Introduction
1 Au moment du recrutement, le spectre des diverses qualités attendues par les employeurs vis-à-vis des candidats est plus ou moins large : compétences techniques ou comportementales, disponibilité, engagement professionnel, expérience professionnelle, diplôme… de telle sorte qu’il est difficile de démêler, dans cet écheveau, celles qui sont les plus importantes pour le recruteur et celles qui sont déterminantes pour l’embauche du candidat retenu.
2 Le diplôme et l’expérience professionnelle tiennent une grande place dans ces qualités attendues car ils jouent tout à la fois le rôle de signal d’autres qualités recherchées ou constituent en eux-mêmes des critères ou non de recrutement. En s’appuyant sur l’exploitation d’une enquête sur les pratiques de recrutement, réalisée par Pôle emploi, cette étude vise à mieux comprendre les attentes des employeurs vis-à-vis du diplôme et de l’expérience, ainsi que les moyens de sélection du candidat choisi in fine au regard de ces attentes.
3 Dans une situation de recrutement, l’employeur ne connaît pas a priori la qualité des candidats qui se présentent à lui (Bureau, Marchal, 2009 ; Marchal, 2015), de la même manière que sur un marché des biens, les demandeurs éprouvent des difficultés à connaître la qualité des produits qui s’offrent à eux (Akerlof, 1984). La procédure de recrutement est de ce fait une opération complexe dans la mesure où « l’incertitude est propre aux situations de recrutement » (Eymard-Duvernay, Marchal, 1997). Pour juger des qualités des candidats, les recruteurs vont ainsi se fonder sur des signaux (Spence, 1974).
4 La littérature économique a beaucoup insisté sur le rôle du diplôme comme signal majeur de compétences (Spence, Ibid.). Le diplôme est un signal de compétences acquises, mais il dénote aussi une capacité à agencer des ressources pour permettre d’acquérir des nouvelles compétences (Enlart 2014). Il signale également des compétences comportementales, un des cas emblématiques est celui des classes préparatoires où l’intensité du travail va témoigner d’une aptitude à l’effort (Peiffer et Neau, 2018). Au-delà du seul diplôme, c’est l’ensemble du cursus de formation qui constitue un signal à la fois de compétences techniques, mais aussi de garantie des compétences comportementales. Les candidats ayant eu des parcours atypiques avec des interruptions temporaires volontaires pourront ainsi être mal perçus (Albandéa, 2020).
5 Cependant, l’expérience professionnelle est également, selon la théorie du filtre, un signal de compétences. Elle est non seulement un gage de détention de compétences techniques, mais dénote aussi des compétences comportementales (Dubernet, 1996 ; Larré, Béduwé, 2000 ; Vincens, 2001). Cette expérience professionnelle comprend des dimensions multiples ; il peut s’agir de l’expérience professionnelle dans le même métier, mais aussi d’expériences dans un environnement de travail proche qui vont témoigner de la capacité à travailler dans les mêmes conditions de travail (Ben Mezian, 2017), ou encore à respecter les mêmes conventions qui vont régir l’organisation du travail et de la production.
6 Confrontées à l’incertitude sur la qualité des candidats, les entreprises vont opérer, au moment du recrutement, des mises en équivalence entre les critères par lesquels elles définissent le poste de travail et les caractéristiques des individus candidats : cette mise en équivalence nécessite l’instauration de règles et de repères pour évaluer les candidats (Saunier, 1995 ; Eymard-Duvernay, Marchal, op. cit. ; de Larquier, 2016). Ces repères ne vont pas être forcément similaires selon les niveaux de qualification, les métiers ou les entreprises (Saunier, op.cit ; de Larquier, Marchal, 2020a et 2020b). Plus généralement, non seulement pour répondre aux problèmes que pose le recrutement, mais aussi pour définir les qualifications, fixer les salaires et structurer les mobilités professionnelles, les acteurs du marché du travail vont s’appuyer sur des représentations, des coutumes et des règles qui vont guider leur manière d’agir (Rieucau, de Larquier, 2020). Celles-ci fixent et structurent les croyances des agents économiques (Duclos & al., 2018), notamment celles qui ont trait au diplôme et à l’expérience professionnelle.
7 La théorie de la segmentation éclaire la question des critères de sélection des candidats (de Larquier, Rieucau, 2014 ; Rieucau, de Larquier, 2020). Pour recruter des candidats à des postes qui sont des ports d’entrée dans le marché interne du travail (emplois relativement stables régulés par des règles de classification des emplois, de fixation des salaires et de promotion (Doeringer et Piore, 1971)) ou pour des postes relevant des marchés professionnels (mobilités importantes entre entreprises au sein de mêmes métiers, avec des qualifications transférables et reconnues (Mardsen, 1989)), les employeurs vont définir des standards de sélection (diplôme, expérience professionnelle…). Sur les marchés professionnels, il est donc nécessaire qu’existe une offre de travailleurs avec des qualifications normées et certifiées (Vinokur, 1995). Les qualités attendues vont donc fortement dépendre du métier sur lequel porte le recrutement car le segment du marché du travail et les conventions qui vont s’appliquer pour définir ce qu’est un « bon candidat » vont différer selon le métier considéré. Le critère du diplôme a également une importance variable selon la catégorie de l’entreprise recruteuse. Traditionnellement, dans les petites entreprises, le diplôme est moins valorisé que dans les grandes, les premières accordant davantage de poids « au sens pratique » à travers l’expérience professionnelle et la formation informelle (Bentabet & al., 1999).
8 Les enquêtes sur les pratiques de recrutement se focalisent en général sur les canaux et les difficultés de recrutement ; plus rares sont celles qui croisent ces dimensions avec les qualités recherchées pour les postes à pourvoir et les critères de recrutement finalement retenus par les employeurs. Un des principaux apports de l’enquête « Compétences attendues au moment du recrutement » est de comporter des questions sur ces différentes dimensions : canaux et difficultés de recrutement, attentes en matière de diplôme, d’expérience professionnelle et de compétences et critères de sélection du candidat recruté (Chamkhi & al., 2018). Généralement les enquêtes portent soit sur la définition des qualités des candidats idéaux (Dubernet, 1996 ; Lainé, 2018b), soit sur les raisons du choix du candidat retenu (de Larquier, Marchal, op. cit, APEC, 2021 ; Lhommeau, Rémy, 2021), les deux dimensions étant rarement examinées dans la même enquête. L’enquête a cependant comme limite de ne pas comporter d’informations sur les caractéristiques individuelles du candidat recruté (âge, sexe, diplôme…), ce qui ne permet pas de comparer directement les critères d’embauche exprimés par l’employeur avec les attributs réels des personnes recrutées (cf. Encadré 1).
9 Comprendre la place du diplôme et de l’expérience des candidats dans les pratiques de recrutement suppose d’éclairer en quoi ces critères font l’objet d’une attention par les employeurs ou sont au contraire négligés, au regard des spécificités du travail et des emplois, de la représentation du mode d’acquisition de la compétence et des compétences attendues. Ceci nécessite également d’examiner la place du diplôme et de l’expérience dans les critères d’embauche du candidat retenu.
10 Une première partie montrera en quoi les exigences en termes de diplôme et d’expérience sont les produits des représentations du mode d’acquisition de la compétence, de la spécificité du poste de travail et des compétences attendues. Sera présentée dans une seconde partie une typologie de métiers en fonction des attentes des employeurs vis-à-vis du diplôme ou de l’expérience et de leurs opinions sur le mode d’acquisition de la compétence dans ces métiers. Enfin, à l’aune des attentes, une troisième partie sera consacrée aux moyens de sélection, canaux de recrutement et critères de sélection, mis en oeuvre pour le candidat finalement retenu.
1 Diplôme ou expérience ? Les attentes variables des entreprises, selon les contextes professionnels
11 Les attentes des entreprises vis-à-vis du diplôme et de l’expérience professionnelle seront analysées au prisme de leurs représentations du mode d’acquisition de la compétence, de la spécificité du poste à pourvoir, et des compétences recherchées.
1.1 Rôles du diplôme, de l’expérience professionnelle et représentations de la compétence
12 Au moment du recrutement, l’expérience professionnelle dans le métier ou un métier proche est fortement recherchée. Ainsi, 37 % des employeurs la déclarent comme « indispensable » et 52 % la considèrent comme « utile » (cf. Graphique 1). Ces résultats rejoignent ceux d’analyses conduites sur les attentes des recruteurs au début du processus d’embauche : analyses des offres d’emploi en France (Marchal, Torny, 2003), enquête sur les profils recherchés par les employeurs (Dubernet, 1996), envois de CV fictifs de diplômés issus du supérieur à des employeurs (Humburg, Velden, 2014), entretiens menés auprès des employeurs (Rodet, 2017). Avoir travaillé dans un environnement de travail proche (même type d’entreprise ou de structure, mêmes publics, mêmes conditions de travail…) est également mis en avant par les employeurs : 31 % jugent cela « indispensable » et 56 % « utile ».
13 S’agissant du diplôme, 18 % des recruteurs lui accordent une place primordiale (le candidat doit avoir un diplôme spécifique). Un quart des employeurs le considèrent important ; le diplôme est important pour le poste à pourvoir, mais plusieurs profils en termes de niveaux ou de spécialité de formation sont possibles. Enfin, une majorité (57 %) juge qu’il est secondaire, l’important étant l’expérience ou les qualités comportementales. Le diplôme est donc moins considéré que l’expérience professionnelle, ce résultat rejoignant celui de Dubernet (op. cit.). Précisons cependant que la question telle qu’elle est posée ne porte pas sur le niveau de formation pour recruter (on peut imaginer par exemple que l’on considère le diplôme comme secondaire, mais que l’on sélectionne des personnes ayant un niveau minimum ou a contrario que l’on sélectionne sur un diplôme précis correspondant à un niveau de formation peu élevé).
14 Enfin, les préférences pour le diplôme et l’expérience professionnelle ne sont pas antinomiques : l’expérience professionnelle a plus de chances d’être considérée comme indispensable s’il en est de même pour le diplôme.
Graphique 1. L’expérience professionnelle dans le métier, l’expérience dans un environnement de travail proche et le diplôme

Graphique 1. L’expérience professionnelle dans le métier, l’expérience dans un environnement de travail proche et le diplôme
Lecture : pour 37 % des établissements, avoir eu une expérience professionnelle dans le même métier ou un métier proche du poste à pourvoir est indispensable.15 Ces critères de sélection vont prendre plus ou moins d’importance selon les employeurs. On peut définir trois ensembles de déterminants :
- le mode de la représentation, chez les employeurs, de l’acquisition de la compétence ;
- l’espace de qualification du poste de travail à pourvoir : niveau de qualification, spécialité professionnelle, catégorie d’entreprise ;
- les compétences qui sont attendues, qu’il s’agisse de compétences de base, de compétences techniques ou de compétences comportementales.
17 Assez logiquement, le diplôme est davantage mis en avant quand l’employeur considère que la compétence dans le poste de travail est acquise principalement par la formation (cf. Graphique 2). A contrario, son importance diminue lorsque la compétence est jugée s’acquérir sur le tas.
18 L’expérience dans le métier est, selon la même logique, davantage exigée quand la compétence est considérée comme acquise par l’expérience passée. Mais elle est aussi demandée quand la compétence est jugée s’acquérir par les formations suivies avant l’embauche ou dans l’exercice du travail. Ainsi, le poids accordé à l’expérience dans le métier semble d’autant plus important que l’employeur a une vision large des modalités d’acquisition de la compétence, en formulant plusieurs leviers d’acquisition ; de même, l’expérience dans un environnement de travail proche est davantage demandée non seulement quand la compétence est censée s’acquérir par les expériences avant l’embauche, mais aussi par la formation [1].
Graphique 2. Les attentes vis-à-vis du diplôme et de l’expérience professionnelle et la représentation du mode d’acquisition des compétences (logit polytomique ordonné)

Graphique 2. Les attentes vis-à-vis du diplôme et de l’expérience professionnelle et la représentation du mode d’acquisition des compétences (logit polytomique ordonné)
ns : non significatif, les autres modalités sont significatives au seuil de 1 ou 5 %.Méthode : résultats de modèles Logits polytomiques ordonnés ayant comme variable dépendante l’attente vis à vis du diplôme ou l’attente vis-à-vis de l’expérience dans le même métier, ces variables sont ordonnées selon le niveau d’attente des employeurs (cf. Encadré Source et méthodes). Les odds-ratios ou rapports de chance mesurent les effets relatifs des modes d'acquisition des compétences cités par les employeurs.Lecture : lorsque les formations suivies avant l’embauche sont considérées comme un mode principal d’acquisition des compétences, la préférence pour le diplôme est multipliée par 2,8.1.2 Les attentes des employeurs varient selon la qualification, la spécialité professionnelle et le type d’entreprise
19 Les exigences des employeurs peuvent varier avec le niveau de qualification, la spécialité professionnelle et le type d’entreprise recruteuse, non seulement parce que chacun de ces univers implique un contenu du travail spécifique, mais aussi parce que la construction de la qualification par les acteurs économiques, sa certification et la représentation de la compétence y sont différentes.
20 Pour les cadres [2], les exigences portent à la fois sur le diplôme et sur l’expérience professionnelle (cf. Tableau 1) ; ces résultats rejoignent ceux de Dubernet (op. cit.) dans une enquête réalisée sur les profils recherchés par les employeurs. Pour les professions intermédiaires, le critère prégnant est le diplôme, celui-ci ayant pris en effet de l’importance au moment du recrutement à la suite de l’évolution du contenu des emplois et de la transformation de l’offre de formation (Delanoë & al., 2020). Il en est de même pour les employés qualifiés, alors que chez les ouvriers qualifiés, l’expérience professionnelle dans le même métier est davantage demandée que dans ces derniers.
21 Mais la spécialité professionnelle joue un rôle aussi important. Dans les métiers de la santé et de l’action sociale, et ceux de l’aide à domicile et de la petite enfance, le diplôme est mis en avant, car il s’agit pour la plupart d’entre eux de métiers réglementés (sur ce sujet voir également Chamkhi & al., 2020). L’expérience dans un environnement de travail similaire est également très demandée [3] : elle est le gage sans doute de la détention de compétences techniques et de compétences comportementales dans des conditions de travail souvent contraignantes. L’expérience dans le même métier est également fortement requise pour l’aide à domicile et la petite enfance : le fait de prendre en charge des personnes fragiles et, pour l’aide à domicile, le travail chez les particuliers, rendent les employeurs particulièrement exigeants vis-à-vis de l’expérience professionnelle, avec par exemple la demande de références d’anciens employeurs (Demazière, Marchal, 2018).
22 Dans les métiers industriels, diplôme et expérience professionnelle sont attendus ; ces résultats font ainsi écho à ceux de Saunier (op. cit.). Pour les métiers du bâtiment et travaux publics, le diplôme est moins demandé (ces résultats rejoignent ceux de Lainé 2018b) ; en revanche, l’expérience dans le même métier ou dans un environnement de travail proche est mentionnée. Les expériences dans un environnement de travail analogue peuvent signaler des expériences professionnelles dans des conditions de travail contraignantes proches de celles du BTP (Ben Mezian, op. cit.).
23 Dans les métiers du commerce, les exigences sont relativement limitées, sans doute parce que les recruteurs considèrent que les compétences nécessaires ne relèvent pas d’un diplôme ou d’une expérience professionnelle déterminée, mais d’aptitudes individuelles comme les compétences relationnelles.
24 Enfin, dans les plus grands établissements, les attentes sont plus fortes par rapport au diplôme et au fait d’avoir travaillé dans un environnement de travail proche. Ces comportements peuvent être liés à une vision de la compétence et de la qualification plus structurée dans les grands établissements (présence de service RH plus fréquente, existence de grille de classification des emplois) ou encore à une attractivité plus importante des grands établissements sur le marché du travail qui les incite à être plus exigeants. Il se peut également que les recruteurs aient des parcours professionnels différents dans les petits et grands établissements, susceptibles d’influencer les critères de recrutement (Hidri, 2009).
Tableau 1. Les attentes vis-à-vis du diplôme et de l’expérience professionnelle dans un même métier : les relations avec les niveaux de qualification, les spécialités professionnelles, la taille de l’établissement et les compétences attendues
Le diplôme | L’expérience dans le métier | |
odds-ratios | ||
Niveau de qualification | ||
Cadre | 4,40 | 2,98 |
Profession intermédiaire | 3,49 | 1,56 |
Ouvrier qualifié | 1,89 | 1,76 |
Employé qualifié | 3,39 | 1,36 |
Employé ou ouvrier non qualifié | réf. | réf. |
Domaine professionnel | ||
Bâtiment et travaux publics | ns | 1,65 |
Industrie | 1,33 | 1,19* |
Administration, gestion des entreprises | 0,75 | ns |
Commerce | 0,36 | 0,70 |
Santé, action sociale | 4,57 | ns |
Aide à domicile et petite enfance | 3,85 | 2,20 |
Autres domaines | réf. | réf. |
Taille de l’établissement | ||
Moins de 10 salariés | ns | 1,16 |
10 à 49 salariés | réf. | réf. |
50-99 salariés | 1,35 | ns |
100 salariés et plus | 1,52 | ns |
Compétences | ||
Capacité à lire et rédiger des documents : indispensable (versus utile ou superflue) | 1,20 | ns |
Savoir calculer, faire des opérations arithmétiques : indispensable (versus utile ou superflu) | 1,12* | 1,15 |
Maitriser les outils bureautiques et informatiques : indispensable (versus utile ou superflu) | ns | ns |
Connaître ou savoir s’adapter rapidement aux nouvelles techniques dans le métier : indispensable (versus utile ou superflu) | 1,16 | 1,25 |
Les compétences comportementales sont plus importantes que les compétences techniques (versus les deux sont aussi importantes) | 0,73 | 0,55 |
Les compétences techniques sont plus importantes que les compétences comportementales (versus les deux sont aussi importantes) | ns | 1,45 |
Respect des règles et consignes : indispensable (versus utile ou superflu) | ns | ns |
Capacité à communiquer, sens de l’écoute : indispensable (versus utile ou superflue) | ns | ns |
Gestion du stress : indispensable (versus utile ou superflue) | 1,17 | ns |
Capacité à travailler en équipe : indispensable (versus utile ou superflue) | 0,80 | ns |
Capacité d’organisation : indispensable (versus utile ou superflue) | ns | 1,40 |
Réactivité : indispensable (versus utile ou superflue) | ns | 1,20 |
Capacité d’analyse : indispensable (versus utile ou superflue) | 1,32 | 1,20 |
Persévérance : indispensable (versus utile ou superflue) | ns | 1,25 |
Tableau 1. Les attentes vis-à-vis du diplôme et de l’expérience professionnelle dans un même métier : les relations avec les niveaux de qualification, les spécialités professionnelles, la taille de l’établissement et les compétences attendues
* significatif au seuil de 10 %, ns : non significatif, les autres modalités sont significatives au seuil de 1 ou 5 %. Méthode : résultats de modèles Logits polytomiques ordonnés ayant comme variable dépendante l’attente vis à vis du diplôme ou l’attente vis-à-vis de l’expérience dans le même métier. Ces variables sont ordonnées selon le niveau d’attente des employeurs (cf. Encadré Source et méthodes). Les odds-ratios ou rapports de chance mesurent l’effet relatif de chaque modalité par rapport à une modalité de référence.Lecture : lorsque le poste à pourvoir est un poste de cadre, la préférence pour le diplôme est multipliée par 4,44 par rapport à un poste d’employé ou d’ouvrier non qualifié.1.3 L’expérience professionnelle et le diplôme à l’aune des compétences recherchées
25 Les études sur les compétences demandées par les employeurs selon les métiers montrent une relative bonne concordance entre les attentes en matière de compétences et les conditions de travail dans les métiers (Lainé, 2018b). Ces attentes sont-elles susceptibles d’expliquer les préférences des employeurs pour le diplôme ou l’expérience professionnelle ?
26 Des attentes sur les compétences de base que sont la capacité à lire et rédiger des documents écrits renforcent les exigences par rapport au diplôme, qui est un garant de la maîtrise de ces compétences. La numératie (maîtrise de l’arithmétique, capacité à faire des calculs…) a un statut spécifique : lorsqu’elle est considérée comme indispensable, cela va de pair avec des attentes plus marquées à la fois sur l’expérience professionnelle et le diplôme (cf. Tableau 1) [4].
27 Lorsque l’employeur insiste sur les compétences techniques (connaître et s’adapter aux nouvelles techniques dans le métier, ou encore considérer que les compétences techniques sont plus importantes que les compétences comportementales), l’expérience professionnelle est davantage exigée, elle apparaît comme un garant de la maîtrise technique du métier. Le diplôme, gage de connaissance et de capacité d’apprentissage, est également demandé lorsqu’est affirmée la nécessité de connaître ou de s’adapter aux nouvelles techniques. A contrario, lorsque les compétences comportementales sont plus soulignées que les compétences techniques, les exigences sont moindres à la fois pour le diplôme et pour l’expérience professionnelle.
28 Cependant, pour certaines compétences comportementales précises, le diplôme et l’expérience professionnelle peuvent être davantage exigés. Les corrélations les plus marquantes sont celles entre la compétence « capacité d’analyse » et le diplôme, la « capacité d’organisation » et l’expérience dans le métier ou « la persévérance » et l’expérience dans un environnement de travail proche. Ces résultats nous incitent à éviter d’opposer de façon un peu sommaire les compétences dites comportementales et les critères de sélection habituels que sont le diplôme et l’expérience professionnelle. La notion stricte de compétence comportementale peut également être mise en question au regard de ces résultats : la mobilisation de ces compétences implique en effet une certaine technicité, dans un contexte professionnel donné, de telle sorte que la capacité d’analyse est associée au diplôme et la capacité à s’organiser à l’expérience professionnelle dans un métier.
Encadré 1. Source et méthodes
Réalisée en juin 2017 par Pôle emploi, l’enquête vise à mieux comprendre les compétences attendues par les employeurs et leurs pratiques de recrutement. Ont été interrogés 4 850 établissements du secteur privé comprenant au moins un salarié et ayant procédé à au moins un recrutement en CDI ou en CDD (respectivement contrat à durée indéterminée et contrat à durée déterminée) de plus d’un mois entre novembre 2016 et avril 2017. La base de sondage de l’enquête comprend les établissements d’au moins un salarié ayant déposé au moins une Déclaration Préalable à l’Embauche (DPAE) de plus d’un mois, hors intérim, entre novembre 2016 et avril 2017.
La méthode d’échantillonnage retenue est un sondage stratifié sur des groupes de secteurs et tailles d’établissement, avec un échantillonnage plus important pour les secteurs de l’action sociale et du bâtiment. Il est équilibré sur les tailles d’établissement détaillées, les régions, ainsi que sur une variable caractérisant l’intensité et les comportements d’embauche dans l’établissement. La non-réponse totale a été corrigée par repondération avec groupes de réponse homogènes. Un calage sur marge a ensuite été effectué pour assurer la représentativité de l’échantillon selon trois critères : le secteur d’activité, la taille de l’établissement, et une variable composite prenant en compte la fréquence des recrutements effectués par l’établissement et la durabilité des contrats de travail. À partir des libellés de professions et du niveau de qualification, le métier correspondant au dernier recrutement a été codifié en famille professionnelle (nomenclature de la Dares), avec quelques éclatements plus fins pour les professions de l’action sociale.
L’enquête porte sur le dernier recrutement effectué, comme dans l’enquête OFER (Offre d’emploi et recrutement) (Bergeat, Rémy, 2017). Après avoir demandé la profession sur laquelle a porté le dernier recrutement, sont posées des questions du type « Pour recruter un candidat au métier de …, est-ce que l’expérience professionnelle dans le métier (ou telle compétence) est indispensable, utile ou superflue ? ». En complément, des questions sur le canal de recrutement effectif, la pratique de tests, les difficultés de recrutement et les raisons du choix du candidat finalement retenu ont été posées.
Les qualités attendues des candidats telles qu’elles sont mesurées dans l’enquête sont de quatre types :
- - les attentes vis-à-vis du diplôme et de l’expérience professionnelle des candidats ; - les compétences de base attendues dans les domaines de la littératie, du calcul et de l’arithmétique, de l’informatique et de la bureautique ;
- - les compétences comportementales : dix compétences comportementales ont fait l’objet de questions, comme le respect des règles et consignes, la capacité à communiquer et le sens de l’écoute, la capacité à travailler en équipe, la capacité d’adaptation… ;
- - une compétence technique spécifique : la connaissance des nouvelles techniques dans le métier et la capacité à s’y adapter.
Le second apport est d’interroger l’employeur sur des compétences transversales nécessaires ou utiles par rapport au poste de travail à pourvoir, qu’il s’agisse de compétences de base comme la littératie, ou de compétences comportementales, ces dernières prenant une place importante dans la littérature récente sur les compétences (Duru-Bellat, 2015 ; Collard & al., 2015 ; France Stratégie, 2017 ; Lainé, 2018a et 2018b, ; Rey & al., 2021). Une compétence technique fait l’objet également d’une question : la nécessité que le candidat connaisse ou sache s’adapter aux évolutions techniques et aux nouveaux outils propres à son métier. Le fait de poser des questions sur des compétences précises permet d’expliciter la demande de compétences par l’employeur en allant au-delà du discours global sur la nécessité d’avoir des compétences techniques et un « savoir-être ».
Enfin, les principaux modes d’acquisition de la compétence tels que l’employeur se les représente font également l’objet d’une question, ce qui permet d’objectiver la représentation de la compétence par l’employeur. D’autres enquêtes cherchent à identifier les critères de sélection des candidats par les employeurs par le biais de « vignettes » c’est-à-dire la soumission à des employeurs de CV fictifs (Di Stasio, 2014 ; Albandéa, op. cit.), ou de profils de compétences fictifs (Humburg, Van der Velden, op. cit.), ou encore d’éléments de scolarité fictive (Protsch, Solga, 2015). Le classement par l’employeur des différents candidats va permettre ensuite, à travers des méthodes économétriques, de révéler les préférences des employeurs, comme par exemple celles pour le diplôme, l’expérience professionnelle ou d’autres caractéristiques. Une autre méthode est celle du testing, qui consiste à envoyer des CV de candidats fictifs à des offres d’emploi réelles, puis d’analyser les préférences des employeurs à travers les cas où les candidats sont contactés par l’employeur. Le testing a permis ainsi de montrer le poids de l’expérience professionnelle et du diplôme dans les critères de recrutement chez les jeunes (Hervelin & al., 2020), ou souligne que ces variables ont un impact différent selon le métier sur lequel porte le recrutement (Firquet, 2019).
La typologie des métiers
La typologie des 60 métiers retenus (ceux avec un nombre d’observations suffisant), s’appuie sur deux types d’informations. D’une part, la représentation de la compétence pour les employeurs : s’apprend-t-elle par l’exercice au travail (oui/non), la formation avant l’embauche (oui/non), l’expérience avant l’embauche (oui/non). D’autre part, les niveaux d’exigence par rapport au diplôme (essentiel, important, secondaire), le fait d’avoir exercé une activité dans un environnement du travail proche (indispensable, utile, superflu), et le fait d’avoir eu une expérience professionnelle dans le même métier ou dans un métier proche (indispensable, utile, superflu). Le premier axe factoriel (38 % de l’inertie) oppose les employeurs mettant l’accent sur l’expérience professionnelle (indispensable) à ceux pour lesquels ce critère est superflu. Le deuxième axe (25 % de l’inertie) oppose les métiers pour lesquels le diplôme est exigé (essentiel) et la formation avant l’embauche avancée comme moyen d’acquisition de la compétence à ceux pour lesquels le diplôme est secondaire et la compétence acquise par le travail. Enfin, le troisième axe (13 % de l’inertie) met en évidence les métiers pour lesquels le diplôme et le fait d’avoir travaillé dans un environnement de travail similaire sont considérés comme importants.
Afin de conserver le maximum d’inertie issue de l’ACP, tout en constituant des groupes homogènes, les coordonnées des trois premiers axes factoriels (77 % de l’inertie) ont été ensuite combinées dans une Classification Ascendante Hiérarchique (CAH) avec consolidation pour aboutir à six groupes de métiers.
Les modèles logits polytomiques ordonnés
Des modèles logits polytomiques ordonnés sont mobilisés pour mesurer l’influence de variables sur les attentes vis-à-vis du diplôme et de l’expérience, celles-ci sont ordonnées selon le niveau d’attente des employeurs. Des valeurs différentes sont attribuées aux variables dépendantes que sont la préférence pour le diplôme ou pour l’expérience, en fonction des modalités de réponses : 0 lorsque le diplôme est considéré comme secondaire, ou l’expérience superflue, 1 si le diplôme est jugé important ou l’expérience utile, 2 si le diplôme est essentiel ou l’expérience indispensable. Ces modèles sont tous pondérés et normalisés (la somme de ces poids étant égale aux nombres d’observations).
2 Une typologie des métiers selon les attentes des entreprises et leur vision de la compétence
29 Nous partons de l’hypothèse que le métier constitue un élément déterminant des pratiques de recrutement, notamment en termes de diplôme et d’expérience professionnelle exigés et de perception de l’acquisition de la compétence. Une typologie s’appuyant sur les attentes des employeurs et leur vision de la compétence par métiers a donc tout son intérêt pour mettre en évidence des pratiques de recrutement différentes selon les métiers. Ainsi, six groupes de métiers peuvent être identifiés (cf. Encadré 1 et Annexe électronique 1). À l’aune des indicateurs de tension et d’éclairage de ces tensions produits par la Dares et Pôle emploi (Niang, Vroylandt, 2020), on montre que les groupes identifiés se caractérisent par des formes de gestion de la main-d’œuvre et des modes de fonctionnement du marché du travail spécifiques.
2.1 La typologie : six groupes de métiers
2.1.1 Des métiers avec une forte demande d’expérience professionnelle (groupe 1)
30 Ce groupe réunit des professions pour lesquelles l’expérience professionnelle est plus souvent exigée et considérée comme essentielle pour acquérir des compétences. Plus de la moitié des employeurs jugent l’expérience dans le métier indispensable (55 % contre 37 % en moyenne, cf. Graphique 3), de même que le fait d’avoir exercé dans un environnement de travail proche (47 % contre 31 % en moyenne). Les employeurs sont aussi plus nombreux à considérer que l’acquisition des compétences repose sur une expérience préalable (61 % contre 51 % en moyenne).
31 Nombre de métiers demandant un savoir-faire à caractère artisanal sont ici représentés (maçons, charpentiers, couvreurs, plombiers, cuisiniers, etc.), ainsi que les cadres commerciaux, les professionnels des arts et des spectacles et les ingénieurs de l’informatique (cf. Annexe 1 en version électronique de l’article).
32 Ces métiers s’apparentent tous à des « métiers de marché professionnel » pour lesquels les compétences qui sont très demandées sur le marché du travail s’acquièrent avant tout par l’expérience et la mobilité entre entreprises. Les cadres, les ouvriers qualifiés et les petits établissements sont surreprésentés, de même que le domaine professionnel du bâtiment et des travaux publics (cf. Tableau 2).
2.1.2 Des métiers avec une forte exigence de l’expérience et du diplôme (groupe 2)
33 Ici, l’expérience et le diplôme sont conjointement demandés. Près des deux tiers des employeurs jugent essentiel ou important le diplôme (66 % contre 43 % en moyenne). L’expérience dans le même métier est également regardée de près (45 % des recruteurs la jugent indispensable, contre 37 % en moyenne). De façon cohérente, les compétences sont jugées s’acquérir principalement par les formations suivies avant l’embauche (36 %, contre 26 % en moyenne), ou par les expériences passées (59 % contre 51 %).
34 Il s’agit le plus souvent de métiers qualifiés demandant un haut niveau d’expertise technique (ingénieurs, cadres des services administratifs, comptables et financiers), ou bien de l’expérience et un savoir-faire (conducteurs routiers, bouchers, charcutiers, boulangers), ou encore des métiers qui impliquent la prise en charge de personnes fragiles ou de mineurs (assistantes maternelles et auxiliaires de petite enfance, éducateurs spécialisés, professionnels de l’animation socioculturelle). Les cadres et professions intermédiaires y sont davantage représentés, ainsi que les établissements employeurs de plus de 50 salariés.
2.1.3 Des métiers où l’accès à l’embauche est principalement régulé par le diplôme (groupe 3)
35 Le diplôme est jugé ici indispensable par 79 % des employeurs (contre 18 % en moyenne), et les formations suivies avant l’embauche sont logiquement mentionnées comme moyen majeur d’acquisition des compétences (52 % contre 26 % dans l’ensemble des métiers). Ce groupe rassemble des professions réglementées de la santé, où les recrutements sont plutôt des ports d’entrée à des marchés internes, auxquelles s’ajoutent les agents de gardiennage et de sécurité et les « autres conducteurs » (conducteurs de transports en commun, conducteurs de voitures particulières) qui se distinguent par l’importance accordée par les employeurs à l’apprentissage sur le « tas ». Le domaine professionnel de la santé, action sociale, culturelle et sportive est surreprésenté, de même que les établissements de plus de 50 salariés.
2.1.4 Des métiers où l’exigence de diplômes est moins prégnante : l’acquisition des compétences passe d’abord par une expérience préalable (groupe 4)
36 Le diplôme n’est jugé essentiel que pour moins d’un employeur sur dix. En revanche, l’utilité de l’expérience est affirmée (58 % contre 42 %). Sont concernés des métiers assez divers comme les ouvriers qualifiés de l’industrie, hors domaine de la mécanique, ceux de la maintenance et de la manutention, les techniciens et agents de maîtrise de la maintenance, les employés et techniciens des transports et du tourisme, les secrétaires, les employés et agents de maîtrise de l’hôtellerie-restauration, les aides à domicile et les professionnels de la communication et de l’information.
2.1.5 Des métiers moins exigeants au moment du recrutement (groupe 5)
37 Le diplôme est moins souvent exigé (7 % des employeurs le jugent essentiel) ; il en est de même de l’expérience professionnelle dans le même métier (27 %, contre 37 % en moyenne) ou dans un environnement de travail proche. En contrepoint, les employeurs estiment un peu plus souvent que les compétences s’acquièrent « sur le tas » (54 %, contre 50 % en moyenne).
38 Sont concernés les ouvriers agricoles, les ouvriers non qualifiés du bâtiment ou de la mécanique, des métiers commerciaux (attachés commerciaux et autres vendeurs), et les agents d’entretien de locaux. On y trouve davantage de recrutements relevant du domaine professionnel du commerce.
2.1.6 Une acquisition des compétences qui passe d’abord par l’apprentissage « sur le tas » (groupe 6)
39 Le diplôme est ici facultatif pour les employeurs (83 %, contre 57 % en moyenne). Le manque d’expérience professionnelle ne constitue pas un frein à l’embauche (29 % la jugent superflue, contre 11 % en moyenne). L’accent est mis sur le rôle de l’apprentissage « sur le tas » comme principal levier d’acquisition des compétences (deux employeurs sur trois contre la moitié en moyenne).
40 Ce groupe comprend les ouvriers non qualifiés de la manutention, les ouvriers non qualifiés industriels hors domaine de la mécanique, les conducteurs et livreurs sur courte distance, et les caissiers, employés de libre-service. Ouvriers et employés non qualifiés sont surreprésentés, au même titre que les établissements de moins de 20 salariés et le secteur du commerce.
Graphique 3. Les groupes de métiers selon les attentes vis-à-vis du diplôme et de l’expérience professionnelle et les représentations de l’acquisition de la compétence

Graphique 3. Les groupes de métiers selon les attentes vis-à-vis du diplôme et de l’expérience professionnelle et les représentations de l’acquisition de la compétence
Lecture : 79 % des établissements recruteurs appartenant au groupe 3 jugent essentiel le diplôme. La surface grise représente les moyennes générales. L’échelle des radars correspond au minimum et maximum de chaque modalité. Par exemple, le maximum et le minimum « Expérience dans un environnement de travail similaire indispensable » sont respectivement de 47 % (groupe 1) et 14 % (groupe 6), la moyenne étant de 31 %. Le groupe 1 a donc la valeur maximale de l’échelle, tandis que le groupe 6 qui détient la valeur la plus basse (14 %) sera affiché à la valeur minimale de l’échelle. Ce choix permet la comparaison des variables sur une même échelle.2.2 Les groupes de métiers à l’aune de la relation formation-emploi, de la gestion de la main-d’oeuvre et des tensions sur le marché du travail
41 Au regard de la relation formation-emploi (lien entre spécialité de formation et métier), des flux d’embauche, de la main-d’œuvre disponible et des tensions sur le marché du travail, les différents groupes de métiers identifiés correspondent à des marchés du travail différents.
42 Les métiers pour lesquels une expérience professionnelle est exigée (groupe 1) ont les attributs d’un marché professionnel avec un fort lien formation-emploi [5], et une mobilité conséquente (flux d’embauche importants). La tension médiane est élevée, révélant que les salariés sont en général en position avantageuse sur le marché du travail. Seuls font exception les professionnels des arts et spectacles qui constituent un marché professionnel singulier avec nombre d’emplois précaires.
43 Dans les métiers où expérience et diplôme sont conjointement demandés (groupe 2), la tension médiane est importante, mais cependant d’une ampleur moindre que pour le groupe précédent. Les indicateurs de relation formation-emploi, de non-disponibilité de la main-d’œuvre et d’intensité d’embauches ont de même des valeurs médianes en retrait.
44 Lorsque l’embauche est principalement régulée par le diplôme (groupe 3), le lien formation-emploi est logiquement plus fort. Les conditions de travail sont relativement contraignantes, le nombre de demandeurs d’emploi est relativement faible par rapport au nombre d’emplois salariés disponibles. Le niveau de la tension est ici proche de celui de l’ensemble des métiers.
45 Dans les métiers pour lesquels le diplôme est moins essentiel, mais où une expérience préalable est davantage requise que dans l’ensemble des métiers (groupe 4), la tension médiane est plus faible. Enfin, les métiers pour lesquels les exigences en termes de diplôme et d’expériences sont moindres (groupe 5) ou pour lesquels les compétences s’acquièrent essentiellement « sur le tas » (groupe 6) ont les attributs du segment secondaire du marché du travail : le lien formation-emploi est ténu, les conditions de travail sont contraignantes, les contrats de travail ont un caractère précaire, les flux d’embauches sont élevés, dénotant du turnover, la main-d’œuvre disponible est excédentaire.
Tableau 2. Les groupes de métiers selon le niveau de qualification, la taille de l’établissement et le domaine professionnel

Tableau 2. Les groupes de métiers selon le niveau de qualification, la taille de l’établissement et le domaine professionnel
Lecture : Le groupe 1 représente 21,7 % des recrutements. Dans ce groupe, 64,3 % des recrutements ont concerné des ouvriers qualifiés.3 Une procédure de recrutement visant à sélectionner les qualités recherchées
46 Dans quelle mesure la procédure de recrutement est-elle liée aux attentes des employeurs par rapport au diplôme et à l’expérience professionnelle ? Le recrutement sera analysé à travers le canal de recrutement effectif et les critères de sélection appliqués au candidat retenu.
3.1 Le canal de recrutement
47 Le recrutement par le biais des relations professionnelles ou personnelles est plus fréquent lorsque l’expérience professionnelle est exigée (cf. Tableau 3). Le candidat choisi est également plus souvent connu du recruteur. Ces résultats font écho aux analyses des pratiques de recrutement sur les marchés professionnels : la recherche de personnes expérimentées conduit à s’appuyer sur les relations et les recommandations des pairs qui vont ainsi être garants des compétences professionnelles dans le métier exercé (de Larquier et Rieucau, op. cit. ; de Larquier, 2016).
48 Le recrutement par le biais de Pôle emploi ou via des annonces s’affirme davantage dans les métiers dont l'accès présuppose un diplôme précis. Ces canaux se prêtent en effet à une information standardisée et formalisée comme le diplôme (de Larquier et Rieucau ; de Larquier, op. cit.).
49 Lorsque la compétence est censée s’acquérir sur le tas, le recrutement s’opère davantage par les candidatures spontanées, celles-ci suffisent en effet à témoigner de la motivation des candidats à travailler dans l’entreprise, pour un poste qui ne nécessite pas de compétences ou de diplôme spécifiques selon l’employeur.
Tableau 3. Les canaux de recrutement

Tableau 3. Les canaux de recrutement
Les valeurs surlignées correspondent à des valeurs supérieures de 10 % à celles de l’ensemble des métiers.Lecture : pour 38 % des établissements du groupe 1, le recrutement s’est opéré par le biais des relations personnelles ou professionnelles.3.2 Les critères de sélection du candidat finalement retenu
50 Il était demandé aux employeurs de citer les deux principaux critères ayant présidé au choix du candidat finalement retenu. Sept items étaient proposés : expérience professionnelle dans un poste similaire, variété des expériences professionnelles, diplôme, compétences comportementales, capacité d’adaptation, adhésion aux valeurs de l’entreprise et au contenu du travail, choix par défaut par manque de candidats.
51 Le critère le plus cité est l’expérience professionnelle dans un poste similaire, ce résultat est conforme à ceux de de Larquier et Marchal (op. cit.) et Lhommeau et Rémy (2021) sur les critères d’embauche, l’expérience professionnelle faisant partie des critères les plus cités. Viennent ensuite les compétences comportementales, critère également fréquemment mentionné dans l’enquête OFER sous des vocables divers (savoir-être, personnalité, présentation…) ou dans les enquêtes de l’APEC sur les cadres (APEC 2020 et 2021). Comme dans l’enquête OFER, le diplôme est peu cité : il sert donc à filtrer les candidatures en amont puisqu’il occupe une place importante dans les attentes des employeurs, mais est un critère moins fréquent pour choisir la personne recrutée in fine.
52 L’expérience professionnelle dans un poste similaire et la variété des expériences sont davantage mentionnées dans les métiers demandant une forte expérience professionnelle (groupe 1, cf. Tableau 4). Mais dans les métiers principalement régulés par l’obtention d’un diplôme (groupe 3), l’expérience professionnelle dans le même métier ressort également comme le critère le plus cité, même si le diplôme tient une place plus importante que dans les autres groupes. Quand la compétence est censée s’acquérir davantage sur le tas (groupes 5 et 6), les recruteurs citent moins, assez logiquement, l’expérience professionnelle et le diplôme, au profit des compétences comportementales et de la capacité d’adaptation du candidat ou de son adhésion aux valeurs de l’entreprise ou au contenu du travail ; ces compétences étant le garant d’un bon apprentissage du travail sur le tas, pour des emplois aux conditions de travail souvent contraignantes. Mais l’adhésion aux valeurs de l’entreprise ou au contenu du travail est également davantage mentionnée dans le groupe 1, preuve qu’il s’agit de métiers à forte identité professionnelle.
Tableau 4. Les raisons du choix du candidat retenu

Tableau 4. Les raisons du choix du candidat retenu
Méthode : raisons (au maximum deux raisons pour le dernier recrutement) ayant conduit au choix final du candidat, selon l’employeur. Les valeurs surlignées correspondent à des valeurs supérieures de 10 % à celles de l’ensemble des métiers.Lecture : pour 53 % des établissements du groupe 1, l’expérience de travail dans un poste similaire fait partie des principales raisons du choix de la personne recrutée.Conclusion
53 Cet article éclaire les pratiques de recrutement des employeurs en centrant l’analyse sur leurs attentes vis-à-vis du diplôme et de l’expérience professionnelle. Les multiples déterminants de ces attentes sont mis en évidence, qu’il s’agisse de la perception qu’ont les employeurs du mode d’acquisition de la compétence, de la spécificité professionnelle du poste à pourvoir ou des compétences attendues. Selon le type de compétence recherchée, la demande va porter sur le diplôme ou l’expérience ou les deux conjointement. La diversité des métiers est également mise en exergue, au prisme des exigences pour le diplôme ou l’expérience et de la représentation de l’acquisition de la compétence. Enfin, à l’aune de ces préférences et représentations, sont mis en relief les moyens mobilisés pour réaliser le recrutement (canaux de recrutement et critères de sélection du candidat choisi in fine).
54 Les attentes vis-à-vis du diplôme et de l’expérience professionnelle apparaissent dépendantes à la fois des niveaux de qualification, des domaines professionnels, des catégories d’entreprise et des compétences requises. Ainsi, les conventions régissant les différents marchés du travail des métiers et des entreprises contribuent à façonner les préférences des employeurs, mais le diplôme et l’expérience apparaissent aussi comme des signaux des compétences demandées (compétences comportementales ou techniques, compétences de base). La typologie réalisée dessine plusieurs types de métiers dans un marché du travail segmenté où plusieurs éléments entrent en jeu dans le processus de recrutement : rôle régulateur du diplôme, structuration du métier comme marché professionnel, mode de construction de la compétence. Dans cette typologie, le diplôme et l’expérience professionnelle apparaissent non seulement comme des signaux, mais aussi comme éléments de régulation du marché du travail des métiers.
55 Au moment du recrutement, les entreprises activent plusieurs dispositifs pour mettre en équivalence leurs préférences et les caractéristiques des candidats. Ainsi, le canal de recrutement va permettre d’avoir accès plus facilement à certaines catégories de main-d’œuvre ou de s’assurer de leurs qualités. Les critères ayant présidé au choix du candidat retenu vont dépendre des préférences initiales des employeurs pour le diplôme et l’expérience, mais aussi du processus d’ajustement avec les candidatures qui se présentent, par exemple en cas de difficultés de recrutement. Le diplôme joue un rôle plus limité dans les critères d’embauche du candidat retenu par rapport aux attentes initiales et semble jouer un rôle de filtre des candidatures. Le processus n’est cependant certainement pas linéaire et le déroulement du recrutement a en retour un effet sur la représentation du diplôme, de l’expérience et de la compétence pour le recruteur. Il resterait à savoir si certaines compétences attendues peuvent influencer ces critères de sélection finaux. Pour gagner en compréhension du processus de recrutement, il serait intéressant de mettre en regard les pratiques de recrutement identifiées avec les profils des personnes recrutées.
Annexe 1 : Métiers / groupements de métiers issus de la typologie

Annexe 1 : Métiers / groupements de métiers issus de la typologie
Méthode : classification hiérarchique ascendante (CAH) avec consolidation, réalisée sur les coordonnées des métiers sur les trois premiers axes factoriels d’une ACP sur les attentes des employeurs vis-à-vis du diplôme et de l’expérience et leurs opinions sur la façon dont la compétence est acquise.Annexe 2 : Influence des groupes de métiers, de la taille de l’établissement, du type de contrat et des difficultés de recrutement sur les raisons du choix du candidat retenu (odds-ratios du modèle logit)

Annexe 2 : Influence des groupes de métiers, de la taille de l’établissement, du type de contrat et des difficultés de recrutement sur les raisons du choix du candidat retenu (odds-ratios du modèle logit)
*** significatif au seuil de 1 %, ** significatif au seuil de 5 %, * significatif au seuil de 10 %, ns : non significatif, réf : modalité de référence. Méthode : résultats de modèles Logit. Les odds-ratios ou rapports de chance mesurent pour chaque variable explicative l’effet relatif de chaque modalité par rapport à la modalité de référence. Le choix par défaut correspond à un choix par défaut faute de candidats. Lecture : Dans les établissements de 100 salariés et plus, la chance que l’expérience professionnelle dans un poste similaire soit citée comme raison du choix du candidat choisi au final est multipliée par 1,30 par rapport à un établissement de 10 à 49 salariés.Notes
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[1]
Les résultats, proches de ceux de l’expérience professionnelle dans le même métier, sont disponibles auprès des auteurs.
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[2]
Le niveau de qualification est défini ici par niveau de qualification dominant de chaque famille professionnelle.
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[3]
Les résultats sont disponibles auprès des auteurs.
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[4]
Une analyse conduite sur la seule population des cadres montre une corrélation plus forte entre les attentes en matière de numératie et de diplôme. Chez les cadres également, les exigences de compétences en bureautique et informatique vont de pair avec des attentes plus fortes vis-à-vis du diplôme.
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[5]
Pour chaque groupe sont calculés les médianes de l’indicateur de tension et des indicateurs d’éclairage des tensions produits par Pôle emploi et la Dares (Niang et Vroylandt, op. cit.). Les médianes ont été préférées aux moyennes car elles sont moins sensibles aux valeurs extrêmes. Les résultats sont disponibles auprès des auteurs.