La Grande magie, d’Eduardo De Filippo. Texte traduit de l’italien par Huguette Hatem. Mise en scène de Dan Jemmett. Comédie-Française, du 19 septembre au 19 décembre
1Un hôtel en bord de mer égayé de guirlandes lumineuses, rires des clients, ambiance festive : lors de la scène d’exposition, rien ne laisse présager le drame qui va s’abattre sur scène. Rien ou presque… L’arrivée de Calogero Di Spelta, mari rongé par la jalousie envers sa femme Marta, puis l’entrée en scène de l’illusionniste Otto Marvuglia confèrent soudain au spectacle une note troublante qui s’accentuera au fil des actes. Durant un numéro de prestidigitation, Otto Marvuglia fait disparaître Marta afin qu’elle puisse retrouver son amant. Alors que l’absence de Marta ne devait durer qu’un instant, elle se prolonge quatre années durant. Calogero, en proie au désespoir, exige que sa femme réapparaisse : le magicien lui donne une petite boîte censée renfermer sa femme, qu’il ne pourra ouvrir que s’il a foi en sa fidélité. Peu à peu, Calogero se laisse bercer par cette illusion qui lui permet d’occulter la médiocrité du monde quotidien.
2Dan Jemmett s’est emparé de cette comédie avec une grande maîtrise. Il a fait preuve d’innovation en ajoutant au texte originel de courtes scènes qui font parfois basculer le spectacle dans le burlesque : ainsi les membres de la famille de Calogero sont-ils davantage traités comme des « types » (l’avare en particulier). Il se distingue donc d’Eduardo De Filippo, metteur en scène, qui teintait ses comédies d’un comique qui ne passe point par la dérision mais par l’amour des personnages. Par ailleurs, Dan Jemmett signe ici une mise en scène au rythme dense et à la direction d’acteurs remarquable. Il réussit à faire ressortir le caractère choral de la pièce tout en donnant une place importante à la sensibilité de Denis Podalydès (Calogero Di Spelta) et à la puissance de jeu d’Hervé Pierre qui incarne un Otto Marvuglia inquiétant voire terrifiant. La mise en espace rend le monologue final de Calogero particulièrement poignant : elle souligne parfaitement la vulnérabilité de Calogero qui refuse finalement la réalité et sombre dans la folie. Enfin, Dick Bird a conçu une scénographie intelligente qui met en évidence le théâtre dans le théâtre, nous dévoilant, dès les premiers instants, située devant le rideau de scène, la loge du magicien qui se prépare au spectacle : elle renforce l’idée selon laquelle la vie n’est qu’une illusion et révèle ainsi toute la profondeur de la comédie.
3Célia Bussi
Mirandolina, Opéra comique en trois actes de Bohuslav Martin? (1954). Mise en scène : Stephen Taylor. Direction musicale : Marius Stieghorst. Orchestre Ostinato. Représentation du 26 juin 2010 à la Maison de la culture (MC93) de Bobigny. A lire : Paul Morand, Venises, Imaginaire Gallimard
4Le compositeur tchèque Bohuslav Martin? (1901-1959) est à l’honneur, depuis qu’en 2002, l’Opéra de Paris a inscrit à son répertoire Juliette ou la clé des songes.
5Son opéra de chambre, Mirandolina, adapté de La Locandiera de Goldoni (1753), a été représenté pour la première fois en France, fin juin 2010 à la MC 93. Cette belle production de l’Atelier lyrique de l’Opéra national de Paris fut donc un événement de la dernière saison.
6Martin? en eut l’idée à Nice, où il s’était établi en 1953, après 13 ans d’exil aux Etats-Unis. A rebours de Juliette, qui peint l’amour contrarié, Mirandolina exalte l’amour partagé. L’intrigue, emplie de quiproquos, est servie par une musique solaire et rythmée, où affleure le souvenir de l’opera buffa. Elève d’Albert Roussel dans les années 20, Martin? s’est inspiré du concerto grosso du xviiie siècle, sans céder au néoclassicisme.
7L’orchestre Ostinato a superbement restitué les couleurs fauves et les girandoles chatoyantes de cette partition en italien, dont les difficultés ont stimulé les solistes de l’Atelier lyrique, qui ont déployé tous leurs talents, notamment Ilona Krzywicka dans le rôle-titre.
8Par une lecture précise et sensible de l’œuvre, dont témoignaient ses précédentes mises en scène (notamment son Vaisseau fantôme à l’Opéra d’Etat de Prague en 2008), Stephen Taylor transpose l’histoire dans les années 20, dans le lobby d’un palace, conviant Paul Morand, qui saisissait d’un trait la profondeur des êtres, chez Goldoni, le passeur du petit peuple vénitien. A la fin, un mouvement des structures et de savantes lumières font apparaître une buanderie très Chardin, où se dévoilent l’envers du décor et les vrais sentiments. Mirandolina, dédaigneuse des avances du Comte et du Marquis et séductrice du misogyne Chevalier, choisit elle-même son mari, révélant la dimension féministe de l’œuvre.
9Vincent Figureau