Les points forts
- Une PME se risque aujourd’hui à expérimenter des pratiques organisationnelles et managériales empreintes de processus collaboratifs et délibératifs. S’agit-il d’une innovation sociale ?
- Ces pratiques ont pour ambition de développer l’autonomie, la responsabilisation et la participation de l’ensemble du corps social.
- Cette nouvelle manière d’être ne s’acquiert que par des processus d’apprentissage et d’accompagnement permanents ainsi que par un niveau d’exigence et de réflexivité élevé.
1Des dirigeants, de plus en plus nombreux, aspirent à des méthodes plus soucieuses de l’humain et, à travers un foisonnement d’initiatives, proposent un « nouveau design organisationnel, alternatif à l’entreprise hiérarchique [1] ». Mais jusqu’où ces expérimentations vont-elles ? Annoncent-elles des lieux de travail plus émancipateurs, moins prescriptifs et laissant une large part à l’autonomie et à la subjectivité des acteurs ? Peut-on même aller jusqu’à penser que l’entreprise soit porteuse d’une véritable transformation sociale qui ambitionne d’aller au-delà de simples ajustements managériaux lui conférant ainsi le statut d’incubateur d’innovation sociale ?
2C’est ce que nous allons explorer à partir d’un cas représentatif : celui de l’entreprise PC, engagée depuis un peu plus de trois ans dans une démarche de transformation de son management vers des méthodes de travail plus agiles, plus collaboratives.
3Nous retenons que l’innovation sociale est un processus collectif fondé sur deux logiques inclusive et participative dans lequel l’association large des parties prenantes et leur participation garantissent la productivité de l’entreprise et favorisent le mieux-être des salariés.
4Face à l’effritement de l’État Providence, la quête de l’intérêt général ne réside plus uniquement dans les mains des pouvoirs publics, mais tend à se distribuer sur l’ensemble des acteurs de la société civile. Cependant, l’innovation sociale, ne peut se réduire à de micro changements organisationnels, à de simples mesures bienveillantes ou à une dynamique entrepreneuriale innovante. Pour que l’entreprise puisse être un lieu rénové de pratiques socialement innovantes, il faut que les expérimentations qui y sont conduites puissent être à la hauteur des promesses philosophiques et intentionnelles. Plus précisément, il s’agit de prendre au sérieux des incursions avant-gardistes dans les domaines de la politique, de la démocratie, de l’humanisme, voire des idéaux… qui, autrefois, tendaient à être justement bannies du périmètre entrepreneurial.
Grille de lecture de l’innovation sociale au sein d’une entreprise
L’objet Sur quel objet particulier porte l’innovation sociale ? | Les critères Quels sont les critères retenus de l’innovation sociale ? | Les attendus Quels sont les effets de l’innovation sociale ? |
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(1) Ré organisation du travail (2) Réaménagement des rapports hiérarchiques | (1) L’inclusion de l’ensemble des parties prenantes (2) La participation active de l’ensemble des parties prenantes | (1) La production d’effet d’apprentissage (2) Une meilleure productivité pour l’entreprise (3) Un mieux-être des salariés dans l’entreprise |
Grille de lecture de l’innovation sociale au sein d’une entreprise
5Nous proposons dans cet article d’analyser et de discuter la démarche de transformation sociale portée par le Directeur Général (DG) à partir de critères de qualification de l’innovation sociale et selon une grille d’analyse de lecture spécifique issue des travaux du CRISES [2]. Cette dernière vise à :
- identifier le ou les objets de la transformation (ou de l’innovation sociale),
- définir le ou les critères permettant de caractériser la transformation d’innovation sociale,
- appréhender le ou les principaux attendus d’une telle démarche.
6Après avoir identifié l’origine de la transformation de l’entreprise PC, nous analyserons les principaux dispositifs proposés et discuterons du caractère socialement innovant de cette démarche.
L’entreprise PC : lieu favorable à l’éclosion de pratiques innovantes
7L’entreprise PC, entreprise de la région Auvergne-Rhône-Alpes (AURA), spécialisée dans le commerce en ligne d’articles de loisir, se reconnaît aujourd’hui ouvertement dans le modèle des entreprises dites « libérées » (EL). Ce phénomène promu lors de la publication de l’ouvrage de Carney et Getz, « Liberté & Cie » en 2009, reste encore aujourd’hui difficile à saisir mais propose des expérimentations qui interrogent les formes de pouvoir traditionnelles et la place du management au sein de l’entreprise [3]. Ces dernières sont notamment caractérisées par un allégement des procédures de contrôle, une suppression des niveaux hiérarchiques et une recherche d’autonomie pour les équipes. Le courant de l’EL semble propice à l’étude de l’innovation sociale dans le sens où les divers exemples cités et médiatisés font état de nouvelles formes d’organisation capables d’inventer et d’adopter des modes de coopération différents, moins verticaux, garants de plus d’autonomie mais aussi souvent générateurs d’une amélioration du bien-être des salariés.
Encadré méthodologique
Du site communautaire à l’Entreprise Libérée
8Au départ, un site communautaire a été fondé en 2000 par deux beaux-frères passionnés par les loisirs de plein air. Il s’agit d’un site de partage de passion, astuces et bonnes adresses. Constatant un trafic important, les deux fondateurs repèrent une opportunité : inspirés par le modèle économique d’Amazon, en 2002, ils se lancent et créent une place de marché. Le chiffre d’affaires et le potentiel d’activité se développant, ils recourent à des compétences commerciales mais aussi techniques : graphiste, logisticien… Les associés sont alors face à un problème de rentabilité au regard du volume d’affaires généré, il faut trouver d’autres ressources.
9C’est le début d’une aventure entrepreneuriale singulière, créée ex-nihilo, qui conduira l’entreprise PC, 13 ans plus tard, à se revendiquer du modèle des entreprises libérées.
Les fondements de la transformation…
10La transformation au sein de l’entreprise PC a bénéficié de facteurs facilitants tels que la convergence entre les propositions managériales introduites par l’actionnaire principal [7] et le projet entrepreneurial du DG, ainsi que l’amélioration de la situation économique dès 2016. Le DG dispose dès lors d’une liberté totale d’action pour engager les changements. « Rétablir la confiance a été une étape prioritaire. Maintenant, il faut accélérer le processus de transformation », souligne-t-il, tout en continuant de chercher l’inspiration auprès de lectures philosophiques et d’ouvrages médiatisés autour de ces questions (I. Getz, J.F. Zobrist, F. Laloux…).
11Fort des bons résultats économiques de l’entreprise, le DG engage une réorientation de la stratégie, consolide et améliore sa politique humaine et salariale en s’appuyant sur la participation de tous à travers la mise en débat de thèmes, la constitution de groupes de travail mais aussi la pratique de référendum.
12Sur le plan managérial et organisationnel, la vision du dirigeant est sans équivoque. Il définit l’objet de cette transformation : réorganiser le travail et réaménager les rapports hiérarchiques. La première décision a été de décloisonner l’organisation en supprimant les silos [8] pour favoriser la transversalité entre les services (désormais pôles d’activité). L’organisation s’intègre ainsi dans un espace « paysager » dans lequel se trouve le bureau du DG et ce, sans marque distinctive particulière. Quant aux niveaux hiérarchiques, les leaders de pôle, élus désormais de manière démocratique par leurs pairs, viennent se substituer aux traditionnels responsables de service.
De la transformation à l’incubateur d’innovation sociale
13Désormais le DG, soutenu par le leader humain, engage son entreprise dans une transformation managériale et sociale et introduit toute une série de dispositifs, ambitionnant de réorganiser le travail, notamment en repensant le « pacte social » existant (selon les termes du DG), ou encore en favorisant l’éclosion de démarches participatives et collaboratives. Toutes les initiatives proposées, de nature expérimentale, sont soumises à une évaluation collective et sont régulièrement amenées à être ajustées.
La production d’un nouveau « pacte social »
14Même si le « pacte social » ne se limite pas, pour le DG, uniquement à la rémunération, sa priorité a consisté à refondre la politique de rémunération en place. Le système, considéré comme largement discriminant et ce, compte tenu de son héritage historique, devait être repensé en premier lieu afin d’élaborer un « nouveau pacte social ». Selon le DG, « la politique salariale cristallise beaucoup de choses. Maintenir la même politique salariale aurait été le symbole de ce qui se faisait avant… Il faut casser les habitudes du passé ». Sa philosophie : « volontairement inégalitaire mais plus équitable » ! « J’essaie de payer au plus près de ce que cela rapporte ! Je suis l’ennemi d’un égalitarisme plat ». Pour ce faire, est retenu un salaire fixe relativement bas en cohérence avec la convention collective. En concertation avec les salariés, un système variable et individualisé fondé sur un modèle d’auto-évaluation original complète cette politique de rémunération. Des primes dites exceptionnelles peuvent être déclenchées dès qu’il y a la réalisation d’une sur-performance [9].
Le modèle des primes exceptionnelles
- le premier niveau signifie : « Je suis là pour le boulot, ni plus, ni moins »,
- le deuxième niveau signifie : « Je souhaite m’améliorer et transmettre »,
- le troisième niveau signifie : « Je fais le lien entre les métiers, je contribue aux autres métiers »,
- le quatrième niveau signifie : « C’est moi qui impulse, ma conviction est influente »,
- le cinquième et dernier correspond au degré supérieur, stratégique.
15Lorsqu’un salarié se sent prêt et prétend à un niveau supérieur de prime, il va lui-même déclencher une procédure d’évaluation. Le principe repose sur une auto-évaluation du salarié pour définir le niveau de prime, le DG parle « d’effet miroir ». Le salarié choisit son niveau, ainsi que deux collègues pour son évaluation. Sont aussi associés le leader de pôle, le leader humain et le DG. L’évaluation est très formalisée, il faut argumenter avec des exemples concrets. On fait avant tout confiance à l’appréciation du collectif.
16Les processus de transformation sociale incluent également la politique de GRH, qui, portée par le leader humain, ne cesse de développer de nouvelles pratiques en associant une grande part des salariés.
Les commissions portées par le leader humain
17Le leader humain de l’entreprise s’est en effet engagé à créer et piloter différentes commissions (trois à cinq par an) afin de régler un certain nombre de problèmes rencontrés dans la gestion du personnel.
18Une fois le thème validé par le DG, le leader humain constitue son groupe de travail avec des personnes favorables et d’autres réfractaires à l’évolution de la thématique, l’effectif ne dépassant pas huit personnes. Chaque réunion est animée par le leader humain qui lance les débats et qui attend des différents participants des arguments permettant d’aboutir à un compromis. Un vote par référendum, point essentiel des nouvelles pratiques délibératives envisagées, est organisé auprès de tous les salariés pour adopter ou non la nouvelle règle.
L’exemple de la commission « Arrêts maladie »
Le foisonnement de pratiques collaboratives
19Pour obtenir l’engagement et la participation des salariés, l’entreprise investit, depuis trois ans, dans des formations aux méthodes agiles et collaboratives et en communication pour l’ensemble des employés. De nombreux groupes de travail ont été créés conduisant à un afflux d’initiatives et d’expérimentations. Chacun des collaborateurs peut donc être force de proposition et engager une réflexion et un groupe de travail sur un sujet précis. « On a changé la philosophie envers nos clients, on a mis en place des groupes de réflexion, des commissions pour travailler (…) où on imagine des choses, où on confronte nos points de vue… » explique le leader humain.
20Un lieu spécifique a par ailleurs été pensé dans l’entreprise pour encourager et soutenir l’éclosion de projets innovants, créateurs de richesse : il s’agit de l’Aqualab. Ce nouvel espace a été pensé comme un lieu de créativité répondant à l’objectif d’innovation, particulièrement stratégique pour l’entreprise. Au sein de cet espace, un tableau permet à chacun de noter ses idées ou projets pouvant concerner tous sujets en lien avec l’activité et l’entreprise. Ensuite, la priorisation des sujets est faite par le DG, selon divers critères dont le caractère stratégique. Une fois le projet retenu, tout le monde est invité à participer et à s’impliquer dans le projet.
Simples pratiques novatrices ou véritable d’innovation sociale ?
21Peut-on dès lors caractériser cette abondance de projets au sein de l’entreprise d’innovation sociale ?
Mise à l’épreuve des expérimentations
22L’ensemble des actions présentées ci-dessus [11] témoignent de l’instauration de nouvelles pratiques de GRH co-construites et discutées démocratiquement avec les salariés. Ces dispositifs répondent aux critères d’inclusion et de participation de l’ensemble des parties prenantes préalablement présentés dans la grille de lecture proposée.
23Des chercheurs et de nombreux observateurs [12] ont mis en exergue la place du facteur humain dans l’innovation et ont récemment démontré que des stratégies en RH pouvaient induire davantage d’innovation. Toutefois, ces travaux précisent que ce ne sont pas des pratiques RH isolées qui permettent de tels résultats, mais bien un ensemble cohérent de pratiques et de processus formant alors une politique de GRH plus efficace en termes de performance pour l’entreprise. Il semblerait que le DG de l’entreprise PC ait bien saisi cette dimension systémique en évoquant la priorité de la refonte du « pacte social » et en considérant les retombées économiques et sociales.
24Parmi celles-ci, il y en a qui s’inscrivent dans une logique d’apprentissage permanent et de mieux-être des salariés. Ces derniers, du fait de leur participation active dans les groupes de travail et compte tenu des formations suivies, font preuve de maturité dans la prise de parole. Ils s’autorisent à donner leur avis sur des questions traditionnellement réservées aux équipes de direction. Cet apprentissage du débat et de la discussion s’est développé à partir de pratiques collaboratives et, est aujourd’hui, source de satisfaction pour les salariés dans l’entreprise PC : « J’ai été contente de recevoir une lettre de mon DG pour participer à ce projet (…) J’aime l’idée de travailler en groupe, ça facilite le dialogue, les échanges ». Plusieurs salariés utilisent même la notion de « cercle vertueux » pour caractériser les dynamiques de travail dans les groupes ou dans les commissions. L’entreprise a su créer des espaces collaboratifs, à l’instar de l’Aqualab, garants d’une meilleure créativité : « On devient très mobiles, les espaces sont plus nomades, on a beaucoup changé ».
25Parmi les sources de satisfaction au travail, les salariés reviennent également très souvent sur la grande flexibilité des horaires ainsi que sur la confiance accordée : « On est très autonomes, je ne supporterais pas que l’on soit sur mon dos. On a un travail à faire et on se débrouille » (un salarié) ; « Tout le monde peut s’exprimer, même lorsque l’on n’est pas d’accord, on est très libres » (un autre salarié). Les propos recueillis auprès du leader humain font aussi clairement état de cette volonté d’engendrer des dynamiques sociales fructueuses : « On aime donner de la responsabilité, du sens à ce que font les gens chaque jour (…) Ma volonté ? Comment être bien dans l’entreprise ! ».
26Outre la dimension sociale, les retombées positives de la transformation sont également visibles au niveau économique. L’entreprise réalise un chiffre d’affaires dont la progression est à deux chiffres. Le dirigeant commente : « Je cherche une croissance et une rentabilité durable, une amélioration continue… Chaque année, on doit progresser… On peut encore progresser ». La totale transparence au niveau des résultats économiques permet de partager l’actuelle bonne santé financière avec les salariés et favorise une meilleure compréhension de la croissance de l’entreprise : « F. (le DG) fait une vidéo avec les chiffres, on a accès à vraiment tous les chiffres du mois, ça, ça nous a coûté tant, ça nous a rapporté tant, ça fait que l’on gagne tant » (un salarié).
27La dynamique de transformation de l’entreprise PC lui confère, selon la grille de définition mobilisée, le statut de véritable incubateur d’innovation sociale, tant les initiatives de collaboration et de participation sont nombreuses, étendues et génératrices de conséquences positives pour l’entreprise et ses salariés.
Dynamique vertueuse ou effet placebo ?
28Au-delà des transformations avérées des rapports productifs et sociaux, des résistances existent et peuvent remettre en cause cette dynamique. Elles traduisent les appréhensions ressenties par certains salariés de tendre vers un modèle d’entreprise très exigeant, voire trop, qui demande beaucoup de remises en cause, d’efforts d’apprentissage et d’engagement… Elles s’appuient également semble-t-il sur une confusion : celle de croire que les salariés ont (ou doivent avoir) le même objectif que celui de l’entreprise. Et ce, dans une période où l’entreprise a également considérablement changé en termes de taille, de marché, de technologies…
29Des expérimentations sont en cours et toutes n’ont pas encore été évaluées à ce jour… Pour l’ensemble des employés, les projets sont motivants et « porteurs d’un nouveau sens ». Certains d’entre eux, pourtant, relèvent des déconvenues.
30Ce sont tout d’abord les problèmes d’essoufflement qui sont pointés du doigt par certains salariés : « Ce système me plaît mais ces formations on n’en fait pas grand-chose… on s’essouffle et on abandonne », « On agite beaucoup les bras, c’est plus exigeant, cela nous demande des efforts car on doit sortir de notre zone de confort et attention s’il n’y a pas de résultat, on se décourage » ; « On est impliqués au départ c’est exact… mais avec la routine du quotidien, on en revient à la routine et le projet reste en fil rouge » ; « Ici, on a plein de projets qui se noient tous seuls ».
31Pour d’autres, ce sont davantage les processus délibératifs et la recherche de consensus qui posent des difficultés dans l’avancement des projets : « Je suis dans le compromis, dans la discussion mais la remise en question au bout de 20 réunions c’est du n’importe quoi, ce n’est plus de la démocratie ! Ici on veut être d’accord avec tout le monde mais on ne peut pas ! Il faut l’assumer… ».
32Ce processus démocratique [13] au cœur du nouveau système de validation par référendum, témoigne de la volonté du DG de réinventer en profondeur les rapports sociaux et les règles de décision. Dès lors, l’articulation de principes démocratiques est-elle possible avec le fonctionnement managérial, fondé sur une logique de subordination ? Une entreprise peut-elle fonctionner sur un mode démocratique [14] ? Les principes démocratiques sont limités au sein des entreprises en France, car les décisions stratégiques et économiques restent strictement l’affaire des dirigeants et des actionnaires. Peu d’initiatives questionnent les rapports de pouvoir dans l’entreprise ni même la possibilité d’une participation équitable des salariés à la création collective. Les expérimentations de l’entreprise PC apportent une contribution en la matière, en montrant que des dispositifs délibératifs peuvent fonctionner concrètement et faire avancer la démarche de transformation.
33Enfin, des frustrations, qui restent assez symptomatiques des entreprises dites « libérées », concernent précisément la délicate position des managers de proximité – appelés leaders de pôle dans l’entreprise PC. Bien que leur position ne soit pas unanime sur le sujet, nous relevons des propos particulièrement offensifs de la part de l’un des leurs : « Le middle management a été littéralement sacrifié ! On enlève quelque chose (…) mais on ne remet rien à la place. Moi cela m’embête, j’ai beaucoup souffert l’année dernière (…) Malgré tout, je pense qu’il faut un minimum de hiérarchie et là je pense qu’on est en dessous du minimum ».
34En conclusion, cette entreprise possède des points forts pour réussir sa mutation : une structure souple et très agile, un véritable incubateur qui ne cesse de proposer des groupes de travail, des commissions à chaque problème rencontré… « On recherche des solutions ensemble, on les teste rapidement, on observe, on réajuste, on revient en arrière si nécessaire… » (propos du DG).
35Autre point fort à noter, la démarche sincère et exemplaire du dirigeant à ce jour, jamais contestée, même par les salariés les plus sceptiques, parfois interpellés par ces transformations.
36La caractéristique de l’innovation sociale dans cette entreprise est d’être inclusive et participative dans un processus d’apprentissage “chemin faisant” au service de la performance de l’entreprise et du développement personnel des acteurs. Reste à savoir si les critères mobilisés dans cette contribution sont suffisamment pertinents et exhaustifs pour caractériser une transformation d’innovation sociale ?
37En outre, ce cas nous permet d’identifier des facteurs clés de succès pour réussir une transformation managériale et organisationnelle : une démarche réfléchie qui s’appuie sur une vision claire et cohérente d’une direction conciliant performance économique et sociale, une co construction permanente avec l’ensemble des salariés nécessitant des itérations et intégrant tous les facteurs de contingence propres à l’organisation. Ce qui signifie qu’il n’existe pas de parcours ou de construction type mais qu’il y a des possibilités de transformations dans un contexte donné.
38Les conditions de réussite sont également liées à un processus d’apprentissage et d’accompagnement permanent. La réussite organisationnelle dépend justement de la capacité d’une organisation à voir les choses sous un jour nouveau, à approfondir sa compréhension des phénomènes observés collectivement et à produire de nouveaux schémas comportementaux qui constituent des principes de base permanents devant impliquer l’ensemble des parties prenantes [15].
Notes
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[1]
Coutrot (Thomas), Libérer le travail. Pourquoi la gauche s’en moque et pourquoi ça doit changer, Seuil, 2018, p. 170.
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[2]
Cloutier (Julie), Qu’est-ce que l’innovation sociale ? Montréal : Crises, 2003, p. 1-46. Ces travaux permettent d’apporter une délimitation conceptuelle pertinente puisqu’actionnable au regard du cas étudié.
-
[3]
Marmorat (Sophie) et Nivet (Brigitte), L’entreprise libérée, une cité en quête d’un principe supérieur commun. Revue internationale de psychosociologie et de gestion des comportements organisationnels, 2017, 23(56), p. 141-161.
-
[4]
Dans l’entreprise PC, il y a des grands services (des pôles) correspondant à des métiers. Il n’y a plus de chefs, mais il y a le choix d’un leader. Les quatre pôles (administratif-financier, logistique, commerce et système informatique) sont associés à la stratégie, et il n’y a pas de pôle sans leader. Les collaborateurs ont élu leur leader de Pôle.
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[5]
Le leader humain est la personne qui occupe le rôle de responsable des ressources humaines.
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[6]
Seul le DG a pu être interrogé de manière longitudinale depuis l’année 2015, les leaders de pôle et les salariés ayant tous été interviewés au cours des quatorze derniers mois.
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[7]
L’actionnaire principal impose son projet industriel avec un processus d’internationalisation de l’activité, et introduit également une vision innovante du management qui consiste à transformer les « petits chefs » du passé en animateurs facilitants et bienveillants.
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[8]
En 2015, avec l’accroissement des effectifs (de 22 à une cinquantaine d’employés), l’entreprise s’est structurée par grandes fonctions, entraînant notamment la création de silos et un manque de collaboration entre les services.
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[9]
Cette sur-performance a fait l’objet d’un travail collaboratif de définition et de critères objectifs.
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[10]
Cela a notamment un impact financier car le délai de carence doit être pris en charge dans sa totalité par l’entreprise selon leur convention collective.
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[11]
Dans le cadre de cet article, toutes les démarches collaboratives n’ont pas pu être présentées. Néanmoins, il est important de souligner que d’autres actions ont émergé au cours des derniers mois, notamment un dispositif d’entraide entre services pour soulager la logistique, des groupes de travail pour penser l’ADN et la stratégie de l’entreprise ou encore des tutorats pour accompagner les salariés connaissant un échec dans leur évaluation pour l’atteinte d’un niveau supérieur de prime…
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[12]
Defélix (Christian), Mazzilli (Ingrid) et Gosselin (Alain), Articuler les politiques de GRH et les stratégies d’innovation : des modèles à l’épreuve des faits, Revue de gestion des ressources humaines, n° 96, 2015, p. 60-72.
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[13]
Nous n’aborderons pas dans cet article l’opposition entre démocratie directe et représentative.
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[14]
Nous retenons la définition de Supiot pour transposer les principes démocratiques à l’entreprise : « La démocratie naît d’une pratique plutôt rare, qui consiste à s’assembler pour décider ensemble et sur un pied d’égalité des affaires communes. D’où le droit pour chaque membre de cette assemblée de contribuer à l’édiction de la norme en contredisant le cas échéant le point de vue de ses pairs. » Supiot (Alain), De la citoyenneté économique : entretien avec Alain Supiot, Esprit, (442), 2018, p. 52-63.
-
[15]
Argyris (Chris) et Schön (Donald Alan), Organizational Learning. A Theory of Action Perspective. Reading, Mass, 1978.