CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Les seize [1] universités publiques d’Île-de-France rassemblent près d’un quart des étudiants français inscrits à l’université. Elles fonctionnent en système à travers des logiques à la fois concurrentielles et complémentaires (Baron et al. 2007), qui contribuent à différencier les établissements selon plusieurs critères : poids des différents cycles, finalité plus ou moins professionnalisante des formations, orientations disciplinaires, taille, etc. La différenciation selon l’origine sociale des étudiants s’articule d’emblée avec un schéma centre-périphérie qui distingue notamment les universités parisiennes des universités de première couronne où la part des étudiants d’origine populaire est plus importante (Guignard-Hamon 2005).

2Si la littérature sur les inégalités sociales à l’université est abondante, peu de travaux privilégient une approche spatiale, qui implique des analyses à l’échelle des établissements. Ces travaux portent pour la plupart sur les antennes universitaires, comparées aux universités mères et posent la question de la « démocratisation » réelle permise par ces antennes (Bernet 2009 ; Bourdon et al., 1994 ; Felouzis, 2001 ; Faure, 2009). Sur l’Île-de-France, les approches socio-spatiales des problématiques universitaires mettent en évidence des écarts de recrutement (Baron et al., op. cit. ; de Berny, 2005 et 2008b ; Guignard-Hamon, op. cit ; Nicourd et al., 2011), mais aussi des inégalités dans les parcours en termes de réussite (Nicourd et al., op. cit). Ces travaux soulignent l’importance des recrutements « de proximité », notamment en première année. Ils invitent ainsi à poser la question du rôle que peut jouer la division sociale de l’espace résidentiel dans les écarts sociaux entre les publics étudiants des universités franciliennes. En effet, l’aire urbaine parisienne a fait l’objet de nombreux travaux (François et al., 2011 ; Préteceille, 1995 et 2003 ; Rhein, 1994), mettant notamment en évidence un embourgeoisement des périphéries d’ouest en est, la singularité des espaces centraux (arrondissements peu spécialisés), et l’accentuation d’un pic d’assez grande pauvreté relative dans le secteur nord est (Seine-Saint-Denis). De telles caractéristiques, sur le plan universitaire comme résidentiel, font de cette région un terrain d’étude privilégié pour comprendre le lien entre l’inscription des étudiants dans une de ces seize universités franciliennes et leur localisation résidentielle.

3En articulant les dimensions résidentielles et universitaires, cet article vise à comprendre le rôle de la division sociale de l’espace dans la genèse d’écarts sociaux entre les populations étudiantes des universités franciliennes. Il ne s’agit pas ici d’expliquer les « choix résidentiels » des étudiants, quand bien même ils seraient plus ou moins influencés par la localisation de l’offre universitaire en Île-de-France, mais de se centrer, en aval, sur les conséquences sociales universitaires de ces « choix résidentiels [2] ». L’originalité de cette approche sociale et spatiale des recrutements universitaires tient à la mobilisation du cadre théorique des travaux sur la ségrégation scolaire. Ces derniers mettent en évidence l’imbrication des contextes urbains et scolaires pour comprendre les écarts de recrutement (Oberti, 2005).

4Trois hypothèses permettent de préciser les formes de cette articulation entre espace résidentiel et espace universitaire en Île-de-France. (i) On peut analyser l’influence du contexte urbain sur les arbitrages liés à l’inscription universitaire à travers la conjugaison de trois dimensions : une dimension relationnelle (effet de pairs) ; une dimension qui fait jouer la distance (isolement, temps de transport) et une dimension institutionnelle (proximité de l’offre de formation et sectorisation). (ii) Le rôle de ces trois dimensions est particulièrement observable chez les étudiants de milieu populaire vivant dans les quartiers ségrégués de première couronne parisienne. (iii) Cela les conduit à privilégier une inscription dans une université « de proximité », ce qui explique les écarts de recrutement entre universités « centrales » et universités « périphériques ». Pour tester ces hypothèses, on s’appuie sur la comparaison de deux grandes universités orientées vers les sciences humaines et sociales, le droit et l’économie, Paris 1 Panthéon-Sorbonne (Paris) et Paris 8 Vincennes-Saint-Denis (Saint-Denis, Seine-Saint-Denis).

Le rôle de la division sociale de l’espace résidentiel : trois dimensions des arbitrages universitaires étudiants

5La comparaison des populations étudiantes de Paris 1 et Paris 8 met en évidence les écarts sociaux et scolaires en jeu dans le système universitaire francilien. Les variables retenues pour donner un ordre de grandeur de ces écarts sont la part d’enfants de cadres, la part d’enfants d’ouvriers [3], et le pourcentage d’étudiants ayant obtenu un baccalauréat technologique ou professionnel. Si les écarts entre les populations étudiantes des deux universités sont importants à l’échelle des établissements (tableau 1), ils varient selon la discipline et le cycle d’études. Pour les étudiants inscrits en L1 pour la première fois à l’université, les écarts entre Paris 1 et Paris 8 sont moins importants en aes qu’en Droit ou en Géographie. Cela tient surtout, pour les variables sociales, à un profil moins favorisé des étudiants en aes de Paris 1. Sur le plan social, les différences entre les trois disciplines sont moins importantes à Paris 8. Malgré des écarts plus réduits entre les deux universités pour les l1 aes, on y observe tout de même une différence de près de 20 points pour la part d’enfants de cadres entre les deux universités. Quel est le rôle de la localisation résidentielle dans la genèse de tels écarts de recrutement ?

6La dimension résidentielle est le plus souvent abordée sous l’angle du logement étudiant, enjeu politique et social particulièrement sensible en Île-de-France [4]. Cette question du logement recouvre des différenciations sociales et spatiales : 87 % des étudiants en L1 des universités de ville nouvelle logent chez leurs parents contre 72 % à Paris (de Berny 2008b). Par hypothèse, et de façon plus générale, l’espace résidentiel des étudiants franciliens n’est pas considéré comme indépendant des complexes dynamiques résidentielles franciliennes. On postule donc que la localisation résidentielle des étudiants dépend en partie de leur origine sociale, et qu’elle correspond globalement aux divisions sociales et spatiales identifiées pour l’ensemble des ménages franciliens. Le questionnement central de cet article se situe « en aval » : cette division sociale et spatiale a-t-elle un impact social sur les recrutements universitaires ?

Tableau 1

Écarts sociaux et scolaires entre Paris 1 et Paris 8 en 2011-2012 pour plusieurs sous-populations étudiantes*

Tableau 1
Ensemble de l’université L1 Droit L1 aes L1 Géographie Année 2011-2012 Paris 1 Paris 8 Paris 1 Paris 8 Paris 1 Paris 8 Paris 1 Paris 8 (1661)* (244) (335) (231) (145) (92) % cadres 41 20 44 13 28 9 52 10 % ouvriers 5 7 5 17 10 19 5 14 % bacheliers technologiques 6 17 11 40 36 62 11 47 ou professionnels

Écarts sociaux et scolaires entre Paris 1 et Paris 8 en 2011-2012 pour plusieurs sous-populations étudiantes*

* Le nombre entre parenthèse est le total des inscrits pour la première fois en première année universitaire (variable net).
Sources : Données sise (Système d’information sur le suivi des étudiants) mesr, étudiants inscrits à Paris 1 et Paris 8 en 2011-2012. Réalisation L. Frouillou, 2012)

7Une enquête par entretiens compréhensifs semi-directifs auprès de soixante-neuf étudiants inscrits en L1, L3 ou M1 dans trois disciplines (Droit, aes, Géographie) à Paris 1 et Paris 8 révèle trois dimensions à travers lesquelles la division sociale de l’espace résidentiel influence les arbitrages des étudiants quant au « choix » d’une université.

Encadré 1 – Deux enquêtes qualitatives

Le corpus de soixante-neufs entretiens est issu de deux enquêtes, suivant la même trame d’entretien qui aborde : le parcours scolaire, le choix de l’université, les mobilités et les transports, le rapport aux études et au lieu d’études (sa spécificité par rapport à d’autres universités, la sociabilité, les relations avec les professeurs). L’objectif est de comprendre la spécificité du profil socio-scolaire de chaque étudiant enquêté en retraçant ses décisions d’orientation, leur genèse et leur évolution, et les projets (universitaires et professionnels) qui y sont liés.
La première (avril mai 2011) s’intéresse aux parcours d’étudiants en L3 géographie, entrés en L1 en 2008 dans cette discipline (non sectorisée). Neuf étudiants de Paris 1 ont été interviewés (cinq jeunes femmes et quatre jeunes hommes) et onze étudiants de Paris 8 ont été enquêtés (cinq jeunes femmes et six jeunes hommes).
La deuxième (février à juillet 2012) est constituée de 32 étudiants de L1 Droit et aes et de 17 étudiants de M1 Droit et équivalent aes (qui ont connu une sectorisation à l’entrée en L1 via le système ravel) dans les deux universités. Les entretiens avec les L1 permettent de mieux saisir les arbitrages à la sortie du baccalauréat. Les parcours des M1 permettent de comprendre à la fois l’importance des contraintes institutionnelles (évitement) et le rôle que peut jouer la mobilité inter-universitaire dans les trajectoires étudiantes.
Dans les deux cas, les étudiants ont été sollicités par plusieurs biais (intervention en cours, information relayée par un professeur, envoi de mails, puis mobilisation du réseau amical des premiers enquêtés). Les personnes s’étant prêtées à l’entretien sont donc susceptibles de ne pas être dans un rapport conflictuel avec leurs professeurs, ou en situation d’échec ou de décrochage (l’enquête se déroule au deuxième semestre).
tableau im2
Effectifs étudiants enquêtés Paris 1 Paris 8 L3 (2011) Géographie (9) Géographie (11) L1 (2012) Droit (10) / aes (10) Droit (8) / aes (4) M1 (2012) Droit (4)/aes (5) Droit (5)/aes (3)

Première dimension : le rôle de la distance dans les recrutements étudiants

8Le rôle le plus évident de la division sociale de l’espace résidentiel dans les recrutements universitaires semble être celui de la distance associée à la localisation des sites universitaires. En effet, la cartographie des aires de recrutement des universités franciliennes souligne l’importance de la distance dans les choix universitaires des étudiants (Baron et al. op. cit. ; Mangeney 2005). Le recrutement local est particulièrement important en premier cycle. Or les universités d’Île-de-France sont implantées dans des environnements sociaux nettement différenciés. Paris 8 est principalement localisée à Saint-Denis, une des communes les plus pauvres de la région selon une typologie établie à partir des revenus des ménages en 2007 (François et al., 2011). À l’opposé, tous les arrondissements parisiens font partie des communes aisées ou sans surreprésentation significative d’une catégorie sociale de ménages. Les environnements sociaux des universités Paris 1 et Paris 8 sont donc bien distincts, ce qui, associé à l’importance de la distance dans les recrutements, expliquerait une partie des écarts sociaux et scolaires.

9Cette dimension fait jouer l’isolement qui peut résulter de certaines localisations résidentielles. En Île-de-France, grâce à la desserte en transports collectifs, l’inscription dans une des seize universités n’implique pas forcément de mobilité résidentielle pour les étudiants. Néanmoins, la question de la distance aux sites universitaires comme contrainte est posée (Guignard-Hamon, op. cit.), car comme l’explique C. Mangeney : « Ainsi, la proximité peut-elle refléter une réelle préférence ou au contraire, résulter de l’absence d’autres choix. Les faibles capacités d’accueil en résidences universitaires, l’inégale répartition du parc de petits logements locatifs et la forte polarisation des transports collectifs peuvent en effet contraindre localement le choix de l’établissement d’inscription » (op. cit., p. 141). Les entretiens avec les étudiants soulignent l’importance de la « proximité » entre le domicile et le lieu d’étude dans les arbitrages qui président à l’inscription universitaire pour certains étudiants comme Loïs (L1 aes à Paris 8, origine populaire, habitant à Sarcelles chez sa cousine) :

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« - Tu as dit : « choisir l’université, ça n’était pas difficile ». C’est-à-dire ?
- Eh bien, j’habite à Sarcelles pour l’instant. Donc la fac la plus proche c’était Saint-Denis. Je ne me suis pas dit : « oui, j’ai envie d’aller à la Sorbonne ou je ne sais pas où ». Mais oui, voilà. Ça n’était pas difficile. Tu vas sur Internet, tu essaies de chercher la fac qui est dans ton périmètre. Si tu veux. La situation géographique quoi. »

11Le rôle de la distance aux sites universitaires dépend de la perception qu’en ont les étudiants (de ce qu’ils définissent comme « proche » ou comme « trop éloigné »). Ainsi, pour certains étudiants, minimiser le temps de transport n’est pas une priorité. Cela peut néanmoins avoir un impact sur leur fatigue ou leur vie sociale (donc leur socialisation étudiante) comme l’explique Clément (L3 Géographie à Paris 1, origine populaire, habitant près de Provins, 3h de transport pour aller à l’université en L1) :

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« Bon des fois je restais dormir ici mais pareil je connaissais pas trop de personnes et puis souvent ils ont des petits appartements donc c’est pas facile de rester… Voilà… Le premier, la première année, non c’était pas trop de sorties. Après la deuxième année, à partir du moment où je me suis installé à Paris, on se voyait plus en dehors des cours. »

La dimension relationnelle : les effets de pairs

13La division sociale de l’espace résidentiel peut jouer également à travers la dimension relationnelle des arbitrages universitaires. Les entretiens montrent le rôle de la famille, des professeurs et des amis dans l’orientation. La localisation résidentielle implique le plus souvent la fréquentation d’établissements secondaires situés à proximité. De façon plus générale, l’ancrage territorial des étudiants, autrement dit la dimension sociale (voire émotionnelle) de leur rapport à l’espace local permet de comprendre certaines orientations universitaires, d’analyser les parcours (Beaud, 2002). Parmi les enquêtés en L1 de Droit à Paris 8, quatre étudiants ont suivi une partie de leur scolarité ensemble, à Deuil-la-Barre (95). Maxime (mère cadre), explique ainsi : « J’ai toujours été avec lui à l’école, et je me suis dit : si c’est chiant, si j’ai du mal à m’intégrer au moins j’aurais un pote avec moi. Ça rendra ça plus sympa ».

14Cette dimension relationnelle de l’orientation universitaire, qui est liée à la localisation résidentielle, peut être plus indirecte, comme dans le cas de Amadou (L1 Droit Paris 8, origine populaire, habitant à Bobigny) qui a pu s’appuyer sur les conseils des éducateurs du quartier (« ils m’ont beaucoup aidé, beaucoup conseillé »), alors que ses amis n’ont dans leur grande majorité pas suivi d’études.

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« – Et du coup pourquoi tu as choisi Paris 8 comme université ? Et pas une autre ?
– Pourquoi j’ai choisi Paris 8… Parce qu’on m’a parlé de Paris 8 j’ai beaucoup de personnes de mon quartier qui étaient là-bas. Ils m’ont dit que c’est une des seules universités d’Île-de-France où il y a un grand métissage […] J’habite en plein centre-ville de Bobigny, j’ai grandi là- bas. Et à Bobigny y’a que des zep. Quand j’ai dit « je vais à la fac », non, c’est… Ils étaient choqués ! Les gens, ils ne me croivent pas ! Il faut que je leur montre ma carte d’étudiant pour leur prouver. C’est rare dans ma cité on doit être combien à la fac… Dans ma génération je suis le seul. »

16La distance et la dimension relationnelle, qui font jouer la division sociale de l’espace résidentiel dans les arbitrages universitaires, sont intimement liées : la proximité physique peut aller de pair avec une certaine proximité sociale et culturelle. On retrouve ici l’analyse de G. Felouzis à propos des antennes universitaires : « la proximité familiale, la crainte d’affronter un univers inconnu et vécu comme déstabilisant peut être un facteur de décision qui amène les étudiants les moins familiarisés avec les règles implicites et explicites de l’université à s’inscrire dans une antenne délocalisée » (Felouzis, op. cit., p. 55-56). Pour Maxime, comme pour d’autres étudiants de Paris 8, la familiarité avec les gens et avec les lieux semble bel et bien minimiser les risques de décrochage, non négligeables pour des étudiants « peu assurés » scolairement (Maxime a eu son baccalauréat de justesse) :

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« C’est vrai que la Sorbonne je trouve que ça a l’air trop strict. Trop de pression : j’ai un pote qui m’a dit ça. C’est vraiment difficile, ils mettent une grosse pression. Et moi je… Peut-être que je travaillerai plus comme ça, mais au contraire peut-être que je ne ferai rien : je serais déjà parti. Je ne sais pas mais c’est… Et puis même, le milieu social ce n’est pas le même. »

La dimension institutionnelle : la sectorisation des inscriptions en L1

18Enfin, la localisation résidentielle peut déterminer les possibilités d’inscription universitaire à travers une dimension institutionnelle. Outre l’inégale répartition de l’offre de formation (en termes de disciplines voire d’options comme les doubles licences), les étudiants voient leur « espace des possibles universitaires » contraint par la sectorisation des inscriptions à l’entrée en première année de licence. Jusqu’à la rentrée 2008-2009, le système ravel (Recensement automatisé des vœux des élèves) gérait les inscriptions des néo-bacheliers en première année d’université en opérant une sectorisation géographique pour les filières « en tension », en fonction de la commune du lycée du bachelier. Le Droit et l’aes font partie de ces filières en 2008 pour lesquelles une à trois universités « de secteur » sont proposées au candidat [5]. Or cette sectorisation n’a pas été sans effet sur le recrutement social des universités. Plus de 30 % des communes sectorisées à Paris 1 en droit étaient très aisées ou aisées, contre environ 2 % pour Paris 8. En aes comme en Droit, près de 16 % des communes sectorisées à Paris 8 font partie des plus pauvres d’Île-de-France, alors qu’on n’en compte aucune pour Paris 1 (tableau 2).

Tableau 2

Tableau comparatif ravel, pour le Droit et l’aes, à Paris 1 et Paris 8

Tableau 2
Filière et Universités Droit AES Types de communes Paris 1 Paris 8 Paris 1 Paris 8 Très aisées 4,8* 0,0 0,0 0,0 Aisées 28,6 2,4 0,0** 2,3 Moyennement aisées 4,8 3,7 6,0 3,5 Classes moyennes supérieures 4,8 13,4 18,0 12,8 Classes moyennes 14,3 30,5 44,0 31,4 Pas de surreprésentation significative 23,8 2,4 0,0 0,0 Classes moyennes inférieures 19,0 31,7 32,0 33,7 Les plus pauvres 0,0 15,9 0,0 16,3 Total communes 21 82 50 86

Tableau comparatif ravel, pour le Droit et l’aes, à Paris 1 et Paris 8

(Sources : typologie des communes franciliennes établie par le laboratoire Géographie-cités à partir des revenus des ménages en 2007 par cah (François et al. 2011). ravel 2008 [ove Cergy]. Réalisation : L. Frouillou, 2012)

19ravel a été remplacé à partir de la rentrée 2009 par apb (Admission postbac), un système national, qui fonctionne en Île-de-France sur le principe de priorités à l’échelle des académies de Paris, Créteil et Versailles. Cette « sectorisation assouplie » joue en cas de tension entre l’offre et la demande. Ainsi, les étudiants des académies de Versailles et de Créteil qui posent une candidature en L1 de Droit ont peu de chances d’être acceptés dans les prestigieuses universités parisiennes. C’est le cas de Victoire (L1 Droit à Paris 8, origine populaire, habitant à Aulnay-sous-Bois) :

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« – Je n’ai pas choisi mon université. J’avais pris… Sur apb il faut faire une liste de choix bien ordonnés, en fonction de nos possibilités. J’avais mis au début Assas et ensuite la Sorbonne. Et après Paris 8 en 3e position. Et vu que je n’ai pas eu ni Assas ni la Sorbonne et bien je suis venue à Paris 8.
– Qui était ton université de secteur ?
– Ouais, c’était l’université de secteur en fait. Vu que Assas et la Sorbonne ils ne prenaient pas… ceux des autres départements. »

21Cette sectorisation ne contraint pas « mécaniquement » les recrutements universitaires : certains enquêtés aujourd’hui en master ont pu contourner ravel, comme Nacera (M1 aes à Paris 1, origine populaire, habitant à Saint-Denis) en choisissant une option rare (Economie-gestion option gestion), sans compter les étudiants qui ont changé d’université après la L1, comme Imran (M1 aes Paris 1, origine populaire, habitant à Clichy) qui a attendu la L3 pour quitter Paris 8. Il reste que la dimension institutionnelle contribue à faire peser la localisation résidentielle dans la genèse d’écarts sociaux et scolaires de recrutement entre les universités franciliennes.

22Ces trois dimensions (distance, relationnelle et institutionnelle) des arbitrages étudiants quant à l’inscription dans une des seize universités d’Île-de-France mettent en évidence le rôle de la division sociale de l’espace résidentiel dans les écarts entre les populations étudiantes recrutées par les différents établissements (hypothèse i). De quelle façon ces dimensions se structurentelles selon l’origine sociale et le lieu de résidence des étudiants ? Conduisentelles les étudiants de milieux populaires à choisir préférentiellement une université située en première couronne (hypothèse iii) ?

Un sens du placement universitaire : relativiser l’importance de la localisation résidentielle dans l’orientation universitaire

23Ces trois dimensions tendent à restreindre « l’espace des possibles universitaires » des étudiants, selon leur localisation résidentielle, à travers la question de l’isolement (première dimension liée à la distance), de l’importance des groupes de pairs (dimension relationnelle) et de la sectorisation (dimension institutionnelle). Selon cette logique, les étudiants qui résident dans les communes défavorisées de la première couronne auraient tendance à s’inscrire dans une université située « à proximité » (physique, mais aussi sociale et relationnelle) comme Paris 8 [6], tandis que les étudiants habitant Paris privilégieraient les universités centrales comme Paris 1. Cette grossière typologie expliquerait les écarts de recrutement entre les deux universités. Il faut maintenant nuancer ce schéma, qui masque la complexité des arbitrages étudiants.

Un sens du placement : l’importance du capital scolaire dans l’orientation universitaire

24Plusieurs enquêtés résidant dans les communes parmi les plus pauvres d’Île-de-France se sont néanmoins inscrits en L1 à Paris 1, au lieu de privilégier la « proximité » universitaire. Comment expliquer cet arbitrage ? Trois étudiantes inscrites en L3 Géographie à Paris 1 en 2011 résident en Seine-Saint-Denis. Léa, fille d’un chauffeur de taxi et d’une mère au foyer, habite à Montfermeil (zone pavillonnaire). Claire réside à Noisy-le-Sec, ses parents ne sont pas non plus passés par l’université (père greffier et mère employée). Alice vit à Montreuil (mère assistante sociale et père formateur). Ces trois étudiantes sont issues de milieux relativement populaires mais elles sont toutes les trois passées par de « bons lycées du 93 » (un lycée privé, un lycée avec des classes préparatoires, un lycée du Raincy, commune « moyennement aisée » de Seine-Saint-Denis). Outre la dimension de genre (Beaud, op. cit.), et le rôle indéniable des parents de Claire et Alice (encouragement à la poursuite d’études, accompagnement dans l’orientation), on note ainsi l’importance du capital « scolaire » de ces étudiantes. Ce dernier peut être considéré comme une sous-espèce du capital culturel, spécifique au champ scolaire. Le capital scolaire inclut non seulement les titres scolaires mais aussi le « rapport à l’école », à travers l’expérience scolaire familiale et amicale, les méthodes de travail, la connaissance des filières, des établissements, etc. Ces étudiantes peuvent ainsi s’appuyer sur un certain capital scolaire pour mettre à distance les ressources de la proximité :

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« J’avais envie de changer. Et comme c’était pas sectorisé la géographie, bah je me suis dit “je vais me faire plaisir, je vais aller à Paris, à la Sorbonne” […] [Mes copines] étaient dégoutées quand elles ont vu que c’était sectorisé qu’elles pouvaient pas venir à la Sorbonne… Bah quand t’es en banlieue, tu veux partir à Paris, tu veux changer d’air, quoi qu’il arrive. Et puis même tu te dis c’est la Sorbonne c’est mieux. Tu sors avec un diplôme… meilleur quoi. […] C’est parce que je viens du 93 et que j’ai côtoyé beaucoup de gens qui ont eu un échec. Voilà. Je pense que c’est ça. C’est mon parcours personnel, mes origines, mon niveau on va dire populaire. C’est ça je pense qui fait que je suis contente d’être à Paris. » (Léa, Paris 1)
« J’entendais toujours mes copines dire “moi il faut que je me casse au lycée, j’ai envie d’aller à Paris, j’en ai marre de la banlieue” tout ça et bon, moi j’avais pas de dérogation, je l’ai pas fait. […] Et puis ouais y’a les clichés de banlieue quoi ! Quand tu sors de banlieue t’as un diplôme de banlieue… Je voulais pas aller à la fac à Saint-Denis par exemple. Enfin je me voyais… ça me saoulait je me disais “Putain, encore la banlieue” enfin. […] Si j’avais pas choisi par défaut, je pense que je serais allée à Paris 1. Même si je viens de banlieue. Justement parce que je viens de banlieue. » (Alice, Paris 1)

26A contrario, des étudiants issus de milieu relativement plus favorisés mais dont le capital scolaire est plus instable, comme Maxime (L1 Droit Paris 8), peuvent privilégier les ressources de la proximité universitaire (familiarité avec les gens et les lieux).

27On peut ainsi définir un sens du placement universitaire, par analogie avec le sens du placement scolaire qui oriente les représentations du « possible » et de l’« accessible » notamment dans les milieux populaires (Bourdieu, 1979) : « Lié au volume de capital possédé par les familles et à la structure de la distribution des capitaux culturels et économiques dans les espaces considérés, le placement scolaire requiert ainsi une forme de “capital mobilité” offrant aux familles la capacité de s’orienter dans des espaces scolaires hiérarchisés » (François et Poupeau, 2008, p. 104). Ce sens du placement universitaire invite à relativiser une vision simpliste des orientations universitaires opposant les étudiants « de banlieue » aux étudiants parisiens. L’inscription universitaire met en jeu le rapport à l’espace local des étudiants, comme le montre la mise à distance de la « banlieue » par Léa et Alice. Cet ancrage territorial n’est pas seulement fonction d’un capital scolaire « apparent », ce que soulignent les orientations contre-intuitives de certains étudiants.

Des orientations contre-intuitives : rapport à l’espace local et inscription universitaire

28Plusieurs enquêtés résidant dans des quartiers défavorisés, et sans capital scolaire « apparent », ont pourtant mis en place des stratégies d’évitement de leur université de secteur et ont réussi à s’inscrire à Paris 1. Diwana (L1 aes à Paris 1) habite à Villiers-le-Bel avec sa mère (auxiliaire de vie). Elle a cinq frères et sœurs (ses deux ainés ont un bac stg pour le premier et un bep secrétariat pour la deuxième). Elle explique ainsi son inscription à Paris 1 plutôt que dans une université « de proximité » :

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« Par distance, ç’aurait été toutes celles qui ne m’intéressent pas (sourires). […] Bah… Déjà, c’est des facs de banlieue. Je voulais pas aller dans une fac de banlieue. J’ai déjà fait le lycée en banlieue, je sais ce que c’est. J’ai l’impression qu’ils nous sous-estiment tout le temps. […] Vu que j’avais fait le lycée, je me suis dit, autant aller sur Paris. Vu que le niveau il est un peu plus élevé. Comme ça je sais que par rapport à un autre, on a le même diplôme, mais si je viens de Paris et que lui vient de Paris, je sais que c’est à peu près équivalent. Alors que si moi je viens de banlieue et que lui vient de Paris, je suis sûre qu’il aura vu plus de choses que moi. Comme au lycée. Donc c’est pour ça que ça m’intéressait pas. »

30Cette stratégie de placement universitaire se comprend à travers une approche fine du parcours scolaire de Diwana. En quatrième, ses notes baissent et ses parents (séparés depuis ses trois ans) demandent des explications aux enseignants. Diwana attribue cela à l’influence de ses amis (effet de pairs) qui motive ensuite un évitement du lycée de secteur :

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« – Moi j’ai commencé à faire des recherches sur les taux de réussite au bac. Et tout ça. Et je ne voulais pas aller à Sarcelles. Déjà il y avait beaucoup de gens que je connaissais. Et j’avais peur que je reprenne mes mauvaises habitudes. Il y avait un autre lycée à côté, X. Mais là, il y avait plus de garçons. Je me disais que ça allait être plus difficile de connaître des gens. Du coup, j’ai dû aller à Gonesse. Comme ça je savais que je connaîtrais personne même si ça allait être dur au début. Je suis partie à Y. Il y avait un meilleur taux de réussite au bac. […]
D’accord. Et est-ce que tu en as parlé avec des professeurs, ou avec tes parents ? Comment ça s’est passé ?
– Je sais que je l’ai choisi toute seule. Parce que dans mon collège ils voulaient surtout que l’on choisisse nos lycées de secteur. Qui sont Z et X. Et moi je voulais pas qu’ils se mêlent de… Enfin qu’ils choisissent pour nous. Parce que ça voudrait dire que c’est pas moi qui ai choisi en première, c’est eux. Et ça prouve bien que je suis leur choix. Et ça, ça me plaisait pas trop. Et mes parents, du moment que je continuais mes études ça leur dérangeait pas là où j’allais. Du moment que je réussissais, c’est plus ce qui les intéressait. Du coup, bah c’est moi qui l’ai choisi toute seule. »

32Diwana a donc « construit » seule un capital scolaire (filière scientifique au lycée), en s’appuyant néanmoins sur le soutien de ses parents. Elle a développé ainsi un sens du placement universitaire qui explique la volonté d’entrer à Paris 1 :

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« – Et donc, quand tu as regardé les différentes facs, à Paris, tu as choisi Paris 1 parce que… Enfin, comment tu as regardé ? Comment tu t’es renseignée sur les facs ?
– Bah déjà, j’ai cherché un classement. Parce qu’il y a un classement sur les écoles de commerce mais il y en a pas sur les universités. Et du coup j’ai regardé un petit peu. J’ai fait des recherches sur Internet. En regardant : licence aes-meilleures universités. On n’en trouve pas beaucoup, mais j’ai trouvé un classement. Après je sais pas s’il est vrai. Mais ça mettait Paris 1 en 1er, ensuite Paris 2. Et plus loin, il y avait Nanterre. Je ne sais plus ce qu’il y avait entre. Mais en tout cas j’ai regardé plutôt les facs et que j’avais déjà mis dans ma liste apb. Et je me suis rendu compte que c’était la 1re. Du coup, tous mes choix, même si je voulais pas forcément par rapport à la distance, je les organisais par rapport à la notoriété de l’entreprise, enfin, de l’université. »

34Des étudiants de milieu populaire, habitant dans des quartiers défavorisés et n’étant pas scolarisés dans des établissements qui laissent supposer un capital scolaire important, peuvent ainsi développer un sens du placement universitaire qui les conduit à s’inscrire dans une université centrale.

35Symétriquement, certains enquêtés au capital scolaire « apparent » (issus de milieux moins modestes, dont les parents travaillent dans l’éducation nationale, ou qui ont été scolarisés dans des établissements privés) décident pourtant de s’inscrire dans une université de banlieue. C’est le cas par exemple de Laurène (L3 Géographie à Paris 8), habitant à Stains (93) dans la maison familiale avec ses parents (son père est directeur de travaux et a un bac pro, sa mère est cantinière mais a travaillé comme secrétaire après l’obtention d’un bac littéraire) et sa sœur (de quatre ans son ainée, qui suit des études supérieures). Laurène était scolarisée dans le privé au collège et au lycée, elle a obtenu un bac es à 18 ans. Elle explique ainsi son inscription à Paris 8 :

36

« Donc je me suis mise en géographie à Paris 8 et je connaissais un copain du collège qui faisait ça aussi donc je me suis dit “comme ça je serai pas tout seule”. Et j’ai choisi Paris 8 parce que c’est à 15 minutes de chez moi, et que je me voyais pas faire une heure et demi de transports tous les jours, allers retours dans Paris et que ma sœur avait une très mauvaise expérience avec la Sorbonne et donc j’ai pas refait sa même expérience. […] Elle était à Paris 1 en histoire et elle a eu… Enfin on suppose que comme elle venait du 93, d’un lycée public, elle a eu plein de bâtons dans les roues… […] En plus j’avais ma sœur qui était à Paris 8 [elle a changé d’université après ses difficultés à Paris 1] donc elle m’avait fait visiter un petit peu avant. Elle m’avait expliqué : “regarde, là c’est le bâtiment des inscriptions”. […] J’ai pas été perdue quoi, je me suis pas retrouvée jetée toute seule au milieu de nulle part sans savoir où j’allais. »

37L’inscription dans une « fac accessible » s’explique donc par l’influence de l’expérience de son ainée, qui a incité Laurène, malgré son capital scolaire, à privilégier le côté rassurant d’une université « de proximité ».

38Ces trajectoires universitaires, au premier abord contre-intuitives au regard du capital scolaire des enquêtés, mettent en évidence l’importance des interactions familiales et sociales dans la construction d’un rapport à l’espace local. L’approche fine permise par les entretiens compréhensifs permet de replacer les arbitrages étudiants dans des configurations sociales et spatiales en évolution. On comprend ainsi que ces arbitrages diffèrent au sein d’une même fratrie. Loïs (L1 aes) s’est ainsi inscrite à Paris 8 contre l’avis de sa mère (auxiliaire de vie), alors que sa petite sœur est inscrite en première année de droit à Assas. De la même façon, Nacera (M1 aes à Paris 1) dit de son petit frère en licence professionnelle informatique à Paris XIII Villetaneuse : « Lui, au contraire, il a choisi la facilité ».

39Si les parcours des étudiants de milieu populaire résidant dans des quartiers défavorisés soulignent bien les trois dimensions (distance, relations sociales et contraintes institutionnelles) de la division sociale de l’espace résidentiel dans l’orientation universitaire (hypothèse ii), on ne peut conclure à un rôle mécanique ou systématique de ces dimensions (hypothèse iii). Leur conjugaison à l’échelle individuelle fait jouer un sens du placement qui, outre la localisation résidentielle, souligne l’importance de capitaux sociaux et scolaires en évolution.

Conclusion : Une ségrégation universitaire en Île-de-France ?

40À travers les stratégies d’évitement, et plus généralement le sens du placement universitaire, l’espace universitaire semble accentuer les contrastes sociaux liés à la localisation résidentielle des étudiants. Par analogie avec les travaux sur la ségrégation scolaire, on peut ainsi s’interroger sur l’existence d’une ségrégation universitaire en Île-de-France. Ces travaux montrent en effet que « l’espace scolaire ne se borne pas à reproduire les divisions sociales et “ethniques” en vigueur dans l’espace urbain. Plus encore l’espace scolaire en exacerbe les formes et les polarités » (Barthon, 1998, p. 96). Cette auteure définit la ségrégation scolaire comme la concentration spatiale de certaines catégories d’élèves qui résulte au moins en partie d’une mise à distance (sociale et physique), dans un espace scolaire hiérarchisé (avec de bonnes et de moins bonnes places), qui peut générer une inégalité d’accès aux biens scolaires et induire une captivité scolaire, et qui peut donc à terme entraîner une exclusion sociale. On pourrait alors définir la ségrégation universitaire comme la mesure d’écarts sociaux, scolaires, ethniques, ou démographiques dans les profils des étudiants, écarts résultant en partie d’une mise à distance sociale et physique et d’inégalités d’accès liées à des enjeux de mobilité ou d’auto-sélection. Dans un espace universitaire hiérarchisé et où les établissements sont en concurrence, ces écarts se traduiraient alors par des inégalités dans la reconnaissance socio-professionnelle des formations universitaires (hiérarchisation des établissements universitaires et de leurs diplômes), ou par des inégalités de réussite (formes d’exclusion sociale). Au-delà de la mesure des écarts socio-scolaires et de leur dimension spatiale, travailler sur la ségrégation universitaire francilienne suppose donc de s’interroger dans un deuxième temps sur les implications en termes d’inégalité dans les parcours étudiants. Cela implique de mener des suivis de cohortes (Nicourd et al., op. cit.), permettant d’identifier d’éventuels « effets établissement » dans la réussite universitaire. Le suivi des étudiants enquêtés permettra en outre de mettre en évidence les inflexions dans leurs parcours, en analysant finement l’articulation entre les changements de localisation résidentielle et les changements d’université.

Notes

  • [*]
    Leïla Frouillou, doctorante, umr Géographie-cités (équipe cria),Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
    Leila.frouillou@univ-paris1.fr
  • [1]
    La dix-septième, Paris IX Dauphine, a le statut de Grand Établissement depuis 2004.
  • [2]
    Ces derniers sont en outre souvent ceux des parents : en 2006, la moitié des étudiants des universités franciliennes résident chez un membre de leur famille, contre 31 % en logement indépendant (de Berny 2008a).
  • [3]
    En l’absence de données sur les diplômes ou les revenus des parents, on considère que leur profession est un indice, certes imparfait, du milieu socio-économique des étudiants. Il s’agit de la profession du premier parent de référence de l’étudiant. Ces catégories ne prennent pas en compte les parents retraités.
  • [4]
    La pénurie régionale découle d’une difficile maîtrise du foncier et de rythmes de constructions insuffisants (Davy, 2005).
  • [5]
    En 2008, les disciplines sectorisées étaient la sociologie, la psychologie, l’histoire, les llce (Langue, littérature et civilisation étrangère) anglais et espagnol, les lea (Langues étrangères appliquées) anglais et espagnol, le droit, l’économie et la gestion, l’aes (Administration économique et sociale), les Sciences et Staps.
  • [6]
    On pourrait ainsi analyser l’orientation universitaire des étudiants de milieux populaires résidant dans les quartiers dits défavorisés au prisme des questions sur les « effets de quartiers », qui comporteraient quatre dimensions (Bacqué et Fol, 2007) : physique (effets sur la santé), spatiale (isolement et difficultés d’accès à l’emploi), institutionnelle (qualité des équipements et des services) et sociale (influence des pairs). Les recherches états-uniennes se concentrent sur les quartiers pauvres et sur leurs effets négatifs, et prennent rarement en compte l’importance des réseaux sociaux, véritables ressources pour les habitants (Rose et Séguin, 2007 ; Cheshire, 2009). Cela invite à nuancer une vision des écarts sociaux entre universités uniquement orientée vers les conséquences en termes d’inégalités (insertion professionnelle par exemple) pour s’interroger sur les effets positifs, réels ou supposés, de la familiarité avec les gens et avec les lieux dans les parcours universitaires. On retrouve ici l’ambivalence entre démocratisation et relégation, identifiée dans les études sur les antennes universitaires (Felouzis, op. cit.).
Français

Cet article interroge le rôle de la division sociale de l’espace résidentiel étudiant dans la genèse d’écarts sociaux de recrutement entre les seize universités publiques franciliennes. Des entretiens auprès d’étudiants inscrits à Paris 1 (Paris) et Paris 8 (Saint-Denis) soulignent les dimensions spatiale (distance), relationnelle (effet de pairs), et institutionnelle (sectorisation) qui font jouer la localisation résidentielle dans l’inscription à l’université. Outre cette importance de la distance dans les recrutements, associée à la localisation des sites dans des espaces sociaux contrastés, de tels écarts entre universités s’expliquent par une différenciation du rapport à l’espace local dans les arbitrages étudiants (évitement). Ce « sens du placement universitaire », qui s’appuie sur des capitaux sociaux et scolaires en évolution, permet d’interroger, par analogie avec les travaux sur l’enseignement secondaire, l’existence d’une « ségrégation universitaire » en Île-de-France.

Mots-clés

  • université
  • Île-de-France
  • ségrégation
  • étudiants
  • sens du placement
Español

Las diferencias sociales en la admisión estudiantil de las universidades de Île-de-France : ¿un proceso de segregación ?

Este artículo cuestiona los vínculos entre la división social del espacio residencial de los estudiantes y la aparición de distancias sociales en la admisión de las dieciséis universidades públicas de la región Île-de-France. Una serie de entrevistas hechas a estudiantes matriculados en las universidades de París 1 (en Paris) y de París 8 (en Saint-Denis) pone de relieve las dimensiones espaciales (distancia), relacionales (influencia de los compañeros) e institucionales (sectorización) que la ubicación residencial hace pesar sobre la matriculación universitaria. Las diferencias de inscripción entre universidades se explican no sólo por la importancia de la distancia en relación con la ubicación de los sitios universitarios dentro de espacios socialmente contrastados, sino también por la diferente relación que los arbitrajes estudiantiles (evitación) mantienen frente al espacio local. Este “sentido de la colocación universitaria” que se apoya en capitales sociales y escolares en evolución permite cuestionar, por analogía con los trabajos sobre la educación secundaria, la existencia de una “segregación universitaria” en Île-de-France.

Palabras claves

  • universidad
  • Île-de-France
  • segregación
  • estudiantes
  • sentido de la colocación

Références bibliographiques

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Leïla Frouillou [*]
Mis en ligne sur Cairn.info le 07/11/2014
https://doi.org/10.3917/esp.159.0111
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