1Pour situer le problème, voyons d’abord ce que recouvre la notion de pêche artisanale. Celle-ci est apparue entre les deux guerres. Puis, lors des différentes ordonnances de 1945 refondant la chose publique et administrative, elle a été définie autour du statut social et fiscal du « patron embarqué » [1], des caractéristiques du navire [2], et du principe de la rémunération à la part [3]. Classiquement, on l’oppose à la pêche industrielle, où les propriétaires des navires sont des sociétés d’armement disposant d’une flottille plus ou moins importante et recrutant des équipages salariés, du commandant au mousse [4]. Cependant, si l’on veut saisir la caractéristique anthropologique fondamentale de la pêche artisanale, il convient ici de centrer le regard sur les sujets et non sur les objets qui les identifient. Aussi reprendra-t-on la distinction formulée par Paul Jorion dans ses analyses d’anthropologie économique. Lorsqu’on parle de pêche artisanale, on entend une unité productive « fondée sur le ménage », soit « sur une représentation subjective de l’économie » (renvoyant aux individualités concrètes et singulières impliquées dans le rapport économique) ; alors que la pêche industrielle est une entreprise « fondée sur la firme », soit « sur une représentation objective de l’économie » (renvoyant aux facteurs génériques qui constituent sa raison sociale, ces objets économiques que sont l’armement et le commandement engagés, les prises et les volumes débarqués) [Jorion, 1989 : 69].
2Venons-en maintenant à ce qui s’est passé en l’espace d’une génération, dans le petit monde sud-breton de la pêche artisanale, ainsi entendue dans sa dimension humaine, subjective.
3Jusque dans les années soixante-dix, par opposition à la « grande pêche » où se sont distingués les ports de Lorient et de Concarneau, la pêche artisanale demeure essentiellement la « petite pêche », à côté de laquelle se sont développées de multiples autres pratiques et, du fait de la disparition des conserveries, le chalutage de pêche fraîche sur des « marées » plus longues. Avant tout « pêche de proximité », dirait-on aujourd’hui, elle est peu ou pas structurée, si ce n’est qu’elle est administrativement organisée en « quartiers maritimes », avec ses Comités locaux de pêche, chapeautés par un Comité central des pêches maritimes [5]. Le recrutement de l’équipage se fait sur une base familiale ou dans l’espace d’interconnaissance du bouche-à-oreille, à l’échelle du port ou du quartier, notamment pour les bateaux embarquant plus de trois hommes à bord. L’écoulement des produits se pratique à l’échelle régionale, par le biais de mareyeurs et de poissonniers. Très diversifiée, cette pêche est ajustée aux rythmes saisonniers qui, par-delà les manifestations climatiques et biologiques, scandent, avec l’alternance des espèces ciblées et des « métiers » pratiqués [6], la vie des unités, des familles et des ports. Unité de temps pour le patron et l’équipage, unité de compte pour la comptabilité du bateau et du ménage, son « apparence » gouverne les stratégies à déployer, sa qualité régule l’effort de pêche à soutenir [Jorion, 1983 ; Delbos et Premel, 1995]. Règle de vie et de travail, elle texture l’ensemble des relations et des échanges sociaux, internes (entre pêcheurs et familles de pêcheurs) et externes (dans la collectivité de coexistence où s’inscrivent administrations, mareyeurs ou poissonniers qui achètent, fabricants ou commerçants chez qui l’on achète).
4Dans le cours des années soixante-dix, restructuration et modernisation deviennent les maîtres mots des instances dirigeantes, dans la perspective de l’intégration du secteur dans le cadre de la Communauté économique européenne. La future politique commune des pêches doit tenir compte de l’instauration de fait des zee [7], qui restreignent fortement le champ des possibles de la grande pêche, et de l’élargissement de la cee à deux « États pêcheurs » convoitant les parages européens de pêche de l’Atlantique Nord-Est [8]. Déjà fiom et from ont été instaurés pour régulariser les cours du poisson [9]. Sous l’impulsion des syndicats cgt et cfdt de la pêche maritime sont nés des groupements de pêcheurs qui, sous une forme coopérative et à une échelle territoriale, proposent achats groupés et traitement de la comptabilité des unités. À partir de 1973, conformément aux directives européennes, sont mises en place les op, organisations de producteurs basées, elles, sur la filière. Sous l’impulsion de la coopération maritime, qui en demeurera le fer de lance pendant vingt bonnes années, avec l’appui du Crédit maritime mutuel, qui est à la pêche ce que le Crédit agricole est à l’agriculture, des pouvoirs publics, élus et administrations de tutelle, comme des scientifiques et technologues chargés d’encadrer l’activité et d’en améliorer la productivité, se développe toute une flottille de pêche artisanale « moderne », sur des bateaux de plus en plus conséquents.
5Dans la segmentation dès lors instituée de la pêche artisanale, à côté de ce qui restera catalogué « petite pêche » (regroupant les unités de moins de 12 mètres en un ensemble dit aussi « poussière maritime ») et de la catégorie restreinte dite de pêche côtière (en général sur des embarcations de 12-16 mètres), l’imaginaire administratif distinguera désormais la catégorie dite pêche au large, flottille des 18-25 mètres, embarquant selon les cas des équipages de cinq ou dix hommes pour des marées de cinq à dix jours. Fleuron des ports où elles se développent, ces unités feront les riches heures des criées, des chambres de commerce et d’industrie gérant les infrastructures portuaires, de la Coopération maritime, des banques, des op et des prix de retrait, et de toutes les structures mises en place pour organiser la filière pêche artisanale, de même que celles des familles vivant de leurs revenus, des commerces où se dépense l’argent des ménages, des salons de la pêche où s’expose le dernier cri en matière de « technologies performantes ». Dans un milieu ambiant où perdure l’image de la pêche comme le « dernier des métiers », celui que l’on fait peut-être par tradition familiale mais aussi « par défaut », dans la représentation d’une carrière réussie qui mène de l’état de matelot à celui de patron, l’armement de l’une de ces unités remplacera celui du « canot » de petite pêche côtière. Emblématique du nouvel état des choses en Bretagne-sud est la Cornouaille et en Cornouaille le pays Bigouden avec ses ports du Guilvinec, de Saint-Guénolé-Penmarc’h, Lesconil et Loctudy.
6« Modernistes », les artisans hauturiers en épousent toutes les caractéristiques extérieures, le dynamisme, le productivisme et ses corollaires : la course à l’agrandissement [10] et la surenchère dans l’innovation [11]. « Chouchous » des pouvoirs publics au dire des autres, ils ont l’oreille des politiques, bénéficient de la bienveillance des administrations, siègent dans les instances professionnelles de la filière à côté de la pêche industrielle, tirent leur épingle du jeu dans les systèmes d’aides et de subventions couplés aux plans de réduction de la flottille européenne, jonglent avec les prix de retrait et les systèmes de contingentements encadrant l’activité. La décennie quatre-vingt marque leur apogée.
7L’émergence de ce groupe ne résulte pas seulement des politiques publiques mises en œuvre. Elle a pour terreau un milieu où l’inscription maritime, entendue au sens plein du terme, se soutient de références multipolaires aux multiples passerelles et se décline à travers le filtre des différentes activités exercées simultanément ou successivement, aussi bien qu’en termes de « pays », de « quartier » ou de port. Cette constellation mouvante de repères identificatoires autorise toutes sortes de combinaisons qui sont autant de réajustements opérés dans un jeu subtil avec les nécessités d’un moment ou d’un lieu. Elle contribue à forger des identités fortes dont les contenus se reformulent en fonction des situations et des enjeux dans lesquels chacun, individu ou groupe, peut se trouver impliqué. Réseaux d’échanges et solidarités parcourent cet écheveau d’identifications, composant des espaces démultipliés de reconnaissance où les redéploiements singuliers à l’échelle d’une famille, d’un port, d’un quartier, les particularismes développés, peuvent s’afficher comme autant de raisons constitutives du sentiment d’appartenance à un monde commun [Delbos et Premel, 1995].
8Mais tandis que tout se passe pour ces artisans comme s’il ne s’agissait que de pêcher et de se moderniser le plus possible, l’environnement socio-économique global dans lequel est désormais ancrée leur activité mute aussi. Les industriels de l’agroalimentaire d’aval, transformateurs et distributeurs, jettent leur dévolu sur les « produits de la mer », gisement jusque-là peu exploité de conquête de « parts de marché ». Le commerce se voulant planétaire entraîne le redéploiement de la production dans un contexte de concurrence internationale avivée, de technologies innovantes en matière de transport et de transformation des produits frais, de dérégulation aussi des transports et des monnaies. L’Europe, « Bruxelles » pour le petit monde de la pêche, fait ses calculs et ses choix : assurer la sécurité des approvisionnements à une industrie florissante, même si cela doit se faire au détriment de la pêche proprement dite, simple « secteur extractif », de toute façon contenu par l’étroitesse du « pot commun » et voué à se réguler sur le « marché » [12]. Délocalisation des approvisionnements et redéploiement des débouchés, choix et directives de Bruxelles ont dans un premier temps des effets trompe-l’œil pour la pêche artisanale bretonne, qui bénéficie de la forte poussée de ses exportations vers l’Italie et l’Espagne. Le niveau des prix se maintient, celui des captures aussi grâce aux innovations. Et, pour les ménages, les rentrées d’argent permettent de maintenir de hauts niveaux de vie. Quant aux plans de réduction des capacités de pêche, ils se font au détriment de la petite pêche qui paie le plus lourd tribut aux mesures imposées, confirmant le dynamisme de la pêche hauturière cornouaillaise [13].
9Les effets déstabilisateurs n’en sont pas moins là. Le niveau individuel des captures masque la réduction sensible des apports globaux et l’ensemble des quartiers bretons affiche à partir de 1985 une érosion continue des tonnages. Les plans de modernisation des flottilles, l’instauration des pme [14], la concurrence acharnée dans la course aux kw supplémentaires à sortir pour armer une unité plus puissante entraînent la flambée des prix des navires d’occasion, tandis que la planification des subventions et prêts bonifiés nécessaires à la construction introduit artificiellement une montée des prix du neuf et que les délais administratifs obligent à recourir à des prêts-relais aux taux du marché [15]. Les contraintes imposées au renouvellement entraînent le vieillissement d’une partie de la flottille, tandis que les surcoûts induits pour l’accès au statut de patron embarqué restreignent les possibilités de la relève générationnelle. Les coûts de production s’envolant, les apports et les prix se tassant, pris dans la contradiction, les artisans compensent par un effort de pêche accru : marées plus longues, effort productif poussé à la limite de la résistance physique des hommes et des unités, pris dans la même obsession : « faire du tonnage » pour « faire de la trésorerie » pour se maintenir à flot.
10La chute n’en sera que plus brutale lorsque les effets de l’intégration à marche forcée de la pêche artisanale dans le nouveau circuit des échanges commerciaux se manifestent par un effondrement massif des cours du poisson, toutes espèces confondues et en dehors de toute considération sur les niveaux d’apports. Ironie du sort ? Le krach du marché du poisson au début des années quatre-vingt-dix affecte en premier lieu les unités dont les patrons ont remodelé leurs ambitions et leurs comportements productifs pour s’adapter aux règles du marché. La « poussière maritime » qui a pu continuer à naviguer en dehors ou à la marge du grand courant modernisateur avec ses subventions, ses banques, ses op et ses prix de retrait, ses plans de restructuration et de concentration des flottilles, paraît, elle, peu touchée.
11À vrai dire, les recompositions globales génèrent des effets disruptifs de tous ordres, qui s’enchevêtrent. Une première série a trait au processus de marginalisation de l’artisan pêcheur comme acteur économique, avec la dislocation de ce qui était la pierre angulaire de la pêche artisanale jusque dans les années soixante-dix, le couple « saison-métier ». Avec la pêche devenue « secteur extractif » pour l’industrie agroalimentaire, ce n’est plus « la nature qui commande », mais l’entité abstraite dénommée « marché ». À l’artisan pêcheur est demandé, non plus de régler sa vie et son travail sur le « travail de nature », mais de faire du tonnage en accord avec les « besoins du marché », et de s’accommoder du fonctionnement des « lois du marché », espace anomique où la formation des prix se joue sur des critères spéculatifs n’ayant plus rien à voir avec les rythmes productifs saisonniers. À lui d’apprendre à maximiser ses profits en se dédoublant en « commercial avisé » susceptible, lorsqu’il part en pêche, d’anticiper les modes de raisonnement des grands groupes de la transformation et de la distribution. Simultanément se resserre aussi l’horizon d’appartenance par où pouvaient s’opérer des réajustements et se reformuler l’inscription maritime. Dans le cours des années quatre-vingt, celle-ci voit la pluralité de ses repères fondre, avec, d’une part, le rétrécissement de l’espace socio-économique, dans lequel les stratégies collectives et familiales pouvaient se redéployer ; avec, d’autre part, le confinement dans des territoires de pêche soumis à des réglementations de plus en plus contraignantes, une standardisation accrue des normes d’exercice du métier et une concurrence de plus en plus conflictuelle pour l’accès limité à l’exploitation des ressources halieutiques [16].
12À quoi s’ajoute par ailleurs, pour tout exploitant du milieu maritime en général, la mutation confirmée du littoral et de la mer côtière en espaces de libres loisirs touristiques et de nautisme plaisancier, et son double corollaire pour les pêcheurs : l’amenuisement de leur surface de représentativité politique, économique et sociale au sein des collectivités locales et régionales ; et l’affadissement de leur représentation symbolique. Le nouvel héros maritime est d’abord le navigateur sponsorisé par de grands groupes économiques pour participer aux courses internationales au large. Dans l’imagerie publique, il est désormais le marin par excellence, le « professionnel de la mer », comme peut se targuer de l’être secondairement tout « voileux » amateur, alors que le marin-pêcheur, devenu « professionnel de la pêche » et ravalé au rang de fournisseur pour le marché des produits de la mer, voit par ailleurs ses pratiques productives dénoncées comme « surexploitation de la ressource ».
13Lorsque sévit la crise, qui met en péril à l’échelle d’un port, d’un « pays », d’une région, la survie des unités productives et des ménages directement touchés, le pêcheur (et sa famille) n’a de choix qu’entre s’estimer victime du marché comme on l’est d’une catastrophe naturelle, ou s’accuser de l’irrationalité de comportements d’un autre âge, celui où les régulations et les rééquilibrages se jouaient entre soi, dans l’espace d’interconnaissance local et régional ; lesquels comportements, leur est-il signifié, auraient en se perpétuant rendu inopérants les instruments de régulation globale dont a été dotée la « filière ». Et tous ceux qui ont fait montre de leur aptitude à la modernisation et à l’innovation, qui s’estimaient en accord avec leur époque et donc mieux placés pour la collecte de la ressource selon les règles édictées de la compétitivité et de la rentabilité, comme les autres, ceux qui ont pu se maintenir entre les mailles ou à la marge du filet des plans de modernisation et de restructuration jetés sur la pêche artisanale, tous, d’être renvoyés dans les cordes et l’opprobre de leur archaïsme : archaïsme économique du pêcheur s’en tenant à la logique du « moins de poisson, plus de prix », archaïsme social de la rémunération à la part, archaïsme juridique du statut de patron embarqué et, pour tout dire, archaïsme de ces unités productives encore fondées sur le ménage. Car c’est à ce niveau-là que vont se situer les effets internes de sape, générés par l’intégration de la pêche artisanale européenne dans les logiques financières de ladite mondialisation des échanges.
Le ménage dans la tourmente
14Arrêtons-nous d’abord aux organisations de vie prévalant à la pêche et aux positions occupées au sein du ménage, en nous appuyant en partie sur l’analyse qu’a pu en faire P. Jorion [1983, 1989] et en la complétant de nos propres observations.
15L’homme est en mer. Son rôle est de « collecter la ressource du ménage », le reste ne le concerne que secondairement, voire aucunement (il en est exclu ou s’en exclut lui-même). À terre, la maisonnée semble fonctionner sans lui et, quand il est là, ne plus fonctionner tout à fait normalement. Lui-même se vit essentiellement comme producteur. Sa parole est économique et confrontée dans une temporalité immédiate à un univers marqué d’incertitudes : le hic et nunc des aléas de la mer, du temps, de la ressource, des prix, sur lesquels on a peu de prise, il faut faire avec. D’une certaine façon, dans la liste de ces aléas s’ajoute « Bruxelles » (sa pcp, ses pop, ses tac et ses quotas) [17], vécue comme une instance impériale, vis-à-vis de laquelle il faut, comme avec la nature, développer un savoir-y-faire.
16La femme est à terre. Elle règle la vie du foyer, l’éducation des enfants, l’organisation quotidienne et continue de la maisonnée, ponctuée de la présence en pointillé de l’homme retour de pêche. Son rôle est de défendre « l’intérêt supérieur du ménage » face au mari, aux voisins, aux créanciers, aux administrations… L’homme se confronte à la nature, elle, se confronte au monde social. Sa parole est politique. Elle a l’autorité dans les affaires domestiques. Elle l’a aussi dans les affaires de l’unité de pêche, puisque l’intérêt supérieur du ménage passe par les rentrées d’argent du bateau. Elle a son mot à dire sur ce qui revient à la famille et ce qui revient au bateau, mais aussi sur ce qui convient pour l’unité productive et, de ce point de vue, elle exerce contrôle et pressions sur les sujets purement économiques, comme le recrutement de l’équipage, les techniques les plus performantes ou les métiers les plus rentables. Parole d’autorité à la maison, elle l’est aussi en dehors de la stricte sphère familiale, situant par exemple les bons et mauvais patrons ou matelots, les bons bateaux et ceux malchanceux.
17Ces positions se sont établies sur un fonds culturel où, à travers le refaçonnage catholique, ont perduré des éléments d’un héritage plus ancien, celui des sociétés celtes agraires. Ainsi en est-il de la place primordiale reconnue à la femme comme mère de famille, laquelle, à ce titre, disposait des mêmes droits juridiques et économiques que l’homme, ce qui lui assurait une autonomie de fait. Cette reconnaissance, perdue sur le terrain juridique, s’est déplacée à un niveau symbolique en s’exacerbant par un phénomène de surcompensation, renforcé par l’interprétation catholique. Cet héritage a suivi aussi des voies parallèles, telle la vénération prééminente accordée en Bretagne, notamment dans les milieux maritimes, à sainte Anne, figure de la mère par excellence ; ou encore à travers ce que des ethnopsychiatres ont appelé « le matriarcat psychologique des Bretons » [Carrer, 1984].
18Il faudrait parler également de la prégnance des valeurs d’entraide et de solidarité telles qu’elles ont été réaffirmées dans le catholicisme. Dans le cas précis des milieux maritimes de ce dernier siècle, cela s’exprime dans l’importance du rôle joué par des organisations telles l’« Œuvre des abris du marin », les « Missions de la mer » et surtout les « Associations de familles de marins » [18].
19De même, ne saurait être négligée la persistance ombrageuse de la vertu cardinale de l’honneur et son implication majeure : le sentiment exacerbé de la « honte » ou du « mépris » ressentis pour tout affront à ce dernier. Cette donnée éclaire notamment le rapport ambigu à l’argent. L’importance de celui-ci est généralement déniée dans les relations sociales. Quand il est dû, une grande désinvolture extérieure est affichée à son égard : « Ça ne presse pas, on verra ça plus tard. » Quand on en a, on affecte de le négliger, et on ne le thésaurise pas : « Il faut que ça roule. » Cependant, dans la mesure où il entre comme signe de l’honneur, il faut en cacher le manque pour obvier à la honte et au mépris que la misère peut susciter. Pour la même raison, quand il est présent, il faut « savoir l’étaler », c’est-à-dire le dépenser socialement, dans la mesure déjà où il sert à rompre avec le stigmate d’une condition miséreuse. Mais la règle de l’honneur veut que l’on soit dans la montre de deux façons : avec le bateau (signe que l’argent du ménage ramené par l’homme n’est pas détourné par une femme dépensière pour son propre compte) et dans la maison (signe que l’argent du ménage n’est pas détourné par un homme dépensier au bistrot). Rappelons le contexte dans lequel s’est déployé ce mode d’être par rapport à l’argent : celui où la dépense somptuaire est instrument de revanche sociale, dans une région et des milieux ayant accédé tardivement aux standards modernes de vie, et dans une représentation générale discriminatoire de la condition de pêcheur.
20Avant même le brutal effondrement du marché, le surendettement des ménages est l’une des premières conséquences de l’emballée de la décennie 1975-1985, qui ouvrit aux familles l’accès à un niveau élevé de revenus et donc à un statut social de plain-pied avec l’époque, puis de l’érosion continue des cours du poisson qui s’ensuivit. Dans un premier temps, l’affaire reste confinée dans l’espace interne de solidarité, notamment au sein des Associations de familles travaillant avec les services d’aide sociale. Ceux-ci voient affluer d’abord les femmes de matelots, suivies de très près par celles de patrons en quête de solutions pour faire face aux emprunts accumulés dans les années de prospérité (pour la maison neuve, la voiture, l’équipement ménager ou l’ameublement). Au début des années quatre-vingt-dix, la dégradation massive des revenus ne peut plus rester confidentielle : ils accusent une chute de 40 à 50 % et, en 1992, le seul quartier du Guilvinec compte deux cents familles incapables de faire face à leurs dettes [Le Marin, 1993]. La situation est d’autant mal vécue que les deux recours proposés s’avèrent plutôt dépréciatifs. L’un, l’aide au désendettement, s’effectue dans le cadre des dispositions officielles de « lutte contre la pauvreté » ; l’autre consiste en la recherche de revenus complémentaires, mais alors ces femmes se découvrent dépourvues de toute qualification professionnelle et seulement susceptibles de bénéficier de stages d’insertion organisés par les anpe.
21Pour sa part, le surendettement des bateaux, ignoré ou méconnu, masqué par le niveau du chiffre d’affaires, se révèle dans sa brutalité avec l’audit de la pêche artisanale publié au début de 1995 [Le Marin, 1995]. Il relève qu’un quart de la flottille des 16-25 mètres est en faillite ou presque : 370 bateaux, pour la plupart des unités de 20-25 mètres en pêche hauturière jusque-là considérés comme le fleuron des ports. En Cornouaille, on en dénombre 160 dans ce cas, 43 % des hauturiers. Les plus affectés sont ceux ayant embarqué sur le tard dans le train de la modernisation (après 1985). Paradoxe de la réussite moderniste, les ports où s’est maintenue une flottille côtière saisonnière s’en tirent mieux, les unités de moins de 12 mètres survivantes des plans de réduction sont, elles, à peine concernées : globalement une cinquantaine de cas sur quelque cinq mille unités. Pour être restés à l’écart des plans de modernisation ces bateaux échappent à la crise : leurs amortissements sont réalisés, les investissements faibles, les charges d’exploitation limitées, et leur pêche, écoulée en dehors des criées par les formes maintenues du mareyage traditionnel et la vente en direct, est bien rémunérée.
22Du côté des hommes, la réaction immédiate à l’effondrement brutal des cours du poisson prend la forme d’un Comité de survie, en marge des structures professionnelles. Créé à l’initiative d’un hauturier de Douarnenez et porté par l’ensemble des Cornouaillais, il mobilisera toute la façade Manche et Atlantique. Son premier objectif est de mener des opérations de commandos contre « le marché », symbolisé par les gms, et contre « ceux qui dirigent la pêche et l’ont sacrifiée aux intérêts des industriels », représentants administratifs et politiques. Par-delà ses actions spectaculaires, ce comité se voudra aussi organe collectif de discussion sur la place économique de la pêche artisanale à l’échelle régionale et nationale.
23Les femmes ne sont pas en reste. À l’initiative de l’épouse du hauturier douarneniste (c’est bien le ménage qui réagit) est créée une coordination des femmes de pêcheurs à travers les Associations de familles de marins. Très actif en Cornouaille, ce mouvement s’étendra à l’ensemble du Finistère, d’où il rayonnera. Significativement, le terme de femmes jugé « trop féministe » est alors mis en retrait : « Nous préférons le terme de familles qui correspond davantage aux actions que nous menons et aux valeurs que nous défendons, expliquent-elles, notre rôle est de montrer que nous défendons un ensemble » [Le Marin, 1993]. Outre le dessein d’organiser entre soi la solidarité, la volonté proclamée de « faire bloc autour des hommes », de les épauler par des actions parallèles et de multiplier les prises publiques de parole, ces femmes entendent ainsi assumer pleinement leur place et leur rôle à la pêche, soit défendre l’intérêt supérieur du ménage face au « marché » et avec lui l’honneur de la famille : « Les mauvais revenus de la pêche dévalorisent la position sociale de nos familles. »
24Du côté institutionnel, un plan d’urgence « pour calmer les pêcheurs » est mis sur pied avec une enveloppe annoncée de 280 millions de francs, dont 90 millions pour les op et les interventions sur le marché ; 10 millions « pour les familles » ; tout le reste « pour les entreprises ». À cet effet, sont instaurés les cirpa, Comités d’aide à la restructuration de la pêche artisanale, pour traiter les dossiers au cas par cas et affecter deux types d’aide : reports de prêts et allongement des prêts bonifiés pour les bateaux estimés viables ; cessation d’activités avec apurement des passifs et soit « déchirage », soit cession pour la centaine jugée non viable [19].
25Ce traitement institutionnel immédiat de la crise est pris avec ambivalence dans les milieux finistériens de la pêche où est vécu comme un affront général un néologisme forgé dans les couloirs des administrations et courant dans les médias locaux : la « finistérisation », pour évoquer une situation de désastre économique et de précarisation sociale. Les aides aux familles sont reçues de façon mitigée : « Nous ne demandons pas l’aumône, mais la juste rémunération du travail de nos maris », s’insurgent les femmes. L’établissement des dossiers du cirpa est ressenti comme particulièrement vexatoire. Au nom d’une nécessaire transparence des situations financières, chaque dossier impose l’exposition complète du patrimoine familial : examen sur les cinq dernières années, et pour chacun des membres de l’unité familiale, des comptes bancaires et d’épargne, des revenus personnels annexes et des prestations familiales, des donations et héritages perçus ; outre les subventions obtenues doivent être précisés les montants et la nature des prélèvements effectués sur la trésorerie de l’entreprise, la nature du contrat de mariage, les acquisitions de chacun des conjoints, biens immobiliers et mobiliers, marque et modèle de voiture, actions, etc. C’est toute la sphère privée du ménage qui se voit mise à nue et tenue de se justifier dans ses moindres détails au regard d’« étrangers » mandatés par les autorités de tutelle. Le Comité de survie appellera au boycott de cette partie des dossiers. Les femmes imposeront leur présence pour défendre l’honneur du ménage.
26Plus fondamentalement, cette crise offre aux institutions de tutelle l’occasion d’une sévère remise en cause du statut de patron embarqué dont les « défauts », jusque-là ignorés ou tolérés, sont publiquement et complaisamment relevés. Avec le compte unique du ménage sont dénoncés la confusion des patrimoines et des caisses, les prélèvements opérés sur le compte d’exploitation en sus de la rémunération du patron, la faiblesse ou l’inexistence de fonds propres à l’entreprise, l’absence d’obligation de constituer des fonds de réserve ou le surinvestissement technique fait au détriment de réserves de précaution, etc. Pour régulariser et réformer un statut et des pratiques jugées incompatibles avec les normes juridiques et économiques de rigueur pour toute entreprise moderne est préparée une loi d’orientation sur la pêche. Adoptée en Conseil des ministres en septembre 1995, débattue pendant toute l’année 1996, elle sera promulguée en mars 1997 [20].
Des femmes en quête d’une identité légitime
27Une fois la colère exprimée, les hommes rentrent à leur façon dans le rang : « On n’a pas le choix, il faut bien reprendre la mer. » Du moins pour un temps et en se maintenant dans un état de relative vigilance sur les seuils d’acceptabilité des restructurations à venir.
28Les femmes n’en restent pas là. Du fait de leur fonction dans des unités productives, elles ont perçu, mieux que les hommes sans doute, la dimension exacte de la mutation imposée. Les analyses présentées par les médias, les rapports et audits menés par les administrations, leur expérience des cirpa le leur signifient amplement : le mode d’être et d’organisation fondé sur le ménage doit s’effacer complètement devant la logique financière d’entreprise centrée sur le profit. Dans cette nouvelle donne scindant le ménage en deux sphères bien distinctes, d’un côté l’entreprise, de l’autre la famille, elles n’ont aucune place comme « femmes de marins-pêcheurs », elles ne sont guère que des femmes au foyer, reléguées aux soins de la maison, de la cuisine, des enfants… Dans ce découpage strict, elles découvrent leur total défaut de statut juridique et économique, alors même qu’elles s’estiment et se veulent partie prenante de l’« entreprise-pêche ». Pour résister à cette mise à l’écart, il leur faut combler ce vide et obtenir la reconnaissance d’une identité professionnelle. Les premières à se mobiliser sur ce thème sont les Bretonnes. Désormais organisées en « Association de femmes du littoral de Bretagne », incluant les conchylicultrices dans cette revendication statutaire, elles trouvent un large écho et des appuis dans le vaste cercle des institutions et mouvements pour les droits des femmes. Sur leur modèle essaimeront d’autres associations regroupant sur une base territoriale épouses ou compagnes de pêcheurs tous statuts et toutes catégories de bateau confondus.
29Le projet de loi d’orientation de la pêche ne prévoyant rien à leur propos, sinon que dans les deux années suivant sa promulgation un rapport devrait être présenté au gouvernement « pour analyser leur situation et proposer des améliorations », elles vont monopoliser le devant de la scène durant les deux années de discussions, épluchant toutes les moutures du projet, faisant le siège des députés et des ministères, s’imposant en invitées surprises lors des discussions au Sénat et à l’Assemblée. Le statut juridique de « conjointe de chef d’entreprise », qu’elles obtiennent finalement à l’arraché, est loin de répondre à leurs attentes. Il leur assure des droits sociaux (retraite, congés maternité, formation) et la possibilité d’être représentées dans les chambres de commerce et d’industrie, les coopératives ou les groupements de gestion, mais ne leur accorde pas ce point décisif, l’éligibilité dans les organismes professionnels : « On nous refuse le statut d’actrices économiques à part entière alors que nous le sommes de fait puisque, argumentent-elles, nous sommes caution pour l’emprunt, nous nous occupons de la gestion de l’entreprise, de la commercialisation du produit. » [21] Elles reviendront à la charge avec la loi de modernisation sociale. Pour disposer du poids nécessaire, toujours à l’initiative des Cornouaillaises, leurs associations se constituent en une « Fédération interrégionale des femmes du littoral » en avril 1998 à l’origine de l’amendement voté en juin 2001 reconnaissant le principe de leur éligibilité. Mais les femmes de pêcheurs devront encore attendre le décret du 12 septembre 2002 modifiant la loi du 2 mai 1991, relative à l’organisation professionnelle des pêches maritimes, pour accéder au droit de siéger dans les Comités de pêche.
30Cette conquête obtenue à l’usure laissera un goût amer. D’abord en raison du caractère emprunté du décret, inapproprié aux organisations de vie à la pêche. Ainsi, n’est reconnue éligible que la femme dûment mariée à un patron embarqué, même si, par ailleurs, elle n’a pas opté pour le statut juridique de conjointe d’entreprise ou exerce une profession étrangère au secteur maritime, alors que concubines ou pacsées et femmes de matelots sont exclues de ce droit. Encore faut-il que le mari-chef d’entreprise se désiste en faveur de son épouse : que les époux siégent alternativement selon les disponibilités de chacun n’a évidemment pas été envisagé. Et puis leur représentation au cso, instance cruciale de décision, leur est refusée [22]. Par ailleurs, dans le milieu, il sera reproché aux femmes de hauturiers d’avoir confisqué l’attention sur leur cas spécifique, oblitérant les carences de la loi d’orientation et « les vrais problèmes auxquels les pêcheurs et leurs familles sont confrontés » : la poursuite de la « casse des navires » et de la concentration au profit de sociétés d’armement liées à l’agroalimentaire, la perte des emplois, la dévalorisation globale d’une profession régulièrement dénigrée, la dureté des conditions de travail et d’un mode de vie en porte à faux par rapport aux modèles dominants, etc. Certaines associations feront provisoirement dissidence [23]. Un fort sentiment de frustration prévaudra, y compris parmi les femmes les plus mobilisées sur cette affaire. Les plus combatives gardent le sentiment d’avoir été « manipulées » ou « utilisées par les politiques pour leur pub ». Les formes limitées de la reconnaissance accordée les maintiennent en dehors des réelles instances de décision, elles s’impliqueront fort peu lors des élections des clpm en 2003, où la participation restera de l’ordre d’un tiers des inscrits, comme pour les précédentes. La plupart ont conscience de n’avoir obtenu que des compensations dérisoires : un lot de consolation en somme et non une « vraie place » au sein de la cité maritime, permettant de peser sur les évolutions en cours.
31Les « années noires » se sont éloignées, les prix ont retrouvé un niveau acceptable, les revenus se sont améliorés. Mais ils n’ont pas retrouvé leur niveau d’avant la crise, et en ce début de xxie siècle les incertitudes s’intensifient autour de la pêche artisanale où tous les mécanismes de la reproduction interne au milieu sont bloqués. Le sentiment de précarité se nourrit de multiples inquiétudes sur l’accélération de la marginalisation sociale et politique des artisans pêcheurs. Il en est ainsi à propos de l’épineuse question de la « ressource », avec, d’un côté, la concurrence pour l’accès à celle-ci de sociétés d’armement qui constituent des flottilles dites de petite pêche ou de pêche fraîche et, de l’autre, la pression avivée de lobbies environnementalistes dont les dénonciations tapageuses sont de plus en plus mal supportées ; tel fut le cas de la campagne menée par Greenpeace contre les filets maillants, jugée particulièrement malhonnête et vexatoire, laquelle aboutira à leur interdiction, preuve supplémentaire, pour les hauturiers bretons pourtant non directement concernés, du caractère arbitraire, disproportionné et irrationnel des décisions de Bruxelles [24].
32Autre sujet d’inquiétude : leur place dans la vie économique locale et régionale. Élus, préfets, responsables des cci ne se gênent plus désormais pour leur rappeler que la pêche pèse peu de poids face au tourisme littoral, première activité économique, et justifier des décisions prises en matière d’aménagement. Les chiffres qui leur sont opposés dans les divers rapports économiques au fil des ans sont, il est vrai, impitoyables : ainsi, le tourisme littoral totaliserait en 1999 en France 190 402 emplois et près de 124 milliards de ca, alors que toute la filière pêche et aquaculture, mareyage et transformation compris, ne génère que 43 723 emplois et moins de 28 milliards de francs de ca [Kalaydjian, 2002]. En 2000, le nombre d’unités armées à la plaisance est estimé à près d’un million d’unités, et celui des adeptes de la pêche de loisir en mer à quelque trois millions [25], alors que les unités de pêche, tous segments confondus, se montent à 8 548 dont 6 074 en métropole. La France maritime a perdu 49 % de ses unités artisanales et près d’un quart des emplois entre 1988 et 1999 [Docup, 2000-2006]. Et la régression continue, inexorable, d’une année à l’autre. Si l’on se réfère à fin 2002, en l’espace de quinze ans, la perte des unités sera de 51 % à l’échelle nationale et grimpera à 47 % à l’échelle de la Bretagne. C’est dans ce climat désabusé que sont présentées les propositions chiffrées de la nouvelle Politique commune des pêches (pcp), en audition publique à Bruxelles le 28 mai 2002.
La nouvelle PCP : un certain mépris
33Le commissaire européen en charge du secteur ne fait pas dans la nuance : d’entrée, il annonce « du sang, de la sueur et des larmes » pour les pêcheurs et leurs familles, une « prime à la valise » pour 28 000 marins (11 % des marins de l’ue), une « prime à la casse » pour 8 592 navires (8 % de la flottille), une réduction de l’effort de pêche de 30 à 60 % selon les stocks exploités pour ceux qui resteront, la réaffectation de toutes les aides aux mesures d’accompagnement des sorties de flotte (reconversion, retraites anticipées), et tout un train de dispositifs spécifiques pour réduire une « surcapacité » de la flotte communautaire estimée à 40 %. Pour toute explication, « pêche responsable », « protection des écosystèmes marins », « principe de précaution » sont les figures de style imposées à l’adresse des pêcheurs de l’Union européenne, présentés comme des « prédateurs » mus par leurs seuls appétits mercantiles, les mesures se justifiant d’être l’ultime rempart contre leur irresponsabilité notoire.
34Ainsi formulée, la nouvelle pcp suscite plus qu’un tollé dans les milieux maritimes : « Vent de panique sur les côtes », titre l’hebdomadaire Le Marin, dans son édition du 7 juin 2002. À vrai dire, ses orientations ne constituent pas une surprise. Elles s’inscrivent dans la continuité de la précédente. Établi au sein de la dg-pêche et approuvé par la Commission européenne, le texte a circulé pendant l’année 2001 sous la forme d’un « livre vert » [26] pour avis avant sa rédaction définitive et sa soumission au Conseil et au Parlement européens. Trois journées d’audition publique ont été organisées à Bruxelles les 5-6-7 juin 2001 pour quatre cents représentants de la profession, venus de tous les pays membres. C’est la manière dont cette pcp est médiatiquement présentée et met en scène la question de la gestion des pêches, et le caractère délibérément radical des propositions avancées, qui suscitent colère et révolte. Tout se passe comme si aucun compte n’avait à être tenu des critiques, amendements et contre-propositions émises en réponse au livre vert par les pêcheurs, leurs institutions, la Coopération maritime ou les op ; comme si les promoteurs, forts de leur monopole propositionnel, forts d’un consensus virtuel sur le bien-fondé scientifique et écologique de leurs décisions et de leur position d’autorité, n’avaient plus à prendre de gants avec les populations vivant de la pêche artisanale. La brutalité du ton trahit une certaine désinvolture vis-à-vis des implications immédiates pour celles-ci des propositions drastiques de réduction de l’effort de pêche. La volonté affichée de les imposer, même si certaines le sont sur des bases contestables [27], au nom de « l’intérêt supérieur des écosystèmes marins », est prise comme une agression délibérée : « C’est la mort programmée de la pêche artisanale », « sa disparition décrétée d’en haut ». Le ton général est à l’opposition frontale dans tous les milieux professionnels maritimes de l’Europe des quinze, quelles que soient par ailleurs les positions prises par leurs administrations nationales. « Ils n’auront pas notre peau », « Non à l’holocauste de la pêche », la violence des répliques est à la mesure de la violence ressentie. Sur les quais et dans les criées, il n’est question que de « refuser de se soumettre aux diktats », « ne pas se laisser brader à l’encan des décisions de Bruxelles » et de sa « politique écolo-libérale », « sauver les métiers de la pêche artisanale ». Lors de la journée de mobilisation organisée à Boulogne le 11 décembre 2002 avec des délégations venues de tous les pays membres, se constituera le « Groupe d’action de la pêche européenne » (efag) [28], pour s’opposer au « pouvoir acquis des environnementalistes dans la gestion des pêches », contester « les évaluations pessimistes des scientifiques basées sur des données incomplètes, obsolètes et donc faussées », exiger « l’intégration des professionnels à toutes les étapes du processus décisionnaire de gestion de la ressource ». Dans les diverses confrontations qui opposeront les représentants de la pêche artisanale aux décisionnaires et gestionnaires ou experts, « l’arrogance » de ces derniers et le dédain ressentis seront violemment reprochés : « Ils prennent les pêcheurs pour des sous-développés », « des ignares », « des menteurs », rapportent les uns et les autres [Le Marin, 2002]. « Qu’on cesse de nous traiter comme des enfants, en prenant des décisions à notre place, soi-disant pour notre bien », les interpelle un président d’organisme professionnel [Le Marin, 2003] [29].
35En Bretagne, les artisans revivent, comme lors de la crise de 1993-1995, comme à propos de l’interdiction des filets maillants dérivants, une situation mettant en jeu des considérations d’honneur : la honte et le mépris. En Cornouaille, les termes ne semblent pas assez forts pour qualifier l’attitude et les propositions de la Commission : « indigne », « inique », « lamentable ». L’argumentaire va ainsi, qui déclare irrecevables les mesures annoncées. Les artisans du quartier ont joué le jeu de la politique de modernisation préconisée et accepté la restructuration consécutive à l’effondrement du marché. Les unités qui ont résisté à la crise et surmonté le blocage à la construction neuve tournent désormais dans les normes des logiques financières imposées de productivité, de rentabilité et de compétitivité. Les moins performantes, bradées, ont été en partie reprises par les sociétés d’armement avec l’aide des pouvoirs publics, et les deux modèles ont dû coexister. Symbole et orgueil du « pays », leur « modèle artisan hauturier » a su maintenir ses effectifs et constitue 70 % de l’ensemble des apports sur le quartier, les ayant augmenté de quelque 48 % en dix ans. Son dynamisme est en totale contradiction avec les déclarations sur le grave déclin de la ressource, ses deux espèces-phares, la lotte et la langoustine, étant toujours au rendez-vous. Et le voilà irrémédiablement condamné par les décisions de Bruxelles. Avec l’obligation de réduire de 35 % la taille des bateaux en tonnage et en puissance pour renouveler une unité âgée, ce qui signifie pour les unités hauturières de 20-24 mètres rétrograder à une taille de côtier, comment maintenir un métier qui se pratique loin en mer ? Avec l’obligation de diminuer de 36 % l’effort de pêche et de cent jours par an les sorties en mer, ce qui signifie une perte de 40 % du chiffre d’affaires, comment maintenir l’équilibre financier de l’entreprise ? Au moment où la génération qui a créé la pêche bigoudène moderne arrive en âge de se retirer, comment la relève pourrait-elle s’effectuer sans soutien à l’installation des jeunes alors que les prix du neuf sont devenus inaccessibles, que ceux de l’occasion atteignent des niveaux record (1,5 million d’euros), que la conversion des aides en primes au déchirage va accélérer les sorties des patrons en fin de carrière ? Au prétexte de « protection des écosystèmes marins », ne s’agit-il pas en fait d’accélérer la concentration des flottilles entre les mains de quelques sociétés d’armement et de réserver par des moyens détournés l’accès à la ressource aux groupes liés à l’agroalimentaire international ?
36Se défiant des autorités de tutelle et des instances nationales où prédomineraient les intérêts des industriels, des élus qui se bornent à raisonner en fonction de logiques financières favorables à ces derniers et se contentent des bons chiffres des criées et des ports, les artisans bigoudens prennent les devants. En réponse immédiate, lors de la journée de présentation des propositions de la Commission à la criée du Guilvinec le 1er juin 2002, un « Collectif de réflexion sur la pêche artisanale » est créé à l’initiative d’un hauturier de Saint-Guénolé. Son ambition est sans ambiguïté : « Réoccuper le terrain dans le débat politique sur la pêche » et « libérer la pêche artisanale des pouvoirs de Bruxelles ». Dans le document élaboré ultérieurement et intitulé « Pour une politique responsable des pêches maritimes », non seulement ils demandent la révision des modes d’évaluation de la ressource, mais aussi la remise à plat de toutes les instances traitant de la pêche ; la création d’outils régionaux de gestion ; une politique des pêches associant repos biologique et réduction du temps de travail, c’est-à-dire combinant protection de la ressource pendant les époques de frai et amélioration des modes familiaux de vie à la pêche. À l’opposé des positions défendues par le ministre ou l’instance professionnelle nationale, ils se prononcent pour les quotas par bateau et non par zones, contre les aides, « c’est se faire piéger par Bruxelles », et dénoncent tout plan de modernisation et de restructuration, qui contribue à gonfler démesurément le coût des navires et contraint le pêcheur à acheter des outils de plus en plus performants, etc. Sur le thème « agir pour ne plus subir », ils s’engageront davantage dans l’utilisation et la promotion d’engins sélectifs, mettront en place un Permis de pêche spécial (pps) et leur propre système de gestion sur une pêcherie pilote pour la langoustine du golfe du Lion, ou encore se préoccuperont de la mise au point de chalutiers génériques pour réduire les coûts. La volonté de reprendre la main à l’échelle régionale ne sera pas sans effet sur la vie locale, puisqu’elle conduira les élus à revoir leurs positions et que se constituera un « Comité de pilotage des ports bigoudens », associant politiques et professionnels pour un aménagement concerté du littoral prenant simultanément en compte les questions des pêches, du tourisme, de la plaisance et des dessertes routières.
37Et les femmes ? Bien qu’au second plan médiatique cette fois, elles ne manquent pas de faire entendre leur propre opposition « au nom de la défense des familles de marins-pêcheurs », s’attachant notamment à dénoncer un modèle dominant privilégiant la mondialisation des marchés au détriment des populations maritimes. Elles s’impliquent dans la constitution de l’efag, et revendiquent une place dans les futurs Comités consultatifs régionaux prévus pour gérer la ressource. La Commission leur accorde en guise de reconnaissance l’organisation d’une conférence sur « Le rôle de la femme à la pêche et dans la filière » les 23 et 24 janvier 2003 à Bruxelles, où participent quarante-trois Françaises sur les cent trente-cinq femmes venues de treize pays de l’ue, ainsi que de l’Islande et de la Norvège. Par-delà les thèmes de circonstance abordés, il s’agissait en fait de leur adresser une injonction : convaincre les marins-pêcheurs de la nécessité de réduire les flottilles et l’effort de pêche, d’intérioriser les prescriptions normatives de la pcp. La réponse des deux fédérations françaises sera sans équivoque : « Nous ne serons pas les auxiliaires de la casse des bateaux. » Préoccupés des mêmes dossiers, sur l’évolution du statut de conjointe-collaboratrice et la place des femmes dans les instances professionnelles, les questions de formation, de santé et de la sécurité en mer, les deux organismes fusionneront en une « Fédération des femmes du milieu maritime », ffmm. Et c’est à l’échelle européenne et par le biais de leur propre réseau d’associations qu’elles entendent défendre leur place et leur rôle à la pêche et « donner notre vision de femmes dans le monde maritime ».
38L’exemple de la pêche artisanale bretonne appelle plusieurs commentaires sur la question de l’identité sociale. Celle-ci se pose toujours de manière très concrète, dans son double registre indissociablement individuel et collectif : c’est la question de la dignité de sa place, ici et maintenant, en tant que sujet pris dans des rapports singuliers au monde, comme homme ou comme femme, n’ayant pas à se justifier d’être ce qu’il est et de faire ce qu’il fait. Cela se soutient de l’adhésion partagée à des modes d’être et de faire et à des valeurs formant la constellation de références, les propriétés, du groupe ou milieu d’appartenance et le situant par rapport aux autres dans l’espace social. Cela ne se construit jamais sur une table rase, mais par alluvionnements continus à travers les vicissitudes d’une histoire collective où perdurent en filigrane, sous un habillage nouveau, des représentations anciennes avec les valeurs et comportements qui leur sont associés. Tant que le groupe, comme sujet collectif, préserve une relative maîtrise de ses critères de référence et n’est pas dépossédé du pouvoir de reformuler le champ des possibles à partir duquel chacun peut reprendre ses marques et renouveler les formes de son inscription sociale, les transformations vécues ne prennent pas la forme d’effondrements culturels. Ceux-ci interviennent lorsque les principes organisateurs de l’identité sociale sont directement affectés.
39Les milieux de la pêche artisanale en Bretagne ont su trouver dans leur propre fonds culturel les ressources pour renégocier leur place dans la cité, s’affirmer comme acteurs économiques « modernes », tout en maintenant les formes de leurs organisations de vie. Mais les réajustements opérés dans leur propre définition de la condition de pêcheur artisanal, comme les restructurations successives imposées de l’extérieur à l’exercice de leur activité au cours des deux dernières décennies, ont sapé les fondements sur lesquels se constituaient leur identité comme homme et comme femme à la pêche. L’intégration de la pêche artisanale dans les logiques financières d’une économie mondialisée signifiait aussi la fin du ménage comme principe organisateur de celle-ci, obligeant chacun pour son propre compte à repenser sa place comme sujet.
40Les premières à en payer le prix ont été sans conteste les femmes auxquelles les « années noires » de la pêche artisanale ont notifié de façon abrupte leur mise en congé de la scène économique et sociale. Sommées de se justifier d’être ce qu’elles sont, « femmes de marins-pêcheurs », et de faire ce qu’elles font, « défendre l’intérêt supérieur du ménage », elles ont prétendu réargumenter leur position sur un terrain, celui d’une identité professionnelle, où elles ne pouvaient avoir la maîtrise de la définition de leur rôle. Dans l’état actuel des structures sociales, leur prétention à être reconnues comme des « actrices économiques à part entière », ayant leur mot à dire dans les instances de décision relatives à la question des pêches, ne pouvait être reçue. Le statut juridique d’accès limité accordé et l’étroitesse de la représentativité concédée ne pouvaient que faire figure de lots de compensation donnés à certaines pour accompagner leur sortie des scènes où se joue l’avenir des hommes. Pour toutes cela sonne comme un déni symbolique : « Nous sommes invisibles », constatent-elles aujourd’hui. Comment résister à cet effacement et reconquérir une place comme sujet collectif ? Tel est l’enjeu auquel les plus combatives veulent répondre en s’organisant séparément, sur leurs bases propres, pour continuer à faire entendre leur voix singulière de « femmes de marins-pêcheurs ».
41Comme « collecteurs de la ressource du ménage », les hommes ont pu encore ignorer les effets de l’intégration de leur secteur d’activités. Après tout, ce qu’on leur demandait d’être, des « producteurs modernes », semblait recouper en partie leur propre définition de leur rôle. Et ceux qui faisaient montre de leur aptitude à se moderniser, tels les artisans bigoudens, pouvaient se croire les mieux placés pour continuer à l’exercer dans le nouveau contexte de l’Europe des pêches, soutenus en cela par les politiques publiques nationales. La décennie flamboyante 1980 a entretenu l’illusion qu’ils gardaient une certaine maîtrise du jeu, ou du moins qu’ils étaient dans le sens de l’histoire. Tout se conjuguait pour qu’ils surestiment leur position sociale dans l’espace de redéploiement de la pêche artisanale et méconnaissent la redistribution globale des rôles économiques se jouant simultanément. Emblématique de la réussite moderniste, le modèle qui les identifie ne valait qu’à l’échelle d’une Bretagne soucieuse d’éloigner le spectre de l’archaïsme et du sous-développement l’ayant longtemps déconsidérée dans l’ensemble national, et à celle d’un entre-soi maritime où tout renouvellement de l’espace des pratiques possibles assure à ceux qui l’initient une place dominante dans la lutte pour l’accès à la ressource en même temps qu’un profit symbolique. En révélant la faiblesse de leur position de producteurs dans l’espace socio-économique où se joue désormais la formation des prix, les « années noires » ont levé une partie des illusions. Mais les conditions dans lesquelles s’est soldée la crise ne leur ont pas permis une représentation de leur situation au-delà de l’horizon étroit de la stricte efficience économique et de l’intériorisation des nouvelles donnes imposées pour réassurer la prééminence de leur modèle.
42C’est la promulgation de la nouvelle pcp qui précipitera la prise de conscience de la nature politique des enjeux dans lesquels ils se trouvent pris. À cet égard, on ne saurait minimiser l’atteinte publique à l’honneur constituée par la façon dont la Commission a mis en scène l’énonciation de ses propositions, l’effet massif de délégitimation sociale du pêcheur comme « prédateur de la ressource ». Dans la nouvelle partie de bras de fer se jouant à l’échelle européenne, l’enjeu visible n’est plus seulement la reformulation des normes d’accès aux ressources halieutiques, il est dans la redistribution des formes d’accès à celles-ci, avec pour enjeu masqué la notion même de pêcheur artisan. En première ligne dans cette attaque frontale, concurrencés par les sociétés d’armement qui ont investi leur créneau productif, les hauturiers bigoudens n’ont d’autre choix que de s’engager sur le terrain politique où se joue le pouvoir de décision sur leurs activités. Compte tenu des déplacements opérés, ils ne le peuvent qu’au prix d’une reconversion de leurs modes d’être et de faire, en se revendiquant, à l’échelle de leurs territoires de pêche et des espèces ciblées, comme « gestionnaires » face aux groupes déjà constitués (scientifiques et experts missionnés à ce titre ou environnementalistes autoproclamés comme tels). La réinvention de soi s’effectue dans le langage subi, mais, à la différence de celle qui les a faits « producteurs modernes », elle les incite à réouvrir la question jusque-là éludée par eux : « Qui doit décider en matière de gestion des pêches et sur quelles bases ? »
43Par-delà l’interrogation qui leur est propre, et à laquelle ils se voient à nouveau confrontés – « comment se définir comme homme et comme femme à la pêche ? » –, ces exploitants de la nature maritime et leurs compagnes en posent une plus générale à l’organisation de nos sociétés contemporaines : « Entre le marché et la nature hypostasiés, où se situe l’homme et son désir de continuité ? » ?
Notes
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[1]
Armateur (propriétaire) de son embarcation, seul ou en association avec une autre personne.
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[2]
Notamment sa dimension en longueur, sa jauge, sa puissance.
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[3]
En Bretagne, prévaut le calcul sur la base du système dit « 50-50 » ou « à moitié » : une fois déduits les frais généraux ou « frais du total », la moitié du produit de la vente est pour l’armement, « parts du bateau » revenant au propriétaire de l’embarcation, du moteur et des engins de pêche ; l’autre moitié, « parts de l’équipage », est répartie en fonction des responsabilités exercées, patron, second ou mécanicien, matelot et mousse.
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[4]
Ces catégorisations tranchées n’épuisant pas des réalités évolutives plus complexes, comme les armements coopératifs, des statuts hybrides ont apparu par ailleurs, telle la pêche « semi-industrielle ».
-
[5]
clp et ccpm, instances professionnelles représentatives créées par les ordonnances de 1945, le Comité central se transformera en 1991 en Comité national des pêches maritimes ou cnpm.
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[6]
Le métier à la pêche se définit tantôt par l’espèce visée tantôt par l’engin de pêche utilisé.
-
[7]
Zone économique exclusive, ou zone des 200 milles, instaurée en 1976 par la cee pour le « pot commun » des eaux communautaires. Le mille nautique équivaut à 1,852 km.
-
[8]
Prévue dès 1973, la pcp voit le jour en 1982, Espagne et Portugal intègrent l’Europe des pêches en 1984.
-
[9]
Fonds d’intervention et d’organisation du marché, et Fonds régional d’organisation du marché. Le from-Bretagne est instauré en 1966.
-
[10]
Ici, la puissance des moteurs, ou encore la taille des chaluts.
-
[11]
Dans les engins de pêche et les automatismes facilitant les manœuvres, l’électronique de bord, etc.
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[12]
Premier marché mondial pour les produits de la mer et au quatrième rang pour la production, la cee importe alors 60 % de ses besoins. Pour l’analyse des choix très orientés de celle-ci, cf. le rapport de G. Proutière-Mouillon, 1993.
-
[13]
En cinq ans, entre 1988 et 1993, la flottille bretonne des moins de 12 m perdra 44 % de ses unités, 24 % de sa puissance et 38 % de son tonnage tandis que celle des 16-25 m ne connaîtra que des augmentations (+ 3 % en nombre, + 10 % en puissance, + 14 % en tonnage). Les 25-38 m pour leur part accuseront une chute de 37 % de leurs unités, de 30 % de leur puissance et de 34 % de leur tonnage.
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[14]
Permis de mise en exploitation créé en 1985, généralisé en 1988, obligatoire pour armer une unité à la pêche.
-
[15]
Entre 1988 et 1991 le prix d’un hauturier neuf est passé de 3 à 5,2 millions de francs.
-
[16]
Pour une analyse détaillée de ces deux aspects brièvement résumés ici, cf. [Delbos et Premel, 1995].
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[17]
pcp : Politique commune des pêches, la première instaurée en 1982, la seconde à partir de 2003. Dans le cadre de la première pcp, les pop, plans d’orientation pluriannuels, programment sur quatre ans le niveau de réduction des flottilles à atteindre par les États membres, sur la base du nombre de kw globaux à sortir ; les tac, tonnages autorisés de captures, et quotas de pêche sont les outils de gestion délivrés annuellement et par espèce.
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[18]
La première a été créée en 1904 pour « lutter contre la misère, l’alcoolisme et la démoralisation ». Les secondes, à l’origine la Jeunesse maritime chrétienne, l’ont été au début des années cinquante dans le cadre de l’« Apostolatus maris » relevant du Vatican, et dans la mouvance des prêtres ouvriers (prêtres navigants) ; elles comptaient deux cent quatre-vingts adhérents en 1994 en Bretagne. Les troisièmes se sont constituées dès le début du xxe siècle.
-
[19]
Le déchirage est la destruction du navire avec suppression du pme ; la cession se fait par le biais de sociétés d’armement existantes ou montées pour l’occasion : les sociétés industrielles en profiteront pour constituer des flottilles de pêche fraîche en rachetant des unités récentes à moindre coût.
-
[20]
Les articles 14 à 32 de la loi redéfinissent la situation juridique de la pêche maritime artisanale et du patron pêcheur comme chef d’entreprise. Y sont notamment stipulés : la création d’un statut de société de pêche artisanale (société de personne ou sarl), l’obligation d’inscription au registre des commerces et des sociétés, ou encore l’élargissement de la notion d’embarquement à des périodes à terre consacrées à la gestion de l’entreprise.
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[21]
Ce dernier point n’est exact que pour une très petite partie d’entre elles, et en tout état de cause ne concerne pas les femmes de hauturiers dont la pêche est commercialisée par les criées et les op.
-
[22]
Le Conseil supérieur d’orientation des politiques halieutiques, aquacoles et halio-alimentaires, dit en abrégé cso.
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[23]
Telle l’association « Femmes entre terre et mer » où se retrouvent des femmes « de la côtière », par opposition à la pêche hauturière ; ou encore, à l’initiative de l’association basque « Uhaïna » rassemblant des femmes de matelots, la création d’une « Fédération des associations de femmes et familles de marins de l’Atlantique Sud », dite « 3fm ».
-
[24]
Première du genre dans l’Europe bleue, l’interdiction du filet maillant dérivant est décidée lors du Conseil des ministres du 8 juin 1998 et concerne la pêche au thon dans les eaux communautaires à partir de 2002.
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[25]
Estimation du président de la Fédération nationale de la navigation de plaisance, Le Marin, 1er juin 2001.
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[26]
En référence à la couleur de sa couverture et qui s’avérera emblématique d’une radicalisation écologique.
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[27]
Ainsi certains calculs de réduction de l’effort de pêche appliqués à la lettre impliquaient que des unités non seulement devraient s’abstenir de toute sortie mais encore seraient redevables de jours de mer à la Commission.
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[28]
Sigle de sa formulation anglaise : « European fishing action group ».
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La remise en cause globale des estimations scientifiques censées légitimées ses décisions aura pour effet d’amener la Commission à reconnaître la nécessité d’améliorer les choses en donnant aux chercheurs des moyens appropriés aux enjeux, de renforcer le processus de consultation avec le secteur pêche et de conforter le niveau de représentativité des professionnels dans les Comités consultatifs régionaux prévus pour gérer la ressource. En France, elle accélérera la mise au point d’une charte entre scientifiques et pêcheurs.