1Venus pour la plupart d’Afrique du Nord entre les années 1960 et les années 1970 pour répondre à l’offre de travail importante faite alors dans divers secteurs de l’économie française, beaucoup d’immigrés ont atteint aujourd’hui l’âge de la cessation d’activité ou l’ont déjà atteint depuis quelques décennies. Cette réalité a été découverte à partir de la fin du siècle précédent. Il est apparu en effet que le retour dans le pays d’origine qui avait été envisagé initialement par l’immense majorité des intéressés et aussi, à une certaine époque, par les autorités françaises, n’a concerné, ne concerne et ne concernera dans l’avenir qu’un très petit nombre de personnes. Qu’ils aient été rejoints par leur famille ou qu’ils soient restés seuls dans le pays d’accueil bien au-delà de l’âge de leur cessation d’activité, les immigrés vieillissent et meurent en France dans leur grande majorité [Attias-Donfut, 2006]. Entre les vieillesses heureuses en famille, les vieillesses tristes dans la solitude et les vieillesses qui se vivent entre deux rives au rythme des allers-retours au pays d’origine, plusieurs figures de migrants vieillissants peuvent être identifiées. Cet article n’a pas l’ambition de rendre compte de toute cette diversité mais de faire une synthèse des principaux cas qui l’illustrent. Il s’appuie sur les résultats de plusieurs enquêtes ethnographiques menées dans les années 2000 auprès d’immigrés vivant dans la région parisienne, dans la région Rhône-Alpes et à Marseille.
Vieillir seul en « foyer »
2Les recherches qui ont été menées jusque-là au sujet de la population immigrée vieillissante se sont surtout centrées sur le problème des anciens travailleurs qui vivent en isolés dans des établissements conçus pour accueillir une population active en situation de célibataire [Bernardot, 1995 ; Charbit, 1999 ; Samaoli, 2007]. La société d’économie mixte Adoma, fondée en 1956 sous le nom de sonacotral et devenue sonacotra en 1962, héberge aujourd’hui près de 60 % de ces personnes sur les quelques 78 000 places qu’elle offre [1].
3Rappelons ici les principales caractéristiques de ces populations mises en valeur par les recherches qui leur ont été consacrées [2]. Il s’agit tout d’abord d’une population en forte croissance numérique. En dix ans, le nombre de résidents ayant dépassé les 56 ans a été multiplié par 5. Près de 50 % des travailleurs étrangers vivant en foyer ont plus de 56 ans, ce qui correspondrait à 33 500 personnes environ. 80 % d’entre eux sont des personnes faiblement qualifiées qui ont connu une grande mobilité professionnelle et géographique. Peu d’entre eux peuvent avoir une espérance de vie dépassant les 75 ans du fait d’un vieillissement particulièrement précoce. On peut distinguer toutefois parmi eux deux grandes catégories : ceux qui ont pu travailler la plupart du temps dans de grandes entreprises industrielles et ceux qui n’ont pu travailler que dans des entreprises de sous-traitance, dans le BTP ou l’agriculture, passant d’ailleurs souvent d’un de ces secteurs à un autre.
4Les premiers ne connaissent pas de trop graves problèmes de retraite. Ils ont joui d’une bonne protection sociale, sont restés assez longtemps affectés dans le même site de production et de résidence, ont bénéficié d’appuis syndicaux et de suivi social. Certains ont pu avoir une préretraite. Leurs ressources leur ont permis de faire venir leur famille et de maintenir un lien avec le pays d’origine où ils possèdent encore souvent une maison et quelques biens.
5Les autres sont beaucoup moins bien lotis. Ils ont connu des périodes de chômage, des accidents du travail. Leurs revenus ont été plus faibles et irréguliers. Leur passage à la retraite s’est souvent effectué via l’invalidité ou le chômage de longue durée. Ils vivent une vieillesse marquée par la précarité et le repli sur soi. Ils ont des rapports distendus avec le pays d’origine, peu de contacts avec le monde extérieur et un niveau de consommation très faible. Le vécu en foyer est appréhendé différemment selon que l’on appartient à l’une ou à l’autre de ces deux sous-catégories. Pour les premiers, le foyer est une « maison » où ils ont leurs habitudes et leurs amis et qui leur sert de boîte aux lettres quand ils sont en vacances dans leur pays d’origine. Pour les seconds, le foyer devient un véritable caveau abritant leur « mort sociale » avant que celle-ci ne se termine par leur mort physique. Il devient ce qui leur tient lieu d’identité.
6Ceux que l’on appelle les travailleurs isolés, en fait des hommes vivant en célibataires n’ont été que rarement marqués par la solitude au cours de leur vie active. Ils se regroupaient entre originaires des mêmes villages dans les foyers et se faisaient fréquemment embaucher dans la même entreprise. C’est avec la vieillesse qu’ils découvrent la solitude et qu’ils commencent à éprouver les sensations douloureuses qui l’accompagnent. Leur sortie souvent précoce du monde du travail les a amenés à faire une première expérience de l’isolement. Cela n’est bien sûr pas propre aux immigrés et le passage de l’activité à l’inactivité présente pour toute personne un risque de déstabilisation. Dans le cas des immigrés vivant en isolés cependant, le travail représentait le principal horizon de la vie sociale et la justification de leur départ du pays. Même si objectivement, les emplois occupés n’étaient guère gratifiants, le fait de se retrouver privé d’activité est vécu comme un rétrécissement de la sphère relationnelle et une remise en cause du projet migratoire. Dans les récits que j’ai pu recueillir auprès des immigrés âgés au sujet de leurs années de travail, j’ai toujours été frappé par le contraste existant entre la pénibilité des tâches décrites et la nostalgie que suscite l’évocation de l’entreprise fréquentée [3]. Beaucoup sont sortis du monde du travail à la suite d’un accident les réduisant à l’invalidité ou d’un licenciement brutal qui auraient pu leur inspirer une certaine amertume voire de la rancune vis-à-vis de leur cadre professionnel. Or il n’y a pour eux aucune gêne à parler de cette époque qui pourrait pourtant avoir laissé des souvenirs douloureux et un sentiment d’injustice.
7La vie active passée est au contraire survalorisée. Parmi les employeurs fréquentés, ils ne veulent retenir que ceux qui étaient sympathiques et généreux avec leur personnel. Ce sont les moments de convivialité qui ressortent le plus fortement dans les récits d’activité professionnelle, comme par exemple quand le patron, à la fin d’un chantier organisait un repas pour tous les ouvriers. Cet embellissement de la vie active passée exprime en fait le sentiment d’avoir perdu un lien social en cessant de travailler, et plus les gens vivent dans l’isolement, plus ils ressentent le besoin d’évoquer une ambiance de travail dont ils ne veulent retenir que les aspects de solidarité et de partage. L’évocation du travail est aussi une manière de maintenir son identité de travailleur face à la menace de dégradation de l’image de soi que peut provoquer la conscience d’un statut d’inactif. Ce n’est pas anecdotique si les gens parlent d’eux en indiquant systématiquement le nombre d’années qu’ils ont passées dans tel ou tel secteur ou dans telle ou telle entreprise : « Moi, j’ai 20 ans de bâtiment ! », « J’ai trente ans chez Renault », disent symptomatiquement les travailleurs devenus inactifs pour garder à travers le lien avec leur secteur d’activité une conscience d’eux-mêmes façonnée par l’appartenance à un univers structuré et organisé. On retrouve là le processus classique décrit par Maurice Halbwachs [1994] dans Les Cadres sociaux de la mémoire et qui veut que l’individu ne puisse se repérer dans son passé qu’en référence aux milieux sociaux qui ont construit son environnement. Par contraste, on peut aussi en conclure que le milieu social actuel de l’immigré âgé et inactif n’a plus grand chose de structurant et que le maintien de la conscience d’une identité positive ne peut que s’appuyer sur le passé au terme d’un effort constant de mémorisation sélective.
8L’exclusion du monde du travail n’est pas le seul facteur qui nourrit le sentiment de solitude. L’environnement social quotidien se transforme lui aussi, faisant disparaître les repères qui permettaient jusque-là de se sentir en lien étroit avec autrui. Le discours de beaucoup d’immigrés vivant en foyer stigmatise volontiers la perte de solidarité entre les résidents, le chacun pour soi qui succède progressivement à l’esprit d’entraide, l’individualisme qui éclipse le souci d’autrui. Il ne s’agit pas seulement là du processus habituel de dévalorisation du présent qui accompagne le sentiment de vieillir et d’être en déphasage par rapport à la réalité d’aujourd’hui. Il y a souvent une transformation objective du proche environnement humain. Ceux avec qui ils ont quitté leur pays, ceux avec qui ils ont vécu des années se dispersent progressivement. Certains sont rentrés au pays, d’autres se sont installés avec leur famille, d’autres sont allés vivre ailleurs, certains sont morts. Ils sont condamnés à voir s’étioler les rangs de leurs pairs, de ceux qui formaient, au sein de tel ou tel foyer, la petite communauté villageoise reconstituée. Fragilisé dans un environnement où il ne retrouve plus ceux avec qui il entretenait un certain nombre de liens, l’individu se replie sur lui-même, se méfie de tout le monde et s’isole réellement. Ce processus de désocialisation progressive ne touche pas seulement les résidents des foyers qui se plaignent de devoir cohabiter avec des inconnus. Il concerne également les personnes qui vivent dans des logements ordinaires et finissent par ne plus fréquenter leurs voisins, abandonnant peu à peu le café où ils avaient leurs habitudes quand ils n’y voient plus ceux qu’ils retrouvaient régulièrement. La mosquée elle-même, lieu pourtant très investi par les immigrés musulmans âgés, n’est plus du tout le support d’une sociabilité entre pratiquants mais voit sa fonction strictement limitée à l’aspect cultuel. Il y a là aussi les effets de la transformation de l’environnement social.
9« Dès que j’ai fini ma prière, je me dépêche de rentrer chez moi. Je ne veux pas discuter avec les gens qui viennent là pour parler politique », dit un homme de 70 ans originaire d’Algérie qui constate que la salle de prière de son quartier attire de plus en plus de personnes qui n’ont pas sa conception d’un islam simple et populaire réduit au respect des obligations cultuelles et avec lesquels il ne veut pas engager un débat religieux qui évoquerait trop les aspects polémiques tournant autour de l’islam rigoriste et relativement politique [4]. La perte de confiance en autrui exprime une conscience forte de sa propre fragilité. Le sentiment de solitude amène à limiter autant que possible le contact avec ses semblables. « Avec les voisins, c’est bonjour, bonsoir. » ; « Moi je ne veux pas d’histoires ! » ; « Ce que je veux, c’est ma tranquillité. », ces propos, que j’ai entendus si souvent de la part des immigrés âgés, expriment surtout une attitude de défense devant la perte des repères et des appuis extérieurs, ce qui contribue à renforcer la spirale de leur isolement.
10De manière générale, ils n’envisagent pas de vivre ailleurs qu’en foyer, mais ils savent que certaines résidences sont plus agréables que d’autres et que certaines sont à éviter absolument. Tout ce qui peut faire l’inconvénient de la vie dans une résidence collective et qui est dénoncé comme tel par tous les usagers : le bruit, le passage, l’insécurité, les conflits de voisinage, l’anonymat, sont ressentis comme encore plus dérangeants par ces résidents vieillissants qui se sentent devenus vulnérables et peu à même de se protéger de ces nuisances.
11La question de la santé est l’autre élément important qui conditionne le bien-vieillir. Dans l’ensemble, les gens interrogés cumulent de nombreux problèmes de santé. L’hypertension, le diabète, les ulcères gastriques, sont mentionnés de façon récurrente. Les pathologies post-traumatiques dues aux accidents du travail ont entraîné un certain nombre de handicaps. L’asthme et les rhumatismes sont deux pathologies que les gens interrogés associent au travail sur les chantiers et aux conditions d’habitat rencontrées dans les bidonvilles dans les années 1960 et 1970. Ceux qui sont touchés par la maladie apparaissent souvent comme très malheureux. Ils disent avoir perdu goût à la vie, ne pouvant plus retourner au pays comme quand ils étaient en activité et n’ayant plus assez de force pour bien s’occuper d’eux-mêmes.
12Certains disent souhaiter la mort le plus vite possible. D’aucuns gardent l’espoir qu’ils mourront au pays ou cotisent à une association pour que leur corps soit rapatrié et inhumé auprès de leurs proches. D’autres se déclarent indifférents au lieu de leur mort et de leur sépulture, l’essentiel étant d’en finir avec l’ennui et la souffrance qu’ils traînent depuis trop longtemps. Ces hommes ne retournent plus au pays depuis longtemps. Le décès de leurs parents a été souvent la dernière occasion de s’y rendre. Dès lors, ils ne voient plus l’intérêt d’y aller même s’ils ont encore quelques frères et sœurs là-bas. « Avant j’allais et venais régulièrement. Quand mes parents sont morts, je ne suis plus allé là-bas. Voir qui ? » [5]. Au fil du temps, certains constatent qu’ils ne connaissent plus personne au pays. « Dans mon village natal, il n’y a plus personne. Il n’y a plus que des nouveaux. Tous ceux que j’ai connus jeunes, ils sont morts ou ils sont partis en France ou à Oran. » [6]
13À l’approche de la mort, certains font un bilan de leur vie. La justification de leur exil et la compensation des sacrifices accomplis et de la solitude subie résident essentiellement dans le fait d’avoir pu aider leur famille au pays, d’y avoir construit une maison prestigieuse et d’avoir vu leurs enfants accéder à un emploi valorisant. C’est finalement, ce qui donne sens à leur vie et les aide à supporter l’approche de la mort dans la solitude. A contrario, ceux qui n’ont pas réussi à pouvoir au moins exhiber un signe de réussite au pays ont un sentiment d’échec douloureux et donnent l’impression d’être épuisés de vivre et d’attendre la mort comme une délivrance de l’absurdité de la condition qu’ils ont connue :
J’ai couru toute ma vie pour mes parents puis pour mes enfants. Je suis très fatigué, malade. Au pays, pas de belle construction, pas de garage, pas d’étage… une maison de pauvre ! Ma femme est malade. J’ai une fille handicapée. Nous allons être tous enterrés un jour ou l’autre. Dieu décidera. [7]
15Le contact avec le pays d’origine, même limité à des séjours temporaires apparaît comme le privilège de personnes qui semblent beaucoup moins en souffrance que celles citées ci-dessus. Les allers-retours entre la France et le pays d’origine apportent des gratifications affectives mais ne peuvent être le fait que de gens qui ont à la fois les moyens matériels et la santé morale et physique pour les réaliser.
Vieillir entre deux rives
16En fait les immigrés qui vieillissent entre deux rives, originaires pour la plupart des trois pays du Maghreb et d’Afrique sahélienne, ne représentent qu’une faible partie des immigrés âgés. La législation française qui impose une résidence principale en France pour le versement des prestations sociales limite la possibilité de longs séjours au pays, ce qui explique en partie la pratique de séjours temporaires dans le pays d’origine. La plupart de ceux qui s’y adonnent vit en famille ou, s’ils vivent seuls en France, n’en entretiennent pas moins une relation assez dense avec leur famille au pays qu’ils vont voir régulièrement. Ces allers-retours avec des séjours de quelques mois au pays constituent, pour certains, une source d’équilibre. Ils sont dans une dynamique de double participation qui les incite à poursuivre le plus longtemps possible ce mouvement, sans pour autant se décider à rentrer définitivement. La limitation des séjours au pays exprime une volonté de maintenir cet équilibre trouvé dans le mouvement de va-et-vient et d’éviter de rester trop longtemps auprès d’une famille que certains considèrent comme difficile à supporter. Les retrouvailles avec la famille sont présentées, par certains, comme le but principal du séjour. Les hommes qui vivent seuls en France retrouvent joie et réconfort :
Moi, je suis pressé de me retrouver auprès de mes petits-enfants et de mes enfants petits eux aussi. J’adore les entendre gazouiller à mes oreilles. Quoi de plus beau, quoi de plus tendre ! Ici, c’est la mort, l’ennui, la grisaille… [8]
18Cependant, tous ne sont pas sensibles à la poésie des gazouillis enfantins. La joie des retrouvailles laisse vite la place aux incompréhensions et aux relations complexes avec la famille.
Quand je suis là-bas, quelques jours après j’ai envie de revenir en France. Je me mets en colère. Les enfants surtout… Je n’étais pas habitué à une ribambelle d’enfants qui tournent autour de moi, crient, piaillent… Les adolescents alors... aucun respect ! [9]
20Beaucoup insistent sur l’énervement rapide qu’ils ressentent quand ils sont au pays parmi les leurs.
Là-bas au pays, je ne peux pas rester longtemps. Je m’énerve vite. Les enfants, les gens, la situation, je ne supporte pas. Quand même, je préfère ici qu’à la maison là-bas. Là-bas, ils me remplissent la tête d’un quintal de soucis. [10]
22Poursuivre les va-et-vient entre les deux rives de la Méditerranée plutôt que de se réinstaller définitivement au pays est un moyen de se soustraire aux pressions et aux exigences d’une famille qui apparaît essentiellement intéressée par les aides qu’elle peut glaner auprès des émigrés, toujours perçus comme vivant dans l’aisance.
Je reste deux mois et j’en ai marre, je reviens. Si je prends ma retraite, je vais, je reviens… je ne partirai pas définitivement, jamais… Bien sûr que c’est mieux de pouvoir vivre dans son pays, auprès de sa famille. Mais avec quoi ? Comment ? Ils ne cherchent que ton argent, rien d’autre. Ils ne t’acceptent pas toi, tel que tu es… De toutes façons, on a toujours vécu entre les deux rives, on continuera jusqu’à la mort. [11]
24Il y a d’autres freins que les difficultés relationnelles avec la famille qui expliquent le choix de cette forme de non-retour perpétuel. Les émigrés gardent l’image du pays tel qu’il était dans leur jeunesse au moment où ils l’ont quitté pour la première fois. Ils n’ont pas manqué de l’idéaliser par la suite et le retour est source de surprises mais aussi de déceptions. Du point de vue des origines, j’ai pu constater que beaucoup d’immigrés entrés en France dans les années 1960 et 1970 venaient du milieu rural. La grande majorité se définit comme agriculteur dans le pays de départ. L’expérience du travail de la terre les a marqués. Ils insistent sur la pénibilité de ce travail et le peu qu’il rapporte. C’est cette pauvreté rurale qui les a souvent conduits à émigrer pour améliorer le sort de leur famille. Certains cependant restent très attachés à la terre et c’est une des causes qui justifient leur fréquent retour au pays voire même leur désir d’y rentrer définitivement.
Ma maison au village est en train de tomber en ruines, près de la forêt à cause des évènements. Mes oliviers sont brûlés. Peut-être que je replanterai, Inch’allah ! Car comme dit le proverbe, nos ancêtres ont planté, on a pu en profiter. À notre tour de planter pour que nos petits-enfants en profitent. J’adore travailler la terre. Je rêve d’un petit jardin où je planterais des oignons frais, des tomates, des fèves, des courgettes, de quoi vivre, se nourrir avec des produits frais… J’attends la retraite et je reste au pays. [12]
26D’autres déplorent que les jeunes ne travaillent plus la terre comme cet homme originaire de la région de Biskra dans le sud qui se désole de ce que son fils ne veuille pas s’occuper de la palmeraie qu’il a plantée.
Je travaille la terre chaque fois que je rentre là‑bas. On nous a donné des petits lopins de terre avec des oliviers et des palmiers dattiers à planter… Mon aîné, je l’ai encouragé à travailler. Au début, il m’a aidé mais au bout d’un an il m’a dit : « c’est fini, c’est trop dur… » Ce sont les vieux qui vont récolter les figues et les dattes et les jeunes sont assis à ne rien faire ! [13]
28Beaucoup ont donc l’impression que ce monde rural dans lequel ils ont grandi est en train de disparaître. L’appauvrissement des campagnes et la disparition de l’activité agricole sont des freins subjectifs à un retour au pays pour ces ruraux qui gardent la nostalgie de la campagne de leur jeunesse et qui se désolent de voir la terre abandonnée en même temps que les vieilles traditions paysannes de frugalité et de solidarité. Il y a d’autres freins, plus objectifs. Dans les villages isolés, il n’y a ni poste, ni pharmacie, ni banque. Pour se procurer argent et médicaments, il faut aller à la ville et ils ne sont jamais sûr d’obtenir ce qu’ils sont venus chercher.
29En général, bien pris en charge en France du point de vue sanitaire, ils déplorent les dysfonctionnements du système de santé publique dans leur pays. Les hôpitaux publics dans les pays du Maghreb et dans les pays d’Afrique subsaharienne manquent de personnel qualifié, de matériel et d’hygiène. Se faire hospitaliser dans ce genre d’établissement revient à mettre sa vie en danger, d’après les dires des immigrés qui citent à l’appui diverses anecdotes concernant des amis ou des parents qui sont morts à l’hôpital en raison du manque de soins ou de soins inappropriés. Les insuffisances du système de santé sont l’un des principaux freins à leur retour définitif au pays et une incitation à gérer leurs retours temporaires de façon à ne pas avoir besoin de faire appel aux hôpitaux ou aux pharmacies de leur pays. Ils partent en général avec une provision de médicaments dépassant souvent la durée autorisée d’une ordonnance, grâce à des pharmaciens compréhensifs qu’ils connaissent de longue date. Les médecins généralistes qui les suivent en France établissent quelquefois un contact avec un confrère au pays d’origine auquel ils communiquent les dossiers de leurs patients immigrés. Cela permet à ces derniers de se protéger des risques sanitaires mais réduit aussi la durée des séjours au pays.
30Dans l’ensemble, ceux qui vieillissent entre deux rives développent des stratégies souvent bien élaborées pour profiter des avantages que leur offrent les deux pays : la présence de la famille et des amis d’un côté, les avantages d’un État-providence qui les protège efficacement de l’autre côté.
31Dans le cas de ceux dont la famille vit en France, j’ai observé des stratégies sensiblement différentes. La plupart du temps, le projet d’un retour définitif au pays est exclu. Ce sont surtout les femmes qui s’y opposent. Les retours temporaires sont pratiqués mais de façon alternative, chacun des conjoints se rendant à tour de rôle au pays, d’une année sur l’autre. Cette pratique est liée à des questions matérielles, seul le financement d’un voyage par an étant acceptable pour les budgets relativement modestes de ces familles. Elle renvoie également à l’organisation de sociabilités parallèles entre hommes et femmes. Malgré plusieurs années de vie commune, mari et femme ne fréquentent pas les mêmes lieux de loisir que ce soit en France ou au pays et n’ont pas les mêmes réseaux relationnels. Les motivations au retour temporaire des femmes sont surtout liées à la perspective de se rapprocher de leurs enfants et petits-enfants quand ceux-ci résident encore au pays. Pour elles, c’est la proximité des enfants qui détermine le lieu où elles souhaitent passer leur vieillesse. Il arrive que ces choix soient à l’origine de ruptures tardives au sein des couples. Les hommes envisagent plus volontiers le retour au pays que les femmes. Dans certains cas, ils prennent une autre épouse au pays qu’ils aient ou non divorcé de celle qui réside en France. L’idéal de certains serait d’avoir une famille sur chaque rive. Paradoxalement, ce sont ceux qui ont de la famille en France qui se sentent les mieux placés pour rentrer durablement au pays. Un homme qui rêve de terminer sa vie avec une nouvelle épouse au pays compte sur ses enfants installés en France pour retirer son argent et le lui faire parvenir : « Je laisserai une procuration à mes enfants. Je ne transfère pas l’argent là-bas. Pas confiance, non… Comme j’ai des enfants installés ici, je pourrai venir de temps en temps. » [14]
32D’autres comptent sur un frère ou des amis. Dans tous les cas, le fait d’avoir de la parenté en France représente un atout important face aux doutes qu’ils nourrissent à propos de la fiabilité de l’administration du pays d’origine et à la défiance qu’ils ont vis-à-vis des transferts de ressources. En même temps le fait que la famille installée en France puisse offrir éventuellement un hébergement permet de se rassurer dans l’éventualité où un grave problème de santé amènerait à souhaiter revenir en France. De surcroît, ils restent ainsi un peu dans cette vie entre deux rives qu’ils ont connue toute leur existence.
33La part grandissante des femmes immigrées vivant seules ou en famille amène à se poser la question de leur vision de la vieillesse et des liens qu’elles entretiennent avec leur pays d’origine. Y-a-t-il un mode de vieillissement propre à cette catégorie de femmes ?
Vieillir au féminin
34La population féminine au sein de l’immigration en France est en forte croissance depuis la fin du xxe siècle, selon les recensements réalisés par l’insee depuis 1999. Les projections réalisées quant au vieillissement des hommes et des femmes à l’horizon 2020 telles qu’elles avaient été élaborées en 2002 par l’Inspection générale des affaires sociales montrent que les femmes, plus nombreuses que les hommes, entreront davantage que ceux-ci dans la dépendance. Cela pose question quand on sait que, par ailleurs, les femmes âgées originaires des pays du Maghreb sont presque absentes des structures d’accueil pour personnes âgées dépendantes. En 2015, moins de 1 % des femmes maghrébines de plus de 60 ans vivait en ehpad [15].
35Ces femmes sont venues pour la majorité d’entre elles dans le cadre des procédures de regroupement familial. Il y a toujours eu des arrivées de femmes avec ou sans enfants venant rejoindre leurs maris avec quelques années de décalage. Toutefois, c’est entre 1975 et 1990 que les arrivées de femmes en provenance d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne ont été les plus nombreuses. Ce phénomène est dû au décret pris en 1974 par le gouvernement Chirac pour suspendre les entrées de travailleurs et de faciliter les regroupements familiaux. Le nombre d’hommes vivant seuls à l’époque était de près de deux millions. Le potentiel des regroupements familiaux était donc considérable. Cela donne aujourd’hui une population féminine vieillissante appelée à une forte croissance dans les années à venir comme l’indique le tableau ci-dessous.
Projection du nombre d’immigrés de 60 ans et dépendants en 2020 (rapport IGAS de 2002)
Scénarios | Hommes immigrés | Hommes immigrés dépendants | Femmes immigrées | Femmes immigrées dépendantes |
Mortalité tendancielle boîte aux lettres / Boîte aux lettres taux de dépendance globale | 852 000 | 31 000 | 913 000 | 43 000 |
Mortalité tendancielle/ Taux de dépendance global | 852 000 | 38 000 | 913 000 | 53 000 |
Surmortalité / Taux de dépendance globale | 806 000 | 27 000 | 901 000 | 41 000 |
Surmortalité / Boîte aux lettres taux de dépendance spécifique | 806 000 | 34 000 | 901 000 | 51 000 |

Projection du nombre d’immigrés de 60 ans et dépendants en 2020 (rapport IGAS de 2002)
36Ce tableau montre que les femmes immigrées âgées de 60 ans en 2002 seront nettement plus nombreuses que les hommes du même âge à entrer dans la dépendance en 2020. En particulier 51 000 d’entre elles seront dans l’incapacité de pourvoir aux nécessités de la vie quotidienne. Le tableau ne détaille pas les origines des populations immigrées. En considérant que les originaires du continent africain représentent près de 50 % de l’ensemble des immigrés aujourd’hui, cela signifie que près de la moitié des femmes immigrées vieillissantes est constituée de personnes originaires du Maghreb et d’Afrique subsaharienne. Malgré l’importance numérique de cette population, on doit constater que très peu de travaux de recherche qualitative leur ont été consacrés. Cependant les quelques approches monographiques concernant cette population montrent que ces femmes vivent un processus de vieillissement très différent de celui des hommes de même origine [16].
37A priori, elles semblent plus défavorisées que les hommes pour acquérir une grande autonomie au sein de la société d’accueil. Elles sont plus souvent illettrées et n’ont jamais ou peu travaillé. Souvent mères de famille nombreuse, elles ont laissé leur mari gérer l’essentiel des relations avec l’environnement social et administratif. Sur le tard, un certain nombre d’entre elles se retrouvent seules à la suite d’un veuvage ou d’un divorce.
38Qu’elles soient seules ou en famille, elles sont beaucoup plus intéressées que les hommes à une participation aux activités qui peuvent être proposées dans les quartiers où elles résident, comme le montre une monographie réalisée à Grenoble en 2012 [Djeffal, 2012] qui confirmait des observations menées dans les quartiers d’habitat social de Vienne en Isère dix ans auparavant [Barou, 2002]. Malgré leurs lacunes linguistiques, elles ne semblent pas trop handicapées pour se déplacer en ville, se rendant assez souvent au marché, seules ou avec leur mari et retrouvant à cette occasion un certain nombre de connaissances. Elles vivent encore selon une sociabilité paysanne traditionnelle permettant des rencontres dans certains lieux publics comme le marché. Elles fréquentent de façon informelle certains lieux annexes à l’habitat comme les espaces extérieurs au logement, les coins de pelouse un peu à l’écart des points de passage. Tandis que les halls et les cages d’escaliers sont toujours occupés exclusivement par les hommes et les jeunes gens, les petits squares situés derrière les immeubles ou les locaux associatifs sont fortement investis par les femmes âgées. Elles sont en même temps intéressées par des lieux de rencontre institutionnels comme les centres sociaux, les maisons de quartiers où elles peuvent côtoyer des personnes différentes d’elles.
39Il est probable que ces femmes participeraient davantage à des activités organisées par les professionnels du social et qu’elles seraient intéressées à fréquenter un milieu plus mixte à tous les sens du terme si elles ne craignaient les réactions négatives de leur mari et surtout les effets du « qu’en-dira-t-on ». Ainsi une enquête menée à Grenoble dans un quartier populaire du centre-ville où un foyer accueille à la fois hommes et femmes immigrées vivant seuls a montré que ces dernières ne se sentaient pas mal à l’aise d’habiter dans le voisinage des hommes mais qu’elles redoutaient les commentaires malveillants de certains de leurs proches à ce sujet. Pour se prémunir des médisances pouvant trouver écho jusque dans leur village d’origine, elles s’efforçaient de cacher leur adresse et de se montrer le moins possible dans les rues adjacentes au foyer.
40Très proches de leurs enfants, les femmes immigrées vieillissantes espèrent toujours pouvoir se faire héberger chez l’un d’entre eux en cas de solitude dans leur vieillesse. Alors que plusieurs hommes n’excluent pas de rentrer au pays définitivement s’ils n’avaient pas d’autre choix, les femmes expriment une forte réticence par rapport à une telle perspective. « On ne pourrait pas rentrer en Algérie. On n’a pas de maison là-bas. On préfère rester ici. J’ai entendu parler des maisons de retraite mais je ne veux pas y aller. Si ça allait vraiment pas, j’irai habiter chez ma fille. » [17]
41Rien n’indique que la fille en question accepterait volontiers d’héberger sa mère mais cette dernière raisonne en fonction des représentations dominantes dans sa culture d’origine. Au Maghreb, les femmes âgées accèdent à un statut particulier, elles acquièrent plus de considération au sein de la sphère familiale et communautaire. Le statut de mère leur vaut des privilèges tels que la liberté de se déplacer pour les activités relatives aux charges domestiques. Et de ce fait, il est difficile pour les enfants de se dérober au devoir de les héberger en cas de nécessité, le placement en institution restant inconcevable. Les enfants sont mis à contribution pour s’occuper des parents, mais aussi les petits-enfants et parfois les neveux et les nièces. Le nombre élevé d’enfants permet de se distribuer la prise en charge des parents âgés en perte d’autonomie. Les femmes âgées qui habitent en quartier hlm s’y trouvent bien. D’une part, elles sont à proximité d’équipements sociaux qu’elles peuvent fréquenter très facilement. Dans certains quartiers de Grenoble, il existe des centres de santé très accessibles avec un personnel parlant les langues des patients.
42D’autre part, ces quartiers représentent pour elles un lieu protégé où elles peuvent perpétuer leurs traditions, leur façon de vivre et de s’habiller, la pratique de leur langue et de leur religion. Entre elles, une solidarité féminine s’est organisée, afin de trouver des appuis au quotidien. Si elles sont hostiles au retour au pays d’origine, elles s’efforcent tout de même de reconstituer dans leur environnement résidentiel en France une atmosphère qui s’inspire des traditions et du mode de vie originels. Il y a là quelque chose de rassurant qui fait qu’elles envisagent le vieillissement avec une certaine tranquillité. En meilleur santé que les hommes, les femmes âgées immigrées, qu’elles soient seules ou en famille tiennent des discours beaucoup moins amers et désabusés que ceux-ci. La vie en France leur a permis d’améliorer leurs conditions de vie matérielles, d’être mieux soignées et en même temps de garder une sociabilité inspirée de leur culture. Dans les quelques enquêtes empiriques réalisées dans le cadre de monographies, elles n’hésitent pas à se dire heureuses et confiantes dans l’avenir, surtout dans la mesure où elles ont leurs enfants à proximité. Pour beaucoup, cette proximité tient lieu de garantie quant à l’avenir si elles venaient à perdre partiellement leur autonomie.
43Certaines femmes toutefois refusent cette solution pour ne pas être une charge pour leurs enfants, surtout quand elles constatent que ces derniers connaissent des difficultés.
Quand mon mari est mort ma fille m’a proposé de venir chez elle mais je n’ai pas voulu. Elle est divorcée et seule avec deux enfants. Je ne veux pas être une charge en plus. Je préfère vivre seule tant que ça va bien. [18]
45Cette femme, âgée de 72 ans, vit de la réversion de la retraite de son mari décédé. Elle a trouvé une solution en obtenant une chambre dans une résidence Adoma. Seule femme dans un environnement d’hommes, elle dit se sentir respectée et être en phase avec un voisinage dont elle partage les valeurs et le ressenti.
Je me sens comme une ouvrière au milieu de ces anciens ouvriers. Je partage avec eux la nostalgie du pays, du passé. Je vis le même exil. Ils me respectent beaucoup. Je suis bien ici, mieux que chez ma fille, mieux que je ne serais en Algérie.
47L’ouverture de chambres à destination de femmes âgées seules s’est répandue depuis quelques années dans plusieurs résidences conçues initialement pour des travailleurs vivant en célibataires. C’est là le signe que l’acceptation par les enfants d’héberger chez eux leurs parents âgés atteint ses limites. Les femmes qui recourent à ce type de formule déclarent y trouver l’avantage d’une certaine indépendance. Ce qui les importune dans ce type d’habitat, c’est moins le fait de voisiner avec des hommes seuls que les commentaires que ce voisinage provoque dans leur pays d’origine. Pour certaines l’acceptation d’une chambre dans ce genre de résidence est conditionnée par le fait qu’il n’y ait pas d’hommes issus du même village qu’elles. Même dans cette mixité résidentielle, les sociabilités masculines et féminines restent séparées. Les femmes se fréquentent entre elles en général dans un local associatif proche de leur lieu de résidence alors que les hommes se retrouvent au café ou sur des bancs sur la place publique. L’accès des femmes à l’espace public reste toujours problématique, même à un âge avancé. Le fait de saluer des hommes croisés dans la rue est encore considéré comme susceptible de déclencher des commentaires malveillants qui se répandent jusqu’au village d’origine. Le cas cité plus haut de cette veuve qui dit se sentir à l’aise dans un environnement masculin apparaît comme exceptionnel. C’est sans doute le fait qu’elle soit l’unique femme au milieu d’hommes vivant seuls qui la protège des médisances.
48Au-delà de la diversité des figures d’immigrés vieillissants modelées par les trajectoires personnelles, les conditions de vie matérielle ou les aspirations vis-à-vis du pays d’origine, on trouve chez les personnes originaires d’Afrique en général et d’Afrique du Nord en particulier une tendance à vivre des sociabilités séparées selon le genre. Alors que dans les sociétés d’accueil, hommes et femmes vieillissent ensemble et fréquentent les mêmes personnes, les mêmes lieux et les mêmes équipements, le genre reste un clivage important au sein de cette population. Malgré la liberté de mouvement reconnue aux femmes âgées surtout si elles ont un statut de mère et de grand-mère, leur accès à un espace public dominé par les hommes reste problématique. Si la famille demeure encore relativement solidaire et s’il paraît encore impensable de refuser d’accueillir un de ses parents âgés, les jeunes générations élevées en France aspirent à plus de liberté de mouvement et à plus de bien-être individuel. De surcroît, leurs ressources et leurs situations familiales n’en font pas toujours des ménages susceptibles de prendre en charge des personnes âgées. Les cas où ce sont les enfants adultes qui sont hébergés chez leurs parents sont probablement plus nombreux que les cas dans lesquels on assiste à une situation inverse.
49On constate aussi que les femmes ont une situation sanitaire meilleure que celle des hommes. Ces derniers sont souvent victimes de maladies professionnelles et des conséquences d’accidents du travail, ayant été exposés, dans leur vie professionnelle à de nombreux risques de pathologie pulmonaire, auditive ou traumatique. Leur responsabilité étant plus engagée dans la réussite de la vie familiale et dans l’éducation des enfants, ils vivent plus douloureusement que les femmes les échecs enregistrés à ce niveau-là. Les femmes vivent également mieux les situations de solitude et sont moins dans le repli sur soi. Même handicapées par de fortes lacunes sur le plan linguistique et une ignorance des circuits administratifs, elles parviennent toujours à créer des relations sociales avec d’autres femmes, alors que les hommes restent dans la méfiance. Les équipements sociaux et les activités proposées dans les quartiers populaires des grandes et moyennes villes où réside une bonne partie de cette population sont, en outre, pensées pour une fréquentation majoritairement féminine.
50La principale source de déstabilisation pour les femmes vieillissantes demeure l’éloignement des enfants et petits-enfants. C’est ce qui conditionne leurs rapports au pays d’origine. Celles dont les enfants vivent en France excluent tout projet de retour au pays. Celles dont les enfants vivent au pays d’origine disent se sentir très malheureuses quand elles se retrouvent en France venues rejoindre un mari qui ne pouvait plus rester seul. La vie des couples vieillissants est compliquée par les différences d’aspiration en matière de sociabilité et de proximité familiale. Il est probable que les situations de séparation de fait sont nettement plus nombreuses que les divorces officialisés qui ont d’ailleurs beaucoup augmenté ces dernières années au sein de cette population. Ils ne sont certes pas les seuls à connaître des difficultés conjugales dans leur vie de retraités mais ces difficultés sont amplifiées par un héritage culturel et des traditions qui rendent difficile la mixité qui tend à être la norme dans la société d’accueil. ■
Notes
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[1]
Cette société longtemps dénommée Société nationale de construction pour les travailleurs a été le principal opérateur de l’État français pour loger les immigrés. Dotée de compétences en aménagement urbain et promotion de logements sociaux, elle a été pendant les années 1960 et 1970 le fer de lance de la politique de résorption des bidonvilles et de l’habitat insalubre, construisant et gérant des foyers offrant aux hommes vivant seuls des chambres de superficie modeste (de 4m2 à 8m2) et des cuisines et sanitaires collectifs et relogeant les familles dans des cités de transit construites en matériaux provisoires avant d’organiser leur accès aux hlm.
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[2]
En particulier celles de Bernardot [1995] et celles de Charbit [1999]. Voir les travaux plus récents de Fatima Mezzouj et Emmanuel Jovelin, spécialement l’ouvrage [2010].
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[3]
Les récits et les extraits d’interviews cités dans cet article sont issus de Jacques Barou [2001, 2007].
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[4]
Entretien réalisé à Vienne (Isère) en 2002 [Barou, 2002 : 13].
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[5]
Algérien, 75 ans, entretien réalisé à Lyon en 2007 [Barou, 2007 : 35].
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[6]
Algérien 80 ans, entretien réalisé à Nanterre en 2007 [Barou, 2007 : 37].
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[7]
Algérien, 72 ans, entretien réalisé à Lyon en 2007 [Barou, 2007 : 39].
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[8]
Algérien 69 ans, entretien recueilli à Lyon en 2007 [Barou, 2007 : 53].
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[9]
Algérien, 70 ans, entretien recueilli à Lyon en 2007 [Barou, 2007 : 55].
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[10]
Algérien, 66 ans, entretien recueilli à Nice en 2007 [Barou, 2007 : 55]
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[11]
Marocain, 52 ans, entretien recueilli à Nanterre en 2000 [Barou, 2001 : 42].
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[12]
Algérien, 55 ans, entretien recueilli à Marseille en 2007 [Barou, 2007 : 54].
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[13]
Algérien, 56 ans, entretien réalisé à Lyon en 2007 [Barou, 2007 : 55].
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[14]
Algérien, 54 ans, entretien recueilli à Marseille en 2007 [Barou, 2007 : 62].
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[15]
Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.
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[16]
Les quelques exemples qui suivent sont tirés de Jacques Barou [2002] et du mémoire de master de Djeffal [2012].
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[17]
Algérienne 60 ans, entretien recueilli à Vienne (Isère) en 2002 [Barou, 2002 : 15].
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[18]
Algérienne 72 ans, entretien recueilli à Marseille en 2007 [Barou, 2007 : 53].