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C’est l’été. Avec lui, viennent, dans un rythme plus vaste que nous, le reflux des plannings aux mornes teintes et la riche pluralité du calendrier des fruits. Nous cueillerons, aux abords de l’été, ayant presque oublié les juteuses cerises, les délicates framboises, les explosives fraises. Nous égrènerons les joyeuses acidités des perles de groseille et, de l’autre côté de l’estival, les mûres et les fruits qui nous mèneront à l’automne. L’été, les urbains que nous sommes devenus se font, pour quelques jours, chasseurs-cueilleurs. Ils retrouvent d’antiques gestes humains à la mémoire d’outre-temps. Ceux d’une entente heureuse entre les humains et la nature. Susciteront-ils le désir de faire soi-même, d’accommoder les fruits de sa cueillette, d’oser les confitures ou de se lancer dans l’aventure risquée de pétrir son pain, installant d’autres rythmes ?
On résume parfois l’Odyssée d’Ulysse comme celle d’un voyageur qui, dans le labyrinthe des errances le ramenant à sa maison, apprit à troquer la rame du navigateur pour la pelle à grain du meunier et du boulanger. Entretemps, il reconnut ses compagnons d’infortune à ce qu’ils étaient ceux avec lesquels il partagea le pain, des cum-panis (« pain » en latin). Le marin au long cours se souvenait de son ancrage terrestre, se reconnaissait dans le pain partagé, conçu comme dans un mémorial. Nous vivons aujourd’hui de nouvelles errances qui attendent de nouvelles promesses. Errance du business, loin d’un doux commerce, qui ose et s’ingénie à présenter comme un souci des plus modestes, une responsabilité sociale, une mesure en faveur du « pouvoir d’achat », la mise sur le marché d’une baguette de pain à vingt-cinq centimes…
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- Mis en ligne sur Cairn.info le 31/05/2022
- https://doi.org/10.3917/etu.4294.0065

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