Points forts
- Le frein principal à la coopération est l’inégalité des enjeux vis-à-vis de la formation (lancer une entreprise / s’initier à l’entrepreneuriat) amplifié par les disponibilités inégales entre les étudiants qui peuvent consacrer un temps plein au projet et ceux qui n’ont qu’une journée par semaine. La coopération ne prend forme qu’au sein des noyaux durs des équipes réunissant les étudiants les plus impliqués.
- La coopération est facilitée par quatre facteurs pédagogiques : la priorité de l’action sur des projets réels, le feedback régulier des partenaires permettant de croire au projet, le cadre de dialogue au sein de l’atelier de tissage hebdomadaire permettant d’affronter les difficultés en vérité et sans crainte, la formation d’un collectif d’apprentissage solidaire.
- L’impact de ce cadre coopératif sur les étudiants est une transformation de nature légèrement différente pour les deux populations d’étudiants. Les « Sciences Po » ont appris à s’engager davantage dans l’action et certains ont basculé vers l’entrepreneuriat. Les « 42 » ont progressé dans l’expression et la présentation de soi. Tous ont gagné en estime de soi par la compréhension de l’altérité.
1Mixer les profils au sein des équipes entrepreneuriales présente théoriquement de nombreuses vertus. D’une part, cela stimule la créativité et l’innovation qui surgissent d’associations inédites entre des idées issues d’univers divergents. D’autre part, l’apprentissage est maximisé lors d’un conflit cognitif entre ce qu’on sait déjà et des réalités surprenantes mais aussi lorsqu’on doit résoudre un problème à plusieurs et qu’on est confronté à des perceptions, connaissances et croyances divergentes chez ses co-équipiers. De plus, le travail en équipe est généralement perçu comme motivant pour les étudiants. Enfin en entrepreneuriat, la complexité et la nouveauté des problèmes exige une palette de compétences particulièrement variées qu’un seul individu ne peut mobiliser seul.
2Mais ces vertus théoriques ne correspondent pas forcément avec la réalité vécue par les étudiants en entrepreneuriat. Des recherches récentes mettent en évidence des perceptions d’efficacité groupale très variables dans les équipes d’étudiants en entrepreneuriat [1]. Certaines équipes peuvent être très efficaces au niveau de la réalisation du projet, mais révéler une grande souffrance du fait d’un manque d’entraide et de considération entre les membres [2]. Nos recherches les plus récentes [3] sur 13 équipes entrepreneuriales en business schools au niveau Master montrent que moins de la moitié parviennent à coopérer (6 équipes). En revanche, 2 équipes sur 13 mettent en œuvre une coordination autoritaire des tâches qui est loin d’être perçue comme coopérative et 5 équipes n’arrivent pas à coopérer du tout du fait d’une absence de leadership face aux passagers clandestins et aux sous-groupes d’origine multiculturelle ou de genre.
3À la lumière de ces résultats, il semble que coopérer dans une équipe soit d’autant plus compliqué que les participants divergent en termes de culture d’origine. Que faire alors quand les étudiants proviennent d’institutions différentes ? Nous examinons ici le cas limite d’une formation innovante rassemblant des étudiants de Sciences Po Paris et de l’école 42 pour créer des projets entrepreneuriaux réels. Même si les trois équipes mixtes réussissent à travailler ensemble, la coopération apparaît inégale et aboutit à des résultats différents. Qu’est-ce qui les différencie ? Qu’est-ce qui a freiné ou au contraire a aidé les étudiants à coopérer ? À partir de cette étude de cas, nous pourrons formuler quelques conclusions sur les conditions favorisant la coopération au niveau du cadre pédagogique et sur ses conséquences en termes d’acquis pour les étudiants.
4Mais avant de décrire le dispositif, la méthode utilisée pour l’analyser et ses résultats, une explicitation de la notion de coopération s’avère nécessaire.
Coopérer va au-delà de collaborer
5Collaboration et coopération sont souvent confondues car les deux notions sont voisines et leur définition ne fait pas consensus. Plusieurs revues de synthèse en sciences de l’éducation [4] permettent néanmoins de proposer quelques repères. Les deux approches partagent la visée de faire travailler les groupes dans un but commun en s’appuyant sur l’implication de tous, la responsabilité de chacun et l’interdépendance entre les membres. Mais l’interdépendance ne porte pas sur les mêmes objets, n’y est pas régulée de la même manière par les enseignants et ne correspond pas exactement aux mêmes valeurs et finalités.
6L’approche coopérative structure l’interdépendance au niveau des objectifs, des tâches, des ressources, des rôles et des récompenses, tandis que l’approche collaborative porte seulement sur les objectifs, les tâches et les ressources. Le philosophe de l’éducation Nicolas Go explique de plus que les deux approches mettent l’accent sur des finalités et valeurs distinctes : « Si dans la collaboration, c’est la production qui compte, la coopération enveloppe l’effectuation de la tâche d’une préoccupation de l’art de vivre ensemble, dont la valeur prend parfois le pas sur la production elle-même » [5]. Les deux philosophies supposent équité et réciprocité de la part des apprenants, mais la collaboration valorise plus la solidarité, tandis que la coopération valorise davantage la générosité et le partage. Il est assez facile de collaborer, a fortiori quand on se ressemble (mêmes codes, valeurs proches, mêmes manières de raisonner …) mais le résultat final et l’apprentissage du vivre ensemble risquent d’être limités. À l’inverse, coopérer est plus exigeant et d’autant plus difficile que les personnes sont très différentes. Mais le potentiel d’apprentissage est nettement plus élevé. La coopération entre les membres du groupe apparaît comme un idéal difficilement atteignable sans accompagnement spécifique. D’autant plus lorsque les différences sont fortes. Dans la recherche précédemment citée, certaines équipes comportaient une diversité de profils du fait de la présence de nationalités différentes. L’analyse des débriefings de ces étudiants montre que l’hétérogénéité culturelle a constitué pour certains, un frein à la coopération. Cette diversité culturelle n’avait pas été gérée par l’équipe d’enseignants, lesquels se situaient dans une approche collaborative laissant les groupes s’auto-organiser. La coopération en revanche ne se décrète ni ne s’impose, mais pourrait être favorisée par un dispositif propice.
7Le cas de la formation étudiée ici se situe dans une visée ambitieuse à cet égard car elle cherche spécifiquement à faire travailler ensemble des étudiants de profils très différents sur des projets entrepreneuriaux réels et surtout, propose un cadre pédagogique conçu pour favoriser un haut niveau de coopération. En quoi la diversité des profils d’étudiants pose-t-elle un véritable défi à la coopération ? Les problématiques d’implication et de leadership sont-elles influencées par les profils des membres des trois équipes observées ? Le cadre pédagogique posé a-t-il permis l’émergence d’équipes centrées sur la collaboration ou la coopération ? Comment ? La recherche présentée ici tente de répondre à ces questions.
Un cadre pédagogique innovant visant à construire la coopération
8Notre recherche s’appuie sur le dispositif de formation entrepreneuriale Matrice né dans le sillage de l’école 42, afin d’expérimenter l’entrepreneuriat sur des projets à forte composante numérique avec des étudiants issus d’institutions d’enseignement supérieur hétérogènes en relation avec des partenaires institutionnels [6]. Issu de la vision pédagogique sur l’environnement émancipant [7], il cherche à construire la coopération grâce à des rencontres authentiques entre éducateurs et apprenants. La posture spécifique des éducateurs, formalisée sous les concepts de tisseurs/ouvreurs [8], est le point d’ancrage d’une culture collective à base de reconnaissance des autres et d’horizontalité partagée entre toutes les parties prenantes du cadre de formation.
9Il s’agit d’une formation par l’action sur des projets en plusieurs étapes. Après un mois d’immersion dans une problématique générale en lien avec les enjeux des partenaires, les étudiants participent à un hackathon afin de faire émerger des projets. Puis ils se rencontrent une fois par semaine pendant 6 à 10 mois lors de séances de coaching en équipe apprenante (ateliers de tissage) afin de concevoir, tester et faire pivoter le projet en fonction des retours obtenus sur le terrain. Plusieurs rendez-vous avec des experts du secteur et de l’entrepreneuriat en général sont organisés en sus des ateliers de tissage (AT). Tout au long du projet, les étudiants sont copropriétaires de l’innovation avec le partenaire institutionnel. À la fin du programme, signalée par une grand-messe de clôture, ils décident ou non de s’engager sur un projet intra- ou entrepreneurial qui pourra être suivi au sein de l’incubateur ou directement dans l’entreprise partenaire. L’apport des étudiants codeurs de l’école 42 est essentiel dans le dispositif. Leurs compétences digitales sont nécessaires pour concrétiser les projets sous forme de prototypes testables.
10Le programme examiné fait partie des premières matrices réalisées. Il a une durée plus courte que les autres (6 mois entre janvier et juin 2017). Il a fait participer 30 étudiants issus de 3 institutions d’enseignement supérieur autour de projets sur le thème de la participation citoyenne, en relation avec deux institutions partenaires Facebook et la Ville de Paris. 6 équipes interdisciplinaires porteuses d’un projet distinct ont ainsi été accompagnées.
11Nous analysons ici l’un des deux ateliers de tissage (AT) mis en œuvre pour 15 étudiants [9] (8 de Sciences Po et 7 de 42, répartis en 3 équipes-projets) à partir de l’analyse qualitative de trois sources : le journal de bord du coach (comptes rendus des séances écrits à l’issue de chaque séance), les contrats d’apprentissage des étudiants rédigés en début de programme (écrits structurés autour de questions sur leurs apprentissages passés et les objectifs qu’ils se fixent pendant la formation) et les bilans d’apprentissage finaux écrits par les apprenants après la clôture (à partir d’un canevas de questions sur le projet réalisé). Les codages à partir de ces trois sources (notre corpus) ont été réalisés sur N-Vivo, conçus, vérifiés et analysés par deux chercheurs. Ils se découpent en 5 catégories de codes identifiant les 5 thématiques principales en lien avec les questions de recherche : controverses et problèmes vécus ; différences culturelles perçues ; évolutions personnelles ; perception du cadre ; vécu du projet ou programme. Ces codages ont permis un premier tri des verbatims étudiants/coach et ont ensuite fait l’objet d’une analyse qualitative (sémantique, textuelle et contextuelle) permettant par induction l’obtention des résultats présentés ci-dessous.
12Nous présentons ici les différences culturelles perçues entre les deux populations étudiantes et les tensions qu’elles ont générées pour la mise en place des projets d’équipe. Dans une deuxième partie, après avoir discuté de l’apparition ou non de phénomènes de collaboration ou de coopération, nous présenterons les facteurs qui ont favorisé le travail des équipes.
13Le premier constat qui ressort de nos analyses est le défi que représente la visée de faire coopérer sur des projets entrepreneuriaux des étudiants dont les cultures sont aussi opposées.
Les étudiants de 42 et de Sciences Po s’opposent radicalement
14Les différences de culture qu’on peut identifier dans les verbatims sont bien réelles. Elles concernent trois thèmes majeurs : la maîtrise du dialogue, le rapport à l’entrepreneuriat et le rapport à l’apprentissage.
15Ces éléments se combinent pour construire des enjeux vis-à-vis de la formation bien différents dans les deux groupes d’étudiants.
Inégalités dans le dialogue et la maîtrise de l’expression
16Les 42 ont des difficultés à prendre une place forte dans les AT comme dans les discussions en équipes. Ils sont bien moins à l’aise dans le dialogue et laissent naturellement l’espace aux Sciences Po dans la prise de parole.
La rencontre souhaitée n’est pas gagnée au départ. Les retours d’expérience des Sciences Po témoignent d’une curiosité pour le numérique, mais la perception d’une différence entre nous/eux est importante. Existe également un enjeu de contrôle entre les deux profils : la crainte d’être utilisé par les développeurs de 42 fait écho chez les Sciences Po à la frustration de ne pouvoir comprendre réellement leur travail. Cet enjeu se double d’une différence de rapport à l’entrepreneuriat.Extraits du Journal de bord du coach : « Deux des 42 sont muets, restant dans le « faire » technique. Les autres étudiants appuient SP-8. J’attends que les 42 sortent de leur retrait. »« Cette fois, c’est 42-3 qui présente l’avancement. SP-5 est en retard. À la fin, il dira merci à ce dernier d’avoir eu cette opportunité de parler.»
« SP-5 mène ses 3 42 tambour battant, elle laisse peu parler les autres et ne sait pas parler en « Je ». 42-4 et 42-2 ont de la répartie, mais ils semblent lutter pour s’imposer. »
« SP-7 a mobilisé la parole un bon moment suggérant des pistes de projet successives à partir du croisement géolocalisation/accès à la culture. »
Entrepreneurs vs. étudiants curieux de l’entrepreneuriat
17Nous observons un continuum de niveaux d’engagement vis-à-vis de l’entrepreneuriat opposant clairement les deux écoles : sur ce continuum, la majorité des 42 se situent dans les valeurs hautes par un engagement fort dans l’entrepreneuriat (ayant déjà accompli des expériences entrepreneuriales), les Sciences Po sont vers le bas (découverte de l’entrepreneuriat).
Résumé des plus fortes différences culturelles
Étudiants Sciences Po | Étudiants 42 | |
---|---|---|
Maîtrise du dialogue | Très maîtrisé | Peu de maîtrise |
Rapport à l’entrepreneuriat | Engagement faible (découverte) | Engagement fort (expériences entrepreneuriales) |
Rapport à l’apprentissage | Profils de bons élèves. La théorie d’abord | Autodidactes. Apprentissage par l’action (essai/erreur) |
Résumé des plus fortes différences culturelles
Rapport des étudiants des deux écoles à l’entrepreneuriat
École 42 | Sciences Po | |
---|---|---|
Serial entrepreneur a déjà lancé plusieurs entreprises | 42-1 42-5 | |
1ère expérience de type entrepreneurial a eu un emploi ou fait un stage de longue durée en start-up | 42-3 42-4 | SP-5 |
Futur entrepreneur n’a pas d’expérience mais déclare la ferme intention de devenir entrepreneur dans un futur proche | 42-6 42-7 | |
Envie forte mais sans passage à l’acte assiste à des présentations d’entrepreneurs mais hésite, n’a pas d’idée et ne sait comment faire | SP-7 | |
Découverte – ouverture professionnelle potentielle Vocation professionnelle jusque-là sans rapport avec l’entrepreneuriat, mais attrait et envie de faire un test | SP-2 SP-4 SP-1 | |
Sujet d’étude sans perspective professionnelle Enjeu de formation intellectuelle – vouloir comprendre | 42-2 | SP-8 SP-3 |
Rapport des étudiants des deux écoles à l’entrepreneuriat
18À cette opposition essentielle s’ajoute enfin un rapport à l’apprentissage radicalement différent, construit dans des systèmes de formation que tout oppose.
Autodidactes vs. bons élèves
19L’analyse qualitative des occurrences liées au rapport à l’apprentissage fait apparaître deux manières d’apprendre qui s’affrontent quasiment terme à terme entre l’apprentissage expérientiel autonome et proactif des 42 et l’apprentissage académique des Sciences Po.
20La conséquence de ces deux positionnements se traduit par un enjeu de la formation spécifique à chaque école.
Des enjeux de formation divergents
21Dans le tableau suivant, nous avons résumé les différences d’enjeux de formation apparues dans notre corpus à la fois vis-à-vis de l’entrepreneuriat en tant que carrière potentielle et en termes d’attentes de progression sur des compétences spécifiques.
Rapport des étudiants des deux écoles à l’apprentissage
École 42 | Sciences Po |
---|---|
Autodidacte Suivre une scolarité à domicile (42-1) | Profil du bon élève Aimer avoir des bons résultats scolaires (SP-5, SP-8) |
Apprendre par l’action Privilégier la pratique (42-6) | La théorie d’abord Se documenter d’abord, saisir le sujet intellectuellement (SP-1, SP-2, SP-7, SP-8) |
Essai – erreur – itération Avancer au feeling en fonction des opportunités, rebondir sur ce qui ne marche pas (42-1, 42-3, 42-4) | Va-et-vient entre théorie et pratique Adopter une posture réflexive confrontant observations et lectures. (SP-4, SP-7) |
Autonomie et proactivité Se débrouiller par soi-même pour apprendre de nouvelles techniques et méthodes (42-7, 42-1, 42-3) | Cadre structuré nécessaire Être habitué à penser dans un cadre structuré et ordonné avec des méthodes de recherche précises (SP-8) |
Sources de savoir multiples Se former par des cours en ligne et sur les réseaux sociaux (42-3, 42-4, 42-7) | Études internationales Parcours d’études supérieures dans plusieurs pays (SP-3, SP-6, SP-7, SP-8) |
Apprendre pour se challenger S’attaquer à ce qui fait peur, à l’inconnu, apprendre pour survivre (42-5, 42-4) | Apprendre pour se cultiver Rechercher des nouvelles connaissances pour comprendre le monde (SP-8, SP-6) |
Apprendre est un processus permanent Apprendre tout au long de la vie pour avancer et combler les savoirs manquants (42-5, 42-7) |
Rapport des étudiants des deux écoles à l’apprentissage
22Pour les 42, la formation constitue un apprentissage du faire équipe à la fois pour préparer un projet entrepreneurial dès maintenant ou pour plus tard, et pour compenser le cadre très individualiste de leur formation. Leur besoin de socialisation (amitiés, équipes durables…) est plus marqué que chez les Sciences Po qui s’appuient déjà sur des réseaux forts. Ils comptent aussi sur ces projets pour augmenter leurs compétences informatiques en cohérence avec leur système d’apprentissage expérientiel acquis à l’école 42.
23Les Sciences Po au contraire n’ont pas vraiment l’idée de monter un projet entrepreneurial, au mieux c’est une hypothèse opportuniste. Ils ont toutefois également un besoin d’apprentissage de nature sociale, mais celui-ci est plus tourné vers l’attrait pour le travail en équipe autonome par opposition à des relations hiérarchiques classiques. L’expérience est un test mais surtout un espace de découverte du mode de management entrepreneurial.
24Ainsi, nous avons là un cas extrême de différenciation culturelle de deux populations étudiantes. Tant dans les enjeux liés au programme de formation que dans le rapport à la communication et dans les représentations de l’apprentissage, les Sciences Po et les 42 se situent à l’opposé. Quelles tensions émergent de telles différences culturelles dans une équipe-projet ? La question est aussi de savoir si malgré ces oppositions et ces tensions, les étudiants vont réussir à s’initier suffisamment à l’approche de l’autre camp pour réussir à gérer leurs projets et à faire équipe. Ces populations vont-elles pouvoir se rencontrer ?
Enjeux de la formation pour les étudiants des deux écoles
École 42 | Sciences Po | ||
---|---|---|---|
Enjeux vis-à-vis de l’entrepreneuriat en termes d’avenir professionnel | Former une équipe pour lancer ou relancer une entreprise | 42-1 | |
Tester un projet qui pourrait perdurer (opportunisme) | 42-4 | SP-5 | |
Développer des compétences entrepreneuriales en vue d’un avenir potentiel en entrepreneuriat | 42-3 42-7 | SP-7 SP-4 SP-1 SP-3 | |
Développer des connaissances sur l’entrepreneuriat (culture générale non directement utile pour l’orientation professionnelle envisagée) | SP-8 SP-3 SP-2 SP-6 | ||
Compétences spécifiques à développer | Acquérir des techniques de développement informatique spécifiques (IA, chatbot, développement sur mobile…) | 42-6 42-1 42-7 | |
Savoir tisser des liens amicaux durables, former des équipes unies | 42-3 42-4 42-7 | ||
Apprendre à travailler en équipe autonome « sans chef », savoir se fixer soi-même ses objectifs | SP-3 SP-8 |
Enjeux de la formation pour les étudiants des deux écoles
Les différences culturelles créent des tensions dans l’accomplissement des projets
25C’est en examinant attentivement les récits de projet que l’on peut prendre la juste mesure des tensions récurrentes dans l’action. Deux grands thèmes reviennent de manière systématique : les inégalités d’implication liées à la place de la formation dans le curriculum et les divergences sur le sens des projets. Ces deux points de tension impactent directement le degré de coopération perçu, la configuration de leadership de chaque équipe et l’issue finale du projet.
Une problématique centrale d’inégalité d’implication
26Les équipes se sont constituées lors du hackathon de lancement sous la condition d’associer systématiquement des étudiants des deux écoles. Mais l’organisation curriculaire de Sciences Po et de 42 ne comportait pas les mêmes contraintes. Les 6 Sciences Po en M1 avaient un emploi du temps chargé laissant peu de temps disponible au projet, tandis que ceux en M2 (2 étudiants) ainsi que les 42 pouvaient s’y consacrer à temps plein. In fine, on constate que les étudiants se sont appariés en fonction de leur proximité d’enjeux vis-à-vis de l’entrepreneuriat reliés à leur disponibilité relative.
Implication dans les trois équipes de projet selon l’école

Implication dans les trois équipes de projet selon l’école
27Les problèmes d’implication résultants sont directement reliés à la disparité de disponibilité associée aux différences d’enjeux de la formation. Les étudiants les moins disponibles sont ceux qui participent au programme dans une optique de sensibilisation (surtout les Sciences Po), alors que les plus disponibles y voient des perspectives entrepreneuriales (surtout les 42). Ces derniers sont démotivés et découragés par le manque d’implication des premiers : « Ce fut pour moi un réel problème, bosser à plein temps sur un projet, se donner à fond, alors qu’on sait que derrière certaines personnes vont devoir arrêter est très démotivant. » (42-1). À l’inverse ceux qui ne peuvent pas s’impliquer suffisamment se sentent coupables : « Personnellement c’est une question qui m’a beaucoup occupé l’esprit, parfois même angoissée car je ne trouvais pas suffisamment de temps pour mener à bien les tâches que je voulais faire pour le projet » (SP-2).
28Une autre source de tension freinant la coopération entre les étudiants des deux écoles concerne la finalité des projets.
Un dilemme constant : projet à impact social vs. business ?
29Les projets ont tous affronté le dilemme : arbitrer entre un projet à impact social et une approche « business ». La résolution de cette controverse est liée à la confrontation entre les deux profils et dépend de deux facteurs : l’implication suffisante d’étudiants des deux écoles et la capacité à transformer le débat d’idées en tests concrets permettant de faire réagir des parties prenantes.
30Ceux qui ont fait le plus de pivots sont ceux qui avaient le plus de temps, le plus de perspectives professionnelles entrepreneuriales et valorisaient le plus l’approche entrepreneuriale itérative effectuale. Dans le projet V., l’étudiante de Sciences Po était fascinée par la démarche de pensée des 42. « Pour 42-4, rien n’est impossible : dès que nous avions une nouvelle idée, il cherchait à la réaliser techniquement et il réussissait. J’apprécie beaucoup cet état d’esprit très propre à 42 » (SP-5). Mais la résolution de la controverse s’est faite au prix de l’éviction d’un autre étudiant de 42, (trop) orienté business. « Avec le départ de 42-5 on devenait tout de suite plus flexibles, plus besoin d’avoir un projet où l’argent est central, mais un projet où le côté politique publique prime. » (42-4).
31Le projet C. a réussi à faire des pivots grâce à des tests de prototype dont la réalisation technique intéressait les 42. Ces tests progressifs ont été cruciaux pour enrôler des clients, mais aussi convaincre 2 des 4 étudiantes de Science Po dépassant ainsi l’« opposition que j’ai trouvée un peu stérile entre l’idée d’avoir un projet à impact social et de faire du business, pourquoi pas les deux ? ». (SP-4)
32Au contraire, l’équipe W. n’a pas réussi à réaliser de pivots du fait des résistances des Sciences Po, trop théoriques. Les visions divergentes du projet ont noyé l’équipe sans pouvoir avancer par l’action. « J’ai perçu qu’il y avait trois conceptions différentes de ce que nous devrions/aurions dû faire et qui ont continuellement perduré le projet » (SP-6).
33Au final, la coopération et la dynamique de leadership ne prennent pas la même tournure dans les trois équipes.
Agir ensemble : une coopération plus ou moins forte selon les équipes
34Une collaboration s’est mise en place rapidement du fait des compétences distinctives des deux profils dans toutes les équipes. « Dès le lendemain [du hackathon] il fallait présenter quelque chose. 42-5 s’était mis sur la partie développement, SP-5 sur la partie présentation et moi et 42-3 nous aidions suivant les demandes de chacun » (42-4).
35La coopération va plus loin. Elle suppose de concilier les contraintes de chacun pour faire œuvre commune. Elle repose sur un vocabulaire commun, une compréhension fine des enjeux des uns et des autres, l’envie de faire ensemble s’appuyant sur l’entraide et la confiance à long terme. Elle a été présente dans deux équipes sur trois. L’équipe W. n’a pas réussi à installer une vision commune du fait d’une trop grande disparité d’enjeux (cf tableau 4). Sur les deux autres projets, la coopération s’est traduite par un grand niveau de confiance et de responsabilisation vis-à-vis de l’équipe : « SP-5 restait sceptique sur le côté technique, mais je suis conscient de mes capacités et j’ai su trouver les mots pour la rassurer, lui montrer que tout est possible, techniquement j’en prends la responsabilité, j’en suis capable, l’équipe peut compter sur moi. » (42-4) « L’attitude de SP-2, SP-4 et SP-3 a été à mon sens particulièrement constructive. Leur manière de mettre en valeur les points positifs de chacun autant que de pointer franchement les marges de progressions a constitué pour moi un cadre idéal de progression personnelle. Et je les en remercie. (SP-1). ».
36La coopération a surtout émergé lors des AT dans le collectif réunissant les 3 équipes. Par exemple, un 42 de l’équipe C. a prêté un ordinateur portable à l’équipe V. pour la durée du projet afin qu’ils puissent travailler ensemble dans un même lieu. À l’occasion d’un pivot, l’équipe W. reçoit des encouragements et des propositions d’aide : « Les autres redisent à quel point cette idée de ballade leur plaît. Un membre d’une autre équipe se dit volontaire pour faire l’enregistrement d’une voix off. » (Journal du coach)
37L’analyse du leadership complète celle des degrés de coopération.
Un leadership diversement partagé
38Les trois équipes ont peiné à établir un leadership satisfaisant et efficace. C. et V. ont réussi à le faire, W. a échoué. Les problèmes de leadership ont été de différentes natures. La gestion des disparités d’implication correspondant au leadership organisateur a été très difficile à tenir dans les trois équipes car il fallait affronter le problème quasi insoluble de la disparité structurelle de disponibilité. D’autre part, la confrontation entre les deux écoles a généré des conflits sur la vision du projet (fonction de leadership visionnaire). Ces conflits ont toutefois été très structurants car leur résolution a conduit dans un même mouvement à des pivots importants sur le projet et à des reconfigurations d’équipe (départ ou réengagement d’un co-leader menaçant de partir). À l’inverse, l’évitement des conflits a mené l’équipe V. à tourner en rond. « Je pense que pour les Sciences Po, éviter le conflit était préférable, car si le projet était voué à ne pas continuer cela ne valait sûrement pas la peine de se dire les choses. » (42-7). Enfin, la fonction de leadership social a été prise en charge dans l’équipe C. par une étudiante de Sciences Po qui dit avoir adopté « une posture réflexive quant à mon leadership : recherche de bonnes pratiques et lecture de recherche sur les types de leadership, recueil des impressions de mes camarades, discussions en atelier de tissage. » (SP-4).
39Au final, les trois modèles de leadership (voir tableau 6) sont à mettre en correspondance avec les degrés d’implication et de coopération perçus impactant la poursuite du projet après la fin de la formation. Les deux équipes les plus coopératives ont négocié des relations partenariales permettant de financer la poursuite du projet et les étudiants du noyau dur s’organisent pour pouvoir y consacrer entre 6 mois et un an de plus.
Synthèse du fonctionnement des 3 équipes

Synthèse du fonctionnement des 3 équipes
40Ainsi la coopération est indissociable d’une forte implication et de la mise en place d’un leadership géré de façon consciente et reconnu par les membres du groupe. Elle détermine la possibilité de poursuivre le projet. Deux équipes sur trois ont réussi ce challenge. C’est une proportion bien supérieure à la moyenne des dispositifs éducatifs en entrepreneuriat classiques. Pourtant l’exercice était d’autant plus difficile que les profils des étudiants impliqués étaient opposés et qu’il fallait surmonter une disparité structurelle des disponibilités. Quels éléments du dispositif pédagogique peuvent expliquer l’émergence d’un tel niveau de coopération ? Quatre facteurs principaux de facilitation de la coopération se dégagent de l’analyse des verbatims.
Quatre facteurs pédagogiques ont facilité la coopération
41La pédagogie spécifique du dispositif Matrice, inspirée de Paolo Freire et de sa pédagogie de l’autonomie [10], a été conçue à partir de recherches sur différents dispositifs de formation à l’innovation et à l’entrepreneuriat [11]. Visant explicitement l’émergence de groupes coopératifs, elle repose sur 4 partis-pris pédagogiques : l’apprentissage par l’action, l’importance accordée au dialogue, la présence de réels enjeux pour les projets (partenaires économiques impliqués) et l’attention portée à la création d’un collectif. Dans le cas étudié, ces partis-pris ont-ils été pertinents pour développer la coopération ?
La logique de l’action
42L’action met à l’épreuve, permet de se tester et exige une réponse. L’observation montre que les équipes ont avancé et résolu leurs divergences dans la pratique à travers les essais et les pivots. Les petits succès ont aidé à dédramatiser les tensions et les erreurs et à apprendre en comparant les actions réussies et celles qui n’ont pas donné les résultats escomptés.
« Ils sont passés à l’action, clairement. C’est comme des chiens fous. Ils se préparent au sprint. Ils prennent un bon rythme, ils échangent beaucoup ce qui est génial. L’ambiance est à l’effervescence. »
L’action est évaluée sur la base du retour des partenaires. L’analyse des verbatims démontre que ces derniers ont joué un rôle important pour entretenir la spirale vertueuse de l’action coopérative des équipes.« Pour l’équipe C., plusieurs étudiants ont verbalisé qu’ils doivent changer de manière de penser leur projet : créer un truc imparfait de manière intuitive pour réfléchir à partir de cette expérience, bref se lancer dans l’action plutôt qu’étudier toutes les facettes du problème, choisir, concevoir et lancer ».
Les partenaires, amplificateurs du fonctionnement de l’équipe
43Les bonnes relations avec les partenaires ont provoqué de la confiance et de l’enthousiasme, ont donné de l’énergie et renforcé la cohésion de l’équipe. Les retours du partenaire ont constitué une étape clé dans la réalisation du projet : cela a permis de reconnaître la valeur du projet en dehors de l’équipe et lui a donné sa crédibilité et une réelle valorisation. Pour croire et s’investir dans leur projet, les équipes avaient besoin de clients réels.
« Le RV a eu lieu le 19 et s’est très bien passé. Ils nous ont proposé de faire de la pub pour nous, de valider scientifiquement nos scénarios ainsi que de tester notre produit. »
45À l’inverse, des retours négatifs ou un manque d’intérêt manifesté par les partenaires génèrent de la méfiance et révèlent les tensions dans l’équipe et ses défaillances. Cependant nous avons observé qu’une équipe unie qui croit en son projet résiste mieux aux retours négatifs :
« 42-4 prend la parole et explique qu’ils ont eu un gros échec auprès d’un investisseur « Vous voulez changer le monde mais moi je veux gagner de l’argent et votre projet ne m’intéresse pas ! ». Ils ont pleuré mais rebondi. »
47Avoir des interlocuteurs multiples permettait également de se forger un esprit critique :
« Les critiques ont pu susciter des divisions dans l’équipe. Mais il a été important pour moi d’apprendre que ce n’est pas parce qu’un expert critique votre projet qu’il faut forcément l’écouter. »
49L’analyse de l’action et l’interprétation des évaluations reçues s’est produite à travers le dialogue mis en place au sein de l’atelier de tissage. Nous avons constaté le rôle central du tisseur pour ouvrir l’espace nécessaire à cette réflexivité.
Le cadre du dialogue posé par le tisseur
50Le tisseur est un coach garant pendant les AT d’un cadre précis de dialogue comprenant les 4 éléments suivants : l’écoute active, la bienveillance, la suspension du jugement et la parole authentique. Le but est de dialoguer en vérité, mais sans crainte, sur les blocages, les erreurs, les doutes etc. Les verbatims montrent que de nombreux conseils sont échangés à partir de l’exposé des projets, de leurs avancées ou difficultés. « Ce qui leur plaît est de voir que tout le monde a avancé, qu’ils peuvent confier leurs questions (voire leurs doutes), tout le monde peut poser des questions. » Journal du coach
51D’autre part, le dialogue pratiqué en AT permet d’entraîner les capacités relationnelles des étudiants nécessaires à l’établissement d’une coopération au sein des équipes. Ce qui se pratique en AT a été ensuite répercuté dans les équipes. « Prendre quelques heures par semaine pour faire le point sur l’équipe, sur les soucis, et les résoudre avant que ce ne soit trop tard permet d’éviter à de nombreuses équipes d’imploser avec le temps. » 42-1
52Par voie de conséquence, dans les rapports finaux, les étudiants focalisent l’essentiel de leur apprentissage sur la thématique de la communication : communiquer en public, communiquer avec son équipe, communiquer dans le groupe (AT). C’est aussi vrai pour les étudiants de Sciences Po que pour les étudiants de 42, même si les premiers étaient plus à l’aise que les seconds dans la prise de parole au sein de l’AT et dans l’écriture sur eux-mêmes (6 occurrences dans le rapport à soi côté 42 contre 24 pour les Sciences Po).
« Durant ces mois, j’ai fait des efforts pour m’exprimer sur les désaccords que j’ai pu avoir, et je pense que cela a été constructif et enrichissant. »
« Je me suis trouvée à plusieurs reprises à devoir pitcher le projet pour notre équipe. Si prendre la parole n’est pas un problème pour moi, c’est peut-être la première fois que j’ai sincèrement aimé me prêter à l’exercice où j’ai trouvé une sérénité inattendue. »
« Je n’ai pas osé m’impliquer plus que cela dans la gestion de l’équipe alors que j’en avais fait un de mes objectifs (même si j’ai vu tout ce qu’il ne faut pas faire). »
56En accord avec la vision pédagogique du programme Matrice, la qualité de l’écoute et de la communication ont été entretenues consciemment par le tisseur afin de créer des rencontres authentiques et de renforcer la cohésion du groupe.
L’attention portée à la formation d’un collectif uni
57Les verbatims montrent qu’il y a eu de véritables rencontres créant de la confiance, des sentiments de gratitude et donc de l’engagement. Le collectif mis en place au sein de l’AT et reproduit dans les équipes, loin de nier l’individualité de ses membres, a garanti une reconnaissance spécifique. Ces différents éléments ont dessiné un cadre coopératif où chacun se sentait reconnu à la fois comme partie du collectif et dans sa singularité pleine et entière. Le travail central s’est joué dans la reconnaissance de soi et des autres.
« Les équipes évoluent différemment selon les contraintes. Elles sont demandeuses de comprendre ce qui se joue chez les autres tout en ayant besoin qu’on prenne soin de chacune. »
« L’attitude de certains membres a été à mon sens particulièrement constructive. Leur manière de mettre en valeur les points positifs de chacun autant que de pointer franchement les marges de progression a constitué pour moi un cadre idéal de progression personnelle. Et je les en remercie. »
60La coopération a fait naître la confiance, permettait de se sentir porté et donnait envie de se dépasser. A émergé une réelle fierté de réussir à construire ensemble un projet qui fait sens pour tous, un bonheur à être d’accord en équipe (ce qui était loin d’être gagné à la base).
« L’équipe est particulièrement ravie d’avoir trouvé un sens à son projet. »
« L’idée fut adoptée par l’équipe très vite, je savais que c’était quelque chose de beaucoup plus motivant pour moi. J’ai eu un regain d’énergie, je n’avais tout simplement plus peur des réactions des gens, de comment j’allais bien pouvoir défendre mon idée. J’ai tout simplement adhéré à une idée dans laquelle je croyais vraiment et forcément tout ce que je faisais avait désormais beaucoup plus de sens. »
« Toute l’équipe est d’accord et en 48h les nouvelles idées fusent. C’est très stimulant. »
63Nous constatons in fine qu’une transformation personnelle s’est opérée tant dans le rapport à soi (31 occurrences) que dans le rapport aux autres (25). Il semble que se confronter à un engagement collectif en toute conscience sur un temps long et dans le cadre d’actions à mener permet de s’auto-déterminer, de mieux savoir ce que l’on veut et d’être capable de le faire respecter. Les Sciences Po, plus à l’aise dans l’expression de leurs ressentis, le verbalisent massivement :
« Toutefois, je ne souhaite pas perdre le sens de mes actions. Si je comprends les logiques de maximisation d’un chiffre d’affaires, celles-ci ne sont pas suffisantes pour me permettre d’apprécier mon travail quotidien. »
« Je réalise que lorsque je crois vraiment en quelque chose, je peux y consacrer beaucoup de temps et d’énergie même si les opportunités n’affluent pas en masse et que j’ai d’autres contraintes personnelles. »
« Enfin, j’ai appris que j’étais infiniment libre et capable de réaliser ce que je souhaitais entreprendre (empowerment comme j’aurais dit à l’ONU). »
« J’en ai surtout beaucoup appris sur moi et sur ce que j’aimais faire, sur ce qui me faisait lever le matin et ce qui ne le faisait pas. »
68Ainsi, une ouverture du champ des possibles s’est effectuée, notamment pour les Sciences Po. Avoir vécu une « aventure » pleine d’incertitudes leur a permis d’avoir moins peur du flou et de l’inconnu pour la suite.
« Cette aventure s’est révélée étonnamment déterminante pour mon futur proche. Alors que je m’apprêtais à partir à Berlin pour ma deuxième année de master, je reste finalement à Paris et décale mon départ. À partir de septembre, notre start-up va donc travailler à l’élaboration d’un premier outil de simplification administrative pour l’entreprise N. À moyen et long terme, mon futur est peut-être encore plus flou qu’auparavant. Cette année sera sûrement déterminante pour mes envies professionnelles. Il est possible que j’aie une révélation pour l’entrepreneuriat et le travail en start-up. Il est tout autant possible que je choisisse de retourner dans la voie que j’ai jusqu’ici toujours imaginée pour moi, celle de la fonction publique française et des concours. Que je m’oriente vers l’une ou l’autre de ces options, je sais en tout cas que cette année s’annonce riche en apprentissages, ne serait-ce que parce qu’elle constitue pour moi une toute première expérience du secteur privé. Ces six mois me permettent d’aborder cette nouvelle aventure sereinement, et surtout avec envie ! »
La coopération bénéfique pour le projet et les participants
70Au terme de cette recherche sur un cas « limite » de formation entrepreneuriale faisant cohabiter des étudiants que tout semble opposer, nous avançons que le dispositif pédagogique doit viser la création d’un espace commun coopératif. Nous avons montré en effet dans cette étude que des équipes présentant un fort niveau de coopération (fondée sur la confiance, la responsabilisation, l’entraide et la reconnaissance des autres) au-delà d’une simple collaboration (relevant d’une division du travail efficace), sont caractérisées par une forte implication et l’établissement d’un leadership reconnu au sein du noyau dur de l’équipe. Cette coopération n’est pas née spontanément, elle s’est construite après une première étape spontanément collaborative grâce à l’approche pédagogique pratiquée. Les équipes ont été nourries par la coopération développée en ateliers de tissage (AT), laquelle s’est répercutée au sein des équipes.
71Un haut niveau de coopération a deux conséquences majeures. Tout d’abord, la coopération apparaît comme un facteur de pérennisation du projet entrepreneurial. Les projets les plus coopératifs sont aussi les plus durables. Une autre conséquence importante est identifiable au niveau identitaire. Certains étudiants ont fait basculer leurs perspectives professionnelles en faveur de l’entrepreneuriat. Tous ont évolué dans leur rapport au savoir et aux autres. Pour les deux populations étudiées, 42 et Sciences Po, la confrontation à l’altérité cadrée par un dispositif conçu à cette fin a permis de faire émerger un esprit critique, de s’ouvrir et, de fait, de transformer son rapport au monde et à son avenir.
72Ainsi, les bénéfices issus de la coopération sont visibles tant au niveau du projet créé qu’au niveau des participants : les verbatims montrent que la représentation de leur identité socio-professionnelle a évolué. Or, dans la question du devenir entrepreneur, il nous semble justement qu’au-delà de l’acquisition de compétences spécifiques à un métier, les vrais enjeux des formations à l’entrepreneuriat portent sur un travail identitaire à réaliser.
Notes
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[1]
O’Shea, Noreen, Caroline Verzat, et Maxime Jore. Teaching proactivity in the entrepreneurial classroom. Vol. 29, 2017. https://doi.org/10.1080/08985626.2017.1376515.
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[2]
Stéphane Foliard et Sandrine Le Pontois, « Équipes entrepreneuriales étudiantes : comprendre pour agir », Entreprendre & Innover 33, no 2 (2017): 44-54, https://doi.org/10.3917/entin.033.0044.
-
[3]
Caroline Verzat et Noreen O’Shea, « Coopérer dans une équipe de projet entrepreneurial : une affaire de leadership ? », in Actes du Colloque Questions de Pédagogie dans l’Enseignement Supérieur (Brest, 2019).
-
[4]
Nous nous appuyons ici sur les synthèses de A. Baudrit, (2007) « Apprentissage coopératif/Apprentissage collaboratif : d’un comparatisme conventionnel à un comparatisme critique. », Les Sciences de l’éducation – Pour l’Ère nouvelle, 1, no 40, p115-36; M. Peyrat-Malaterre (2011) Comment faire travailler efficacement des élèves en groupe, tutorat et apprentissage coopératif, Bruxelles: De Boeck ; N. Davidson, et C.H. Major, (2014) « Boundary Crossings: Cooperative Learning, Collaborative Learning, and Problem-Based Learning », Journal on Excellence In College Teaching 3-4, no 25: 7-55.
-
[5]
N. Go (2013) « Approche coopérative et complexe en éducation », in Oser la pédagogie coopérative complexe, Chronique Sociale (Lyon: Sumputh, M. & Fourcade, F., 47-80. p. 52
-
[6]
Verzat, C. (2016). Notre modèle est ouvert et centré sur l’humain. Entreprendre & Innover, 4(31), 36-42.
-
[7]
Liu, T. (2018). Les formations à l’innovation entre tradition et rupture. Thèse de doctorat en sciences de l’éducation de l’université Paris-Saclay. Cachan.
-
[8]
Liu, T., Guirriec S., Patillon R. et Ruiz-Bowen A. (2019). Un environnement émancipant pour apprendre à coopérer : le cas Matrice. 10ème Colloque Questions de Pédagogie dans l’Enseignement Supérieur. Brest.
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[9]
Un 16ème étudiant de Sup Internet était présent au départ mais a quitté le programme au bout de quelques séances. Nous l’avons écarté de l’étude par manque de données à son sujet.
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[10]
Freire, P. (1974). Pédagogie de l’autonomie. Toulouse : Editions Erès
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[11]
Liu, T. (2018). Doctorat. Op. cit.