CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Un matin d’avril 2005, le manoir montré ci-dessous a été inscrit à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques, à l’unanimité, par les membres de la commission régionale de protection du patrimoine et des sites, réunie dans la grande salle de la préfecture [1].

2L’acte fut banal au regard du travail de la commission, mais il constitua un moment important dans l’histoire – longue – de ce bâtiment. En effet, cette mesure administrative l’a fait entrer dans ce qu’on appelle parfois la « chaîne patrimoniale », par laquelle un bien privé devient, sinon public, du moins soustrait à la libre possession de son propriétaire, puisque désormais l’État exercera un droit de regard sur son aspect, ses abords, son statut juridique, voire son usage [2]. Il le fera au nom d’une valeur considérée en l’occurrence comme supérieure à cette valeur, pourtant majeure dans nos sociétés, qu’est la propriété : la valeur patrimoniale, en vertu de laquelle un bien quelconque est considéré comme appartenant non seulement à son propriétaire en titre, mais aussi à l’ensemble de la Nation (voire, dans certains cas, à l’humanité tout entière), en la personne de ses concitoyens actuels et futurs.

3Nous nous intéresserons ici aux modalités concrètes de cette prise de décision administrative. Si notre objet ressortit à une sociologie de l’expertise et de la décision, la problématique s’inscrit dans la perspective d’une sociologie pragmatique des valeurs, puisqu’il s’agira principalement d’expliciter, à travers les critères utilisés par les décideurs, les valeurs sous-jacentes qui guident leurs jugements [3]. La méthode relève, quant à elle, de l’observation ethnographique.

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La chaîne patrimoniale

4Pour faire une demande de protection (classement ou inscription), un propriétaire ou une municipalité peut s’adresser au conservateur des Monuments historiques de la drac (direction régionale des Affaires culturelles), pour les immeubles (la décision sera alors prise par le préfet de Région), et au conservateur des antiquités et objets d’art, pour les objets (la décision sera prise par le préfet de département). En cas de classement, la décision définitive incombe au ministre de la Culture, après avis de la Commission supérieure des Monuments historiques, qui aura recueilli l’accord du propriétaire (pour l’inscription, l’administration n’est pas tenue de recueillir son accord) ; l’arrêté de classement lui sera notifié, sera transcrit au bureau des hypothèques et publié au Journal officiel.

5La proposition de protection peut également émaner des professionnels du patrimoine comme des chercheurs de l’Inventaire général du patrimoine culturel, dont la mission est d’ordre strictement scientifique, mais qui ont néanmoins la possibilité de « signaler » des éléments susceptibles de mériter une attention particulière. C’est dire que l’entrée dans la chaîne patrimoniale peut se faire par deux voies, l’une profane (propriétaires ou élus), l’autre savante (spécialistes du patrimoine).

6Les commissions souffrent plus d’un excès de dossiers que d’une pénurie : de nombreuses demandes émanent localement de propriétaires ou de maires convaincus de la valeur exceptionnelle d’un bâtiment et qui espèrent obtenir, en le faisant protéger, soit des subventions pour sa restauration, soit, plus simplement, une distinction honorifique, la confirmation officielle de la valeur qu’ils accordent spontanément à ce bien. Or, compte tenu des problèmes budgétaires de la direction du Patrimoine, et du coût que représente toute mesure de protection en raison des travaux, les dossiers de subventions ne peuvent pas être tous satisfaits à court terme : une sévère sélection s’impose.

7La commission régionale comprend trente membres, dont sept de droit et vingt-trois nommés, pour une durée de quatre ans. Les membres de droit relèvent de l’appareil administratif : le préfet ou son représentant, le directeur régional de l’Art et de la Culture (qui préside ce jour-là la séance), le directeur régional de l’Environnement, le directeur régional de l’Équipement, le conservateur régional des Monuments historiques, le conservateur régional de l’Archéologie, le conservateur régional de l’Inventaire général. Quant aux membres nommés, ils le sont soit au titre de leurs fonctions, dues à leur expertise (le conservateur des Monuments historiques, l’architecte en chef des Monuments historiques, le chef du service départemental de l’architecture et du patrimoine, l’architecte des Bâtiments de France) ; soit au titre d’un mandat électif national ou local (maires ou adjoints, conseillers généraux, conseillers régionaux) ; soit au titre d’une expertise qualifiée (professeur d’histoire à l’université, conservateur des antiquités et objets d’art, directeur du caue[4], conservateur de musée, professeur à l’école d’architecture, conservateur aux archives départementales, conservateur de l’Inventaire) ; soit enfin au titre de représentant d’associations [5] : La Demeure historique (suppléant : Vieilles Maisons françaises), l’Union pour la mise en valeur esthétique du x[6] (suppléant : Société d’histoire et d’archéologie de x), la Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France (suppléant : Maisons et paysages de x). On mesure ainsi la diversité des compétences requises pour statuer sur le patrimoine, puisqu’elles touchent à l’environnement, à l’équipement, à l’urbanisme, à la culture et, à l’intérieur de celle-ci, à l’architecture, à l’archéologie, à l’histoire de l’art, aux archives.

8À cette trentaine de personnes s’ajoutent les maires porteurs des cinq demandes inscrites à l’ordre du jour, qui assisteront à la présentation du dossier les concernant et répondront éventuellement aux questions, mais se retireront pour la délibération. Sur chaque table figure un panonceau indiquant le nom et la qualité de la personne qui y siège. Au fond de la salle, un écran est déroulé pour permettre de projeter les images commentées par le rapporteur (un recenseur des Monuments historiques), à partir d’un vidéoprojecteur qu’un appariteur s’apprête à mettre en route. La séance peut commencer.

Premier dossier : cohérence et authenticité

9On commence donc par le manoir présenté en introduction : sans doute l’organisateur de la session a-t-il choisi d’ouvrir la séance par un dossier ayant toutes chances d’être consensuel. Le rapporteur [7], debout, présente le bâtiment : un logis du xviie siècle, un autre corps de bâtiment datant des xve et xvie siècles, une chapelle du xvie, des dépendances agricoles, un colombier. Il compare l’état actuel avec le cadastre ancien, montre des photos de l’extérieur, signale qu’une demande de protection avait déjà été faite en 2001 par le service départemental de l’Architecture. Il montre le plan, fait l’historique de la distribution intérieure, projette des photos de l’intérieur et conclut, passant sans transition du registre descriptif au registre prescriptif : compte tenu de l’intérêt, il propose la protection en totalité des parcelles colorées en vert sur le plan (le logis, la chapelle, le corps de bâtiment le plus ancien, le colombier) et la protection partielle pour les dépendances, la levée de terre et l’étang, par une inscription à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques.

10Il se rassied. La discussion peut commencer. Elle s’engagera d’emblée dans le registre évaluatif, pour aboutir à cette prescription non plus en paroles et optative, mais en actes et effective, qu’est le vote.

11La parole est donnée à l’architecte en chef des Monuments historiques, absent, mais dont on lit le bref rapport : devant la cohérence de l’ensemble, son avis est favorable. Après lui, le conservateur régional des Monuments historiques déclare, en quelques mots, que le bâtiment possède les critères d’authenticité requis : son avis est donc favorable également. Le conservateur régional de l’Inventaire approuve l’inscription, car pour une fois, note-t-il, les restaurations n’ont pas altéré les bâtiments d’origine. Intervient alors le maire du lieu concerné : il explique qu’un travail considérable a été réalisé depuis quatre ans par les propriétaires de ce manoir, avec toutes les qualités requises pour conserver le caractère ancien et d’époque, ce dont la commune se félicite. Il est donc favorable au « classement ». Il ajoute que, « pour la petite histoire », Chateaubriand raconte dans ses Mémoires qu’il a connu ses premières émotions érotiques dans une salle de ce château. Puis, à la demande du président de séance, il se retire. La discussion est courte : le président se dit impressionné par la restauration et demande s’il y a des observations. Personne ne prend la parole. Il récapitule les parcelles à protéger et précise qu’à ses yeux une inscription à l’Inventaire supplémentaire suffit, car l’ensemble ne mérite pas une protection plus élevée. On procède au vote, à main levée : l’inscription est approuvée à l’unanimité. Le tout aura duré vingt-cinq minutes.

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12En l’absence de toute dissension, les critères auront été peu explicités : seules l’« authenticité » et la « cohérence » ont été mentionnées. Or ce sont là, nous le verrons, les deux valeurs fondamentales en matière d’expertise patrimoniale, dont nous dégagerons les fondements et les enjeux à l’issue de ce compte rendu. Ce double jugement de valeur s’appuie sur une description à la fois verbale et iconique des différentes parties constituantes de l’objet, faisant état, premièrement, de leur ancienneté respective et, deuxièmement, de leur état de conservation par rapport à l’origine (comparaison cadastrale, analyse de la distribution intérieure, qualité de la restauration). À ces critères d’experts, l’élu ajoute deux arguments extérieurs à la logique strictement patrimoniale : l’environnement humain, avec le soutien de la commune, et l’anecdote érotique, avec les Mémoires du grand écrivain.

13Notons deux silences qui peuvent étonner l’observateur extérieur : d’une part, aucun terme d’ordre esthétique (« beau », « magnifique », etc.) n’a été prononcé ; d’autre part, le niveau inférieur de protection n’a pas été discuté : il semble aller de soi pour tous les membres de la commission que cet ensemble ne mérite pas le classement. L’une et l’autre de ces deux abstentions sont propres au regard expert : dans cet univers, le vocabulaire esthétique est laissé au profane ou, du moins, aux situations ordinaires, extérieures à l’expertise ; et la connaissance d’un nombre important de dossiers permet de relativiser les qualités de chacun, sur une échelle mentale des valeurs qui semble, ici, assez largement partagée.

Deuxième dossier : l’intérieur contre l’extérieur

14Ce deuxième dossier va s’avérer moins consensuel. Le même rapporteur que précédemment présente le cas : un manoir avec logis en terre, du xvie siècle. Il a été acheté et restauré dans les années 1970. On note le blason à fleur de lys, de « belles fenêtres », des éléments xvie et xviie. Un pavillon en tourelle a été adjoint sur un côté par les propriétaires actuels qui ne voulaient pas modifier la distribution intérieure (il s’agit de leur résidence principale) et ont utilisé l’emplacement sur lequel figurait autrefois, avant la Révolution, un bâtiment ancien.

15Le rapporteur montre et commente le plan, insistant sur la distribution intérieure, le « bel escalier » xviie en bois de style local, une pièce haute, qui « fait l’originalité, la singularité de ce logis », la cheminée xvie, l’armoire murale d’origine, la porte xvie, la cuisine avec cheminée xvie, les poutres moulurées, restaurées et remises en place par les propriétaires. Il mentionne également des dépendances actuelles, une soue « postérieure au relevé cadastral de 1848 », des vestiges, un puits, une entrée. Enfin, il souligne l’existence de deux maisons modernes construites récemment dans les abords – il montre des photos avant/après de l’environnement, sans et avec ces maisons. Il propose que, malgré les transformations, le logis soit protégé en totalité, parce que, premièrement, il s’agit d’une construction en terre dont il subsiste peu de vestiges xviie dans ce matériau ; deuxièmement, la distribution a été conservée, bien qu’on puisse déplorer la construction du pavillon, ainsi que le carrelage du rez-de-chaussée en grès cérame, un peu « malheureux » ; troisièmement, les constructions xviie sont de « belle facture ».

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16C’est au tour de l’architecte en chef des Monuments historiques de lire son avis : l’ensemble est pittoresque, mais l’adjonction récente du pavillon, dissymétrique, est dommageable. Il est donc défavorable à la protection. En revanche, l’architecte des Bâtiments de France souligne que l’ensemble a été restauré avec soin, malgré le carrelage. La silhouette « ne saurait de bon sens être critiquée » : il est donc favorable à l’inscription. Le conservateur régional de l’Inventaire renchérit : certes, la tour de service nuit à l’aspect extérieur, mais c’est ce qui a permis la conservation de la distribution intérieure, dont il reste peu d’exemples ; cela justifie donc à ses yeux un avis favorable.

17Le conservateur régional des Monuments historiques, partagé, reconnaît à la fois que le cas est intéressant, du fait qu’il s’agit d’architecture de terre et que l’intérieur est resté authentique, et que l’adjonction du pavillon est gênante. Il introduit alors un nouvel élément de discussion : la demande des propriétaires est motivée par la protection de l’environnement, or, selon lui, l’environnement n’est pas menacé. Son avis est donc très réservé. On lit alors le fax envoyé par le maire de la commune, qui n’a pas pu se déplacer : il n’est pas opposé au « classement » (sic), mais il souhaiterait que ce soit sans contraintes pour le développement ultérieur de la commune. Ce qui déclenche les rires de l’assistance : « Toujours le beurre et l’argent du beurre ! » commente le président. S’ensuit une discussion : le chef du service départemental de l’architecture et du patrimoine demande ce qu’il en est du zonage plu (plan local d’urbanisme), car il faudrait connaître le contexte en matière de contraintes urbaines. Personne ne connaît la réponse, mais le conservateur régional des Monuments historiques reprend la parole pour souligner la rareté des constructions en terre, d’où la difficulté du cas. Un représentant d’association s’interroge sur la date de la demande de protection (2001, précise le rapporteur) et la date des photos de l’environnement car, dit-il, ce serait dur de pénaliser le propriétaire par rapport aux risques de défiguration du site. Le conservateur régional de l’Inventaire revient lui aussi à la charge pour défendre le cas : il rappelle qu’« on avait déjà évoqué » la protection des architectures en terre ; abstraction faite de l’adjonction, c’est un exemple qui « sort de l’ordinaire ». De plus, habituellement, pour ce genre d’édifices, on a un environnement « médiocre voire calamiteux ». Il veut donc plaider pour cet édifice : les éléments du xvie ne sont « pas des ré-emplois » ; l’architecture est « caractéristique du pays » ; les baies sont « raffinées », les cheminées « intéressantes » et, surtout, « la distribution est conservée » ; on a gardé la souche ancienne, et la charpente est « remarquable ». Il est donc, répète-t-il, favorable à l’inscription, en en excluant l’adjonction xxe siècle.

18Le conseiller architecture de la drac note « un début de patte-d’oie sur le cadastre napoléonien » : existe-t-il un historique de l’accès ? Il souligne la nécessité de protéger les abords, et propose pour cela un ppm (périmètre de protection modifié), car il souscrit au souci du maire que tout l’environnement ne soit pas protégé. Un autre représentant d’association revient sur « la thématique des maisons en terre » : en existe-t-il d’autres protégées de la même époque ? « Seulement quelques édifices partiels », indique le rapporteur. S’ensuit une discussion assez confuse sur les modalités administratives permettant de limiter l’urbanisation alentour, que conclut le président en déclarant qu’il faut « inciter le maire à une démarche d’urbanisme raisonné ». Un élu fait état de son « malaise » dans cette affaire, du fait que l’intérieur est très intéressant et l’escalier d’une réelle qualité, mais qu’il est personnellement très réservé à cause du positionnement du manoir dans son environnement. Un autre représentant d’association renchérit : comment faire pour que ce type d’urbanisation ne se reproduise pas ? Le président récapitule cette « panoplie d’arguments contradictoires », souligne la « diversité des responsabilités », entre souci de préservation et maîtrise de l’urbanisme, et résume : « C’est un spécimen malgré les altérations. »

19On procède au vote : à treize voix pour, deux contre (l’élu et le conservateur régional des Monuments historiques) et six abstentions, l’inscription est décidée à la majorité. Le tout aura duré trente minutes.

20Récapitulons les critères en jeu et les raisons du clivage. Ce qui plaide ici en faveur de la protection, c’est d’abord la rareté du matériau : l’architecture de terre. Mais la rareté n’est pas une valeur en tant que telle (un mur peint en bleu canard serait rare, certes, mais probablement disqualifiant) : il faut qu’elle soit associée à une valeur indiscutable ; et la valeur centrale en matière patrimoniale, c’est l’authenticité. Or ici, l’authenticité est avérée pour l’intérieur du bâtiment (la distribution conservée) mais pas pour l’extérieur (l’adjonction d’une tour de service dont – ironiquement – la fonction est justement de préserver la distribution intérieure avec, notamment, le bel escalier d’époque). Le problème ainsi posé est donc non seulement l’atteinte à l’authenticité, mais aussi l’atteinte à la beauté, du moins aux yeux des responsables des Monuments historiques, qui déplorent ce qui « nuit à l’aspect extérieur », à la « symétrie ». En revanche, le responsable de l’Inventaire met l’accent, lui, sur l’authenticité de l’intérieur, en accord avec les principes de ce service, dont les chercheurs actuels tendent à privilégier la fonction plutôt que la forme, la trace des usages anciens plutôt que l’apparence actuelle, la sociologie des usages plus que l’histoire de l’art [8] – d’où l’attention portée à la « distribution » des espaces intérieurs.

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21Enfin, à ces deux catégories de critères – authenticité et beauté – et à leur valeur ajoutée qu’est la rareté, s’ajoute un critère de cohérence décliné ici selon plusieurs référents : le bâtiment d’origine, avec la cohérence par rapport au passé (authenticité) ; la façade, avec la cohérence formelle du bâti (symétrie et harmonie, propres à l’esthétique classique) ; l’environnement, avec la cohérence entre le manoir et ses abords, qu’il faut aussi protéger de l’impureté pour garantir le sentiment d’authenticité ; et, enfin, l’historique des précédentes décisions de protection, avec la cohérence procédurale (« on avait déjà évoqué la protection des architectures de terre »). Si la tour de service ne venait pas entamer l’authenticité et la beauté de l’ensemble, il apparaîtrait sans doute évident qu’il faut protéger certes le bâtiment mais aussi ses abords – et l’on aurait alors un cas aussi consensuel que le précédent. Mais l’adjonction mal venue, qui singularise négativement, rend la question des abords elle-même peu discriminante puisqu’il est inutile de les protéger si l’œuvre en question n’en vaut pas vraiment la peine : de sorte que l’apparition de cet argument, sans doute amené pour contourner le problème, ne permet pas vraiment de sortir de l’embarras. D’où le nombre important d’abstentions, et l’absence d’unanimité de la décision finale.

Troisième dossier : l’extérieur contre l’intérieur

22Le cas suivant est diamétralement opposé : un château de grande allure, très « Relais et Châteaux », mais dont le plan d’origine a été modifié. Le maire, cette fois, est présent : dès qu’il est entré, le rapporteur commence son exposé, présentant un ensemble « xvie, xviie et xviiie », avec un escalier à vis du xvie ; dressant un rapide historique des familles qui l’ont possédé ; évoquant l’aménagement paysager ; soulignant les modifications fin xixe et les adjonctions, notamment un bassin ovale, et une distribution modifiée au xixe. L’ensemble est d’un « style classique d’une très grande sobriété, très représentatif de son époque » (le xviiie). Mais c’est, conclut-il, un dossier « très limite », en raison de la modification du plan d’origine et de la transformation de la distribution. En conséquence, il propose une inscription limitée aux façades et toitures, à une partie du logis, et aux communs.

23Pour l’architecte en chef des Monuments historiques, l’ensemble est « plein de charme, mais sans rien d’exceptionnel » : son avis est donc défavorable. Défavorable également, l’architecte des Bâtiments de France propose quand même un « ppm » (périmètre de protection modifié). Le conservateur de l’Inventaire n’est « pas certain que le bâtiment xviie soit homogène » et déplore les modifications intérieures : il est donc, lui aussi, défavorable. De même, le conservateur régional des Monuments historiques note que l’ensemble « ne présente pas les critères d’authenticité architecturale méritant protection » : lui non plus ne penche pas en sa faveur.

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24C’est au tour du maire de la petite commune de prendre la parole, manifestement intimidé face à ces spécialistes, avec son allure et sa diction un peu paysannes. Il insiste sur le fait que, depuis l’acquisition, de gros efforts ont été faits à l’intérieur. « Invité par les propriétaires », il a pu visiter, et constater le gros travail, remis au goût du xviiie : « Au nom de la population que je représente, mon avis est très favorable. » « C’est, ajoute-t-il, un atout de plus au niveau touristique : nous n’avons qu’un site mégalithique pas exploité, deux souterrains de l’âge de fer, et un château du xviie. » De plus, « au niveau de la commune, nous avons obtenu une troisième fleur au concours des villages fleuris : c’est dire que nous faisons de gros efforts pour la mise en valeur de notre commune ».

25Un représentant d’association lui demande si le château peut se visiter. « Durant les journées du patrimoine, il se visitera, mais il est encore en rénovation », répond l’élu. « Le château bénéficie d’un agrément fiscal, donc il est ouvert à la visite », précise le rapporteur, mieux au fait des contraintes administratives. Quelqu’un fait remarquer le nombre de chambres et demande si le château est destiné à l’hôtellerie : « Pas pour le moment », répond le maire, qui se retire pour qu’on puisse délibérer.

26Un représentant d’association se dit « pas charmé par l’architecture, mais compte tenu de l’intérêt du maire, il serait maladroit d’émettre un avis défavorable ». Le conservateur de l’Inventaire reprend la parole pour récapituler les atouts – « une certaine qualité d’architecture Louis XVI, pour les pavillons, à condition qu’on parvienne à y accéder » – et les handicaps – « mais par rapport au dossier précédent, pas de cohérence de la distribution entre éléments xviiie, xixe, xxe ». Son avis reste défavorable, « malgré la qualité de l’architecture », car « si l’on adopte le parti de prendre en compte un ensemble, le dossier est insuffisant ». On procède au vote : l’inscription est refusée par quinze voix contre, quatre pour et une abstention (celle du président). Le tout aura duré vingt-cinq minutes.

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27Cohérence procédurale, privilège accordé à l’authenticité intérieure contre la qualité de l’architecture extérieure : l’affaire ne pose guère problème aux experts, comme en témoignent la rapidité de la délibération, l’unique abstention et la forte majorité des opposants – et ce malgré le soutien timide du représentant d’association dont il n’est pas insignifiant de préciser ici qu’il s’agit d’une femme, sans doute sensible aux fleurs et aux règles de sociabilité en vertu desquelles « il serait maladroit » d’aller contre « l’intérêt du maire ». Mais ce dernier aura probablement eu du mal à comprendre les justifications d’une décision qui ne tient pas compte de l’ancienneté, de la beauté, du charme, de l’allure du bâtiment, ainsi que du goût de ses propriétaires, qui ont généreusement invité dans leurs appartements – transposons à peine – le pauvre paysan chargé de plaider la cause des nobles châtelains auprès de l’État-roi, dans ce monde à l’envers qu’est la démocratie, où la beauté, la rareté, le luxe ne sont même plus capables de créer des privilèges, fût-ce celui de l’exemption fiscale et de l’ennoblissement au titre des Monuments historiques. Qui comprendra ?

La pluralité des critères

28Il est temps à présent de récapituler l’éventail des critères utilisés par les experts pour faire entrer un bâtiment dans la catégorie du patrimoine national. À travers ces critères apparaîtront les valeurs qui les sous-tendent ainsi que, à un niveau supérieur de généralité, les registres auxquels appartiennent ces valeurs [9] – registres dont l’hétérogénéité peut aboutir non plus seulement à des conflits d’évaluation, mais à de véritables différends, irréductibles par la discussion.

29Dans le cas qui nous occupe, ces risques de différends sont faibles, car il existe à l’évidence une forte homogénéité de jugement entre les experts, qui partagent tous, plus ou moins, les mêmes valeurs : c’est là une caractéristique propre à tout travail d’expertise collective pour lequel un petit nombre de personnes aux compétences très spécialisées doivent s’accorder sur une décision commune. Quant à la gamme des registres, nous allons voir qu’elle est également assez réduite, du fait que la construction de l’objet lui-même – le patrimoine – résulte, en amont, de la mise en œuvre d’un petit nombre de valeurs. De ce fait, les désaccords résultent soit de l’inflexion plus ou moins appuyée sur telle ou telle valeur, d’un expert à l’autre, soit des caractéristiques objectives de l’œuvre en question qui, au lieu de se présenter de façon homogène, peut offrir des « prises » [10] contradictoires à la perception et à l’évaluation.

30Le sens commun tend à aborder la question du patrimoine en termes esthétiques : un château, une cathédrale sont d’emblée perçus comme « beaux », quels que soient les critères – variables selon les époques, les cultures, les individus – sur lesquels s’appuie ce sentiment de beauté, et qui seront éventuellement mis en œuvre pour le justifier. Or, de toutes les valeurs invoquées par les experts, la beauté est probablement la moins pertinente : nous avons vu qu’elle apparaît à peine, de manière indirecte (l’« aspect extérieur », la « symétrie »), et uniquement chez le responsable des Monuments historiques, alors que le responsable de l’Inventaire, porté par la logique plus scientifique de sa mission, évite ce recours à une valeur considérée dans notre culture comme plutôt subjective, relevant du « goût » individuel plutôt que de caractéristiques objectives ou, du moins, mesurables. Le recours au registre « esthétique » semble ainsi marginal, du moins dans l’argumentation – car il pourrait intervenir au niveau du « coup d’œil », dans la perception immédiate de l’œuvre, qui colore le jugement intérieur sans forcément alimenter l’opinion exprimée dans le contexte d’une délibération d’experts. On ne peut donc guère que le deviner, à travers le privilège accordé à la forme sur la fonction, à l’extérieur sur l’intérieur, à la façade sur la distribution et, parallèlement, à l’administration des Monuments historiques, plus esthète et plus traditionaliste dans ses choix, sur l’administration de l’Inventaire, plus ethnologue et plus ouverte au « petit patrimoine ».

31Beaucoup plus pertinent que les critères relatifs à la beauté, celui de l’âge du bâtiment est manifestement très présent dans les évaluations. Ainsi, la date de construction ou de rénovation est le premier renseignement donné par les rapporteurs ; et les deux dossiers pour lesquels le classement a été d’emblée proposé – et, dans un cas, voté – concernaient des ruines de châteaux médiévaux. De fait, l’ancienneté est une valeur fondamentale en matière de patrimoine – si fondamentale qu’elle n’a guère besoin de s’expliciter : un désaccord éventuel ne peut porter que sur sa mesure, non sur sa pertinence. Cela étant dit, l’exigence d’ancienneté s’est beaucoup relativisée dans l’histoire de l’administration patrimoniale : la notion de monument historique, puis de patrimoine, s’est considérablement élargie depuis son apparition après la Révolution [11], au point de recouvrir aujourd’hui des œuvres relativement récentes.

32L’appartenance au passé n’en reste pas moins une propriété constitutive de la notion de patrimoine, comme l’avait noté l’historien d’art Aloïs Riegl dans son célèbre Culte moderne des monuments. Il voyait dans la « valeur d’ancienneté » (« toutes les créations de l’homme, indépendamment de leur signification ou de leur destination originelles, pourvu qu’elles témoignent à l’évidence avoir subi l’épreuve du temps ») la valeur que devait privilégier le xxe siècle, alors que l’Antiquité préférait les monuments « intentionnels », à « valeur de commémoration », et que le xixe siècle avait élargi la notion de monument historique à ceux qui ne sont pas intentionnels mais possèdent une « valeur historique » du fait qu’ils « renvoient à un moment particulier » [12].

33Toutefois l’ancienneté est une valeur non pas absolue mais relative ou, si l’on préfère, contextuelle [13] : une ferme « ancienne » aux yeux d’un spécialiste du patrimoine a toutes chances d’apparaître comme une « vieille bicoque » aux yeux de l’habitant. Autrement dit, le critère de l’âge ne produit pas à lui seul de la valeur : il doit, pour cela, se combiner avec une autre valeur (par exemple, la beauté) ; ou alors, avec un contexte induisant la valorisation préalable de la référence au passé, comme c’est le cas pour le patrimoine. En d’autres termes, l’ancienneté peut fonctionner, selon les contextes, comme une valeur en tant que telle ou comme un amplificateur de valeur. On peut cependant se demander si, à un certain niveau d’élévation du critère de l’âge, l’ancienneté ne devient pas une valeur partagée par tout un chacun : un tesson ramassé dans un champ sera probablement mis à la poubelle par le promeneur s’il est identifié comme récent, alors qu’il sera conservé précieusement s’il est présumé appartenir à la préhistoire. Mais, faute d’investigations empiriques, nous en sommes réduits là aux conjectures.

34L’ancienneté a partie liée avec la rareté [14] : les risques de destruction augmentant avec le temps, les bâtiments les plus anciens sont aussi, par définition, les plus rares. Cette dimension chronologique de la rareté est si évidente qu’elle peut demeurer implicite dans le cadre du travail en commission : pour les familiers du patrimoine, elle va de soi. En revanche, la rareté apparaît explicitement dans l’argumentation lorsqu’elle est associée à un critère typologique, tel que le matériau : nous avons vu comment la rareté des vestiges de l’architecture de terre a fourni un argument décisif en faveur de la protection, malgré le handicap d’une tourelle rajoutée en façade. Reste à se demander, là encore, si la rareté est une valeur en soi, ou si elle n’est pas plutôt un facteur d’amplification de la valeur : si un matériau en voie de disparition (la terre, par exemple) ajoute à la valeur d’un bâtiment ancien, en revanche, un décor « de mauvais goût » ou un bâtiment au style atypique dans un ensemble homogène seront disqualifiés comme excentriques, en dépit voire en raison de leur rareté.

35En effet, la rareté peut contrevenir à une valeur qui apparaît, elle, comme fondamentale : la valeur de cohérence (présente également sous forme de cohérence procédurale : une commission doit pouvoir justifier de la similitude de ses différentes décisions au regard des critères qu’elle met en œuvre). Il faut qu’un objet ait été préalablement « singularisé » en même temps que valorisé en raison de sa singularité même – autrement dit, qu’il s’inscrive en « régime de singularité » [15] – pour que sa rareté apparaisse comme une valeur ajoutée, plutôt que comme une atteinte à la cohérence. Un château isolé dans un environnement médiocre n’est pas considéré comme « faisant tache », « déparant » la cohérence de l’urbanisme : c’est ce dernier qui « jure » avec le château, préalablement investi des valeurs d’ancienneté, de beauté et de rareté. Et c’est du château lui-même qu’on attendra la cohérence interne de ses parties constituantes, gage du sentiment de beauté et, probablement, d’authenticité, dans la mesure où la cohérence est souvent le signe que l’original n’a pas été touché, déparé par des modifications postérieures à la construction.

L’administration de l’authenticité

36Venons-en donc à notre dernière valeur, qui est aussi la première sur l’échelle d’importance : l’authenticité. Notons qu’elle est rarement désignée comme telle par nos experts : elle n’apparaît qu’à travers une batterie de critères relativement précis, qu’il revient au sociologue d’interpréter en les considérant comme appartenant à une même catégorie axiologique, nommée authenticité.

37Mais qu’est-ce que l’authenticité ? Le dictionnaire associe ce terme à des notions apparemment disparates : solennité de l’attestation, véracité, sincérité, naturel. Le sociologue, lui, possède d’autres outils de définition : à partir d’une analyse inductive des différentes situations dans lesquelles peut apparaître un jugement que nous – en tant que participants d’une même culture – associons intuitivement à l’authenticité, il est possible de définir celle-ci comme la continuité du lien entre l’objet en question et son origine : un produit et son terroir, un document et son producteur, le résultat d’un acte et son intentionnalité, l’œuvre irremplaçable et son auteur particulier. Continuité substantielle, continuité stylistique, traçabilité, intériorité et originalité dessinent ainsi – en dépit de l’apparente hétérogénéité des critères – les conditions auxquelles un objet, un acte, une situation, une personne peuvent être dits « authentiques » [16].

38Dans le cas qui nous occupe, l’authenticité d’un bâtiment résulte de la continuité à la fois substantielle et stylistique entre le moment présent et celui de son édification : bon état de conservation, pas de modification de l’apparence intérieure ni de la distribution intérieure, bref, un bâtiment « dans son jus, si j’ose m’exprimer ainsi », comme le dit l’un des membres de la commission, utilisant un vocabulaire familier aux chercheurs de l’Inventaire. Appuyée sur le caractère inentamé de l’objet originel, sur sa pureté, cette valeur d’authenticité est étroitement liée aux valeurs précédemment analysées : en effet, elle est d’autant plus prégnante – et d’autant plus rare – que l’objet en question est ancien, c’est-à-dire que la chaîne reliant son état présent à son état d’origine est longue ; en outre, la conservation de l’état d’origine implique une cohérence des éléments entre eux, au regard des normes architecturales propres à l’époque de la construction ; enfin, la perception – même peu consciente – de l’intégrité du bâti a toutes chances de susciter chez les spécialistes un sentiment de beauté, une émotion esthétique (émotion qui, chez le profane, aura sans doute plus à voir avec la « grandiosité », la profusion du décor ou le luxe).

39C’est dire, d’une part, que les différences de valeurs intervenant dans l’expertise collective n’impliquent pas pour autant qu’elles soient indépendantes les unes des autres. Les valeurs peuvent se combiner entre elles, se renforcer, comme elles peuvent d’ailleurs se contredire : telle, par exemple, la beauté d’un aménagement et son caractère récent, ou bien l’ancienneté d’un élément et son aspect très abîmé, ou encore l’ancienneté d’une transformation de l’état d’origine (comme dans le cas, classique, des restaurations anciennes).

40Et c’est dire, d’autre part, que l’axiologie patrimoniale est portée par deux valeurs déterminantes : la valeur d’ancienneté et la valeur d’authenticité. Si la valeur d’ancienneté repose sur le critère simple (même s’il est parfois difficile à établir matériellement) de la datation, en revanche la valeur d’authenticité est plus complexe à appliquer : d’abord parce qu’elle est davantage polysémique, ensuite parce qu’elle repose, en matière patrimoniale, sur un critère de « non-dénaturation » (pour reprendre le vocabulaire actuel des chercheurs de l’Inventaire) qui peut donner lieu à des jugements non concordants d’un expert à l’autre (par exemple, ici, selon qu’on privilégie la façade ou la distribution intérieure), ou d’une région à l’autre (l’enduit sera considéré comme authentique sur une maison bretonne des années 1930, mais dénaturant sur une maison alsacienne à pans de bois).

41Dans le répertoire de « registres de valeurs » que nous avons mis en œuvre à partir de différents terrains (art contemporain, arts premiers, littérature, science), l’ancienneté appartient au registre dit « domestique », tel qu’il a été construit par Boltanski et Thévenot à propos des opérations de justification [17], avec le respect des aînés, les relations d’ordre, les rapports de confiance, l’attachement familial, le souci de transmission, l’appartenance commune : toutes exigences avec lesquelles la notion de patrimoine entre évidemment en consonance, ne serait-ce que parce que le terme s’applique aussi bien au patrimoine familial que – à un niveau bien supérieur de généralité – au patrimoine national, voire universel. Quant à l’authenticité, elle relève du registre que nous avons appelé « purificatoire » (néologisme forgé faute d’adjectif disponible) car recouvrant les valeurs liées à la pureté, à l’intégrité – de l’authenticité à l’hygiène en passant par l’écologie. Ce sont donc bien, fondamentalement, ces deux registres de valeurs – « domestique » et « purificatoire » – qui régissent le monde patrimonial, même si celui-ci est plus marginalement lié au registre esthétique.

42C’est ainsi que l’administration du patrimoine, dont la commission que nous avons observée constitue un maillon essentiel, a bien pour mission d’« administrer » – au sens de gérer – les éléments du passé qu’elle a répertoriés ; mais elle a aussi, et avant tout, pour mission d’« administrer » – au sens d’attribuer – la valeur d’authenticité à ceux qui ont vocation à entrer dans son champ. Il s’agit donc bien, au double sens du terme, d’une « administration de l’authenticité ».

Notes

  • [1]
    Je tiens à remercier toutes les personnes qui m’ont aidée à effectuer cette observation, ou qui m’ont fait bénéficier des leurs, et que seul le souci de ne pas personnaliser mon objet m’empêche de citer nominativement.
  • [2]
    En vertu de la loi de 1913, un bâtiment inscrit à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques ne peut être détruit, déplacé, modifié, restauré, réparé sans qu’en soit informé le représentant de l’État (directeur régional des Affaires culturelles), qui ne peut s’y opposer que par une mesure de classement. Un bâtiment classé au titre des monuments historiques ne peut être détruit, déplacé, modifié, restauré, réparé sans l’accord du ministère, et sous sa surveillance ; aucune construction neuve ne peut y être adossée sans autorisation ; il ne peut être cédé sans que le ministère en soit informé, ni exproprié sans consultation ; aucune modification ne peut intervenir dans son champ de visibilité sans l’accord de l’architecte des Bâtiments de France. En contrepartie de ces contraintes, les propriétaires des bâtiments classés ou inscrits bénéficient de déductions fiscales et, éventuellement, de subventions.
  • [3]
    Sur les principes théoriques qui guident cette approche des valeurs, voir Nathalie Heinich, 2006a.
  • [4]
    Conseil de l’architecture, de l’urbanisme et de l’environnement (niveau départemental).
  • [5]
    Sur les associations de défense du patrimoine, voir Hervé Glevarec et Guy Saez, 2002.
  • [6]
    La Région concernée.
  • [7]
    Pour éviter la personnalisation du compte rendu, nous utiliserons le pronom personnel masculin/neutre « il », quel que soit le sexe du locuteur.
  • [8]
    Voir N. Heinich, 2006b.
  • [9]
    Sur l’ensemble du répertoire des « registres de valeurs », et sur la définition de cette notion [N. Heinich, 1995, 1998, 2005].
  • [10]
    Nous donnons à ce terme le sens fort que lui confère la psychologie de la perception, avec la notion d’« affordance » [James J. Gibson, 1979], et qu’ont notamment appliqué Christian Bessy et Francis Chateauraynaud [1995] : la « prise commune », au fondement de l’expertise, « permettant de valider actions et jugements en passant par les objets » (p. 236), « est le produit de la rencontre entre un dispositif porté par la ou les personnes engagées dans l’épreuve et un réseau de corps fournissant des saillances, des plis, des interstices » (p. 239).
  • [11]
    Voir notamment Dominique Poulot, 1985, 2001 ; Marie-Anne Sire, 1996.
  • [12]
    Voir Aloïs Riegl, 1903.
  • [13]
    Sur la différence entre « valeurs fondamentales », positives quelles que soient le contexte, et « valeurs contextuelles », qui peuvent basculer du qualifiant au disqualifiant selon les situations, voir Nathalie Heinich et Pierre Verdrager, 2006.
  • [14]
    Sur la notion de rareté en art, voir Raymonde Moulin, 1978.
  • [15]
    Sur l’opposition entre « régime de singularité » et « régime de communauté », comme systèmes partagés de « qualification » (définition et évaluation), susceptibles de changer le sens, positif ou négatif, affecté aux valeurs, voir N. Heinich, 1991.
  • [16]
    Voir N. Heinich, « Le faux comme révélateur de l’authenticité », à paraître.
  • [17]
    Voir Luc Boltanski et Laurent Thévenot, 1991. Sur l’articulation entre ce modèle, construit à propos de la justification des actions, et celui que nous proposons, élaboré pour ordonner les différents types d’évaluations, voir N. Heinich, 2000.
Français

Résumé

S’inscrivant à la fois dans la perspective d’une ethnographie de l’expertise et d’une sociologie des valeurs, cet article décrit une réunion d’une commission régionale de protection du patrimoine et des sites (crps), chargée soit de proposer le classement d’un édifice au titre des Monuments historiques, soit de décider son inscription à l’Inventaire supplémentaire. Après une restitution détaillée des discussions entre experts, il dégage les critères, les valeurs et les registres de valeurs sollicités en matière patrimoniale. On voit ainsi comment s’articulent concrètement, dans toute leur complexité, les valeurs d’ancienneté, de rareté, de beauté et, surtout, d’authenticité.

Mots-clés

  • authenticité
  • expertise
  • patrimoine
  • rareté
  • valeurs
Deutsch

Die Verwaltung der Authentizität

Von der gemeinsamen Expertise zur Entscheidung für das nationale Erbe

Die Verwaltung der Authentizität. Von der gemeinsamen Expertise zur Entscheidung für das nationale Erbe

Dieser Artikel analysiert ausethnographischerundsoziologischerSichteineSitzungdercommissionrégionaledeprotectiondupatrimoine et des sites (CRPS) – der regionalen Kontrollkommission zum Schutz des kulturellen Erbes. Der Kommission obliegt es, bestimmte Orte (Bauwerke, Denkmäler etc.) entweder direkt als historisches Monument (Monuments historiques) zu klassifizieren oder in den zusätzlichen Kanon der geschützten Orte (Inventaire supplémentaire) aufzunehmen. Der Artikel wirft anhand einer detaillierten Rekonstruktion der geführten Expertengespräche, einen Blick auf die zugrundeliegenden Kriterien, die allgemeinen Werte sowie den Kanon der historisch-kulturellen Werte. Dabei wird vor allem deutlich, welche Rolle Werte wie Alter, Seltenheit, Schönheit und vor allem Authentizität für die zu treffenden Entscheidung spielen.

Schlagwörter

  • Authentizität
  • Expertise
  • Erbe
  • Seltenheit
  • Werte

Références bibliographiques

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  • – 2000, Être écrivain. Création et identité, Paris, La Découverte.
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  • – 2006a, « La sociologie à l’épreuve des valeurs », Cahiers internationaux de sociologie, CXXI, juillet-décembre.
  • – 2006b, « L’Inventaire et ses critères », rapport pour le ministère de la Culture, Paris.
  • – à paraître, « La réflexivité comme méthode d’enquête : sociologie de l’Inventaire du patrimoine ».
  • – à paraître, « Le faux comme révélateur de l’authenticité », actes du colloque De main de maître : l’artiste et le faux, Paris, Musée du Louvre, avril 2004.
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Nathalie Heinich
cral-ehess
96, boulevard Raspail
75006 Paris
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Mis en ligne sur Cairn.info le 05/06/2009
https://doi.org/10.3917/ethn.093.0509
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