1Dans ses nombreux travaux, Jean Cuisenier a souvent été confronté à la notion de rite, qu’il a étudiée en particulier sur le terrain bulgare, dans son interface avec celle de mythe [Cuisenier, 1998a]. Définir le rite, aux significations multiples, a toujours posé problème à l’ethnologie. L’apport théorique de Jean Cuisenier a permis avant tout de le distinguer d’autres concepts qui en sont proches [1989 : 23-40 ; 1998b]. Il n’en reste pas moins qu’il conserve une certaine plasticité, qui fait de lui un concept tout à la fois riche et difficile à manier. Les fonctionnalistes, comme Bronislaw Malinowski ou Radcliffe-Brown, y voient avant tout une manière de se représenter la société dans son unité. Ils en concluent, avec Émile Durkheim, qu’il joue un rôle essentiel de facteur de cohésion sociale. D’autres auteurs, tels qu’Edmund Leach, Claude Lévi-Strauss ou Grégory Bateson, insistent sur sa fonction symbolique. Selon eux, le rite dit quelque chose plus qu’il ne fait quelque chose.
Variété et plasticité des rites funéraires
2Les rituels sont des énoncés imagés des valeurs fondamentales d’une société. Plusieurs ethnologues pensent que leur compréhension relève d’une approche herméneutique du symbolisme dont ils sont porteurs. Le fait que, comme a pu le noter Frederik Barth [1975], les acteurs produisant le rite n’ont pas tous le même degré de connaissance de sa signification complique la tâche. Aussi, son contenu et sa forme sont-ils dépendants de la capacité des sociétés qui l’inventent à garder la mémoire de ses expressions et la compréhension de son sens. Or ces capacités appartiennent à des catégories d’individus susceptibles de disparaître, sans assurer la transmission de ce qu’ils savent. Le rite peut alors être progressivement abandonné ou ne survivre que sous une forme désuète, tout juste à même d’alimenter des manifestations folkloriques allant en s’essoufflant. Dans les pays industriels, ce fut le sort de tous les rituels saisonniers liés à des activités agricoles, profondément transformées par la mécanisation du travail et la réduction de la population rurale.
3Toutefois certains semblent présents, sous des configurations très diverses, dans des sociétés très différentes et à des époques très éloignées les unes des autres. C’est le cas des rites funéraires, dans lesquels il est tentant de voir avec Karl Gustav Jung [1964] des « archétypes universels », une infrastructure permanente de l’inconscient collectif, qui, sous des formes diverses, exprimerait toujours les mêmes interrogations sur le devenir de l’homme à partir de son décès.
4Les travaux de Jean Cuisenier sur les sociétés contemporaines des Carpates, en particulier les recherches qu’il a menées en Olténie, région marquée par de profondes croyances et activités cérémonielles autour de la mort [Cuisenier, 1986], montrent la permanence de rites funéraires complexes, visant à maintenir un lien entre le monde des vivants et l’au-delà. S’ils sont restés aussi régulièrement pratiqués dans certaines sociétés de l’« autre Europe », ils semblent avoir connu un certain appauvrissement dans les pays occidentaux. Y sont-ils pour autant en voie de disparition ? Ne suivent-ils pas des transformations reflétant l’évolution des mentalités devant diverses contraintes et face à de nouvelles opportunités ? Sous un langage différent, ne visent-ils pas à rééditer fondamentalement un même message ? Plutôt que de perdre progressivement leur sens en gardant des formes qui ne sont plus compréhensibles aux sociétés du présent, ne trouvent-ils pas, à travers un nouveau langage à exprimer, un signifié plus en phase avec les réalités sociales et culturelles du monde d’aujourd’hui ?
5Nous nous proposons ici d’explorer cette plasticité du rite funéraire à travers son évolution dans les sociétés africaines contemporaines, afin de mieux interroger son devenir dans la France actuelle. L’exemple de Jean Cuisenier, qui a souvent pratiqué l’approche comparative et mené des recherches sur des terrains divers, n’est pas étranger au choix de cette démarche.
Tradition et sociologie
6Dès les premières pages de La place des morts, enjeux et rites [1999], Patrick Baudry évoque le propos que lui avait tenu un camarade africain alors qu’ils suivaient les cours de Louis-Vincent Thomas. La discussion portait sur les relations que les Occidentaux entretenaient avec leurs morts. L’étudiant africain lui disait son étonnement, sa crainte, même. Comment pouvions-nous montrer autant d’indifférence au passage de nos convois funéraires ?
7Selon lui, nous vivons dans des sociétés qui connaissent la plus grande incertitude quant à la place qu’elles doivent ménager à leurs défunts. Tantôt on dit qu’« ils ne sont plus là », qu’ils ont « disparu », mais la confusion règne. Alors où sont-ils ? De l’« autre côté » ? Au cimetière ? Sous la pierre tombale ? « Au ciel » ? C’est indéterminé. Tantôt qu’ils sont autour de nous : on voit surgir des croyances selon lesquelles on pourrait continuer de les voir, de les sentir, de leur parler, etc. Les voir partout et nulle part est, selon Patrick Baudry [1], une façon de nier la mort, ce qui n’est pas sans rapport avec le mal-être des survivants, au-delà de leur peine.
8Nous nous demandons ce qu’est un rituel funéraire parce que apparemment nous sommes confrontés à un problème très concret qui se formulerait ainsi : dans une société caractérisée par un éclatement de toutes pratiques et croyances religieuses, évoluant vers une professionnalisation de la prise en charge des mourants et des défunts, nous sommes conviés à nous questionner sur les rites afin d’en déterminer la fonction « utile ». Ils nous aideraient à « contrôler » la souffrance, à « piloter la douleur », à accompagner les vivants dans leur « travail du deuil » [2]. Sur cette pente, cela voudrait dire que les rites « seraient faits » essentiellement pour activer chez les survivants la prise de conscience d’une « fin », d’une disparition. En un mot, ils ne concerneraient que ces derniers. Patrick Baudry se démarque de ce positivisme ambiant. Le rôle essentiel des rites est d’instituer une distance, un « espacement », entre les vivants et les morts et ils s’adressent « autant aux vivants qu’aux morts », parce qu’une croyance, essentielle, gît en deçà des religions instituées, qu’il appelle « une intelligence humaine », selon laquelle les morts continuent de vivre parmi les vivants.
Les figures de la mort en Côte d’Ivoire
9Les rites funéraires ont toujours été en Côte d’Ivoire le moment d’une intense dilapidation de richesses, voire de vies. À ce propos, les rumeurs sont encore vivaces selon lesquelles des sacrifices humains accompagneraient toujours les défunts dans leurs tombes. Cela dans le but de leur apporter l’énergie dont ils ont besoin pour continuer de vivre dans l’autre monde. Telle était l’opinion en 1993, en pays baoulé, à propos des funérailles somptueuses d’Houphouët-Boigny, le président de la Côte d’Ivoire. Les individus disaient n’avoir qu’une hâte, le soir, celle de regagner au plus vite leur domicile, pour éviter de rencontrer le « coupeur de têtes » du Président. Ils en parlaient d’une façon à la fois craintive et détachée, comme s’ils n’y croyaient pas vraiment. En Côte d’Ivoire, même si les croyances ne sont plus ce qu’elles étaient, elles ne sont pas totalement bouleversées. De l’animisme aux religions révélées, on pourrait discerner un continuum de convictions et d’attitudes.
10Nous évoquons d’abord une constante : la mort est toujours accidentelle, elle interrompt violemment le cours normal des choses. Elle est, par conséquent, appréhendée comme ce quelque chose qui ne devrait pas être. Il règne, chez les Occidentaux, une croyance étayée par des références choisies à des sociétés différentes ou à des époques différentes, selon laquelle on serait à même de vivre cette réalité d’une autre manière, en l’acceptant, en l’accueillant. Tout part de l’affirmation selon laquelle nos sociétés seraient des sociétés du déni de la mort, du refoulement, alors que d’autres exemples nous montrent qu’on pourrait s’y prendre autrement.
11Au contraire de ce qu’on voudrait croire, aucune société n’échappe au sentiment du drame que procure la confrontation à la mort. En Côte d’Ivoire, elle est ressentie comme une violence, une violence à laquelle le groupe va répondre par une autre violence, comme pour annihiler la première. Cela commence toujours par une enquête pour connaître le coupable de l’agression. Rien de ce qui arrive aux humains n’est fortuit. Le malheur, la mort ne sont quasiment jamais inexplicables. Ils sont toujours provoqués par une volonté ; la conséquence, soit d’un manquement au culte d’une divinité, soit de l’action d’un sorcier. Là se trouve l’explication essentielle de la compréhension de la mort comme violence. Elle est un meurtre auquel il convient souvent de répondre par un autre meurtre ou par un acte de substitution.
12Une telle conception n’est pas propre à ce que l’on peut appeler le milieu traditionnel. En effet, nous avons constaté qu’il existe en ville une obsession de la sorcellerie, une terreur que chacun partage, et qui se présente comme une véritable gangrène sociale. Nos interlocuteurs citadins localisent parfaitement la source de toutes ces menaces : c’est pour eux le « village », ou plutôt l’ordre du village, qui tente de s’imposer à celui de la ville. Dans leurs esprits, la relation à ce dernier est vécue souvent comme une aliénation. Quel contentieux oppose ville et village ?
13Les gens de la ville doivent beaucoup aux parents des villages. C’est grâce aux nombreux réseaux de solidarité (familiaux ou religieux), aux liens qui rapprochent à vie les individus d’une même classe d’âge, qu’ils ont pu d’abord « monter » à la grande ville, y apprendre un métier ou suivre des études, être hébergé chez l’oncle, qui lui aussi a bénéficié des mêmes avantages en son temps. Rien n’aurait pu se faire sans l’aide du village. Le village le fait savoir, et exige en retour la reconnaissance, le respect des traditions, le maintien des valeurs qui ont permis à tous de perpétuer la vie.
14Cependant, la vie dans la grande ville a ses propres lois. Il ne suffit pas d’y arriver pour réussir. Emplois, scolarisation, etc., sont des « chances » rares. Ceux qui réussissent vraiment ne sont pas légion. Le grand nombre doit se contenter de vivre ou de survivre. D’après les citadins, les gens du village ne le comprennent pas. Ils continuent de penser que quelle que soit votre situation vous pouvez, devez, continuer de les aider.
15Un beau jour, l’oncle, le neveu, la nièce arrivent du village pour s’installer chez vous. Ils viennent chercher votre contribution financière pour célébrer toutes sortes de fêtes et de cérémonies onéreuses. Ceux qui, désarmés financièrement, sont dans l’impossibilité de faire comprendre qu’ils ne peuvent pas ou qu’ils ne peuvent plus suivre sont ceux qui se sentent le plus exposés à l’agression sorcière.
16Dans un sens différent, les classes les plus favorisées, économiquement et culturellement, se montrent confiantes. Elles jouent avec sérénité sur les deux tableaux : leur condition leur donne les moyens de ménager les gens du village tout en jouissant d’une vie confortable à la ville. « On fait ce qu’il faut », disent-ils, « en retour, nous sommes protégés ». La signification de leur attitude est claire : on s’acquitte des « dettes » en donnant de l’argent.
17Aussi, la peur de la mort et l’ensemble des croyances suivent-elles l’évolution de la société ivoirienne. Elles sont liées à la compétition sociale. Système social et système des croyances ou de représentations de la mort sont interdépendants, ils évoluent au même rythme. Les frontières entre les vivants et les morts sont incertaines, il faut constamment les remettre en jeu. S’engage ainsi un combat sans merci. Dernier rebondissement : l’affrontement se focalise entre citadins et villageois ; pour être plus précis, entre parents. La prise en charge totale de la mort par une société, à l’inverse du régime du refoulement, ne correspond pas nécessairement à l’image apaisée que nous nous en faisons. Il s’agit d’un antagonisme éprouvant, sans fin.
Les rites funéraires
18En Côte d’Ivoire, les funérailles constituent un enjeu social. L’argent, le pouvoir sont des préoccupations centrales. La réunion des proches n’est pas un moment de recueillement et de paix sociale. Deux événements charpentent le cycle funéraire : les petites funérailles et les grandes funérailles. Les premières consacrent une célébration plus intime, familiale, occupée à la mise en terre, aux sacrifices, aux rites de purification, dans le souci d’accompagner le défunt et de soutenir les survivants. N’oublions pas la recherche des coupables en sorcellerie et la violence qui accompagne celle-ci. Les secondes se distinguent comme un temps social très fort. Elles ont parfois lieu des années après les premières et sont l’objet d’importantes dépenses. En conséquence les premières disparaissent, afin que les individus puissent se focaliser davantage sur les grandes. Il y a donc une sorte de contradiction entre les unes et les autres.
19Traditionnellement, les chefferies des villages exprimaient leur puissance lors des grandes funérailles. Au lendemain de l’indépendance, le monopole du faste revint peu à peu à la bourgeoisie d’État. Mais personne, à tous les niveaux de l’échelle sociale, ne peut échapper à cette « passion collective » que sont les rituels funéraires. À travers eux, il s’agit de montrer sa capacité à dépenser. Plus les cadeaux sont nombreux, plus ils sont somptueux, et plus les humbles seront prompts à reconnaître le rang des plus grands. Si bien que nécessairement ces temps forts de la vie sociale s’apparentent à une joute dans laquelle des personnes et des groupes vont rivaliser dans la destruction des richesses afin de démontrer « qui ils sont ». Si le temps a vu se modifier le contexte, notamment avec la valeur accordée à l’argent, l’expression des sentiments, des émotions, les relations construites autour de la mort ne se sont pas vraisemblablement modifiées.
20S’abstenir de dépenser (pour « imiter les Blancs », comme le réclament certains), c’est s’exposer à perdre le droit à la parole. On ne dira pas qu’ils « ne veulent pas donner », mais, en raillant, qu’ils « ne peuvent pas donner », ce qui les exclura de la vie du groupe. L’insolvabilité est objet de cruauté, elle ne peut en aucun cas être une excuse. L’enjeu est métaphysique : ne pas donner ou ne pas donner assez, c’est s’exposer à être enterré soi-même « comme un chien », c’est-à-dire sans faste et dans l’anonymat. Il est également social, en faisant reconnaître aux autres la dimension sociale de son existence physique. Les funérailles sont un moment privilégié où se fait la démonstration des forces et faiblesses des individus, des groupes en présence. La valeur des uns et des autres s’éprouve en ces occasions. Le prix de revient des cérémonies s’est considérablement élevé depuis trente ans ; les « grands », entrés dans la danse, ont provoqué une explosion, puis un surenchérissement des coûts.
21La haute société module ses pratiques funéraires en fonction du statut du défunt. S’il est lié à l’appareil d’État, ses funérailles sont prétexte à une liturgie politique. Les rituels marquent la suprématie de l’État sur toutes les autres instances. Toute réception se doit d’être au-dessus des critiques. On affrète des cars, des hôtesses s’occupent des visiteurs. On porte une très grande attention à l’étiquette. Mais, à chaque fois, des rivalités individuelles éclatent et cet ordre semble être remis en jeu ; justement parce qu’il doit s’éprouver. L’effet d’entraînement de ce potlatch sur les « petits » est terrible. La valeur accordée à l’argent prend donc une place grandissante.
22Les funérailles reflètent le problème des rapports que villageois et citadins entretiennent mutuellement. Les gens de la ville se font enterrer au village, là où leur mère enterra le placenta de leur naissance. Les lieux où les corps sont exposés et où les participants sont invités à séjourner plusieurs jours contribuent à la fabrication de la réputation des individus. Les « grands cadres », c’est-à-dire les puissants liés à l’appareil d’État, ont ainsi à cœur d’embellir leur village de naissance car c’est à l’allure de celui-ci que se jugera leur notabilité lors de leur enterrement.
Et nous ?
23Assurément, il n’y a pas, dans l’exemple ivoirien, séparation, refoulement, marginalisation de la mort comme dans les sociétés occidentales dites modernes.
24La vie et la mort ne cessent d’échanger. La mort est la continuation de ce qui se passe dans la vie. Ce qui implique une terrible conséquence : si l’existence terrestre n’a pas été « bonne », celle qui suit le décès ne le sera pas non plus. Et cela donne aux vivants le sentiment de ne jamais pouvoir échapper aux conditions matérielles de l’existence. Personne ne peut espérer échapper aux malheurs mondains, même au-delà de la mort. Si nous, Occidentaux, souffrons des incertitudes, les Ivoiriens souffrent au contraire de ces certitudes-là. Les enjeux métaphysiques sont, on le voit, dramatiquement vécus. Certes, les rites nous procurent une certaine assurance contre les morts, et un réconfort de la part d’une société mobilisée tout entière à cette œuvre. Mais ils sont tellement nombreux et complexes que les vivants passent leur temps et leur énergie à cette occupation. Surtout, il arrive toujours des circonstances dans lesquelles ils n’y parviennent plus. Ils sont alors dépassés, et ce sont fatalement les défunts qui prennent le pouvoir sur les vivants. L’angoisse est bien présente, même si elle est d’une autre nature que dans les sociétés occidentales. La mort est totalement socialisée, mais cela ne réduit en aucune manière la dureté de l’épreuve. Nulle part il n’est question d’une attente apaisée de l’ultime événement.
25Certains phénomènes observables aujourd’hui en Europe témoignent d’une inventivité de rituels funéraires qui ne visent pas seulement à accompagner dans leur souffrance ceux qui survivront à leurs disparus, mais à instituer une relation suivie entre vivants et morts. Beaucoup de Français qui ont des origines rurales assez récentes décident, comme les Africains, d’être inhumés au village. Le coût des obsèques dans les villes et la raréfaction des concessions dans les cimetières ne sont pas étrangers à cette pratique. Mais l’objectif avoué est aussi, à travers ce choix, de maintenir un lien entre le lieu des origines familiales (le berceau de la famille, pourrait-on dire significativement) et la descendance. Le rituel ainsi réinventé atteste du souci de la cohésion du groupe familial par l’intermédiaire des morts. Le développement des pratiques d’incinération n’a pas fait disparaître ce souci du lien entre vivants et morts. Les urnes funéraires sont de plus en plus souvent rapportées à la maison, plutôt que laissées au columbarium.
26Une telle tendance au rapprochement contredit l’idée du règne d’un matérialisme tout-puissant, qui réduirait les rituels funéraires à une simple fonction de réconfort pour les survivants et entraînerait une certaine rationalisation économique de la mort, rationalisation qui tendrait à la réduire au moindre coût. Ce sont au contraire les acteurs économiques vivant du marché de la mort qui s’efforcent de capter des clients en proposant des contrats obsèques garantissant aux futurs décédés de bénéficier de rituels conformes à leurs goûts. La publicité d’une de ces compagnies d’assurances incitant à souscrire à l’un de ses contrats était riche de ces nouvelles significations. Elle mettait en scène un homme d’un certain âge, qui imaginait sereinement les funérailles qu’il serait susceptible de s’offrir, grâce à son contrat épargne obsèques. Il donnait libre cours à sa fantaisie, prévoyant une petite promenade en corbillard au bord de l’océan, l’audition d’une œuvre de Mozart pendant la cérémonie et des gerbes de fleurs à son goût. Il s’agit là d’une vision très individuelle des rituels d’accompagnement de la mort, pensés et payés à l’avance par le défunt, et ne laissant ainsi à ses survivants aucune initiative pour puiser dans la tradition ou inventer en fonction de leurs attentes propres. Cela témoigne à la fois de la permanence d’une volonté d’intervention posthume sur les vivants, en organisant à leur intention la cérémonie, et de l’élargissement considérable des possibilités d’innovation pour créer des contacts entre ce monde et celui supposé « autre ».
Notes
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[1]
Bien que Patrick Baudry évoque plutôt des croyances spontanées, sa position fait écho à celle, plus lointaine, de Louis-Vincent Thomas qui, lui, traite de croyances « réappropriées » (le terme est de notre fait) [Thomas, 1982].
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[2]
Le terme est à l’origine une création psychanalytique, mais il est repris volontiers par des auteurs divers, dont Louis-Vincent Thomas, et encore plus largement par les professionnels de la santé en contact avec des personnes en deuil. À distinguer notamment d’autres expressions qui renvoient à des états socialisés : « être en deuil », « porter le deuil », « faire son deuil ».