CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Les points forts

  • Lorsqu’un dispositif pédagogique s’adresse à un public de jeunes encore éloignés de l’insertion professionnelle, s’intéresser à leur intention entrepreneuriale est prématuré : l’évolution de leur attitude vis-à-vis de l’entrepreneuriat est, dans ce contexte, un critère plus pertinent.
  • L’attitude vis-à-vis de l’entrepreneuriat peut se définir comme une combinaison de trois éléments relatifs à ce que l’on sait (cognitif), ce que l’on ressent (affectif) et à l’expérience que l’on a en lien avec l’entrepreneuriat.
  • L’attitude des lycéens vis-à-vis de l’entrepreneuriat est plus positive après leur participation au jeu concours ; cette évolution contribue à les préparer à leur future insertion professionnelle en les rapprochant du monde de l’entreprise.

1La pédagogie par l’action est fréquemment mobilisée lorsqu’il s’agit d’enseigner ou de sensibiliser à l’entrepreneuriat [1]. Qu’il s’agisse de jeux concours ou de modules d’enseignement, cette pédagogie met les apprenants en situation d’agir et d’apprendre de leur expérience. Comme pour tout dispositif pédagogique se pose alors la question fondamentale du choix des critères d’évaluation, la mesure de l’intention entrepreneuriale étant l’un des critères les plus souvent retenus, avec des résultats inégaux [2].

2La recherche en pédagogie de l’entrepreneuriat pose la question de l’évaluation depuis plus d’une décennie. Son actualité se trouve aujourd’hui renforcée par le déploiement important d’actions de sensibilisation et de formation à l’entrepreneuriat au sein des établissements de formation du supérieur d’abord avec les dispositifs Pépites [3], et plus récemment du secondaire avec les « Parcours Avenir » [4]. Ainsi, dans les établissements du secondaire, la stimulation à l’esprit d’entreprendre [5] est encouragée de manière transversale avec les objectifs de : « découvrir le monde économique et professionnel, développer le sens de l’engagement et de l’initiative, élaborer son projet d’orientation scolaire et professionnelle ».

3C’est dans ce contexte que s’inscrit notre recherche sur un jeu concours porté par le Rectorat de la région académique Nouvelle-Aquitaine, où des lycéens, en équipe, découvrent l’entrepreneuriat par l’action en imaginant un projet de création d’entreprise. Sur ce jeune public, encore éloigné de l’insertion professionnelle, la question de l’intention entrepreneuriale semble prématurée. En revanche, en amont de l’intention, on peut analyser l’effet de jeux/sensibilisation sur les représentations de l’entrepreneuriat des élèves et plus précisément sur leur attitude vis-à-vis de l’entrepreneuriat, l’attitude étant un des déterminants de l’intention [6].

4Cet article adresse donc la question suivante : quel est l’effet d’un dispositif pédagogique sur l’attitude vis-à-vis de l’entrepreneuriat des apprenants ?

Choisir le critère de l’attitude vis-à-vis de l’entrepreneuriat pour évaluer un dispositif pédagogique

5Si aujourd’hui la question de l’évaluation de la formation se pose de manière plus systématique, elle n’en demeure pas moins difficile à traiter pour diverses raisons. L’une d’entre elles relève de la diversité et de la singularité des contextes pédagogiques étudiés, en matière de publics, de contenu des formations, des objectifs de celles-ci et des méthodes employées. Cette diversité rend difficiles la comparaison et la généralisation des résultats [7]. Ce constat peut s’expliquer par la grande variété des critères à évaluer et par la difficulté à définir ces derniers. Certains termes sont parfois employés de manière interchangeable : aptitudes, attitudes, comportements, compétences, caractéristiques, connaissances, capacités, traits, motivations, savoir-faire, intention… ou encore dans la littérature anglo-saxonne : skills, attitudes, competencies, behaviors, mindset[8].

6Dans cette variété de critères, l’intention entrepreneuriale apparaît comme l’un des concepts les plus étudiés et les mieux définis par la recherche [9]. Cette attention peut s’expliquer par l’existence d’un soubassement théorique solide permettant de l’évaluer : le modèle théorique du comportement planifié d’Ajzen (1991). Dans ce modèle, le comportement d’un individu est en effet directement déterminé par son intention de l’adopter, l’intention étant elle-même déterminée par trois facteurs interconnectés que sont les attitudes associées au comportement, les normes subjectives et les perceptions du contrôle comportemental (cf. figure 1).

Figure 1

Le modèle du comportement planifié

Figure 1

Le modèle du comportement planifié

(Ajzen, 1991, p. 182)

7Quand l’étudiant est proche de l’insertion professionnelle l’intention est un critère pertinent pour évaluer l’effet d’un dispositif pédagogique en entrepreneuriat. En revanche, auprès d’apprenants plus éloignés de l’insertion professionnelle (notamment les collégiens et les lycéens), la mesure de l’intention d’entreprendre semble prématurée. Il faut ici s’inscrire dans les objectifs des sensibilisations conduites auprès de ces publics, dont le but est moins de « fabriquer des entrepreneurs » que d’ouvrir des perspectives et de stimuler l’esprit d’entreprendre. Il est alors pertinent de se situer plus en amont et de s’intéresser à l’effet de la pédagogie sur les déterminants de l’intention. Ainsi, notre recherche prend comme indicateur l’attitude vis-à-vis de l’acte d’entreprendre. Dans le modèle théorique du comportement planifié, l’attitude d’une personne à l’égard d’un comportement est définie comme l’évaluation (favorable/défavorable) du comportement concerné [10].

8Notre travail respecte le modèle du comportement planifié, en y apportant des éléments provenant de la psychologie, où l’attitude est le plus couramment modélisée en trois dimensions (cognitive, affective et comportementale) [11]. Ainsi, vis-à-vis de l’entrepreneuriat, l’attitude comporte :

  • une dimension cognitive, qui correspond à ce que le répondant sait de l’entrepreneuriat ;
  • une dimension affective, se référant aux sentiments que l’entrepreneuriat inspire au répondant ;
  • et une dimension comportementale ou conative, portant sur les expériences passées ayant un lien avec l’entrepreneuriat.

9Afin d’étudier l’effet d’un dispositif pédagogique (cf. encadré « Le terrain de la recherche ») sur l’attitude des élèves vis-à-vis de l’entrepreneuriat, nous avons procédé en deux temps. Nous avons choisi de mener une étude quantitative auprès de l’ensemble des élèves participant au dispositif, afin de comparer leur attitude vis-à-vis de l’entrepreneuriat à celle d’un groupe d’élèves n’ayant pas participé au jeu. En parallèle, afin de qualifier les changements éventuels d’attitude induits par le jeu, nous avons conduit une étude qualitative mobilisant l’outil des cartes mentales auprès d’élèves, avant et après leur participation au dispositif, dans trois établissements pilotes.

Le terrain de la recherche : un jeu concours de création d’entreprise dans l’enseignement secondaire

Le terrain de la recherche retenu se déroule sur une année scolaire. Il s’agit du jeu « Créons ensemble » du dispositif Osez l’entrepreneuriat piloté par le Rectorat de la région académique Nouvelle-Aquitaine. Ce dispositif pédagogique de sensibilisation à l’entrepreneuriat met des élèves d’établissements secondaires en situation de concevoir en équipe des projets innovants. Il commence, dès la rentrée scolaire, par une phase de présentation du dispositif dans les établissements d’enseignement secondaire. En décembre, les équipes d’élèves qui participent au concours à la demande de leur enseignant concrétisent leur engagement par la remise d’une fiche descriptive de leur idée.
Sur la base de cette idée, les élèves imaginent un projet entrepreneurial qu’ils formalisent grâce à une plateforme numérique. Cette plateforme met à leur disposition une application dédiée, gratuite et collaborative, qui les guide, avec des questions simples et des exemples, dans la réflexion et la rédaction de leur Business Model. En fin d’année scolaire, les élèves remettent un document édité à l’aide de l’application. Ce document prend la forme d’un texte synthétique de 9 paragraphes agrémentés d’illustrations (schéma, tableau, photo,…) racontant le Business Model de leur projet. Les élèves présentent oralement leur projet en équipe devant un jury qui récompense, au niveau régional, les meilleurs projets.

Mesurer l’évolution de l’attitude vis-à-vis de l’entrepreneuriat

10Puisant dans le courant de la psychologie tripartite de l’attitude, nous avons défini le concept d’attitude vis-à-vis de l’entrepreneuriat nécessaire à son opérationnalisation. Sur cette proposition théorique, nous avons bâti la grille soumise aux élèves ayant participé au jeu, en comparant leurs résultats à ceux obtenus auprès d’élèves n’ayant pas participé au jeu.

11Cette grille a été testée auprès de l’ensemble des participants avec un groupe de contrôle. Le questionnaire a été administré à la totalité des 291 élèves ayant participé au jeu en 2017 et en 2018, de la seconde au BTS. Le groupe de contrôle comporte 248 élèves de niveaux comparables et n’ayant pas participé au jeu. Les données ont été collectées en ligne (auto-administration) juste après la participation des élèves au jeu. Elles ont été comparées à celles du groupe de contrôle selon une analyse de variance à un facteur (le facteur étant la participation au jeu avec deux modalités, avoir participé ou non).

12La grille et les résultats pour chaque item sont présentés dans le tableau 1.

Tableau 1

Test de comparaison de moyennes sur les trois dimensions de l’attitude

Groupe de contrôle absence de jeu (n = 248)Participation au jeu (n = 291)
ITEMSMoyenneÉcart-typeMoyenneÉcart-type
Item général d’attitude vis-à-vis de l’entrepreneuriat1- En général, j’estime qu’entreprendre est positif/négatif.5,6091,1155,729 ns1,099
DIMENSION COGNITIVE[12]
Ce que je connais de l’entrepreneuriat.
2- Je pense savoir ce que c’est qu’entreprendre.4,4681,2724,757***1,183
3- Je pense connaître le rôle des entrepreneurs dans la société.4,3351,4384,541*1,260
4- Je pense connaître les raisons pour lesquelles certaines personnes entreprennent.4,7941,4825,127***1,321
5- Je pense savoir à quoi ressemble le quotidien d’un entrepreneur.4,0281,6604,322**1,559
6- En général, je pense qu’entreprendre est [Ingrat]5,4681,1935,575 ns1,225
DIMENSION AFFECTIVE[13]
Ce que je ressens vis-à-vis de l’entrepreneuriat.
Indiquez votre degré d’accord ou de désaccord avec les émotions que vous ressentez vis-à-vis de l’entrepreneuriat :
7- Amusant
3,5811,5063,866**1,555
8- Satisfaisant5,0201,2514,901 ns1,469
9- Valorisant5,6331,2235,517 ns1,405
10- Attirant4,6011,5524,729 ns1,447
11- Enthousiasmant4,4801,4114,627 ns1,427
12- Est source de plaisir4,0561,4914,175 ns1,614
13- Fait peur3,9521,9214,411***1,863
14- Stressant4,7621,8014,918 ns1,757
DIMENSION CONATIVE[14]
Ce que j’ai vécu en lien avec l’entrepreneuriat.
15 [15]- Lorsque j’ai vécu des expériences entrepreneuriales, ces expériences ont été positives.4,5721,8874,948**1,434
16- Jusqu’à présent, j’ai volontairement cherché à vivre des expériences liées à l’entrepreneuriat.2,9481,7053,616***1,722

Test de comparaison de moyennes sur les trois dimensions de l’attitude

Echelle de Likert en 7 points allant de (1) pas du tout d’accord à (7) tout à fait d’accord
Pour les items 1 et 6 : échelle sémantique différentielle en 7 points.
***: différence de moyenne significative au seuil de 1 %
** : différence de moyenne significative au seuil de 5 %
* : différence de moyenne significative au seuil de 10 %
ns : non significatif au seuil de 10 %.

13La moyenne de l’item relatif à l’attitude en général est légèrement supérieure chez les participants au jeu (5,729) par rapport au groupe de contrôle (5,609). Cette différence n’est pas significative sur le plan statistique. Les moyennes de tous les items de la dimension cognitive sont supérieures chez les participants et de manière très significative pour deux d’entre eux. Les résultats de la recherche montrent l’influence du jeu sur leur connaissance de l’entrepreneuriat.

14Les résultats soulignent que le côté ludique du jeu concours déteint sur la perception de l’entrepreneuriat par les participants. Ils ressentent l’entrepreneuriat comme étant plus amusant que les non participants. Les participants semblent ressentir davantage de peur vis-à-vis de l’entrepreneuriat que ceux du groupe de contrôle. Plusieurs éléments expliquent ce résultat. La formulation de l’item étant négative, un biais a pu apparaître dans les réponses. Le questionnaire a été administré à une date très proche de la soutenance orale en public des projets. Cette proximité dans le temps peut avoir induit une inquiétude chez les participants. Enfin, les connaissances acquises via l’expérience du jeu peuvent avoir suscité chez les participants une perception accrue des risques et des enjeux inhérents à l’entrepreneuriat.

15Le test de la grille indique un effet sur le plan conatif. La proportion des élèves qui disent avoir vécu une expérience en lien avec l’entrepreneuriat est très nettement supérieure dans le groupe des participants au jeu. Elle s’élève à 59,1 % contre 37,9 % chez les non participants (test du khi-deux significatif, p<0,0001). Ce résultat démontre que les élèves ont assimilé leur participation à « Créons ensemble » à une véritable expérience entrepreneuriale. Les expériences entrepreneuriales vécues par les participants (dont le jeu fait vraisemblablement partie) sont jugées plus positives que celles vécues par les élèves du groupe de contrôle (tableau 2).

Tableau 2

Proportion des élèves déclarant avoir eu une expérience liée à l’entrepreneuriat

GROUPESJ’ai déjà vécu des expériences liées à l’entrepreneuriat
nonOui
Participants au jeu (n1 = 291)40,9% (119)59,1% (172)
Groupe de contrôle (n2 = 248)62,1% (154)37,9% (94)

Proportion des élèves déclarant avoir eu une expérience liée à l’entrepreneuriat

Visualiser l’attitude vis-à-vis de l’entrepreneuriat grâce aux cartes mentales

16Parallèlement à l’étude quantitative, dans trois classes d’établissements pilotes, nous avons proposé à 73 élèves de réaliser individuellement des cartes mentales. Une carte mentale est un outil visuel associant, par des liens, des mots et des illustrations afin de représenter des idées de manière créative et ludique [16]. Sa mobilisation nous a semblé un complément qualitatif pertinent à l’étude quantitative face à des lycéens peu enclins à la rédaction. Ce choix se trouve conforté par l’intérêt largement démontré des cartes mentales en contexte pédagogique pour favoriser l’apprentissage, améliorer l’acquisition de savoirs, développer la créativité, organiser des idées et favoriser les conditions de l’apprentissage [17] et par son utilisation en entrepreneuriat par exemple lors d’une phase d’idéation [18]. Ainsi, les cartes mentales ont été construites individuellement par les élèves en leur demandant de partir du mot « Entrepreneuriat », placé au centre d’une feuille, puis d’y associer tout ce qui leur venait à l’esprit (mots et illustrations) en dessinant autant de branches ou de sous-branches qu’ils le souhaitaient.

Figure 2

Exemples de cartes mentales

Figure 2

Exemples de cartes mentales

Méthodologie : le traitement des données des cartes mentales

Les données qualitatives contenues dans les cartes mentales ont fait l’objet d’un traitement quantitatif et qualitatif. Dans un premier temps, nous avons constitué un dictionnaire des données en inventoriant tous les mots mobilisés par les élèves. Pour chaque mot, nous avons enregistré dans la base son degré d’éloignement avec le mot central. Le niveau 1 (N1) a été affecté aux mots les plus proches du centre, et ainsi de suite jusqu’au niveau 5 (N5), éloignement maximal observé sur les cartes étudiées dans cette recherche. Nous avons par ailleurs recensé tous les liens entre les mots en tenant compte de leur degré d’éloignement du centre (L1-2 par exemple). Ce relevé précis nous a permis de mettre au jour l’existence de « boucles » (B) qui lient de manière circulaire au moins trois mots entre eux (figure 3).
Une fois l’ensemble de ces traitements faits, pour analyser les données, nous avons réalisé des comparaisons avant-après à la fois des comptages effectués mais aussi des cartes elles-mêmes et des commentaires verbalisés par les élèves et leurs enseignants afin d’observer l’évolution des attitudes à travers les représentations des participants au jeu.
Figure 3

Exemple codé de carte mentale

Figure 3

Exemple codé de carte mentale

Source : Figure réalisée à partir de la carte mentale d’un élève de classe de première après sa participation au dispositif.

17Les données collectées mettent en évidence une progression dans l’attitude des élèves vis-à-vis de l’entrepreneuriat.

18Sur le plan cognitif, l’évolution de la connaissance des élèves interrogés sur l’entrepreneuriat se manifeste dans les cartes mentales, plus denses et plus complexes à l’issue du jeu. En effet, après le jeu, on remarque que les élèves associent directement au mot « entrepreneuriat », central dans la carte, un plus grand nombre (+34 %) de concepts de niveau 1 (cf. Tableau 3). En même temps, on constate que les ramifications se sont étendues, comme en témoigne la progression du nombre de concepts de niveau 4 (+25 %) et 5 (+456 %). Enfin, des « boucles » apparaissent dans les cartes (21 après, contre aucune avant), montrant chez les élèves une complexification de leur représentation de l’entrepreneuriat.

Tableau 3

Nombre de concepts et de liens dans les cartes mentales avant-après

AvantAprèsÉvolution
ConceptsNiveau 149366334 %
Niveau 21007939-7 %
Niveau 33293372 %
Niveau 48010025 %
Niveau 5 et +950456%
LiensType 1-21014891-12 %
Type 2-33303372 %
Type 3-4778612 %
Type 4-5929222 %
Boucles021X 21

Nombre de concepts et de liens dans les cartes mentales avant-après

19Les enseignants relèvent une progression de la représentation de la figure de l’entrepreneur. Ils déclarent : « Les élèves ont au départ une vision de l’entrepreneur très éloignée d’eux, ils se représentent souvent l’entrepreneur comme un homme d’un certain âge, sûr de lui et détenteur du pouvoir. »

20La comparaison de certaines cartes mentales « avant-après » a montré la même évolution (figure 4). On voit que l’entrepreneur perçu comme un homme mûr (moustaches) aux larges épaules à la situation professionnelle aisée (cravate, veste, chapeau melon) a cédé la place à une femme jeune, capable de réfléchir à un projet (les branches partent de sa tête, pas de ses épaules).

Figure 4

Cartes mentales réalisées avant et après le jeu par une élève

Avant

figure im4

Avant

Après

figure im5

Après

Cartes mentales réalisées avant et après le jeu par une élève

21Certains élèves sont capables de préciser cette évolution, comme en témoigne le verbatim suivant :

22

« L’entrepreneuriat pour moi à la base, pour le pratiquer il fallait être d’un naturel imposant et sévère afin de ne pas se laisser marcher dessus. Certes il faut avoir certaines qualités de ce type. Mais par exemple contrairement à mon idée de départ, il n’est pas réservé aux hommes âgés. Aujourd’hui je vois plus l’entrepreneuriat comme quelque chose destiné à tous, femme/homme, jeune/vieux. »

23L’évolution de la dimension affective de l’attitude chez les élèves a été perçue par les enseignants :

24

« Certains ont touché du doigt la jubilation de la créativité en équipe puis le plaisir d’être emporté par le projet, par la valorisation du regard des autres D’autres au contraire ont (re)découvert la déception et les difficultés du travail en équipe lorsque les membres ne sont pas impliqués. »

25

« C’est complexe et donc difficile, on n’est pas seul sur le marché et seul pour entreprendre mais c’est « jouissif » pour certains… »

26Dans les verbatims précédents, on note l’usage d’un registre lexical, plutôt positif, ancré dans les émotions (en gras dans le texte). Dans certaines cartes mentales réalisées par les élèves après le jeu, on voit apparaître le même registre lexical (plutôt émotionnel) avec des mots associés à « entrepreneuriat » tels que : avoir de l’envie, belle vie, goût, heureux, peur, plaisir, remise en question, satisfaction… Ce résultat est d’autant plus intéressant que les émotions étaient totalement absentes des premières cartes mentales.

27Sur le plan conatif, la représentation que les élèves ont d’une expérience entrepreneuriale s’élargit. Ils sont même désormais capables d’imaginer que l’entrepreneur(e) pourrait être l’un ou l’une d’entre eux. À ce titre, la jeune femme au centre de la carte « après » (cf. figure 4), représente l’élève elle-même : « Je me suis dessinée au milieu ».

Apports pédagogiques de la diffusion de la culture entrepreneuriale

28L’originalité de cet article est donc de proposer un nouveau critère d’évaluation en éducation entrepreneuriale (l’attitude) et de valider sa pertinence en fournissant les outils (test et cartes mentales) permettant de l’apprécier.

29Sur le plan théorique, il permet d’apporter une définition du concept d’attitude vis-à-vis de l’entrepreneuriat comme une combinaison de trois éléments relatifs à ce que l’on sait (cognitif), à ce que l’on ressent (affectif) et à l’expérience que l’on a (conatif) en lien avec l’entrepreneuriat.

30Sur le plan méthodologique, notre contribution est de permettre de mesurer (grille de test) et de visualiser (cartes mentales) l’évolution de cette attitude. En particulier, l’usage qui a été fait des cartes mentales, en tant qu’outil de collecte de données pour accéder à l’attitude vis-à-vis de l’entrepreneuriat des élèves via leurs représentations, a facilité l’accès aux données face un public très jeune et a positivement contribué à une dynamique de groupe confirmant les résultats de travaux antérieurs [19]. L’exploitation des cartes mentales dans cette recherche est originale par l’interprétation qui a été faite des visuels et par leur traitement quantitatif (comptage des concepts et des liens).

31Sur le plan pratique, la portée de cette recherche est d’abord pédagogique. Fournir aux établissements un outil cohérent d’évaluation de leurs formations en entrepreneuriat est un enjeu de taille. Déplacer le focus depuis le critère de l’intention vers celui de l’attitude n’est pas anodin, avant tout parce qu’il s’avère plus pertinent pour mesurer l’effet d’un dispositif pédagogique auprès d’un jeune public. De surcroît, il peut encourager enseignants et responsables d’établissement à parler d’entrepreneuriat aux élèves en levant un frein majeur : le risque d’amalgamer la diffusion de la culture entrepreneuriale à la volonté d’inciter à devenir entrepreneur.

32Les résultats de l’analyse montrent que l’attitude vis-à-vis de l’entrepreneuriat a évolué positivement chez les élèves sensibilisés à l’entrepreneuriat. Une évolution visible porte sur la dimension cognitive de l’attitude : à l’issue du jeu les élèves considèrent qu’ils ont une meilleure connaissance de l’entrepreneuriat, ce qui est confirmé par leurs enseignants. En particulier, ils semblent avoir une conception moins stéréotypée de la figure d’un entrepreneur. La participation au jeu a également influencé la dimension affective de l’attitude vis-à-vis de l’entrepreneuriat de façon positive : l’entrepreneuriat est ressenti de manière plus amusante, plus ludique qu’avant. Pour la dimension conative de l’attitude les résultats mettent en évidence que les élèves ont associé la participation au jeu à une véritable expérience entrepreneuriale. Ces résultats encouragent le maintien voire le développement de dispositifs en pédagogie entrepreneuriale en démontrant qu’ils peuvent contribuer à faire évoluer les représentations que les jeunes se font de l’entrepreneuriat. La création d’entreprise n’est pas la seule manifestation de la dynamique entrepreneuriale qui peut prendre d’autres formes telles que l’intrapreneuriat (innovation, essaimage, création d’un nouveau département… au sein d’une organisation existante). Ce faisant, ces dispositifs jouent un rôle à plus long terme dans l’insertion professionnelle des jeunes ainsi sensibilisés en les rendant aptes à comprendre les dynamiques entrepreneuriales de leur futur parcours, quel qu’il soit.

Les auteurs tiennent à remercier le Rectorat de l’académie de Bordeaux et plus particulièrement Dominique Tack, IPE en charge du dispositif « Osez l’entrepreneuriat », ainsi que les enseignants et les élèves ayant participé à la recherche.

Notes

  • [1]
    Carrier C. (2008), The prospective map : a new method for helping future entrepreneurs in expanding their initial business ideas, International Journal of Entrepreneurship and Small Business, Vol. 5, No. 1, 28-44.
    Verzat C., Byrne J., Fayolle A. (2009), Tangling with spaghetti : Pedagogical lessons from games, Academy of Management Learning & Education, Vol. 8, No. 3, 356-369.
    Arlotto J., Jourdan P., Sahut J.-M., Teulon F. (2012), Les programmes de formation à l’entrepreneuriat sont-ils réellement utiles ? Le cas des concours pédagogiques de création d’entreprise, Management et avenir, Vol. 55, No. 5, 291-309.
    Verstraete T., Kremer F., Jouison-Laffitte E. (2012), Le Business Model : une théorie pour des pratiques, Entreprendre et Innover, Vol. 1, No. 13, 7-26.
  • [2]
    Verzat C., Toutain O. (2014), Entraîner l’esprit d’entreprendre à l’école, une opportunité pour apprendre à apprendre ?, Cahiers de l’action, No. 1, 7-17.
  • [3]
    Pôles Etudiants Pour l’Innovation, le Transfert et l’Entrepreneuriat.
  • [4]
  • [5]
    Verzat C. (2015). “Esprit d’entreprendre, es-tu là ?” Mais de quoi parle-t-on ?, Entreprendre & Innover, 27(4), 81-92.
  • [6]
    Cf. Le modèle de comportement planifié d’Ajzen, 1991 Ajzen I. (1991), The theory of planned behavior, Organizational Behavior and Human Decision Processes, 50, 179-211.
  • [7]
    Blenker P., Elmholdt S.T., Frederiksen S.H., Korsgaard S., Wagner K. (2014), Methods in entrepreneurship education research: a review and integrative framework, Education + Training, Vol. 56, Nos. 8-9, 697-715.
  • [8]
    Gibbs A. (2002), In pursuit of a new ‘enterprise’ and ‘entrepreneurship’ paradigm for learning: creative destruction, new values, new ways of doing things and new combinations of knowledge, International Journal of Management Reviews, Vol. 4, No. 3, 233-269.
  • [9]
    Linan F., Fayolle A. (2015), A systematic literature review on entrepreneurial intentions : citation, thematic analyses and research agenda, International Entrepreneurship and Management Journal, published on line, doi:10.1007/s11365-015-0356-5.
  • [10]
    Ajzen I., Fishbein M. (1980), Understanding attitudes and predicting social behavior. Englewood Cliffs, NJ: Prentice-Hall.
    Kautonen T., Van Gelderen M., Fink M. (2015), Robustness of the Theory of Planned Behavior in Predicting Entrepreneurial Intentions and Actions, Entrepreneurship Theory and Practice, 39, 655–674.
  • [11]
    Rosenbeg M., Hovland C. (1960), Cognitive, affective and behavioural components of attitudes, in C.I. Hovland, M.J. Rosenberg, W.J. McGuire, R.P. Abelson et J.W. Brehm (Dirs.), Attitude organization and change, New Haven, Yale University Press, 1-14.
  • [12]
    Ces items sont adaptés de : ASTEE : entrepreneurial knowledge B2 et enrichis en s’inspirant de Maio et Haddock (2014). ASTEE (2014), Moberg, K., Vestergaard L., Fayolle A., Reford, D., Cooney, T., Singer S., Sailer, K. Filip, D. How to assess and evaluate the influence of entrepreneurship education, report of the ASTEE project, www.asteeproject.eu
    Maio G., Haddock G. (2014), The Psychology of Attitudes and Attitude Change, 2ème édition, Thousand Oaks: Sage.
  • [13]
    Ces items sont adaptés de : ASTEE : entrepreneurial attitude A2 et ont été reformulés en s’inspirant de Maio et Haddock (2014).
  • [14]
    Ces items ont été formulés en s’inspirant de Maio et Haddock, 2014.
  • [15]
    Cet item était précédé d’une question fermée de type oui/non : « J’ai déjà vécu des expériences liées à l’entrepreneuriat (exemple : j’ai participé à la création ou au développement d’une association, à un projet dans mon établissement…). » (cf. tableau 2).
  • [16]
    Buzan T., Griffiths C. (2011), Le Mind Mapping au service du manager, Éditions d’Organisation.
  • [17]
    Kremer F., Verstraete T. (2014), La carte mentale pour favoriser l’apprentissage du Business Model et susciter la créativité des apprenants, Revue Internationale PME, Vol. 27, No. 1, 65-98.
  • [18]
    Carrier C., Cadieux L., Tremblay M. (2010), Créativité et génération collective d’opportunités, Revue française de gestion, Vol. 36, No. 206, 113-127.
  • [19]
    Budd J.W. (2004), Mind maps as classroom exercises, Journal of Economic Education, Vol. 35, No. 1, 35-46.
Français

Cette recherche démontre l’intérêt de donner une place centrale au concept d’attitude pour évaluer un dispositif pédagogique en entrepreneuriat. L’attitude vis-à-vis de l’entrepreneuriat se définit comme le jugement qu’un individu porte sur cet objet. Elle est conceptualisée à travers trois dimensions (cognitive, affective et comportementale) et testée ici empiriquement auprès d’un public d’élèves de l’enseignement secondaire participant à un jeu concours à la création d’entreprise. L’étude révèle que le dispositif pédagogique agit sur les trois dimensions de l’attitude : les élèves, conscients d’avoir vécu une expérience entrepreneuriale, disent mieux connaître l’entrepreneuriat qui leur inspire des émotions plus positives.

Florence Krémer
Florence Krémer est maître de conférences à l’IAE de Bordeaux où elle enseigne le marketing entrepreneurial et la créativité. Membre de GRP Lab, elle est responsable d’un axe de recherche sur la pédagogie au sein de l’équipe Entrepreneuriat de l’IRGO (Institut de Recherche en Gestion des Organisations).
Estèle Jouison
Estèle Jouison est maître de conférences à l’IUT de Bordeaux, département Techniques de commercialisation. Elle enseigne l’entrepreneuriat et la conduite de projet. Elle est membre de l’équipe de recherche en Entrepreneuriat de l’IRGO impliquée dans le projet GRP Lab. Elle y a en charge le développement de l’axe accompagnement entrepreneurial.
Mis en ligne sur Cairn.info le 17/03/2020
https://doi.org/10.3917/entin.042.0037
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