Les points forts
- Les modèles de reprise en mode collectif sont peu documentés, surtout lorsqu’il s’agit d’Organismes à But Non Lucratif (OBNL).
- La reprise de PME en mode OBNL existe et concerne tous secteurs d’activités et tous types d’entreprises (en bonne santé comme en difficulté).
- La reprise de PME en mode OBNL permet non seulement aux entreprises de survivre, mais aussi de se développer, offrant un potentiel actuellement peu exploité pour le transfert de PME au Québec.
1Au Québec, comme ailleurs en Occident, le vieillissement de la population soulève l’enjeu important du transfert d’entreprise. La Caisse de dépôt et placement du Québec évaluait, en 2017, que 30 % des propriétaires d’entreprise prendront leur retraite d’ici six ans [1]. Considérant que selon l’Institut de la statistique du Québec, le Québec compte environ 257 000 PME qui représentent 2,4 millions d’emplois, le défi est donc de taille [2]. L’émergence de modèles novateurs comme ceux issus de l’économie sociale est nécessaire. Si la coopérative semble être la voie principale pour reprendre collectivement une entreprise, il existe une autre alternative peu connue : la reprise en mode associatif par un Organisme à But Non Lucratif (OBNL), reconnu comme une entreprise d’économie sociale. Cette solution existe déjà au Québec, où des cas de reprise de ce type sont périodiquement présentés dans les médias. Ce phénomène n’a cependant fait l’objet d’aucune étude. Cette absence de connaissances scientifiques rend plus complexe le travail des accompagnateurs de la reprise. Les repreneurs en mode OBNL doivent s’appuyer principalement sur leurs savoirs expérientiels pour mener à bien leur projet. Pourtant, si l’on considère la croissance actuelle de l’entrepreneuriat social au Québec et le fait que 75 % des entreprises d’économie sociale y sont des OBNL [3], il y a lieu de se questionner sur le rôle que pourrait jouer ce type d’organisation dans la reprise de PME.
2Pour que ce phénomène puisse prendre de l’essor, il faut mieux le soutenir. Pour ce faire, il faut avant tout mieux le connaître. Cet article vise donc à identifier et comprendre, par une étude empirique, les reprises en mode OBNL. Quelles en sont les caractéristiques ? Comment s’opèrent-elles ? Quels en sont les enjeux et les facteurs de succès ?
La reprise et les différents types de repreneurs
3La reprise d’entreprise implique un transfert de propriété, de pouvoir et de savoir-faire dans le but de maintenir en vie l’entreprise, voire de la développer [4]. Si en économie sociale, l’entrepreneuriat collectif mène à la création d’entreprises en propriété et gestion collective et démocratique [5], le repreneuriat collectif mène donc à la transformation de l’entreprise de propriété privée en une nouvelle entreprise de propriété et gestion collective et démocratique. Peu d’études portent actuellement sur ce type de repreneuriat.
4La reprise peut être caractérisée en fonction du type de repreneur : membre de la famille, salarié, actionnaire minoritaire ou tiers externe. Dans le cas d’un rachat par une coopérative de travailleurs, qui constitue la forme de repreneuriat en économie sociale la mieux connue et documentée, il s’agit d’une reprise par un tiers interne. Dans le cas d’une reprise sous forme OBNL, elle est le fait d’un tiers externe (voir tableau 1). Or ce type de repreneur présente un aspect particulier. En effet, dans le cas d’une reprise par un membre de la famille ou par un tiers interne comme dans le cas d’une coopérative de travailleurs, le repreneur connait l’entreprise et son écosystème. Il est également connu par le milieu et perçu comme légitime dans sa démarche. Un repreneur externe paraît à cet égard soulever des enjeux de légitimité pouvant diminuer ses chances de succès [6]. Or les entreprises d’économie sociale à but non lucratif font déjà face à des enjeux de légitimité lors du développement d’activités marchandes [7] : l’OBNL ferait donc face à un double défi lors du rachat d’une PME.
Les différentes options de reprise d’entreprise (adapté de Desjardins, 2016)

Les différentes options de reprise d’entreprise (adapté de Desjardins, 2016)
La reprise : un processus séquentiel soulevant de nombreux défis
5La reprise est un processus complexe qui fait intervenir un grand nombre d’acteurs et qui soulève de nombreux enjeux pouvant diminuer ses chances de succès. Ce processus peut être découpé en trois étapes : la préparation, l’accord et la phase de transition et de management de la reprise [8] (schéma 1).
Les différentes phases de la reprise d’entreprise par un tiers externe (adapté de Picard et Thévenard-Puthod, 2004)

Les différentes phases de la reprise d’entreprise par un tiers externe (adapté de Picard et Thévenard-Puthod, 2004)
6Durant la première étape, le repreneur doit identifier l’entreprise à racheter et les ressources à mobiliser pour y parvenir. Pour le cédant, cette étape suppose qu’il estime cette transmission possible et qu’il réussisse à identifier un repreneur. Il doit trouver les bons canaux de communication pour rendre public son désir de vendre et le « bon » repreneur qui va perpétuer son projet souvent perçu comme l’œuvre d’une vie [9]. Pour le repreneur, il n’est pas aisé de trouver une entreprise à reprendre devant l’opacité relative du marché [10]. Si dans le cas d’une coopérative de travailleurs, cette difficile phase de repérage n’est pas nécessaire et si les salariés peuvent bénéficier en tant que tiers interne des faveurs du cédant, il n’en va pas de même pour l’OBNL. Il paraît donc pertinent de se questionner d’une part sur la perception que le cédant a de la capacité du potentiel repreneur OBNL de poursuivre son œuvre. Et, d’autre part, sur la capacité de l’OBNL à identifier la bonne PME à racheter.
7La deuxième étape se caractérise par la négociation entre les deux parties. Le repreneur cherche l’entreprise « parfaite » tandis que le cédant veut maximiser son profit. Le repreneur doit aussi disposer des moyens financiers nécessaires. En effet, l’entreprise existante peut être d’une certaine taille, ce qui peut rendre plus difficile son rachat [11]. Dans le cas de reprise par une coopérative, le fait que les bailleurs de fonds dédiés à l’entreprise privée soient peu familiers avec les logiques de l’économie sociale freine les repreneurs collectifs pour attirer des investissements [12]. En effet, en mode coopératif, les repreneurs se centrent sur le maintien et la création d’emplois alors que le milieu financier classique cherche plutôt à maximiser les profits à court terme. En ce qui concerne l’OBNL, son cadre légal ne lui permet ni d’émettre des actions comme une société par actions ni d’avoir des parts sociales comme une coopérative. Le financement du rachat pourrait donc soulever des enjeux plus importants pour ce type de repreneur.
8La dernière phase voit la cohabitation du nouveau dirigeant avec le cédant pour faciliter son entrée dans l’entreprise. Cette phase se caractérise par de nombreux enjeux légaux, bureaucratiques et fiscaux [13]. Le nouveau dirigeant doit également assumer le contrôle de l’entreprise, ce qui soulève des enjeux au niveau de la gouvernance, des relations avec les employés et plus largement, avec l’ensemble des parties prenantes. En économie sociale, dans le modèle le plus étudié – la coopérative – on peut voir des tensions émerger entre le cédant, le repreneur, les bailleurs de fonds et les employés, plus particulièrement lorsqu’il s’agit du transfert d’entreprises en difficulté [14]. Le transfert de pouvoir peut aussi être difficile au regard des différentes positions hiérarchiques qu’occupent les employés, les cadres et le cédant [15]. Dans le cas d’un OBNL repreneur, des enjeux pourraient émerger lors de l’intégration de la mission sociale, des pratiques de gestion et des valeurs de tout OBNL…
9Si des défis semblent être similaires quel que soit le type de repreneur, d’autres semblent propres à ceux de l’économie sociale. Les spécificités de la reprise en mode OBNL doivent quant à elles être documentées afin de rendre visible ce phénomène et de susciter de l’intérêt pour ce dernier, autant du côté de la recherche que de l’accompagnement.
Trois « histoires types » de reprise en mode OBNL
10Cette recherche a été réalisée en partenariat avec le Chantier de l’économie sociale du Québec [16]. Six cas distincts de reprise référés par des acteurs clés de l’économie sociale ont été étudiés (tableau 2). La collecte de données a été structurée autour de divers documents corporatifs (sites web, rapports annuels, etc.) et sur des entretiens semi-dirigés réalisés en face à face avec les repreneurs. Ces entretiens d’une heure et demie étaient structurés par un guide qui abordait les thèmes centraux suivants : le contexte, le processus et les enjeux de la reprise en mode OBNL.
Cas étudiés d’entreprises reprises sous forme OBNL
Année de rachat | Localisation | Secteur d’activités | |
---|---|---|---|
Cas 1 | 2001 | Métropole | Services de divertissement et de loisirs |
Cas 2 | 2013 | Métropole | Services de divertissement et de loisirs |
Cas 3 | 2014 | Région | Industrie des aliments |
Cas 4 | 2013 | Région | Transformation des matières |
Cas 5 | 2017 | Métropole | Services immobiliers |
Cas 6 | 2009 | Région | Services de divertissement et de loisirs |
Cas étudiés d’entreprises reprises sous forme OBNL
11Pour rendre compte des cas étudiés tout en préservant la confidentialité des participants, les six cas ont été regroupés afin de construire des histoires de reprise [17] en mode OBNL. Concrètement, après avoir analysé séparément les six cas documentés, ces derniers ont été comparés et des ressemblances/différences ont émergé autour des thèmes suivants : leurs principales caractéristiques, les enjeux autour des phases de la reprise et les stratégies mises en place par les repreneurs. Après cette comparaison, les cas semblables ont été agrégés pour construire trois histoires distinctes de reprise en mode OBNL. Les histoires présentées dans la section résultats sont donc des constructions réalisées à partir des pratiques repérées lors de la recherche. Il s’agit de raconter une histoire type, « qui regroupe dans un récit cohérent les éléments fondamentaux et distinctifs de la diversité des pratiques et des situations semblables » [18].
12Trois histoires types de reprises en mode OBNL ont émergé de l’analyse des six cas étudiés. Il s’agit bien d’histoires reconstituées en s’appuyant sur des pratiques et des enjeux réels rencontrés chez six repreneurs collectifs.
La reprise d’une entreprise immobilière
13Le premier cas est celui du transfert d’une entreprise immobilière dans un marché actif et rentable, où la concurrence du secteur privé est forte. L’OBNL repreneur s’inscrit, avec ce rachat, dans une logique de changement d’échelle directement liée à sa mission sociale.
14Cette reprise se caractérise principalement par un montant important de la transaction dans un secteur d’activité très compétitif (l’immobilier) où des repreneurs du secteur privé sont particulièrement actifs. Alors que dans la littérature on a pour habitude de lire que le cédant cherche à maximiser le prix de vente de son entreprise, dans ce cas-ci, un des facteurs importants permettant l’accord est le partage de valeurs communes entre cédant et repreneur. Cette concordance nécessaire n’était cependant pas suffisante pour finaliser le rachat. L’OBNL a dû déployer d’importants efforts pour réaliser le montage financier. Concernant la phase de transition et de management de la reprise, le repreneur a encore une fois pu mettre en avant ses valeurs pour rassurer les employés et les clients du cédant. Les facteurs de risque s’articulent donc principalement autour de la recherche de financement et de la négociation. La grande expérience de l’OBNL dans ce secteur d’activité, tant dans la recherche de financement que dans la mise en œuvre des valeurs de l’OBNL, ont permis de répondre favorablement à ces facteurs de risque.
L’histoire de la reprise d’une entreprise immobilière rentable par un OBNL
L’OBNL repreneur est à l’affut d’opportunités sur le marché immobilier et apprend qu’un propriétaire qu’il connait déjà envisage la vente de son entreprise pour prendre sa retraite. D’autres acteurs privés souhaitent racheter l’entreprise, mais leurs démarches sont moins structurées.
Accord
Au début, l’écart entre le prix demandé et celui souhaité par l’acheteur est grand. Cependant, une relation de confiance se bâtit entre l’OBNL et le cédant. L’OBNL réussit à rassurer le cédant quant au respect de la mission qu’il s’est donnée, soit l’offre d’un service abordable. À cet égard, le statut d’OBNL lui permet d’asseoir sa légitimité. L’OBNL dispose de nombreux employés compétents et donc capables de piloter le projet. Il a accès à plusieurs fonds, mais ces sources de financement ne sont pas adaptées aux projets de cette envergure. Il lui faut donc solliciter plusieurs partenaires financiers (fondations, banques, gouvernements), ce qui nécessite d’importants efforts de concertation auprès des bailleurs de fonds.
Transition et management de la reprise
La transition crée des défis pour les employés et les clients de l’entreprise transmise. Les employés travaillent de longue date pour le cédant et bénéficient de salaires avantageux. Or l’OBNL ne peut offrir de telles conditions. Il sollicite donc l’aide d’un tiers externe pour revoir les échelles salariales dans l’entreprise. Pour conserver leurs emplois, les employés acceptent une réduction de leur rémunération, compensée par une bonification de leurs avantages sociaux. La transition est aussi favorisée par le maintien en poste de la gérante (condition de la négociation). Les valeurs du repreneur contribuent également à rassurer les employés. Il en va de même pour les clients qui craignaient un changement dans leur milieu de vie. L’OBNL profite de ce rachat pour bonifier sa banque de fournisseurs en la fusionnant avec celle du cédant. L’organisation poursuit les travaux de rénovation des bâtiments et crée de nouveaux liens avec différents acteurs clés du quartier.
La reprise d’une entreprise culturelle
15Le cédant veut se départir de certains de ses actifs moins rentables dans un contexte sectoriel difficile. L’actif principal est un bâtiment et des équipements nécessaires au déroulement des activités culturelles de l’entreprise. Cependant, cet actif nécessite des rénovations et une mise à jour importantes pour le rendre concurrentiel. L’OBNL repreneur s’inscrit, avec ce rachat, dans une logique de conservation d’activités culturelles de proximité.
16La principale caractéristique de cette reprise repose sur les difficultés financières de l’entité dans un secteur d’activités faisant face à de nombreux défis concurrentiels. La baisse de clientèle complexifie la reprise et plus particulièrement la phase de transition et de management. Après le rachat, le repreneur doit consentir de lourds investissements pour moderniser l’entreprise et la rendre de nouveau rentable. Il doit notamment prendre en compte, lors du montage financier, les montants nécessaires à la modernisation des locaux et équipements. À cet égard, la capacité du repreneur à mobiliser de multiples financements a été déterminante dans le montage nécessaire à la viabilisation de l’opération (l’obtention de subventions par des instances gouvernementales et le financement en capital patient par des acteurs de l’économie sociale principalement).
L’histoire de la reprise d’une entreprise culturelle en difficulté par un OBNL
L’entreprise culturelle a des difficultés financières et désire fermer un de ses espaces. L’OBNL qui partage des locaux avec elle se mobilise pour reprendre ses actifs. Un acteur privé se manifeste pour acheter le bâtiment, mais il ne désire pas en conserver la vocation. L’OBNL valide avec le cédant son intérêt et cherche des soutiens d’acteurs de l’économie sociale pour l’appuyer dans sa démarche de rachat.
Accord
L’OBNL et les acteurs de l’économie sociale négocient avec le cédant qui accepte l’offre. L’organisme ne dispose pas d’expertise dans ce secteur d’activités, il recrute donc un expert. D’importants efforts sont déployés pour réaliser le montage financier. Le repreneur interpelle diverses instances gouvernementales. Ces dernières acceptent de subventionner le projet parce qu’il est porté par un OBNL qui déploie d’importants efforts auprès des politiques et membres de la fonction publique. Une autre partie du montage financier est réalisée en s’appuyant sur des prêts d’institutions financières classiques et de bailleurs de fonds de l’économie sociale. L’OBNL constate que les produits financiers de l’économie sociale lui permettent de compléter le montage financier, mais compliquent ses relations avec les institutions financières classiques. Ces produits sont qualifiés de capital patient en économie sociale, mais sont perçus comme une dette par les autres institutions financières.
Transition et management de la reprise
Le bâtiment nécessite d’importantes rénovations et une mise à jour des équipements. C’est un investissement considérable, mais indispensable pour offrir un service plus attrayant et ainsi augmenter la clientèle et les revenus de l’entreprise. Le repreneur s’appuie sur des experts externes qui représentent des charges importantes, car peu de fonds sont disponibles pour payer ces services. Enfin, certains employés sont réticents au début, mais se rallient à la nouvelle équipe de gestion lorsqu’ils constatent son efficacité et l’augmentation de la clientèle.
La reprise d’une entreprise manufacturière
17Le dernier cas exploré est celui du transfert d’une entreprise manufacturière peu rentable. Ce rachat, financé sur fonds propres, s’inscrit, pour l’OBNL, dans une logique de diversification des activités économiques qui permet d’assurer sa pérennité. Dans ce cas de figure, la faible rentabilité de l’entreprise la rend peu attrayante pour des repreneurs du secteur privé.
18Cette histoire se caractérise principalement par le mode de financement du rachat. En effet, contrairement aux deux autres histoires de reprise présentées, le financement ne repose que sur les fonds propres. Ce dernier point est, pour le repreneur, considéré comme un facteur de succès. La lecture que fait le repreneur de cette stratégie s’explique en partie par le désir de contourner l’enjeu de la prise de risques, notamment lorsqu’il est question de recourir aux prêts. Elle s’inscrit également dans une volonté de ne pas se développer au-delà de ses moyens. Au final, cette reprise s’articule autour des éléments suivants : la diversification des revenus, le développement des activités de l’OBNL (économiques et sociales) et le degré de prise de risques, réduit le plus possible (fonds propres de l’organisme).
L’histoire de la reprise d’une entreprise manufacturière peu rentable par un OBNL
L’OBNL est à la recherche d’une entreprise à racheter. Il en cherche une dont la chaine de production peut être facilement adaptée pour des personnes ayant des limitations. L’entreprise à reprendre est identifiée à l’aide d’un site internet qui répertorie des entreprises à vendre. Ce rachat est perçu comme un moyen de se soustraire à une logique de sous-traitance et lui permet aussi de diversifier ses activités pour se développer. Du côté du cédant, la vente est motivée par un départ à la retraite.
Accord
Le cédant désire obtenir un montant intéressant de la vente de quelques actifs représentant pour lui son « fonds de retraite ». Son produit nécessite une expertise qu’il est prêt à vendre. L’OBNL découvre que les états financiers ne sont pas adéquats. L’expertise externe étant d’un coût élevé, l’OBNL décide donc d’en évaluer lui-même la rentabilité. Les deux parties s’entendent sur un prix qui comprend le transfert d’expertise, le nom de l’entreprise, le carnet de commandes et les équipements. L’OBNL dispose de l’expertise pour adapter la chaine de production, mais a tout de même besoin de celle du cédant pour s’approprier le processus de fabrication.
Le repreneur s’est déjà appuyé sur des subventions ou des prêts pour se développer par le passé, mais les juge trop contraignants et difficiles à obtenir. L’OBNL puise donc dans ses propres fonds pour financer le rachat.
Transition et management de la reprise
La transition implique de revoir les processus de fabrication pour maximiser le nombre d’emplois créés ainsi que pour les adapter aux capacités des employés. Le repreneur doit rassurer les clients du cédant sur la qualité de la production et les capacités des employés ayant des limitations. L’OBNL découvre que le carnet de clients est moins étoffé que ce que prétendait le cédant, ce qui le contraint à embaucher un représentant. Il découvre aussi que la qualité de la production du cédant laissait à désirer. Il met donc en place des processus rigoureux de contrôle de la qualité. Une fois le transfert complété, l’entreprise crée des ententes avec des commerces pour augmenter ses points de vente. L’OBNL embauche aussi de nouveaux employés, car il se diversifie et offre une gamme plus étendue de produits.
Le statut juridique OBNL peut être un facteur de succès pour la reprise de PME
19La reprise collective sous forme OBNL est donc présente au Québec, et ce, dans des secteurs variés. Elle peut prendre différentes formes et différentes pratiques. Concernant la dynamique du processus de reprise en mode OBNL, trois figures ont pu émerger autour du secteur d’activité et du niveau de rentabilité de l’entreprise transférée :
- La reprise d’une entreprise immobilière dans un marché actif et rentable, où la concurrence du secteur privé est forte ;
- La reprise d’une entreprise de divertissement non rentable dans un contexte difficile dans son secteur d’activité ;
- La reprise d’une entreprise manufacturière peu rentable et peu attractive pour le secteur privé.
20Si le nombre de cas étudiés (six) dans cette recherche ne permet pas d’en tirer une typologie, des particularités liées au statut juridique d’OBNL émergent néanmoins. Le statut juridique OBNL peut être un facteur de succès. Il permet la reprise dans des secteurs d’activité peu rentables – étant donné qu’il n’y a pas d’actionnaire à rétribuer – et donne également accès à certaines ressources (mobilisation de subventions gouvernementales, de capital patient d’acteurs de l’économie sociale…). L’identification de la « bonne » PME à racheter se fait avant tout sur la base de l’adéquation avec la finalité sociale de l’OBNL et non en fonction de la santé financière ou de la rentabilité attendue de la PME. Ce statut offre un potentiel intéressant et actuellement inexploité pour le transfert de PME.
21Ainsi, les cas étudiés permettent d’identifier plusieurs opportunités pour ce type de reprise : 1) lorsque le cédant a à cœur des principes et des valeurs proches de celles de l’économie sociale ; 2) lorsqu’une entreprise est peu rentable et donc peu intéressante pour une entreprise privée ; 3) lorsque des fonds sont dédiés à ce statut juridique dans un secteur d’activité donné (subventions gouvernementales et/ou capital patient d’acteurs de l’économie sociale).
22Toutefois, ces reprises réussies ne doivent pas masquer les importants défis rencontrés, principalement liés à la mobilisation des ressources financières. Les outils financiers auxquels a accès l’OBNL ne sont pas une panacée, comme en témoignent la lecture d’acteurs financiers « classiques » dans la façon d’appréhender certains outils financiers de l’économie sociale.
23Si cette première recherche ne permet pas de généraliser les résultats, l’analyse effectuée confirme que la reprise en mode OBNL peut non seulement fonctionner, mais également être porteuse de développement économique. Cette alternative du repreneuriat collectif semble donc intéressante pour le transfert de PME à la suite des prochains départs à la retraite de dirigeants québécois. Il serait pertinent, dans des recherches ultérieures, d’étudier davantage de cas de reprises de PME par des OBNL au Québec comme à l’étranger.
Notes
-
[1]
Communiqué de presse de la Caisse de dépôt et placement du Québec, Montréal, le 15 février 2017.
-
[2]
Institut de la Statistique du Québec, (2017). Le financement et la croissance des petites et moyennes entreprises au Québec en 2014 – rapport d’enquête.
-
[3]
Institut de la statistique du Québec, 2019. Enquête auprès des organismes à but non lucratif, des coopératives et des mutuelles.
-
[4]
Picard, C. & Thévenard-Puthod, C. (2004). La reprise de l’entreprise artisanale : spécificités du processus et conditions de sa réussite. Revue internationale PME, 17(2), p. 93-121.
-
[5]
Bouchard, M. J. (éd.), (2010). The Worth of the Social Economy. An International Perspective. Brussels: PIE Peter Lang, Ciriec collection Social Economy and Public.
-
[6]
Picard, C. & Thévenard-Puthod, C. (2004). La reprise de l’entreprise artisanale : spécificités du processus et conditions de sa réussite. Revue internationale PME, 17(2), 93-121.
-
[7]
Gras, D., & Mendoza-Abarca, K. I. (2014). Risky business? The survival implications of exploiting commercial opportunities by nonprofits. Journal of Business Venturing, 29(3), 392-404.
-
[8]
Deschamps, B. (2002). Les spécificités du processus repreneurial, Revue française de gestion, 28(138), 175-188.
-
[9]
Barbot-Grizzo, M.C.. (2013). Opportunités et difficultés des transmissions de PME en SCOP : quelles solutions ?, Entreprendre & Innover, 1(17), 72-82.
-
[10]
Richomme-Huet, K., & d’Andria, A. (2010). De l’usage d’une boîte à outils 2.0 dans le repreneuriat. Revue internationale d’intelligence économique, 2(1), 29-47.
-
[11]
Aubry, C.& Wolff, D. (2016). La transmission d’entreprise : Un objet d’étude complexe, entre sciences de gestion, anthropologie et psychologie, Vie & sciences de l’entreprise, (201), 32-50.
-
[12]
Grégoire, M., & Delalieux, G. (2015). Les obstacles à la Reprise d’Entreprise en Scop après un dépôt de bilan : le cas d’Intercoop. Entreprendre & Innover, (3), 53-65.
-
[13]
Picard, C. & Thévenard-Puthod, C. (2004). La reprise de l’entreprise artisanale : spécificités du processus et conditions de sa réussite. Revue internationale PME, 17(2), 93-121.
-
[14]
Barbot-Grizzo, M.C., (2013). Opportunités et difficultés des transmissions de PME en SCOP : quelles solutions ? Entreprendre & Innover, 1(17), 72-82.
-
[15]
Bargues, É., H ollandts, X., & Valiorgue, B. (2017). Mettre en œuvre une gouvernance démocratique suite à une reprise en SCOP-Une lecture en termes de travail institutionnel. Revue française de gestion, 43(263), 31-50.
-
[16]
Le Chantier de l’économie sociale est l’interlocuteur du gouvernement du Québec en économie sociale.
-
[17]
Trépanier, M. & Georges Aka, K. (2018). L’analyse des réseaux dans les activités d’innovation des PME : le rôle oublié de l’homophilie. Revue internationale PME, soumis pour publication.
-
[18]
Ibid, p. 40.