À la fin du mois de septembre 2022, Vladimir Poutine a décrété une mobilisation « partielle » afin d’augmenter les effectifs de l’armée russe. Cela touche une population plus large que le précédent recrutement qui affectait surtout des populations périphériques. Cela a-t-il changé la donne par rapport au soutien de la population russe à l’égard de l’« opération militaire spéciale » en Ukraine ?Anna Colin Lebedev :  Quand la mobilisation a été décrétée, il s’agissait pour moi de la pire des décisions que le Kremlin pouvait prendre s’il souhaitait garder une légitimité aux yeux de la population. Mon analyse était qu’un fondement fort du soutien des Russes au pouvoir reposait sur la possibilité pour eux de se tenir à l’écart de l’État. Cela représentait aussi la possibilité de s’enrichir et d’envisager une vie qui leur semblait correcte et acceptable, des lendemains prévisibles pour eux et leurs enfants. À mes yeux, ce soutien ne signifiait absolument pas l’adhésion à des valeurs altruistes de sacrifice pour la patrie. La base du contrat social, pour moi, était que les Russes continuaient à approuver ouvertement, sans trop se poser de questions, toute politique que l’État leur demanderait de soutenir, à partir du moment où celui-ci les laissait vivre leur vie. Ce que je maintiens dans mon analyse d’alors, c’est que c’est véritablement une mise à l’épreuve pour le pouvoir, plus qu’aucune autre politique ne l’a été jusqu’à maintenant. Même la très contestée réforme des retraites ou la gestion problématique de la pandémie de Covid-19 n’ont pas autant affecté le soutien au pouvoir…