Comment ce thème de l’identité s’est-il imposé comme un nouveau paradigme politique, présent à gauche comme à droite de l’échiquier politique français ?Nathalie Heinich :  Ce croisement entre un prisme politique défini en termes de « domination » et un prisme politique défini en termes d’« identité » est nouveau, et c’est de lui d’ailleurs que relève pour l’essentiel le mouvement dit « woke », venu des États-Unis et qui n’a traversé l’Atlantique que très récemment. Être « éveillé » aux discriminations liées à l’appartenance à une « communauté » à laquelle on s’identifie (de sexe, de race, d’orientation sexuelle, etc.), c’est, si l’on peut dire, la nouvelle donne progressiste, en laquelle se reconnaissent beaucoup de jeunes. Auparavant, plutôt que le lexique de la « domination » hérité de la sociologie bourdieusienne, on utilisait plutôt celui de l’« exploitation », des « inégalités » ou de l’« aliénation », hérité du marxisme. Et si le sexisme, le racisme ou l’homophobie étaient dénoncés, c’était au nom de la revendication universaliste d’égalité des droits par la suspension des différences, plutôt qu’au nom de l’affirmation des appartenances identitaires définies en termes de communautés – une affirmation typique de la culture politique communautariste ou du moins multiculturaliste qui prévaut dans les pays anglo-saxons.
Or, si la focalisation sur la lutte contre les inégalités fait classiquement partie de la culture de gauche, en revanche, le prisme identitaire se déploie sur l’ensemble du spectre politique…