1Cette table ronde a été organisée par Jean-Yves Authier autour de deux numéros d’Espaces et sociétés : « L’espace des classes moyennes » (no 148-149, 2012) et « Où est passé le peuple ? » (no 156-157, 2014) – et plus secondairement autour de deux autres numéros plus anciens : « Usages populaires de l’espace » (no 144-145, 2011) et « La gentrification urbaine » (no 132-133, 2008). Son enjeu était double : discuter du contenu de ces numéros et de leur réception ; débattre plus largement de l’approche matérielle et spatiale des classes sociales, de ses intérêts et de ses limites.
2Elle a réuni, à Paris, le 22 mai 2019, autour de Jean-Yves Authier, quatre intervenant·es :
3Deux contributrices aux numéros cités : Anaïs Collet, maîtresse de conférences en sociologie à la faculté des sciences sociales de l’université de Strasbourg et membre du laboratoire sage, auteure dans « L’espace des classes moyennes » de l’article intitulé « Le loft : habitat atypique et innovation sociale pour deux générations de “nouvelles classes moyennes” » ; et Cécile Vignal, maîtresse de conférences en sociologie à l’université de Lille, rattachée au laboratoire clerse, coauteure dans le numéro « Où est passé le peuple » de l’article intitulé « Comment étudier les classes populaires aujourd’hui ? Une démarche d’ethnographie comparée ».
4Deux personnalités extérieures à ces deux numéros et à Espaces et sociétés : Marie-Christine Jaillet, géographe spécialisée dans les études urbaines, directrice de recherche au cnrs, rattachée au laboratoire lisst, qui a mené de nombreux travaux sur le lien entre périurbanisation et couches moyennes ; et Olivier Schwartz, sociologue, professeur émérite à l’université Paris Descartes, qui a consacré ses travaux de recherche au monde ouvrier et aux classes dites populaires.
5La table ronde a été structurée en trois temps : un premier consacré à la production des deux numéros ; un deuxième centré sur leur contenu et leur réception ; et un troisième, enfin, sur les intérêts et limites d’une approche des classes sociales par l’espace.
Retours sur la production de « L’espace des classes moyennes » et « Où est passé le peuple ? »
6Jean-Yves Authier : Ma première question s’adresse à Anaïs et à Cécile : qu’est-ce qui vous a conduites à soumettre un article, Anaïs, pour le dossier « L’espace des classes moyennes », et Cécile pour le dossier « Où est passé le peuple ? » ?
7Anaïs Collet : La réponse est assez simple et très classique. J’étais jeune docteure quand il y a eu l’appel à articles, j’étais donc dans la problématique de beaucoup de jeunes docteurs de valoriser des résultats de thèse. Aussi bien la revue, incontournable sur l’analyse des rapports entre groupes sociaux et espaces urbanisés, que l’appel à articles, sur les classes moyennes, coïncidaient avec le positionnement de ma thèse, puisque j’avais travaillé sur l’articulation entre les transformations des classes moyennes et les dynamiques de gentrification des anciens quartiers populaires J’ai donc proposé un article pour ce numéro. Je pense que mon directeur de thèse ici présent (Jean-Yves Authier), qui est membre du comité de rédaction, m’avait informée de l’appel à articles, mais je connaissais aussi déjà la revue. J’avais publié un article en 2008 dans le dossier sur la gentrification et les autres articles de ce dossier m’avaient été très utiles pour finaliser ma thèse. Et puis j’avais lu et mobilisé d’autres articles d’Espaces et sociétés au cours de ma recherche doctorale. Je connaissais donc la revue et ce que j’avais à proposer me semblait pouvoir être en adéquation avec l’appel à articles sur les recompositions des classes moyennes et leurs modes d’inscription spatiale.
8Cécile Vignal : Pour ma part, il s’agissait d’un article écrit avec six collègues, dans le cadre d’une recherche collective. Au moment où l’appel à articles est paru, nous étions dans notre deuxième année de terrain d’enquête ethnographique sur la vie quotidienne des classes populaires à Roubaix, l’appel est tombé vraiment au cœur de nos problématiques, à la fois sur la dimension spatiale de ces conditions de vie populaires, sur une dimension critique des effets sociaux et urbains du capitalisme sur la ville, et puis en même temps sur la vie quotidienne, sur ce qui s’y passe concrètement, c’était vraiment notre entrée. Nous étions donc très enthousiastes. C’était notre premier article, et le rédiger tout·es ensemble nous a aidé·es dans notre démarche collective. J’ajoute que je connaissais aussi Espaces et sociétés, pour y avoir déjà publié après ma thèse en 2005, parce qu’un certain Jean-Yves Authier m’avait suggéré lors de ma soutenance de soumettre un article à la revue. Et puis je l’avais beaucoup lue aussi pendant ma thèse, et après, en fonction des thématiques, donc j’avais confiance dans l’intérêt de le faire.
9Jean-Yves Authier : Pour poursuivre, deux questions à l’une et à l’autre : pouvez-vous présenter succinctement l’objet de votre article ? Et, ce qui peut être intéressant du côté de leur production, quels souvenirs gardez-vous des interactions que vous avez eues avec la revue, avec les évaluateurs de votre article et/ou les coordinateurs du numéro ?
10Anaïs Collet : Mon article porte sur les représentations et les usages des lofts parmi deux générations de classes moyennes « gentrifieuses ». Au cours de mon enquête de thèse, j’ai étudié le choix résidentiel de certains habitants consistant à acheter un local industriel pour y vivre et, parfois, pour y travailler, en partant de l’idée qu’il y avait là un peu plus que l’effet de la marchandisation ou la commercialisation d’un modèle d’habitat autrefois alternatif. À partir de mes entretiens et des cas que j’avais analysés dans ma thèse, j’y voyais aussi le reflet de certaines mutations des classes moyennes du pôle culturel, notamment dans les rapports au militantisme et à la chose politique, d’une part, à l’emploi et à l’insécurité des trajectoires sociales, d’autre part. C’était le point de départ de l’article. Je me suis appuyée pour l’écrire sur les cas de cinq individus appartenant à deux générations distinctes. J’ai exposé les ressorts de leur choix, leurs usages du loft ainsi que leurs satisfactions et leurs déceptions éventuelles, qui étaient révélatrices de leurs représentations de ce type d’habitat « classé, donc classant », pour reprendre les mots de Bourdieu, et de leurs aspirations.
11Sur le processus de production de l’article, je me souviens d’avoir reçu une évaluation écrite qui disait grosso modo « c’est pas mal, mais peut mieux faire » et ajoutait quelques suggestions. Mais j’avais rencontré peu après une personne membre du comité de rédaction d’Espaces et sociétés qui, je pense, avait participé à l’évaluation de mon article et qui, ayant deviné que j’en étais l’auteure, m’a fait également un retour à l’oral. Ce retour était beaucoup plus critique, plus mordant ! Mais il m’a finalement été plus utile parce qu’il a vraiment pointé les choses que je pouvais améliorer. J’ai trouvé que l’échange oral était bienvenu pour compléter le retour écrit et comprendre comment améliorer le texte. Certes, ça ne respecte pas la règle de l’anonymat, mais ça permet d’aller au-delà de retours écrits souvent assez synthétiques.
12Cécile Vignal : Dans mon cas, il s’agit, comme l’indique son titre, d’un article qui expose une posture et un programme de recherche, mais aussi des premiers résultats. Nous expliquions comment nous avions construit notre démarche d’ethnographie comparée. Nous étions sept sociologues, du travail, de la famille, de l’urbain, de l’éducation et des mobilisations, nous avions croisé nos domaines de recherche et construit un programme, en lien avec des discussions avec des sociologues espagnols et argentins qui travaillaient sur des classes populaires dans des contextes urbains pris à des étapes diverses d’industrialisation et de désindustrialisation. C’est l’importation de ces questionnements que l’on raconte dans l’article et que l’on met déjà en application. L’article a donc un statut hybride. En le relisant, comme nous avons aujourd’hui publié l’ouvrage final (La ville vue d’en bas. Travail et production de l’espace populaire) [1], je vois combien la posture mise en avant dans l’article, qui visait à avoir une lecture non misérabiliste du quotidien des familles populaires, a été conservée. En revanche, il y a bien sûr des résultats de la recherche qui n’apparaissent pas encore. Par exemple, on parle dans l’article de « débrouille » alors qu’aujourd’hui nous qualifions les pratiques quotidiennes des populations précarisées de « travail ». Et puis ce que l’article traite assez peu finalement, ce sont les dimensions résidentielles, spatiales qui interviennent. C’est d’ailleurs ce qu’avait souligné l’un des relecteurs de la revue, qui nous avait dit : « Il faut un peu plus creuser cela. » Nous avions ouvert une réflexion sur les territorialités populaires à l’époque, que nous avons bien davantage développée aujourd’hui. Ce qui m’amène à dire un mot sur les interactions avec la revue. Dans mon souvenir, il y avait eu beaucoup de souplesse dans la discussion avec les coordinateurs du numéro. Cela avait été un peu compliqué pour la signature de l’article, puisque nous avions proposé, pour des raisons politiques, un nom collectif – qui a perduré [Collectif Rosa Bonheur], ce qui n’était pas dans la tradition de la revue, mais qui a finalement été accepté.
13Jean-Yves Authier : Pour rester encore un instant sur la production de ces deux numéros, que pensez-vous, l’une et l’autre, du positionnement de votre article dans le dossier, de sa place dans le sommaire, de ses liens avec les autres textes ?
14Anaïs Collet : Je trouve que le sommaire articule bien les textes entre eux et ça leur est profitable. Par exemple, mon texte vient en quelque sorte décliner l’un des résultats présentés sur la base de matériaux quantitatifs par François Cusin dans le premier article du numéro. Et il est suivi par un article d’Anne Lambert qui porte sur d’autres fractions des classes moyennes, avec aussi une lecture en termes de trajectoires sociales et résidentielles et de renouvellement générationnel. Nos deux enquêtes de terrain sont presque symétriques, les juxtaposer incite à la discussion. Donc je pense que l’article gagne à être placé ainsi.
15Cécile Vignal : Notre article est placé à la fin du dossier et je trouve cela justifié. Je l’ai dit, c’est un article programmatique et à multiples entrées : la question du travail, la question des liens conjugaux et familiaux, la question de l’habitat, etc. Les autres articles du numéro sont consacrés plutôt à un enjeu spécifique : celui de l’habitat, du logement (social) ou auto-construit, des copropriétés, des rapports sociaux dans le logement, et je pense que notre article élargit un peu la focale, puisque nous proposions le croisement de plusieurs dimensions en même temps. Il résonne bien, je trouve, avec les autres articles.
De la production à la réception
16Jean-Yves Authier : Alors on va glisser un tout petit peu de la production à la réception, avec deux questions que je vous soumets, Anaïs et Cécile : est-ce que vous avez une idée de la réception qu’a eue votre article ? Est-ce que vous avez eu des retours ?
17Anaïs Collet : Il est difficile de nous prononcer nous-mêmes sur la réception. Je n’ai pas le souvenir d’avoir eu de retours à la suite de cette publication, et globalement, avec quelques années de recul, ce n’est pas ce texte, parmi ceux que j’ai publiés, qui a suscité le plus de réactions ou de commentaires, quels qu’ils soient. C’est peut-être même celui qui est passé le plus inaperçu ! Mais cet article m’a, au moins, été très utile à moi, il m’a aidée à formuler des choses qui étaient juste esquissées dans la thèse et à aller plus loin dans l’analyse. Je pense qu’un des grands mérites de la rédaction d’articles et de la discussion avec les coordinateurs, ou avec les rédacteurs, c’est de nous pousser à vraiment bien expliciter des résultats et à les mettre en forme pour les rendre transmissibles et discutables par d’autres, dans un format relativement court. Après, sur cet article en particulier, je n’ai pas eu énormément de retours et je me dis que c’était peut-être lié au fait que c’était quelque part un petit objet. Je suis rentrée par un petit objet qui permettait d’éclairer des choses intéressantes, mais observées aussi par d’autres collègues parfois de manière beaucoup plus consistante en termes de matériaux empiriques mobilisés. Mon papier vient peut-être juste corroborer, illustrer par un matériau peut-être plus ethnographique des choses vues par ailleurs, notamment sur les transformations du rapport à l’emploi dans les professions culturelles ou des engagements militants des classes moyennes.
18Cécile Vignal : La réception, c’est compliqué à mesurer ! Nous n’avons pas de souvenirs de retour direct sur l’article. Par contre, indiscutablement, même s’il n’est pas facile de distinguer ce qui se passe avec l’article, lui-même, de ce qui se passe au même moment quand on va dans des colloques, des journées d’étude, où nous communiquons sur ces premiers résultats, cet article nous a fait connaître des géographes et urbanistes critiques, et des sociologues qui travaillent sur les classes populaires et la ville. Je me souviens par exemple d’une présentation de ce numéro d’Espaces et sociétés dans une librairie parisienne, qui avait suscité des discussions intéressantes avec le public. Une autre réception a été celle de doctorants de notre laboratoire, et je pense que cela a eu un rôle pédagogique et de discussion épistémologique avec des collègues qui étaient en début de thèse.
19Anaïs Collet : Je suis d’accord que les articles de cette nature, comme le vôtre, sont effectivement très utiles pour des jeunes chercheurs et dans l’enseignement. Je l’ai mobilisé dans des enseignements. J’ai mobilisé de manière analogue un article de Gilles Laferté, publié dans Sociologie, sur l’approche localisée des classes sociales [2]. Je trouve que ce sont des articles très utiles pour mettre des mots sur des postures scientifiques et sur des démarches empiriques associées.
20Jean-Yves Authier : Pour prolonger sur la réception, mais dans une autre perspective, deux questions encore, Anaïs et Cécile, avant de donner la parole à Marie-Christine Jaillet et Olivier Schwartz : qu’avez-vous retenu de la lecture de « L’espace des classes moyennes », Anaïs, et de « Où est passé le peuple ? », Cécile, au moment de leur publication ? Est-ce que le numéro vous a été utile à l’époque dans vos travaux ? Et, puisque vous avez relu ces numéros pour cette table ronde, quelle lecture en faites-vous aujourd’hui ?
21Anaïs Collet : Ce qui est toujours très utile lors de la publication d’un dossier, c’est de découvrir des travaux en cours ou récents qu’on ne connaît pas forcément et qui s’inscrivent dans le même champ thématique. Cela permet de replacer ses propres résultats dans un ensemble plus large, où l’on va retrouver des échos mais aussi des différences qui permettent de voir ce qu’il y a de spécifique dans ce qu’on est en train d’étudier. Grâce à ce numéro, j’ai donc découvert des travaux. Alors pas ceux de François Cusin, que je connaissais déjà puisque je travaillais avec lui en postdoc ; mais cet article faisait une très utile synthèse de la grosse enquête sur les classes moyennes qu’il venait de clore. Anne Lambert, je l’avais déjà entendue présenter ses résultats à l’oral, mais c’était précieux d’avoir des choses à l’écrit. Comme je l’ai dit précédemment, son article concerne une fraction des classes moyennes complémentaire de celle que j’ai étudiée, d’autres héritiers de ceux qu’on a appelés les « nouvelles couches moyennes salariées » au début des années 1980 : pas les professions artistiques et culturelles, mais les ingénieurs, cadres, professions intellectuelles du privé, enseignants, ayant connu des trajectoires un peu différentes. Donc c’est un article qui m’a particulièrement intéressée. De même, l’article de Lina Raad m’avait bien intéressée puisqu’il porte sur les classes moyennes installées à Saint-Denis et vient rappeler la diversité des classes moyennes impliquées dans la gentrification des banlieues populaires. Ensuite, c’est l’article de Jean Rivière qui avait retenu mon attention, parce qu’il reliait la question des contextes résidentiels, des trajectoires sociales et résidentielles, et la question de la position politique et du vote. Il m’a permis de découvrir ce débat passionnant sur l’articulation entre les déterminants sociaux et spatiaux des votes et plus largement d’un certain nombre de choix, d’opinions. Je pense que ce sont les articles que j’ai le plus mobilisés par la suite, mais les autres m’avaient intéressée également et m’ont intéressée plus encore a posteriori.
22À la relecture du numéro, ce qui se dégage de l’ensemble des articles, c’est d’abord la diversité des classes moyennes, même si le numéro ne couvre pas l’ensemble des espaces de vie et des fractions des classes moyennes. Cette diversité caractérise aussi les rapports aux lieux, qui peuvent être variés au sein même des classes moyennes d’un même espace résidentiel, comme le montre par exemple l’article de Lina Raad.
23Le deuxième apport de ce numéro, c’est la mise à distance du déterminisme spatial : il n’y a pas d’effets de lieux mécaniques, comme le montrent Jean Rivière à propos du vote des habitants du périurbain ou, à un demi-siècle de distance, le livre de Bennett M. Berger Working Class Suburbs dont rend compte Maria Margarita Gonzalez Cardenas. Les rapports aux lieux s’articulent avec les trajectoires sociales et professionnelles.
24C’est le troisième fil qui court dans l’ensemble du numéro, me semble-t-il : l’importance des trajectoires sociales dans la construction des rapports au lieu habité. Que ce soit dans le cas des pavillonnaires de Cergy-Pontoise étudiés par Anne Lambert, des classes moyennes blanches et non blanches étudiées par Sophie Chevalier à Durban, ou dans les analyses quantitatives de Jean Rivière et de François Cusin, on voit bien que le rapport au lieu habité se construit et prend sens au regard d’une trajectoire sociale intragénérationnelle et intergénérationnelle. Le logement et l’espace résidentiel ne font pas la position sociale, mais ils peuvent contribuer néanmoins à la trajectoire sociale et au sentiment d’ascension ou de déclassement.
25J’ai retenu aussi l’idée, pour aller un petit peu plus loin, d’une articulation entre ces trajectoires des habitants et les trajectoires des lieux ; c’est-à‑dire que les lieux aussi ont des trajectoires, et finalement, c’est une double dynamique qu’il faut regarder. Cette idée de trajectoire des lieux, c’est quelque chose que j’ai rencontré à nouveau et retravaillé dans le cadre d’un ouvrage collectif sur les gentrifications [3] : c’est une idée développée dans les travaux de Matthieu Giroud, par exemple dans son texte dans le numéro sur « Les usages populaires de l’espace », ou dans ceux de Marie Chabrol sur les trajectoires d’immeubles à la Goutte d’Or. Les effets des lieux sur les trajectoires des habitants doivent aussi être saisis à l’aune de leurs propres dynamiques. À la relecture, ça me paraît être un apport certain de plusieurs des articles du numéro.
26Enfin, l’article de Sophie Chevalier pointe une question qui est absente des autres articles et qui n’était, de fait, pas très présente dans les recherches de cette période-là sur les rapports entre espaces et classes sociales, qui est l’articulation entre rapports sociaux de classe et rapports sociaux de race. En cela, cet article se démarque un petit peu et il apporte cet élément à la discussion.
27Cécile Vignal : De mon côté, j’ai relu l’appel à articles du numéro « Où est passé le peuple ? ». Il visait à remettre au jour la question des classes populaires qui étaient supposées avoir été invisibilisées par les enjeux de classes moyennes, justement, et de gentrification. C’était ça l’accroche. Est-ce que le numéro répond à cet enjeu ? Je pense que oui, mais de manière incomplète, parce que les articles sont très orientés sur la question du logement et du rapport au logement, beaucoup plus que sur l’espace en soi, sous toutes ses formes : localisation, attachement, etc. À l’exception sans doute de l’article de Violaine Girard qui élargit le questionnement aux problèmes d’appartenance et de respectabilité dans l’espace local. Donc le dossier répond à une partie de la question, en répondant au passage, me semble-t-il, à l’ouvrage de Christophe Guilluy sur La France périphérique paru à l’époque [4], mais pas à toute la question. Pour autant, quand j’ai découvert le numéro, ce qui comporte toujours un effet de surprise, car on ne sait pas avec qui on va être publié, il m’a été utile pour ma connaissance du champ de la sociologie urbaine, et de l’habitat en particulier.
28À sa relecture, ce qui m’a surprise, c’est la façon dont beaucoup de résultats convergent pour affirmer que l’habitat est une dimension importante de la position sociale des classes populaires, avec notamment l’idée qu’il y aurait des trajectoires résidentielles qui viendraient compenser ce que les trajectoires professionnelles n’assurent plus, ou de manière partielle. Cela affleure dans les résultats de l’article de Pascale Dietrich sur Paris, sur le logement social comme enjeu de résistance à la ségrégation socio-spatiale et au déclassement social. On retrouve aussi cela dans les deux articles de Sylvaine Le Garrec et de Johanna Lees, on le retrouve un peu partout dans le numéro, même dans celui de Samuel Deprez et Philippe Vidal sur l’auto-construction de l’habitat aux limites de la ville du Havre. Cet article est celui qui, avec celui de Pascale Dietrich, m’avait peut-être le plus intéressée, parce que l’informalité des pratiques populaires, c’est ce que l’on cherchait aussi à Roubaix.
29Un autre élément qui m’apparaît comme un résultat un peu transversal, c’est que l’entre-soi populaire permet, je reprends une formule de Pascale Dietrich, d’« adoucir » le quotidien. Cet élément est présent dans différents articles, dans différents contextes, et pose la question de l’autonomisation dans l’espace de groupes populaires, ou de fractions des classes populaires. Je citerai aussi la question de l’identité sociale, du sentiment d’appartenance, et plus largement les dimensions symboliques qui ont cours dans l’espace local. Là, c’est plutôt l’article de Violaine Girard, qui montre bien que c’est toujours en concurrence avec d’autres groupes sociaux, que ça ne se fait pas simplement, que c’est soumis à des aléas, à des ruptures : de revenus, dans la trajectoire, ou liées à un déclassement collectif (comme on le voit dans l’article de Johanna Lees sur les copropriétés dégradées). Ça, je trouve que ce sont des éléments importants qu’apporte le numéro et qu’on retrouve dans la recherche sur les classes populaires en général : la question de l’identité sociale et de l’appartenance locale, à travers la question de l’habitat ; la question de la concurrence entre les groupes dans ces espaces ; la question des ruptures dans les trajectoires (comme normes et pas comme événements), qui sont fréquentes dans les milieux populaires.
30À l’époque de la publication du numéro, j’avais lu aussi « Les usages populaires de l’espace », qui est un numéro plus ancien de 2011, et là c’était plus directement lié à notre recherche, puisque l’objet de ce numéro était d’analyser comment les pratiques formelles ou informelles dans l’habitat, dans l’espace de la rue, etc., font les espaces populaires, et comment elles sont disputées ou contraintes par d’autres groupes sociaux, avec, à l’intérieur de ce dossier, des travaux de Matthieu Giroud, d’Anne Clerval et d’autres chercheurs. Ce numéro thématique m’avait vraiment beaucoup apporté en termes de questionnements et de résultats, que je ne connaissais pas du tout.
31Jean-Yves Authier : Il y a une complémentarité entre les deux numéros, « Les usages populaires de l’espace » et « Où est passé le peuple ? » : le premier porte de manière privilégiée sur les pratiques des espaces publics ; le deuxième est davantage centré sur le logement et l’habitat.
32Anaïs Collet : C’est aussi un trait du numéro sur l’espace des classes moyennes : il est également très focalisé sur la question du logement et de l’articulation entre les questions résidentielles et les trajectoires professionnelles, et comporte moins d’articles sur les autres rapports à l’espace des classes moyennes, par exemple sur la manière dont les espaces sont disputés, sur la rencontre entre les classes moyennes et les groupes sociaux dans l’espace. Ce sont des traits communs aux deux numéros « Où est passé le peuple ? » et « L’espace des classes moyennes ». Mais il me semble qu’il n’y a pas l’équivalent du numéro sur « les usages populaires de l’espace » pour les classes moyennes, même si on trouve des éléments dans les numéros sur la gentrification (2008) et sur la mixité sociale (2010).
33Jean-Yves Authier : Nous allons poursuivre sur le contenu et la réception de ces deux numéros, avec Marie-Christine Jaillet et Olivier Schwartz, qui n’ont pas été impliqués dans leur fabrication, en commençant par le numéro sur les classes moyennes, et par une première question pour Marie-Christine : est-ce que tu avais lu ce numéro au moment de sa publication ?
34Marie-Christine Jaillet : Oui, je l’avais lu. Je l’avais lu, parce que je lis Espaces et sociétés. C’est d’ailleurs une sorte de paradoxe : je n’ai jamais écrit dans Espaces et sociétés, mais je lis Espaces et sociétés, donc je me considère comme une compagne de cette revue. C’est effectivement une revue qui a accompagné mon parcours dans la durée. Donc oui, j’ai lu ce numéro, avec d’autant plus d’intérêt qu’il faisait aussi écho à un certain nombre de questionnements que je portais, que je connaissais les travaux d’un certain nombre d’auteurs de ce numéro, et que l’intérêt d’un numéro de revue thématisé, c’est de rassembler des contributions et de les mettre en écho ou en débat. Ce qui est intéressant dans une revue, ce n’est pas simplement de lire chacun des articles, mais c’est en quoi un numéro construit des résonances qui produisent des effets.
35Jean-Yves Authier : Quelle en a été ta lecture à l’époque, notamment par rapport à la littérature d’alors sur les classes moyennes ? Et quelle en est ta lecture aujourd’hui ? Quels intérêts ? Quels manques ?
36Marie-Christine Jaillet : Ce qui m’avait aussi intéressée dans ce numéro, parce que pour moi c’était lié à l’époque, c’est qu’il venait éclairer la controverse entre Martin Vanier et Jacques Lévy sur le périurbain. Le numéro interroge en effet la catégorisation « classe moyenne », mais pour moi il interroge aussi une catégorie sur laquelle j’ai beaucoup travaillé, qui lui est liée, celle du périurbain, avec, au regard de mes travaux, un certain nombre de réactions assez vives, qui obligent à revenir sur l’effet de contexte.
37Dans le numéro, plusieurs contributions sont centrées, pour aller vite, sur le Grand Paris (Montreuil, Saint-Denis). Ces territoires, qui jouxtent Paris, recouvrent, sous le terme de banlieue, des réalités qui, pour moi, travaillant sur d’autres terrains, relèvent, pour partie, du périurbain. Ce qui interroge donc sur les catégories spatiales qu’on manipule. Liée à cela, il y a aussi la question de l’effet de contexte. Lorsqu’on travaille sur les trajectoires de certaines fractions des classes moyennes à Montreuil ou à Saint-Denis, on n’est pas du tout dans le même contexte social que dans la région toulousaine ou d’autres contextes métropolitains. Or, les contextes, au sens historique, socio-économique, politique, interviennent dans ce que sont les classes moyennes et dans leurs trajectoires. Ce qui pose la question de la capacité d’une montée en généralisation. Si on n’arrête pas de dire : « C’est différent », à un moment donné, quelle est la capacité qu’on se donne à tenir un propos général ? Ma lecture de ce numéro associe un intérêt pour des travaux menés dans un contexte précis sur une fraction sociale précise, travaux tout à fait convaincants, et le constat d’un éclatement de ces travaux, qui interroge sur notre capacité à produire un discours plus général sur une question essentielle, celle des classes moyennes.
38Autre élément, j’étais à l’époque très préoccupée, et je le reste, d’un point de vue scientifique, par la question de la sécurisation des classes moyennes. Ce que je percevais bien, c’est que dans le changement profond du contexte économique qui se traduit par des différenciations accrues entre les trajectoires professionnelles, un élément unifiait ces classes moyennes, variable selon la manière dont l’insécurisation pesait sur elles, celui de la recherche de la réassurance dans et par le cadre de vie : dans l’espace, les classes moyennes essaient de reconstruire de la sécurisation ou de la réassurance. Et dans ce numéro, j’ai trouvé à l’époque, mais on va souvent chercher dans notre lecture des points qui viennent un peu conforter nos intuitions, un certain nombre d’éléments qui, indéniablement, confortaient ce sentiment.
39De même, j’avais trouvé dans l’article sur Saint-Denis (de Lina Raad), des éléments sur l’entre-soi des couches moyennes qui faisaient écho à ce que j’avais observé sur mes terrains de recherche, et à ce que j’avais écrit sur la question de la sécession des couches moyennes, au moment où je travaillais avec Jacques Donzelot. J’avais notamment publié dans la revue Esprit un article [5], qui à l’époque avait été contesté par François Ascher, dans lequel je défendais l’idée que participaient de cette réassurance des formes d’entre-soi, ou plus justement d’appariement électif, en tout cas des formes de mise à distance de la différence, de l’altérité, soulevant la question de la mise en tension de leur rapport avec les classes populaires ou avec les couches populaires. Et l’article de Lina Raad, tout en montrant qu’à Saint-Denis les couches moyennes continuaient à assurer une certaine forme de mixité sociale (ce qui n’était pas le cas dans mes terrains d’enquête), montrait aussi que, dans cette cohabitation ou coprésence, il y avait une stratégie des couches moyennes visant à reconstituer des formes d’entre-soi. Autrement dit, l’article montrait que si, pour des raisons de rapports au marché immobilier, des couches moyennes acceptent au fond une situation de coprésence, elles développent aussi des stratégies de mise à distance de l’altérité.
40Donc, ce papier-là m’avait effectivement beaucoup intéressée. Comme m’avait bien intéressée aussi l’article d’Anaïs. Je connaissais alors peu ses travaux, et ce qui m’avait beaucoup intéressée dans son texte, c’est la dimension générationnelle et la différence qui était faite dans leur rapport au politique, entre les couches moyennes qu’elle observe et celles observées, notamment par Catherine Bidou, dans les années 1970-1980, où l’on voyait ces couches moyennes issues du salariat prendre le pouvoir local. L’article qui ouvre le dossier [de François Cusin] était également très intéressant. Il venait appuyer des travaux sur la question de la segmentation des couches moyennes, que je connaissais déjà, et j’y ai plutôt trouvé des éléments de confortation fort intéressants sur la thématique de l’insécurisation, voire du déclassement. L’article de Jean Rivière, que je connaissais pour avoir été dans son jury de soutenance de sa thèse, alimentait un débat qui a beaucoup agité les géographes, autour des effets des gradients d’urbanité développés par Jacques Lévy. Et je fais partie des chercheurs et chercheuses qui, comme Jean Rivière, étaient en désaccord avec cette position. Je connaissais aussi ceux d’Anne Lambert. Celui sur la Suisse, je l’ai relu. Évidemment, il est intéressant, mais il renvoie au problème que j’évoquais précédemment : qu’est-ce qu’apporte, d’un point de vue général, la typologie proposée, à la connaissance de ce que sont les classes moyennes ? Et pour moi cette question est peut-être encore plus forte aujourd’hui qu’elle ne l’était à l’époque.
41Finalement, il y a deux articles que je n’avais pas lus, ou que j’avais probablement seulement parcourus, et qui m’ont beaucoup intéressée à la relecture du numéro, c’est l’article sur la banlieue états-unienne et l’article sur Durban. Parce que d’une certaine manière, l’article sur les États-Unis règle la question des rapports entre le spatial et le social. Il montre en effet que les ouvriers qui sont venus s’installer dans la banlieue américaine, censée être l’archétype de l’espace des classes moyennes, ne sont pas devenus pour autant des classes moyennes. Et il remet ainsi sur la table la question du primat du statut social construit par le rapport au travail. Même si le rapport au travail aujourd’hui, compte tenu du contexte dans lequel on est, se pose dans des termes évidemment différents. Quant à l’article sur Durban, il m’a aussi très intéressée parce qu’on voit combien la question des inégalités, dans la manière dont on les aborde aujourd’hui, s’est considérablement complexifiée : la question du genre, peu présente dans le numéro, a pris de la consistance ; la dimension des patrimoines mobilisables (par exemple, le fait d’avoir la possibilité ou non de disposer d’un patrimoine ou de liquidités apportées par les parents), qui est assez peu présente également, a pris de l’importance ; la question de la « race », formulée aujourd’hui dans d’autres termes, existe et il faut pouvoir la poser. En relisant cet article, je trouve très intéressante l’idée que, dans un contexte certes très particulier, la dimension de la classe moyenne, c’est-à‑dire du statut social, liée à la dimension économique, peut, à certains moments, non pas invalider, mais en tout cas minorer la dimension de la race, et on sait l’importance de cette dimension raciale en Afrique du Sud.
42Plus globalement, puisque tu posais la question du positionnement de la revue, je trouve, au-delà de ce numéro, qu’Espaceset sociétés répond bien aux besoins de disposer, avec ses articles, d’apports très consistants de connaissances, ramassées intelligemment, bien écrits, où l’on a à la fois l’appareillage méthodologique et l’exposé de résultats, avec une « mise en scène » judicieuse des contributions dans la fabrication du numéro. Au fil du temps, je trouve aussi qu’elle est devenue, avec bonheur, un lieu d’expression de la « jeune recherche », c’est-à‑dire de la recherche en train de se faire, par des doctorant·es, par des jeunes collègues. C’est ainsi qu’elle est aujourd’hui positionnée. En tout cas, je la vis comme cela par rapport à d’autres revues. C’est assez différent de la manière dont elle a été positionnée, et dont je l’ai utilisée… j’allais dire, il y a fort longtemps. J’ai besoin d’une revue de ce type, foisonnante, rendant compte de travaux de terrain « monographiques » au bon sens du terme, répondant à toutes les exigences scientifiques. Et ce dont j’ai aussi besoin, c’est d’un autre type de production, qui n’est pas forcément un ouvrage scientifique, mais plutôt un essai, qui prend le risque d’une réflexion plus globale. Et notamment, d’un essai sur les classes moyennes, ce qu’elles sont devenues aujourd’hui, ce qui n’est pas l’objet de la revue bien évidemment, mais qui correspond à mes besoins.
43Jean-Yves Authier : On va poursuivre avec le numéro « Où est passé le peuple ? » et avec Olivier Schwartz : est-ce que vous aviez lu ce numéro au moment de sa publication ? Et plus globalement, êtes-vous un lecteur d’Espaces et sociétés ?
44Olivier Schwartz : Je ne suis pas un lecteur régulier de la revue, parce qu’en fait, pour toutes les revues – je suppose que je ne suis pas le seul –, je fonctionne au coup par coup. Je lis tel numéro parce que d’une manière ou d’une autre, j’en ai entendu parler, mais je ne suis pas régulièrement une revue particulière. Et je n’avais pas lu ce numéro quand il est sorti parce que diverses circonstances ont fait que même si j’ai travaillé dans le passé sur la famille et le logement, à l’époque où j’enquêtais sur le Nord, j’ai basculé ces dernières années vers des thèmes qui tournent davantage autour du travail, et donc je me tiens moins régulièrement informé de ce qui se publie concernant l’habitat et les espaces de vie. Je n’avais donc pas lu le numéro au moment de sa sortie.
45Mais ce n’était pas la première fois, bien sûr, que je lisais Espaces et sociétés. J’avais lu notamment le numéro sur la mixité sociale, parce que, pour tout vous avouer, je ne comprenais pas les réserves que ce thème semblait susciter chez certains sociologues de l’urbain. Spontanément, je le dis de façon très naïve, la mixité sociale, j’étais plutôt pour. Je sentais bien, dans le milieu des sociologues de gauche dans lequel j’évolue (tout en étant toujours plus à droite que mes collègues…), que beaucoup se méfiaient de ce thème et je ne comprenais pas pourquoi. Donc je me suis dit que j’allais revenir à la bonne littérature et j’ai lu le numéro sur la mixité qui m’a… presque convaincu. Pas complètement, mais presque. Et je trouve que c’est une très bonne revue.
46D’abord parce que c’est une revue qui assume pleinement le choix du thématique : les numéros sont thématiques, la revue elle-même l’est. On peut du même coup s’approprier facilement chaque numéro ; on peut aussi mettre les numéros en série. Par exemple, s’agissant du populaire, les deux numéros « Usages populaires de l’espace » et « Où est passé le peuple ? » se répondent très bien. Tout comme les numéros « classes moyennes », « gentrification », et « mixité sociale ». La conséquence est que lorsque l’on souhaite faire le point sur ce qui s’est écrit dans nos disciplines sur une question touchant à l’urbain, aux espaces de vie, aux classes sociales, on peut être sûr de beaucoup apprendre en se reportant aux numéros de la revue.
47Une autre raison pour laquelle j’apprécie Espaces et sociétés, c’est le fait que c’est une revue qui sait, me semble-t-il, trouver de bons compromis entre l’exigence académique, qui est essentielle, bien sûr, pour nous tous, sinon on se nierait comme discipline ayant des exigences de rigueur intellectuelle ; et d’autre part, la nécessité de publier régulièrement des textes qui présentent des choses en train de se faire, des recherches en cours, des résultats encore imparfaits d’enquêtes ou d’investigation, sans que les auteurs soient obligés de faire chaque fois complètement le point sur toute la littérature existante. Cela me semble important. Espaces et sociétés sait, me semble-t-il, mettre le curseur là où il faut. Les articles, en tout cas ceux que j’ai lus, tout particulièrement dans les numéros dont nous parlons, sont satisfaisants à la fois du point de vue des exigences de rigueur et sur le plan de l’intérêt des résultats, des connaissances ou des données qu’ils apportent.
48Il y a aussi le fait, pour le dire autrement, qu’ils en viennent vite aux faits. C’est important bien sûr qu’il existe des revues qui mettent la barre haut en termes de revue de questions, de repérages préalables dans la littérature, etc. Mais il est important qu’existent aussi des revues qui, tout en étant exigeantes sur le plan des critères fondamentaux d’une recherche universitaire, acceptent qu’on en vienne relativement vite aux faits, sans devoir obligatoirement faire précéder l’exposé de ceux-ci d’une revue de question tellement longue qu’à la fin, on se demande parfois ce qu’on a exactement appris. C’est, pour moi, une qualité d’Espaces et sociétés. C’est pourquoi je lis cette revue avec intérêt.
49Marie-Christine Jaillet : Je partage totalement le point de vue qu’Olivier vient de formuler sur l’intérêt d’éviter ces états de l’art très longs. Ils sont un exercice nécessaire, oui, mais il y a aussi une forme académique qui pourrait être remise en question. Au fond, qu’il y ait des revues qui soient sur ce registre-là, où on fait le point sur une question, ça, je l’entends tout à fait, mais cette espèce de passage obligé par l’état de l’art m’interroge quand même aujourd’hui beaucoup. Et a fortiori quand cela tue d’une certaine manière, effectivement, l’apport de l’article.
50Jean-Yves Authier : Pour ne pas avoir à recourir au gilet pare-balles, parce que c’est beaucoup plus lointain, les articles d’Espaceset sociétés sont aussi très différents de ceux que l’on trouve bien souvent dans les revues anglophones ou nord-américaines, où l’état de la littérature et la présentation du terrain occupent près de 90 % de l’article, avec à la fin un ou deux résultats assez peu approfondis. Mais on va revenir sur le contenu du numéro « Où est passé le peuple ? ». Quelle lecture, Olivier Schwartz, avez-vous de ce numéro, et éventuellement aussi du numéro sur les usages populaires de l’espace ? Quels intérêts ? Quels manques ?
51Olivier Schwartz : J’ai été très intéressé par le numéro « Où est passé le peuple ? », de sorte que j’aurais du mal à dire des choses qui m’ont manqué. Notamment parce que c’est un numéro qui apporte de nombreux résultats d’enquêtes sur des situations résidentielles dans les classes populaires, ou sur des espaces de vie des classes populaires, qui avaient été, me semble-t-il, peu abordés jusqu’ici.
52Pour m’arrêter sur quelques articles qui m’ont particulièrement intéressé – mais je pourrais en fait les citer tous… –, il y a d’abord l’article de Pascale Dietrich-Ragon sur ces mal-logés résidant à Paris, dans des logements très dégradés, insalubres, et dont les habitants pourtant, pour des raisons que Pascale Dietrich-Ragon explique, même s’ils souffrent du mal-logement, excluent l’idée de s’installer en banlieue dans un logement social de meilleur confort, même si un tel logement leur était proposé. J’ai trouvé très éclairante l’analyse que propose Pascale Dietrich-Ragon des raisons pour lesquelles ils ne veulent pas quitter ces lieux.
53Autre exemple, concernant les copropriétés dégradées. Je n’avais pas eu l’occasion de lire des travaux portant sur les habitants qui résident dans ces copropriétés, dont on découvre en lisant l’un des articles du numéro qu’ils peuvent être soumis à la fois à des conditions de logement extrêmement mauvaises, et en même temps, pour des raisons qui sont expliquées, à des charges et des niveaux de loyer considérables. Deux articles traitent de cela, et j’ai été très intéressé par les données qu’ils apportent sur les conditions dans lesquelles vivent les habitants de ces logements, sur les trajectoires qui y mènent, sur ce qui fait qu’on y aboutit, sur les caractéristiques de ces habitants, et en même temps sur leurs trajectoires à partir de ce type de logement. Par exemple, l’un des articles montre très bien comment, dans une première étape pour des familles migrantes ou immigrées qui viennent d’arriver en France, le passage par ce type de logement peut apparaître comme un mieux par rapport à une situation antérieure plus dégradée encore, et puis très vite elles découvrent à quel point ce logement est lui-même de mauvaise qualité. Dans l’un des deux articles, il y a également un développement très frappant concernant un habitant d’un de ces logements, propriétaire de son appartement, qui est tellement accablé par les charges qu’il a fini par accumuler des dettes, de sorte que lorsque les hlm lui rachètent son logement, il n’en tire aucun bénéfice, puisqu’en fait ça lui sert simplement à s’acquitter de ses dettes auprès des hlm. C’est très frappant. Des études empiriques précises sur des résidents de classe populaire, locataires ou propriétaires, dans des copropriétés dégradées, je n’avais pas eu l’occasion d’en lire, c’est pour moi l’un des apports de ce numéro.
54Pour donner d’autres exemples, je n’avais pas eu l’occasion de lire une étude, comme celle qu’on trouve dans le numéro, sur ce que c’est qu’habiter en hlm dans les beaux quartiers de Paris. J’ai également été très intéressé par l’enquête des deux collègues géographes du Havre, sur cette forme d’auto-construction populaire du logement qu’ils décrivent dans leur article. Bien sûr, l’auto-construction ouvrière, ou populaire, de la maison individuelle ou du pavillon est un phénomène qui est connu, qui a déjà été étudié. Mais dans cet article, on est face à des situations qui présentent des spécificités très intéressantes pour la sociologie des modes de vie populaires, pour deux raisons. La première, c’est qu’il s’agit ici d’une auto-construction qui est illégale : on a affaire à tout un quartier de jardins ouvriers, à la périphérie du Havre, investi par des familles populaires qui y sont locataires de parcelles de terre, et qui font un usage détourné, non légal, de ces parcelles, en construisant à l’intérieur de celles-ci de petites résidences, un petit habitat, qui peuvent être dans certains cas très modestes, mais dans d’autres cas quand même beaucoup plus élaborés. Donc, premièrement, c’est de l’auto-construction illégale, donc précaire, donc fragile parce que tôt ou tard, les pouvoirs publics peuvent y mettre fin. Les deux auteurs laissent d’ailleurs entendre que le moment approche où cela pourrait se produire. Et une deuxième caractéristique, qui me conduira d’ailleurs ensuite à évoquer une question plus large, c’est le fait qu’on pourrait être tenté, à propos de ces familles, de se dire : « Bon, il s’agit vraisemblablement de ménages très précaires qui n’ont pas de logement stable et qui donc n’ont pu trouver que cette solution pour parvenir à avoir un toit. » Or, ce n’est pas le cas. Il s’agit en fait de familles ou de ménages qui ont un emploi, qui ont des revenus stables, qui possèdent véhicule et téléphone portable, qui ont un logement stable, en général en logement social au Havre, tout près. Que représentent alors pour ces familles ces petites constructions, ces toutes petites résidences qu’elles ont construites, en toute illégalité, à l’intérieur des jardins qu’elles louent ? Elles sont un ailleurs, un à côté. Les deux auteurs parlent – la formule est très belle – d’une « petite résidence secondaire de proximité », qui remplit pour ces ménages la fonction suivante : ils ont des ressources régulières, mais ils n’en ont pas assez pour pouvoir accéder au pavillon, acheter, même en en auto-construisant une partie, une maison individuelle, et donc pour eux, c’est une forme substitutive, une réalisation substitutive de la maison individuelle dont ils se donnent l’équivalent dans ces jardins. Ils y passent des moments, des week-ends, du temps, des vacances. Et ce qui est extrêmement frappant, c’est la valeur considérable que cela prend pour eux. Ce n’est pas simplement un pis-aller, c’est un lieu très fortement investi. Ces deux caractéristiques, à la fois la fragilité par suite d’illégalité, et l’impossibilité d’accéder aujourd’hui, à cause du coût d’accès, à la propriété, l’impossibilité d’accéder au pavillon tant espéré et la nécessité de passer par ces formes substitutives fragiles, qui peuvent périr du jour au lendemain, disent me semble-t-il des choses très fondamentales sur la situation des classes populaires par rapport au logement aujourd’hui.
55Si je fais la somme, cela fait au moins quatre ou cinq articles, qui m’ont beaucoup appris. C’est-à-dire que je n’avais rien lu récemment d’équivalent sur ces questions. Ça, c’est la première raison pour laquelle j’ai beaucoup apprécié le numéro. Et il y en a par ailleurs une seconde, c’est le fait qu’il aborde la question des espaces de vie populaires en s’intéressant aux différentes fractions qui constituent aujourd’hui les classes populaires. Même si on admet qu’on peut définir ces classes par certaines caractéristiques communes, il est en effet bien clair qu’elles sont constituées de toutes sortes de fractions entre lesquelles existent des écarts (de ressources, etc.), qui sont quand même loin d’être négligeables. Il y a toute une stratification interne aux classes populaires, et il me semble que l’intérêt aussi de ce numéro est qu’il parcourt la diversité des strates, des fractions qui constituent, ou dont on peut supposer qu’elles constituent aujourd’hui, ces classes.
56Je vois personnellement trois grands types de strates populaires qui sont abordés dans le numéro. Le premier, ce sont les fractions populaires les plus démunies, les plus précaires, qui sont présentes dans plusieurs textes : dans l’article du Collectif Rosa Bonheur, dans celui de Pascale Dietrich-Ragon, et dans les deux textes sur les résidents des copropriétés très dégradées. C’est déjà un ensemble, qui apporte toutes sortes de choses sur les situations, les manières d’y faire face, les ressources que les gens ont ou n’ont pas pour les affronter, et comment ils les vivent. Après, avec l’article de Violaine Girard, on passe à l’autre extrémité, en quelque sorte, de l’espace des classes populaires, puisque Violaine Girard s’intéresse à des fractions populaires, des familles populaires, périurbaines, qui sont, elles, en ascension sociale. Ce sont des familles qui sont accédantes à la propriété, ou même qui sont déjà propriétaires. Donc des fractions ouvrières, employées, qui sont en ascension, d’abord et avant tout parce qu’accédantes à la propriété ou propriétaires, mais aussi parce qu’on est dans un contexte périurbain, où les classes supérieures ou moyennes supérieures sont peu présentes. Comme elles y sont peu présentes, la voie est libre pour ces familles, qui localement « donnent le ton ». Elles ont pris des responsabilités dans l’espace local, elles font éventuellement partie du conseil municipal, elles animent des associations, prennent des responsabilités, ont une respectabilité locale. On a affaire à des fractions en ascension, à la fois sur le plan de la résidence, de la place dans l’espace local, et des niveaux de revenus. Il y a des niveaux de bien-être relativement proches de ceux des classes moyennes salariées. Donc, ici, des fractions supérieures des classes populaires, et en même temps, pour des raisons qui me paraissent convaincantes, Violaine Girard explique qu’elle résiste à l’idée qu’on aurait affaire à des fractions modestes « moyennisées », parce qu’il y a trop d’écart, explique-t-elle, avec les intérêts culturels et les pratiques culturelles des classes moyennes diplômées. Elle le montre très bien, par exemple, à travers les types de loisirs de ces familles. Enfin, l’article sur le Havre porte sur une autre fraction, encore peu étudiée aujourd’hui, qui correspond à ceux qui ne sont ni en haut ni en bas. Ces familles populaires qui se sont bâti ces toutes petites résidences secondaires de proximité ne sont pas des précaires, les auteurs emploient à juste titre le terme de « modestes », mais en même temps elles n’ont pas suffisamment de ressources pour accéder à la propriété pavillonnaire. Elles ne sont ni précaires ni en ascension, et l’on pourrait parler, les concernant, d’une stabilité très modeste. De ce point de vue, l’article est intéressant parce qu’il donne à voir ce type de fractions dont on sait relativement peu de choses finalement. Ce sont ces fractions, je le signale, qui sont au centre du projet financé par l’anr [Agence nationale de recherche] « Le populaire aujourd’hui » à laquelle nous sommes nombreux à avoir participé, sous la responsabilité d’Olivier Masclet.
57Jean-Yves Authier : Pour prolonger, et peut-être déjà pour amorcer la discussion sur les dimensions spatiales des classes sociales, vous avez mentionné que vous étiez aujourd’hui davantage dans une approche des classes populaires par le travail : comment, à partir du point de vue qui est le vôtre, recevez-vous ces deux numéros, « Où est passé le peuple ? » et « Les usages populaires de l’espace », qui ont en commun de privilégier une approche des classes populaires plutôt par leurs espaces de vie ?
58Olivier Schwartz : Ce qui fait que mon entrée s’est déplacée vers le travail, c’est moins une décision qu’un contexte d’enquête. Après mon travail sur le Nord, j’ai cherché un autre terrain, et il se trouve que cela s’est fait du côté de la ratp et des conducteurs de bus. Pour des raisons qu’il serait inutile de présenter ici, des portes se sont ouvertes à moi sur ce terrain. Mon entrée dans l’enquête s’est donc faite ici par le canal du travail. Mais ce n’est, en fait, pas le travail en soi qui m’intéresse. Ce qui continue de m’intéresser, ce sont, je ne sais pas si l’expression « classes populaires » est la bonne, mais disons les classes modestes, ouvriers ou employés. C’est pourquoi ces numéros, même si je ne les avais pas lus au moment de leur sortie pour les raisons que j’ai dites, m’intéressent, parce que ce sont les questions relatives aux classes et à la stratification sociale qui continuent d’être mes questions. Et ils m’intéressent d’autant plus que, si mes terrains se sont déplacés du côté du travail, parce que c’est cette entrée-là qui s’est ouverte à moi, je regrette en même temps un peu ce déplacement. Je le regrette parce que je pense que depuis une dizaine d’années, à cause de la brutalisation à laquelle a été soumis l’ensemble du monde du travail, notamment les ouvriers et les employés, les sociologues des classes populaires ont fortement tourné leurs intérêts vers l’étude des nouvelles conditions du travail et de l’emploi, ce que je comprends complètement bien sûr, car il y avait urgence, mais du même coup, ils ont eu un peu tendance à sous-étudier le hors-travail. Or, pour qui s’intéresse aux classes populaires, les questions touchant aux modes de vie, aux pratiques quotidiennes et aux styles de vie sont elles aussi des questions essentielles. C’est aussi là que se jouent les frontières sociales. Pas seulement là, bien sûr. Le travail demeure une réalité déterminante. Mais ces questions sont très importantes. Je pense aussi, mais c’est un autre débat, que, secondairement, ce qui a pu détourner une partie des sociologues du populaire de s’intéresser à ces questions, ce sont les critiques à l’égard des analyses en termes de culture, qui ont entraîné une crainte, dès lors qu’on parle de culture, d’être accusé de culturalisme. Mais ce serait une autre discussion…
59Jean-Yves Authier : Nous allons revenir justement sur ces questions d’articulation entre « espaces » et « classes sociales » dans le troisième temps de cette table ronde. Mais avant cela, pour terminer sur ces numéros d’Espaceset sociétés, Anaïs et Marie-Christine souhaitez-vous dire un mot sur le numéro « Où est passé le peuple ? », et Cécile et Olivier sur « L’espaces des classes moyennes » ?
60Marie-Christine Jaillet : Connaissant un certain nombre de travaux que j’ai eu à lire dans le cadre, entre autres, du prix de thèse sur le logement et l’habitat, je trouve que c’est un numéro tout à fait intéressant. Ce qui est intéressant, c’est la stratification sociale du « peuple » dont il rend compte. De la même manière qu’on a de plus en plus de mal à définir une classe moyenne et que l’on a adopté depuis longtemps en remplacement l’expression « couches moyennes », on voit bien cette stratification des couches populaires étayée par l’existence de stratégies et de situations effectivement différenciées. Par contre, sur la question du déplacement des sociologues des classes populaires des modes de vie vers le travail, je ne pense pas que l’on retrouve la même chose du côté des classes moyennes. La question du rapport des classes moyennes au travail est essentielle, mais elle a été et est encore assez peu traitée, parce qu’on a considéré que ce qui faisait leur identité « de classe » tenait plutôt à la manière dont elles se comportaient dans le hors-travail, ce qui justifiait de les regarder dans leur cadre de vie. Aujourd’hui, ce qui se passe dans le travail pour les classes moyennes interroge, parce que l’on peut aussi y observer des formes de brutalisation, y compris dans des secteurs plutôt protégés, comme le secteur public. D’une certaine manière, l’impensé touchant aux couches moyennes, c’était vrai hier aussi, c’est la question de leur rapport au travail, de ce qui se passe pour elles dans le travail.
61Jean-Yves Authier : Oui, je pense qu’effectivement, les deux cas de figure sont exactement inversés : généralement les classes populaires sont plutôt saisies par le travail et moins par le hors-travail, alors que les classes moyennes sont principalement définies – je pense aux travaux de Catherine Bidou – et saisies par le hors-travail, même s’il y a, comme dans le texte d’Anaïs, des points d’articulation.
62Cécile Vignal : Contrairement au numéro sur les classes moyennes, dans le numéro « Où est passé le peuple ? », on trouve des analyses portant sur les rapports sociaux de classe, la question du genre, un peu, et la question ethno-raciale, beaucoup. Ce qui interroge : est-ce que c’est un impensé ou un hasard de la sélection des articles et des propositions qui ont été reçus ? Ou est-ce que la classe permettrait de dépasser d’autres discriminations qui seraient minorées par une position moyenne, mais une position moyenne qui est en train d’être effritée ? Ce que l’on ne voit pas en revanche dans le numéro, c’est la dimension rurale des lieux de vie des milieux populaires. Et là, pour le coup, il y a pas mal de recherches collectives et individuelles qui questionnent la ligne espaces-classes à l’échelle rurale, je pense notamment aux travaux de l’équipe du cesaer [Centre d’économie et sociologie appliquées à l’agriculture et aux espaces ruraux] à Dijon. C’est peut-être une dimension qui manque dans ce numéro.
63Jean-Yves Authier : Oui, sans doute, mais qui est certainement liée à l’absence de propositions sur les classes populaires dans l’espace rural pour ce numéro et pour celui sur les usages populaires de l’espace.
64Marie-Christine Jaillet : On pourrait, je pense, faire la même observation pour les classes moyennes dans les petites villes, ou les bourgs ruraux, aujourd’hui. Leurs modes de vie, leurs représentations, leurs conditions, liées aux ressources du territoire, sont très peu étudiées. Dans les années 1975-1977, il y a eu toute une série de monographies sur les villes moyennes. Je me souviens, entre autres, de celle sur Romans, où l’on voyait bien à l’échelle d’une ville le jeu entre groupes sociaux, entre strates sociales ; où l’on voyait bien ce que c’était que d’être un moyen « moyen » dans ce type de contexte. Aujourd’hui, les classes moyennes sont étudiées presque exclusivement dans des contextes de très grandes métropoles ou dans des espaces périurbains très liés à des phénomènes de métropolisation. Il y a, là aussi, une forme d’impensé de ce que sont les conditions des classes moyennes dans d’autres contextes territoriaux.
65Jean-Yves Authier : C’est en partie ce qui nous a conduits, Catherine Bidou et moi, à proposer, dans une perspective plus large, un numéro sur « Ces villes dont on ne parle pas ». Ce numéro est paru et il contient notamment un article d’Élie Guéraut sur les classes moyennes à Nevers [6].
66Anaïs Collet : En écho à ce que vient de dire Marie-Christine Jaillet, il y a peut-être un autre manque dans le numéro sur les classes moyennes, mais aussi dans celui sur les classes populaires, qui est l’absence d’une vision un peu panoramique sur la distribution spatiale des groupes sociaux, des classes moyennes par rapport aux autres, ou des classes moyennes entre elles. Ayant travaillé sur un terrain en région parisienne, je me suis évidemment reportée aux travaux d’Edmond Préteceille sur la division sociale de l’espace francilien, comme le font quasiment toutes les monographies ou toutes les enquêtes localisées lorsqu’elles se situent en Île-de-France, pour positionner le terrain par rapport aux autres contextes locaux et à l’ensemble de l’agglomération. Mais je trouve qu’on ressent un manque de travaux analogues sur d’autres métropoles, agglomérations, villes de toutes tailles, et plus largement à l’échelle nationale, voire à l’échelle de l’Europe entière – des géographes estiment que la lecture en termes de centralité/périphérie doit se faire à l’échelle de l’Europe entière, que c’est à cette échelle qu’il faut regarder ces divisions sociales de l’espace. Donc je trouve qu’on manque de travaux qui permettent de situer, de localiser nos groupes sociaux dans l’espace à différentes échelles – mais peut-être que ces travaux existent et que c’est moi qui les méconnais ! De même qu’on a besoin de les replacer de manière précise dans la structure sociale, mais pour cela on a des outils un peu plus facilement mobilisables il me semble.
67Marie-Christine Jaillet : Mais qui posent alors des questions de critères : est-ce que l’on privilégie le revenu ? Est-ce que l’on privilégie le diplôme ? On parlait tout à l’heure des ouvriers dans le nord de la France. Dans le contexte sur lequel je travaille, celui de la métropole toulousaine, les ouvriers de l’aéronautique qui sont hautement qualifiés démarrent avec un niveau de salaire pas très éloigné de celui d’un maître de conférences débutant dans l’enseignement supérieur. Que prendre en compte : le revenu, ou le diplôme ? Selon le critère retenu, on aboutit à des modes de catégorisation bien différents. Comment apprécier alors ce qui fait « l’identité de classe », si cette expression a encore un sens, qu’il s’agisse des classes moyennes, ou des autres ?
68Anaïs Collet : Je voudrais rebondir sur la question de l’appréhension des classes moyennes par le travail, qui effectivement est peut-être insuffisante au regard de ce qui se fait sur les classes populaires. Dans mon travail sur les quartiers en gentrification, par exemple, je n’avais pas placé la question du travail comme centrale. Je l’ai rencontrée sur le terrain mais à travers un cas relativement spécifique, celui de la pcs 35, c’est-à‑dire des professionnels de l’information, des arts et du spectacle. Quantitativement, cette catégorie est marginale, mais elle permet, à la manière d’une loupe, de mettre en évidence des dynamiques, notamment de précarisation, qui touchent aussi les autres catégories de salariés des professions intermédiaires ou des cadres. En même temps, cette catégorie laisse dans l’ombre beaucoup d’autres choses, par exemple l’exercice des rapports de pouvoir au sein des entreprises, qu’il faudrait explorer davantage. Une dimension du travail qui m’était apparue structurante dans le rapport au lieu, au-delà des questions de revenus, de statut d’emploi ou de temps disponible, c’est la nature des contacts sociaux qu’il entraîne – qui sont les collègues, les publics, les clients, est-on en contact ou non avec d’autres milieux sociaux ? Cela me semble être un élément socialisateur qui peut ensuite influencer les manières d’être et de cohabiter dans l’espace résidentiel. À ce titre, j’ai été interpellée par une recherche menée, entre autres, par Olivier Godechot, sur la « séparation sociale au travail » liée notamment à la ségrégation géographique des lieux de travail selon les niveaux de revenus, qui serait bien plus forte que la ségrégation résidentielle [7].
Espaces et classes sociales
69Jean-Yves Authier : Je vous propose à présent d’entrer dans le dernier temps de cette table ronde et d’échanger, de façon plus large, sur les rapports entre espaces et classes sociales, sur les intérêts et les limites de l’approche des classes sociales par l’espace. Les deux numéros dont on vient de parler, « L’espace des classes moyennes », « Où est passé le peuple ? », mais aussi le numéro sur la gentrification urbaine, et celui sur les usages populaires de l’espace, ont en commun d’aborder la question des classes sociales (des classes moyennes, des classes populaires), à travers le prisme de l’espace. Ces différents numéros examinent, à la fois, les rapports à l’espace des classes sociales, et ce que les espaces (et les rapports à l’espace) font aux classes sociales. Sans jamais tomber dans un déterminisme spatial, ils donnent à voir, me semble-t-il, plusieurs articulations fortes entre « espaces » et « classes sociales ». Ils montrent que l’espace est à la fois un élément de caractérisation des classes sociales et un élément de différenciation, entre les classes sociales – le logement des classes populaires n’est pas le logement des classes moyennes – et au sein même des différentes classes sociales. Ils montrent également que les espaces et les modes d’inscription dans l’espace peuvent constituer des ressources, ou au contraire des contraintes, dans les trajectoires sociales des individus, et que les rapports à l’espace ont des effets socialisateurs et identitaires. Ils montrent, enfin, dans le prolongement de l’article de Paul-Henry Chombart de Lauwe sur l’appropriation de l’espace [8], que l’espace constitue également un terrain de luttes, de luttes des classes, et aussi, vous l’avez évoqué, un lieu de résistance à différentes formes et processus de domination. Mais peut-être, et c’est une première question, avez-vous identifié d’autres modes d’articulation entre « espaces » et « classes sociales » ? Plus largement, quels sont pour vous les intérêts, et les limites, d’une approche des classes sociales par l’espace ?
70Marie-Christine Jaillet : Moi, je formulerais peut-être cela un peu différemment, en le reliant à la question de l’insécurisation des classes moyennes. L’insécurisation, ça n’est pas seulement pour soi au vu des transformations du travail qu’on subit soi. C’est aussi dans la manière dont la promesse de l’ascension sociale, qui était derrière la constitution des couches moyennes, est aujourd’hui mise à mal, pour une partie des enfants des couches moyennes. Parce que le sentiment de déclassement, c’est surtout le sentiment que l’ascenseur social est en panne, qu’il ne fonctionne plus pour la génération d’après. Et ce que j’observe, c’est que l’espace, dans sa dimension résidentielle, est une ressource qui contribue à la tranquillité sociale, à la sécurisation sociale. Simplement, l’espace ou ses diverses caractéristiques n’offrent pas les mêmes ressources à ces stratégies de réassurance sociale. Ce qui permet de poser autrement la question des catégories spatiales.
71Je suis par ailleurs de plus en plus gênée d’entrer sur la question spatiale dans le rapport couches sociales - catégories spatiales par ces catégories que sont le périurbain, la banlieue, le centre, la ville moyenne, la métropole. Je me dis que la manière dont j’ai envie d’y rentrer aujourd’hui, c’est de me dire : 1) la période que nous traversons se caractérise pour les différents groupes sociaux par leur confrontation à une insécurisation, à des formes de brutalisation (variables selon les strates), avec pour conséquence qu’ils sont à la recherche de formes de sécurisation et de réassurance ; 2) l’espace est une ressource pour y contribuer ; 3) mais les ressources de cet espace, selon qu’on est en centre-ville, dans une ville moyenne, dans telle ou telle métropole, dans le système francilien, dans d’autres régions ou dans l’espace rural, ne sont pas de même nature. Elles sont diverses, mais elles sont aussi inégalitaires : quel impact cela peut-il avoir sur les trajectoires ? Dit autrement, ce qui m’intéresserait beaucoup comme chercheuse, c’est par exemple de pouvoir conduire un travail sur des ménages appartenant aux classes moyennes, ayant des niveaux de revenus, des conditions de travail, à peu près équivalents (pour essayer d’évacuer ces éléments de différenciation), saisis dans des contextes territoriaux différents, pour analyser les effets que cela produit sur leurs modes de vie, leurs trajectoires sociales, ou encore, leurs représentations de soi et des autres.
72Une autre chose qui me paraît de plus en plus importante, c’est la question des frontières entre les classes sociales. Est-ce qu’on est dans une classe moyenne inférieure ? Est-ce qu’on est dans le haut des couches populaires ? Qu’est-ce qui fait frontière ou pas ? Et comment se jouent dans l’espace, dans la cohabitation, ces frontières, ces tensions ? De ce point de vue, le travail sur Saint-Denis renseigne sur les stratégies de construction de l’entre-soi par les couches moyennes dans des situations de coprésence ou de cohabitation. Travailler sur ces mises en tension ou ces frontières, dans la manière dont s’organisent les sociabilités, la vie sociale à l’échelle d’un territoire – d’un quartier, d’une commune –, me paraît aujourd’hui de plus en plus nécessaire. Parce que je continue à penser que ce sont des strates sociales qui développent des logiques de construction d’entre-soi, à partir des ressources spatiales qu’elles peuvent mobiliser, dont on voit bien les effets dans le champ de l’action et des politiques publiques (dans le phénomène nimby, dans le refus du logement social, etc.).
73Cécile Vignal : Par rapport aux différentes formes d’articulation entre espaces et classes sociales, qui ont été évoquées, je voudrais souligner tout d’abord, en lien avec la question de la lutte des classes et des espaces des luttes, la spécificité du degré d’encadrement du rapport espace - classe sociale selon qu’on est parmi les fractions inférieures des classes populaires ou les autres. Comme les classes moyennes, les classes populaires ont tenté d’être sécurisées par la propriété du logement ou par le logement social ; pour les classes populaires l’espace résidentiel peut être une ressource, cela devient même une « centralité » sous certaines conditions lorsque les habitants accèdent à un logement abordable, réhabilitent leurs logements, occupent la rue par le travail informel ou des relations d’entraide, déploient des activités et des commerces adaptés aux besoins des familles aux revenus modestes. Mais elles n’y arrivent plus, ou de moins en moins ; ce qui les fragilise, c’est qu’elles sont empêchées. D’une part, l’habitat est bien souvent le motif de l’encadrement des classes populaires alors qu’il ne l’est pas pour les classes moyennes… enfin permettez-moi d’aller vite… je pense aux effets de la rénovation urbaine, à la gestion locative du logement social ou privé, c’est quand même les classes populaires qui sont les plus contraintes dans leurs modes d’habiter. Auto-réhabiliter son logement, travailler dans la rue, occuper un trottoir, avoir des difficultés à payer son loyer font l’objet de contrôle, parfois de répression. Et, d’autre part, elles sont empêchées économiquement, elles sont durement soumises au marché… justement, là on est à dix ans après ces numéros d’Espaces et sociétés… Quinze, vingt ans après une hausse historique des prix immobiliers, avoir un logement abordable est devenu plus que jamais un enjeu et sinon un risque de décrochage des classes populaires, pour le coup bien plus que pour les classes moyennes. Par exemple, d’après le rapport 2018 de l’Observatoire national de la pauvreté, les ménages à bas revenus et revenus modestes (locataires du secteur libre ou accédants à la propriété) consacraient, en 2013, 40 % de leur budget au paiement du logement [9]. Donc ce sont des situations intenables.
74Cela pose question, en termes plus théoriques, et on gagne à s’appuyer, il me semble, sur les travaux d’Henri Lefebvre ou des géographes marxistes comme David Harvey qui ont analysé le capitalisme comme logique spatiale, à partir desquels on peut se demander que font les classes sociales de cette instabilité de la production de l’espace par le capitalisme aujourd’hui. Comment penser l’espace non plus seulement comme support du capital mais aussi comme produit, en retour, du travail des classes sociales ? Car un des résultats sur lequel je souhaite insister, apporté également par des sociologues d’Amérique latine et des pays du sud de l’Europe, est que les classes populaires, bien que soumises aux lois du marché et encadrées, participent à la production des espaces résidentiels populaires. Ce qui se passe pour les classes populaires et les classes moyennes inférieures françaises aujourd’hui fait, par exemple, écho à ce que vivent les classes moyennes et populaires depuis la crise de 2008 en Espagne. Elles sont soumises aux marchés mais elles mettent aussi en place des stratégies de subsistance qui donnent à l’habitat, à l’espace résidentiel, une importance d’autant plus forte qu’une bonne partie de la population active s’est retrouvée subitement sans emploi.
75Anaïs Collet : Pour réagir à mon tour sur ce couple espaces - classes sociales, je vais peut-être repartir de la définition des classes sociales. Pour moi, la notion de classe sociale est incontournable, parce qu’elle permet de penser des différences qui, pour certaines, constituent des inégalités et engendrent des rapports de domination. Pour moi, l’entrée par l’espace doit reprendre toutes ces dimensions-là. Elle permet de saisir les classes sociales dans toute leur consistance, et d’y voir des différences, des inégalités et des rapports de domination qui se jouent aussi sur d’autres scènes. Par exemple, l’accès aux espaces résidentiels est conditionné par les ressources économiques, ce qui amène à regarder à la fois la question des revenus tirés du travail et celle des héritages, du patrimoine ; mais aussi par des ressources sociales – réseaux, capacité à satisfaire des critères d’attribution non économiques, etc. Au-delà de l’accès au logement, quand on rentre par le domicile et par les espaces de la vie hors travail, on a accès aux styles de vie, donc aux modèles conjugaux et familiaux, aux modèles éducatifs, aux rapports aux loisirs, à l’argent, au politique, etc. Il y a là une richesse potentiellement très grande d’informations et de dimensions pour saisir et analyser les classes sociales. Et puis, de manière encore plus fine peut-être, la question, qui m’intéresse beaucoup, des goûts et des dégoûts qui s’expriment à travers les espaces habités et pratiqués, via des dispositifs très matériels, dit beaucoup des goûts et dégoûts de classes, des frontières qui se construisent entre groupes sociaux et des relations entre ces groupes sociaux. Donc c’est une entrée très riche.
76Une autre forme d’articulation qui me semble essentielle, et je vais aller ici dans le sens d’une idée défendue depuis longtemps par Jean-Yves Authier, c’est l’importance des socialisations par l’espace, qui sont telles que, lorsque l’on vit quelque part, les lieux d’habitation, de travail, de loisirs ou de sociabilité produisent une vision du monde et aussi un immense aveuglement à tout ce qu’on ne voit pas. Je suis persuadée que c’est très constitutif de l’expérience sociale que font les individus, qui forge leurs pratiques et valeurs, et de leurs représentations du monde social. Parce qu’il y a des pans entiers de la société qu’on ne voit pas, tout simplement parce qu’on ne fréquente pas un certain nombre d’espaces, et à travers ces espaces, un certain nombre d’individus, de groupes sociaux, de situations, de configurations qui nous restent alors complètement étrangères. Dans son livre 80 % au bac, et après ? Stéphane Beaud [10] a bien formulé cela, à partir du cas des enfants grandissant dans un quartier d’habitat social en périphérie d’une petite ville de l’est de la France. Il parle de l’effet de cécité produit par le fait de grandir dans cet espace-là et exclusivement dans cet espace-là. Il montre que ces jeunes sont dépourvus de scripts d’interaction avec d’autres univers sociaux. C’est peut-être une configuration très spécifique, mais je pense que ce mécanisme est à l’œuvre un peu partout, à des degrés divers. De ce point de vue-là, la question des mobilités, qu’elles soient quotidiennes ou à l’échelle d’une vie, est importante et est aussi à prendre en compte sous cet angle, c’est-à‑dire comme une succession d’expériences socialisatrices qui permettent d’appréhender le reste du monde.
77Une autre dimension encore, que Cécile vient d’évoquer : étudier les classes sociales ou les groupes sociaux à travers l’espace et notamment la question résidentielle, c’est aussi les prendre à l’articulation entre le marché et les pouvoirs publics. Les classes sociales sont diversement soumises aux logiques de marché et aux logiques des institutions, des pouvoirs publics, notamment via les politiques urbaines. Cela peut être de manière très directe ou très brutale, dans le cas par exemple de la rénovation urbaine. Cela peut être de manière beaucoup plus diffuse à travers les politiques de métropolisation. Mais néanmoins, cela a un impact assez considérable sur les trajectoires. Et donc je trouve que ça peut être aussi une entrée, par le bas on va dire, pour saisir les marchés immobiliers ou les politiques publiques et comprendre leurs effets sociaux.
78Et puis, en contrepoint, il y a aussi l’intérêt de voir ce que les gens – les habitants, les usagers, tout le monde – font à l’espace. C’est-à-dire considérer l’espace urbanisé comme le produit d’une activité sociale quotidienne et pas seulement de ceux dont c’est le métier de produire l’espace. C’est une idée pas très originale en sciences sociales, mais du côté des pouvoirs publics, il y a souvent une sorte d’aveuglement sur le fait que les gens, les profanes, fabriquent aussi la ville, la produisent ou la déforment par leurs appropriations. Cette question des appropriations, elle me semble importante. Voilà pour moi plusieurs intérêts d’analyser les liens entre espace et classes sociales.
79Jean-Yves Authier : Juste pour dire un mot avant de laisser la parole à Olivier Schwartz, je valide évidemment l’importance de la socialisation résidentielle, et de façon plus large de la socialisation par l’espace, qui ne vaut d’ailleurs pas seulement pour les populations les plus pauvres ou les plus précaires, comme l’ont très bien montré par exemple Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon dans leur travail sur les « beaux quartiers ».
80Olivier Schwartz : Je réagirai peut-être de façon un petit peu décalée, pour ne pas être redondant avec ce qui vient d’être dit, que je partage entièrement. Il y a un article ancien de Bourdieu, sous le titre « Condition de classe et position de classe » [11], qui à sa manière valide entièrement, me semble-t-il, cette insistance, qui nous occupe aujourd’hui, sur la relation entre espace et classes. Bourdieu y montre qu’à partir d’une position de classe donnée dans la structure de la société globale, en supposant qu’elle existe (j’y reviendrai), il peut y avoir des conditions de classe extrêmement différentes selon les espaces de vie des individus. Je voudrais à mon tour en donner deux exemples.
81Il y a la remarque, que je trouve importante, de Violaine Girard dans son article lorsqu’elle explique pourquoi elle résiste à l’idée que les enquêtés qu’elle décrit – ils sont de fraction plutôt haute des classes populaires – pourraient être considérés comme des membres des classes moyennes. Elle explique que leurs loisirs, leurs pratiques culturelles sont trop distants des classes moyennes diplômées pour qu’une telle caractérisation soit possible, et elle ajoute : « Il y a un écart très important avec les enquêtés de Martin Thibaut. » Ce rapprochement qu’elle effectue entre ses enquêtés et ceux de Martin Thibaut me paraît très intéressant sur le point qui nous intéresse ici. L’ouvrage de Martin Thibaut, Ouvriers malgré tout [12], porte lui aussi sur des ouvriers, mais des ouvriers résidant dans un tout autre type d’espace que celui des enquêtés de Violaine Girard. Ce sont de jeunes ouvriers qualifiés des ateliers d’entretien du rer à la ratp. Comme d’autres jeunes travailleurs de leur génération scolarisés jusqu’au bac (plusieurs d’entre eux ont un bac professionnel), ils sont porteurs d’aspirations à mettre à distance leur condition d’ouvriers, à laquelle ils ne veulent pas s’identifier et être identifiés. Ils aspirent à se rapprocher, par les loisirs et les pratiques culturelles, des milieux plus diplômés. En apparence il n’y a rien là qui soit lié à un espace de vie particulier. Or, en réalité, si. L’enquête de Martin Thibaut le donne à voir de façon frappante. En les suivant dans l’ouvrage, on constate que leurs aspirations et leurs comportements sont en partie façonnés par la proximité des équipements culturels et des classes moyennes à capital culturel qu’induit la vie dans un contexte urbain, notamment dans un contexte tel que la région parisienne qui est la région où ils résident, qu’ils en soient ou non originaires. L’un des enquêtés de l’auteur, par exemple, passionné de musique – jeune, il jouait dans un groupe de hip-hop –, s’inscrit au conservatoire de sa commune. Parce qu’il y a un conservatoire dans sa commune. Dans ce conservatoire il va apprendre à jouer du jazz, il va de plus faire une rencontre féminine, nouer une relation amoureuse avec une femme plus élevée que lui socialement. Un autre, ouvrier qualifié également, va régulièrement en vacances à l’ucpa [Union nationale des centres sportifs de plein air] – là encore ça n’est pas tout à fait un hasard, habitant en région parisienne –, et à l’ucpa il rencontre des jeunes filles de classes moyennes, auprès desquelles il voit bien, quand elles l’interrogent sur sa profession, qu’il se dévalorise s’il répond « ouvrier ». Cette situation déclenche chez lui l’envie de reprendre des études. Il s’inscrit en cours du soir. Où cela ? À Jussieu. Parce qu’il y a des cours du soir à Jussieu qui lui permettent de passer un diplôme d’accès à l’Université. Bien sûr ce sont des cas très, très singuliers, mais il y en a encore un autre qui me paraît lui aussi frappant. Il s’agit d’un jeune ouvrier qui, lui, n’est pas originaire de la région parisienne. Fils d’un ouvrier immigré marocain, il a grandi dans une cité hlm de la Normandie urbaine et industrielle. Après son bac pro, il a fait son service militaire sous la forme d’un service civil comme animateur jeunesse dans sa commune. Là, il a connu d’autres animateurs avec lesquels il a partagé des pratiques culturelles un peu « classes moyennes », il a participé à des accompagnements de jeunes à Paris, ce qui, là encore, a suscité chez lui certaines aspirations. Ce que je veux dire par là, c’est qu’on voit bien comment, en ayant à l’esprit les études de Violaine Girard et Martin Thibaut, comment ce n’est pas la même chose d’être ouvrier ou employé dans une région périurbaine éloignée des aires urbaines, et occuper la même position en région parisienne, ou dans une région urbaine industrielle. La vie en contexte urbain n’a évidemment pas généré par elle-même les aspirations de ces jeunes à l’évasion, mais elle a agi sur elles comme un catalyseur.
82L’autre exemple que je donnerai, c’est celui que je tire du récent livre de Jérôme Fourquet L’archipel français [13]. Je le cite de mémoire : au premier tour de la présidentielle de 2017, dans les régions où le taux de chômage est de plus de 12 %, 42 % des ouvriers et des employés votent Marine Le Pen, et seulement 15 ou 16 % d’électeurs populaires votent pour Emmanuel Macron. Dans les régions où le taux de chômage est de moins de 8 %, la proportion d’électeurs ouvriers ou employés pour Marine Le Pen et pour Emmanuel Macron est quasiment la même : 29 % / 28 %. Ce qui montre que ce n’est pas la même chose d’être ouvrier ou employé dans ces régions-là.
83Une appartenance de classe ne peut donc pas être analysée indépendamment d’un espace de vie. Ce qui n’est pas sans entraîner certaines difficultés de méthode. Car cela signifie qu’il faut, au moins à titre d’étape dans l’analyse, spatialiser. Mais en même temps on sait les dangers du « déterminisme spatial », comme celui que l’on peut trouver par exemple chez Christophe Guilluy. Comment faire alors ? D’un côté, il faut spatialiser, et en même temps, dès qu’on a commencé à repérer un déterminant spatial potentiel de la condition de classe, il faut le dé-spatialiser et réintroduire des trajectoires sociales, de la temporalité. Méthodologiquement la situation n’est pas simple…
84Marie-Christine Jaillet : Un des problèmes avec les travaux de Christophe Guilluy, c’est qu’il part de catégorisations et de catégories spatiales qui ne sont pas justes. Je réfute, avec d’autres, l’idée de la fracture territoriale. Je voudrais rebondir sur le livre de Jérôme Fourquet, que je trouve moi aussi très intéressant, pour une autre raison, parce qu’il pose de manière forte la question de l’existence même des couches moyennes, en donnant un certain nombre d’indicateurs sur l’implosion des modes de consommation, qui mériterait d’être davantage étudiée. Pour revenir à la question des couches moyennes : si on part du postulat qu’aujourd’hui l’espace est une ressource qui contribue et construit d’une certaine manière leur sécurisation, il y a une double inégalité. Selon la strate considérée (niveau de revenu par exemple ou capacité à disposer d’un capital apporté par les parents), elles n’ont pas accès à la même ressource spatiale ; mais, à la différence d’autres groupes sociaux, elles n’ont pas la maîtrise du peuplement et du devenir social des espaces dans lesquels elles résident. D’où les stratégies qu’elles développent aujourd’hui pour contrôler ce qui se passe sur « leur » territoire. À la différence des strates sur lesquelles Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon travaillent, qui disposent dans leur lieu de résidence d’une espèce d’assurance tranquille (il y a peu de chances qu’y accèdent des groupes sociaux qui viendraient en modifier la « valeur »), le problème des couches moyennes, quel que soit l’espace où elles se trouvent, c’est qu’elles n’ont pas ce pouvoir-là. La perspective développée par Éric Charmes avec la notion de « clubbisation » de l’espace, ou les travaux menés par Philippe Estèbe sur les stratégies de préservation d’un « entre-soi » à l’œuvre dans la formation de certaines intercommunalités, sont tout à fait caractéristiques de ce type de stratégie, et il me semble qu’il faut peut-être aujourd’hui y revenir.
85Un dernier point par rapport à ce qui a été évoqué, et que je partage évidemment, c’est de considérer que le territoire et les lieux qui le constituent sont aussi des cadres de socialisations. Mais il y a aussi des formes de socialisation qui se dés-encastrent du territoire (en lien notamment avec le développement des « nouveaux » moyens de communication). Par exemple, certaines strates des classes moyennes qui ont un logement dans un lieu vivent, d’une certaine manière, hors-sol, et ont, de ce fait, une socialisation qui s’abstrait pour partie du territoire, en tout cas du territoire de proximité.
86Jean-Yves Authier : Pour poursuivre sur ce que vous avez évoqué, à plusieurs reprises, il me semble qu’analyser les classes sociales à travers une entrée par l’espace conduit en même temps à privilégier une approche des classes sociales par le hors-travail plutôt que par le travail. C’est une impression que vous partagez ?
87Cécile Vignal : Oui mais cette frontière entre le hors-travail et le travail peut être interrogée. Pour les fractions des classes populaires sur lesquelles j’ai travaillé avec le Collectif Rosa Bonheur, qui se situent en marge du marché du travail, ce qu’elles font dans ce que l’on appelle communément le hors-travail, au quotidien, est souvent orienté par les besoins de subsistance que le salaire et les revenus ne suffisent pas à combler : réparer, recycler, garder des enfants, préparer des repas, soigner, réhabiliter son logement, accéder à des papiers, à des droits, tout cela n’est pas qualifié ordinairement de travail dès lors que ces activités se situent dans l’informalité. Or nous les qualifions, je l’ai brièvement mentionné au départ, de « travail », au sens élargi du terme, de « pratiques ordinaires de travail » qui sont orientées par la subsistance. S’intéresser à ces pratiques, souvent disqualifiées ou invisibilisées dans l’espace social, permet d’étudier ce que ces classes populaires font de l’espace, et de l’espace résidentiel en particulier : leur logement, la rue, le parking. Car, avec des moyens bien moindres que ceux des classes moyennes « gentrifieuses », à la frontière du travail et du hors-travail, les classes populaires produisent aussi des espaces.
88Anaïs Collet : Cela rejoint le propos de Catherine Bidou et Jean-François Poltorak dans leur article sur le quartier Sainte-Marthe (dans le numéro d’Espaceset sociétés sur la gentrification urbaine) : alors que Catherine Bidou parlait dans les années 1980 de hors-travail pour décrire les manières d’investir l’espace des classes moyennes, dans cet article de 2008 elle parle de « travail de gentrification », c’est-à‑dire d’un véritable travail de production de l’espace habité. Il s’effectue avec un degré bien moindre de contrainte et de nécessité que dans les espaces populaires de Roubaix étudiés par le Collectif Rosa Bonheur, bien sûr, mais néanmoins en articulation avec la fragilisation des statuts professionnels et des revenus tirés du travail. Cela fait aussi écho à un livre coécrit par Hélène Hatzfeld, Marc Hatzfeld et Nadja Ringart, dans lequel les auteur·e·s mettaient en parallèle trois terrains totalement différents, qu’ils qualifiaient de marges ou d’interstices urbains, où l’espace local servait non seulement de cadre mais aussi de ressource pour l’organisation d’un marché du travail plus ou moins informel [14].
89Jean-Yves Authier : Une dernière question, peut-être, pour conclure ces échanges : est-ce que, selon vous, la prise en compte des dimensions spatiales des groupes sociaux est plus importante pour la compréhension des classes moyennes ou pour la compréhension des classes populaires ?
90Cécile Vignal : Je pense que c’est important dans les deux cas. Mais la matérialité est davantage nécessaire à la subsistance pour les classes populaires que pour les classes moyennes, clairement. Les classes populaires dépendent plus de l’espace de proximité et sont plus contraintes en particulier dans et par leur espace résidentiel. En même temps, l’espace résidentiel est pour elles un espace de ressources. C’est vraiment ambivalent. On ne peut pas dissocier les deux.
91Anaïs Collet : Pour moi, l’articulation espaces – classes sociales doit être regardée pour toutes les classes sociales, car l’étude de la stratification sociale appelle une analyse conjointe des positions sur le marché du travail et des espaces de vie – pour toutes les raisons déjà évoquées et très bien illustrées par les exemples donnés par Olivier Schwartz. On a évoqué les classes populaires et les classes moyennes, mais on pourrait aussi évoquer les classes supérieures. Je pense, par exemple, au travail de Bruno Cousin sur les espaces « refondés » des Hauts-de-Seine [15]. À la différence des élites ou de la grande bourgeoisie traditionnelle étudiée par les Pinçon-Charlot, les cadres supérieurs du privé étudiés par Bruno Cousin accordent certes une grande importance à la localisation de leur domicile et à la population des quartiers qu’ils habitent, mais leurs rapports à l’espace habité ne vont quasiment pas au-delà. Leurs relations de voisinage sont réduites au strict minimum et tous les espaces intermédiaires au-delà du logement sont très peu exploités, investis, utilisés ; ce qui est directement lié à leur vie professionnelle, avec un fort engagement dans le travail et des activités professionnelles très chronophages, qui laissent peu de temps pour autre chose et qui génèrent suffisamment de ressources en termes de revenus, de statuts, de réseaux sociaux, etc.
92Olivier Schwartz : Je me pose une question : est-ce qu’on ne pourrait pas dire qu’une différence dans le rapport à l’espace local de vie entre les classes populaires et les classes moyennes ou supérieures est que pour les membres des classes moyennes et supérieures, l’attachement à leur espace de vie est l’attachement à un quartier plus qu’à des liens dans le quartier ? Un quartier, c’est-à‑dire : est-ce qu’il y a dans le quartier de bonnes écoles pour les enfants ? Est-ce que le quartier apporte le niveau de sécurité suffisant ? Y a-t-il des équipements culturels, sportifs ? Quelle est l’image du quartier ? J’ai l’impression que c’est plus le quartier que des liens dans le quartier qui compte, parce que ces liens, on les a de toute manière en dehors, dans la vie professionnelle, dans une sociabilité qui est extra-locale. Alors que pour les membres des classes populaires, et peut-être des classes populaires les plus traditionnelles, j’ai le sentiment que c’est d’abord l’attachement à des liens, à des personnes qu’on connaît et qui peuvent apporter de la sécurité, des formes d’entraide, éventuellement de la reconnaissance, de la respectabilité. C’est ce qu’explique Pascale Dietrich : si les mal-logés de Paris auxquels elle s’est intéressée ne veulent pas quitter leur logement, c’est parce qu’ils pensent que Paris peut constituer pour eux un rempart contre la précarité qui est la leur, et parce qu’ils ont là des liens, qu’ils ne sont absolument pas certains de retrouver ailleurs.
93Anaïs Collet : Je nuancerais cette opposition, y compris pour les classes supérieures. Peut-être que l’espace-ressource des classes populaires est avant tout constitué de liens sociaux précisément parce que les autres ressources urbaines – « bonnes écoles » (une catégorie à déconstruire, d’ailleurs), équipements culturels, accès à l’emploi, etc. – y sont plus rares, et parce que la réputation ou l’image de ces lieux ne constitue pas non plus une ressource. Pour autant, l’espace-ressource des classes supérieures repose aussi sur des réseaux de sociabilités ancrés localement. Je pense, par exemple, aux familles étudiées par Lorraine Bozouls dans les banlieues bourgeoises de l’Ouest parisien : elle montre bien comment les femmes qui s’étaient retirées du marché du travail et avaient investi l’espace local, et qui finalement ont quand même envie ou besoin de revenir à l’activité professionnelle, vont mettre à profit leur ancrage et leur réseau de sociabilités locales pour se fabriquer une activité comme auto-entrepreneure ou profession libérale.
94Olivier Schwartz : Je comprends et je suis absolument d’accord. Je retire donc cette opposition !
95Cécile Vignal : Il y a tout de même ici une différence entre les classes populaires et les classes supérieures, car les deux ne peuvent pas monnayer de la même manière ce qu’elles tirent des liens qu’elles se constituent dans l’espace local. Les classes populaires produisent des valeurs plus matérielles et beaucoup moins échangeables sur d’autres marchés.
96Olivier Schwartz : Je voudrais, en rapport avec notre discussion sur ce couple « espaces et classes sociales », évoquer des réflexions très stimulantes de Gilles Laferté dans un long article de Sociologie [16] dans lequel il nous incite à tirer toutes les conséquences de ce lien entre espace et classes sociales qui nous a occupés, si du moins on le prend au sérieux. Je reformule très approximativement l’idée de Gilles Laferté, en espérant ne pas lui être trop infidèle. Si l’on prend au sérieux l’idée que l’espace local, ce ne sont pas simplement des classes préalablement définies à l’échelle nationale qui viendraient acquérir, dans tel contexte local, telle ou telle propriété, mais que c’est beaucoup plus que ça ; si on prend au sérieux l’idée que dans chaque espace local, ce sont toutes les propriétés des groupes sociaux qui vont se trouver « impactées », comme on dit aujourd’hui, par la configuration de cet espace, parce que cette configuration, d’un espace à l’autre, n’est pas la même, parce que l’équilibre des pouvoirs entre les groupes n’est pas le même, parce que les capitaux qu’on a ici ne valent pas la même chose que là ; bref, si on prend au sérieux l’idée qu’il y a des espaces sociaux localisés, sachant que cela ne remet bien sûr nullement en cause l’idée que ces espaces sociaux localisés sont toujours sous l’emprise de logiques globales, la question que Gilles Laferté nous incite, me semble-t-il, à nous poser, est la suivante : tout en reconnaissant la réalité et le poids de ces logiques d’ensemble, peut-on pour autant considérer qu’elles définissent, qu’elles génèrent, une même structure sociale nationale unifiée dans laquelle s’encastreraient tous les espaces sociaux locaux ? Il me semble que ce qu’il laisse entendre, mais je ne veux pas forcer son propos, peut être résumé ainsi : il y a des logiques d’ensemble, et les espaces sociaux locaux sont sous l’effet de ces logiques, mais ces espaces sociaux locaux sont malgré tout caractérisés par un degré tel d’hétérogénéité entre eux qu’on ne peut plus dire que ces logiques d’ensemble génèrent une structure sociale nationale, unifiée, un espace national, unifié, des classes, dans lequel s’encastreraient des espaces sociaux locaux qui n’en seraient que des variantes. Il faut, nous dit-il, « dénationaliser » l’analyse des classes. Tel est, me semble-t-il, l’esprit de la proposition très déstabilisante à laquelle nous conduit Gilles Laferté dans ce texte. Faut-il le suivre entièrement dans la radicalité de sa position ? Je laisse la question ouverte, je n’ai pas de réponse. Mais je trouve ce texte très intéressant, et important, par sa force déstabilisatrice. Il m’a fait prendre conscience de mes propres présupposés. Fait prendre conscience que j’adhérais, sans discussion, à l’idée d’un espace social national structurant l’ensemble d’une société, telle qu’on la trouve implicitement dans La distinction, que je tenais cette idée pour allant de soi, sans m’être interrogé sur ce qu’elle pouvait avoir de problématique, sur ses conditions et ses limites de validité. Or, ce que montre cet article, c’est que cette idée, quelle que soit la position que l’on adopte finalement, doit être interrogée, qu’on ne peut pas l’accepter comme une évidence. On doit au contraire s’entraîner à considérer qu’elle ne va pas de soi. Si on l’accepte, ce doit être de manière argumentée, critique, réfléchie. Peut-être pourrait-ce être d’ailleurs un thème pour un prochaine numéro de la revue ? « Espace local : jusqu’où ? ». Est-ce que cela invalide le schéma de La distinction ?
97Jean-Yves Authier : Cela me semble être, à la fois, une excellente conclusion à nos échanges, une judicieuse suggestion et un bon titre pour un prochain numéro d’Espaceset sociétés ! Je vous remercie tous les quatre pour votre participation très riche et stimulante à cette table ronde.
Notes
-
[1]
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[16]
Gilles Laferté, « Des études rurales à l’analyse des espaces sociaux localisés », art. cité.