propose à Max Weber de devenir candidat sur la liste que le parti présente aux élections au Reichstag dans le canton de Hesse/Nassau. Max Weber accepte. Dans une lettre adressée à Hugo Neuss, en date du 25 décembre 1918, il affiche son assurance : « Il semble que je vais bientôt être élu à Francfort » [28]. Mais Max Weber ne se préoccupe pas de sa candidature. Conséquence : il est placé en position non éligible sur la liste de Heidelberg (Bade) qui ne correspond pas au canton où il devait initialement candidater. Max Weber n’est pas élu. Sa femme, en revanche, devient députée. Dans une lettre du 29 janvier 1919 à Martha Riegel, la fiancée de son frère Karl, Max Weber, rapporte la nouvelle en ces termes :

18

« Marianne m’a chargé des salutations les plus cordiales. Tu sais qu’elle siège à l’assemblée de Bade et fait donc les lois, sous lesquelles je devrai vivre – on ne peut être plus féministe ! Elle comme seule représentante de la famille et pas un seul homme ! » [29]

19 À la différence des autres élues centristes et socialistes, Marianne Weber est l’unique femme à représenter son parti. Dans l’assemblée constituante, elle sera une observatrice attentive des formes de travail parlementaires. Force est de constater toutefois que, « Parlamentarische Arbeitsformen. Eine Plauderei » (1919) mis à part, beau petit texte qu’elle publie sur ce sujet dans le recueil Frauenfragen und Frauengedanken, Marianne Weber fait peu allusion dans ses écrits à sa propre expérience politique. Il en va de même dans les travaux que d’autres ont consacrés à sa vie et à son œuvre [30]. Günter Roth opère un constat similaire. « On ne peut que remarquer le fait que dans sa biographie [le livre qu’elle a rédigé sur la vie de Max] Marianne Weber n’évoque ni ses activités politiques, ni son élection comme présidente du BDF en 1919 » [31]. Dans son autobiographie, Marianne fournit néanmoins quelques éléments intéressants. On y apprend ainsi :

20

« Si le DDP s’était constitué à la marge du SPD, dans le Bade, des politiciens d’orientations différentes avaient été acceptés par le parti [pour se présenter aux élections] : d’anciens libéraux nationalistes, des représentants des intérêts de la grande industrie, des partisans du capitalisme et de la monarchie […]. En raison de sa composition politique et socio-professionnelle, le groupe DDP était donc fort hétérogène. L’âge seul était un trait commun, tous étaient loin de la jeunesse enflammée qui caractérise la gauche. […] Le DDP était fier de ses paysans et de son seul ouvrier qui était en fait un artisan indépendant. » [32]

21 La jeune élue DDP qu’est Marianne Weber ne maîtrise pas tous les codes de la sociabilité parlementaire lorsqu’elle entre en politique. Un jour, elle fait un « faux-pas » [33]. Se croyant protégée des regards par les colonnes de l’Assemblée, elle mange un en-cas dans les gradins. La bévue n’échappe pas aux journalistes. Marianne Weber doit alors concéder qu’elle est une femme qui « pousse la démocratie trop loin ». Les membres de son groupe politique et les autres femmes du Parlement font cependant preuve de tact et ne lui tiennent pas rigueur de l’incident. Marianne Weber s’inquiète néanmoins des réactions de son époux.

22

« Mais que dira[it] mon mari ? Il prend part à tous les événements, est sensible aux plaisanteries mais il tient beaucoup aux convenances. » [34]

23 La politique ne sera finalement pour Marianne Weber qu’un « intermède »[35]. À l’automne, elle démissionne pour suivre Max à Munich.

24

« [Maintenant,] j’aspire profondément à déchirer les filets que la vie publique a peu à peu jetés sur moi. Le retour à une vie plus introvertie, aux livres et au bureau, voilà une perspective qui rend même le départ de Heidelberg acceptable. » [36]

25 En réalité, aussitôt installée à Munich, Marianne Weber se rapproche rapidement du BDF dont, quelques années plus tard, elle sera la présidente.

Stratégies discursives et violence politique

26 Dans « Parlamentarische Arbeitsformen. Eine Plauderei », Marianne Weber s’intéresse tout particulièrement à la répartition du travail au sein des différentes enceintes de l’arène parlementaire : le groupe (Fraktion), la commission et la séance plénière. La description qu’elle donne du traitement des dossiers législatifs confirme, ainsi que les historiens ont pu le souligner par ailleurs [37], le faible enjeu des discussions qui animent les séances plénières. Celles-ci servent principalement à enregistrer des décisions prises, en amont, au sein des groupes et des commissions. De fait, ce sont dans ces instances plus confidentielles que, au Parlement de Bade comme au Reichstag, se déroulent les discussions et les débats décisifs. Les discours sont également rédigés au sein des Fraktionen pour être ensuite lus, sans emphase ni effets de manche, au sein de l’hémicycle [38]. Les groupes parlementaires ont une autre fonction encore, qu’évoque Marianne Weber, celle de lieu principal de sociabilité.

27 Bien que précisément situées dans le temps comme dans l’espace, certaines des observations de Marianne Weber n’ont rien perdu aujourd’hui ni de leur pertinence ni de leur potentiel de généralisation. Le contraste, que signale Marianne Weber, entre la tonalité des échanges entre adversaires politiques au moment des campagnes électorales et celle des discussions parlementaires, fait directement écho, par exemple, aux analyses récentes de Pierre-Yves Baudot et Olivier Rozenberg qui pointent du doigt l’articulation entre pacification des interactions parlementaires, monopolisation de la violence légitime par l’État et professionnalisation du personnel politique [39]. Cela ne signifie pas pour autant qu’au sein de l’Assemblée, les rapports sont toujours exempts de brutalité. À plusieurs reprises, Marianne Weber est la première à user d’une sémantique militaire pour décrire les luttes internes au Parlement. Les expressions parlent d’elles-mêmes : communauté de combat (Kampfgenossenschaften), groupe de combat (Kampfgruppe), combat politique (politischen Kampf)… L’« orage de colère », les « critiques teintées d’esprit partisan », le « vent froid »…, qu’elle évoque par ailleurs pour qualifier le climat qui gagne parfois des commissions pourtant habituées aux relations cordiales, ne sont pas non plus des phénomènes étrangers à la France contemporaine. Comme l’a montré Clément Viktorovitch, les commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat sont toujours concernées aujourd’hui par les violences discursives, « l’insulte, l’insinuation, l’ironie et la raillerie, sous toutes leurs formes… » [40], dont la force varie en fonction du degré de publicité des discussions, de la taille des groupes, des dynamiques interpersonnelles liant les parlementaires ou encore de la présence ou non d’un membre du gouvernement.

Usages et pérennité de l’argument différencialiste

28 Dans la seconde partie de son texte, Marianne Weber élargit sa focale d’observation, quittant les bancs parlementaires pour livrer une analyse critique du champ politique. Elle dénonce la compétition intra-partisane, la « chasse aux mandats » et aux électeurs pour servir des intérêts privés plutôt que l’intérêt général, la « démagogie » à l’œuvre dans les campagnes électorales et, plus généralement, le poids de l’« ambition personnelle ». Elle articule ces analyses à une réflexion en termes de genre, en se prononçant sur la manière dont les élues, en tant que novices et en vertu de leur « nature féminine », pourraient, voire devraient pallier certains des dysfonctionnements observés.

29 Pour légitimer la présence des femmes dans le champ politique, Marianne Weber ne se place pas sur le registre de l’égalité et de la justice mais sur celui de la complémentarité. Pour être légitimes, les femmes doivent apporter quelque chose de singulier. Bien qu’elle défende un point de vue nuancé sur la culture du masculin et du féminin, Marianne Weber est la première à assigner aux femmes un statut de « personnalités nouvelles […] au sein de la machinerie partisane » implicitement appelées à remplacer certains des « dirigeants ayant blanchi sous le harnais de l’ancien appareil politique » afin de « faire face aux exigences de cette époque chaotique ».

30 Un tel argumentaire fait directement écho cette fois aux discours utilisés en France pour faire avancer la cause des femmes. Après la seconde guerre mondiale, les suffragistes brandissent des pancartes pour dire la moralisation et la pacification de la société que ne manquerait pas de provoquer le droit de vote des femmes [41]. Bien des années plus tard, le diagnostic reste d’actualité. Ainsi que le notent Laure Bereni et Éléonore Lépinard, « dans le “Manifeste des 577”, publié dans Le Monde à l’initiative de l’association “Réseau femmes pour la parité”, le 10 novembre 1993, “le faible nombre des élues” devient “l’une des causes fondamentales de la crise du politique” » [42]. Avec les projets de lois sur la parité, les débats sont abondamment nourris par une rhétorique semblable à celle qu’utilise Marianne Weber : en prenant davantage de responsabilités publiques, les femmes vont « faire de la politique autrement », contribuer à remédier à la crise de la représentation et des élites, participer à la modernisation du champ politique [43]. Le texte de Marianne Weber révèle donc à quel point l’argumentaire différencialiste a pu perdurer dans le temps et trouver un accueil favorable de chaque côté du Rhin.

31 Marianne Weber adopte toutefois une position nuancée et exprime des doutes quant aux pratiques alternatives des femmes en politique [44] : elle oscille en effet entre des élans d’optimisme (« Les femmes novices […] tactiques de parti ») et une certaine prudence, inspirée notamment de l’observation des pratiques de certaines de ses homologues. On peut d’ailleurs souligner que, entre 1912 et 1932, les élues au Reichstag n’ont pas été moins « cumulardes » que leurs collègues masculins [45]. Ainsi, dans ce domaine, « il n’en [est effectivement] […] pas fondamentalement [allé] différemment pour les femmes impliquées dans l’activité politique » que pour les hommes. Pour la période contemporaine, Catherine Achin met pareillement en lumière le fait que, en France comme en Allemagne, le sexe n’est pas une variable fortement significative dans la pratique du cumul des mandats [46]. Ses analyses des trajectoires politiques des femmes de l’Est après la Réunification montrent par ailleurs que « celles qui ont duré et progressé en politique sont […] celles qui se sont adaptées aux règles formelles et informelles de la concurrence intra et inter-partisane » [47]. Elles sont devenues ce faisant de véritables professionnelles de la politique.

32 L’expérience parlementaire de Marianne Weber éclaire-t-elle néanmoins sur l’existence de conditions d’exercices de la politique spécifiques aux femmes ? La sociologue ne fournit guère de détails à ce sujet. Tout au plus mentionne-t-elle la difficulté à être la seule femme au sein d’un groupe parlementaire ainsi que les regards qu’elle suscite, analogues à ceux portés sur un « corps étranger ». Marianne Weber est silencieuse en revanche sur les logiques de pouvoir susceptibles de structurer le fonctionnement d’une arène nouvellement investie par quelques femmes. Nicolas Patin montre qu’il y a là pourtant matière à observation. Au Reichstag, l’espace discursif est largement dominé par les hommes. Après l’élection de 1919, les députées, qui représentent alors 8,7 % des parlementaires, ne prennent la parole que 2 % du temps durant les cinquante premières séances plénières [48].

33 Dans « Parlamentarische Arbeitsformen. Eine Plauderei », Marianne Weber ne fait, par ailleurs, que quelques allusions discrètes aux stigmatisations que subissent les femmes élues. Or, les députés hommes n’étaient pas économes en remarques déplaisantes pour qualifier la tonalité des voix des femmes ou leurs habitudes vestimentaires [49]. Les pratiques, on le sait, n’ont guère évolué. Comment ne pas songer à ce propos aux commentaires et autres piques dont ne se privent guère de nombreux hommes politiques contemporains au sujet, entre autres domaines, des vêtements et de l’apparence sexuée de leurs consœurs ? En dépit des zones d’ombre qui, en ce domaine comme dans d’autres, subsistent dans le tableau brossé par Marianne Weber, il ne fait aucun doute que cette dernière fournit un témoignage riche, d’une actualité étonnante, et qui sera utile aussi bien aux lecteurs et lectrices intéressés par la sociologie des parlements que par les questions de genre en politique.

34 Isabelle Berrebi-Hoffmann –

35 CNRS-Cnam, Lise

36 Michèle Dupré –

37 CNRS-Université de Lyon II, Centre Max Weber

38 Michel Lallement –

39 Cnam, Lise

40 Gwenaëlle Perrier –

41 Université Paris XIII, Ceral/Cnam, Lise

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43 Le seul événement qui, au cours de ces derniers mois terribles, fut pour nous source de joie et de fierté, fut l’élévation des femmes allemandes au rang de citoyennes à part entière. Ceci marqua le terme d’un long chemin à nos yeux semé d’embûches et sans fin. Dans le même temps, une porte fut ouverte vers des responsabilités nouvelles et lourdes, un travail nouveau et fécond et, pour notre sexe, plus d’assurance. Dans de nombreux États fédérés (comme, par exemple, en Bade), on disposa d’à peine deux mois pour appeler les femmes aux urnes, en allant les chercher jusque dans les ruelles étroites les plus reculées et les appartements miséreux. Que, de manière inattendue, nous y soyons parvenues, que nous soyons parvenues partout à éveiller une soif d’apprendre, un écho et un sentiment de responsabilité vis-à-vis de la situation politique, y compris dans des cercles de femmes apathiques que, jusque-là, nous ne pouvions atteindre, et que même des femmes de plus de 80 ans fêtent le jour du vote comme un jour faisant honneur au sexe féminin, tout ceci fut pour les femmes que nous sommes un rayon de lumière en ces semaines sombres, et cela représenta une belle récompense des forces que nous y avions investies. Et lorsque ensuite il advint que certaines d’entre nous furent élues, en assez grand nombre, représentantes du peuple, alors, de nouveau, les sentiments de surprise et de fierté joyeuse réussirent à donner de l’allant à notre âme alors terne et abattue par toutes ces choses tellement terrifiantes [50].

44 Mes premiers pas en tant que députée à l’Assemblée nationale de Bade me conduisirent dans la salle du groupe du Parti démocrate allemand dans la maison des États de Karlsruhe et m’amenèrent à prendre en charge diverses tâches nouvelles. J’éprouvai un sentiment d’étrangeté et presque d’inquiétude lorsque les yeux de l’ensemble des collègues masculins se tournèrent vers la nouvelle venue que j’étais, hélas, jusqu’à présent la seule femme de ce groupe parlementaire. C’est une chose en effet que de sentir de nombreux yeux fixés sur soi lorsque l’on se trouve au pupitre sur un podium surélevé, à distance mesurée de l’auditoire, et une autre que d’être exposée aux regards scrutateurs d’un cercle fermé de collègues de travail, comme si l’on était une apparition tout à fait inhabituelle. Mais de même que la nouvelle venue est d’abord regardée dans ce cercle comme un corps étranger, cette dernière sera sensible à des traits caractéristiques de sa nouvelle communauté de travail, que son collègue masculin, même nouveau, acceptera sans remarquer rien de particulier. Ce qui m’étonna d’abord, ce fut le tutoiement de familiarité entre les députés qui se connaissaient déjà pour avoir siégé dans des parlements régionaux. Pourtant, par leur origine, leur formation, leur vision du monde et leur positionnement politique, ils sont extrêmement différents – en effet, entre le représentant du peuple frotté de pangermanisme, strictement national libéral lors de ses premiers pas dans la vie politique, et le vieux démocrate pur jus, il y a tout de même des différences qui ne sont pas minimes. Initialement, le tutoiement d’amitié n’était pas utilisé de manière vraiment régulière et permanente par tous. Mais il l’était lorsque éclatait une « querelle de famille » [51], c’est-à-dire quand, au sein même du groupe parlementaire, de sérieuses différences d’opinion surgissaient et qu’aucun compromis ne pouvait être trouvé, ou bien seulement difficilement. C’est justement dans une telle situation qu’on avait alors coutume d’ajouter expressément devant le patronyme du contradicteur le mot « ami », un peu comme des époux qui ont l’habitude de s’appeler « cher enfant » lorsqu’ils sont d’avis très différents. De manière générale, on aime à user d’un ton empli d’égards au sein du groupe parlementaire précisément lorsque le choc des opinions est rude. Toute causticité dans la lutte des idées est alors évitée et si celle-là en arrive toutefois à poindre, elle est repoussée en raison de son inconvenance. Mais on cherche d’une autre manière encore à créer des liens personnels et des compromis. Dans des groupes parlementaires plus petits (le groupe démocratique allemand en Bade compte 25 membres), les députés qui ne résident pas sur place vont se retrouver, lorsque cela est possible, pour partager le déjeuner, ou bien le soir à la table des habitués [Stammtisch]. On organisera également des petites « fêtes de famille » lors d’occasions appropriées (par exemple, lorsque les nouveaux élus prononcent leurs discours d’entrée dans la fonction ou lors d’autres événements agréables). Ces rites de partage n’ont pas seulement pour objectif de satisfaire aux besoins de sociabilité. Une atmosphère de familiarité et de sympathie personnelles se développe aussi lorsque, pendant des heures de détente sans contrainte, les bavardages, les plaisanteries et les taquineries éclairent la grisaille du travail quotidien. Cela tempère les frictions et facilite, au moment décisif, le consensus et la production d’un point de vue politique unifié. Des hommes [Menschen], qui ont délibéré ensemble des mois durant, pendant de nombreuses heures et de nombreux jours, et qui dépendent les uns des autres, ne peuvent se suffire d’un programme commun au contenu trop imprécis pour trancher de nombreuses questions politiques quotidiennes ; ils ont alors besoin d’une certaine dose de sympathie et de liens interpersonnels.

45 La structure « sociologique » de ces formations apparaît clairement lorsque l’on considère ces rites de sociabilité, qui satisfont le besoin de communauté et qui, il faut le reconnaître, ne peuvent être pleinement entretenus qu’au sein de petits groupes : les membres du groupe parlementaire ne sont pas seulement des compagnons de travail, comme le sont par exemple les membres de la direction d’un groupe organisé [Verein] dont les relations conservent, la plupart du temps, une tonalité purement objective, même lorsqu’ils travaillent ensemble de manière harmonieuse depuis de longues années. Ils forment une sorte de clan (cum grano salis) qui doit tenir pour le meilleur et pour le pire. Tout comme dans une parentèle, il se peut qu’au sein d’un groupe parlementaire, chacun ait une individualité affirmée, avec des convictions particulières. La prise de position sur des questions politiques précises, au sujet desquelles le programme collectif ne donne aucune directive, peut être différente, on peut aussi sentir, en ce qui concerne les relations humaines, plus de répulsions que d’affinités vis-à-vis de tel ou tel « compagnon de parti » – cependant, de même que, dans les bonnes familles, il est de bon ton, face à des étrangers, de cacher ses sentiments de rejet ou ses jugements négatifs à l’encontre des siens, de même le tact politique exige-t-il que les compagnons d’un même groupe fassent corps face aux autres partis et soient solidaires les uns des autres. Car, contrairement à d’autres communautés de travail, la particularité des groupes parlementaires réside dans le fait qu’ils ne sont pas seulement des unions partageant les mêmes convictions ou poursuivant un même objectif. Ils fonctionnent aussi à la manière de clans, comme des communautés de combat. Ils sont en contact quotidien avec l’adversaire, travaillent avec lui dans la même enceinte, et c’est la raison pour laquelle ils doivent en permanence être prêts à entrer en scène, en faisant preuve de la cohésion interne la plus forte possible. Obtenir une position commune au sein du groupe est en général l’étape préliminaire la plus importante du travail parlementaire en cours d’élaboration. Eu égard à cet objectif, tous les sujets qui doivent être débattus en commissions ou en plénière doivent avoir été préalablement discutés au sein des groupes parlementaires. Le groupe démocrate de Bade a par exemple passé un nombre incalculable de jours à explorer chaque paragraphe du projet de Constitution du Land. Au cours de ce travail, qui se déroule à huis clos, les opinions s’affrontent souvent vivement jusqu’à ce qu’elles s’harmonisent. Si un accord ne peut être obtenu, on passe au vote, et dès lors, c’est la position majoritaire qui fait office de décision du groupe. Celle-ci sert d’abord de fil conducteur aux délégués envoyés dans les différentes commissions, mais elle doit aussi permettre ensuite de déterminer la position de tout membre du groupe lors des séances plénières. Tout naturellement, les décisions des groupes sont souvent remises en discussion. C’est le cas lorsque les explications données par les partis au sein des commissions ou lorsqu’un changement de configuration du pouvoir politique provoquent l’apparition de nouveaux points de vue. S’en tenir de manière obstinée à l’avis exprimé lors du vote initial empêcherait la plupart du temps qu’une loi ou que d’autres mesures importantes (par exemple, la formation du cabinet) puissent être adoptées. Mais il est vrai que de provisoire, une décision doit à un moment ou à un autre devenir définitive. Que se passe-t-il lorsqu’une minorité significative maintient son désaccord avec la majorité, ou lorsque, malgré toute la bonne volonté pour parvenir à l’unité, certaines figures du groupe faisant autorité en font de même ? Il est clair cependant que si un groupe veut peser dans les discussions en commission et surtout en plénière, il doit rester solidaire lors des échanges d’idées avec les adversaires et surtout ne pas se disperser lors du vote. Un groupe au sein duquel certains individus expriment des convictions personnelles divergentes lors d’occasions importantes soutient de fait l’adversaire et s’affaiblit en tant que force de proposition. Il en va ainsi de tout autre groupe de combat n’obéissant pas à la parole du chef. C’est pourquoi, même si les électeurs approuvent l’idée selon laquelle le délégué qu’ils ont élu est autorisé, voire obligé de s’en tenir avec fermeté à sa conviction personnelle et de l’exprimer avec caractère, cette position n’est rien moins qu’évidente pour le député lui-même ; car il sait que toute initiative personnelle enfreint la discipline de parti et nuit à l’image et à l’influence de son propre clan. Obéir à ses convictions personnelles ou obéir à la loi de la solidarité envers ses compagnons – voici l’épineux dilemme auquel se trouve assez souvent confronté tout député consciencieux et libre d’esprit.

46 Dans une telle situation, où l’adoption d’une position commune ne peut se faire qu’à la majorité, donc contre l’approbation d’une partie des camarades du groupe parlementaire, se pose alors la question, importante pour le groupe : une contrainte doit-elle être exercée ou non en son sein ? Tous les camarades doivent-ils par conséquent dire oui ou non de manière unanime dans les commissions et surtout en plénière, ou bien une minorité peut-elle rester libre d’agir selon ses propres convictions ? Il existe chez les sociaux-démocrates une contrainte d’unanimité absolue, il en va manifestement de même à droite (dans le Bade) pour le petit parti d’opposition. Le centre autorise dans des cas exceptionnels la liberté de vote. Cela est par exemple advenu à l’Assemblée nationale de Bade lors de la discussion d’une loi qui plaçait presque tout le commerce des parcelles et des chantiers sous le contrôle des administrations. Cependant, cette manière de procéder librement au vote était manifestement si exceptionnelle pour les représentants du peuple de Bade qu’un cri s’éleva du côté gauche de la chambre : « Ah, l’indépendance du centre ! » Tout entiers pénétrés de vieux idéaux démocratiques, les nationaux-démocrates, presque sans exception, sont tentés quant à eux de laisser leurs adhérents libres de leur vote lorsqu’ils éprouvent un cas de conscience vis-à-vis de la décision du parti, notamment pour des questions qui touchent de près à la vie intime et aux valeurs essentielles. Cela s’est passé par exemple à l’Assemblée nationale de Bade lorsqu’il a fallu se prononcer sur la revendication des sociaux-démocrates visant à rendre l’école primaire publique obligatoire pour tous les enfants – une question à propos de laquelle s’opposent frontalement les valeurs individualistes et socialistes : d’un côté, la liberté d’enseignement et le droit des parents d’éduquer leurs enfants (car même l’enseignement dispensé aux enfants dans la maison familiale est interdit durant les quatre premières années d’école), d’un autre côté, la priorité donnée à l’école du peuple dans l’intérêt des masses et la promotion d’une formation unique pour tous les citoyens. Mais dans certaines circonstances, la contrainte exercée par le groupe peut soulager. C’est précisément le cas avec des questions centrales qui peuvent causer des cas de conscience à des députés. En ce cas, des points de vue contraires s’affrontent, renvoyant à des pôles de valeurs également signifiants – la manière dont est enseignée la religion à l’école en fait partie, et elle a vraisemblablement donné lieu dans toutes les assemblées nationales à des échanges passionnés d’arguments pour et contre. Car quiconque réfléchit vraiment profondément et sans fanatisme à des problèmes difficiles ressent dans de tels cas une lourde responsabilité du fait de la trivialité du bon sens commun, à savoir que toutes les questions importantes pour l’être humain ont deux faces, voire plus ; elles peuvent donc être tranchées dans des sens contraires à partir d’une série de jugements diamétralement opposés, à l’aide du même type de justification intime et de la même déduction logique. L’homme qui agit avec conscience et anticipation s’imagine rarement que son seul point de vue a valeur « absolue », annihilant la validité d’autres points de vue. Ainsi, une décision majoritaire adoptée sous la contrainte du groupe, qui tranche entre les idées et prescrit de manière simple la décision à prendre, peut permettre à l’individu de résoudre de délicats conflits de valeurs, notamment lorsqu’il s’agit de mesures déterminantes dont les conséquences pratiques ne peuvent être évaluées à l’avance.

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47 Les relevés de décisions du groupe sont une production intermédiaire adressée pour être retravaillée aux autres instances de la représentation nationale, et en premier lieu aux commissions ; ils sont assortis des relevés de décisions d’orientation différente formulés par les groupes adverses. Les commissions sont les instances centrales du parlement. Elles réunissent les délégués des différents groupes proportionnellement à leur force, et c’est dans ces cercles choisis qu’a lieu le travail législatif proprement dit et, plus généralement, tout le travail politique. Seul celui qui est désigné par le groupe pour être membre d’une commission importante participe à l’élaboration du travail de représentation du peuple. Le rôle majeur échoit d’une part au juriste de formation et à l’économiste, d’autre part à l’expert en finances publiques et en questions budgétaires. Au cours des derniers mois, les tâches les plus importantes en matière de création des lois ont incombé, dans toutes les assemblées nationales, aux commissions constitutionnelles. Elles ont à retravailler mot à mot les projets que leur soumet le gouvernement afin de refonder complètement notre appareil d’État, elles doivent souvent les transformer de fond en comble et les préparer pour la plénière jusqu’au stade de soumission au vote. La plupart du temps (par exemple, dans le Bade), ces commissions auront en outre à opérer la transformation, imposée par les modifications constitutionnelles, de nombreuses lois spéciales (loi sur l’Église, l’École, les fonctionnaires, lois d’expropriation, lois communales, etc.). Au sein des commissions, en particulier de la commission constitutionnelle, les différents partis s’affrontent alors sur le plan des idées. Le travail commun a pour soubassement moral la volonté évidente de chaque groupe de concrétiser dans les lois à promulguer le plus grand nombre possible des idéaux propres au parti. Ce travail repose aussi sur la volonté de s’accorder avec les groupes adverses auxquels chacun est ici lié, comme nulle part ailleurs, dans une étroite communauté de travail.

48 Voilà un phénomène propre à la vie politique : les mêmes gens, qui, il y a peu, se sont peut-être affrontés très violemment au cours de la campagne électorale et qui se sont disputé l’électorat à coups d’affiches démagogiques, siègent ensuite ensemble de manière apaisée à la même table de travail, se traitent mutuellement avec respect, dans un esprit de collégialité, parfois amicalement. Dans les batailles d’idées, ils s’efforcent même d’user d’un ton si plein d’égards que le novice pense avec joie et étonnement : « Ah, s’il pouvait toujours en être ainsi ! » Aucune loi importante et aucune décision ne pourraient aboutir sans une telle disposition partagée par tous à placer la communauté des parlementaires [Sachgemeinschaft] et la manière de la servir au-delà des divergences relatives aux visions du monde et aux intérêts partisans. Ce travail productif doit être effectué toutes portes closes et ne pas être une simple pêche aux voix. Heureusement, pour un travail profitable, tous les impondérables [Imponderabilien] [52] étouffés dans le tumulte de la campagne électorale réapparaissent, et permettent seulement alors de mettre à l’unisson les différentes individualités. On cherche, en toute sincérité, à se persuader mutuellement de la supériorité objective de son propre point de vue, ou bien, lorsque l’on n’y parvient pas, à trouver la formule permettant le meilleur arrangement possible. Toutefois, même dans un tel cercle, la passion partisane peut subitement s’enflammer à nouveau de manière tout à fait inattendue et, une journée entière, empêcher le moindre travail fécond. La plupart du temps, l’étincelle de la discorde ne jaillit pas des divergences d’opinion objectives, déjà bien connues ; souvent, au contraire, elle est produite de l’extérieur, par exemple par la voie d’organes de presse qui développent une critique partisane à l’encontre du travail des opposants. L’atmosphère se refroidit soudainement. Les mêmes personnes qui, peu auparavant, œuvraient de concert dans un esprit de collégialité et de dévouement sur un même sujet, règlent leurs comptes et se traitent mutuellement d’ennemis. Le novice reste inconsolable face à une situation qu’il considère uniquement comme une perte de temps infructueuse. Mais une fois l’orage de colère destructeur passé, il constatera avec étonnement que les mêmes personnes qui l’instant d’avant se menaçaient avec virulence se remettent au travail ensemble avec le même esprit de collégialité et d’entente, et ne s’en tiennent manifestement pas rigueur. Il y a là consolation : les oppositions les plus vives dans le domaine politique n’atteignent pas nécessairement le plus profond des êtres et ne vont pas jusqu’à détruire le respect et la sympathie mutuelles. En comparaison des femmes, qui ont un penchant pour l’unicité et la plénitude de leur existence tout entière, les hommes ont une capacité plus forte à se spécialiser, c’est-à-dire à compartimenter leur existence en fonction de ses différentes finalités. Cela leur permet manifestement de faire plus facilement la part des choses entre l’hostilité la plus forte et la sympathie personnelle la plus vive.

49 Lors du travail commun en commission, chaque groupe accepte certains renoncements, car chacun sait dès le départ qu’il ne parviendra presque jamais à imposer totalement son propre point de vue, ou qu’il est souvent contraint de faire des concessions. Ces dernières sont interprétées comme une preuve de faiblesse, voire, par la grande majorité des membres du parti hors de l’Assemblée, comme une trahison de leurs principes, parce qu’ils ne parviennent pas systématiquement à cerner les rapports de force politiques. Unir de manière satisfaisante les différentes volontés est loin d’être toujours possible. Parfois, on parvient seulement à souder les parties disjointes sans parvenir à masquer les lignes de fractures. Sur de très nombreux points, on ne peut en effet trancher en rapprochant des opinions différentes, mais seulement en allant dans un sens ou dans un autre. Le vote est alors l’ultima ratio, il revient dans ce cas au groupe des nationaux-démocrates, en tant que plus grand parti minoritaire, la lourde responsabilité de faire pencher la balance tantôt d’un côté, tantôt de l’autre.

50 Seul celui qui un jour a observé le travail du législateur et de l’homme politique en train de se faire derrière les portes closes, et qui y a participé de manière responsable, sait concrètement que, dans un parlement démocratique, la politique est l’art du possible. Lui seul sait quel important travail de conseil, de négociation, d’arrangement et de renoncement est nécessaire de la part de tous ceux qui y participent, à égalité de droit et avec la même responsabilité. Il s’agit ce faisant de pouvoir faire aboutir des lois et des actions relatives par exemple aux questions cléricales, aux questions scolaires, aux affaires fiscales ou aux affaires d’expropriation, à la composition des cabinets, etc. Toute loi et toute mesure importante sont le résultat d’un combat, non seulement entre différents groupes d’intérêt, mais aussi entre différentes visions du monde ; elles seront pour cette raison même l’objet d’un compromis particulier au sein d’un parlement démocratique, car rien ne pourrait advenir sans la souplesse mutuelle des différents partis. Cette imperfection qui, aux yeux de l’observateur, caractérise le parlement, est avant tout la conséquence de rapports de force politiques dont il serait tout simplement impossible de faire l’économie.

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51 La commission a accompli son travail quand finalement, par un jeu d’influences réciproques, par une prise en compte des uns et des autres, et par le renoncement, aboutit un projet de loi qu’elle parvient à présenter unanimement. La loi est alors prête à être promulguée, l’heure de sa naissance est proche, et dès lors, l’assemblée plénière peut se prévaloir de sa fonction de facilitatrice. Sa tâche consiste essentiellement à faire connaître à l’ensemble des représentants du peuple le travail de la commission, et à lui conférer force de loi en acceptant ses propositions. Naturellement, en plénière également, des modifications ou des compléments seront requis ; cependant, ces derniers sont uniquement secondaires ou formels pour les sujets importants et difficiles, étant donné que les députés les plus expérimentés en matière de législation ont la plupart du temps pris part au travail de la commission. Il arrive toutefois que des projets soient renvoyés en commission, lorsque surgit une contradiction importante et inattendue. Hormis des cas de ce type, le devenir des actes législatifs en plénière est convenu à l’avance et prévu par les règles usuelles du travail parlementaire : le rapporteur, nommé parmi le cercle des membres de la commission, informe l’assemblée de l’avancée des négociations qui ont finalement conduit au résultat présenté, puis chaque groupe prend position dans le débat général par rapport à la proposition. L’ordre et le nombre des intervenants, fonctions de la taille de chaque groupe, sont déterminés à l’avance. Les membres du groupe le plus important ont donc toujours un double privilège : parler en plus grand nombre et avant les autres. La question de savoir combien d’intervenants les groupes s’accordent mutuellement lors du débat spécial [Spezialdebatte] [53], qui est beaucoup plus libre, est souvent tranchée en amont dans le conseil des anciens (comité des présidents des groupes). Enfin, pour toutes les occasions importantes, le contenu des discours est répété auparavant au sein des groupes. Ceux qui ont été choisis pour intervenir sont en quelque sorte « auditionnés » par leurs propres camarades, et en règle générale, personne ne demandera la parole en plénière sans avoir obtenu auparavant l’aval des amis de son parti, ou à tout le moins sans en avoir informé le président du groupe au préalable ou, au pire, pendant la séance. Le parlement est donc loin de conférer à ses membres la liberté de parole. Bien davantage, pour toute affaire importante, les flots de discours sont canalisés et rationnés avec soin. Et il ne peut en être autrement. Car sinon, ou bien aucune loi ni aucune décision n’aboutirait, ou bien cela nécessiterait dix fois plus de temps pour chaque acte législatif. Lors d’actions parlementaires d’importance, même les discours les plus brillants n’influeront plus de manière décisive sur le résultat du vote. Car la position de chaque groupe est expliquée en son sein lors des délibérations préliminaires et fixée par les décisions de la commission. Et ce que le cercle plus étroit des dirigeants a finalement mis en place via des négociations, qui durent souvent plusieurs semaines, ne peut être réduit à néant par le cercle élargi de quelques experts.

52 Les négociations en plénière sont pour l’essentiel des mises en scène du travail accompli devant le peuple tout entier et devant le cercle plus large des députés qui n’y ont pas participé. On parle en plénière essentiellement pour se donner à voir [« zum Fenster hinaus »] et pour la presse, afin de faire montre de son expertise et de son ardeur auprès de son électorat. Ces discussions préliminaires et cette répartition précise de la parole ont pour conséquence une variation plurielle et lassante sur le même thème. Chaque groupe exerce son droit à prendre position. Mais les éclairages différents apportés par les partis sur les objets soumis à discussion ne modifient pas davantage leur substance que ne le fait la vitre verte, rouge ou bleue à travers laquelle on regarde le paysage. Ces répétitions, qui ont pour effet notable l’impatience du parlementaire novice ou du simple public, sont inévitables aussi longtemps que la vie partisane sera plurielle, et elles s’accentueraient jusqu’à en devenir insupportables si les groupes n’opéraient pas en amont le travail préliminaire d’unification du collectif ou de mise en concordance des volontés individuelles. La réaction à tout cet ennui en plénière est que les représentants ne sont souvent plus très attentifs les uns aux autres. Celui qui ne s’intéresse particulièrement ni à l’objet de la discussion, ni à la personne de l’orateur, n’écoute alors que d’une oreille distraite, en profite pour lire le journal ou rédiger son courrier. De temps en temps, on fait aussi les cent pas en plénière, on froisse du papier, on murmure, et souvent on converse sans aucune gêne en privé, sans que le président y prête attention, aussi longtemps que le bruit occasionné ne vient pas couvrir la voix de l’orateur. Quand un orateur, connu pour ses longs discours et l’ennui qu’il provoque, monte à la tribune avec un épais manuscrit, alors il s’aperçoit que les bancs se vident, comme si leurs occupants fuyaient. De manière générale, l’attention de toute la maison ne sera captivée que par le député doté d’un don d’orateur et d’un tempérament exceptionnel ; la plupart du temps, elle le sera davantage par la forme que par le fond déjà connu de son discours. Celui qui n’appartient pas à ces étoiles de premier plan, qui a les yeux trop rivés sur son manuscrit – et il n’est pas rare qu’il s’agisse des forces de travail les plus studieuses et les plus clairvoyantes – devra se contenter de ne voir que les membres de sa communauté écouter son exposé avec une adhésion respectueuse.

53 À côté de cette entrée en scène où les rôles sont répartis à l’avance, il reste encore de l’espace pour un jeu plus libre et plus improvisé, qui s’exprime à travers des discours et des contre-discours des forces en présence. Il s’agit des débats budgétaires qui sont utilisés depuis toujours comme des occasions pour mettre en mots toutes les demandes imaginables des différents cercles de la population ; il s’agit surtout des questions de politique étrangère : les débats sur la relation que la nation entretient aux autres suscitent presque exclusivement au parlement du Reich grands élans et grandes passions, tandis que dans les parlements des petits États, la tempête ne se déchaîne qu’en période de tourmente, comme c’est le cas actuellement. Il s’agit ensuite de toutes les occasions pour lesquelles le gouvernement, désormais choisi par les représentants du peuple, répond de ses mesures et s’expose à la critique ; et enfin du flot des demandes (interpellations) et des requêtes adressées au gouvernement, par le moyen desquelles les députés portent à la discussion les problèmes quotidiens ou bien les intérêts économiques des groupes professionnels ou des parties du Land qu’ils défendent. Les interpellations sont notamment utilisées comme soupape privilégiée pour mettre au jour des abus publics, et c’est surtout sous cette forme que les représentants du peuple disent au gouvernement « là où le bât blesse » pour les groupes qu’ils représentent. Dans ces moments-là, qui donnent l’occasion aux députés d’exprimer devant le peuple entier toute l’ardeur qu’ils mettent à défendre le bien de leur électorat, le flot des discours peut alors s’écouler plus librement que d’ordinaire. Alors tout un chacun peut prendre la parole. C’est la raison pour laquelle, en de telles occasions, de nombreuses répétitions, ainsi que la formulation d’évidences et de banalités sont à peu près inévitables. Mais si d’aucuns sont gagnés par une violente impatience face à cela – et à qui cela n’arriverait-il pas ? – ils doivent toutefois avoir constamment à l’esprit qu’il serait totalement injuste de juger de la valeur du travail parlementaire et de l’efficacité de tel ou tel parlement en se basant sur les discours tenus en plénière. On ne doit jamais oublier que le vrai travail s’accomplit derrière les portes des salles où siègent les commissions et les groupes, et que l’on ne présente aux yeux du peuple que le dernier stade du processus.

54 Une difficulté du travail parlementaire, qui est une source notoire de déception pour le novice, vient du fait que la véritable élaboration des lois peut être et est normalement réalisée par une toute petite partie des députés (disons un quart ou un cinquième). Les autres ne s’associent que rarement à cette activité – par exemple, en introduisant des requêtes ou des interpellations et en les discutant – et doivent en général se contenter d’écouter et de voter. Malgré tout, ce cercle plus large qui entoure, telle une enveloppe atmosphérique, le noyau de ceux qui créent la loi est indispensable ; car il peut leur adresser les demandes et les problèmes rencontrés par les différents groupes professionnels, et il doit en outre représenter le peuple et son électorat, et répondre devant eux des mesures prises par les dirigeants. Il ne fait donc aucun doute que la composition du parlement prend tout son sens dans la grande diversité de ses membres, avec leurs niveaux de formation et leurs expériences les plus divers. Certes, le parlement ne doit pas être seulement le lieu où s’expriment les intérêts économiques, il doit aussi être l’arène où se déroule une lutte purement intellectuelle. Et le degré de confiance que le peuple a en ses représentants est bien évidemment déterminé par l’impression qu’il se fait de leur importance, de leur clarté et de leur force intellectuelle. C’est pourquoi, aussi indispensables au parlement que puissent être des représentants d’intérêts économiques, des experts spécialisés et des juristes pointus, les dirigeants politiques importants et enthousiastes sont également nécessaires. Ces derniers parviennent par leur force d’esprit, leur largesse de vue et la passion politique qui les anime à élever les négociations publiques vers un monde qui se situe au-delà des intérêts du quotidien ; sans de telles personnalités dirigeantes, qui savent emporter l’adhésion et auxquelles obéissent au moment voulu les machines du parti, un parlement ne peut insuffler au peuple un sentiment d’appartenance nationale et une fière conscience de l’État.

55 Il est difficile d’imaginer des formes de travail de représentation démocratique du peuple alternatives à celles qui se sont forgées à l’épreuve du temps. Des conseils parlementaires, qui au fond ne seraient rien d’autre que la représentation d’intérêts des différents corps [Stände] et groupes professionnels, devraient s’approprier des formes de travail identiques ou très semblables, sinon elles ne seraient, à l’instar de ce que furent jusqu’à présent les assemblées de conseils révolutionnaires, que des « chambres bavardes » dans lesquelles s’installerait une disproportion criante entre les paroles et les actes. Les partis actuels permettent le regroupement de concitoyens en fonction de leurs visions du monde. Il s’agit d’une partition verticale, qui inclut d’une manière véritablement démocratique les citoyens les plus variés en termes d’origine, de métier et de formation. La constitution de conseils doit en revanche se contenter de partitions horizontales qui ne peuvent regrouper que des membres ayant le même métier et le même niveau de formation, sans que jamais des idéaux qui les transcendent ne permettent à leurs intérêts opposés de converger. On ne peut en attendre d’unification de la vie politique. Ce qui fait cruellement défaut au nouveau parlementarisme démocratique, et particulièrement aujourd’hui, en ces temps marqués par la détresse nationale la plus lourde et la plus accablante qui soit, c’est un apport plus important de personnalités nouvelles, fraîchement venues et pleines d’entrain, que ne freinent pas encore des méthodes de travail et des modes de pensée révolus du fait des longues années passées au sein de la machinerie partisane. Il n’est tout simplement pas imaginable que l’ensemble de ces dirigeants ayant blanchi sous le harnais de l’ancien appareil politique aient encore la force de faire face aux exigences de cette nouvelle époque chaotique.

56 Nous, les femmes, qui sommes placées devant des possibilités d’action et des responsabilités totalement nouvelles, nous devons en outre nous rendre compte des choses suivantes : 1/ Être représentant du peuple équivaut à un exercice professionnel à temps plein, tout au moins pendant une partie de l’année, pour peu que l’on veuille pénétrer le petit cercle de ceux qui travaillent effectivement ; car on doit alors participer à tout le travail réalisé en coulisses, et l’on doit en outre être disponible, généralement sur son temps libre, pour le travail politique au sein de son propre parti, ainsi que pour répondre aux souhaits divers et variés de l’électorat. Seul le professionnel de la politique [Berufspolitiker], qui coopère constamment avec d’autres, gagnera de l’influence au parlement et participera de manière créatrice à l’organisation de la vie de l’État. 2/ On peut faire l’hypothèse que partout, seule une petite part des mandats, que l’on peut estimer à 10, voire 15 %, sera toujours cédée aux femmes. Cette participation suffit pour faire valoir les intérêts spécifiques des femmes ainsi que la « volonté féminine de participer à la culture » [« weiblichen Kulturwillen »], mais à la condition que s’opère une vraie sélection objective des représentantes du peuple. Parce que nous sommes en minorité, il est de la plus haute importance que ce ne soit pas telle ou telle représentante d’intérêts qui obtienne un mandat, mais uniquement les femmes qui possèdent une formation générale et une expérience solides, et qui se sont occupées des années durant des affaires publiques ; en outre, une formation en droit et en économie sont évidemment souhaitables. Seules des femmes cultivées et matures, qui s’impliquent avec toute leur âme, parviendront peu à peu à prendre leurs marques au sein du cercle étroit des dirigeants et de ceux qui font la loi ; elles seulement pourront donner une tonalité nouvelle au jeu des forces en présence. Ces points de vue, qui sont par nature étrangers aux hommes, doivent donc être systématiquement pris en considération à l’intérieur des partis lors de la désignation des candidates par l’électorat féminin. Car il importe que les représentantes du peuple ne se contentent pas de remplir tant bien que mal leurs fonctions en faisant preuve de suivisme, mais qu’au contraire elles les remplissent avec honneur et dans un esprit de responsabilité afin que le bien-fondé de notre combat pour une citoyenneté pleine et entière, qui a abouti de manière étonnamment rapide, soit confirmé.

57 Enfin, quelques remarques encore : l’activité politique suscite chez ceux qui en font l’élément le plus important de leur vie des tentations morales hors du commun. Les opposants à l’égalité des droits entre les femmes et les hommes ont, entre autres, utilisé l’argument selon lequel la politique pervertirait le caractère et porterait en conséquence préjudice à la femme. Dans bien des cas, nous avons vu dans cette affirmation un moyen de nous effrayer, une sorte d’épouvantail, mais nous nous sommes consolées en nourrissant l’espoir qu’en raison de ses caractéristiques propres, le sexe féminin sera en mesure d’opposer aux dangers moraux propres à la vie politique une plus grande force de résistance que ne le fait le sexe masculin. Seule une longue expérience pourra nous prouver que ceci n’était pas qu’une douce illusion. En tous cas, de nombreuses femmes, qui sont pour la première fois mêlées à l’activité politique, auront la très forte impression qu’en réalité, un nombre non négligeable d’hommes politiques, notamment ceux qui consacrent leur vie à la chose publique, ne sont pas à la hauteur pour affronter les dangers moraux hors du commun qui sont liés à ce métier : aspiration sans borne à la reconnaissance et au pouvoir, viles ambitions, irrépressible vanité et forme particulière de malhonnêteté et de sournoiserie. Le combat pour les idées auxquelles on croit et pour la bonne cause que l’on veut défendre ne sera sans doute nulle part ailleurs aussi facilement entaché de vilénies que dans l’arène politique : que l’on songe à la course aux électeurs à des fins matérielles servant sa propre classe, ou bien à la chasse aux mandats, aux fonctions et aux émoluments pour sa propre personne.

58 Certains phénomènes liés aux campagnes électorales sont également extraordinairement repoussants pour le novice : c’est le cas de la démagogie du parti s’exprimant dans les discours et les écrits qui visent non seulement à en faire la publicité en présentant de manière particulièrement impressionnante ses objectifs, mais qui visent surtout à dénigrer les objectifs et les personnes des partis adverses. Il est particulièrement repoussant de voir qu’à des fins d’agitation électorale, certains partis bien organisés constituent soigneusement des dossiers personnels sur les paroles, les discours et les actes de leurs adversaires politiques, pour ensuite, en temps voulu, faire de ce matériau les flèches à retourner contre l’adversaire. La démagogie fréquemment en usage, qui relève du registre publicitaire et qui vise à galvaniser les foules, est tout aussi repoussante. Tout est exagéré et présenté grossièrement. Aux électeurs sont faites des promesses auxquelles l’orateur ne croit même pas sincèrement au moment même où il les adresse. Les femmes novices engagées dans le combat politique rejetteront sans doute unanimement l’utilisation de telles tactiques de parti. Mais la manière d’apparaître en public de certaines femmes politiques, qui participent depuis des années déjà à la vie partisane, montre que, hélas, notre sexe n’est pas non plus exempt une fois pour toutes du risque de céder à ces habitudes.

59 En outre, la chasse aux mandats à laquelle se livrent les membres d’un même parti apparaît au « profane » à la fois repoussante et étrange. Ce sont les élections des comités de citoyens qui offrent la plus grande marge de manœuvre pour cette chasse, elles offrent en effet à un cercle assez conséquent de personnes au sein de chaque commune l’occasion tant espérée de gagner en influence et de se faire valoir. L’ambition personnelle semble donc se manifester de la manière la plus irrépressible qui soit lors des élections communales. Dans tous les cas, le novice peut assister, lors des réunions électorales, au spectacle vraiment grotesque des représentants de l’ensemble des groupes professionnels et des arrondissements [Stadtbezirke] de la ville qui candidatent au comité de citoyens. Ils exposent avec une éloquence pathétique à quel point est nécessaire pour le bien de la ville la représentation par une force vive de ce corps-ci [Standes] ou de ce quartier-là de la ville. Ils en viennent ensuite à se présenter eux-mêmes ou à présenter un de leurs amis proches. Pour rallier à soi l’assemblée qui n’est pas toujours convaincue par ses propositions, on vante sa propre « popularité » parmi les camarades de la profession ou au sein d’un quartier de la ville, et l’on joue parfois de la menace : aller chercher à défaut un autre soutien ou, pire, que tous les soutiens votent pour le parti adverse. Malheur au parti qui se laisse influencer par de telles manœuvres pour choisir des représentants que rien ne recommande, si ce n’est leur ambition personnelle et le fait qu’ils jouissent d’une certaine notoriété dans un quelconque cercle d’intérêts ! Leur prestige et leur audience en souffriront fortement avec le temps. Car ce ne sont en aucun cas uniquement les objectifs et les programmes qui déterminent la puissance d’attraction d’un parti, mais au moins autant les personnalités qu’il met à sa tête. Lorsqu’il s’agit d’arrêter une décision, c’est la personne du candidat qui fait souvent pencher la balance chez de nombreuses personnes qui restent en dehors du parti et qui ne participent à la vie politique qu’au moment des élections.

60 Heureusement, l’atmosphère politique s’épure lorsque la course aux mandats, qui pollue tellement les débats, s’achève. Les mots d’ordre démagogiques disparaissent au profit d’un traitement objectif des problèmes dans les commissions du parti, et du travail constructif décrit plus haut et réalisé par les instances politiques. Naturellement, on y retrouve toutefois aussi le jeu des passions que sont l’aspiration à des fonctions et à des émoluments, la soif de reconnaissance et l’ambition d’accéder à une position dirigeante. À ceux qui en ont les capacités, le parlementarisme démocratique nouvellement créé offre plus d’opportunités d’ascension sociale vers les plus hautes fonctions de l’État que toutes les constitutions antérieures. Dans l’armée napoléonienne, une situation inédite, aux conséquences multiples, se fit jour, permettant à chaque caporal de sentir le bâton de maréchal dans son paquetage. Aujourd’hui, dans la vie politique, le fait que, par sa fonction, tout député puisse en principe être dans l’attente de postes de dirigeant au plus haut sommet de l’État est d’une importance considérable. Cette sélection démocratique des dirigeants permet de stimuler de manière inestimable les personnes douées pour l’activité politique, mais on libère bien évidemment par là même des passions et des désirs troubles. Qui connaît l’être humain et ce mélange indissoluble de désirs nobles et vils qui le caractérise ne sera pas étonné que de nouvelles formes de vie, pour lesquelles des règles élémentaires de comportement doivent encore être trouvées, véhiculent aussi des tentations morales inconnues. De nombreuses personnalités dotées d’un noble caractère ne peuvent y résister. Il n’en ira peut-être pas fondamentalement différemment pour les femmes impliquées dans l’activité politique.

61 Mais elles font leurs premiers pas dans la vie politique en cette période difficile, en apportant d’un autre monde une force de jugement moral encore intacte. Ainsi, elles portent un regard encore serein sur les dangers et les laideurs de la vie politique. Leurs chances d’accéder à des fonctions dirigeantes au sein des partis ou des organes de représentation du peuple sont infimes, et elles n’aspireront guère à de telles distinctions en raison même de leur féminité. Peut-être les dangers liés à de telles ambitions sont-ils de ce fait moindres pour les femmes que pour les hommes. En tout cas, on peut espérer et souhaiter qu’elles restent pour ces raisons ou pour d’autres moins animées par de viles passions, et que de leur comportement tout entier émane une atmosphère de probité et d’objectivité qui confirme notre confiance antérieure, en montrant que la participation des femmes à la vie politique est une vraie bénédiction.

Notes

  • [1]
    Présentation et traduction du texte de Marianne Weber, « Parlamentarische Arbeitsformen. Eine Plauderei », dans Frauenfragen und Frauengedanken. Gesammelte Aufsätze, Tübingen, J.C.B. Mohr (Paul Siebeck), 1919, p. 262-278.
  • [2]
    Bärbel Meurer (Hrsg.), Marianne Weber. Beiträge zu Werk und Person, Tübingen, Mohr Siebeck, 2004.
  • [3]
    Bärbel Meurer, Marianne Weber. Leben und Werk, Tübingen, Mohr Siebeck, 2010. Cf. également Theresa Wobbe, « Marianne Weber (1870-1954). Ein anderes Labor der Moderne », dans Claudia Honegger, Theresa Wobbe (Hrsg.), Frauen in der Soziologie. Neun Porträts, Münich, Beck, 1998, p. 153-177.
  • [4]
    Marianne Weber, « Souvenirs », Les cahiers du GRIF, 40, printemps 1989, p. 35-39. Consacré au couple Simmel, ce texte reprend quelques parties d’une section intitulée « Gertrud Simmel », dans Marianne Weber, Lebenserinnerungen, Brême, Johs. Storm Verlag, 1948, p. 375-409.
  • [5]
    Nous tenons à remercier tout particulièrement Nicolas Patin pour ses remarques et commentaires judicieux sur le texte de Marianne Weber, qui ont permis d’améliorer notre propre contribution.
  • [6]
    Marianne Weber, Fichte’s Sozialismus und sein Verhältnis zur Marx’schen Doktrin, Tübingen, J.C.B. Mohr, 1925.
  • [7]
    Marianne Weber, « Was Amerika den Frauen bietet », Centralblatt des Bundes deutscher Frauenvereine, 2 parties : 15 février 1905, p. 170-172, et 1er mars 1905, p. 177-179.
  • [8]
    Marianne Weber, Ehefrau und Mutter in der Rechtsentwicklung, Tübingen, J.C.B. Mohr, 1907.
  • [9]
    Les textes consacrés à la place des femmes dans la connaissance (1904), à l’emploi (Beruf) et au mariage (1905), au divorce (1909), à l’autorité et à l’autonomie dans le mariage (1912), au rapport des femmes à la culture objective (1913), à la nouvelle femme (1914), au travail parlementaire (1919) et à d’autres thèmes encore ont été rassemblés dans M. Weber, Frauenfragen und Frauengedanken…, op. cit.
  • [10]
    Max Weber, « L’objectivité de la connaissance dans les sciences et la politique sociales » (1904), dans Essai sur la théorie de la science, Paris, Plon, 1965, p. 117-213.
  • [11]
    Marianne Weber, « Die Beteiligung der Frau an der Wissenschaft » (1904) et « Vom Typenwandel der studierenden Frau » (1917), dans Frauenfragen und Frauengedanken…, op. cit., p. 1-9 et p. 179-201.
  • [12]
    Pour une présentation détaillée des termes du débat, cf. Michel Lallement, Tensions majeures. Max Weber, l’économie, l’érotisme, Paris, Gallimard, 2013, p. 142 et suiv.
  • [13]
    Marianne Weber, « Die Frau und die objektive Kultur », dans Frauenfragen und Frauengedanken…, op. cit., p. 95-133.
  • [14]
    Marianne Weber, Max Weber. Ein Lebensbild, Tübingen, J.C.B. Mohr, 1926.
  • [15]
    Marianne Weber, Die Idee der Ehe und die Ehescheidung, Francfort-sur-le-Main, Frankfurter Societäts-Druckerei, 1929.
  • [16]
    Marianne Weber, Erfülltes Leben, Heidelberg, Verlag Lambert Schneider, 1946. On peut également ajouter, parmi ses productions écrites des années 1940 : Die Frauen und die Liebe, Leipzig, Karl Robert Langewiesche, 1941.
  • [17]
    M. Weber, Lebenserinnerungen, op. cit.
  • [18]
    Christian Baechler, L’Allemagne de Weimar. 1919-1933, Paris, Fayard, 2007.
  • [19]
    Thomas Mergel, Parlamentarische Kultur in der Weimarer Republik. Politische Kommunikation, symbolische Politik und Öffentlichkeit im Reichstag, Düsseldorf, Droste Verlag, 3e éd., 2012, p. 104.
  • [20]
    Georges Castellan, L’Allemagne de Weimar (1918-1933), Paris, Armand Colin, 1972, p. 53.
  • [21]
    Le nombre des Länder a été ramené de 25 à 17.
  • [22]
    Lors de l’élection, le DDP obtient 22,8 % des suffrages et 25 sièges, contre 36,6 % et 39 sièges au Zentrum (parti du centre), 32,1 % et 36 sièges au SPD, et 7 % et 7 sièges au Christliche Volkspartei.
  • [23]
    <http://www.lpb-bw.de/12_november.html> (consulté le 10 mars 2014).
  • [24]
    G. Castellan, L’Allemagne de Weimar (1918-1933), op. cit., p. 91.
  • [25]
    Du point de vue de la démographie interne au DDP, il est intéressant de noter que les hommes fondateurs décèdent tous au début des années 1920, tandis que les femmes ne disparaissent qu’après la seconde guerre mondiale.
  • [26]
    M. Weber, Max Weber…, op. cit., p. 653.
  • [27]
    Dirk Kaesler, « Vergeblich erhoffte Max Weber einen Neubeginn. Ein weiterer Briefband der Max Weber-Gesamtausgabe erschienen », literaturkritik.de, 14 janvier 2013, <http://www.literaturkritik.de/public/rezension.php?rez_id=17487> (consulté le 9 mars 2014).
  • [28]
    Lettre citée par D. Kaesler, ibid.
  • [29]
    Dans son autobiographie, Marianne Weber fait part de sa déception : « Comme il était grotesque que je doive faire de la politique ne serait-ce que dans le cadre du Land de Bade alors que mon mari devait continuer de travailler à son bureau à la maison » (M. Weber, Lebenserinnerungen, op. cit., p. 85).
  • [30]
    Par exemple, rien n’est dit à ce sujet dans l’ouvrage collectif dirigé par B. Meurer, Marianne Weber. Beiträge zu Werk und Person, op. cit.
  • [31]
    Günther Roth, Max Webers deutsch-englische Familiengeschichte, 1800-1950, Tübingen, Mohr Siebeck, 2001, p. 591.
  • [32]
    M. Weber, Lebenserinnerungen, op. cit., p. 88 et p. 90. Comme nous l’a indiqué Nicolas Patin, au Reichstag, la part des députés représentant des groupes d’intérêt est forte, elle est proche de 60 %.
  • [33]
    L’expression est en français dans le texte original de Marianne Weber.
  • [34]
    M. Weber, Lebenserinnerungen, op. cit., p. 87.
  • [35]
    Dans Lebenserinnerungen, le chapitre dédié à la carrière politique des Weber est significativement intitulé « Intermède politique » (politisches Zwischenspiel).
  • [36]
    M. Weber, Lebenserinnerungen, op. cit., p. 112.
  • [37]
    Cf. notamment Nicolas Patin, « Une présidence en temps troublés. Le rôle de Paul Löbe dans l’équilibre du Reichstag (1920-1932) », document de travail, 2014.
  • [38]
    En France, l’éloquence est en revanche la norme de l’excellence. À ce sujet, cf. Nicolas Roussellier, Le parlement de l’éloquence. La souveraineté de la délibération au lendemain de la Grande Guerre, Paris, Presses de Sciences Po, 1997.
  • [39]
    Pierre-Yves Baudot, Olivier Rozenberg, « Introduction. Lasses d’Elias : des assemblées dé-pacifiées ? », Parlement[s]. Revue d’histoire politique, 14, 2010, p. 6-14.
  • [40]
    Clément Viktorovitch, « Les commissions parlementaires à l’Assemblée nationale et au Sénat : un havre de paix ? », Parlement[s]. Revue d’histoire politique, 14, 2010, p. 90-110, dont p. 95.
  • [41]
    Steven C. Hause, « Suffrage et représentation politique des femmes (1920-1944) », dans Éliane Gubin et al. (dir.), Le siècle des féminismes, Paris, Éditions de l’Atelier, 2004, p. 179-193.
  • [42]
    Laure Bereni, Éléonore Lépinard, « “Les femmes ne sont pas une catégorie”. Les stratégies de légitimation de la parité en France », Revue française de science politique, 54 (1), février 2004, p. 71-98, dont p. 85.
  • [43]
    L. Bereni, É. Lépinard, ibid.
  • [44]
    Sur les pratiques des femmes en politique, voir Delphine Dulong, Frédérique Matonti, « Comment devenir un(e) professionnel(le) de la politique ? L’apprentissage des rôles au conseil régional d’Île-de-France », Sociétés et Représentations, 24, 2007, p. 251-267, où les auteures s’intéressent aux pratiques des femmes élues, et analysent ce qui relève du genre et ce qui relève de leur identité de profane en politique.
  • [45]
    Nous nous appuyons ici sur des données produites et transmises par Nicolas Patin sur le nombre de mandats occupés par les député.e.s sous Weimar : si 23,5 % des députés ont occupé quatre mandats ou plus sous la république de Weimar, ce fut aussi le cas de 27,1 % des députées.
  • [46]
    En 2011, Catherine Achin (« La reconfiguration des carrières politiques entre échelons régional et national. Comparaison France-Allemagne », communication au 11e Congrès national de l’Association française de science politique, Strasbourg, 2011) constate plus exactement qu’en France, 76 % des femmes députées détiennent un mandat local (contre 85 % des hommes députés). Il n’en va pas de la sorte en Allemagne où la norme est le non-cumul. Les chiffres y sont respectivement de 19 % et 24 %.
  • [47]
    Catherine Achin, « Un féminisme “normalisé” ? Femmes de l’Est dans la politique allemande après l’unification », Parlement[s]. Revue d’histoire politique, 19, 2013, p. 75-90, ici p. 89.
  • [48]
    Nicolas Patin, « 1918 : une rupture au sein du parlementarisme allemand ? Sociologie et recrutement des élites (1871-1933) », Parlement[s]. Revue d’histoire politique, 21, juin 2014. Pour des analyses à ce sujet sur la France contemporaine, voir Catherine Achin et al., Sexes, genre et politique, Paris, Economica, 2007, p. 119 et suiv. L’ouvrage fait également état d’une répartition inégale du temps de parole entre les sexes et présente les enjeux liés à ces différences dans les modes d’expression publique.
  • [49]
    T. Mergel, Parlamentarische Kultur…, op. cit.
  • [50]
    N.d.T. : Marianne Weber fait ici référence aux « mois terribles » évoqués au début de son texte.
  • [51]
    N.d.T. : tous les guillemets utilisés dans ce texte sont de l’auteure.
  • [52]
    N.d.T. : le terme apparaît ici difficile à traduire, et même à interpréter : on peut penser que Marianne Weber fait référence au fait que, dans les campagnes électorales, les points de vue singuliers disparaissent au profit des logiques partisanes. Elle suggère à l’inverse qu’une fois la campagne close, possibilité est laissée aux points de vue individuels de s’exprimer plus librement.
  • [53]
    N.d.T. : le débat spécial est une discussion relative à certains aspects particuliers et articles d’une loi.
Français

Élue au parlement de Bade en janvier 1919 sous la bannière du Deutsche Demokratische Partei, Marianne Weber fait l’expérience du travail parlementaire dans une assemblée majoritairement masculine. Dans cet article, la sociologue allemande décrit les rites et les codes d’un monde politique tissé de complicités, mais aussi de démagogie et d’oppositions partisanes. Marianne Weber analyse les modes de coopération et de décision, les jeux d’influence et les processus de production des textes de loi. Elle souligne notamment l’importance du travail des commissions ainsi que celle de la mise en scène de soi lors des sessions plénières. Elle évoque enfin les enjeux de la féminisation d’un personnel politique qui s’est professionnalisé et, dans ce cadre, les conditions pour faire valoir les intérêts spécifiques aux femmes.

Marianne Weber
Épouse de Max Weber, Marianne Weber (1870-1954) est une sociologue et féministe allemande qui a été membre du Parti démocrate allemand et élue au parlement de Bade en 1919. Elle a notamment publié : Fichte’s Sozialismus und sein Verhältnis zur Marx’schen Doktrin, Tübingen, J.C.B. Mohr, 1900 ; Frauenfragen und Frauengedanken. Gesammelte Aufsätze, Tübingen, J.C.B. Mohr, 1919 ; Max Weber. Ein Lebensbild, Tübingen, J.C.B. Mohr, 1926 ; Die Idee der Ehe und die Ehescheidung, Francfort-sur-le-Main, Frankfurter Societäts-Druckerei, 1929 ; Die Frauen und die Liebe. Zwölf Lebensbilder und Gedanken über die Reifung zur Liebe, Leipzig, Karl Robert Langewiesche, 1935 ; Erfülltes Leben, Heidelberg, Verlag Lambert Schneider, 1946 ; Lebenserinnerungen, Brême, Johs. Storm Verlag, 1948.
Présenté par
Isabelle Berrebi-Hoffmann
CNRS-Cnam, Lise
Présenté par
Michèle Dupré
CNRS-Université de Lyon II, Centre Max Weber
Présenté par
Michel Lallement
Cnam, Lise
Présenté par
Gwenaëlle Perrier
Université Paris XIII, Ceral/Cnam, Lise
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Mis en ligne sur Cairn.info le 04/07/2014
https://doi.org/10.3917/rfsp.643.0459
Pour citer cet article
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