Article
Qu’un humain veuille vivre sobrement, dans un art d’être soi mesuré en vue d’une vie bonne et ajustée, on peut le comprendre. Car, sous nos latitudes dopées à l’envie et à la pulsion de consommation, la frontière se dilue entre soi et image consumée de soi. Un immense centre commercial, près de chez moi, annonce en gros, à l’entrée de ses surfaces de vente illuminées à outrance, ignorant la coopération du soleil, et climatisées jusqu’à nous faire oublier ce qui nous rend vivant dans la rugosité des frimas : « Toison d’or. Vivez l’Addict experience. » Le sobre fait ici figure de rabat-joie. Pourtant, le même centre présente pour le plus grand plaisir des consommateurs un SUV (Sport Utility Vehicule) « sobre » en carburant. Cette sorte de ruminant fonctionnant au pétrole n’activerait-il pas un renversement, sinon un sophisme, inquiétant ?
La sobriété, catégorie éthique, concerne la vie bonne pour soi, relative à la tempérance dans l’usage des plaisirs. Cette pratique de la modération et de la mesure dans des exercices de soi tempère la démesure des passions : « Le Macédonien Alexandre est pauvre encore : il cherche encore à conquérir ; il fouille des mers inconnues, il lance les premières flottes qu’ait vues l’Océan ; il a forcé – faut-il le dire ? – les barrières du monde. Ce qui suffit à la nature ne suffit pas à un mortel. Il s’en trouve un qui désire toujours après qu’il a tout. […] En veux-tu savoir la cause ? C’est que, plus on a, plus il devient aisé d’avoir encore.» Mais peut-on en faire, sous l’effet des contraintes des guerres mais aussi des raréfactions des ressources naturelles, une catégorie politique …
Auteur

Philosophe, Université de Bourgogne, directeur de la chaire « Valeurs du soin ».
- Mis en ligne sur Cairn.info le 30/11/2022
- https://doi.org/10.3917/etu.4299.0067

Veuillez patienter...