CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1En décembre 2007, dans son discours de la Basilique du Latran, le Président de la République avait relancé le débat sur la laïcité en appelant tous les partenaires à une ouverture et un dialogue qui nous garantiraient une paix, une collaboration réelle entre l’Etat et les religions. La laïcité positive avait déjà montré des fruits tangibles dans les Comités d’éthique ou le Conseil national du sida, comme dans les consultations régulières des autorités religieuses, localement ou nationalement. Elle cherchait notamment à faciliter l’intégration des musulmans par la discussion avec le CFCM, Centre français du culte musulman. Mais elle supposait qu’il y ait un accord de fond sur les grandes options politiques du gouvernement et que les initiatives qui en dépasseraient le cadre seraient expliquées et discutées.

2Cette vision irénique des relations entre les religions et l’Etat est tombée sur un obstacle inattendu à l’époque et pourtant prévisible : les désaccords profonds et persistants de l’Eglise catholique avec le pouvoir sur la question des réfugiés et des immigrés, y compris des illégaux. L’Eglise s’est très souvent exprimée sur le sujet. Des ministres ont manifesté leur désaccord. L’épisode du renvoi de Roms au mois d’août 2010 n’est donc pas le reflet d’une crispation particulière de l’Eglise, mais un moment de plus dans les tensions récurrentes sur le thème de l’immigration. Déjà, il y a trois ans, le ministre de l’Immigration de l’époque avait demandé à voir les évêques après un désaccord sur une question proche, l’accueil des réfugiés.

3A l’expulsion très médiatisée des Roms s’est ajouté le débat sur la déchéance nationale pour certains étrangers, discussion à forte charge émotive même si une telle mesure n’a touché que 5 personnes en 25 ans. Le flou de la proposition révélait sa vraie motivation?: donner un sentiment de sécurité aux Français inquiets.

4Ce qui a paru insupportable à l’Eglise, aux évêques et aux très nombreux chrétiens qui se sont exprimés, c’est la manipulation où se sont retrouvés pris les Roms en séjour illégal en France. Nombre d’entre eux étaient illégalement sur le territoire, cela ne fait pas de doute. Mais pourquoi en faire les auteurs d’une insécurité qui exigerait leur renvoi, d’autant que l’on sait qu’ils reviendront dans quelques semaines?? Sur le plan de la sécurité, ce n’était qu’un coup d’épée dans l’eau car la véritable insécurité est ailleurs. Mais sur le plan des droits de l’homme, c’était une faute manifeste, d’autant que ce renvoi a été exécuté sur un critère ethnique, les Roms, comme le demandait une circulaire envoyée aux préfets le 5 août. Il ne s’agissait pas de discuter de politique politicienne, même si l’accumulation des déclarations guerrières en plein mois d’août avait des visées électoralistes évidentes. Mais les prises de position de l’Eglise avaient pour objet les droits fondamentaux des personnes concernées.

5Ce roman noir de l’été révèle aussi combien il est difficile pour l’Eglise de se faire entendre. Un communiqué de l’épiscopat de juillet avait déjà manifesté le désaccord de l’Eglise devant ces reconduites à la frontière. De nombreux évêques se sont exprimés, y compris le Président de la conférence épiscopale, Mgr André Vingt-Trois dans un très vigoureux sermon devant 5?000 personnes au Puy-en-Velay le 15 août. Mais les médias ne s’y étaient pas intéressés alors que M. Hortefeux menait sa politique tambour battant. Il a fallu l’intervention du pape le 22 août et la déclaration du Père Arthur Hervet sur sa volonté de rendre sa décoration pour que les médias se saisissent de cette affaire. C’était devenu un vrai sujet médiatique.

6Ces tensions nouvelles nous font nous demander si, dans un système où tout est décidé à l’Elysée, cette politique du Président de la République est cohérente avec l’esprit du discours du Latran. La question des Roms n’est pas nouvelle. Elle existe malheureusement depuis des années. S’il y avait urgence, pourquoi ne pas en avoir débattu avec les instances religieuses dont le gouvernement sait bien qu’elles sont en alerte sur ce sujet?? Le choix de cette stratégie très médiatique montrait que ces renvois obéissaient à un autre objectif?: souligner la priorité du gouvernement sur la sécurité et faire remonter les courbes de satisfaction des Français qui sont au plus bas. L’Eglise ne pouvait pas accepter cette instrumentalisation d’une population en grande difficulté en Europe.

7On ne peut pas d’un côté demander la coopération des Eglises comme dans le discours du Latran et de l’autre s’opposer à elles par une politique contraire à ses principes sans la consulter, voire la mépriser comme l’a manifestée de manière scandaleuse la référence d’Alain Minc au pape qui n’aurait pas le droit de parler sur ce sujet parce qu’il est allemand.

8Ces débats soulèvent au moins deux questions?:

9D’abord notre rapport à la sécurité. Si la sécurité est si importante, elle ne peut être garantie à n’importe quel prix. Ce qui est en jeu, c’est la fraternité dans nos sociétés. On ne peut pas organiser une société en construisant un lien social sur la peur.

10Autre question, notre accueil de l’étranger?: le débat sur l’immigration doit être repris. Il n’est pas clos. Il est rendu plus que jamais nécessaire par la pyramide des âges de nos pays et la pression démographique venant de ceux du sud. Au lieu de renvoyer bruyamment 1 000 Roms par avion chez eux, n’aurait-on pas pu proposer une autre politique, celle de les intégrer par l’école, par le travail et le logement?? L’Espagne a pris cette approche. Pourquoi pas la France, sinon que l’opération rapporterait des voix?? Souhaitons que cette politique soit finalement un très mauvais calcul et que cet épisode médiatique de l’été réveille aussi bien l’Europe que la France et la Roumanie sur tout ce qu’il faut entreprendre pour accueillir et intégrer cette population.

Pierre de Charentenay
Rédacteur en chef, jésuite
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Mis en ligne sur Cairn.info le 11/10/2010
https://doi.org/10.3917/etu.4134.0292
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