Le Business Lab est un dispositif d’innovation collaborative mis en place au sein du groupe Air Liquide fin 2016. Il associe des lieux, des équipes et des méthodes, au service de l’accélération de projets de transformation et d’innovation des opérations d’Air Liquide en Italie, Espagne, Portugal et France. Des événements collaboratifs d’innovation y sont régulièrement organisés. Ils peuvent durer entre une journée ou cent jours. Frédéric Daubié est le directeur du Business Lab d’Air Liquide en Europe du Sud-Ouest.
1Catherine Foliot : Qu’est-ce que le Business Lab chez Air Liquide ? Quelle est sa mission et quels en sont les principes de fonctionnement ?
2Frédéric Daubié : Le Business Lab recouvre trois choses indissociables : (1) un lieu, simple et modulable ; (2) une petite équipe de design et de facilitation ; (3) des méthodes de travail alternatives s’appuyant sur l’intelligence collective pour accélérer les projets et tester au plus vite les solutions imaginées de manière collaborative.
3Le Business Lab a été créé en 2016 avec la mission de dynamiser l’innovation dans une filiale opérationnelle française. Il a depuis été étendu à un ensemble de filiales qui regroupent nos activités au service de l’industrie en Espagne, au Portugal, en Italie et dans d’autres villes de France. Le Business Lab vise à accélérer des projets existants. Pour cela, il facilite l’inspiration des équipes et les connecte avec des écosystèmes d’innovation pertinents, internes (équipes R&D, de Transformation Digitale…) ou externes (clients, institutionnels, académiques…) à l’entreprise. Le Lab agit comme un tiers de confiance. Il n’est pas propriétaire de l’innovation stimulée mais est chargé de créer les meilleures conditions pour que chacun puisse innover.
4En deux ans, 2 500 journées de travail s’y sont déroulées lors de 75 événements d’accélération et d’une vingtaine d’événements inspirants ayant rassemblé 850 personnes au total.
5C.F. : Quelle place les événements collaboratifs d’innovation tiennent-ils dans le dispositif Business Lab ?
6F.D. : Nous avons établi un programme annuel d’événements collaboratifs d’innovation, basé sur nos ressources disponibles pour accompagner les projets (des heures des membres de l’équipe et un budget qui nous permet de solliciter des facilitateurs externes dont les profils correspondent aux besoins des projets). Tous ces ECI requièrent un cadrage préalable pour qualifier le projet, valider ses enjeux et le niveau de sponsorship dont il dispose. Ils sont préparés avec le chef de projet, son sponsor et une équipe restreinte. En fonction d’un objectif précis, nous designons une séance de travail pour 7 à 50 personnes en faisant appel à un mix de méthodes de travail agiles (lean start up, design thinking, intelligence collective, créativité…) mais surtout en pensant à la meilleure expérience collaborateur en terme de motivation et d’atteinte rapide de résultats, même imparfaits. La facilitation de la séance préparée se fait ensuite, soit en autonomie, soit avec l’appui de facilitateurs externes qui sont aussi des agents de partage d’expérience puisqu’ils travaillent avec d’autres labs d’innovation. Tous nos formats comportent des moments de réflexivité pour permettre à chacun de comprendre et de capitaliser sur ce qu’il a appris, ce qu’il a vécu et ce que son projet y a gagné.
7C.F. : Quels sont les différents formats proposés ?
8F.D. : Nous proposons trois formats d’accélération.
9Le format OneDay consiste en une journée pour accélérer tout ou partie d’un projet, pour débloquer une situation ou pour optimiser une réunion importante. L’effet d’embarquement des équipes est un bonus de la journée, même si cela fait partie des intentions de départ. Nous avons par exemple développé avec des équipes de vente des journées de travail avec nos clients, fournisseurs et distributeurs autour de la co-création de valeur.
10Nous avons aussi accompagné des équipes en avant-projet pour les aider en une journée à définir la vision, le scope, les ressources et les grands livrables d’un important projet industriel. Pour cela, la présence physique de toutes les parties prenantes est essentielle, l’optimisation de leurs temps devient primordiale. Nous sommes assez obsédés par le temps qui passe dans ces journées, ultra préparées et néanmoins flexibles : il nous arrive fréquemment de modifier le programme en cours de journée pour nous adapter aux avancées ou aux doutes des équipes. Un des avantages de ce format est d’aligner toutes les parties prenantes et d’éviter ainsi les ralentissements ultérieurs – on parle entre nous de synchronisation.
11Le format Parkour (méthode issue des Creative Commons), consiste en quatre fois un jour d’accélération, espacés d’un mois, pour une accélération sur 100 jours au total. Nous regroupons jusqu’à huit équipes projet au Business Lab et animons des ateliers de 55 minutes (jusqu’à sept dans la journée). Ces ateliers tournent autour de problématiques récurrentes des projets : avoir des idées (être inspirés), connaître les utilisateurs (parcours client), prototyper, tester et apprendre (maquetter, essayer rapidement, capitaliser), communiquer et convaincre (souvent négligé ou considéré trop tard dans les projets), comprendre ce qui a marché (réflexivité) et projeter l’étape suivante. Nous mettons à la disposition des huit équipes des ressources de très bonne qualité, qui sont d’autant moins coûteuses qu’elles sont partagées et ultra-sollicitées, qu’elles soient internes ou externes. Et cette année, nous avons aussi ajouté du mentorat pour chaque projet.
12Le format Sprint est une session de trois jours consécutifs au Business Lab, avec en aval un accompagnement hebdomadaire du chef de projet sur les 100 jours qui suivent. Ce format convient à des projets complexes, transverses, qui impliquent des équipes très diverses. Nous le réservons à des problématiques directement sponsorisées par l’équipe de management de notre entité, compte tenu de l’engagement fort que cela représente en ressources.
13Les grands projets transverses ont besoin d’alignement, notamment dans leur phase amont. Les intentions d’un Sprint, c’est d’aligner une population importante sur un objectif, d’embarquer des équipiers d’horizons variés et de résoudre un problème éventuellement simple dans un système complexe. Par exemple, nous avons réalisé un Sprint sur la mise en place d’un tableau de bord commun à l’activité de plusieurs filiales. Simple ! Mais il faut pour cela que les pratiques, les indicateurs, les outils, les unités, les gens s’alignent entre eux. Et c’est en séance que les collaborateurs trouvent ensemble des solutions, qu’ils innovent.
14L’expérience des événements collaboratifs d’innovation contribue ainsi à la transformation de l’entreprise autour du client : le Business Lab est centré sur l’humain par l’expérience de travail (le projet), par l’expérience collective (l’équipe) et par l’expérience personnelle (moi).
15C.F. : Qu’est-ce qui a rendu possible l’ancrage du Business Lab et de ces événements dans la durée ?
16F.D. : Tout d’abord et sans hésiter, j’ai été soutenu dans mon initiative par tous mes managers. Paradoxalement, le changement de manager a servi le développement du Business Lab, un peu comme une startup changerait d’actionnaire à mesure qu’elle franchit ses phases de développement. La chance fait aussi partie de l’aventure, mais il faut quand même la provoquer un peu…
17Nous avons choisi quelques indicateurs simples et nous les avons suivis régulièrement : nous suivons le nombre de sessions et le nombre de participants par types de sessions, les événements inspirants et les connexions internes & externes établies. Ce suivi est un reflet indirect de la valeur produite. Il faut rester simple, l’accélération de projet comme l’expérience collaborateur sont des notions relatives, compliquées à mesurer.
18L’orientation business du projet nous permet de rendre service à des projets concrets et de faire le lien entre les structures d’innovation du Groupe Air Liquide et des projets de terrain, proches des clients et des opérations. La transversalité est nécessaire au succès des projets, la vitesse aussi. À défaut de casser les silos, nous les connectons entre eux.
19Enfin, cette offre correspondait à un besoin des équipes de travailler autrement, de renouveler leurs pratiques et d’ajouter une dose de plaisir à leur engagement déjà très important. Nous avons aussi mis en place une communication digitale sur nos projets et nos événements qui regroupent une communauté de plus de 800 personnes. L’intention ici est de donner de la visibilité aux projets et d’apprendre aux équipes à le faire. Être capable d’expliquer ce que l’on fait n’est pas toujours simple, mais expliquer et convaincre fait partie des facteurs clé d’accélération d’un projet.