CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Nouvelle mise en forme des politiques de réforme de l’État, la révision générale des politiques publiques (RGPP) est présentée comme un vaste et drastique dispositif d’examen des objectifs, des modus operandi et des résultats des politiques publiques françaises. Il se caractérise par une focalisation particulière sur les enjeux budgétaires et par le souci de redimensionner l’État et d’en transformer l’organisation. La radicalité des questions affichées par le dispositif méthodologique [1] – dont la composante symbolique doit être prise en compte – peut laisser penser qu’une remise en cause des fondements historiques de l’État administratif à la française est envisageable. Considérée sous l’angle de la réforme de l’administration territoriale de l’État (dite RÉATE), l’ampleur de la réorganisation annoncée est jugée sans précédent depuis la réforme de 1964, qui avait marqué les débuts de la cinquième République [2]. Elle affecte en effet aussi bien la division du travail entre les différentes composantes des services déconcentrés que les relations hiérarchiques entre les administrations centrales, régionales et départementales. Marque-t-elle pour autant un véritable tournant réformateur que rien ne laissait présager ou s’inscrit-elle au contraire dans la continuité de réformes antérieures ? L’interprétation des évolutions nécessite de se donner les moyens de les mesurer avec précision, et de faire le départ entre des dynamiques de reproduction institutionnelle et des dynamiques de changement. Dans cet article, nous défendons une double thèse. On montre, d’une part, que la RGPP a constitué un cadre opportun pour relancer et amplifier une réforme de l’administration territoriale déjà engagée depuis 2002, mais bloquée du fait de l’ampleur des désaccords interministériels. On souligne, d’autre part, la nouveauté de la forme organisationnelle résultant de la réforme qui, à l’issue d’un processus de négociation conflictuel, hybride de manière originale l’organisation historique de l’administration territoriale de l’État.

2 Pour apprécier la nature, l’ampleur et le rythme des changements accomplis à la faveur de la RGPP dans le champ de l’administration territoriale de l’État, cet article présente d’abord sommairement la structuration historique de l’organisation déconcentrée de l’État marquée par des tensions entre deux grandes logiques institutionnelles – horizontale et verticale. La réforme de l’administration territoriale s’inscrit en effet dans des luttes durables entre plusieurs modèles concurrents d’organisation de l’État portés par des ministères également concurrents. L’analyse du processus d’élaboration de la réforme suggère, ensuite, que celle-ci est le produit de compromis progressifs et prudents entre plusieurs rationalités et options défendues par chacun des grands acteurs de la réforme, que l’on s’efforce d’identifier ici. Enfin, l’analyse des choix effectués n’autorise pas de lecture simple en termes de succès univoque d’une rationalité sur les autres. La réforme apparaît bien comme le fruit de compromis, encore relativement instables. Elle tend à hybrider les logiques institutionnelles historiques qui structuraient l’administration française à l’échelon déconcentré et conserve sans doute un caractère inachevé qui contraste avec l’image de radicalité volontiers associée à la RGPP [3].

UNE RÉFORME MAJEURE DE L’ORGANISATION TERRITORIALE DE L’ÉTAT ? DU MODÈLE HISTORIQUE AU DESIGN DE LA RÉORGANISATION

Un État historiquement structuré par une double logique institutionnelle

3 Pour bien comprendre la nature et l’ampleur des changements entrepris par la RÉATE, qui modifient la division du travail et les hiérarchies internes à l’État, il est d’abord nécessaire de restituer quelques caractéristiques structurantes de l’organisation territoriale historique de l’État en France. Sous une forme idéale-typique, on peut dire que le système d’administration territorial français, marqué par la centralisation, se singularise par la coexistence de deux logiques institutionnelles robustes, renvoyant chacune à des formes de division du travail et de hiérarchies historiquement constituées à partir du XIXe siècle et désormais superposées [4].

4 La première logique institutionnelle renvoie au choix historique d’adoption d’une organisation administrative fondée sur une logique d’incarnation territoriale de l’État par des représentants généralistes du gouvernement, les préfets, ayant initialement à connaître de tout et autorité sur l’ensemble des services de l’État dans un ensemble géographique déterminé, le département. Ce type d’organisation permet au pouvoir central de disposer de relais territoriaux très sensibles à ses injonctions ou à ses attentes – l’obéissance étant organisée par le pouvoir discrétionnaire de nomination et la révocabilité ad nutum des préfets. Le modèle préfectoral se caractérise aussi par la modularité de la mise en œuvre des politiques publiques, ces relais territoriaux étant chargés d’apprécier les rapports de force territoriaux et d’adapter l’action de l’État aux contextes locaux – notamment en raison des relations d’interdépendance institutionnellement organisée avec les élites locales [5]. Dans ce modèle, la dimension territoriale domine alors la logique d’organisation sectorielle. Significativement, si des spécialisations sectorielles apparaissent en interne dès le début du XIXe siècle, sous la forme de divisions et de bureaux en charge d’enjeux spécifiques, bref de « politiques publiques », ceux-ci restent initialement logés dans la préfecture et sous l’autorité directe du préfet qui s’efforce d’assurer une cohérence dans la déclinaison des différentes politiques et un ajustement aux spécificités de chaque département [6]. Cette première logique est cardinale dans le système français.

5 Une seconde logique sectorielle d’organisation s’est graduellement développée, au détriment de la première, tout au long du XIXe siècle, reposant sur un modèle valorisant la spécialisation par secteur, l’organisation ministérielle, une forme hiérarchique de type légale rationnelle et fondé sur la valorisation croissante d’expertise dédiée. Elle a conduit progressivement à la création d’une multitude de secrétariats d’État, érigés en ministères, progressivement dotés de relais territoriaux propres, d’abord sous la forme d’inspections logées dans les préfectures, puis sous la forme de services extérieurs propres, souvent créés à partir de services relevant historiquement du ministère de l’intérieur [7]. L’animation de chacun de ces réseaux, dotés de leurs propres missions, a été confiée à des corps ministériels, dotés de leurs concours de recrutements, et a donné naissance à des cultures spécifiques. Ces ministères sectoriels ont gagné en autonomie vis-à-vis des préfets, développé leurs réseaux d’implantations physiques en dehors des préfectures, en prenant souvent soin d’adopter des échelles infra ou supra-départementales, manifestant ainsi leur volonté de court-circuiter la hiérarchie préfectorale. Dans la seconde moitié du XXème siècle, cette autonomisation croissante des ministères sectoriels et de leurs réseaux territoriaux structurés par une armature corporative a soulevé des problèmes de fragmentation de l’action publique, et a sapé les capacités d’intégration interministérielle des préfets, de plus en plus identifiés aux relais locaux du ministère de l’intérieur.

6 Ces deux logiques institutionnelles ont fait l’objet de combinaisons variables selon les secteurs d’action publique, les périodes et les niveaux territoriaux respectivement privilégiés par le ministère de l’intérieur et les autres ministères. Elles ont généré des tensions croissantes, l’une primant alternativement sur l’autre [8]. La réforme de 1964 a eu ainsi pour objet de restaurer les capacités de coordination des préfets par la création de préfectures de région, qui avaient vocation à harmoniser l’action des différents services de l’État, dans un cadre renouvelé qui leur était commun. Le préfet de région a été ainsi pensé en 1964 comme une invention devant permettre de trouver un équilibre entre la logique territoriale initiale et la logique sectorielle qui s’était développée. Pour autant, la réforme de 1964 est restée timide, le rôle du préfet de région étant davantage inscrit dans une perspective interdépartementale que régionale. En témoigne le dédoublement fonctionnel qui voit chaque préfet de région faire aussi (voire surtout) office de préfet du département chef-lieu. Par ailleurs, la réforme de 1964 n’a pas toujours permis une restauration pleine et entière du pouvoir de coordination interministérielle des préfets. Seuls des aménagements mineurs ont été apportés à ces équilibres, notamment en 1992 (cf. infra), afin de tirer les enseignements des premières lois de décentralisation par un effort accru de déconcentration.

La réforme 2007-2009 bouleverse la division du travail et la hiérarchie

7 Plus de cinquante ans après la réforme majeure de 1964, la réforme de l’administration territoriale de l’État, adoptée entre 2007 et 2010 dans le cadre de la RGPP, a profondément ré-agencé la cartographie des différents réseaux territoriaux de l’État en imposant une nouvelle division du travail grâce à de nouveaux découpages et en réorganisant leurs relations hiérarchiques [9].

8 Tirant les enseignements de la refonte de l’architecture ministérielle au niveau central et de la création de « grands ministères » intersectoriels imaginée en 2004 et décidée en 2007 [10], la réforme procède à une réduction importante du nombre de directions régionales. Les vingt trois directions régionales préexistantes sont remplacées par huit grandes directions dont les périmètres épousent globalement les nouveaux périmètres ministériels (exception faite des DIRECCTE et des DRJSCS communes à deux ministères) [11]. À l’échelon départemental, un schéma organisationnel très différent et encore plus resserré est adopté. À côté de la préfecture, de l’inspection d’académie, de la direction départementale des finances publiques, et des services chargés de la sécurité intérieure, deux ou trois directions départementales interministérielles (DDI) sont créées dans chaque département (une direction des territoires, une direction de protection des populations et de la cohésion sociale, cette dernière étant scindée en deux dans les départements comptant plus de 400 000 habitants) [12]. Les principaux ministères et leurs directions régionales sont ainsi, en théorie, privés de relais propres à l’échelle départementale, chacune des (deux ou trois) directions départementales interministérielles étant placée sous l’autorité directe du préfet de département. Véritable innovation, les directeurs des nouvelles directions départementales interministérielles sont nommés par le Premier ministre sur proposition du préfet du département dont ils relèvent [13]. La réforme fait donc place à un modèle organisationnel découplé, reposant officiellement sur des principes différents aux niveaux régional et départemental. Toutefois, ce découplage entre le schéma organisationnel régional et départemental souffre trois exceptions : trois services régionaux conservent en effet leurs propres réseaux départementaux, ces implantations départementales des services régionaux étant appelées unités territoriales (UT) : la DREAL conserve ses propres subdivisions de protection de l’environnement au titre des risques industriels, sous la forme d’unités départementales ou interdépartementales ; la DRAC est dotée de relais départementaux par rattachement des services départementaux de l’architecture et du patrimoine ; la direction régionale des entreprises, de la concurrence et de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) qui comprend les unités départementales du travail et de l’emploi [14].

9 À ce réagencement de la cartographie des différents réseaux territoriaux de l’État, s’ajoute une recomposition de leurs relations hiérarchiques, doublement redéfinies au travers de la réaffirmation des prérogatives préfectorales vis-à-vis des services déconcentrés et de l’apparition de pouvoirs d’instruction et d’évocation du préfet de région vis-à-vis des préfets de département. La réforme procède à un renforcement des pouvoirs de direction et de coordination des préfets en général, et des préfets de région en particulier, désormais garants de la cohérence de l’action de l’État : le décret du 16 février 2010 relatif aux pouvoirs des préfets, affirme ainsi que « le préfet de région a autorité sur les préfets de département », exception faite de matières relatives à l’ordre public et au contrôle administratif, au cœur des fonctions régaliennes préfectorales. Chargé d’animer la collégialité constituée par les directeurs régionaux, le recteur et le directeur général de l’agence régionale de santé et par les préfets de département, le préfet de région arbitre la répartition des moyens alloués dans les départements. Les moyens budgétaires, en emplois et en crédit de fonctionnement, des directions départementales interministérielles relèvent des budgets opérationnels de programme (BOP) [15] des directions régionales et sont répartis par le préfet de région après avis du comité de l’administration régionale (CAR) et au vu des demandes préparées par les directeurs départementaux [16]. Le préfet de région est habilité à adresser des instructions aux préfets de département, et voit sa compétence territoriale étendue à l’ensemble des administrations civiles de l’État (y compris les agences), dont l’action s’étend au-delà de la région et présente, en tout ou partie, un caractère interrégional. Il est également le garant du suivi de la performance des administrations de la région. Cette régionalisation se traduit par un élargissement des fonctions des secrétariats généraux pour les affaires régionales (SGAR) – désormais chargés d’animer et de coordonner l’organisation et la mise en œuvre des fonctions mutualisées des services de l’État en région et d’animer une plate-forme d’appui interministériel à la gestion des ressources humaines. Cette régionalisation s’accompagne d’une revalorisation indiciaire [17] destinée à en faire des égaux des directeurs régionaux avec lesquels ils sont chargés de dialoguer [18]. Les préfets de région sont également chargés d’élaborer un schéma de mutualisation des moyens [19]. La réforme de l’administration territoriale de l’État entreprise dans le cadre de la RGPP apparaît dès lors comme un objet aussi vaste que complexe. Prise dans sa globalité, elle repose sur des dizaines de circulaires et de décrets et embrasse de multiples dimensions, qu’il s’agisse de la gestion des ressources humaines (elle affecte le déroulement des carrières, les modalités de nomination des directeurs des nouvelles directions départementales interministérielles), de la politique d’achats, de la redéfinition des relations front office/back office, de la mutualisation, ou encore de la gestion immobilière où elle se concrétise par de nouveaux schémas d’implantation physique des différents services élaborés par les préfets, etc.

CE QUE LE PROCESSUS D’ÉLABORATION DE LA « RÉATE » NOUS APPREND SUR LA RGPP

10 La rhétorique réorganisatrice de l’État, élaborée dans le cadre de la RGPP et spécifique à ce moment de réforme [20], a volontiers mis l’accent sur la radicalité de la démarche et sur la possibilité d’une remise en cause des arrangements institutionnels historiques : « cette révision a pour ambition de remettre à plat l’ensemble des missions de l’État, sans tabou ni a priori, pour adapter les administrations aux besoins des citoyens » [21]. Dès lors, l’enquête sociologique doit interroger cette « revendication de nouveauté » et se demander, en analysant empiriquement le dispositif de décision, à quel degré la RGPP constitue effectivement un cadre procédural propre au renouvellement et à l’imposition de nouvelles solutions [22]. À cet égard, et contrairement à l’image globale et homogène mise en exergue par le dispositif d’ensemble RGPP, il est probable, en y regardant de près, que chaque enjeu et chaque politique publique examiné ait fait l’objet d’un processus de décision spécifique. On ne se prononce ici que sur la réorganisation de l’État territorial menée dans le cadre de la RGPP. Dans quelle mesure la RÉATE reprend-elle, prolonge-t-elle ou modifie-t-elle les jeux antérieurs ? L’analyse du processus d’élaboration de la RÉATE exige donc de remettre en perspective historique les choix effectués. Dans un premier temps, on montrera en quoi et jusqu’à quel point les mesures adoptées s’inscrivent dans la continuité d’une longue suite de tentatives inabouties de rénovation de l’État territorial. Dans un deuxième temps, on mettra en évidence les formes, spécificités et variations du pilotage de la RÉATE dans le cadre de la RGPP. On saisit ainsi, troisièmement, comment le cadre procédural de la RGPP, doté d’une efficace propre, a été investi par les acteurs administratifs pour prolonger leurs luttes administratives antérieures.

La RÉATE comme continuation des luttes administratives antérieures

11 La réorganisation de l’État territorial n’émerge pas comme un problème public nouveau avec la RGPP. De 1997 à 2007, elle n’a cessé de faire l’objet de plans de réforme et d’un début de rationalisation dans le cadre d’une série de décrets en 2004. La loi du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale dite loi ATR, a d’abord durablement inscrit la réorganisation des services de l’État sur l’agenda en affichant le principe de subsidiarité et en défendant l’idée d’une plus grande autonomie des services via la déconcentration. Le diagnostic critique l’organisation héritée de l’histoire administrative française : les services territoriaux de l’État sont jugés trop nombreux, et trop fragmentés. À partir de 1992 et jusqu’en 2002, des formules de coopération se succèdent : création d’un collège de chefs de services, qui se révèle inopérant parce pléthorique en 1992 ; missions interservices (1993), délégations interservices (1999). La circulaire du Premier ministre du 24 octobre 1995 demande aux préfets d’examiner les regroupements et mutualisations possibles entre directions et services d’un même ministère et de renforcer les capacités de gestion et de coordination interministérielles. Globalement, ces formules donnent peu de résultats, faute d’être réellement portées politiquement et parce qu’elles résultent de processus de négociation multi-niveaux. Très complexes, ces négociations entre les nombreux acteurs étatiques impliqués débouchent sur des compromis correspondant aux plus petits dénominateurs communs [23]. L’extension des pouvoirs du préfet vis-à-vis des différents services extérieurs de l’État se heurte, notamment, à l’opposition des ministères qui ne veulent pas perdre le contrôle vertical sur leurs services. Les regroupements entre services buttent sur de multiples problèmes (différences de cultures et d’activité, incompatibilité des statuts et des corps des personnels, problèmes immobiliers, gestion des crédits inégalement déconcentrée, refus des élus locaux de voir disparaître, sur leur territoire, un service de l’État, etc.).

12 Après une décennie d’initiatives de faible portée, la question de la réforme de l’État territorial est reprise en main, dans le nouveau contexte de mai 2002, par une petite équipe de hauts fonctionnaires qui entoure le nouveau ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy. Si cette réforme ne constitue pas un enjeu valorisable politiquement pour le ministre de l’intérieur, qui privilégie les questions de sécurité, il se laisse convaincre et apporte son soutien à cette équipe dans sa stratégie offensive de réorganisation. Le décret d’attribution du ministre de l’intérieur, signé le 15 mai 2002, prend d’ailleurs soin de préciser, dans son article premier, que celui-ci est chargé « de l’ensemble des questions concernant l’administration territoriale de l’État ». Cette appropriation illustre la concurrence dont est l’objet la politique de réforme de l’État, compétition qui se joue, notamment, depuis les années 1990, entre les trois principaux ministères transversaux, intérieur, budget, fonction publique [24]. L’équipe de réformateurs élabore un diagnostic énumérant les nombreuses menaces auxquelles va devoir faire face le ministère de l’intérieur. La relance de la décentralisation décidée par Jean-Pierre Raffarin, qui s’accompagne de nombreux transferts d’agents, accélère la « paupérisation intellectuelle » de services de l’État, au niveau départemental, déjà confrontés à des problèmes de taille critique dus à leur émiettement. Les perspectives budgétaires, dénuées d’optimisme quant à l’évolution des effectifs déconcentrés, vont conduire les ministères sectoriels à se replier sur leur échelon régional, au risque de marginaliser un peu plus le système préfectoral, d’essence départementale. Le corps préfectoral, qui conserve un souvenir traumatisant des premières lois de décentralisation, redoute aussi un affaiblissement supplémentaire de l’État départemental face à des collectivités locales qui profitent de cet émiettement pour « jouer » les services déconcentrés les uns contre les autres.

13 Si tous ces éléments incitent à entreprendre une réorganisation, ce sont les conséquences de l’adoption en 2001 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) – dont la mise en œuvre n’intervient qu’à partir de janvier 2006 – qui sont perçues par le ministère de l’intérieur comme la menace la plus sérieuse. L’architecture budgétaire de la LOLF, qui repose en effet sur des découpages strictement ministériels, augure un renforcement des logiques sectorielles qui se ferait au détriment des capacités d’intégration interministérielle des préfets. Dans la concurrence entre ministères réformateurs, elle reflète la victoire (forcément temporaire) du ministère du budget et alimente des anticipations négatives du ministère de l’intérieur [25]. Le formatage, par la plupart des administrations déconcentrées, de budgets opérationnels de programme (BOP) placés au niveau régional dans le cadre des expérimentations des instruments de la LOLF, font percevoir le risque de marginalisation des préfets [26]. Face à cette menace, la réforme de 2004 est conçue comme un contre-feu du ministère de l’intérieur qui se réorganise pour faire face aux conséquences de la LOLF. Le ministère de l’intérieur et sa direction de la modernisation de l’administration territoriale (DMAT), créée à cette occasion, élaborent un schéma de réorganisation susceptible de renforcer les capacités de coordination des préfets.

14 À l’issue d’une vaste négociation intra et interministérielle, cette initiative débouche sur l’adoption des décrets du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets et à l’organisation de l’État, du 5 octobre 2004 relatif aux pôles régionaux de l’État et à l’organisation territoriale dans les régions et du 14 octobre 2004 relatif à la délégation de gestion dans les services de l’État. Le premier renforce la position des préfets de région, désormais chargés « d’animer et coordonner l’action des préfets de départements ». Il met en place des instruments de mutualisation destinés à renforcer leurs capacités de coordination et de direction des services et rénove leur rôle unique d’ordonnateur secondaire, que ce soit dans le cadre de l’élaboration du budget (via le dialogue de gestion) ou dans celui du suivi de son exécution (avec l’assistance du SGAR). Ce rôle de pilotage confié aux préfets de région est inscrit dans un document pluriannuel, le projet d’action stratégique de l’État en région (PASER), hiérarchisant des priorités sectorielles et territoriales [27]. Le deuxième décret met en place des pôles régionaux, dont la responsabilité est confiée aux chefs des services des ministères les plus importants, qui deviennent, aux côtés des préfets et du SGAR, membres d’un comité de l’administration régionale, nouvel état major aux effectifs resserrés [28]. Le troisième décret du 14 octobre 2004 prévoit la mise en place de délégations de gestion dans les services de l’État, dispositifs par lesquels des services peuvent confier à d’autres la réalisation, pour leur compte, d’actes juridiques, de prestations ou d’activités, y compris de gestion de crédits. Si ces délégations doivent être « d’une durée limitée éventuellement reconductible », elles constituent en réalité une méthode douce supposée, dans l’esprit de ses concepteurs, préparer les fusions de demain. Les chefs de pôle sont censés animer et coordonner les services du pôle et peuvent être désignés par le préfet de région en tant qu’ordonnateur secondaire délégué pour tout ou partie des crédits relevant de la compétence du pôle, en lieu et place des chefs de services ordonnateurs secondaires délégués habituels.

15 Ces trois décrets, résultats d’un an et demi de négociations interministérielles, ne sont envisagés par l’équipe du ministère de l’intérieur que comme une étape, certes nécessaire mais non suffisante, dans une bataille administrative au long cours. Faute de pouvoir aller plus loin vis-à-vis des autres ministères, mais aussi parce qu’il lui faut donner des gages à un corps préfectoral redoutant une « sous-préfectoralisation » des préfets de départements, l’équipe de l’intérieur poursuit une stratégie de recomposition « par le bas » fondée sur un développement progressif des mutualisations, via des instruments rénovés (les délégations interservices) ou nouveaux (pôles, etc.). Dans ce sens, une série de circulaires en date du 14 mai 2004, du 28 juillet 2005 et du 2 janvier 2006 prévoit l’élaboration de propositions de réorganisation puis leur mise en œuvre à partir de 2006 [29]. Plusieurs schémas de fusions sont ainsi expérimentés dans plusieurs départements à partir de janvier 2006. Le ministère de l’intérieur expérimente un nouveau schéma d’organisation très resserré dans le département du Lot, construit autour d’un préfet doté d’un état-major renforcé, et procède à une régionalisation des budgets opérationnels de programme administration territoriale dans deux régions de manière expérimentale. De son côté, le ministère de l’équipement prend l’initiative d’expérimenter la fusion des directions départementales de l’équipement et de l’agriculture dans huit départements, et se lance dans un processus de fusion des corps, alors envisagé comme une étape vers une fusion des deux ministères.

16 Si ces décrets et circulaires sont très en retrait de ce que souhaitaient certains membres de l’équipe en charge de ce dossier au ministère de l’intérieur, ces textes indiquent clairement les objectifs poursuivis dans le cadre d’une stratégie de réforme incrémentale. Ils sont envisagés comme de premiers pas, des solutions nécessairement temporaires, dans l’attente de l’ouverture d’une nouvelle séquence décisionnelle devant débuter avec les élections présidentielles de 2007.

La RGPP comme extension du domaine et des formes des luttes antérieures

17 L’élection présidentielle de 2007 ouvre à cet égard une fenêtre d’opportunité pour poursuivre et amplifier le processus de réorganisation de l’État territorial engagé depuis 2002. Bien que le nouveau Président de la République n’éprouve pas d’intérêt particulier pour la réforme de l’État territorial, il a pour particularité d’avoir récemment exercé les fonctions de ministre de l’économie, des finances et de l’industrie (2004-2005), mais aussi de ministre de l’intérieur (2002-2004 puis 2005-2007). Son entourage proche est largement constitué de hauts fonctionnaires ayant fait carrière dans l’un et/ou l’autre de ces deux ministères, qui sont à la recherche d’économies budgétaires et porteurs de propositions de réforme nourries de leurs expériences professionnelles respectives. En ce sens, le programme de réformes lancé au lendemain des élections présidentielles de 2007 peut largement s’analyser comme le fruit des réflexions et projets organisationnels muris par ces hauts fonctionnaires durant la mandature précédente au sein de ces deux ministères. Dans le cadre de la préparation des élections présidentielles, un groupe de travail s’est réuni entre 2005 et 2007 autour de Claude Guéant. Les réflexions de ce groupe de travail ont été largement nourries de diagnostics et de propositions, développés durant la mandature précédente, dans une série de rapports de commissions de réforme ou d’audit de modernisation.

18 Parmi eux, le rapport Camdessus suggère déjà de « resserrer les structures gouvernementales », de généraliser et de renforcer le rôle des secrétaires généraux de ministères [30] et de faire de la réforme de l’État un axe essentiel de la politique gouvernementale pour réduire drastiquement les dépenses publiques. Le système des silos, qui repose sur une multiplicité de ministères fait l’objet de vives critiques et est considéré comme la source d’« un emballement pathologique du travail de coordination », propre à la France, entraînant une « dilution des enjeux des décisions et des responsabilités des décideurs » [31]. Le rapport Pébereau préconise lui aussi de « [m] ettre en place sous l’autorité du Premier ministre un dispositif de réexamen de l’ensemble des dépenses de l’État afin de les avoir très largement réorientées d’ici trois ans » [32]. « Il conviendrait également d’examiner la pertinence du maillage territorial des services de l’État et de la sécurité sociale, qui interviennent souvent simultanément aux niveaux régional et départemental, voire également aux niveaux infra-départemental et supra-régional. L’État devrait sans doute concentrer l’essentiel de ses moyens au niveau régional. Il pourrait s’engager dans cette voie de manière progressive, en commençant par les régions de petite taille, ainsi que par les ministères dont le maillage territorial est le plus dense (directions régionales et départementales de la jeunesse et des sports ; de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ; de la protection judiciaire de la jeunesse...). La présence à l’échelon infra-départemental devrait également très certainement être réduite (sous-préfecture, subdivisions de l’équipement...) » [33].

19 Un rapport au Conseil d’analyse économique prolonge ces réflexions en suggérant de s’inspirer de la méthode de revue générale des programmes canadienne pour passer l’ensemble des politiques publiques au crible afin de parvenir à une réduction significative des dépenses publiques [34]. Sur la base d’exemples étrangers, ce rapport insiste particulièrement sur l’absolue nécessité, pour qu’une revue des programmes obtienne des résultats probants, d’ériger celle-ci au rang d’objectif gouvernemental majeur et d’obtenir l’impulsion des plus hauts responsables politiques, seule une volonté politique particulièrement forte et assumée par les plus hautes autorités permettant de surmonter les oppositions d’intérêt des bénéficiaires du statu quo[35].

20 Ces grandes orientations inspirent directement les décisions prises au lendemain des élections présidentielles. L’analyse des dysfonctionnements antérieurs du système des arbitrages interministériels, liés à une remontée trop fréquente à l’arbitrage du Premier ministre d’un trop grand nombre de sujets, conduit à la constitution d’un petit nombre de grands ministères, ayant vocation à internaliser les arbitrages, en s’appuyant sur un nombre réduit de huit secrétaires généraux. La révision générale des politiques publiques est érigée au rang de priorité présidentielle majeure. Elle présente l’avantage d’offrir un cadre formel solennel, élaboré, systématique, marqué par une série de rendez-vous programmés sur plusieurs années, propice à l’adoption de décisions difficiles. Le président de la République préside le conseil de modernisation des politiques publiques. Si l’implication directe des acteurs politiques (qu’il s’agisse du Président de la République, du Premier ministre ou des ministres eux-mêmes) est faible dans l’élaboration des diagnostics ou les choix précis et le nombre de discours qu’ils prononcent sur ces sujets très limités [36], en revanche les hauts fonctionnaires qui pilotent la RGPP et arbitrent en leur nom (secrétaire général de l’Élysée, secrétaire général du gouvernement, conseillers du Président et du Premier ministre) jouissent d’une autorité politique suffisante pour parvenir à des décisions allant (au moins initialement ou sporadiquement par la suite) à l’encontre de puissants groupes d’intérêts ministériels et de corps internes à l’administration. Le Comité de suivi de la RGPP constitue à cet effet un puissant outil d’arbitrage.

21 Au regard des grandes orientations censées inspirer la RGPP, la réforme de l’État territorial semble jouir d’un statut assez particulier. Ou, pour le formuler autrement, l’investigation sociologique d’un dispositif de réforme analysé à partir d’un exemple concret, témoigne des écarts qui existent entre la représentation de la réforme et la réalité du processus. Dans l’image légitimatrice que ses porteurs lui donnent, la RGPP est présentée comme une démarche de réflexion menée sans totem ni tabou, détachée des enjeux organisationnels contingents, poursuivie dans un souci exclusif d’amélioration de la performance, et conduite par des équipes mixtes d’audit, composées de consultants privés et de fonctionnaires issus des corps d’inspections, utilisant tous une grille de questions identiques. Sur la base des entretiens menés et des matériaux rassemblés, le dossier relatif à l’évolution de l’État territorial ne correspond pas à ce schéma général. L’expertise y semble moins « extérieure » à l’État que la représentation idéalisée ne le souligne. La tabula rasa annoncée y semble plus rhétorique que réelle, faisant voir, au contraire, le poids des multiples institutions et l’intervention de ceux qui les défendent. Enfin, le dispositif de négociation et de décision, initialement dominé par un acteur (le ministère de l’intérieur), est l’objet d’un reformatage qui modifie les équilibres initiaux et en accentue la dimension « négociée ».

22 Contrairement à d’autres volets de la RGPP dans lesquels ils ont peut-être pu jouer un rôle non négligeable, la place des consultants dans le design de la RÉATE semble initialement assez marginale. Ils ne jouent aucun rôle dans le diagnostic ou l’élaboration des préconisations et semblent cantonnés dans un rôle d’accompagnement de la mise en œuvre. Dérogeant aux règles générales énoncées dans le cadre de la RGPP, le pilotage de ce dossier n’est pas confié à une équipe mixte d’audit. Les premières réflexions sont d’abord conduites par un groupe de travail transversal réunissant les secrétaires généraux des ministères, le directeur du budget, de la fonction publique et le directeur général de la modernisation de l’État, sous la houlette du secrétaire général du gouvernement à l’été 2007. Des interrogations très ouvertes sont lancées à cette occasion telles que : « a-t-on encore besoin d’une administration territoriale de type préfectoral ou peut-on se contenter d’une déclinaison sectorielle des politiques publiques uniforme impliquant une généralisation de solutions type agences ? ». Mais le choix est fait de confirmer la pertinence du modèle d’administration territoriale et de privilégier un changement dans la continuité. Pour élaborer ce changement, et entrer rapidement dans une phase opérationnelle, deux groupes d’audit sont constitués. Le premier groupe dit « intérieur », qui s’inscrit dans une logique ministérielle standard [37], est placé sous la responsabilité d’un inspecteur général des finances ayant été antérieurement détaché dans le corps préfectoral. Le second groupe transversal, dit groupe « État local », qui renvoie à la dimension interministérielle, est directement placé sous la responsabilité de la préfète Bernadette Malgorn, secrétaire générale du ministère de l’intérieur.

Un pilotage de la réforme confié au ministère de l’intérieur puis transféré au Premier ministre

23 Ce traitement dérogatoire peut s’analyser comme une des conséquences de la très forte densité préfectorale dans l’entourage présidentiel et aux sommets de l’État, elle-même en partie liée au passé récent de ministre de l’intérieur du chef de l’État. Le secrétaire général de l’Elysée, préfet, a été très impliqué dans la réforme de 2002-2004, lorsqu’il dirigeait le cabinet du ministre de l’intérieur, et est personnellement attaché à la rénovation du modèle préfectoral. Si les directeurs de cabinet du Président de la République et du ministre de l’intérieur appartiennent, eux aussi, au corps préfectoral, le directeur de cabinet du Premier ministre, a, lui, opté pour le conseil d’État à sa sortie de l’ÉNA. Mais il a aussi choisi d’être détaché dans le corps préfectoral (préfet du Loir-et-Cher, de la Vendée et de la région Alsace), manifestant ainsi un attachement à une fonction que son père et son grand père avaient exercée avant lui. La lettre de mission transmise au ministre de l’intérieur le 30 juillet 2007 témoigne bien de cette volonté de l’entourage du chef de l’État de remettre sur le métier la réforme de l’État territorial et de poursuivre le renforcement des prérogatives préfectorales engagé depuis 2002.

24 C’est donc au ministère de l’intérieur que revient initialement la responsabilité de mettre en œuvre les grandes orientations relatives à la réforme de l’État territorial. La ministre de l’intérieur fait significativement inscrire des précisions relatives à la mise en œuvre de ces orientations dans le relevé de décisions du premier Conseil de modernisation des politiques publiques, en date du 12 décembre 2007, reflétant alors les conceptions de l’intérieur quant à la mise en œuvre de ces principes : renforcement du niveau régional, autorité du préfet de région sur le préfet de département (exception faite des domaines relevant de l’ordre et de l’utilité publics), création de huit directions régionales, création d’un programme interministériel d’administration territoriale et de directions départementales interministérielles. À cette date, conformément aux orientations fixées dans la lettre de mission confiée à la ministre de l’intérieur – laquelle prévoyait de « donner aux préfets de région et de département pleine compétence pour répartir les effectifs dans les différents services de l’État » – le schéma organisationnel qui prévaut initialement est très intégré autour de la préfecture s’agissant du niveau départemental. L’affectation des personnels déconcentrés ne souffre a priori pas d’exception : les agents déconcentrés des ministères doivent être affectés soit dans une direction régionale localisée au chef lieu de région soit dans une direction départementale interministérielle.

25 Dès novembre 2007, le pilotage de ce dossier par le ministère de l’intérieur et les orientations qu’il poursuit font l’objet d’une vive contestation émanant des ministères sectoriels et, parmi eux, du MEEDDAT qui demande et obtient du Premier ministre que les orientations précises relatives à la mise en œuvre soient extraites du relevé de décisions du premier CMPP du 12 décembre 2007. Alors que plusieurs ministères avaient déjà manifesté leur défiance vis-à-vis de l’intérieur, suspecté de visées hégémoniques, notamment en raison du soutien de l’entourage présidentiel, des groupes internes au MEEDDAT (syndicats, corps des ponts) se mobilisent. Dans ce contexte de dialogue interne déjà tendu en raison des fusions relatives aux périmètres des grands ministères, des bruits relatifs à une éventuelle intégration de l’ensemble des personnels en poste à l’échelon départemental dans le cadre national des préfectures se diffusent.

26 Conscients des risques de blocage du processus liés aux conceptions trop divergentes de la réforme qui s’expriment de part et d’autre, et soucieux d’avancer plus en douceur, les entourages du président de la République et du Premier ministre décident de jouer l’apaisement. Le relevé de décisions qui accompagnait les principes arrêtés à l’occasion du premier Conseil de modernisation des politiques publiques est mis sous le boisseau. Bien que le décret d’attribution du ministère de l’intérieur n’ait pas été modifié, le portage politique direct de ce dossier est distrait de ce ministère. Il est confié à un conseiller référendaire à la cour des comptes, fin connaisseur de l’administration territoriale en sa qualité d’ancien SGAR, nommé pour l’occasion directeur de projet rattaché aux services du Premier ministre. Pour faire bonne mesure vis-à-vis du ministère de l’intérieur qui vient de perdre le pilotage de la réforme et éviter de donner un signal trop positif à ses opposants, l’entourage présidentiel convainc le Président de prononcer le discours de Cahors le 8 avril 2008, au cours duquel il marque son attachement aux grandes orientations défendues par l’intérieur. La création de la mission interministérielle pour la réforme de l’administration territoriale de l’État (Mirate) n’est officialisée que le 19 mars 2008, en même temps que sont annoncés des compromis interministériels auxquels est déjà parvenu son directeur [38]. La Mirate est chargée d’instruire le dossier, de construire les conditions d’acceptabilité de la réforme, d’élaborer des compromis, pour permettre au processus de réforme de repartir et de déboucher sur des décisions. La stratégie suivie pour débloquer la situation consiste d’abord à travailler sur le découpage du périmètre précis des huit directions régionales – dossier le moins conflictuel dès lors que les contours des directions régionales épousent globalement les périmètres ministériels – avant d’aborder dans un second temps les dossiers les plus conflictuels relatifs au niveau départemental. L’hypothèse d’un budget opérationnel de programme régional unique rassemblant l’ensemble des effectifs et des moyens des services départementaux, de même que la création d’une fonction spécifique de secrétaire général pour l’administration territoriale chargés d’en assurer la gestion (distincte de celle du SGAR) – option défendue par l’intérieur, mais qui fait office de chiffon rouge vis-à-vis de certains ministères comme le ministère de l’écologie, de l’aménagement et du développement durable – sont explicitement abandonnées. De même, pour couper court aux rumeurs d’une intégration des personnels affectés au niveau départemental dans les préfectures, la Mirate précise que chaque agent conservera son statut d’origine et le lien qui l’unit avec le ministère dont il relève. S’engage dès lors, sous l’égide de la Mirate, un processus de négociation interministériel incrémental, ponctué par une série de circulaires et de décrets, étalé sur deux ans : circulaire du Premier ministre du 7 juillet 2008 relative à l’organisation de l’administration départementale de l’État, circulaire du 31 décembre 2008 relative à l’administration départementale de l’État, circulaire du 27 février 2009 relative aux modalités d’affectation et à la gestion des ressources humaines, décret n° 2009-587 du 25 mai 2009 relatif aux missions des secrétaires généraux pour les affaires régionales, décret n° 2009-1484 relatif aux directions départementales interministérielles, décret n° 2010-146 du 16 février 2010 modifiant le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l’organisation et à l’action des services de l’État dans les régions et départements, etc.

27 Pour mettre en place la nouvelle organisation territoriale de l’État, la Mirate adopte une démarche à la fois très soucieuse de concertation (multipliant les groupes de travail) et déconcentrée (élaboration de macro-organigrammes, désignations de préfigurateurs, préfigurations, validation par la Mirate, suivi de généralisation) [39] avant de solliciter l’arbitrage direct du cabinet du Premier ministre et le cas échéant du Président de la République. Elle reprend à son compte la plupart des orientations défendues par l’intérieur [40] sous une forme atténuée et, par conséquent, plus acceptable par les autres ministères, particulièrement sur les enjeux proprement budgétaires. Au total, les acteurs en charge de l’interministériel (Mirate, cabinet du Premier ministre et du Président de la République) s’efforcent de gérer les équilibres politiques entre ministères et de leur imposer successivement des arbitrages qui ne leur convenaient pas, afin qu’aucun ne puisse remettre en question la légitimité de la réforme, toujours suspectée d’être dictée par des intérêts corporatistes latents. Les difficultés auxquelles s’est heurtée la réforme tendent ainsi à montrer qu’aucun ministère, même en charge de fonctions transversales comme l’intérieur ou le budget, n’est considéré par les autres comme légitime pour piloter une réforme affectant des intérêts respectifs considérés comme majeurs. La réussite de la conduite du processus suppose ainsi de ne jamais pouvoir être considéré comme à la fois juge et partie, le profil des personnalités en charge de la réforme devant offrir des gages d’indépendance suffisants par rapport aux intérêts ministériels mais aussi par rapport aux corps concernés. Au total, si sa création a permis de débloquer le processus de réforme et d’aboutir à des compromis, sa création n’a pas été sans conséquence sur l’économie du dispositif adopté.

LES DYNAMIQUES D’HYBRIDATION DE L’ÉTAT TERRITORIAL À LA FRANÇAISE : RATIONALITÉS RÉFORMATRICES ET INSTITUTIONS

28 Les processus de changement institutionnel, ici la transformation d’une forme d’organisation administrative, ne correspondent pas, ou très rarement, à la déclinaison d’un schéma initial porté par un seul groupe dominant d’acteurs. À cet égard, l’idéal de processus rationnel fondé sur l’expertise de spécialistes (inspections et consultants), véhiculé par la RGPP, est trompeur, en tout cas dans le cas de la RÉATE. Comme dans tous les dispositifs de réforme de l’État, l’élaboration de la réforme est l’enjeu de luttes de pouvoir entre acteurs parties prenantes. Ces conflits sont des luttes d’intérêts : plusieurs rationalités s’affrontent et se superposent parfois dans des processus négociés. Ces intérêts ne reflètent pas seulement des enjeux de préservation des positions. Ils traduisent la défense d’institutions et de logiques institutionnelles historiques correspondant à des identités, des visions du monde, des croyances, des symboles, des savoir-faire existants, que les acteurs défendent avec plus ou moins de succès. Ces processus de réorganisation aboutissent, enfin, à des compromis ayant parfois valeur de « consensus ambigus » [41] – les règles et formes adoptées sont suffisamment polysémiques pour recueillir des soutiens qui renvoient pourtant à des intérêts divergents. Ils construisent une forme organisationnelle hybride, qui conserve certains traits distinctifs antérieurs tout en subvertissant leurs fonctionnements et introduit de nouveaux arrangements institutionnels [42]. Avec toute la prudence requise à l’égard d’une réforme à bien des égards inachevée, on propose ici d’interpréter la RÉATE en tenant ensemble les rationalités à l’œuvre – quatre d’entre elles sont schématiquement exposées – et le poids des institutions. On défend la thèse que la RÉATE est le creuset et le révélateur de sourdes luttes d’institutions et de conflits d’intérêt et que la transformation à l’œuvre de l’organisation territoriale de l’État est un processus d’hybridation par « conversion institutionnelle » [43]

Les grandes rationalités au cœur du processus de réorganisation : une vue synthétique

29 Acteur initiateur de la réforme, le ministère de l’intérieur est porteur d’un schéma organisationnel très intégré, fondé sur l’horizontalité. Il s’efforce de réactiver la logique institutionnelle territoriale et de ressusciter le modèle préfectoral, fortement menacés par la mise en œuvre de la LOLF. Les premières réflexions du ministère de l’intérieur s’inscrivent en effet dans une perspective réactive et visent, à travers la RÉATE, à contrecarrer les effets jugés néfastes de la rationalité en tuyaux d’orgue portée par le ministère du budget et consacrée par la LOLF, qui repose sur des programmes strictement ministériels. Par contraste, le ministère de l’intérieur s’efforce de promouvoir la déconcentration et de la présenter comme la condition de réalisation des économies budgétaires. Il plaide en faveur de la mise en place d’une enveloppe budgétaire unique, un programme de soutien rassemblant l’ensemble des moyens de fonctionnement des services déconcentrés de l’État. Ce programme interministériel d’administration territoriale de l’État (PIATE) aurait été institué sous la forme d’un budget opérationnel de programme régional ayant vocation à regrouper les crédits de fonctionnement de l’ensemble des services déconcentrés de l’État, y compris en personnel, sous l’autorité du préfet de région [44]. Réactive, la rationalité qui anime le ministère de l’intérieur et ses préfets, est également mimétique. Les préfets entendent en effet s’inspirer du schéma en vigueur dans les collectivités – qui sont très intégrées – pour réorganiser l’État. Le schéma organisationnel des départements et régions repose en effet généralement sur quatre ou cinq directeurs généraux adjoints (DGA) placés sous l’autorité directe du directeur général des services (DGS). La réflexion du ministère de l’intérieur se nourrit des expériences de décentralisation, qui ont vu les services de l’État émiettés et affaiblis confrontés à des collectivités plus puissantes. Déjà présente lors de la constitution des pôles régionaux en 2004, cette rationalité renvoie à une volonté de doter l’État territorial d’un schéma aussi intégré que celui des collectivités pour le (re)mettre en capacité de peser face à elles.

30 S’ils partagent assez largement les conceptions défendues par le ministère de l’intérieur sur les orientations à promouvoir, les acteurs interministériels placés auprès du Premier ministre ou du Président de la République (membres de cabinets et de secrétariats généraux de l’Élysée et de Matignon) s’en écartent cependant sur deux points importants, notamment parce qu’ils cherchent à renforcer les prérogatives de l’exécutif et, pour certains d’entre eux, les fonctions de pilotage du chef du gouvernement. Ils plaident en faveur d’un renforcement de la régionalisation plus marqué que ne le souhaite le ministère de l’intérieur et pour l’établissement d’une relation hiérarchique plus assumée des préfets de région vis-à-vis des préfets de département [45]. Dans cette perspective, les acteurs interministériels de l’exécutif proposent de mettre fin au dédoublement fonctionnel des préfets de région hérité de 1964, qui voit ces derniers assumer simultanément les fonctions de préfet du département chef-lieu de la région. Favorables à une dissociation des fonctions régionales et départementales, à la création de postes de préfets de département dans les chefs lieux de région, et au recentrage des préfets de région sur un rôle exclusif de pilotage et d’arbitrage, leur proposition tendrait à transformer assez radicalement la place et le rôle du ministère de l’intérieur dans la configuration gouvernementale. Les acteurs interministériels sont, dans leur majorité [46], favorables à un schéma qui tendrait à retirer au ministère de l’intérieur ses fonctions interministérielles et à les transférer aux services du Premier ministre. Ils plaident en faveur d’un rattachement de la gestion des préfets de région aux services du Premier ministre, assorti d’une diversification de leur recrutement, d’une néo-contractualisation (avec une lettre de mission leur fixant des objectifs pluriannuels), d’un allongement de leurs fonctions sur un poste territorial (une durée de trois ans), en soulignant le surcroît de légitimité que ces derniers en retireraient. La prise en charge des fonctions interministérielles par des préfets de région rattachés à Matignon aurait pour conséquence de cantonner le ministère de l’intérieur et les préfets de département dans des attributions restreintes limitées aux questions intéressant la sécurité publique. Cette double perspective heurte aussi bien le ministère de l’intérieur et ses titulaires que la majorité des membres du corps préfectoral (qui ne peut guère espérer se hisser à des fonctions de préfets de région).

31 Autres acteurs transversaux, les budgétaires ont, d’un côté, cherché à promouvoir leurs propres conceptions, et de l’autre, adopté une position fluctuante dans la négociation consistant tantôt à soutenir la position du ministère de l’intérieur tantôt à le contrer et à se rallier à la position de ministères sectoriels. D’un point de vue défensif, le ministère du budget cherche à neutraliser les velléités de remise en cause de la LOLF portées par l’intérieur et à préserver l’architecture ministérielle des programmes, s’alliant pour ce faire avec de grands ministères sectoriels. D’un point de vue offensif, la principale rationalité organisationnelle défendue par les budgétaires repose sur l’idée de constituer de grandes entités – grands ministères à l’échelon central, grandes directions régionales ou départementales – dont ils souhaitent confier les grandes enveloppes budgétaires correspondantes à des gestionnaires. Plusieurs logiques sous-jacentes justifient cette position. Il s’agit d’obliger ou, a minima, d’inciter les représentants des ministères à délaisser les jeux de surenchère traditionnels, à adopter une logique d’internalisation de la fonction d’arbitrage et, in fine, à déléguer la responsabilité d’effectuer des diminutions de crédits. Reposant sur l’idée de circonscrire les jeux non coopératifs [47], la constitution de grandes enveloppes renforce en effet l’autonomie des gestionnaires locaux, les force à internaliser les contraintes budgétaires et facilite le jeu des redéploiements budgétaires. Défendue par les budgétaires parce qu’elle faciliterait à l’avenir la réalisation de coupes budgétaires, la constitution de grandes enveloppes offre accessoirement, à leurs yeux, le mérite de permettre des mutualisations, des gains de surfaces immobilières et la réalisation d’économies d’emplois sur les fonctions supports [48].

32 Pour leur part, les ministères sectoriels adoptent, pour l’essentiel, une posture défensive et s’efforcent de contrer les propositions de l’intérieur à la fois sur le plan organisationnel, budgétaire et statutaire, et de conserver leur autonomie. Cette lutte pour la préservation de leur autonomie s’est traduite par des stratégies de repli sur l’échelon régional, étant entendu que le schéma le plus intégré prévaudrait au niveau départemental. Les ministères sectoriels ont également cherché à maintenir leur hiérarchie ministérielle jusqu’au niveau départemental en demandant et en obtenant, pour certains, à l’issue du deuxième conseil de modernisation de politiques publiques, le maintien d’unités territoriales propres (UT), rattachées à leurs directions régionales et échappant à l’autorité directe des préfets de département. Enfin, cette lutte pour l’autonomie a conduit certains grands ministères à accélérer leur alliance stratégique pour tenter, par la fusion, de conserver une masse critique, une armature corporative puissante et une expertise afin de mieux résister au corps préfectoral. L’accélération de la fusion des directions départementales de l’équipement et de l’agriculture, la fusion des corps d’ingénieur du génie rural et des eaux et forêts et du corps des ponts, la constitution de services mutualisés entre le ministère de l’agriculture et le ministère de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer (MEEDEM) traduisant cette logique de résistance.

Quelles transformations de l’État territorial ? La thèse de l’hybridation du modèle français

33 Le processus de négociation interministérielle mené sous l’égide de la Mirate a ainsi abouti à la fabrication d’une forme organisationnelle nouvelle, remettant partiellement en cause les arrangements institutionnels hérités et fruit de compromis entre les différentes rationalités portées par chacun des grands acteurs institutionnels identifiés. La thèse défendue dans cet article est que cette forme organisationnelle constitue un hybride qui transforme à la fois le modèle préfectoral et le modèle ministériel. Au total, les deux logiques institutionnelles structurant l’État administratif en France ont été transformées et hybridées en 2007-2010. Nous suggérons que la RÉATE peut ainsi s’analyser comme un processus de « conversion institutionnelle » [49], défini par la politiste américaine Kathleen Thelen comme la redirection d’institutions existantes préservées mais auxquelles on assigne de nouveaux buts ou de nouvelles fonctions. En première analyse, en effet, le maintien de tous les niveaux déconcentrés de l’État et le renforcement des pouvoirs des préfets semble renforcer les deux logiques institutionnelles historiques (ministérielle et préfectorale) mais un examen plus attentif révèle qu’elles ont été très largement redirigées et hybridées, chaque logique institutionnelle historique étant désormais fécondée par l’autre.

L’hybridation de la logique institutionnelle ministérielle

34 D’un côté, de nombreux éléments de la nouvelle organisation suggèrent que, si la logique sectorielle/ministérielle a bien été maintenue, elle a été aussi profondément transformée par la création d’une nouvelle pyramide ministérielle reposant sur un petit nombre de grands ministères, qui chapeautent des ministères délégués et des secrétariats d’État. Trois composantes sont ainsi hybridées. Comme le montre Morton Egeberg [50], la mise en place de grands ministères – et donc de grandes directions régionales en miroir – est censée affaiblir, premièrement, les dynamiques strictement sectorielles du fonctionnement des administrations en faisant disparaître certaines frontières entre administrations, en favorisant l’essor de logiques intersectorielles et en internalisant les arbitrages au sein de ces structures nouvelles. Cette logique intersectorielle avait été fortement défendue dans le cadre du rapport Camdessus, qui préconisait déjà la création d’une quinzaine de super-ministères, dotés de secrétaires généraux et de capacités de coordination élargies [51]. Leurs défenseurs en attendaient une internalisation croissante des arbitrages interministériels qui parasitaient jusque là le Premier ministre. La logique intersectorielle qui a prévalu en 2007, lors du découpage des portefeuilles ministériels en grands ministères, a été transposée au niveau régional pour donner naissance à une forme hybride. La création de grandes directions régionales intersectorielles fusionnées s’éloigne ainsi de la logique ministérielle héritée des isolats.

35 Ces fusions ont aussi affaibli, deuxièmement, la spécialisation ministérielle historique qui prévalait également à l’échelon territorial dans la mesure où elles impliquent un fonctionnement plus déconcentré de l’administration : les conflits entre administrations ministérielles appartenant à une même grande direction ne devraient plus nécessiter une remontée à l’arbitrage national pour être tranchés. La confrontation des logiques ministérielles historiques au sein de ces grandes directions intersectorielles régionales, répliquant les frontières des « grands ministères », est censée aussi réduire la fragmentation de l’action publique, renforcer la prise en compte mutuelle des contraintes auxquelles les différents services doivent faire face et favoriser, in fine, l’élaboration de compromis internes entre les différentes composantes de ces grandes directions régionales. Ce mode de spécialisation n’a pas seulement été transformé par la promotion d’une logique intersectorielle venant se substituer à une division du travail strictement ministérielle. La décision d’opter pour une organisation découplée des services régionaux et départementaux, et de créer des directions départementales strictement interministérielles (territoires, protection des populations et cohésion sociale) s’inscrit aussi doublement en rupture avec la logique ministérielle historique qui conduisait chaque ministère sectoriel à se doter de son propre réseau de services déconcentrés à l’échelon départemental voire infra-départemental. Non seulement les ministères se voient privés de la capacité de choisir un modèle d’organisation de leur réseau d’implantation territoriale qui leur soit spécifique mais ils sont également officiellement privés d’interlocuteurs relais qui leur soient propres à l’échelon départemental. Placées sous l’autorité des préfets, les directions départementales interministérielles brisent ainsi les chaînes de commandement hiérarchiques ministérielles qui voyaient le ministre commander aux directions régionales, qui transmettaient ensuite directement leurs ordres à leurs propres directions départementales. Désormais, le préfet apparaît comme un intermédiaire obligé pour atteindre le niveau départemental, lequel introduit une dimension territoriale dans les préoccupations ministérielles. Pour autant, la rupture avec le modèle ministériel historique qui voyait chaque ministère s’appuyer sur son propre réseau territorial est loin d’être complète. Dans la grande bataille interministérielle menée de 2007 à 2010, quatre ministères sectoriels (le MEEDDAT/ MEEDEM avec une unité territoriale de la DREAL, la culture avec une unité territoriale de la DRAC ainsi que l’économie-industrie-emploi et le travail qui partagent une unité territoriale des DIRECCTE, cf. supra) ont tout de même réussi à sauvegarder un réseau départemental qui leur soit propre (ou qu’ils partagent) et à maintenir davantage d’autonomie vis-à-vis des préfets de département. Ces trois ministères ont obtenu au forceps le maintien de leurs lignes hiérarchiques directes et des réseaux départementaux propres, appelés unités territoriales (UT), dérogeant à la règle générale d’intégration des services départementaux dans les directions départementales interministérielles. Si l’on considère le tableau d’ensemble, c’est bien l’affaiblissement de la logique ministérielle au profit d’une logique intersectorielle qui constitue le fait marquant, qu’il s’agisse des grands ministères, des grandes directions régionales ou encore des directions départementales interministérielles. Ces dernières tendent à introduire la prise en compte de la logique territoriale dans la logique ministérielle.

36 De manière complémentaire, ces changements affaiblissent le modèle hiérarchique wébérien qui prévalait antérieurement au sein des ministères sectoriels. La réduction du nombre de directions d’administrations centrales a renforcé le contrôle politique sur les activités ministérielles. Elle s’est accompagnée de la création d’un petit nombre de « super hauts fonctionnaires » occupant des positions hiérarchiques très élevées dans la chaîne de commandement et dotés de profils plus politiques. La nouvelle hiérarchie ministérielle qui s’esquisse repose en effet sur un petit cercle de directeurs d’administrations centrales et sur un nombre réduit de directeurs régionaux [52] puisque la fusion a réduit le nombre de directions. Ces « super hauts fonctionnaires » bénéficient de relations plus directes avec les ministres dont ils relèvent. Défendus au nom de la nécessité de recentrer les ministres sur des activités d’arbitrage et de les remettre au cœur des choix politiques dans un contexte budgétaire de plus en plus difficile, les processus de fusion à tous les niveaux se traduisent ainsi par des organisations plus pyramidales et par des chaînes hiérarchiques raccourcies : un petit nombre de ministres de plein exercice, un plus petit nombre de hauts fonctionnaires occupant des postes d’administration centrale ou territoriale, mais des hauts fonctionnaires plus politisés, bénéficiant d’une autorité déléguée plus étendue, plus loyaux et rendant compte plus directement à leurs ministres, au chef du gouvernement voire même, pour certains d’entre eux, au chef de l’État. Les réorganisations des années 2000 tendent ainsi à mixer la hiérarchie politique avec la hiérarchie légale. Au niveau départemental, enfin, l’introduction d’une logique territoriale dans la logique ministérielle, à travers la création des directions départementales interministérielles, s’est traduite par l’introduction de nouvelles hiérarchies politiques. La nomination des directeurs des directions départementales interministérielles par le Premier ministre, sur proposition des préfets, en est une illustration très concrète qui tend à subvertir le modèle ministériel [53]. Cette prise en compte de la logique territoriale dans le fonctionnement des grands ministères est censée être assurée au niveau régional par le resserrement des liens entre les préfets de région et les directeurs régionaux, conséquence de la réduction de leur nombre.

L’hybridation de la logique institutionnelle préfectorale

37 D’un autre côté, différentes décisions prises au cours du processus de réorganisation montrent que si la logique institutionnelle préfectorale a été réaffirmée, elle a aussi été, dans le même temps, hybridée et redirigée. À première vue, le renforcement des pouvoirs des préfets, qui se concrétise au niveau régional et départemental, avec de nouveaux pouvoirs interministériels (notamment vis-à-vis des directions départementales interministérielles), semble reproduire la logique institutionnelle territoriale historique. En réduisant drastiquement le nombre de ses interlocuteurs territoriaux à une vingtaine, la régionalisation accrue favorise ainsi la redécouverte de la logique territoriale et d’une chaîne d’autorité plus politique. La réduction du nombre de représentants territoriaux du gouvernement à une vingtaine de préfets de région en fait désormais un outil de pilotage plus efficient pour l’exécutif national, aisément mobilisable et réactif. L’introduction inédite d’une relation hiérarchique entre le préfet de région et les préfets de département – même si le terme a été soigneusement évité par les rédacteurs des textes – constitue de ce point de vue une véritable réinvention du modèle napoléonien, qui permet désormais à l’exécutif de disposer de nouveau d’une chaîne de commandement territoriale aisément mobilisable. La chaîne hiérarchique territoriale de l’organisation de l’État, qui va du chef de l’État jusqu’aux préfets des départements, et dont les maillons essentiels sont désormais les préfets de région, en sort renforcée. Ce mouvement tend aussi à restaurer, au profit du chef de l’État, une armature politique très solide, susceptible de décliner sa politique mais aussi d’assurer une remontée plus directe et rapide, vers les administrations centrales, des informations émanant du terrain.

38 Toutefois, cette logique territoriale n’est pas seulement redécouverte, elle est aussi hybridée et réorientée. De fait, le processus de régionalisation induit par la réforme tend à transformer un peu plus la fonction préfectorale, et à amoindrir, dans son activité, la dimension relative au maintien de l’ordre au profit d’une dimension managériale [54]. Comme l’avaient déjà remarqué plusieurs observateurs, l’émergence de préfets de région ayant officiellement autorité sur les préfets des départements est de nature à renforcer les liens entre les mondes [55] de l’administration centrale et territoriale : le nombre des préfets est en effet inversement proportionnel à la confiance que le chef du gouvernement et les ministres peuvent leur accorder. Alors que l’idée de faire un discours solennel devant une centaine de préfets de départements était jugée dénuée d’intérêt pour les ministres, secrétaires généraux de ministère ou directeurs d’administration centrale, la réunion d’une vingtaine de préfets de région semble leur ouvrir des perspectives intéressantes d’échanges relatives à l’élaboration ou à la mise en œuvre des politiques publiques. Cette idée tend à être validée par le changement de pratiques observé, les préfets de région étant ainsi de plus en plus sollicités à Paris. Le « Comité des quarante », réunion des préfets de région, des secrétaires généraux de ministère sous l’égide du secrétariat général de l’Élysée ou de Matignon – instance informelle qui s’est réunie à plusieurs reprises au court de la période récente – illustre la rénovation de ces liens. Sa pérennité constituera un test de la robustesse des nouvelles dynamiques à l’œuvre. L’établissement de liens de confiance et d’habitudes de collaboration étroite entre les préfets de région et les administrations centrales lèverait ainsi un frein à la déconcentration.

39 Les préfets de région sont appelés à jouer un rôle d’animation, de coordination et d’arbitrage vis-à-vis des grandes directions régionales. La réduction du nombre de participants aux comités d’administration régionaux devrait permettre de dépasser le formalisme inhérent au fonctionnement d’assemblées pléthoriques, de renforcer les liens de confiance mutuelle entre leurs participants. Le Comité d’administration régional – qui comprend les huit directeurs régionaux et les préfets des départements – est également susceptible de devenir un lieu de confrontation/ajustement entre la logique territoriale portée par les préfets et la vision sectorielle défendue par les nouveaux directeurs régionaux, sous l’autorité arbitrale du préfet de région.

40 Ces changements tendent à redéfinir la fonction préfectorale et pourraient conduire à une distinction plus nette entre le rôle des préfets de région, désormais recentré sur leurs fonctions interministérielles d’animation et d’arbitrage, et celui des préfets de départements, davantage cantonnés à la gestion de l’ordre public et des polices. Même si les réticences internes au corps restent très fortes quand à la différenciation/hiérarchisation des fonctions de préfets de région et de département [56], de premiers pas ont été effectués dans cette direction. Le discours d’installation du nouveau préfet de l’Isère prononcé par le Président de la République le 30 juillet 2010 à Grenoble, illustrait sa politique de nomination de responsables policiers dans des fonctions de préfet de département, peut être interprétés comme une forme d’affirmation de cette orientation [57]. La création d’un poste de directeur, adjoint au secrétaire général du gouvernement, en charge de la gestion des emplois de direction de l’administration territoriale, constitue également un précédent susceptible de faciliter le transfert ultérieur de la gestion des préfets de région à Matignon.

41 Pour autant, deux obstacles à une évolution aussi radicale des fonctions préfectorales risquent de peser. D’une part, la majorité du corps préfectoral et le ministère de l’intérieur devraient logiquement s’opposer à cette dissociation. D’autre part, il n’est pas certain que tous les acteurs politiques centraux qui participent à l’élaboration des mouvements préfectoraux soient disposés à en accepter toutes les conséquences. Renforcer la stabilité des préfets de région, les doter d’une lettre de mission pluriannuelle et allonger leur durée moyenne en poste ne peut se faire qu’au prix d’un recul du pouvoir discrétionnaire des acteurs politiques que ces derniers – qu’il s’agisse du Président, du Premier ministre, du ministre de l’intérieur (mais aussi les membres de cabinets ministériels qui aspirent à exercer ces fonctions) – ne sont peut-être pas prêts à assumer.

42 L’analyse proposée en termes d’hybridation permet de tenir ensemble les dynamiques du changement et celles de la reproduction des institutions. Elle illustre aussi l’indétermination relative du sens de la réforme de l’administration territoriale. S’y superposent trop de rationalités différentes pour que l’on puisse dire raisonnablement aujourd’hui laquelle va l’emporter sur les autres et quelles logiques institutionnelles vont prévaloir. C’est, d’une certaine façon, une des limites de la réforme entreprise. On ignore encore comment les tensions ou les contradictions entre la logique horizontale – interministérielle – promue par la RÉATE et la logique verticale – ministérielle – portées par la LOLF vont être résolues dans la durée [58]. Comment RÉATE et LOLF vont interagir entre elles ? De plus, le modèle porté par la RÉATE entre autant en contradiction avec les règles ministérielles de gestion des carrières et des mobilités qu’avec la gestion ministérielle des crédits. Il est encore trop tôt pour savoir comment ces contradictions seront résolues. On peut seulement observer qu’elles déstabilisent aujourd’hui fortement les anticipations des agents des services territoriaux et leurs activités. En d’autres termes, si la RGPP a permis d’aboutir à une série de décisions, de produire des arbitrages qui étaient en attente depuis plusieurs années, la réforme dans sa phase de mise en œuvre et l’interprétation des textes adoptés peuvent encore donner lieu à des lectures contradictoires parce que chacun sait que la mue de l’État territorial demeure inachevée. De nombreux choix nécessitant l’implication du politique au plus haut niveau semblent ainsi avoir encore été différés.

Notes

  • [1]
    « Que faisons nous ? Quels sont les besoins et les attentes collectives ? Faut-il continuer à faire de la sorte ? Qui doit le faire ? Qui doit payer ? Comment faire mieux et moins cher ? Quel scénario de transformation ? », Revue générale des politiques publiques. Guide méthodologique.
  • [2]
    Cette réforme a fait l’objet de deux ouvrages désormais classiques dans le champ de la sociologie administrative. Grémion (Pierre), Le pouvoir périphérique. Bureaucrates et notables dans le système politico-administratif français, Paris, Le Seuil, 1976 ; Grémion (Catherine), Profession : décideurs. Pouvoir des hauts fonctionnaires et réforme de l’État, Paris, Gauthier-villars, 1979.
  • [3]
    Cet article, terminé en septembre 2010, constitue une première publication tirée d’un projet collectif financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR). Projet MUTORG-ADMI ANR 08-GOUV-040. La première présentation de ces recherches a été proposée en septembre 2009. Philippe Bezes, Patrick Le Lidec, « Transforming the Organizational Form of the French Administration in the 2000s : Debating Theoretical Perspectives », ECPR General Conference, 10-12 Septembre 2009, Potsdam, Panel on « Theoretical Perspectives on Government Organizations » – Section : Organizing Government : Theoretical and Empirical Perspectives.
  • [4]
    Voir en ce sens, Diamant (Alfred), « The Department, The Prefect, and Dual Supervision in French Administration : A Comparative Study », The Journal of Politics, 16 (3), p. 472-490, 1954. En ligne
  • [5]
    De manière non exhaustive, voir ici Worms (Jean-Pierre), « Le préfet et ses notables », Sociologie du travail, 3, 1966 ; Grémion (Pierre), Le pouvoir périphérique, op. cit ; Le Lidec (Patrick), « L’impossible renouveau du modèle préfectoral sous la IVe République », Revue française d’administration publique, n° 120, p. 695-710, 2006.
  • [6]
    Doueil (Pierre), L’administration locale à l’épreuve de la guerre, Paris, Sirey, 1950.
  • [7]
    Pour une présentation synoptique de cette évolution, voir Le Lidec (Patrick), « L’impossible renouveau du modèle préfectoral sous la IVe République », op. cit.
  • [8]
    Le Lidec (Patrick), « L’impossible renouveau du modèle préfectoral sous la IVe République », op. cit.
  • [9]
    Certains services déconcentrés ne sont pas concernés par la réforme et demeurent hors périmètre des changements. C’est le cas de la direction interdépartementale des Routes, des services pénitentiaires, des offices, etc.
  • [10]
    La mise en place du premier gouvernement Fillon a en effet été marquée par la création de grands ministères. Citons le ministère de l’économie, des finances et de l’emploi, le ministère du budget, des comptes sociaux, de la fonction publique et de la réforme de l’État ou le ministère de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire (MEEDDAT).
  • [11]
    L’organisation régionale s’articule autour des huit directions suivantes : la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) ; la direction régionale des entreprises, de la concurrence et de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) ; la direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS) ; la direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (DRAAF) ; la direction régionale de la culture (DRAC) ; l’agence régionale de santé (ARS) ; la direction régionale des finances publiques (trésorerie générale et services fiscaux) ; le rectorat d’académie.
  • [12]
    En conséquence l’administration départementale de l’État comprend désormais la préfecture, la direction départementale de la population et de la cohésion sociale (DDPCS), la direction départementale des territoires (DDT), l’inspection d’académie, la direction départementale des finances publiques et les services chargés de la sécurité intérieure.
  • [13]
    Décret n° 2009-360 du 31 mars 2009 relatif aux emplois de direction de l’administration territoriale de l’État.
  • [14]
    La double autorité qui s’exerce sur les unités territoriales de directions régionales combine donc celle : du préfet de région, par l’intermédiaire du directeur régional, pour l’organisation du service, sa gestion, la programmation de son activité et l’accomplissement des missions relevant du niveau régional et du préfet de département pour ses missions locales.
  • [15]
    Un budget opérationnel de programme (BOP) regroupe la part des crédits d’un programme mise à la disposition d’un responsable identifié pour un périmètre d’activité (une partie des actions du programme par exemple) ou pour un territoire (une région, un département...), en théorie de manière à rapprocher la gestion des crédits du terrain.
  • [16]
    Circulaire du Premier ministre n° 5359/SG du 31 décembre 2008. Ce dispositif a été systématisé récemment dans le cadre du projet de loi de finances pour 2011 puisqu’est créé un programme « fonctionnement des DDI », n° 333 au sein de la mission Direction de l’action du gouvernement, afin de regrouper l’ensemble des crédits de fonctionnement et d’immobilier courant des DDI ainsi que les crédits immobiliers courant des services régionaux et des préfectures (environ 290 millions d’euros de crédit) dès le vote de la loi de finances initiale.
  • [17]
    Les SGAR font partie des emplois du groupe I des emplois de direction de l’administration territoriale de l’État, ce qui les place dans le même groupe que les emplois de directeurs régionaux selon le décret n° 2009-360 du 31 mars 2009 relatif aux emplois de direction de l’administration territoriale de l’État.
  • [18]
    Décret n° 2009-587 du 25 mai 2009 relatif aux missions des secrétaires généraux pour les affaires régionales. Un décret du 4 mai 2010 revalorise également le montant de la prime spécifique de fonctions attribuée aux chargés de mission auprès des secrétaires généraux pour les affaires régionales.
  • [19]
    Décret n° 2010-146 du 16 février 2010 modifiant le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l’organisation et à l’action des services de l’État dans les régions et départements.
  • [20]
    Les sociologues March et Olsen ont particulièrement souligné l’importance de cette dimension rhétorique inhérente aux processus de réorganisation. Cf. March (James G.), Olsen (Johan P.), Rediscovering Institutions. The Organizational Basis of Politics, New York, The Free Press, 1989. Nils Brunsson et Johan P. Olsen poursuivent dans cette voie et suggèrent que les réformes organisationnelles ont comme premier effet de diffuser des normes et des symboles – de créer du sens – afin d’agir sur les préférences et de façonner l’opinion publique. Voir Brunsson (Nils) et Olsen (Johan P.), The Reforming organization, New York, Routledge, 1993.
  • [21]
    Présentation générale de la RGPP, 10 juillet 2007.
  • [22]
    On rejoint ici la prudence de François Lafarge lorsqu’il écrit : « D’autres éléments laissent toutefois supposer que la RGPP n’est qu’une procédure parmi d’autres, qui ne bénéfice ponctuellement que d’une supériorité procédurale et ce dans certains domaines seulement ». Cf. Lafarge (François), « La méthode suivie par la révision générale des politiques publiques », Revue française d’administration publique, 2, n° 130, 2009, p. 409-414.
  • [23]
    Voir en ce sens le diagnostic critique produit par le rapport Pébereau sur le caractère velléitaire des tentatives de réforme de l’État territorial, in Ministère de l’économie, des finances et de l’industrie, Rompre avec la facilité de la dette publique. Pour des finances publiques au service de notre croissance économique et de notre cohésion sociale, commission présidée par Michel Pébereau, décembre 2005, La documentation française, p. 77.
  • [24]
    Pour une analyse historique de cette concurrence, voir Bezes (Philippe), Réinventer l’État. Les réformes de l’administration française (1962-2008), Paris, PUF, 2009 (coll. Le Lien Social).
  • [25]
    Bezes (Philippe), Réinventer l’État, op. cit., p. 446-459.
  • [26]
    Le président de l’association du corps préfectoral, Bertrand Landrieu, écrit ainsi dans la lettre de mission adressée à un groupe de travail que l’association vient de créer pour réfléchir aux modalités d’application de la LOLF : « La future architecture des programmes constitue pour le ministère de l’intérieur et les préfets un enjeu considérable. Elle pose en effet la question des conditions de la déclinaison territoriale des programmes et, dans ce cadre, du pilotage local par les préfets des politiques » in Duffé (Pierre), La réforme budgétaire de l’État : le rôle de l’État déconcentré, septembre 2003.
  • [27]
    Le décret du 29 avril 2004 prévoit aussi que « lorsque plusieurs services ou parties de services déconcentrés concourent à la mise en œuvre d’une même politique de l’État, leur fusion, totale ou partielle, peut être opérée ».
  • [28]
    La liste des huit pôles régionaux illustre l’importance des transactions puisqu’ils recouvrent, pour l’essentiel, les principales directions déconcentrées ministérielles. Les huit pôles retenus sont finalement : éducation et formation, gestion publique et développement économique, transports, logement et aménagement, santé publique et cohésion sociale, économie agricole et monde rural, développement de l’emploi et insertion professionnelle, culture. Sont par ailleurs maintenues hors pôle les directions régionales de la jeunesse et des sports, des services pénitentiaires et de la protection judiciaire de la jeunesse. Décret n2004-1053 du 5 octobre 2004 et circulaire du 19 octobre 2004 relative à la réforme de l’administration territoriale de l’État.
  • [29]
    Voir en ce sens les rapports parlementaires relatifs à l’administration générale et territoriale de l’État dans le cadre de l’adoption de la loi de finances.
  • [30]
    Camdessus (Michel), Le Sursaut. Vers une nouvelle croissance pour la France, Paris, La documentation française, 2004. Dans un chapitre intitulé « Réforme de l’État comme condition de la réduction de la dépense publique », figurait cette conclusion p. 126 : « Ces quinze ministres – parmi lesquels le ministre chargé de la réforme de l’État devrait se voir donner un statut prééminent – coordonneraient l’action de ministres délégués ou de secrétaires d’État regroupés en quinze groupes de responsabilités et auxquels ils délégueraient la gestion des crédits budgétaires qui leur seraient alloués. Cette délégation fournirait l’occasion d’un débat approfondi sur la réallocation des moyens de chaque groupe de ministères autour des priorités majeures. Ceci devrait fournir l’occasion d’un effort général – et, hélas, sans grand précédent récent – pour reconsidérer l’affectation des ressources publiques, pour désencombrer l’État de tant d’organismes ou de procédures qui, justifiés à un certain moment, soit ont perdu leur raison d’être, soit pourraient voir leur mission remplie avec des moyens sensiblement plus modestes... Des objectifs de cette nature devraient être assignés, personnellement, parallèlement à d’autres objectifs relatifs aux politiques à mener, par les ministres à chaque directeur d’administration, éventuellement sur proposition des secrétaires généraux des ministères, eux-mêmes appelés à jouer dans cette dynamique d’agilisation de l’État un rôle essentiel ».
  • [31]
    Ce problème avait justifié la commande d’un audit de modernisation sur la coordination interministérielle. Son diagnostic très critique et ses conclusions sont consultables dans : Inspection générale des Finances et Conseil d’État, La coordination du travail interministériel : mission d’audit de modernisation, La documentation française, juillet 2007, 124 p.
  • [32]
    Rapport Pébereau p. 120.
  • [33]
    Rapport Pébereau, p. 122.
  • [34]
    Arkwright (Edward) et al., Economie politique de la LOLF, Paris, La documentation française, 2007, en particulier p. 327-350.
  • [35]
    « La LOLF constitue « un contexte plus favorable pour conduire une revue des programmes [...] Les exemples étrangers de revue des programmes de l’État n’ont eu de résultats probants, par exemple au Canada, que dans la mesure où ils étaient impulsés par les plus hauts responsables politiques et considérés comme l’un des objectifs gouvernementaux majeurs. En effet, chaque dépense publique a un bénéficiaire et il est peu de réformes structurelles qui ne rencontrent d’obstacles à sa réalisation soit au niveau de l’administration, soit au niveau de groupes d’intérêt. Le dégagement de marges de manœuvre ne peut donc venir uniquement d’une "modernisation" du management ou d’une plus grande souplesse juridique dans l’utilisation des deniers publics, mais nécessite une volonté politique particulièrement forte et assumée par les plus hautes autorités », ibid, p. 345.
  • [36]
    Les entourages du Président de la République et du Premier ministre n’ont pas réussi à les convaincre de prononcer chacun plus d’un seul discours sur ces sujets. Le Président de la République prononce un discours sur la réforme de l’État territorial à Cahors le 8 avril 2008 et apporte à cette occasion son soutien aux grandes orientations défendues par le ministère de l’intérieur et expérimentées dans le Lot. Le Premier ministre y consacre lui aussi un seul discours au CNIT de la Défense, le 16 novembre 2009, devant l’ensemble des acteurs de la réforme de l’administration territoriale de l’État. Il revient cependant sur cette question à l’occasion d’un discours prononcé à huis clos devant les préfets le 3 mars 2010.
  • [37]
    Ce groupe est chargé de la réforme de l’organisation des préfectures, de l’avenir des sous préfectures, du contrôle de légalité, etc.
  • [38]
    Circulaire du Premier ministre n° 5285/SG du 19 mars 2008.
  • [39]
    Circulaire de juillet 2008 qui précise la méthode.
  • [40]
    La circulaire du 31 décembre 2008 souligne qu’il s’agit d’un pilotage conjoint : « la Mirate poursuivra sa tâche avec le ministère de l’intérieur ». De fait, le rapport introduisant la conférence des secrétaires généraux et des préfets de région préalable à l’adoption de la circulaire du 31 décembre 2008 est rédigé par la secrétaire générale du ministère de l’intérieur.
  • [41]
    Palier (Bruno), « Ambiguous Agreement, Cumulative Change : French Social Policy in the 1990s », in Wolfgang Streeck, Kathleen Thelen eds., Beyond Continuity, op. cit., p. 127-144
  • [42]
    Pour une présentation synthétique de ces approches sur les réformes institutionnelles, voir Bezes (Philippe), Le Lidec (Patrick), « Ordre institutionnel et genèse des réformes » et « Ce que les réformes font aux institutions », dans Lagroye (Jacques), Offerlé (Michel), Sociologie de l’institution, Paris, Belin, 2010.
  • [43]
    Le terme est emprunté à la politiste américaine Kathleen Thelen. Cf. Thelen (Kathleen), « How Institutions Evolve : insights from comparative historical analysis » in Mahoney (James), Rueschemeyer (Dietrich) eds, Comparative Historical Analysis in the Social Sciences, New York : Cambridge University Press, 2003, p. 208-240.
  • [44]
    Sans conséquence sur la gestion statutaire des personnels (mis à disposition par les ministères), ce programme aurait été rattaché soit au Premier ministre (mais dans ce cas, il aurait été administré par l’intérieur), soit directement au ministère de l’intérieur ; en pratique, il aurait été placé sous l’autorité des préfets. Sa gestion aurait été confiée aux SGAR, à l’échelon régional, et à des secrétaires généraux pour les affaires départementales (SGAD), créés pour l’occasion et distincts des secrétaires généraux de préfecture. L’organisation cible des services de l’État au niveau départemental aurait ainsi été fondée sur un schéma très intégré articulé autour de quatre directions
  • [45]
    La position du ministère de l’intérieur est elle-même difficile à présenter de manière univoque dès lors qu’il existe un conflit interne entre régionalistes et départementalistes. Globalement l’équipe de direction du ministère est nettement plus régionaliste que la majorité du corps préfectoral. La secrétaire générale du ministère de l’intérieur, Bernadette Malgorn a fortement porté une logique régionaliste aussi bien pour s’adapter au dialogue de gestion que pour renforcer l’attractivité des postes territoriaux. « La diminution du nombre de budgets opérationnels de programme centraux, départementaux ou disparates au profit de budgets opérationnels de programme régionaux et zonaux sera, à notre sens, le véritable indicateur du succès de la LOLF » soulignait-elle dans Malgorn (Bernadette), « La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) et la déconcentration », Revue française d’administration publique, 2006, n° 117, p. 113-115. En ligne
  • [46]
    Les acteurs occupant des positions au cœur de l’exécutif – Matignon et Élysée – ne possèdent pas tous la même vision de ce qui est souhaitable et restent souvent marqués par leurs expériences administratives antérieures (différence entre les budgétaires et les anciens préfets, etc.).
  • [47]
    Cette conception est bien résumée par François Riahi dans Économie politique de la LOLF : « un arbitrage par grandes enveloppes circonscrit le jeu non coopératif [...] Plus l’arbitrage est global et précoce, plus le jeu laisse la place à la recherche de marges de manœuvre », dans Arkwright (Edward) et al., Économie politique de la LOLF, op. cit., p. 343.
  • [48]
    En pratique, ces anticipations ont pu être contrées par des processus d’harmonisation des rémunérations des personnels au sein des grandes enveloppes créées. La classification des emplois de direction de l’administration territoriale de l’État procède à un alignement par le haut des rémunérations sur les corps les mieux traités.
  • [49]
    Thelen (Kathleen), « How Institutions Evolve : insights from comparative historical analysis », op. cit., p. 228-230.
  • [50]
    Egeberg (Morten), « The impact of bureaucratic structure on policy making », Public Administration, vol. 77, 1, 1999, p. 155-170. En ligne
  • [51]
    Camdessus (Michel), Le sursaut – Vers une nouvelle croissance pour la France, Paris, La documentation française, 2004, p. 126. Cette idée avait également été reprise dans le rapport Pébereau, Rompre avec la facilité de la dette publique, op. cit.
  • [52]
    À ce stade, il est difficile de dire si les postes de directeurs adjoints qui ont été créés pour « recaser » les titulaires des fonctions supprimées à l’occasion des fusions seront maintenus ou supprimés.
  • [53]
    Il reste à mesurer en pratique si ce sera effectivement ou non le cas. La nomination des directeurs de DDI et de leurs adjoints semble participer d’un vaste « yalta administratif » dans le cadre duquel les panachages entre les corps et le respect des équilibres entre corps sont au cœur des préoccupations des acteurs.
  • [54]
    Le statut des préfets a ainsi été modifié par un décret du 16 février 2009 pour renforcer l’ouverture et la diversification du recrutement, en ouvrant plus largement le corps aux fonctionnaires non issus des viviers traditionnels que constituent le corps des administrateurs civils et celui des sous-préfets.
  • [55]
    Baruch (Marc Olivier), Servir l’État français, Fayard, Paris 1997 ; Le Lidec (Patrick), « L’impossible renouveau du modèle préfectoral sous la quatrième République », op. cit.
  • [56]
    L’hostilité culturelle du corps préfectoral à l’égard d’une hiérarchisation des relations entre préfets de région et préfets de départements se mesure notamment dans les pratiques de réallocation de crédit par le préfet de région entre les UO départementales. Tous les rapports de l’inspection générale de l’administration consacrés à la mise en œuvre de la régionalisation des BOP mettent en évidence le souci du consensus des préfets de région et leur prudence dans l’exercice des arbitrages budgétaires, avec une tendance à répartir uniformément les efforts à accomplir entre tous les départements. Le rapport 2010 soulignait ainsi p. 15 que « la régionalisation ne s’était pas encore traduite par l’affirmation d’un réel pilotage régional. Cette situation apparaissait liée au fait que le niveau départemental avait gardé une large autonomie dans la gestion de son budget et de ses ressources humaines ». Voir Inspection générale de l’administration, Rapport n° 10-028-01 relatif à l’évaluation de la régionalisation des budgets opérationnels du programme « administration territoriale », avril 2010, p. 33-34.
  • [57]
    Le Président de la République ajoutait ainsi le 30 juillet 2010 : « alors il y a eu un grand débat pour savoir si un policier pouvait être préfet. Quand on est policier, on a le sens de l’État et le préfet représente l’État. Et je n’ai pas à choisir avec le ministre de l’intérieur les préfets uniquement en fonction de leur rang de sortie dans une grande école de la République mais en fonction de leur expérience, de leur connaissance, de leur capacité humaine et de leur envie de travailler ».
  • [58]
    Ces indéterminations sont bien exposées dans un rapport récent de l’Assemblée nationale : Bouvard (Michel), Brard (Jean-Pierre), Carcenac (Thierry) et Courson (Charles de), LOLF et réformes de l’État : complémentarité ou contradiction ?, Rapport d’information n° 2706, juillet 2010, Commission des finances de l’Assemblée nationale.
Français

Cet article analyse la réforme de l’administration territoriale de l’État (dite RÉATE), menée dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP). D’une ampleur sans précédent depuis la réforme de 1964, la réorganisation affecte aussi bien la division du travail entre les différentes composantes des services déconcentrés que les relations hiérarchiques entre les administrations centrales, régionales et départementales. Marque-t-elle pour autant un véritable tournant réformateur que rien ne laissait présager ou s’inscrit-elle, au contraire, dans la continuité de réformes antérieures ? Cet article propose de faire le départ entre des dynamiques de reproduction institutionnelle et des dynamiques de changement. La thèse défendue est double. L’article montre, d’une part, que la RGPP a constitué un cadre opportun pour relancer et amplifier une réforme de l’administration territoriale déjà engagée depuis 2002. Le processus conflictuel d’élaboration de la nouvelle forme débouche, d’autre part, sur un compromis qui hybride de manière originale l’organisation historique de l’administration territoriale de l’État.

Mots-clés

  • État territorial
  • RÉATE
  • services déconcentrés
  • réforme de l’État
  • RGPP
  • préfets
  • État

Key words

  • Territorial government
  • RÉATE
  • decentralised government services
  • State reform
  • RGPP
  • prefects
  • the State
Philippe Bezes
Chargé de recherche au CNRS, Centre d’études et de recherches de sciences administratives et politiques (CERSA), Université de Paris II
Patrick Le Lidec
Chargé de recherche au CNRS, Centre d’études et de recherches de sciences administratives et politiques (CERSA), Université de Paris II
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 10/04/2011
https://doi.org/10.3917/rfap.136.0919
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Institut national du service public © Institut national du service public. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...