
Claire Hédon est, depuis 2015, la présidente d’Agir Tous pour la Dignité (ATD) Quart Monde France, mouvement de défense des droits de l’homme dont l’objectif est d’éradiquer l’extrême pauvreté. ATD a porté dès l’origine la démarche « Territoire zéro chômeur de longue durée ».
Didier Goubert, directeur de l’entreprise solidaire Travailler et Apprendre Ensemble (TAE) d’ATD Quart Monde, a participé dès 2010 à la conception du projet et travaillé à sa concrétisation.
Daniel Le Guillou est vice-président de l’Entreprise à But d’Emploi Actypoles-Thiers (Puy-de-Dôme). Il est chargé de la capitalisation des connaissances au sein de l’association « Territoires zéro chômeur de longue durée ».
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1Contre le chômage, on n’a pas tout essayé ! La preuve : l’opération « Territoires zéro chômeur de longue durée » a permis à des femmes et des hommes privés d’emploi depuis des années de signer un CDI dans une « Entreprise à But d’Emploi » (EBE), une innovation sociale qui ose adapter l’emploi aux personnes et mettre l’économie au service de l’humain plutôt que l’inverse. Portée par ATD Quart Monde [1] à partir d’une intuition de l’entrepreneur social Patrick Valentin [2], cette innovation encore expérimentale repose sur un principe simple : plutôt que de verser une indemnité ou des aides sociales aux personnes privées d’emploi, l’État transfère cet argent à un fonds, qui le verse aux EBE pour chaque personne recrutée. Ces entreprises d’un genre nouveau, en lien avec Pôle emploi et les missions locales, développent des activités en fonction des compétences de leurs salariés, tous volontaires. L’Entreprise à But d’Emploi fonctionne « à l’envers » : l’emploi est l’objectif premier, la raison d’être de l’entreprise. On part de ce que les personnes savent, peuvent ou veulent faire et on se pose ensuite la question des besoins à satisfaire dans l’environnement immédiat de l’entreprise (le territoire) et qui sont susceptibles de correspondre aux compétences en question. Tant que cela ne concurrence pas le tissu économique existant, l’EBE a le champ libre pour développer tout type d’activités. Ce dispositif a été rendu possible par une loi d’expérimentation adoptée en 2016 pour cinq ans, défendue à l’Assemblée Nationale par Laurent Grandguillaume, aujourd’hui président de l’association Tzcld (Territoires zéro chômeurs de longue durée).
2Conjuguant témoignages des acteurs et analyse économique, l’ouvrage dresse un bilan de deux ans d’expérimentation. Il propose des pistes de réflexion pour assurer le succès de la démarche, alors que fin 2018, quelque 800 emplois ont été créés et que l’extension du dispositif à de nouveaux territoires est à l’ordre du jour.
Derrière les chiffres, une réalité sociale
3Construit en deux parties distinctes, l’ouvrage peut être lu de deux façons, précisent ses auteurs dès l’introduction. La première partie est consacrée au contexte économique « dans lequel prend forme l’idée de s’attaquer de manière nouvelle au chômage de longue durée ». Mais on peut choisir de commencer la lecture par la seconde partie, qui plonge d’emblée le lecteur dans le récit de la mise en place du projet sur les territoires de l’expérimentation.
4En une centaine de pages documentées, les auteurs se livrent d’abord à une analyse synthétique des grandes évolutions de l’emploi et du travail dans les sociétés développées, en France en particulier. Ils commencent par questionner la pertinence des indicateurs de mesure du « chômage », qui laissent en particulier dans l’ombre le fameux « halo autour du chômage », qui l’Insee évalue à 1,5 millions de personnes. Il s’agit de tous ceux qui ne sont pas considérés comme chômeurs au sens du Bureau international du travail (BIT) mais qui souhaiteraient travailler. Sans parler du temps partiel « subi », difficile à distinguer du temps partiel choisi. Globalement, depuis 1996, le nombre de demandeurs d’emplois officiellement recensés a augmenté de près de 50 %, la tendance de fond s’étant interrompue seulement entre 1998 et 2001, puis entre 2006 et 2007. L’évolution globale est plus favorable depuis 2016, mais ne doit pas masquer une tendance préoccupante, rappelée avec insistance par les auteurs : la montée du chômage de longue durée. Le nombre de personnes inscrites depuis plus d’un an en catégorie A, B, ou C est passé de un million fin 2008 à 2,6 millions en septembre 2018. Le nombre des personnes privées d’emploi depuis plus de deux ans a quant à lui triplé ! Les auteurs rappellent également une donnée inquiétante au regard de la réforme à venir de l’assurance-chômage : « compte-tenu des conditions à remplir pour bénéficier de l’allocation-chômage (…) 49 % des demandeurs d’emploi ne pouvaient pas percevoir d’allocation en 2014 » (p. 38).
5La situation n’est pas plus favorable chez nos voisins. « La plupart des pays occidentaux sont logés à la même enseigne, notent les auteurs. Ils divergent simplement sur la manière de cacher la réalité d’une exclusion croissante du marché de l’emploi. Au fond, comme le suggère Patrick Artus [3], la question est de savoir si le retour à l’emploi peut se faire autrement qu’avec une forte flexibilité du marché du travail et la création d’emplois peu protégés et mal payés (comme aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Allemagne), c’est-à-dire en transformant des chômeurs en travailleurs pauvres. » (p. 54)
Renouveler l’analyse, au-delà des dogmes
6Au terme du premier chapitre, Claire Hédon, Didier Goubert et Daniel le Guillou posent que les raisonnements classiques, illustrés par les analyses de Patrick Artus mais aussi par les propos d’Emmanuel Macron [4] à propos du « pognon de dingue » consacré aux pauvres et aux exclus, sont impuissants à proposer autre chose que la transformation des chômeurs en travailleurs pauvres, intermittents et/ou précaires. Pour eux, « la théorie dominante est dans un tel désarroi qu’il ne faut pas en attendre de réponses efficaces tant qu’elle n’aura pas abandonné ses dogmes fondateurs » (p. 57).
7Indemnisation et formation des chômeurs, fonctionnement de Pôle emploi, allègements de charges, contrats aidés, tout cela coûte très cher. Ainsi, « depuis le début des années 90, des mesures visant à réduire le coût du travail se sont multipliées et leur montant a plus que doublé en vingt ans, atteignant 122 milliards d’euros en 2015, » peut-on lire dans l’introduction (p. 11). Aujourd’hui, environ 80 % des emplois dans le secteur marchand sont « subventionnés » d’une façon ou d’une autre.
8Le second chapitre de l’ouvrage détaille l’ensemble des mesures « coûteuses et insuffisantes » déployées depuis un quart de siècle pour favoriser l’emploi : allègements de cotisations sociales pour les bas salaires, Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi (CICE), puis Pacte de responsabilité, contrats aidés, primes à l’emploi, baisse de la TVA dans le secteur de la restauration, réduction d’impôt pour les services à domicile, plans d’accompagnement pour les chômeurs de très longue durée, réduction du temps de travail, assouplissement des conditions du licenciement et on en passe. Évaluer l’impact de chacune de ces politiques n’est guère praticable. « Il est impossible de savoir ce qui se serait passé en l’absence de la mesure dont on cherche à évaluer l’impact, du fait de l’impossibilité de comparer une situation existante à une situation hypothétique », notent les auteurs (p. 73). Sans parler des effet d’aubaine (sans aides, certaines entreprises auraient quand même embauché), des effets de substitution (recruter un jeune peu qualifié mais subventionné et licencier un senior) ou des interactions avec d’autres politiques mises en œuvre simultanément, y compris pour financer lesdites mesures (suppression de la cotisation chômage des salariés mais augmentation de la CSG pour compenser).
9Pour clore leur état des lieux, les auteurs évoquent une « double impasse théorique », qui empêche de se représenter la réalité vécue et surtout conduit à l’adoption de politiques inefficaces. « La théorie standard, écrivent-ils, en assimilant le travail à une marchandise, est dans l’impossibilité d’expliquer les principaux ressorts du fonctionnement du marché du travail et donc de la création d’emploi. » Car le « marché » du travail n’en est pas vraiment un, heureusement. Il ne suffit pas d’y faire baisser le prix pour que mécaniquement la demande augmente. Ce marché est une construction sociale régie par de nombreuses institutions et dispositifs juridiques, institutionnels et organisationnels sans lesquels il ne peut pas fonctionner. Les solutions « néoclassiques » ou « keynésiennes » (réduire le coût du travail, moins indemniser les chômeurs, assurer une plus grande « flexibilité » externe, améliorer la formation) ne marchent pas ou pas suffisamment car elles relèvent d’une logique quantitative et comptable. Il faut décidément chercher autre chose…
Un renversement de perspective
10L’aventure collective « Territoires zéro chômeur de longue durée » telle qu’elle est racontée par les auteurs du livre se situe dans le droit fil de soixante ans de combat d’ATD Quart Monde contre la privation d’emploi et de dignité. Au début des années 2000, faisant le constat que les structures dites « d’Insertion par l’Activité Économique » (IAE) ne suffisent pas à sortir durablement les gens de la précarité, ATD crée une entreprise d’un genre nouveau, Travailler et Apprendre Ensemble (TAE), qui recherche des activités marchandes aussi profitables que possible pour pouvoir remettre des personnes en selle. TAE couvre 70 à 80 % de ses charges grâce à son chiffre d’affaires, le reste provenant de divers financements publics et privés. Mais elle se heurte à l’absence d’un cadre juridique qui permettrait de faire travailler les gens en CDI, alors que les aides publiques à l’emploi dans le cadre de l’insertion impliquent des CDD…
11« En 2010, l’expérience vécue au sein de TAE vient rejoindre l’intuition de Patrick Valentin, relatent les auteurs. Celui-ci avait réalisé sur le territoire de Seiches-sur-le-Loir (Maine-et-Loire) une étude de faisabilité très détaillée d’un projet visant à proposer du travail à chaque chômeur de longue durée de la commune. Faute de financement ad hoc à l’époque, son projet n’avait pu être mis en œuvre. » (p. 93) Le projet « Territoire zéro chômeur » se situe au croisement des deux concepts.
12Le chapitre 5 de l’ouvrage fait le récit de la mobilisation d’acteurs de terrain autour du projet, depuis les premières discussions infructueuses avec les décideurs publics (gouvernement Ayrault, 2011-2012) jusqu’au vote de la loi en novembre 2015, en passant par le groupe de travail parlementaire animé par Laurent Grandguillaume à partir de 2014, et les expérimentations menées en parallèle et en avance de phase par des pionniers très déterminés, dans cinq territoires. Le décret d’application de la loi, publié en juillet 2016, institue un « Fonds national d’expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée » présidé par Louis Gallois. Le fonds lance un appel à candidature en juillet 2016, auquel répondent 33 collectivités. Dix territoires sont retenus par le ministère du Travail, dont les cinq déjà engagés dans la démarche. Les premières Entreprises à But d’Emploi (EBE) sont officiellement créées en janvier 2017. Fin 2018, onze entreprises de forme EBE sont actives et ont embauché plus de 800 personnes en CDI, à « temps choisi », puisque les personnes peuvent opter pour le temps partiel ou le temps plein.
Les principes de base de la démarche
- Personne n’est inemployable : toutes celles et tous ceux qui sont durablement privés d’emploi ont des savoir-faire et des compétences.
- Ce n’est pas le travail qui manque, c’est l’emploi, puisque de nombreux besoins de la société ne sont pas satisfaits.
- Ce n’est pas l’argent qui manque, puisque chaque année le chômage de longue durée entraîne de nombreuses dépenses et manques à gagner que la collectivité prend en charge.
Une dynamique territoriale
13L’idée selon laquelle il vaut mieux payer quelqu’un pour travailler plutôt que pour ne rien faire n’est pas nouvelle, remarquent les auteurs. La question d’utiliser de façon plus intelligente les budgets considérables consacrés à indemniser les chômeurs n’est pas originale non plus. On appelle cela, depuis des décennies, « l’activation des dépenses passives ». Mais les auteurs du livre expliquent parfaitement pourquoi l’idée peut cette fois réussir là où toutes les tentatives précédentes ont échoué [5]. En effet, à rebours des dispositifs technocratiques et généralistes de lutte contre le chômage, décidés d’en haut, la démarche « Zéro chômeur » part du terrain. Elle est née de personnes entreprenantes et opiniâtres bien ancrées sur leur territoire, qui ont travaillé et engagé la démarche avant de savoir si une loi viendrait consacrer leurs efforts. Elle ne peut exister qu’à l’échelle locale, sur des bassins de population de 5 000 à 10 000 personnes au maximum. « Il faut que les acteurs se connaissent, qu’ils aient le sentiment d’un présent et d’un avenir partagé », remarquent les auteurs (p. 104). Les initiateurs de la démarche considèrent l’emploi comme un « bien commun », un droit pour tous [6]. Ils écrivent que « l’emploi est créé par le territoire par et pour ses habitants » (p. 248). Il en découle quelques principes simples, énoncés sur le site internet de l’association créée pour fédérer toutes les expérimentations. Ces principes sont :
- L’exhaustivité territoriale : un emploi doit pouvoir être proposé à tous les chômeurs de longue durée du territoire qui frappent à la porte. Les personnes concernées sont les demandeurs d’emploi, quel que soit le motif pour lequel leur contrat de travail a pris fin, qu’elles soient inscrites ou non sur la liste établie par Pôle emploi. Elles doivent être privées d’emploi depuis plus d’un an et domiciliées depuis au moins six mois dans l’un des territoires participant à l’expérimentation.
- L’embauche non sélective : l’emploi est produit en fonction des savoir-faire, des envies, des possibilités des personnes et de leur date de candidature. Il n’est pas question pour l’EBE de choisir de recruter uniquement les gens les plus productifs.
- La qualité de l’emploi : l’objectif est double. Apporter d’emblée une sécurité à ceux qui subissent le plus durement la pénurie d’emploi avec le recours au CDI. Permettre à chacun d’être acteur de l’animation de l’Entreprise à But d’Emploi.
− L’emploi à temps choisi : les personnes embauchées choisissent leur temps de travail. - L’emploi-formation : l’emploi proposé aux personnes doit leur permettre d’acquérir de nouvelles compétences. Le caractère formateur de cet emploi doit donc toujours être garanti : montée en compétences sur un poste de travail donné, mobilité professionnelle au sein de l’entreprise, formation continue…
- La création nette d’emplois : les EBE doivent s’attacher à proposer des emplois supplémentaires sur le territoire en articulation avec le tissu économique local.
Un projet neutre pour les finances publiques, mais un modèle économique fragile
14« Créer des emplois de qualité, caractérisés notamment par le contrat à durée indéterminée, pour toutes les personnes privées durablement d’emploi en réallouant les dépenses et les manques à gagner liés au chômage de longue durée », tel est le principe présenté dans le livre (p. 111). Contrairement à d’autres mesures (allégements de cotisations, primes) dont le financement crée une charge supplémentaire pour la dépense publique, les emplois créés dans les EBE sont financés à la fois par des dépenses évitées et par des recettes supplémentaires pour la collectivité, moyennant une « tuyauterie » un peu complexe, en l’occurrence un fonds de dotation dont la contribution peut varier dans le temps.
15Le « modèle économique » des EBE combine le développement d’un chiffre d’affaires réalisé grâce à des activités non concurrentes de celles existant déjà -pour ne pas fragiliser le tissu économique local- et un montant forfaitaire alloué par l’État au titre de chaque emploi créé. Les promoteurs du projet distinguent plusieurs types d’économies et de gains pour la collectivité. Au niveau individuel, les économies concernent les minima sociaux et les aides qui ne sont plus versés, tandis que les gains proviennent des cotisations et impôts supplémentaires engendrés. Au niveau « non individualisable », pour employer le jargon des promoteurs du projet, les économies sont réalisées sur les dépenses liées au fonctionnement du service public de l’emploi ou sur les dépenses sociales des départements ou des communes. Les gains correspondent au supplément de pouvoir d’achat des salariés de l’EBE qui vont consommer davantage, faire rentrer davantage de TVA, etc.
16« Ce premier bilan fait apparaître un montant total d’économies et de gains pour les finances publiques compris entre 18 000 et 20 000 euros par emploi en équivalent temps plein, très proche de l’hypothèse haute mentionnée par ATD Quart Monde » détaillent les auteurs. En face, le coût d’un emploi créé dans une EBE tourne autour de 26 000 euros par emploi en ETP. En 2017, première année d’expérimentation, compte-tenu d’un chiffre d’affaires moyen de 3 000 euros par salarié, le besoin de financement était d’environ 23 000 euros par emploi. Le montant de la contribution publique étant d’environ 18 000 euros par ETP, il subsistait à financer environ 5 000 euros. L’État a alloué pour le démarrage des dotations exceptionnelles, qui ont servi à combler le déficit, mais également à financer des investissements [7].
17Les activités vont certes monter en puissance et les chiffres d’affaires progresser, mais il est difficile de prévoir dans quelle mesure. Car cette progression du chiffre d’affaires est fortement contrainte par l’étroitesse du périmètre géographique concerné, l’obligation de non-concurrence et les profils des personnes recrutées, qui ne font l’objet d’aucune sélection. Par ailleurs, comme le remarque Boris Surjon, président d’Actypoles Thiers (Puy-de-Dôme), cité par les auteurs (p. 213), « les travaux utiles existent en quantité suffisante, mais ils ne sont pas toujours rémunérateurs, en particulier dans les territoires où le pouvoir d’achat est faible. »
18Remarquant qu’il est beaucoup trop tôt pour tirer des conclusions, les auteurs de l’ouvrage ne cachent pas que la « soutenabilité » économique du projet dans la durée est posée. Le décret initial prévoit une éventuelle dégressivité de la contribution de l’État au fur et à mesure du développement de l’EBE. Une piste envisageable serait que « simultanément, les autres institutions bénéficiaires des économies et des gains augmentent leur contribution », notent les auteurs (p. 212).
19Sur le terrain, les responsables des Entreprises à But d’Emploi militent pour que soit maintenue au moins au même niveau la contribution actuelle. « Tezea ne sera jamais à l’équilibre, même si la plupart des salariés vont essayer de progresser et de s’en sortir, affirme ainsi Jean-François Bertin, entrepreneur membre du comité local de Pipriac et Saint Ganton, cité par les auteurs (p. 213). Car certains sont trop esquintés par la vie et il y a aussi le fait qu’on ne doit pas concurrencer les entreprises du territoire. Donc on aura beaucoup de mal à trouver des activités qui seront rentables pour Tezea. La contribution sera toujours indispensable, même si j’espère qu’elle baissera un peu au fil des années. »
Un modèle en devenir
20L’expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée » devait durer cinq ans. Grâce à l’annonce de son extension par le président de la République le 13 septembre 2018, lors de la présentation d’un plan de lutte contre la pauvreté, elle devrait se prolonger au-delà pour les dix premiers territoires et être étendue à d’autres.
Les dix premiers territoires « Zéro chômeur de longue durée »
Territoire | Nom de l’entreprise | Activités | Nombre de salariés* |
---|---|---|---|
Colombelles, Calvados | EBE Atipic | Maraîchage, activités de lien social, entretien des bâtiments | 66 |
Pays de Colombey et du sud toulois Meurthe-et-Moselle | EBE La fabrique | Recyclerie, maraîchage, bûcheronnage | 67 |
Jouques Bouches du Rhône | EBE Élan Jouques | Ressourcerie, services aux particuliers, services aux entreprises | 46 |
Mauléon, Deux-Sèvres | EBE ESIAM | Entretien d’espaces verts, recyclage de tissus, démantèlement et recyclage de matériaux | 77 |
Métropole européenne de Lille Nord | EBE La Fabrique de l’Emploi | Épicerie solidaire, recyclerie et garage solidaire, maraîchage | 117 |
Communauté de communes Entre Nièvre et Forêts Prémery Nièvre | EBE 58 | Bûcheronnage, conciergerie, recyclerie | 96 |
Paris 13ème | EBE 13 Avenir | Conciergerie seniors, conciergerie d’entreprises, entretien d’espaces verts | 43 |
Pipriac et Saint-Ganton, Ille-et-Vilaine | EBE TEZEA | Prestations aux entreprises, prestations aux particuliers, recyclerie | 71 |
Thiers Puy-de-Dôme | EBE Actypoles-Thiers | Entretien d’espaces verts, garage et mobilités solidaires, couches lavables | 77 |
Villeurbanne Rhône | EBE Emerjean | Services aux habitants, services aux entreprises, collecte et compostage de biodéchets | 78 |
21La démarche a suscité un engouement indéniable dans les médias et dans l’opinion. Plus de deux millions de personnes ont vu sur M6 un reportage sur l’expérience de Mauléon. De nombreuses collectivités déclarent se préparer à entrer dans la démarche. Une cinquantaine ont déjà créé un comité local et déclarent être en mesure de se lancer dès qu’on leur en donnera la possibilité, c’est-à-dire dès le vote d’une seconde loi. Mais il ne manquera pas d’esprits chagrins pour faire remarquer que la généralisation du dispositif pourrait coûter très cher, surtout pour créer des « petits boulots ».
22À cela, les auteurs répondent tout au long du livre en mettant en avant des effets beaucoup plus profonds sur les territoires que la simple lutte contre le chômage de longue durée. « Le projet, écrivent-ils, vise non seulement à procurer ce bien essentiel qu’est l’emploi pour tous, mais aussi à transformer nos territoires pour qu’ils fonctionnent non sur un mode de mise en compétition des personnes et de sélection, mais de solidarité et de coopération. Le projet vise aussi à transformer chacun de nous. Nous sommes à bien des égards dans la même problématique que celle de la transition écologique. Là aussi, il s’agit d’un changement de culture, qui nécessite une envie partagée et beaucoup de temps » (p. 287).
23Au-delà de l’analyse lucide des enjeux, des obstacles, des risques et des conditions de réussite du projet, le livre plaide pour qu’on laisse aux expérimentations en cours le temps nécessaire, non seulement à leur réussite – lorsque toutes les personnes d’un territoire qui le souhaitent auront été embauchées dans une EBE –, mais aussi à leur évaluation approfondie. Car les Entreprises à But d’Emploi interrogent in fine les règles les mieux établies du système économique dominant.
Notes
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[1]
Rejoint depuis par d’autres acteurs comme le Secours Catholique, Emmaüs, La Fédération des acteurs de la solidarité et le Pacte Civique.
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[2]
Patrick Valentin, Le chômage d’exclusion… Comment faire autrement ? Lyon, Chronique sociale, 1993.
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[3]
Patrick Artus, « Zone Euro, France, Espagne, Italie : le plus urgent est de réduire le taux de chômage structurel, mais peut-on le faire sans faire apparaître des travailleurs pauvres ? », Natixis, Flash Economie, 25 août 2017.
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[4]
Propos tenus le 12 juin 2018.
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[5]
On retrouve de manière synthétique la démonstration dans le compte-rendu d’une réunion de l’École de Paris du Management consacrée au projet sous la plume de Michel Berry sur le site du Jardin des entreprenants http://www.lejardindesentreprenants.org/2019/09/25/la-greve-du-chomage-la-fabuleuse-aventure-de-territoires-zero-chomeur-de-longue-duree/.
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[6]
Le préambule de la Constitution de 1946 affirme : « chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. »
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[7]
Dotations exceptionnelles attribuées par le ministère du Travail en 2017 et 2018.