CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1S’il est courant d’affirmer que la science politique reste une des disciplines les plus fermées aux études sur le genre [1], force est de constater que les travaux situés au croisement des études de genre et de l’étude des politiques publiques forment aujourd’hui une tradition déjà relativement ancienne. Depuis longtemps, les femmes sont une population ciblée par les politiques publiques et sont étudiées à ce titre dans le cadre de travaux comparatifs et de monographies, de travaux qualitatifs et de recherches qui se sont efforcées de constituer des bases de données cohérentes permettant des analyses plus quantitatives. Cette littérature scientifique sur genre et politiques publiques, qui constitue aujourd’hui un champ de recherche à part entière, trouve ses origines dans les travaux des politistes qui se sont penchées dès les années 1980 sur la façon dont les femmes se sont mobilisées face aux politiques genrées – qu’il s’agisse de politiques sociales, de politiques de contrôle de la sexualité, de régulation du travail des femmes ou des politiques familiales. Ces analyses ont privilégié principalement deux thématiques de recherche : la mise en place de politiques publiques genrées par les États, et les effets des mobilisations des femmes sur la formulation et la mise en œuvre de ces politiques, notamment en Europe et en Amérique du Nord.

2Dès le 19e siècle, de nombreux pays ont connu une première vague de mobilisation féministe non seulement en faveur du suffrage féminin mais aussi contre le contrôle par l’État de la sexualité et de la maternité des femmes et pour leur autonomie économique et leurs droits sociaux [2]. Ces premières mobilisations ont été analysées dans le contexte américain, par exemple, par la politiste Theda Skocpol qui a retracé la manière dont, au tournant du 20e siècle, les Américaines, qui n’avaient pas encore obtenu le droit de vote, s’organisèrent pour créer une large fédération nationale de clubs locaux de femmes qui collaborèrent avec des femmes réformistes entrées dans les professions qui s’ouvraient alors à elles pour initier et militer en faveur de changements législatifs à travers le pays. Le cadre de l’institutionnalisme historique mobilisé par T. Skocpol lui a permis de montrer à la fois les opportunités et les limites qui ont contraint l’action des femmes réformistes pour élaborer ou transformer des politiques [3]. Cette approche, fréquemment appliquée à l’analyse des politiques publiques, sous-tend aussi la comparaison des cas français et américain à la même époque et met au jour les conséquences en termes de politiques publiques des différentes représentations du genre mobilisées dans chaque pays. En France, aussi bien les Solidaristes que les décideurs inquiétés par l’éventualité d’une catastrophe démographique pouvaient faire cause commune, au nom du double rôle des femmes comme travailleuses et mères de la patrie, avec les ouvrières réclamant des congés de maternité. Au contraire, aux États-Unis, à la même époque, la conjonction du Progressive Movement, du mouvement féministe issu de la classe moyenne qui mettait l’accent sur les qualités maternelles des femmes et prônait un modèle économique basé sur le salaire unique masculin, et d’un mouvement syndicaliste peu enclin à demander la régulation du travail par le législateur, eu pour effet l’absence de revendications pour des politiques pouvant bénéficier aux travailleuses mères de famille [4].

3Dans la recherche française, l’analyse de la dimension genrée des politiques publiques n’a pas suivi le même cheminement. En effet, si les historiennes se sont préoccupées de la régulation du travail féminin sous la Troisième République par exemple [5], les politistes se sont d’abord plutôt intéressées à la période plus récente de l’après-guerre, concentrant leur attention sur deux domaines : les politiques de la sexualité [6] et les politiques sociales [7]. Depuis, cependant, et comme le montrent de façon exemplaire les articles de ce numéro thématique dans la RFSP, les recherches se sont multipliées et diversifiées et elles abordent aussi bien l’impact des mouvements féministes sur les politiques publiques que la mise en place du féminisme d’État en France ou l’influence de l’Union européenne sur les politiques genrées françaises.

4Il existe donc une riche tradition d’études féministes sur l’État, sur les effets des politiques publiques sur les relations de genre, ainsi que sur les mobilisations féministes et les résultats de leurs actions collectives. Cependant, devant la variété des sujets et des approches, on peut se demander si tous ces travaux parlent du même « genre ». En effet, celui-ci peut tour à tour être utilisé comme concept opératoire ou plutôt comme variable, il peut définir l’objet, le terrain empirique, ou au contraire structurer, comme concept, une approche analytique qui porte sur un objet a priori « neutre ». La présence du concept « genre » prend donc des formes variées, et cette variation interroge la portée de la notion pour l’analyse des politiques publiques. En d’autres termes, pour comprendre ce que le genre apporte à l’analyse des politiques publiques, il nous faut d’abord comprendre de quelle façon il peut être mobilisé et produire des effets de connaissance.

5Dans cette perspective, nous nous proposons ici d’élaborer une typologie des modalités d’utilisation du concept de genre pour analyser les politiques publiques et les mobilisations féministes, inspirée par la riche littérature existante en science politique. Même si les études sur le genre en science politique n’ont pas connu la même histoire en France qu’ailleurs, la circulation de la littérature entre espaces intellectuels est aujourd’hui telle que nous nous référerons ici à ces divers contextes pour analyser la façon dont le genre est mobilisé et approprié par la discipline. Comme toute typologie, celle que nous proposons ici possède des limites intrinsèques. Elle a cependant pour intérêt premier de permettre un état des lieux structuré de ce champ de recherche, mais aussi, et peut-être surtout, de donner à réfléchir sur les perspectives de développement du concept et des approches pertinentes pour l’analyse des politiques publiques.

6Afin d’établir cette typologie des usages du genre dans le domaine des politiques publiques, il faut tout d’abord retracer l’histoire de l’introduction de la notion de genre dans la discipline. En effet, les mobilisations variées du concept dans les études sur les politiques publiques ne peuvent se comprendre qu’en référence à la façon dont celui-ci a été importé, contesté et approprié par la discipline et ses différents sous-champs. C’est par le biais de l’introduction de la variable « femmes » que la question du genre a d’abord émergé en science politique et qu’elle s’est développée sous l’impulsion des études féministes. Cependant, dès son apparition, l’objet « femmes » a suscité des débats sur la façon adéquate, ou politiquement légitime, dont il fallait le mobiliser dans l’analyse.

Les femmes, le féminisme et la science politique

7En science politique, l’objet de recherche « femmes » a une longue histoire, comme en témoigne l’introduction de la variable de sexe dans les recherches de sociologie politique et de comportements politiques dès les années 1950. Les craintes suscitées par une inclinaison à droite du vote des femmes furent endémiques sous la Troisième République et les premières études du comportement électoral des femmes étaient réalisées par des politologues et sociologues français dès les années 1950 [8]. À la même époque, Évelyne Sullerot développe un intérêt pour les droits reproductifs des femmes et la démographie dans ses travaux pionniers tels que Demain les femmes (1965), alors qu’Andrée Michel et Geneviève Texier étudient la situation socioéconomique et le droits des femmes au travail dans La condition de la Française aujourd’hui (1963). La même année, l’ouvrage de Betty Friedan, The Feminine Mystique[9] devient une référence, certes contestée, de ce qui est alors appelé le Women’s Liberation Movement. Si aussi bien Évelyne Sullerot qu’Andrée Michel ont revendiqué le label « féministe » pour leurs travaux et sont reconnues comme des pionnières des études féministes, il n’en va pas de même pour les travaux des politologues tels que Maurice Duverger, qui étaient définis par leur objet, le vote des femmes, plutôt que par une approche féministe.

8Le développement de la mobilisation des femmes au cours des années 1960 et 1970 a mis au cœur du débat intellectuel – et aussi de la science politique – la question de savoir s’il existait ou non une approche féministe et ce qui la distinguerait de l’étude des « femmes ». Il faut noter qu’il était à l’époque – et encore aujourd’hui – tout à fait possible d’étudier les femmes en politique ou les politiques publiques prenant les femmes et leurs mobilisations pour objet sans pour autant adopter une approche féministe ou même utiliser le concept de genre. Il n’y a donc pas de lien mécanique entre le féminisme en tant que mouvement social ou approche analytique et une prise en compte de la variable sexe ou des comportements politiques des femmes, ou encore l’analyse des conséquences des politiques publiques sur la situation et la vie des femmes.

9De nombreux travaux des années 1970 et 1980, en particulier en théorie politique, ont repris à leur compte le slogan des féministes de la deuxième vague « le personnel est politique », introduisant ainsi une rupture dans les façons traditionnelles de penser les limites de la sphère politique et l’objet même de la science politique [10]. En considérant les femmes comme des sujets politiques à part entière, c’est tout un domaine jusqu’alors exclu de l’analyse, la sphère privée, qui s’est trouvé ramené dans le champ d’étude de la discipline. Ce débat suscité par la prise en compte du privé – fallait-il prôner une sortie des femmes de la sphère privée pour accéder au statut d’individu dans la sphère publique ou au contraire promouvoir une revalorisation du privé et des activités « féminines » ? – a influencé les discussions sur la définition de ce qu’est une approche féministe en science politique et de ce qu’est, ou devrait être, une mobilisation féministe. De ce point de vue, les discussions au sein de la discipline font donc largement écho aux enjeux traversant les mouvements de femmes à la même époque.

10L’influence des questions qui traversent le mouvement quant à sa définition et ses objectifs politiques sur les recherches menées au même moment apparaît clairement dans la classification des différentes approches féministes en science politique établie par certaines auteures. En effet, aussi bien la typologie proposée par Sandra Whitworth pour les relations internationales que celle de Judith Squires pour la théorie politique reprennent les divisions qui ont traversé les mouvements féministes pour décrire leur champ de recherche. Elles distinguent en particulier entre une approche libérale qui postule que l’objectif politique à atteindre est l’inclusion des femmes, à égalité, dans le système tel qu’il existe, et une approche que Whitworth qualifie de « radicale » – et Squires d’approche de la « différence » – qui met au contraire en avant les qualités et caractéristiques propres aux femmes et qui prônent une transformation du système politique fondée sur de nouvelles valeurs que les femmes seraient, de par leur position sociale, plus à même d’incarner. On reconnaît dans ces deux typologies la division classique entre une stratégie « égalitaire » et une stratégie mettant l’accent sur la « différence ».

11Distinguer les travaux qui mettent en œuvre une approche féministe de ceux qui ne le font pas permet aussi aux chercheures de marquer l’originalité et la valeur heuristique de l’approche féministe par rapport à un simple intérêt pour l’objet de recherche « femmes ». Au départ marginalisées par les institutions de la discipline, les féministes ont travaillé à la constitution d’un véritable sous-champ disciplinaire et ont eu à cœur de souligner la dimension politique de leurs recherches. Comment définir cette approche féministe ? Elle ne se distingue pas par sa méthodologie. Contrairement à d’autres domaines, tels que la sociologie des sciences ou la théorie du point de vue situé (standpoint theory) où le féminisme constitue une revendication méthodologique et épistémologique [11], en science politique, le terme « recherche féministe » est plutôt un positionnement politique qui génère des questions de recherche différentes, sans que l’épistémologie de la discipline soit pour autant remise en cause. Quelques exemples de ces points de vue féministes en science politique permettent de rendre compte des effets de savoir induits par cette approche, y compris dans le domaine des politiques publiques.

12Par exemple, plutôt que d’interpréter la sous-représentation politique des femmes comme le résultat d’un désintérêt de la part des principales intéressées [12], les recherches des politistes féministes se sont tournées vers le fonctionnement du système électoral [13], les modes de scrutin [14] ou encore le rôle de gatekeeper des partis politiques [15], montrant ainsi que, plus qu’un désintérêt naturel des femmes pour la chose politique, c’est le système politique qui constitue un obstacle à l’inclusion et la participation de ces dernières.

13Les politistes scandinaves ont également initié des travaux qui ont très vite fait le lien entre le sexe des élus et le contenu des politiques publiques. Ainsi, en 1988, Drude Dahlerup oppose au concept de « masse critique » développé pour analyser l’effet d’une plus grande présence des femmes en politique celui « d’actes critiques » [16]. Inspirée par les recherches en sociologie des organisations et sur la présence de minorités au sein des équipes de travail, D. Dahlerup s’intéresse aux effets de la présence des élues sur les politiques publiques, le discours politique ou la culture politique, pour conclure que c’est seulement pour cette dernière que la notion de masse critique reste pertinente. En ce qui concerne le contenu des politiques publiques qui sont votées, même un grand nombre d’élues ne peut, selon D. Dahlerup, constituer une « masse critique » au sens donné à ce terme en fusion nucléaire, à savoir la fusion de particules qui, une fois agrégées seraient capables de provoquer une réaction en chaîne, autrement dit la mise à l’agenda de nouveaux problèmes sociaux et une transformation des règles du jeu politique. Selon elle, « la volonté et la capacité d’une minorité de mobiliser les ressources d’une organisation ou d’une institution pour améliorer sa propre situation et celle du groupe minoritaire » traduisent un acte d’empowerment plus crucial que la simple augmentation du nombre de femmes [17].

14De façon similaire, depuis des décennies, les politiques sociales constituent un objet privilégié d’analyse pour celles qui s’intéressent aux politiques publiques et aux effets de l’État sur les rapports sociaux de sexe. Si l’on souhaite évaluer dans quelle mesure un régime de politiques publiques prône ou non une perspective féministe [18], alors les prestations et services liés au statut familial des femmes (allocations familiales, congés parentaux, etc.) ne sont plus évalués seulement en fonction des budgets et des sommes qui sont ainsi allouées à des populations féminines, mais plutôt en fonction de leurs effets sur la structuration, la reproduction ou la transformation des inégalités entre les femmes et les hommes [19].

15Les recherches sur le féminisme d’État posent, elles aussi, dès leur origine, la question des critères qui permettraient de qualifier de féministe l’action de l’État ou de ses agents. Avec des termes différents selon les auteures, la dimension féministe d’une politique publique s’évalue en fonction de la définition des femmes sur laquelle elle est fondée (comme groupe social), de sa volonté affichée de « faire avancer le statut économique et social, ainsi que les droits des femmes aussi bien dans le domaine public que privé » et son objectif de « réduire ou d’éliminer les hiérarchies fondées sur le genre qui sous-tendent les inégalités de base entre les hommes et les femmes dans les sphères publiques et privées » [20].

Qu’est-ce qu’un mouvement féministe ? Lutte politique et définition scientifique

16La question de savoir ce qu’est un mouvement ou une mobilisation féministe a aussi été au cœur des débats en science politique. Comme nous l’avons mentionné, dans les premières années de la deuxième vague, la qualification de féministe a fait l’objet de luttes politiques au sein des différents groupes de femmes. Les femmes des pays du Sud en particulier ont montré une certaine méfiance à l’égard de ce terme en raison de la croyance répandue selon laquelle ses inspirations, ses origines et sa pertinence sont bourgeoises, occidentales et impérialistes [21]. En Europe de l’Ouest, une ligne de clivage a séparé les groupes autonomes de ceux qui étaient liés ou émanaient de partis politiques ou de syndicats, avec pour conséquence des luttes pour refuser à ces derniers l’appellation féministe. En Allemagne par exemple, l’usage courant réservait le terme de féministe aux féministes radicales issues du mouvement de 1968 qui mettaient l’accent sur l’autonomie personnelle des femmes et leur auto-détermination, et qui désignaient les femmes mobilisées pour l’égalité des droits comme des « militantes des droits des femmes » [22].

17En France aussi, ces enjeux de caractérisation des activités politiques comme féministe ou non ont beaucoup mobilisé les mouvements de femmes, avec pour résultat une définition plus restrictive du terme féministe que dans d’autres pays. Le Mouvement de libération des femmes, dont une partie alla jusqu’à faire du terme MLF une marque déposée, ne s’identifiait pas dans sa totalité comme féministe. Certains groupes qui étaient plus proches des organisations politiques de gauche se sont, quant à eux, vu dénier la légitimité d’utiliser ce label [23]. D’une façon similaire, l’investissement typiquement réformiste de féministes au sein de l’administration publique, étudié dans les pays anglophones dès les années 1980 avec les recherches sur les « fémocrates », a pendant longtemps été ignoré du mouvement aussi bien que des recherches féministes en France [24]. Récemment, le mouvement pour la parité a lui aussi déclenché une controverse à propos de la récupération et de la légitimité de l’appellation « féministe », rejouant ainsi une partie des conflits de la seconde vague [25].

18Ces enjeux politiques de distinction entre, d’une part, des mouvements féministes et, d’autre part, des mouvements de femmes sont redoublés par la confusion entre ces termes qui existe dans la littérature sur le sujet. Comme le note Karen Beckwith, « en matière de définition, “mouvements de femmes” peut désigner des mouvements de droite ou antiféministes aussi bien que des mouvements de gauche ou féministes, mais exclure la mobilisation des femmes au sein d’autres mouvements sociaux » [26]. Dès lors, toute mobilisation de femmes, même effectuée au nom de femmes, ne peut être définie comme féministe.

19Il existe malgré tout de nombreuses formes de mobilisations féministes, si tant est que l’on adopte comme stratégie de recherche une définition œcuménique du terme qui permette d’identifier de multiples approches comme relevant d’une démarche féministe. Pour Mary Dietz, le féminisme est un mouvement à la fois global et local, social et politique qui présuppose un contenu normatif doublé d’un objectif d’émancipation. Ainsi, ses objectifs peuvent être variés (renverser la domination masculine, mettre fin à la discrimination, assurer la libération sexuelle des femmes, faire advenir une prise de conscience ou féminiser la démocratie) et sont énoncés au nom de principes normatifs eux aussi variés (l’égalité, les droits, la liberté, l’autonomie, la dignité, la reconnaissance, le respect, la justice…) [27]. Cette définition permet de distinguer entre des mobilisations de femmes et une mobilisation féministe. Toutefois, elle ne limite pas non plus le féminisme à la période contemporaine ou à la deuxième vague, ni à la condition d’auto-identification d’un mouvement comme féministe.

20Cette définition met en outre l’accent sur les inégalités entre hommes et femmes, les discriminations ou les violences, comme autant de faits sociaux, de produits de relations sociales et non de circonstances individuelles. Dans les trente dernières années, ces structures sociales ont été progressivement désignées par le terme de genre ou de relations de genre. L’adoption du concept de genre, développé pour distinguer la part sociale du rôle sexué de la part biologique du sexe, a constitué un tournant majeur en science politique et en sciences sociales en général. Avec l’apparition de ce nouveau terme dans le vocabulaire scientifique, l’opposition entre des recherches sur les femmes et des recherches féministes qui structurait ce champ d’études a été remplacée par une typologie qui distingue les recherches axées sur les femmes et utilisent comme concept central le sexe, et celles qui mobilisent le concept de genre.

Des femmes au genre

21Si les études féministes ont permis, d’une part, de montrer que les femmes étaient des sujets politiques et que, d’autre part, travailler sur les femmes permettait de redéfinir les frontières du politique, pour y inclure par exemple des activités considérées jusqu’alors comme relevant du « privé », les catégories dichotomiques de sexe se sont rapidement révélées insuffisantes. Certes, elles permettent la collecte de nouvelles données, de formuler de nouveaux objets de recherche (tels que les mouvements de femmes ; le vote des femmes ; l’État providence et les femmes ; les femmes et les guerres) et de comparer les comportements des femmes avec ceux des hommes dans des enquêtes statistiques, ainsi que les conséquences pour les femmes des politiques publiques et de l’action de l’État en général.

22Cependant, la variable « sexe » et la catégorie « femmes » possèdent des limites intrinsèques. Comparer par exemple les effets des systèmes électoraux sur les chances d’élection des femmes par rapport aux hommes ne nous renseigne pas sur ce qui est propre aux relations de genre dans ces processus de marginalisation politique. Si le système uninominal majoritaire à deux tours est moins favorable aux femmes que le scrutin de liste par exemple, la même conclusion vaut pour les autres groupes minoritaires traditionnellement exclus de la représentation politique. Autrement dit, utiliser la variable sexe ne permet pas ici d’analyser ce qui est spécifique aux femmes par rapport à d’autres groupes sous-représentés. Mesurer les montants (souvent insuffisants ou différents de ceux reçus par les hommes) des prestations et des services publics auxquels les femmes ont accès ne nous dit pas pourquoi certains taux sont établis, certains instruments choisis, ou certains objectifs généraux définis au cours du processus de mise en place d’une politique [28].

23Le concept de genre s’est donc rapidement avéré plus prometteur à la fois pour expliquer les phénomènes politiques touchant les rapports sociaux de sexe, mais également pour dévoiler la dimension genrée de phénomènes politiques considérés jusqu’alors par la discipline comme a priori neutres [29]. En effet, là où la catégorie de « sexe » constitue une variable indépendante, un point de départ dont il s’agit d’évaluer les effets sur des comportements politiques qui ont été définis au préalable sans référence aux rapports sociaux, autrement dit de façon neutre, le genre est au contraire un système de relations sociales qui détermine la définition et le contenu des groupes « femmes » et « hommes », aussi bien à travers la division sexuelle du travail que l’hétérosexualité normative et par le biais des discours, des idéologies et des pratiques de la citoyenneté, de la maternité, de la féminité ou de la masculinité [30]. Alors que le sexe est une catégorie ex ante de l’analyse, le genre est à la fois le concept heuristique et ce qu’il s’agit d’expliquer.

24Il y a donc deux caractéristiques analytiques du concept de genre qui le différencient nettement de celui de sexe ou de femmes. Premièrement, le genre est une propriété collective et non individuelle dans la mesure où le concept désigne les processus et les mécanismes sociaux, qui rendent le sexe pertinent dans un contexte donné. Le sexe est alors compris comme une construction sociale et le genre est le processus par lequel cette construction est opérée, en fournissant des définitions du masculin et du féminin, de ce qui est « mâle » et ce qui est « femelle », et en attachant à ces différences des effets sociaux très concrets. Deuxièmement, puisqu’il s’agit de processus sociaux ils varient nécessairement en fonction du contexte social et historique. Une analyse genrée ne peut donc, en principe, donner lieu à une représentation essentialiste de ces rapports sociaux qui traite le genre comme une variable dichotomique produisant invariablement deux groupes stables d’individus. L’hétérogénéité est une dimension inévitable de tout groupe social relativement large qu’il faut donc nécessairement prendre en considération dans une analyse genrée.

25Ces caractéristiques analytiques du concept de genre ont des conséquences méthodologiques. Plutôt que d’être une variable indépendante qui précède l’analyse, les activités des femmes – comme celles des hommes – sont le produit des relations sociales hiérarchisées qui s’expriment de façons variées en fonction du contexte social, politique ou économique. Le genre, comme la classe ou la race, opère en structurant des positions au sein de relations sociales. Dès lors, l’analyse des relations de genre et de leurs effets ne devrait pas mobiliser le genre comme une catégorie qu’il s’agit d’ajouter aux côtés d’autres caractéristiques individuelles collectées pour faire tourner un modèle de type régression linéaire dont l’objectif est de mesurer le « poids » de la variable indépendante genre dans un phénomène donné. Il faudrait plutôt identifier « […] les processus et mécanismes par lesquels nous faisons du sexe des personnes quelque chose qui importe » [31].

26Les approches mobilisant le concept de genre permettent des avancées significatives en science politique. Tout d’abord, ce concept introduit la possibilité d’étudier les hommes et la masculinité, telle qu’elle s’exprime dans un certain nombre d’institutions politiques, comme un sujet à part entière. L’étude classique de Cynthia Cockburn sur quatre organisations britanniques (une firme privée, un ministère, un organe électif et un syndicat) reste un modèle en la matière [32]. C. Cockburn y montre comment la valorisation de la masculinité, son institutionnalisation comme norme de référence et la reproduction des rapports de genre fondés sur des rôles sexués traditionnels sur le lieu de travail constituent autant de résistances à l’inclusion des femmes et à l’égalité dans ces organisations. De la même manière, le concept rend visible la construction sociale des qualifications – les hommes sont qualifiés, les femmes ne sont que des « petites mains » –, une construction qui sous-tend les politiques de développement des maquiladoras, ainsi que de politiques d’emploi toujours genrées [33]. Dans le champ des relations internationales, les thèmes de recherche classiques que sont la guerre et la diplomatie ont vu le développement d’un intérêt précoce et explicite pour l’analyse de la masculinité. Si le premier ouvrage de Cynthia Enloe, Does Khaki Become You ? The Militarization of Women’s Lives présentait une problématique féministe classique – les conséquences de la guerre pour les femmes – son livre suivant, Bananas, Beaches, and Bases : Making Feminist Sense of International Politics, abordait explicitement les liens entre la masculinité et les relations internationales, dans leur dimension de high politics comme celle de low politics[34]. Cette attention explicite aux hommes et à la masculinité continue à influencer de nombreux travaux dans les études de relations internationales [35], mais aussi au-delà, avec la construction d’un véritable domaine de recherche spécialisé sur les hommes et la masculinité [36].

27Le concept de genre et l’attention qu’il incite à porter à la féminité et à la masculinité comme constructions sociales peut également ouvrir la voie à une analyse renouvelée des politiques publiques. Les croyances – souvent peu examinées mais pourtant parfois tout à fait explicites – des décideurs à propos des rôles masculins et féminins dans les années 1930 et 1940 sont à la base de la mise en place de l’État social de l’après-guerre. Ces politiques publiques étaient souvent construites autour de la conception de l’homme pourvoyeur et de la femme au foyer. Leurs conséquences n’affectent pas seulement les femmes mais plutôt toute la configuration des rapports de genre. Ainsi, aujourd’hui, l’étude comparative des politiques de prise en charge des jeunes enfants par l’État néolibéral permet-elle de réinterpréter à nouveaux frais le désengagement de l’État providence et ses effets sur les transformations des relations de genre et sur la structure des inégalités hommes/femmes [37]. Une analyse de la reproduction ou de la transformation des rapports sociaux de genre par le biais des politiques publiques a également été développée à propos des minorités sexuelles, par exemple avec les travaux sur les évolutions des politiques de mariage gai et lesbien et d’adoption pour les couples de même sexe [38]. Si les minorités sexuelles constituent un objet d’étude en soi qui n’est pas réductible au genre, il n’en reste pas moins que ces deux champs de recherche sont fortement imbriqués dans la mesure où les politiques qui façonnent et contrôlent les sexualités minoritaires s’appuient et contribuent à renforcer ou au contraire à transformer l’ordre social du genre.

28Une raison supplémentaire du succès analytique et de l’hégémonie actuelle du concept de genre en sciences sociales est liée aux transformations du paysage politique et intellectuel. Il était possible jusqu’à la fin des années 1980 de catégoriser les approches théoriques féministes en référence aux différents mouvements féministes (libéral, socialiste, radical…) [39]. Mais ces catégories sont moins pertinentes aujourd’hui pour qualifier les recherches foisonnantes empruntant des chemins théoriques extrêmement variés et qui peuvent pourtant toutes se revendiquer d’une approche ou d’un paradigme féministe. En effet, face à la montée du néo-libéralisme, nous avons assisté à un déclin de l’égalitarisme, qui était soutenu à la fois par le libéralisme social, par la gauche et par le développement institutionnel des études féministes (et « sur les femmes »). Cette configuration a laissé la place, dans le monde universitaire anglophone, à une forme d’hybridation entre de nombreux courants qui empruntent leurs références théoriques aux développements apparus dans les sciences sociales (la théorie critique, les analyses herméneutiques, le post-colonialisme, les études culturelles, les analyses intersectionnelles, etc.), ce qui rend difficile un étiquetage clair des différentes recherches féministes. Mais, comme le fait remarquer Mary Dietz, s’il n’y a pas une seule façon de mobiliser le genre comme catégorie d’analyse dans ces travaux, tous se revendiquent néanmoins de ce concept [40].

29Le passage à l’usage du terme genre en sciences sociales a parfois pu être interprété comme une tentative de légitimation permettant de se défaire du terme « féminisme » pour adhérer à un vocabulaire plus « neutre » et légitime [41]. On peut penser qu’en science politique, cette substitution stratégique, si elle existe sûrement, n’est pas le seul mouvement qui s’opère. En effet, le passage à l’utilisation du concept de genre a au contraire permis de développer l’approche constructiviste des rapports sociaux de sexe, aux dépens de la vision statique et dichotomique, en termes de variable de sexe, qui prévaut par exemple dans les analyses quantitatives de comportement électoral. Autrement dit, l’approche féministe et l’approche genrée tendent plus à se recouper qu’à s’opposer, si tant est que le concept de genre soit effectivement pris au sérieux dans les recherches qui s’en revendiquent.

De l’usage du genre en science politique : essai de typologie

30L’adoption du vocabulaire du genre entraine donc un déplacement des problématiques abordées au sein des études sur les femmes/féministes en science politique. Le concept de genre implique des analyses constructivistes des relations sociales, des processus et des mécanismes sociaux plutôt qu’une catégorie ou variable stable. Ceci dit, la notion de genre a été et est toujours utilisée de façons variées, et certaines d’entre elles ne reflètent qu’indirectement la conceptualisation que nous proposons ici. Selon nous, cette multiplicité d’usages n’est pas en soi problématique. Elle doit cependant être explicitée, rendue visible plutôt que laissée à l’état d’hypothèse implicite que le lecteur devrait deviner. En effet, l’absence de clarification sur ce qu’on entend par « genre » dans une recherche, sur la façon dont le concept est mobilisé dans l’analyse, risque d’entraîner des confusions aussi bien au niveau analytique que méthodologique. Aussi souhaitons-nous proposer ici une tentative de typologie des différentes façons dont le concept de genre est aujourd’hui utilisé en science politique et appliqué à l’étude des politiques publiques. Les trois catégories que nous présentons doivent être comprises comme des idéaux-types : dans la réalité, les recherches se situent souvent entre différentes catégories, mobilisant le genre de différentes façons selon les moments de l’analyse. Il y a donc un écart entre les catégories que nous tentons de délimiter et la réalité, riche et abondante, des travaux qui mobilisent le concept. Toutefois, malgré ses limites intrinsèques, l’exercice de catégorisation peut s’avérer utile pour réfléchir aux développements de ce champ de recherche. Les trois approches, et le type de travaux qu’elles désignent, sont synthétisées par le tableau suivant.

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Le genre comme dimension sexuée de l’objet de recherche Le genre comme variable dans l’analyse des politiques publiques Le genre comme objet et comme concept Études sur les mouvements de femmes, mouvements féministes, femmes dans l’État, féminisme d’État Dimension genrée dans l’élaboration des politiques et effets genrés de ces politiques Production et transformation des rapports de genre et de leur signification via des politiques publiques

Le genre comme dimension sexuée de l’objet de recherche

31Le premier type de travaux que nous identifions est constitué par les recherches qui ont pour objet principal les femmes et leurs actions. Le genre désigne ici la dimension sexuée de l’objet de recherche qui fait sa spécificité et incite à l’analyser en tant que tel. En effet, l’adoption du concept de genre n’a pas eu pour corollaire l’abandon des études sur l’inclusion et la participation des femmes dans les diverses institutions et mouvements politiques. Ces recherches considèrent les femmes comme un groupe social et visent à comprendre de quelle façon elles participent à la vie politique et influencent l’élaboration des politiques publiques. Leurs terrains privilégiés concernent les femmes politiques, les militantes et les « fémocrates », par exemple. Cette approche, qui continue d’influencer largement les travaux sur les politiques publiques et les mouvements de femmes, traite la participation et les actions des femmes comme une variable, habituellement une variable indépendante, qu’il faut inclure dans l’analyse, en l’articulant à un ensemble d’autres facteurs, pour rendre compte d’un phénomène politique donné.

32Ces travaux qui font des femmes leur terrain d’étude et leur focale principale restent centraux pour les recherches qui s’intéressent au croisement des études sur le genre et des politiques publiques, car, malgré l’accumulation d’études de cas et de recherches comparatives, nous sommes encore loin d’avoir mis au jour l’intégralité des activités et des pratiques politiques des femmes dans l’analyse de l’action politique. L’histoire nous fournit une offre constante en matière de politiques publiques à analyser et à évaluer. Nous sommes également loin d’avoir compris et analysé comment les femmes agissent et déploient leur capacité d’action (agency) dans des institutions et des organisations politiques qui ont été souvent pensées et construites sans elles. Cette approche est exemplifiée par les travaux comparatifs du Research Network on Gender and the State [42] et dans de nombreuses autres analyses, que nous avons déjà mentionnées, portant sur la participation des femmes, leurs actions au sein des assemblées législatives, des partis politiques, des syndicats, et d’autres espaces institutionnels. Ces études se sont également déployées sur le terrain des instances supranationales et organisations internationales.

33On trouve également dans cette première catégorie de travaux de nombreuses recherches sur les femmes et les mouvements féministes. Les mouvements de femmes ont été identifiés depuis plus de 30 ans comme faisant partie des « nouveaux mouvements sociaux ». Ils ont été analysés dans le cadre de monographies ou d’études de cas nationaux mettant l’accent sur les spécificités institutionnelles, politiques ou culturelles influençant les stratégies mises en œuvre dans chaque contexte [43]. Cette approche a été complétée plus récemment par des analyses des mouvements de femmes comme mouvements sociaux transnationaux [44]. Ces recherches renouvellent l’approche des mouvements sociaux en tentant de lier ensemble, d’une part, la capacité d’action de ces acteurs collectifs et, d’autre part, les limites imposées par le pouvoir de leurs alliés et des institutions avec lesquelles ils doivent négocier ou au sein desquelles ils agissent.

Le genre comme variable dans l’analyse des politiques publiques

34Pour les études classées dans le deuxième idéal-type, il faut prendre le genre en compte dans l’analyse des politiques publiques, car il rend visible des dimensions et des effets des politiques qui restaient jusque-là invisibles ou ignorés. Ces travaux chaussent donc des « lunettes genrées » pour décrire les politiques publiques. Ils interrogent la façon dont les politiques sont influencées par les rapports sociaux de genre et les conséquences de cette influence sur la mise en œuvre et les effets de ces politiques. Ces recherches combinent une prise en compte du genre comme construction sociale avec la mobilisation des théories classiques permettant l’analyse des politiques publiques. Elles marient souvent une attention aux discours qui accompagnent les politiques publiques à la façon dont ils représentent – et par là même produisent – le genre, avec une analyse des relations institutionnelles de pouvoir qui les sous-tendent.

35Ce deuxième type d’approche est aujourd’hui bien établi dans le domaine de l’analyse des politiques sociales. Les recherches sur l’État providence en sont un bon exemple. Agacées par le silence entourant la question des relations de genre dans les études mainstream, plusieurs politistes ont proposé des corrections importantes à la démarche maintenant dominante et élaborée par Gøsta Esping-Andersen. Elles ont, par exemple, proposé une réévaluation théorique du concept de démarchandisation en montrant qu’à l’apogée des États providence, les femmes et les hommes n’étaient pas positionnés de façon similaire par rapport au marché. Les femmes devaient en effet revendiquer leur « droit à la marchandisation » et leur capacité à constituer un ménage autonome. Cette revendication représentait une alternative radicale à la demande des institutions, majoritairement masculines, telles que les syndicats et les partis de gauche, en faveur d’un droit à une citoyenneté sociale et à une démarchandisation [45]. Une autre réévaluation a consisté à relire l’histoire de l’après-seconde guerre mondiale à travers le prisme de l’articulation entre famille et travail, et, entre autres résultats, à déterminer quand les politiques publiques ont abandonné le modèle normatif du « monsieur gagne-pain », dans lequel seul l’homme travaille, pour un modèle à deux salaires où la femme travaille également [46]. D’autres politistes ont proposé d’incorporer au concept des régimes d’État providence la notion de régime de genre pour rendre compte des effets des politiques sur les rapports de genre [47]. Au-delà des politiques sociales, ce prisme de genre a été appliqué à d’autres types de politiques publiques. L’analyse des politiques de sécurité publique proposée par exemple par Marylène Lieber incite à reconceptualiser des politiques qui étaient jusqu’alors considérées comme « neutres » au regard du genre, en montrant dans quelle mesure elles contribuent à une exclusion des femmes de l’espace public, autrement dit à reconduire des rapports de genre fondés sur la relégation des femmes à l’espace privé [48].

36Les analyses portant sur les mouvements sociaux en tant qu’initiateurs et promoteurs de représentations du genre s’inscrivent également dans cette deuxième catégorie de travaux. Elles décrivent en effet les luttes politiques comme non seulement des luttes pour le pouvoir de déterminer les objectifs et les conséquences des politiques menées, mais aussi comme des luttes sur le sens au cours desquelles les différents acteurs en présence tentent d’imposer leur représentation du genre ou de transformer celles qui étaient jusqu’alors dominantes et codifiées dans le langage politique [49]. Dans ces analyses, les mouvements de femmes, autonomes ou partie prenante des partis politiques, sont considérés comme des acteurs collectifs qui participent à forger et à véhiculer des représentations du genre influencées par leur propre compréhension des concepts d’égalité, de différence, de liberté, de diversité, etc. [50]. Les autres mouvements sociaux contribuent également à élaborer et véhiculer des représentations du genre et ce, y compris quand ils contribuent à occulter les rapports de genre. Des recherches récentes ont ainsi montré que les mouvements sociaux qui luttent contre la pauvreté en demandant aux États d’investir « dans » les enfants participent à occulter le genre et les possibles inégalités sexuées qui risquent de résulter de cet investissement [51]. Ces études, à l’instar de celles plus anciennes qui ont montré à ceux qui travaillaient sur les mouvements ouvriers que les travailleurs ont non pas un mais deux sexes, nous rappellent que l’absence de référence explicite aux relations de genre ne signifie pas que ces mouvements ne véhiculent pas des idéologies de genre, et que seule une analyse qui prend en compte cette dimension peut faire apparaître derrière ce semblant de neutralité la production des rapports de genre qui est à l’œuvre.

Le genre comme objet et comme concept

37Enfin, si le genre comme rapport social est également au cœur du troisième ensemble de recherches que nous souhaitons délimiter, son statut dans l’analyse est cependant légèrement différent. En effet, dans ces recherches, le genre n’est pas seulement une variable ou un prisme mobilisé dans l’analyse pour rendre compte d’aspects jusque-là peu explorés de la réalité. Dans cette troisième catégorie de travaux, le genre est appréhendé comme un processus social dont il s’agit d’analyser la construction et les évolutions dans un contexte historique et social donné. Autrement dit, ce sont les processus de la construction du genre comme rapport social, et la contribution des politiques publiques à ce processus, qui sont au cœur de ces recherches.

38Ces travaux sont inspirés de l’institutionnalisme historique, qui a parfois été décrit comme l’approche dominante en politique comparée [52]. Cette approche théorique possède plusieurs variantes, dont certaines puisent dans la tradition marxiste, alors que d’autres s’inspirent de la métaphore mécaniciste du sentier de dépendance. Cependant, malgré leur diversité, ces approches insistent toutes sur la question de la temporalité et de son rôle dans la construction, la permanence ou au contraire la transformation des relations sociales. Dès lors, elles impliquent une méthodologie très différente des analyses centrées sur la mesure de variables, cela pour deux raisons. Tout d’abord, les facteurs explicatifs d’un phénomène actuel peuvent se situer à un moment reculé dans le temps. Une vision synchronique ne permet donc pas de repérer les mécanismes historiques explicatifs à l’œuvre. En outre, l’interprétation statistique du monde qui sous-tend nombre d’analyses de politiques publiques est basée sur une conception de la causalité linéaire dans laquelle les unités d’analyse sont considérées comme homogènes et indépendantes [53]. Une analyse en terme de processus plutôt que de variables dépend beaucoup plus d’hypothèses sur les effets de structures dans des configurations particulières et historiques, et rend donc difficile une explication en terme de causalité linéaire ou qui postulerait l’indépendance des différents facteurs explicatifs.

39Dans cette catégorie de notre typologie, les études sur le genre sont moins nombreuses et ce, malgré l’hégémonie relative de l’analyse processuelle et malgré les débats intenses auxquels elle a donné lieu dans le domaine de l’analyse politique [54]. Le travail de Theda Skocpol reste dans ce domaine exemplaire. Son analyse de l’émergence des politiques sociales aux États-Unis au début du 20e siècle va chercher dans les racines historiques lointaines de l’accès précoce et continu des hommes américains blancs au droit de vote un facteur structurant qui a empêché l’émergence de l’ouvrier comme figure privilégiée de l’identité masculine. Les effets de ce sentier historique spécifique aux États-Unis ont été renforcés au cours du 19e siècle en raison de la faiblesse des mobilisations ouvrières en faveur de droits pour les travailleurs, laissant de facto un espace politique disponible pour les femmes désirant promouvoir une identité de genre maternaliste et des revendications en faveur des politiques également maternalistes [55].

40Un autre exemple porte sur la comparaison entre l’Angleterre et la France à la même époque. Dans les deux cas, des représentations différentes des menaces pesant sur la survie nationale se sont développées pendant les années 1870, avec des effets sur la façon dont la question de la participation des femmes au marché du travail a été considérée par les politiciens trois décennies plus tard. Ainsi, durant la première guerre des Boers (1880-1881), les Anglais « découvrirent » les problèmes de santé au sein de la population de conscrits potentiels, essentiellement les cohortes populaires et urbaines, tandis que pendant la guerre de 1870 contre l’Allemagne, la France « découvrit » qu’elle était atteinte d’une crise démographique. Ces différentes façons de concevoir un problème public renforcèrent chacune des configurations nationales de professions d’experts de la santé publique différentes (des fonctionnaires de la santé publique dans un cas, des démographes dans l’autre) qui, au début du 20e siècle, et en lien avec d’autres forces politiques, contribuèrent à apporter des réponses très différentes aux questions du travail féminin, du salaire masculin et de l’identité des femmes comme travailleuses ou comme mères au foyer. Les Françaises gagnèrent le congé maternité en 1911, tandis que les Anglaises recevaient des formations ménagères données par des services de santé publique et des dames patronnesses [56]. Les analyses proposées dans ces deux cas historiques sont bien sûr beaucoup plus complexes que ce qu’il est possible de résumer en quelques lignes. Cependant, elles reposent toutes les deux sur une recherche qui tente de rendre compte des processus par lesquels les identités de genre, les relations de genre, les institutions politiques et les relations de pouvoir s’entrecroisent, se combinent, se coproduisent et se stabilisent dans des configurations de politiques qui ont des effets sociaux concrets.

41**

42Cette typologie, tout comme l’histoire des transformations des usages du concept de genre en science politique, que nous avons esquissées ici, sont bien sûr incomplètes et partiales. Notre focale sur l’analyse des politiques publiques et les mobilisations féministes – l’objet de ce dossier de la Revue française de science politique – occulte d’autres façons de mobiliser le genre, par exemple en théorie politique, comme « une façon première de signifier les rapports de pouvoir » [57], ainsi que l’a proposé Joan Scott, ou comme outil théorique de déconstruction poststructuraliste par excellence. Nous n’avons pas non plus pu insister sur la prise en compte nécessaire de l’intersectionnalité du genre avec d’autres rapports sociaux (race, classe, ethnicité, nationalité, religion, pour n’en nommer que quelques-uns) qui est encore peu développée dans le champ de la science politique, alors qu’elle est plus présente en sociologie ou dans les études culturelles, par exemple. La liste proposée ici des usages du genre en science politique et dans le sous-champ de l’analyse des politiques publiques n’a donc pas vocation à être exhaustive, bien au contraire. On ne peut qu’appeler de ses vœux la prolifération des méthodes et des approches théoriques qui visent à rendre compte de la dimension genrée des phénomènes politiques, de la façon dont le politique construit le genre, en relation avec la classe, la race ou la nation, et sont construites par ces différents rapports sociaux, et aussi bien sûr, la façon dont le genre se trouve déstabilisé et reconfiguré dans ces différents processus.

43Malgré ses limites intrinsèques, notre état des lieux appelle deux réflexions. Tout d’abord, en mettant au jour les différentes façons dont le genre est utilisé, nous souhaitons insister sur la nécessité d’expliciter le statut du genre dans l’analyse. Il ne s’agit en aucun cas de prôner une façon unique de procéder. Cependant, rendre explicite ce statut du genre dans l’analyse permet d’assurer une cohérence entre la méthodologie employée et les prémisses théoriques. Deuxièmement, alors qu’on doit se réjouir de la multiplication des travaux sur le genre en science politique, la question de savoir « à quoi sert le genre ? » ne doit pas être éludée. En effet, ne pas s’interroger sur la valeur heuristique de ce concept, c’est risquer de se retrouver marginalisé-es ou banalisé-es au sein de la discipline. En d’autres termes, le genre doit-il devenir un « objet » comme un autre ? Ou devons-nous tenter de le promouvoir comme un concept opératoire pour réinterroger les évidences, traquer les biais encore présents dans les recherches, proposer de nouvelles définitions et de nouvelles façons de conceptualiser les différents objets de la science politique ?

44Dans une réflexion déjà ancienne, Joni Lovenduski [58] affirmait que la contribution des recherches sur le genre à la discipline était triple. Contribution empirique tout d’abord avec la collecte de nouvelles données, contribution méthodologique qui dévoile et corrige les biais qui existent dans les recherches ignorant la dimension genrée des phénomènes qu’elles étudient, et contribution théorique puisque c’est la définition même du politique, de ce qui est politique, qui se trouve repensée pour inclure la sphère privée par exemple, ou encore des pratiques et comportements politiques jusqu’alors considérés comme infra-politiques. Si le domaine de la théorie politique, par exemple, a clairement été transformé par ce troisième apport, qu’en est-il du champ de l’analyse des politiques publiques aujourd’hui ? Dans quelle mesure les études de genre réinterrogent-elles les concepts traditionnellement utilisés, la délimitation des domaines de recherche ou les présupposés sur ce qui constitue « le politique » ? C’est en gardant à l’esprit ces interrogations que le genre peut continuer à être non seulement un concept, mais aussi un véritable outil de connaissance qui produit des effets de savoir et stimule un retour réflexif des marges de la discipline jusque dans son centre.

Notes

  • [1]
    Ce constat est partagé par de nombreuses études, quantitatives et qualitatives, sur la place du concept de genre en science politique et sur la place des chercheures dans la discipline. Voir par exemple Joni Lovenduski, « Gendering Research in Political Science », Annual Review of Political Science, 1, 1998, p. 333-356 ; Gretchen Ritter, Nicole Mellow, « The State of Gender Studies in Political Science », Annals of the American Academy of Political and Social Science, 571, 2000, p. 121-134, pour les États-Unis ; Jane Arscott, Manon Tremblay, « Il reste encore des travaux à faire : Feminism and Political Science in Canada and Québec », Revue canadienne de science politique, 32 (1), 1999, p. 125-151, pour le Canada ; Marion Sawer, « The Impact of Feminist Scholarship on Australian Political Science », Australian Journal of Political Science, 39 (3), 2004, p. 553-566, pour l’Australie. Pour un bilan belge, voir Bérengère Marques-Pereira, Petra Meier (dir.), Genre et politique en Belgique et en Francophonie, Louvain-la-Neuve, Bruylant-Academia, 2005, et pour la France, le chapitre de Janine Mossuz-Lavau, « Genre et science politique en France » dans ce dernier ouvrage, p. 127-137, ainsi que l’introduction de ce dossier.
  • [2]
    En Angleterre par exemple, des années 1860 à 1880, la mobilisation de femmes contre les Contagious Disease Acts qui imposaient au nom de l’hygiène publique des restrictions draconiennes sur les droits des prostituées, a fourni au mouvement suffragiste dirigé par des femmes libérales issues de la classe moyenne un discours de la citoyenneté pour revendiquer des droits à la fois politiques et civils pour elles-mêmes. Cf. Judith Walkowitz, Prostitution and Victorian Society, Cambridge, Cambridge University Press, 1980. Sur l’impact de ce type de mobilisations sur la citoyenneté, voir Jane Jenson, « Getting to Sewers and Sanitation : Doing Public Health within Nineteenth-Century Britain’s Citizenship Regimes », Politics & Society, 36 (4), 2008, p. 532-556.
  • [3]
    Theda Skocpol, Protecting Soldiers and Mothers : the Origins of Social Policy in the United States, Cambridge, Harvard University Press, 1992.
  • [4]
    Jane Jenson, « Paradigms and Political Discourse : Protective Legislation in France and the United States Before 1914 », Revue canadienne de science politique, 12 (2), 1989, p. 235-258.
  • [5]
    Voir par exemple Laurence Klejman, Florence Rochefort, L’égalité en marche. Le féminisme et la Troisième République, Paris, Presses de Sciences Po/Des Femmes, 1989.
  • [6]
    Voir par exemple Janine Mossuz-Lavau, Les lois de l’amour. Les politiques de la sexualité en France (1950-1990), Paris, Payot, 1991.
  • [7]
    Le livre dirigé par Arlette Gautier et Jacqueline Heinen, Le sexe des politiques sociales (Paris, Côté femmes édition, 1993), marque le moment d’émergence de ce type de recherche en France.
  • [8]
    Mattei Dogan, Jacques Narbonne, Les Françaises face à la politique : comportement politique et condition sociale, Paris, Armand Colin, 1955 ; Maurice Duverger, La participation des femmes à la vie politique, Paris, Unesco, 1955.
  • [9]
    Betty Friedan, The Feminine Mystique, New York, W.W. Norton & Co, 1963.
  • [10]
    Les travaux de Jean Bethke Elshtain, en particulier Public Man, Private Woman : Women in Social and Political Thought (Princeton, Princeton University Press, 1981), et de Carole Pateman – voir son ouvrage désormais canonique The Sexual Contract, Cambridge, Polity, 1988 – ont ouvert deux voies à cette réflexion en théorie politique. Pour un aperçu des recherches développées à partir de cette redéfinition du politique, voir Joan B. Landes (ed.), Feminism. The Public and the Private, Oxford, Oxford University Press, 1998. Sur la perspective critique introduite en philosophie politique par la prise en compte du sujet « femmes », voir l’anthologie critique réunie par Françoise Collin, Évelyne Pisier, Eleni Varikas, Les femmes de Platon à Derrida, Paris, Plon, 2000.
  • [11]
    Par exemple, Evelyn Fox Keller, Reflections on Gender and Science, New Haven, Yale University Press, 1985 ; Nancy Hartstock, « The Feminist Standpoint : Developing the Ground for a Specifically Feminist Historical Materialism », dans Sandra Harding, Merrill B. Hintikka (eds), Discovering Reality, Dordrecht, Reidel, 1983, p. 283-310 ; Sandra Harding, The Science Question in Feminism, Ithaca, Cornell University Press, 1986.
  • [12]
    L’idée que les femmes s’intéressaient peu à la chose politique et aux élections était l’explication préférée de leur absence des assemblées élues.
  • [13]
    Pour une étude récente, voir Marian Sawer, Manon Tremblay, Linda Trimble (eds), Representing Women in Parliament. A Comparative Study, New York, Routledge, 2006.
  • [14]
    Mariette Sineau, Manon Tremblay, « Représentation parlementaire des femmes et système uninominal. Une comparaison France/Québec », dans Manon Tremblay et al. (dir.), Genre, citoyenneté et représentation, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 2006, p. 151-170. Voir également le numéro qui porte sur ce thème de la Revue suisse de science politique, 14 (4), 2008.
  • [15]
    Joni Lovenduski, Pippa Norris (eds), Gender and Party Politics, Londres, Sage, 1993.
  • [16]
    Le développement d’études de cas et de recherches comparatives sur la place des femmes dans les assemblées élues et qui s’intéressent non plus seulement à la représentation descriptive des femmes mais aussi à leur représentation politique substantive, à savoir la représentation de leurs intérêts, en particulier par des féministes au sein des instances politiques, s’inscrit dans cette voie ouverte par la chercheure danoise. Voir par exemple Manon Tremblay, Réjean Pelletier, Que font-elles en politique, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 2000, p. 382-384 et passim ; M. Sawer, M. Tremblay, L. Trimble (eds), Representing Women…, op. cit., ainsi que le numéro de la revue Parliamentary Affairs, 55 (1), 2002, intitulé « Women and Politics Revisited » dirigé par Karen Ross et consacré à cette question.
  • [17]
    Drude Dahlerup, « From a Small to a Large Minority : Women in Scandinavian Politics », Scandinavian Political Studies, 11 (4), 1988, p. 275-298, dont p. 296.
  • [18]
    Celle-ci peut-être définie comme l’ensemble des idéologies, activités et politiques qui présupposent l’existence d’un sujet collectif (les femmes), identifient un problème social (leur subordination dans les rapports sociaux) et qui ont pour objectif, entre autres, la disparition de la discrimination à l’encontre des femmes, le démantèlement de la domination masculine sur la société, et la transformation des institutions et des structures légales et sociales qui contribuent aux inégalités sexuées. Cette définition est inspirée de Mary G. Dietz, « Current Controversies in Feminist Theory », Annual Review of Political Science, 6, 2003, p. 399-431.
  • [19]
    Parmi un corpus large sur ce sujet, voir, entre autres, l’analyse précoce de Caroline Andrew, « Women and the Welfare State », Revue canadienne de science politique, 17 (4), 1984, p. 667-683 ; sur l’introduction de la notion de régime de genre dans les approches en termes de régimes, voir Diane Sainsbury (ed.), Gender and Welfare State Regimes, Oxford, Oxford University Press, 1999, ainsi que l’article classique de Jane Lewis, « Gender and the Development of Welfare Regimes », Journal of European Social Policy, 2 (3), 1992, p. 159-173, et A. Gautier, J. Heinen (dir.), Le sexe des politiques sociales, op. cit. Isabelle Giraud propose également d’articuler la notion de régime de citoyenneté avec celle de régime de représentation politique, mettant alors l’accent sur les représentations symboliques du genre véhiculées par les politiques publiques : Isabelle Giraud, « Comment opérationnaliser le concept de citoyenneté dans les recherches empiriques sur les politiques de genre », dans M. Tremblay et al. (dir.), Genre, citoyenneté et représentation, op. cit., p. 81-101.
  • [20]
    Amy G. Mazur, Theorizing Feminist Policy, Oxford, Oxford University Press, 2002, p. 3.
  • [21]
    Le débat a été lancé par l’article très remarqué de Chandra Mohanty, dans lequel elle constate un pouvoir exercé sur les femmes du tiers monde par le féminisme occidental : Chandra Mohanty, « Under Western Eyes : Feminist Scholarship and Colonial Discourses », Feminist Review, 30, 1988, p. 61-88. Ce débat politique a été suivi par (ou a suivi) les positions des philosophes sur l’impossibilité de la catégorie « femmes ». Ces positions sont bien résumées dans Linda Nicholson, « Gender », dans Alison M. Jaggar, Iris Marion Young (eds), A Companion to Feminist Philosophy, Oxford, Blackwell, 2000, p. 289-297, et dans M. G. Dietz, « Current Controversies… », art. cité, p. 402 et suiv.
  • [22]
    Myra Marx Ferree, « Equality and Autonomy : Feminist Politics in the United States and West Germany », dans Mary Katzenstein, Carol McClurg Mueller (eds), The Women’s Movements of Western Europe and the United States, Philadelphia, Temple University Press, 1987, p. 172-195.
  • [23]
    Françoise Picq, Libération des femmes : les années mouvement, Paris, Seuil, 1993, et Claire Duchen, Feminism in France : From May’68 to Mitterrand, Londres, Routledge & Kegan Paul, 1986.
  • [24]
    On connaît toutefois de mieux en mieux cette histoire complexe. Voir Anne Revillard, « Stating Family Values and Women’s Rights : Familialism and Feminism Within the French Republic », French politics, 5 (3), 2007, p. 210-228, et Laure Bereni, Anne Revillard, « Des quotas à la parité : “féminisme d’État” et représentation politique (1974-2007) », Genèses, 67, 2007, p. 5-23.
  • [25]
    Éléonore Lépinard, « The Contentious Subject of Feminism : Defining Women in France from the Second Wave to Parity », Signs, 32 (2), 2007, p. 375-403 ; Laure Bereni, « Du “MLF” au “Mouvement pour la parité”. La genèse d’une nouvelle cause dans l’espace de la cause des femmes », Politix, 20 (78), 2007, p. 107-132.
  • [26]
    Karen Beckwith, « Beyond Compare ? Women’s Movements in Comparative Perspective », European Journal of Political Research, 37 (4), 2000, p. 431-468, dont p. 437.
  • [27]
    M. G. Dietz, « Current Controversies… », art. cité, p. 399.
  • [28]
    Pour une définition de ces trois dimensions du policy process, voir Peter A. Hall, « Policy Paradigms, Social Learning, and the State : The Case of Economic Policymaking in Britain », Comparative Politics, 25 (3), 1993, p. 275-296.
  • [29]
    En France, le concept « rapports sociaux de sexe » a été proposé, souvent sous l’influence de l’analyse de Simone de Beauvoir (« on ne naît pas femme : on le devient ») et de la sociologie, pour dire que « le sexe » est une construction sociale traversée par le pouvoir économique et social. Le concept reste actuel mais « le genre », à la suite des travaux d’auteurs anglophones, a eu tendance à le supplanter, sous l’effet des rapports de force qui façonnent les langues comme les sciences. Une autre raison de ce déplacement se trouve dans l’intérêt grandissant pour le rôle des discours et de la construction discursive dans différents sous-champs, tels que celui de la politique comparée dans les années 1980 et 1990. Les analyses en termes de genre semblaient en effet plus ouvertes à ce tournant constructiviste.
  • [30]
    Cette définition est inspirée de celle proposée par Ann Shola Orloff, « Gender in the Welfare State », Annual Review of Sociology, 22, 1996, p. 51-78.
  • [31]
    Nancy Burns, « Gender : Public Opinion and Political Action », dans Ira Katznelson, Helen V. Milner (eds), Political Science. State of the Discipline III, New York, Norton and the American Political Science Association, 2002, p. 462-487, dont p. 464. Il s’agit du volume le plus récent de cette série initiée par l’APSA et qui fait régulièrement l’état de la discipline aux États-Unis. Un chapitre sur le genre a été inclus dans le premier volume de 1983.
  • [32]
    Cynthia Cockburn, In the Way of Women. Men’s Resistance to Sex Equality in Organizations, Ithaca, ILR Press, 1991.
  • [33]
    Jane Jenson, « The Talents of Women, the Skills of Men : Flexible Specialization and Women », dans Stephen Wood (ed.), The Transformation of Work, Londres, Unwin Hyman, 1989, p. 141-154.
  • [34]
    Cynthia Enloe, Does Khaki Become You ? The Militarization of Women’s Lives, Londres, Pandora, 1983 ; Bananas, Beaches, and Bases : Making Feminist Sense of International Politics, Berkeley, University of California Press, 1990.
  • [35]
    Voir, par exemple, Sandra Whitworth, Men, Militarism, and UN Peacekeeping : A Gendered Analysis, Boulder, Lynne Rienner, 2004, et Sara Ruddick, « War and Peace », dans A. M. Jaggar, I. M. Young (eds), A Companion to Feminist Philosophy, op. cit., p. 581-590.
  • [36]
    Robert W. Connell est souvent considéré comme l’une des figures centrales de ce développement. Voir son ouvrage Masculinities, Cambridge, Polity, 1995.
  • [37]
    Jane Jenson, Mariette Sineau (dir.), Qui doit garder le jeune enfant ? Les représentations du travail des mères dans l’Europe en crise, Paris, L.G.D.J., 1998.
  • [38]
    Voir les articles de Bruno Perreau, « La performativité du genre : le cas des politiques de l’adoption en France », et de Marta Roca i Escoda, « Égalité versus identité ? La question de la reconnaissance dans l’élaboration de la loi sur les couples homosexuels à Genève », dans Isabelle Engeli, Thanh Huyen Ballmer-Cao, Pierre Muller (dir.), Les politiques du genre, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 263-277 et p. 279-296 ; ainsi que David Paternotte, « Beyond the Laws : Right to Marry, Citizenship and Inclusion Models in Belgium », dans Anne Weyembergh, Sinziana Carstocea (eds), The Gays’ and Lesbians’ Rights in an Enlarged European Union, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2006, p. 127-143.
  • [39]
    Il n’y a bien évidemment pas de consensus sur les étiquettes attribuées à ces tendances. Néanmoins, la pratique internationale commune de la décennie 1980 était de distinguer ces trois courants. Voir, par exemple, l’article de la politiste Yasmine Ergas, « Le sujet femme. Le féminisme des années 1960-1980 », dans Georges Duby, Michelle Perrot (dir.), Histoire des femmes en Occident. Le 20e siècle, Paris, Plon, 1992, p. 499-519, dont p. 505-506. Pour la période actuelle, en revanche, Mary G. Dietz, dans « Current Controversies… », art. cité, identifie trois tendances tout à fait différentes : un féminisme de la différence (difference feminism), un féminisme de la diversité (diversity feminism) et un féminisme déconstructionniste (deconstruction feminism).
  • [40]
    M. G. Dietz, « Current Controversies… », ibid., p. 400.
  • [41]
    Joan W. Scott, « Genre : une catégorie utile d’analyse historique », Cahiers du GRIF, le genre de l’histoire, 37-38, 1988, p. 125-153.
  • [42]
    Cf. Dorothy McBride Stetson, Amy G. Mazur (eds), Comparative State Feminism, Londres, Sage, 1995, et les travaux subséquents de ce réseau.
  • [43]
    Sur les mouvements de femmes définis comme « nouveaux mouvements sociaux », voir par exemple Bert Klandermans, Sidney Tarrow, « Mobilization into Social Movements : Synthesizing European and American Approaches », dans Bert Klandersman, Hanspeter Kriesi, Sidney Tarrow (eds), From Structure to Action : Comparing Social Movement Research Across Cultures, Greenwich, JAI Press, 1988, p. 1-38, dont p. 7 et passim. Cf. deux exemples de collections « par pays » : M. F. Katzenstein, C. McClurg Mueller (eds), The Women’s Movements of Western Europe and the United States, op. cit., ou encore Amrita Basu (ed.), The Challenge of Local Feminisms. Women’s Movements in Global Perspective, Boulder, Westview, 1995.
  • [44]
    Par exemple, Isabelle Giraud, « La transnationalisation des solidarités : l’exemple de la marche mondiale des femmes », Lien social et Politiques, 45, 2001, p. 145-160, ainsi que le numéro « Les solidarités sans frontières : entre permanence et changements », Lien social et Politiques, 58, 2007, dans lequel se trouvent plusieurs articles qui traitent des mouvements de femmes et des politiques genrées (travail sexuel, santé, etc.).
  • [45]
    Voir l’article classique d’Ann Orloff qui critique la notion de démarchandisation proposée par Gøsta Esping-Andersen pour distinguer différents types d’État providence : Ann Shola Orloff, « Gender and the Social Rights of Citizenship : The Comparative Analysis of Gender Relations and Welfare States », American Sociological Review, 58 (3), 1993, p. 303-328.
  • [46]
    Jane Lewis, « Gender and the Development of Welfare Regimes », art. cité, et « The Decline of the Male Breadwinner Model : Implications for Work and Care », Social Politics : International Studies in Gender, State and Society, 8 (2), 2001, p. 152-169.
  • [47]
    D. Sainsbury (ed.), Gender and Welfare State Regimes, op. cit. Pour une autre perspective sur cette notion, voir également Sylvia Walby, « The European Union and Gender Equality : Emergent Varieties of Gender Regime », Social Politics : International Studies in Gender, State and Society, 11 (1), 2004, p. 4-29.
  • [48]
    Marylène Lieber, Genre, violence et espaces publics. La vulnérabilité des femmes en question, Paris, Presses de Sciences Po, 2008.
  • [49]
    Le mouvement pour la parité peut ainsi être analysé comme un mouvement ayant tenté de redéfinir la notion d’égalité des sexes et, par là même, d’imposer une représentation particulière des rapports de genre et de leur pertinence au regard du politique : voir Éléonore Lépinard, L’égalité introuvable. La parité, les féministes et la République, Paris, Presses de Sciences Po, 2007.
  • [50]
    Par exemple, voir l’étude des féministes au sein de l’Église catholique et l’armée américaine de Mary F. Katzenstein, Faithful and Fearless. Moving Feminist Protest inside the Church and Military, Princeton, Princeton University Press, 1999.
  • [51]
    Alexandra Dobrowolsky, Jane Jenson, « Shifting Representations of Citizenship : Canadian Politics of “Women” and “Children” », Social Politics : International Studies in Gender, State and Society, 11 (2), 2004, p. 154-180 ; Ruth Lister, « Investing in the Citizen-Workers of the Future : Transformations in Citizenship and the State under New Labour », Social Policy and Administration, 37 (5), 2003, p. 427-443 ; Bérengère Marques-Pereira, « Le Chili et les rapports entre les sexes. Quel “régime de citoyenneté” pour les femmes ? », dans Jane Jenson, Bérengère Marques-Pereira, Éric Remacle (dir.), L’état des citoyennetés en Europe et dans les Amériques, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2007, p. 97-99.
  • [52]
    Peter A. Hall, « Aligning Ontology and Methodology in Comparative Research », dans James Mahoney, Dietrich Rueschemeyer (eds), Comparative Historical Analysis in the Social Sciences, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, p. 373-401.
  • [53]
    Pour un résumé de ce point, voir Stephen E. Hanson, Jeffrey S. Kopstein, « Regime Type and Diffusion in Comparative Politics Methodology », Revue canadienne de science politique, 38 (1), 2005, p. 69-99. Ce que ces auteurs nomment le statistical world view amène par exemple au développement des protocoles de recherche tentant d’identifier les systèmes « les plus similaires » ou « les plus différents » plutôt que de mieux classer des régimes.
  • [54]
    Par exemple, l’ouvrage considéré maintenant comme la référence sur le sujet ne contient aucune analyse genrée : Wolfgang Streeck, Kathleen Thelen (eds), Beyond Continuity. Institutional Change in Advanced Political Economies, New York, Oxford University Press, 2005.
  • [55]
    T. Skocpol, Protecting Soldiers and Mothers…, op. cit.
  • [56]
    Jane Jenson, « Gender and Reproduction : Or, Babies and the State », Studies in Political Economy, 20, 1986, p. 9-46.
  • [57]
    J. W. Scott, « Genre : une catégorie utile d’analyse historique », art. cité.
  • [58]
    Joni Lovenduski, « Toward the Emasculation of Political Science. The Impact of Feminism », dans Dale Spender (ed.) Men’s Studies Modified, Oxford, Pergamon Press, 1981, p. 83-97.
Français

Résumé

Le genre constitue désormais un des concepts couramment utilisés pour l’analyse des politiques publiques. Cependant, la richesse croissante de ce corpus de recherches et la variété des approches mobilisées invitent à prendre un recul, historique et analytique, pour tenter de discerner d’éventuelles différences dans la façon dont le concept de genre est utilisé dans ces travaux, en France et ailleurs. L’introduction du concept de genre est venue depuis les années 1980 compliquer l’opposition princeps entre recherches « sur les femmes » et recherches féministes qui avait préalablement structuré ce champ de recherche. Toutefois, le concept de genre est susceptible de différentes définitions et joue dans ces travaux des rôles analytiques différents. Nous proposons donc un essai de typologie des différents usages du genre qui vise à souligner la nécessité d’expliciter le statut du genre dans l’analyse. Il ne s’agit pas de prôner une unique façon de procéder : rendre explicite le statut du genre dans l’analyse doit plutôt permettre d’assurer une cohérence entre la méthodologie employée et les prémisses théoriques.

Jane Jenson
Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en citoyenneté et en gouvernance depuis 2001, Jane Jenson est professeure au Département de science politique de l’Université de Montréal et directrice de Lien social et Politiques, une revue scientifique dans le domaine des politiques publiques. Sur la question de genre, elle a publié notamment : (avec Mariette Sineau) Mitterrand et les Françaises. Un rendez-vous manqué, Paris, Presses de Sciences Po, 1995, et Qui doit garder le jeune enfant. Mode d’accueil et travail des mères dans l’Europe en crise, Paris, LGDJ, 1998 ; ainsi que de nombreux articles scientifiques en anglais et en français.
Éléonore Lépinard
Éléonore Lépinard est professeure adjointe au département de science politique de l’Université de Montréal. Elle a publié notamment : « The Missing Intersection in Canadian Feminists’ Legal Mobilization Against Multiculturalism », American Behavioral Scientist, 52, 2009 ; « Gender and Multiculturalism », dans Alistair Cole, Patrick le Galès, Jonah Levy (eds), Developments in French Politics 4, Londres, Palgrave 2008 ; L’égalité introuvable. La parité, les féministes et la République, Paris, Presses de Sciences Po, 2007. Ses recherches portent sur la représentation politique des femmes, les mouvements et la théorie féministes, les politiques de lutte contre les discriminations et le multiculturalisme dans une perspective comparée.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/05/2009
https://doi.org/10.3917/rfsp.592.0183
Pour citer cet article
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