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C’est un cantique de Noël qu’on chante comme une rengaine. On l’entend encore chanter aujourd’hui dans les églises par des voix chevrotantes mais vaillantes, oscillant entre la nostalgie et l’espérance, entre ce qu’on pourrait croire être une éprouvante niaiserie et l’audace d’une attente. « Il est né le divin enfant… jour de joie aujourd’hui sur terre. » Comment oser, sans se payer de mots, chanter cela à l’heure de la transition écologique et sociale ? Peut-on chanter la joie quand c’est la catastrophe qui triomphe ? Que peuvent nos espérances dans le gris de nos désespérances ? On peut espérer sans le facile aveuglement d’un optimisme qui veut « positiver », si l’on entend, en même temps, un autre chant des hommes. En voici un : « C’est pas la joie… au niveau de la pollution, au niveau de la consommation, au niveau de l’embarras de Paris, etc. » C’est ce que chantait Henri Salvador en 1971. S’il est un jour de joie d’être terrestre, il ne peut être légitime qu’après la traversée d’un désespoir surmonté. Sachant l’effroi, l’effondrement et les catastrophes, un jour de joie aujourd’hui sur Terre – « Aujourd’hui sur Terre ! » – invite à s’en-terrestrer. Espérer, c’est laisser le temps s’ouvrir à d’autres possibles. C’est, sachant ce qui est clos, ce qui est sans avenir, écrasé, ne pas se laisser enfermer mais oser l’à venir.
Et si, dans ces premiers jours de l’année, non pas comme un vœu pieux, mais dans l’audace de regarder ce qui point, nous soulevions la nappe brumeuse et désordonnée du monde comme il va …
Auteur

Philosophe, Université de Bourgogne, directeur de la chaire « Valeurs du soin ».
- Mis en ligne sur Cairn.info le 28/12/2022
- https://doi.org/10.3917/etu.4300.0069

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