Les points forts
- Live Mentor a déjà accompagné 3 300 travailleurs indépendants et se pose comme un acteur majeur, complémentaire des structures d’accompagnement ou de formations entrepreneuriales existantes.
- L’industrialisation du process repose sur une plateforme de mise en lien entre mentors et élèves et sur la capitalisation des problématiques d’accompagnement dans le domaine des métiers du marketing digital.
- L’offre est constituée de trois volets complémentaires : les cours en ligne, l’accompagnement personnalisé pendant 3 mois et les événements communautaires en présentiel ou en ligne, démultipliés par les élèves eux-mêmes.
1Entreprendre & Innover : Pouvez resituer les grandes étapes de LiveMentor ?
2Anaïs Prétot : LiveMentor est né en 2011. À l’époque, mon associé, Alexandre Dana, était étudiant à l’ESCP. Il a monté l’entreprise alors qu’il était en année de césure. Il n’avait pas énormément de moyens mais bénéficiait de la structure d’accompagnement de l’ESCP Blue Factory. À ce moment-là, c’était tout simplement une place de marché de cours particuliers mettant en relation des étudiants de grandes écoles avec des familles.
3En 2016, alors qu’on venait de lever 2,4 millions d’euros, on change de business model et les investisseurs nous ont suivis. Nous avions perçu une lame de fond : les personnes qui donnaient des cours sur notre plateforme créaient leur métier avec. Ils nous disaient : « En sortant d’école, je veux vivre en donnant des cours de maths plutôt que de travailler au BCG ou chez McKinsey. Mon projet c’est de pouvoir voyager ou bien de créer une petite activité indépendante ». Nos profs particuliers étaient en fait une première génération d’entrepreneurs. Cette forme d’entrepreneuriat ne ressemblait pas à celle qu’on nous avait enseignée à l’école. Il ne s’agissait pas de créer une entreprise énorme comme Facebook. L’entrepreneuriat n’était pas une fin en soi, mais un moyen pour accéder à un certain style de vie. Alors nous avons commencé à les coacher pour trouver leurs élèves, nous leur avons donné des conseils pour créer leur activité, gérer leurs finances personnelles…
D’une place de marché de cours particuliers à l’accompagnement en ligne des freelances
4E&I : À quels besoins de cette nouvelle catégorie d’entrepreneurs répondez-vous ?
5A. P. : C’est un entrepreneuriat protéiforme avec des ambitions de revenus diverses. Typiquement, si l’on prend l’exemple du prof particulier, il peut être tout à fait satisfait avec 2 ou 3 000 € par mois. Alors qu’une personne qui s’engage dans un MBA à 30 ou 70 000 € par an, doit avoir des revenus beaucoup plus élevés. Il fallait donc trouver une solution d’accompagnement un petit peu différente de ce qui existe sur le marché aujourd’hui.
6On a aussi changé notre système parce qu’on s’est rendu compte qu’il y avait un énorme besoin de consolidation du marché de l’accompagnement entrepreneurial ainsi qu’un besoin de le rendre moins opaque. C’est très dur de choisir un bon accompagnement. Il n’y a pas de système de notation. Il n’y a pas de contrôle sur la pédagogie. Il n’y a pas, comme dans l’éducation, de grandes références comme la pédagogie Montessori où on sait qu’on a une formation de qualité.
7Notre enjeu était de voir comment des mentors pouvaient, grâce à la technologie, gérer un maximum d’élèves plutôt que d’utiliser la technologie pour permettre à n’importe qui de donner des cours à n’importe qui. On a donc beaucoup évolué. On a fait ce premier renversement qui est le focus sur les entrepreneurs avec cette conception de l’entrepreneuriat au sens très large et un deuxième retournement qui fait passer d’une place de marché à un modèle intégré.
8E&I : Pouvez-vous expliciter cette deuxième évolution ?
9Édouard Schlumberger : Cela veut dire qu’on passe d’un modèle « many to many », où un grand nombre de profs s’adressent à un grand nombre d’élèves, à un modèle « one to many » où quelques mentors s’adressent à des milliers d’élèves. Donc on n’est plus du tout dans un rapport de place de marché.
10E&I : Pourquoi vos actionnaires vous ont-ils suivis dans ce changement ?
11A. P. : On leur a expliqué qu’on voulait faire autre chose. On a la chance d’être accompagné par un fonds qui est un vrai fonds d’entrepreneurs. Ils ont tout à fait compris notre objectif de faire de LiveMentor un passage incontournable pour quiconque veut entreprendre en France, au même titre que le statut d’autoentrepreneur…
12E&I : Vous n’êtes pourtant pas les seuls sur l’accompagnement des entrepreneurs…
13A. P. : Oui, on a beaucoup de concurrents indirects à la croisée de plusieurs écosystèmes.
14Le premier est celui de la formation professionnelle puisqu’une partie de notre offre ressemble à de la formation sur la stratégie et les outils digitaux. Sur ce segment-là, nos concurrents offrent des MOOC mais sans accompagnement.
15Le deuxième type de concurrents indirects sont des coachs en développement personnel mais ils sont souvent trop chers pour nos élèves.
16Une autre concurrence indirecte provient des formateurs indépendants sur internet que nos élèves connaissent bien. C’est un marché très fragmenté et de qualité variable.
17Il y a aussi les structures d’accompagnement, incubateurs, accélérateurs… Dans ce marché, il existe une barrière géographique car ces structures existent seulement en milieu urbain. Or certains de nos élèves proviennent de régions rurales, comme une élève qui fait du lait de jument au milieu de la Corrèze. D’autre part, ces structures sont plutôt réservées à des personnes qui ont un cursus assez élitiste. Typiquement nous n’aurions sans doute pas eu accès à la Web Factory si on n’avait pas été étudiants à l’ESCP. Enfin les projets hébergés par ces structures ont l’ambition d’une croissance assez forte. Je pense que seulement 0,001 % de nos élèves sont éligibles à ce type d’accompagnement.
18Le dernier axe de concurrence indirecte provient des réseaux d’affaires comme les groupes BNI [1] ou les réseaux d’alumni. Pour entreprendre nos élèves ont besoin d’être en relation avec des pairs, avec des partenaires, des prospects et des associés potentiels. Les réseaux d’alumni sont très puissants en France. Alexandre et moi, avons fait la même école. Je pense qu’il n’y a pas un jour sans qu’on prenne contact avec quelqu’un dans notre réseau d’anciens. Malheureusement nos élèves n’ont pas souvent accès à ces réseaux. De plus, les solutions existantes dans les réseaux d’affaires sont très peu digitalisées et ne comportent pas de mentorat, sauf exception comme Le Centre des Jeunes Dirigeants ou Réseau Entreprendre. Mais ces initiatives sont plus difficiles d’accès en zone rurale parce qu’elles ne sont pas digitalisées.
L’évolution des freelances accompagnés : acquérir des compétences digitales pour créer une entreprise… ou retourner à l’emploi salarié
19E&I : Comment évoluent les freelances que vous accompagnez ?
20E. S. : Il y a de tout. Il y a des élèves qui ont changé plusieurs fois de projets et d’autres qui ont confirmé leur projet. C’est vraiment intéressant de voir des élèves qui reviennent nous voir six mois après le coaching en disant « finalement, je n’ai pas fait ça parce que je n’ai pas réussi, mais ça m’a permis d’apprendre de mes erreurs et de pouvoir trouver une autre niche, d’autres marchés, une autre cible. ». Donc ils ont sauté de projet en projet. D’autres ont tranquillement fait leur chemin et vivent très bien aujourd’hui sur leur modèle d’indépendant.
21E&I : Est-ce que vous commencez à avoir une visibilité sur une typologie de parcours ou une typologie de personnes ?
22E. S. : On a beaucoup de gens qui sont dans une phase de reconversion. Certains sont des salariés avec un « side project » pour compléter leurs revenus ou pour avoir le sentiment d’avoir un impact. Ou bien ils ont l’idée de quitter leur emploi dans six mois, un an ou deux ans pour se lancer de leurs propres ailes. On a le sentiment qu’il y a de plus en plus de gens qui cherchent la rupture conventionnelle pour pouvoir enfin vivre une vie peut-être moins confortable au début, mais avec le sentiment de faire des choses qui ont du sens.
23E&I : Est-ce que certains de vos élèves retournent à l’emploi salarié après l’échec d’un projet entrepreneurial ?
24E. S. : C’est rarement perçu comme un échec au sens « je n’ai pas réussi. » En réalité, l’expérience entrepreneuriale donne des atouts pour retrouver un emploi. On a des élèves qui ont fait la formation, qui ont monté des projets et qui se retrouvent directeurs marketing d’une start-up, ou qui rejoignent une entreprise parce qu’ils ont mis en œuvre des compétences hyper concrètes. Ils ont monté des projets et même si ces projets n’ont pas abouti, ils ont appris tellement de choses en étant indépendants que lorsqu’ils reviennent dans le monde de l’emploi salarié, ils sont bien meilleurs, parce que plus matures et plus compétents.
25E&I : En poussant la limite, LiveMentor pourrait-il devenir une agence de formation et recrutement de compétences entrepreneuriales ?
26A. P. : Oui, c’est un des axes prospectifs qu’on met en avant dans une perspective de levée de fonds. On commence en effet à avoir des demandes entrantes de grands groupes qui viennent recruter dans nos formations parce qu’ils cherchent justement ce côté vraiment entrepreneurial de nos élèves et les compétences vraiment concrètes qu’ils ont pu valider sur le terrain. On a été contactés par exemple par Nike et un grand groupe d’édition suisse qui cherchait des copywriters [2].
27E&I : Pouvez-vous donner des exemples de parcours de reconversion ?
28A. P. : On a beaucoup de personnes qui commencent sur un projet entrepreneurial classique et qui ensuite se focalisent sur l’une des compétences qu’ils ont développée en freelance. C’est le cas par exemple de W. qui s’était lancée dans la distribution de crèmes bio. Ce projet n’a pas du tout fonctionné. Mais en travaillant sur son projet, elle a développé pas mal de compétences en WordPress et maintenant, elle est freelance WordPress pour des salons de beauté dans le 93 et a un salaire très confortable. De même, F. avait monté une place de marché de revente de matériel d’équitation. Le projet n’a pas très bien fonctionné mais elle a développé des compétences en marketplace qu’elle revend maintenant en freelance.
29E&I : Compte tenu de l’ensemble des projets que vous accompagnez, avez-vous une vision globale de la recomposition des parcours et des compétences des personnes ?
30E. S. : On n’a pas encore une vision prospective au quotidien dans l’opérationnel quand on est avec l’élève. Mais on essaie de mettre l’accent avec lui sur les compétences-clé qu’il doit développer en fonction des objectifs qu’il se fixe ou que l’on fixe avec lui. On sait qu’on lui enseigne des compétences transférables quel que soit le métier ou le secteur d’activité : le marketing digital, la maîtrise d’Instagram, la prospection B to B…
La force de LiveMentor : la capitalisation des coachings en ligne ouvrant la voie à l’industrialisation et la personnalisation
31E&I : Comment construisez-vous cette compréhension globale des compétences-clé ?
32E. S. : On a mis en place un système de capitalisation de tout ce qu’on fait. On n’a pas encore la maturité pour avoir une vision d’ensemble qui permettrait de décrire les grandes tendances. Mais lorsque l’on a un coaching avec un élève, on peut aller consulter et partager tous les échanges qu’un autre élève a pu avoir avec un autre mentor sur le même sujet. Par exemple, tout à l’heure, j’ai un premier coaching avec une élève qui est artiste peintre. Moi, ce n’est pas mon secteur de prédilection. Or M. un autre mentor a fait deux coachings avec des artistes peintres pour les aider à trouver leurs premiers clients, à trouver leur persona, à débrouiller la méthodologie… Donc je vais pouvoir lui partager ces coachings.
33E&I : Que partagez-vous concrètement ?
34E. S. : Directement 30 mn de vidéo entre un élève et un coach. Toutes les conversations entre nos mentors et nos élèves sont enregistrées et stockées. Depuis 6 mois, on a commencé un premier niveau de capitalisation, que j’appellerais le tagging. Toutes les vidéos sont catégorisées selon le degré de maturité du projet, le secteur d’activité, le type de problématique traitée. On peut les partager avec un autre élève.
35Demain, l’enjeu, c’est d’aller plus loin sémantiquement pour pouvoir les enrichir, les retrouver, etc., et faire des liens intelligents entre eux.
36E&I : Que cherchez-vous à travers cette capitalisation ?
37E. S. : On cherche à la fois à consolider différentes approches, différentes manières de coacher, différentes connaissances de mentors par exemple, et de situations.
38On cherche aussi à gagner en productivité. C’est aussi un enjeu interne pour les mentors. Plutôt que de répéter plusieurs fois la même chose à des élèves qui ont les mêmes problématiques, on peut leur envoyer un coaching de référence. Ainsi, on va pouvoir aller plus loin et plus vite pendant le coaching avec l’élève, aborder une problématique nouvelle.
39À l’heure actuelle, nous avons un moteur de recherche interne qui n’est pas accessible aux élèves. Mais à terme, l’idée est qu’il le soit.
40E&I : Comment effectuez-vous votre capitalisation ? Quels sont les critères de tri, quel est le degré de formalisation… ?
41E. S. : Nous faisons aujourd’hui un gros travail de capitalisation par curation de nos vidéos. Pour cela, on a construit ce qu’on appelle des questions de référence. Lorsqu’un élève a évoqué une problématique fréquente et que la réponse donnée est relativement pérenne, claire et bien structurée, et que l’élève a bien compris, on se dit « ça, c’est un coaching qui vaut la peine d’être partagé avec d’autres. » En revanche, les coachings avec des échanges très personnels et des informations confidentielles restent chez nous et on ne les partage pas.
42Notre moteur de recherche fonctionne avec des mots clé qui permettent de filtrer les coachings selon la problématique abordée. Celle-ci est liée aux objectifs de nos élèves, lorsqu’ils arrivent dans l’école. Par exemple : agrandir mon association, promouvoir ma création artistique, booster mon activité, développer mon activité, développer mon site e-commerce, me faire connaître, etc.
43Un autre critère est lié à l’état d’avancement du projet : Est-ce que j’ai déjà des clients ? Est-ce que je suis en train de me lancer ? Est-ce que je fais déjà du chiffre d’affaires ? Est-ce que j’y pense juste ? Est-ce que je m’autofinance ? etc.
44Et puis il y a le secteur d’activité. Est-ce que je suis dans le marketing, dans la mode, dans le bien-être, etc. ?
45E&I : Cette capitalisation prépare-t-elle une automatisation des parcours ?
46E. S. : Oui, jusqu’à un certain point. Ce qu’on envisage à horizon de deux ou trois ans, c’est d’être capables de structurer et de qualifier correctement les informations en amont du coaching : les objectifs de la personne, son profil, sa région, son expérience passée…. Ainsi on pourra demain dire à un élève, avant même qu’il entre dans le coaching, « Tu en es là, dans tel secteur d’activité avec telle problématique et telles caractéristiques. Au regard de ton objectif, ça vaudrait le coup pour toi de consulter telles ressources, avant même de poser des questions, ou en parallèle du cours qu’on t’a fourni. » Ainsi, il aura un bagage académique plus riche. Et nous, on gagne du temps. La machine est capable de recommander du contenu, donc ça se fait automatiquement.
47Mais ça n’enlèvera jamais l’échange humain. Celui-ci aura alors une plus forte valeur ajoutée parce qu’on pourra se concentrer sur des problématiques bien particulières ou plus ambitieuses.
48Notre idée est que le fondement de la pyramide, c’est la capitalisation. Ensuite, on a un gros travail de qualification, d’enrichissement sémantique, etc., pour ensuite réussir à sortir des parcours personnalisés de manière automatique ou semi-automatique.
49E&I : Est-ce que votre système peut répondre à des besoins d’accompagnement qui vont au-delà d’une posture fonctionnelle en réponse à des problématiques de nature technique ?
50E. S. : Nous utilisons le terme de mentor, de coach ou de consultant dans le cadre de formations actionnables du type « Comment se développer sur internet ». Cela demande des outils et des conseils de nature technique, mais pas seulement. En fait, on va essayer à la fois d’écouter l’élève, de le motiver et en même temps, lui donner des billes et essayer de l’orienter, lui dire, « non, ça, ça ne va pas. Ça, ça va », etc. Notre façon de faire inclut donc différentes facettes des postures d’accompagnement.
51En revanche, le versant du coaching lié au développement personnel n’est pas notre positionnement actuel. Toutefois, notre boss Alex fait aujourd’hui du coaching à base de développement personnel. Mais c’est en phase exploratoire, dans le cadre d’un programme à part, qui n’entre pas dans l’offre produit standard.
L’animation de communauté complète la plateforme éducative
52E&I : Alors, comment répondez-vous au besoin de socialisation des apprentis entrepreneurs ?
53E. S. : C’est une piste de développement pour nous cette année. On a bien identifié ce besoin qui est au cœur des motivations entrepreneuriales. À l’heure actuelle, on a vraiment travaillé la tête et peu encore le cœur.
54Il existe néanmoins un autre élément dans notre offre qui répond au besoin de socialisation. En fait, on parle de trois piliers : les cours, le coaching et la communauté. Aujourd’hui, la communauté se matérialise par un groupe Facebook où il y a énormément d’échanges [3]. Une sorte d’écosystème s’est crée sur ce groupe qui est autoalimenté et autogéré par la communauté d’anciens élèves de chez LiveMentor. Ils représentent aujourd’hui près de 3 300 élèves.
55Développer cette communauté est un axe stratégique pour nous cette année. Cela se traduit dans notre organisation interne, par le fait que nous avons créé une équipe dédiée à l’animation de la communauté, indépendante de l’équipe académique. Cette équipe s’occupe du groupe facebook mais organise aussi des événements physiques en présentiel.
56E&I : Pouvez-vous m’en dire un peu plus sur les objectifs et l’organisation de l’animation de communauté ?
57E. S. : En 2018, il y a eu deux gros événements de 300 personnes. L’idée est d’essayer d’en avoir de manière beaucoup plus récurrente. Peut-être à une plus petite échelle et aussi décentralisés, pas forcément qu’à Paris, pour que tous nos élèves puissent se rencontrer facilement. Peut-être créer un format d’événements que des élèves de la communauté pourraient eux-mêmes mettre en œuvre dans leur région.
58Il n’y a pas que du présentiel puisqu’on a une offre qu’on appelle « La tribu [4] » qui consiste en la possibilité pour les élèves de se retrouver dans un nouveau format en ligne, où ils sont connectés à plusieurs et on essaie de trouver ensemble des méthodes et des leviers d’animation. Concrètement, cela peut prendre la forme d’ateliers, de travail collaboratif avec la facilitation d’un mentor…
59A. P. : Il y a aussi les rituels qui jouent un rôle très fort dans la structuration de la communauté. Les rencontres collectives répondent ainsi au besoin de créer des histoires inspirantes pour nos élèves, des légendes…
60Par exemple, Antonin Archer a monté un podcast qui s’appelle « Nouvelle école » qui a fait plusieurs millions d’écoutes l’année dernière. Il vient raconter comment monter un média en moins de trois mois, sans moyen. Comment réussir à fédérer une communauté autour de ça… Autre exemple : une entrepreneuse qui s’appelle Marjolaine Grondin fondatrice d’une boîte qui s’appelle « Jam », d’intelligence artificielle, vient parler du développement de marque personnelle. Donc on utilise aussi les expériences collectives comme un moyen de faire rencontrer des role-model à nos élèves sur un format qui favorise l’échange et qui permet d’avoir un souvenir commun.
61E&I : Ces échanges sont également stockés et peuvent être accessibles à la communauté ?
62E. S. : Oui. Là, on a fait une première expérimentation l’an dernier. C’est sur abonnement pour 19 € par mois. Cela donne accès à des rencontres avec des gens qui viennent une fois par semaine se connecter en ligne et parler de leurs expériences sur un sujet particulier.
63Il y aura aussi des ateliers et des exercices collaboratifs. On a déjà fait une expérimentation où le mentor disait : « l’exercice d’aujourd’hui, c’est de faire du storytelling, donc vous allez me faire une page à ce propos, tous ensemble, maintenant. » Donc pendant 10 minutes, on n’entend plus personne à l’écran parce que tout le monde bosse et ensuite, hop ! « Levez les stylos » et les uns après les autres, chacun lit sa page. Donc on teste des choses pour voir dans quelle mesure ça peut être à la fois des moments où tout le monde se retrouve et on sait qu’on va pouvoir échanger, et en même temps, on produit quelque chose, et ça de manière décentralisée.
64E&I : Vous avez un grand nombre de chantiers. Quelle est la priorité pour vous ?
65E. S. : Il y a deux axes de travail. Sur l’axe technique, c’est de continuer à consolider la structuration et la qualification de nos vidéos. Sur l’axe communautaire, de construire des événements à la fois présentiels et en ligne qui engagent toujours davantage les élèves dans leur formation et dans la vie de l’école.
66E&I : Sur ces deux axes, quels sont vos objectifs et vos indicateurs ?
67E. S. : On est en train de les définir. Sur la partie structuration, qualification, capitalisation, on a des indicateurs quantitatifs sur le volume de coaching examinés et des indicateurs qualitatifs sur la qualité des coachings de référence (facile à retrouver, correctement tagués…). Sur la partie abonnement, c’est moins précis actuellement.
68Il y a aussi un axe d’objectifs sur l’enjeu d’intégration, c’est-à-dire nous assurer que les élèves profitent bien de ces coachings.
Suivre l’engagement des élèves et l’impact sur l’activité : des mesures en cours de développement
69E&I : Comment mesurez-vous l’intégration de vos formations par les élèves ?
70E. S. : On a des tableaux de bord. On voit des élèves qui entrent en formation mais qui ne font pas l’effort de poser une question ou qui restent relativement passifs. On a des métriques qui nous donnent ces chiffres et on met en place en ce moment des leviers pour rattraper ces élèves qu’on appelle les « ghosts ».
71On a des courbes métriques d’engagement dans l’école qui consistent à regarder combien de fois ils se sont connectés, combien de fois ils ont regardé des vidéos, combien de fois ils ont posé des questions. Parfois, c’est zéro sur toute la ligne pour certains élèves. Dans ce cas, on a des mails qui partent, on a aussi quelqu’un dont le job est de les appeler, de comprendre pourquoi ils ne sont pas plus impliqués et d’essayer de raccrocher les wagons.
72E&I : Quelles sont les proportions d’élèves désengagés ?
73E. S. : Nous observons environ 10 à 15 % de « ghosts ». C’est un chiffre qui nous interpelle. Ça veut dire qu’on a des choses à faire !
74À l’inverse, on a ce qu’on appelle des autodidactes. Ce sont des élèves avec lesquels on n’a eu besoin de faire aucun effort particulier. Ils se forment, ils posent des questions, ils reviennent tout seuls, ils sont très proactifs. Ils ont compris rapidement comment tout fonctionnait et ils sont vraiment à fond !
75E&I : Savez-vous pourquoi certains sont plus engagés que d’autres ?
76E. S. : Non, pour l’instant, je n’ai pas les réponses. C’est un chantier qu’on a commencé à explorer il y a peu. Il y a encore beaucoup d’inconnues : comment maintenir l’engagement dans la formation ? Combien d’élèves restent actifs dans la communauté après la formation ? Combien d’échanges y a-t-il sur tel ou tel réseau ? Combien d’élèves se connectent, profitent de ce qu’on appelle « l’offre de la tribu » ? Combien reviennent ?
77E&I : Et derrière cela, êtes-vous intéressé de mesurer l’impact sur leur activité ?
78E. S. : Absolument. Il y aurait besoin de l’aide de chercheurs sur la question de l’impact à long terme. Aujourd’hui, honnêtement, on est capables d’avoir des élèves, on sait qu’ils ont reçu telle formation, ils vont prendre une autre formation parce qu’ils ont adoré [5] et ils veulent aller encore plus loin. Ou alors on a des élèves qui sortent de la formation en nous disant, « c’était super », ou alors, « ça, c’était bien. Ça, un peu moins bien ». Mais au bout de trois mois, au bout de six mois, est-ce que ces élèves continuent leur projet ? En quoi est-ce que cela leur a été utile ? On ne peut pas répondre et cela nous manque…
79C’est pour ça qu’on fonde des espoirs sur l’offre d’abonnement à « la tribu » qui va s’adresser à tous nos élèves et anciens élèves. Ainsi on va pouvoir garder le contact avec eux, et je pense, pouvoir continuer finalement de les accompagner au-delà du cycle de formation.
LiveMentor, une plateforme de coaching et de formation en cours de certification
80E&I : Quelle est la durée d’un cycle de formation ?
81E. S. : C’est trois mois de formation sur un sujet donné, avec accès illimité au coaching. Au-delà, l’élève continue à conserver l’accès à toutes les vidéos, donc tous les cours préenregistrés. Il fait également partie de la communauté donc du groupe Facebook et reste un ancien élève LiveMentor.
82E&I : Concrètement, comment se passe la formation pendant ces trois mois ?
83E. S. : L’élève a accès à l’accompagnement autant de fois qu’il le veut et il a une interface où il pose autant de questions qu’il veut.
84A. P. : Cela ressemble un peu à « Doctolib ».
85E. S. : L’élève peut choisir son prochain rendez-vous d’une demi-heure. Et il y a ce qu’on appelle le coaching asynchrone où là, les élèves peuvent nous poser autant de questions qu’ils le souhaitent par écrit.
86E&I : Et du côté des mentors, quelle activité cela représente-t-il ?
87E. S. : Chaque mentor tient son agenda qui peut aller jusqu’à sept heures de coaching par jour. En moyenne, on fonctionne par demi-journée d’environ 4 heures. Aujourd’hui, avec nos 7 mentors, on a 600 créneaux de coaching disponibles par mois, avec un taux de remplissage autour de 80 %.
88Le reste du temps, les mentors réfléchissent à de nouvelles formations, mettent à jour les cours existants. Ils mettent en place des jalons avec les élèves, en début de formation, à mi-parcours, et à la fin pour faire le bilan. Ça demande des présentations, des emails, des relances…
89E&I : Quelles sont les prochaines étapes pour faire de LiveMentor un acteur de référence pour l’accompagnement et la formation en entrepreneuriat ?
90A. P. : Nous avons déjà 5 parcours certifiés [6]. Notre but est d’être inscrit à l’inventaire des certifications professionnelles. Un tiers de nos élèves passent par Pôle Emploi. Notre formation est déjà éligible au financement par Pôle Emploi [7]. Nous avons également engagé un partenariat avec BGE Paris, car notre offre est complémentaire par rapport à la leur : nous offrons un savoir-faire sur le marketing digital, et ils ont des expertises que nous n’avons pas dans le domaine notamment juridique ou comptable. Nous ambitionnons pour l’avenir de négocier d’autres partenariats avec d’autres acteurs, par exemple distribuer notre offre en marque blanche.
91E&I : Vous affirmez sur votre site que vous vous donnez 10 ans pour accompagner la transition vers une société d’entrepreneurs. Rendre l’entrepreneuriat accessible à tous est-il réaliste ?
92A. P. : Nous avons cette envie que tous puissent entreprendre et nous avons la volonté de démystifier l’entrepreneuriat. Ce n’est pas que Facebook, il y a une multiplication des figures de succès. Je pense qu’on aura réussi notre pari si 90 % des entrepreneurs peuvent trouver l’accompagnement qui leur convient. Il faut commencer par là et nous pouvons y contribuer car il existe des invariants faciles à formaliser : Qui est ta cible ? Qui sont tes concurrents ? Quelle est ta proposition de valeur ? Comment peux-tu la rendre visible et la vendre sur Internet ?…
93Cela dit, pour être honnête, on n’est pas capable en trois mois de faire accéder à l’entrepreneuriat des personnes très éloignées de l’emploi et de la société en général. On en a discuté avec Simplon qui recrute des réfugiés ou des chômeurs de longue durée. Il y a un enjeu de resocialisation, de motivation et de contrôle de soi qui va bien au-delà de ce que nous faisons à travers nos parcours de formation. L’inclusion numérique est un chantier spécifique qui nécessite de travailler sur la reconstruction des liens et la confiance en soi avant d’imaginer un projet entrepreneurial. Nous, nous n’aidons pas à nos élèves trouver leur projet, quand ils viennent chez nous, ils savent déjà ce qu’ils veulent !
Notes
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[1]
Business Network International, réseau d’affaires professionnel basé sur la recommandation mutuelle, qui comporte 227000 membres dans le monde dans 8211 groupes (www.bni.com/fr/, 1er janvier 2017)
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[2]
Le copywriting est l’art de rédiger sur internet : savoir écrire des newsletters, savoir écrire des articles de blog, savoir se présenter… de manière à être référencé.
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[3]
23 000 commentaires sur 30 jours ont été enregistrés entre janvier et février 2019.
- [4]
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[5]
Il y a actuellement 26% de taux de réachat sur un 2e module.
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[6]
Les parcours concernent le webmarketing, la gestion des réseaux sociaux comme moyens de vente Facebook ou Instagram, le copywriting, la gestion de son temps et d’une activité indépendante.
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[7]
Chaque parcours est facturé 1 500 € pour 3 mois.