Les points forts
- La création de liens dans des espaces de travail partagés peut être catalysée grâce à des évènements de cohésion.
- Notre article apporte des éclairages aux structures d’accompagnement qui cherchent à favoriser la culture du travail, à créer du capital social et à stimuler l’innovation des projets incubés.
- Les évènements de cohésion favorisent la collaboration au sein des nouvelles équipes de travail ou des équipes qui partagent un espace commun, comme les espaces de coworking.
1Comment se crée la dynamique de travail au sein d’un incubateur ? Comment faire collaborer les porteurs de projet entre eux ? Un événement de cohésion favorise-t-il l’interaction des porteurs de projet ?
2Les évènements collaboratifs ne sont pas un phénomène nouveau dans le monde du management. Les activités d’intégration et de « team-building » sont des pratiques courantes au sein des organisations. Ces évènements sont destinés à améliorer la performance, à modifier l’orientation stratégique ou à favoriser le changement. Leur utilisation est largement adoptée et aussi étudiée d’un point de vue académique [1]. Ces études ont démontré que les événements d’intégration ont des effets multiples, par exemple sur les attitudes, les comportements mais également l’ouverture d’esprit des membres d’une équipe. Enfin, les conséquences sont positives pour la performance des équipes de travail [2].
3Néanmoins, les études existantes ne permettent pas d’anticiper les résultats et bénéfices qui pourraient découler de l’organisation de ces événements collaboratifs sur un groupe d’entrepreneurs, notamment des entrepreneurs qui viennent de rejoindre un espace d’incubation. En effet, l’état de l’art ne s’intéresse qu’à des équipes existantes et non à des néo-entrants [3].
Comprendre comment naît la collaboration entrepreneuriale
4Les premières structures d’incubation sont apparues dans les années soixante (le premier incubateur, le Batavia Industrial Center, a été fondé en 1959 à New York). Leur logique de fonctionnement est simple. Il s’agit de créer un environnement favorisant l’émergence de nouvelles entreprises, le développement des écosystèmes d’innovation ainsi que la croissance économique d’une région [4]. Le nombre d’incubateurs augmente aujourd’hui de manière importante, notamment en France. Cette forte croissance suggère un énorme intérêt des pouvoirs publics, ainsi que des acteurs privés et des institutions d’enseignement supérieur, pour l’utilisation de ces dispositifs comme structures de développement, notamment territorial.
5Il est par conséquent essentiel de mieux comprendre les mécanismes conduisant à la réussite des projets hébergés dans ces structures. Dans le cas des évènements d’intégration, il s’agit tout d’abord d’expliquer les effets de ces évènements sur des entrepreneurs qui ne se connaissent pas avant le démarrage du programme d’incubation. En outre, il s’agit d’observer les effets des évènements pour favoriser la collaboration et les échanges dans des équipes qui peuvent travailler dans des logiques de coopétition [5] ou de compétition. Même si les projets s’orientent vers des marchés différents, les participants se challengent, par exemple sur l’utilisation des ressources financières, le conseil expert, ou même le mentoring et les partenariats stratégiques. Car, le but principal des incubateurs est justement de mettre à disposition des services aux porteurs des projets, dont [6] : l’accès à des ressources physiques (notamment avec des espaces de coworking), des services support, l’accès au financement, le soutien au niveau des processus et des services de mise en réseau.
6Une deuxième particularité tient au fait que les porteurs de projet passent très peu de temps ensemble. D’une part, l’incubation des projets pour la plupart des entreprises, surtout en France, ne dépassent pas les vingt-quatre mois (citons l’exemple de la French Tech ou Paris & Co). Cela signifie que les équipes sont conscientes qu’elles auront peu de temps pour échanger et faire connaissance. D’autre part, le temps passé physiquement dans l’incubateur peut être limité. En dehors des conférences et ateliers, la plupart des incubateurs ne peuvent anticiper et donc garantir des moments où les équipes seront sur place. Cet élément signifie que les incubés auront peu d’opportunités de se retrouver et d’échanger.
7Dans cette logique, si la raison d’être de l’incubateur est la mise à disposition de ressources précieuses, l’incubateur devrait s’assurer que l’une des ressources les plus importantes soit présente : celle permettant la création de liens entre les entrepreneurs. La littérature sur les liens, largement utilisée dans les études entrepreneuriales, explique la manière dont un entrepreneur, grâce à la création d’un réseau / des relations, peut accéder aux ressources nécessaires pour réussir [7].
8Cette théorie souligne que les entrepreneurs naissants dotés d’un capital social fort ont plus de chances de réussir [8]. La théorie explique que les entrepreneurs peuvent accéder à deux types de liens, forts (famille, amis) et faibles. Alors que les liens forts sont plus susceptibles d’apporter des ressources financières, les liens faibles seront responsables de la « transmission » du capital social et créeront des « ponts » entre différentes communautés, permettant l’élargissement des ressources à disposition, la collecte des informations utiles et la valorisation de l’écosystème [9]. Par ailleurs, la fréquence et la redondance des liens sont essentielles dans la capitalisation sociale qui évolue en fonction du nombre de participants et de leur appartenance à des réseaux similaires [10].
9En ce sens, un événement collaboratif se présente comme une opportunité pour l’émergence de tels liens, qui seraient autrement difficiles à créer dans les opérations quotidiennes de l’incubateur. En effet, ils fourniront un cadre pour faciliter le début ou la naissance des échanges. Cela offre aux entrepreneurs une opportunité unique de créer un nouveau réseau, processus qui nécessite généralement beaucoup de temps et d’effort [11].
10Finalement se pose la question des outcomes. Quelle variété de résultats pouvons-nous attendre de ce type d’événement ? Nous savons par exemple que les évènements d’intégration corporate peuvent porter sur la dynamique des équipes et favoriser la performance. Nous savons également que l’incubateur a pour mission la fertilisation des projets incubés, la création d’une dynamique de partage, le développement des écosystèmes locaux, et l’institutionnalisation de l’entrepreneuriat [12]. Ces ambitions suggèrent qu’il est important de trouver les bons mécanismes de collaboration des équipes et la valorisation d’une dynamique de partage.
Une étude menée pendant un événement collaboratif
11Notre étude a été réalisée en immersion sur deux jours, lors d’un weekend de cohésion pour les nouveaux incubés de I-Engage. Cet événement a été planifié par les organisateurs comme un temps fort afin de marquer le démarrage du programme d’incubation. Nous avons choisi une méthodologie qualitative basée sur l’observation. L’évènement s’est déroulé en mars 2018 pendant un weekend où les participants se sont retrouvés à huis clos à l’ouest de la capitale. Pour notre étude, les données ont été collectées sur trois phases. Dans un premier temps, en amont du weekend, toutes les équipes ont été interviewées (huit projets et seize entrepreneurs). Ensuite, durant l’événement, une phase d’observation du déroulement du programme a été réalisée. Enfin, nous avons interviewé les entrepreneurs après l’événement (à l’exception d’une équipe). La Tableau 1 résume le processus de recherche. Les deux types d’approche qualitative ont permis le déploiement d’un exercice d’analyse descriptive, la contextualisation du phénomène observé et la visualisation des processus sociaux [13]. L’encadré 1 présente l’invitation envoyée aux entrepreneurs.
Collecte des données
Premier interview | Entretien semi-directif autour des attentes et perceptions générales par rapport à l’événement collaboratif Temps moyen d’interview : 20 minutes |
Observation pendant l’évènement | Observation participative de neuf heures (9 h du matin jusqu’à 18 h le soir) Prise de notes par l’un des chercheurs |
Deuxième interview | Entretien semi-directif autour des attentes et perceptions générales par rapport à l’événement collaboratif |
Questionnaire | Questionnaire de performance pour le mid-term review |
Collecte des données
Encadré 1 : Invitation MeetCamp
Objectifs :
- Challenger/affiner le problème utilisateur (Job to be done) et leur proposition de valeur
- Pitch des nouveaux projets
- Initier une atmosphère collaborative
- Créer un esprit de corps
12Lors de l’observation in situ, nous avons décidé de ne pas participer durant la première journée, afin de ne pas interagir sur le déroulement du programme et de ne pas perturber les interactions des entrepreneurs entre eux. Cependant des informations ont été collectées au travers de l’interview avec la coordinatrice / animatrice de l’incubateur et l’organisatrice de l’évènement. Une fois la logique de partage et d’intégration mise en place, les observations se sont poursuivies durant la journée. Plus spécifiquement, celle-ci était consacrée à la présentation des projets et à l’analyse critique des besoins de chaque participant.
L’incubateur I-Engage
13L’incubateur I-Engage a été créé en 2017 par l’Université Paris Nanterre comme une structure d’accompagnement de porteurs de projets innovants dans le secteur de l’Economie Sociale et Solidaire (ESS). L’incubateur bénéficie directement du support de l’Université, ainsi que du dispositif PEPITE PON. L’incubateur I-Engage accueille des projets à orientation ESS portés soit par des étudiants diplômés dans les établissements de la région, soit par des porteurs de projets proposés par les partenaires du territoire. Le pilotage de l’incubateur I-Engage est réalisé par un comité de pilotage composé par: POLD [14] (un établissement territorial de l’ouest parisien avec une mission de développement économique et social), Coopaname [15] (une coopérative d’activités et d’emploi), HDSI [16] (une structure d’accompagnement issue du réseau Initiative France), l’EMLV [17] (une école de management) et le représentant de PEPITE PON [18]. Le descriptif des projets et les critères de sélection sont présentés dans le tableau 3.
14Il faut souligner qu’il existe des différences de positionnement quant à la dimension ESS des porteurs de projet. En effet, certains l’intègrent de manière explicite à leur proposition de valeur, et d’autres l’utilisent comme levier d’opportunité pour l’image de marque de leur produit. De plus, remarquons qu’il y a une vraie diversité et mixité tant au niveau de la tranche d’âge des porteurs de projet (de 20 à 55 ans) que du profil entrepreneurial des porteurs de projet (un tiers d’étudiants entrepreneurs et deux tiers d’entrepreneurs du territoire ayant des profils différents). La situation socio-économique (étudiant, actifs) et le lieu de vie des participants sont également très variés (localisation sur l’ensemble de la région Ile-de-France).
Le programme de l’incubateur
15Le programme de l’incubateur I-Engage a été co-constuit avec le concours des porteurs de projet à la création de valeur dans l’économie sociale et solidaire. L’objectif affiché de l’incubateur I-Engage est de promouvoir les bénéfices d’une économie qui intègre les dimensions de valeurs sociales et d’impacts sociétal et environnemental. Ce programme se déroule sur une période de dix mois. Toutefois, la première promotion a été compactée sur une durée de six mois pour des raisons de retard de livraison de l’espace de coworking.
16I-Engage met à disposition des ressources humaines avec une coordinatrice/ animatrice à plein temps pour la gestion du lieu et des besoins des porteurs de projet. Des ressources matérielles sont mises à disposition des incubés qui disposent d’un espace de 37 places ayant accès au Wifi, la Lifi. L’espace est en lien avec le lab I-3D du pôle scientifique et technique de l’Université Paris Nanterre. Les incubés peuvent y créer leurs prototypes avec l’assistance d’une personne dédiée.
17Le modèle économique de l’incubateur, qui repose sur un modèle partenarial et de mutualisation, permet de disposer de nombreuses ressources. Des ateliers pédagogiques sont animés par des experts et universitaires dans tous les domaines de la création et gestion d’entreprise. D’autres ateliers peuvent être organisés à la demande des incubés ou sur décision de l’incubateur (ex : ateliers de sensibilisation à l’ESS ou sur des thématiques sectorielles).
18L’incubateur offre un accompagnement personnalisé qui se compose de trois volets. Un mentor, professionnel du monde de l’entreprise, ayant dans la plupart des cas une expérience de création d’entreprise, suit l’équipe tout au long du parcours. Il la conseille, l’oriente et met son réseau à sa disposition. Ensuite, les rendez-vous d’expert sont programmés à la demande, en fonction de l’avancement du projet. L’incubateur organise des rendez-vous porteurs de projet/professionnels pour des prestations de conseil (avocat, expert-comptable, spécialiste de marques…).
Le rôle de l’animatrice
19L’animatrice joue un rôle est essentiel dans le fonctionnement d’un incubateur. Elle est la garante de la réussite d’un programme d’accompagnement à la création d’entreprise. Outre la gestion de l’espace et du bon fonctionnement administratif de la vie au quotidien de l’incubateur, elle assure le déroulé du programme et la cohérence des programmations de toutes les ressources de l’incubateur afin d’optimiser les chances de réussite des incubés. Enfin, elle est la référente pour tous les incubés. Son écoute et sa bonne compréhension des besoins et attentes des incubés lui permet d’accompagner les porteurs de projet dans toutes les phases du développement du projet.
Des interactions multiples et mutuellement profitables
20Les attentes des entrepreneurs concernant l’événement étaient assez diverses quant à leur forme et leur pertinence. D’un côté, certains entrepreneurs étaient convaincus du fait que leur projet avait des bases solides et que le weekend ne servirait qu’à faire la connaissance des autres porteurs des projets. De l’autre côté, d’autres se situaient à l’extrême, admettant un vrai besoin de soutien et le souhait de trouver des informations utiles. Ces derniers exprimaient un réel désir de trouver des réponses à leurs questions techniques dans les différentes activités proposées.
21Il y avait donc une vraie divergence de points de vue par rapport aux formats et contenus du weekend. Par exemple, une entrepreneur(e) attendait des éléments théoriques sur l’entrepreneuriat, tandis que les autres recherchaient à partager un moment convivial et à faire connaissance. De manière générale, les porteurs de projet ont tous exprimé une envie de partager leurs expériences afin de pouvoir confronter leurs propres vécus et difficultés d’entrepreneurs et ainsi prendre du recul pour (se) poser les bonnes questions.
Liste des projets (EE = expérience entrepreneuriale préalable)
Liste des projets (EE = expérience entrepreneuriale préalable)

22L’évènement a démarré un samedi sur une première présentation par la coordinatrice de l’incubateur. Puis ont été proposés de nombreuses activités d’intégration et des ateliers courts. Après le déjeuner, les entrepreneurs ont reçu la visite d’un serial entrepreneur qui a partagé son expérience, ses réussites et ses échecs. Les échanges se sont poursuivis durant le dîner. La première soirée s’est terminée par des jeux de société.
23La journée de dimanche a débuté avec un retard d’une heure du fait d’un petit-déjeuner très convivial et d’un coucher tardif entre une et trois heures du matin. Durant le petit-déjeuner, une discussion informelle s’est tenue sur la soirée passée et les liens qui se sont tissés. À 10 h, les entrepreneurs ont présenté leurs projets. Chaque présentation s’est poursuivie par des commentaires, des critiques et des recommandations des autres entrepreneurs, de la coordinatrice et de l’animateur de l’évènement.
24Il y avait, selon les mots de la coordinatrice, un changement d’ambiance notable entre la journée de samedi (très calme, plutôt dans l’écoute) et celle du dimanche (engagée et collaborative). Un autre constat intéressant est ressorti au moment des interviews post-événement : la coordinatrice est apparue comme la référente organisationnelle, impulsant au travers de l’événement la future dynamique et l’atmosphère de travail au sein de l’incubateur.
25Les présentations et échanges ont eu des impacts et conséquences intéressantes sur les projets. Certains entrepreneurs ont accepté d’intégrer un nouveau modèle économique dans leur proposition. Un autre projet a considéré que son prix était beaucoup trop bas pour le marché ; remarque faite par une équipe travaillant dans l’industrie mais qui n’était pas en concurrence. Finalement une autre équipe a reconnu avoir « pivoté » pendant la soirée, en décidant de changer son projet, initialement basé sur la distribution de mobilier ergonomique, vers la création de sa propre table ergonomique connectée. Ses membres sont arrivés à cette conclusion après des discussions avec les autres entrepreneurs sur la récupération de la marge dégagée par les producteurs.
26D’autre part, ces observations ont conduit à analyser les impacts générés par ces événements au niveau relationnel. En effet, la dimension de partage a été fortement stimulée, les entrepreneurs ont échangé de nombreux contacts, emails, cartes de visite, et des pistes pour se rapprocher de possibles partenaires, experts, clients, fournisseurs et collaborateurs. Nous observons deux particularités. Un étudiant d’une grande école a conseillé le cabinet de Junior Conseil pour la réalisation des études de marché. Un autre entrepreneur a partagé les coordonnées d’un expert du secteur de l’assurance pouvant fournir la probabilité de réussite d’un projet. Le tableau 3 présente les résultats issus de l’observation du weekend d’intégration.
Les interactions et leurs conséquences pour les entrepreneurs

Les interactions et leurs conséquences pour les entrepreneurs
De l’utilité d’un événement collaboratif
27On constate un impact important et positif des évènements collaboratifs pour les porteurs de projet en programme d’incubation, et cela sur deux dimensions : la catalyse du processus de création des liens entre les incubés et l’établissement des paramètres de gouvernance et de coopération. Ces liens produisent du capital social et favorisent la création des nouveaux réseaux à travers lesquels les entrepreneurs pourront avoir accès à des ressources qu’ils n’avaient pas à disposition [19]. Ce capital social se centre sur le développement des liens faibles entre les différents porteurs des projets.
28Dans le cas présenté ici, ces liens ont permis des partages et des échanges au niveau de possibles partenaires, clients, fournisseurs et mentors. Par ailleurs, l’événement est à la fois une opportunité pour la consolidation et fortification de ces liens, et incite à la création des relations de confiance en transformant les liens faibles en liens forts [20]. En fait, nous observons que ces liens faibles se traduisent par des ressources riches et variées, notamment au niveau des connaissances et des idées.
29Nous constatons également une diversité des éléments cognitifs qu’acquièrent les entrepreneurs participant à ces événements collaboratifs [21]. Ici, par exemple, nous avons une illustration de la nouvelle compréhension du marché et de l’évaluation du prix d’un produit par deux entrepreneures ayant modifié à la hausse leur tarification après les échanges du weekend. Il y a également une montée en compétence par rapport à la notion de concurrence et aux besoins du marché cible apportée par d’autres entrepreneurs. Un exemple concret en ce sens est illustré par un projet de soutien scolaire. Les échanges avec des parents du groupe ont fait prendre conscience aux porteurs du projet (jeunes célibataires masculins) de leur méconnaissance du marché cible, raison pour laquelle ils ont décidé d’organiser un focus group après l’événement.
30Un deuxième résultat, qui illustre la valeur de ces liens, concerne l’innovation. De nombreuses idées, altérations et améliorations ont émergé grâce aux échanges au sein du groupe. Les propositions qui ont été formulées de manière bienveillante et bien intentionnée ont permis d’établir des relations de confiance et de tisser des liens forts. Ce climat a généré des conditions favorables à l’émergence de l’innovation démontrant ainsi la relation entre les liens forts et l’innovation [22]. Notre étude, largement exploratoire, ne permet pas de conclure sur le rôle de ce type d’événement dans l’émergence des innovations incrémentales, mais ouvre ici une voie d’exploration sur la question. Des études complémentaires et approfondies doivent être réalisées. D’autres chercheurs ont suggéré que la collaboration est un facteur clé favorisant l’apparition des innovations hybrides (incrémentales et de rupture) [23].
31Outre la catalyse de la création des liens, nous trouvons aussi que l’évènement collaboratif permet la création d’une logique organisationnelle et le développement d’une culture de travail coopératif. Les entrepreneurs ont tous souligné et apprécié l’émergence de l’esprit de communauté durant le weekend, et se sont engagés à le maintenir pour la suite du programme d’incubation. Lors d’une enquête de « sortie » menée par l’incubateur, les porteurs de projet ont donné une note de 8,5/10 à l’évènement de cohésion. Dans le rapport figure le commentaire suivant : « tous les avis sont excellents, bonne énergie, bonne cohésion, très enrichissant, création d’un vrai groupe de travail. »
32Ce résultat est important, car il est un signe de la pré-configuration d’une culture de travail et d’une logique de partage au sein de la promotion de l’incubateur, favorisant ainsi leur réussite et l’accompagnement de l’incubateur à la création d’entreprise. Nous pouvons aussi apprécier ce résultat à travers la perspective du champ de l’apprentissage collaboratif. Selon cette perspective, l’apprentissage informel favorisé au travers des activités proposées lors de l’évènement a permis la création d’une « interdépendance positive » des porteurs de projet.
33Cela veut dire que la façon de mener une activité de cohésion créera une ambiance positive et propice à la créativité. Un environnement bienveillant favorisera la coopétition et la collaboration dans une recherche de complémentarité [24]. En effet, cet événement offre la possibilité de créer des interdépendances positives, par exemple lorsque les entrepreneurs échangent leur avis ou leurs idées à propos d’un projet ou lorsqu’ils proposent de faire de la mise en relation avec des membres de leur propre réseau, ceci permet un effet de redondance du réseau, et en augmente sa force.
34Notre étude porte également sur certains points de vigilance. Tout d’abord, les commentaires et partages spontanés peuvent conduire à des appréciations inexactes, surtout si la logique de confiance se substitue à la vérification a posteriori de la véracité des informations. Deuxièmement, les porteurs de projet peuvent très vite s’orienter vers des innovations qui ne sont pas nécessaires ou qui détruisent la nature du projet. Dans cette même logique, les interactions peuvent déclencher des « pivotages » qui sont trop en avance par rapport à la maturité du projet.
Facteurs clés de succès et recommandations
35Notre étude contribue à mieux comprendre le rôle des évènements de cohésion dans la stimulation d’une ambiance qui favorise la réussite entrepreneuriale des porteurs de projets dans un incubateur. Mais nous sommes conscients des limites d’application de notre étude.
36Nous pensons que ces évènements favorisent le démarrage des relations auprès des incubés et dictent la logique de travail pour les porteurs des projets. Nous estimons que notre étude apporte des preuves de la valeur d’un évènement de lancement d’une promotion entrepreneuriale, mais ouvre également la porte à une réflexion sur l’impact positif de ce type d’activité pour les personnes qui partagent des espaces de travail ouverts, notamment les espaces de coworking. Nous trouvons qu’un tel évènement, par exemple pour des employés emménageant dans des nouveaux espaces de travail, permettrait la création des liens, l’établissement d’un sens de communauté et la constitution d’une culture de travail.
37En outre, nous proposons trois recommandations pratiques sur la mise en place réussie d’un weekend de cohésion. La première serait d’assurer ce type d’évènement pour le lancement de toute nouvelle promotion d’un programme d’incubation. La cohésion de groupe et la création de l’esprit de promotion doivent intervenir en début de programme. Ceci permet de créer une logique de travail collaboratif qui participe ainsi à la réussite du programme d’accompagnement. Ensuite, le choix du lieu et le huis clos induisent un caractère exclusif à l’événement, créant un climat qui favorise l’esprit de promotion et l’engagement des porteurs de projet. Enfin, la sélection et le déploiement des activités doivent stimuler l’ouverture d’esprit (ice breakers), l’engagement dans la culture que les organisateurs souhaitent encourager et la discussion.
38En définitive, les évènements collaboratifs sont un élément fondamental pour la réussite des projets et pour l’aboutissement des objectifs de soutien, partage, croissance et encouragement qui définissent l’incubateur. Le rôle de ces évènements est double : démarrer la création de relations enrichissantes et définir l’ambiance de travail et de la culture de partage. Les évènements peuvent être très utiles pour les incubateurs, mais aussi pour d’autres structures qui favorisent le travail dans des espaces partagés ; la création des relations sera toujours plus rapide quand existent des activités et des évènements qui donnent place aux rencontres. Un événement collaboratif peut modeler et catalyser la création de liens de partage et d’expérimentation, consolider l’identité d’un incubateur (espace de travail) et créer une politique de collaboration et d’ouverture pour les membres de la communauté.
Notes
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[1]
Buller, (Paul F.). The team building-task performance relation : Some conceptual and methodological refinements. Group & Organization Studies, 1986, 11(3), p. 147-168.
-
[2]
De Meuse, (Kenneth P.) et Liebowitz, (S. Jay). An empirical analysis of team-building research. Group & Organization Studies, 1981 6(3), p. 357-378.
-
[3]
De Meuse, (Kenneth P.) et Liebowitz, (S. Jay). An empirical analysis of team-building research. Group & Organization Studies, 1981, 6(3), p. 357-378.
-
[4]
Soetanto, (Danny P.) et Jack, (Sarah L.). Business incubators and the networks of technology-based firms. The Journal of Technology Transfer, 2013, 38(4), p. 432-453.
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[5]
Chiambaretto, (Paul) et Dumez, (Hervé). Toward a Typology of Coopetition: A Multilevel Approach. International Studies of Management & Organization, 2016, 46, p. 110-129.
-
[6]
Soetanto, (Danny P.) et Jack, (Sarah L.). Business incubators and the networks of technology-based firms. The Journal of Technology Transfer, 2013, 38(4), p. 432-453.
-
[7]
Davidsson, (Per) et Honig (Benson) The role of social and human capital among nascent entrepreneurs. Journal of business venturing, 2003, 18(3), p. 301-331.
-
[8]
Davidsson, (Per) et Honig (Benson) The role of social and human capital among nascent entrepreneurs. Journal of business venturing, 2003, 18(3), p. 301-331.
-
[9]
Idem.
-
[10]
Adler, (Paul) et Kwon (Seok-Woo). Social capital: Prospects for a new concept. Academy of management review, 2002, 27(1), p. 17-40.
-
[11]
Granovetter, (Mark). The strength of weak ties: A network theory revisited. Sociological theory, 1983, pg. 201-233.
-
[12]
Robinson, (David F). The co-evolution of business incubators and national incubator networks in emerging markets. Journal of technology management & innovation, 2010, 5(3), p. 1-14.
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[13]
Bryman, (Alan) et Burgess, (Bob). Analyzing qualitative data. Routledge, 2002.
- [14]
- [15]
- [16]
- [17]
- [18]
-
[19]
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[20]
Burt, (Ronald S). The contingent value of social capital. Knowledge and Social Capital, 2000 p. 255-286.
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[21]
Aldrich, (Howard E.) et Martinez, (Martha Argelia) Many are called, but few are chosen: An evolutionary perspective for the study of entrepreneurship. Entrepreneurship Theory and Practice, 2001, 25(4), p. 41-56.
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[22]
Obstfeld, (David) Social networks, the tertius iungens orientation, and involvement in innovation. Administrative science quarterly, 2005, 50(1), p. 100-130.
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[23]
Teglborg, (Ann-Charlotte), et al. L’innovation participative à orientation entrepreneuriale, un atout concurrentiel à cultivar. Entreprendre & innover 2, 2013, p. 23-30.
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[24]
Deutsch, (Morton). A theory of cooperation and competition. Human Relations, 1949, 2, p. 129-152.