Les points forts
- Les challenges d’innovation internes permettent de fédérer les équipes et de créer une culture d’entreprise autour d’une stratégie commune.
- Il existe cependant une confusion entre les différents concepts d’innovation managériale, d’open innovation, de challenge d’innovation.
- Le cas étudié ici montre que la difficulté n’est pas tant de repérer les projets innovants que de créer les conditions pour qu’ils soient affinés et menés à bien, et met en évidence des facteurs de succès.
1L’innovation managériale en tant que « nouveau modèle de management pour conjuguer l’innovation » [1] et l’open innovation sont désormais incontournables. La fondation dédiée à l’innovation MMA, la plateforme collaborative Maaf, ou les fonctions R&D (Axa), inscrivent les assureurs [2] dans ce concept récent. L’innovation n’est donc plus réservée en interne à une équipe dédiée, mais ouverte à tous : collaborateurs, concurrents, universitaires, startups, clients.
2Dans ce nouveau paradigme, le challenge d’innovation interne relève du crowdsourcing ; il permet de mobiliser les compétences et expertises disséminées dans « la foule » des collaborateurs [3]. Le concours d’innovation en est une illustration très aboutie [4] : il permet à une organisation de défier des volontaires pour répondre à ses problématiques.
3Mais dans l’entreprise, le risque de confusion entre les notions d’innovation managériale et celle d’open innovation, liées entre elles, est réel. Cela peut conduire à des résultats inattendus. Qu’enseigne l’étude d’un challenge d’innovation dans un groupe de protection sociale, à la fois assureur et gestionnaire de retraite ? Nous réfléchirons sur la question de la maîtrise des nouvelles pratiques liées à l’innovation. Elles sont en effet utilisées pour atteindre des objectifs multiples (impliquer et fédérer les équipes, ouvrir de nouveaux marchés). Nous montrerons en quoi la confusion entre les leviers possibles impacte le résultat escompté. Car les nouveaux outils de l’innovation doivent, pour avoir toutes les chances de réussir, être maîtrisés. Le rôle du concours d’innovation est de sélectionner et concrétiser des projets innovants répondant aux problématiques de l’entreprise que l’expertise des collaborateurs permet d’identifier. Son succès repose sur une culture de l’innovation, une clarification des objectifs et une ambition claire de développement.
L’Innovation dans l’assurance, un phénomène longtemps invisible
4Bien que considérée comme peu innovante, l’assurance est la première utilisatrice des développements informatiques [5]. Cependant, les produits et process n’étant pas brevetables, l’innovation en assurance a longtemps semblé inexistante. L’accélération technologique des vingt dernières années (développement des réseaux et des systèmes d’information, self-care, FinTech et InsurTech [6]…) a rendu plus visible le fruit des innovations en assurance. La concurrence s’accentue et déconstruit le « monopole paresseux » [7] sur lequel le secteur s’était jusque-là développé. Aujourd’hui, les assureurs co-construisent les outils qui leur permettront de répondre aux défis de demain : relation client, adaptation aux nouveaux usages, maîtrise du risque.
5En parallèle, les travaux de Chesbrough [8] ont défini l’adoption d’une stratégie d’innovation ouverte comme la clé du succès en entreprise. Cette philosophie redéfinit l’innovation et permet de générer des solutions davantage centrées sur les usagers, au sens large [9], c’est-à-dire les clients et collaborateurs. C’est cependant un concept étendu et difficile à définir. Son étude a par ailleurs suscité un certain intérêt [10].
Une nouvelle approche
6En réponse à ces enjeux (accélération technologique et concurrentielle, nouveau paradigme de l’innovation) et pour mieux maîtriser ces nouvelles dynamiques, les assureurs, dont les groupes de protection sociale, se sont dotés de directions de l’innovation. Ces fonctions récentes, véritables innovations managériales en soi, ont pour vocation de coordonner les projets innovants. Partenariats de co-développement avec des start-up chez Malakoff-Mederic, réseaux apprenants chez Humanis illustrent l’innovation managériale et les différentes formes qu’elle peut prendre. Cependant, les entreprises tendent à négliger la piste interne et à privilégier les compétences externes.
7La participation des salariés à l’innovation n’est pourtant pas une nouveauté : les collaborateurs y ont toujours contribué. L’organisation volontaire de cette dynamique est plus récente ; elle présente des spécificités intéressantes en termes d’organisation et de dynamiques. Elle a donné lieu à un enthousiasme mesuré en termes de recherches.
8Pourtant, du crowdsourcing dont le concours d’innovation est une parfaite illustration, le challenge d’innovation interne porte les avantages (transversalité, faiblesse du coût, rapidité de résolution), sans les inconvénients (appropriation et brevets, manque de contributeurs). Collaboratif et frugal, il est une réponse séduisante pour les organisations peu familières avec un process d’innovation (R&D formalisée, ressources dédiées, budget), tels que les Groupes de Protection Sociale (GPS).
Le cas du groupe Assur’Retraite
9Le groupe Assur’Retraite, un groupe de protection sociale [11], emploie près de 6 000 collaborateurs qui gèrent les retraites complémentaires, la santé et la prévoyance de salariés français. Comme la majorité de ses concurrents, Assur’Retraite est issu de fusions de groupes de plus petite taille. Le secteur subit en effet un fort mouvement de concentration, chacun des nouveaux groupes recherchant une masse critique et une offre diversifiée. L’adossement à des assureurs ou des mutuelles s’est également développé. Ces regroupements successifs compliquent l’émergence d’une culture d’entreprise et d’une vision stratégique communes. Les GPS constituent des systèmes complexes, caractérisés par une gouvernance paritaire, très institutionnelle ; une organisation en deux pôles stratégiques, la mission de service public (gestion des retraites complémentaires) et les activités concurrentielles (assurance de personnes) ; la coexistence de plusieurs structures au sein du pôle assurance (assurances, institution de prévoyance, mutuelles).
Méthodologie
L’analyse des données se base sur un découpage du projet challenge entre la phase de concours à proprement parler et le post-événement. Ce découpage vise à mieux cerner les dynamiques mobilisées et les impacts sur le déroulé et la performance du challenge.
Mobiliser les salariés pour répondre aux enjeux de transformation ?
10Le défi « Innov’Action », un concours d’innovation interne, est lancé en 2014 dans un contexte particulier. Porteuse du projet, la direction de la stratégie, des partenariats et de l’innovation (DSPI) est le fruit d’une récente réorganisation ; ce challenge en constitue la première manifestation opérationnelle.
11L’événement est présenté comme une réponse aux résultats de l’étude sur l’open innovation [12]. Cette enquête interroge également la perception du positionnement stratégique de l’entreprise à l’issue des différentes fusions. Ses résultats révèlent des collaborateurs noyés dans l’opérationnel, surchargés de travail du fait des changements de hiérarchie, en attente de repères et de stabilité.
12Le défi « Innov’Action » est présenté comme un vecteur de transformation et de résolution de problèmes (Directeur de la DSPI, lancement, 2014). Sont également au cœur des enjeux la transversalité et la création d’une culture d’entreprise autour de l’innovation. Les collaborateurs doivent ainsi participer par équipe de préférence formée « de services et/ou de directions différentes » (guide du participant) [13]. Cette orientation est liée à la spécificité des GPS au sein desquels cohabitent des experts en différents domaines. Elle va ainsi à l’encontre du fonctionnement traditionnel en silo, et montre une réelle ambition de concours d’innovation tels qu’ils ont pu être observés [14].
Le déroulement du challenge
13Le challenge, lancé avec le soutien de la direction générale et du COMEX, a plusieurs missions : concours d’innovation, incentive, innovation managériale. Cela peut troubler et interroge sur l’objectif réel et la future performance du dispositif.
14Les propositions doivent répondre à deux problématiques :
- faciliter le quotidien : favoriser le bien-être des équipes et gagner en efficacité, améliorer la qualité de service pour les clients ;
- bâtir des atouts compétitifs pour demain : maîtriser les coûts, mieux travailler ensemble, imaginer de nouveaux services, construire ce que sera l’entreprise demain.
15L’invitation du directeur général se veut mobilisatrice (« j’encourage chacun(e) d’entre vous à déployer sa créativité et son esprit d’innovation en participant en équipe pour contribuer à construire (notre groupe) en grand. (…) Nous avons besoin de toutes celles et tous ceux qui ont des idées, même très modestes, pour avancer et aller plus loin. Une étude américaine a montré que 70 % de l’innovation provenait de non-diplômés de l’enseignement supérieur américain“ [15]) et souligne l’implication managériale (« Toute l’équipe managériale est mobilisée autour de ce projet collectif. »). Le challenge est en effet mis à l’ordre du jour des réunions des managers et des réunions de service. Plusieurs équipes sont créées sous leur impulsion.
Une mécanique classique de concours

Une mécanique classique de concours
Concours ou incentive, quel message ?
16Après les étapes de sélection, trois projets sélectionnés « pourront avoir la chance d’être développés en interne ». Le dossier de candidature cadre la définition d’un projet innovant. Chacun devra répondre aux problématiques du groupe : l’alignement avec les ambitions stratégiques de l’entreprise est fortement souligné.
17L’événement est porté par une campagne de communication interne dense (animations sur sites, e-mailing sur plusieurs vagues, espace dédié sur l’intranet). Il se déroule sur quatre mois, sept phases distinctes permettant de choisir les projets sur cinq critères : audace, faisabilité, bénéfice pour le groupe, ses collaborateurs et clients, transversalité ou réplicabilité, cohérence avec l’identité et les valeurs du groupe. Après un premier tri du comité ad hoc constitué de managers, les candidats seront coachés par une agence externe, spécialisée dans la gestion et l’acculturation à l’innovation.
18Les concepts gagnants après la sélection finale bénéficieront du soutien d’un sponsor issu du COMEX, de moyens organisationnels, financiers, humains nécessaires au développement des projets dans l’entreprise, selon des échéances à définir. Les membres des équipes gagnantes recevront en outre une box loisir comme prix. Cependant, les modalités de déploiement opérationnel des projets lauréats (budget, ressources) ne sont pas connues.
19Dans son organisation (problématiques, transversalité, primes d’incitation, compétition), le challenge respecte le cadre des concours d’innovation. Pour l’entreprise il est une forme inédite de co-construction dans un univers très réglementé et peu enclin aux démarches « bottom-up ».
20Pourtant, devant l’enthousiasme suscité par le challenge (forte implication des collaborateurs, audience significative de l’intranet, retours positifs de l’agence de coaching), il est finalement décidé que les onze projets finalistes bénéficieront d’un accompagnement en ressources et en sponsoring. Entraînée par la dynamique collective, l’organisation supprime une sélection finale essentielle et glisse du concours à l’incentive.
Un succès en demi-teinte
21Une étude d’impact [16] est menée un mois après la fin de l’événement, avec un questionnaire en ligne auquel répondent 1 062 salariés, dont 11,48 % ont participé à l’opération. Près de la moitié des participants n’ont pas répondu au questionnaire [17]. Les résultats soulignent l’impact du challenge sur le bien-être au travail : cohésion, partage, échange sont exprimés spontanément en tant que points forts. Les verbatim montrent un sentiment positif, axé autour de l’expérience vécue : travail en équipe, apprentissage de nouvelles méthodes de travail, bonne humeur, confiance en soi, fierté. Si les collaborateurs reconnaissent l’émergence de projets innovants, ce sont surtout les bénéfices autour de valeurs positives qui sont soulignés. Les participants ont particulièrement apprécié le côté fédérateur et la possibilité d’aller au-delà de leur domaine d’expertise. La motivation des équipes et la création d’une dynamique collective sont bien au rendez-vous.
22En revanche, un an après la fin du challenge, malgré la richesse des projets, seule une initiative lauréate, solution d’espace partagé, a été mise en œuvre. En dépit d’un accompagnement par une agence dédiée, les projets peinent à se structurer, à se concrétiser. Malgré la mise en place d’un « proof of concept » [18], les différentes initiatives deviennent peu à peu orphelines. Aucune autre édition n’a été organisée par la suite. Le challenge a déçu. Pourtant, de nombreux projets d’open innovation ont vu le jour : appels à projets externes, accompagnements de startups répondant aux enjeux de santé, création d’un think tank dédié à l’innovation sociale.
Quels enseignements tirer de cette démarche ?
23D’un côté l’émulation, l’engagement des collaborateurs et des managers, la mise en place a posteriori de véritables projets d’innovation ouverte. De l’autre, l’abandon du levier challenge interne. Que dit ce paradoxe ?
24La mise en perspective de la définition du challenge d’innovation dans son contexte spécifique fournit les bases d’une lecture critique de cet événement.
25Un challenge d’innovation est un concours : il fait appel à des volontaires proposant des projets d’innovation dont un ou plusieurs seront choisi(s) puis développés. Il s’appuie donc sur la dynamique collective, la sélection, et le développement du projet.
Des freins intériorisés : l’importance de la culture d’innovation
26La dynamique collective est essentielle au concours. Le challenge interne limite la communauté sollicitée aux collaborateurs d’une entreprise. La question de l’environnement et de la culture est donc centrale.
27La mobilisation des collaborateurs et du management montre un environnement réceptif. Paradoxalement, pour les répondants à l’enquête post-événement, ce ne sont pas les projets innovants qui en ont fait le succès mais ses effets connexes : apprentissage, transversalité, bonne humeur… En parallèle, les verbatim montrent que la représentation répandue de l’innovation dans l’assurance [19] a été un facteur d’autocensure, tant du côté des collaborateurs que du côté managérial. Ainsi, pour les collaborateurs, « dans l’assurance on n’innove pas », « l’innovation c’est Uber, les Smartphones, ce n’est pas un nouveau service d’assistance ». Pour certains managers, ce challenge était surtout « une excellente animation pour les équipes, mais en aucun cas une source de véritable innovation ». Peu étudiées, les innovations dans l’assurance souffrent d’invisibilité et sont généralement illustrées par les adoptions d’innovations technologiques.
28La culture d’innovation d’une entreprise repose sur les représentations sociales de l’innovation ; l’existence de processus permettant l’utilisation et le développement de compétences de découverte ; une philosophie de l’action basée sur la flexibilité, la rapidité de décision ; l’acception raisonnable des risques de l’autre [20].
29Or, l’ADN des GPS et le lien fort à la mission de service public qui y existe induit une culture peu encline à l’innovation jusqu’à une époque récente. L’augmentation du poids de l’assurance a incité les GPS, soumis à davantage de concurrence, à s’appuyer sur l’innovation pour se différencier. Pourtant, décréter l’innovation ne suffit pas. Créer une culture de l’innovation, c’est aussi transformer les usages, et les process, rattacher l’innovation à la culture de l’organisation. Le challenge a été lancé avant que ces bases n’aient été posées. Cela peut expliquer sa perception biaisée.
Motiver les équipes par l’innovation, une confusion manifeste
30Primer l’ensemble des projets finalistes est contradictoire avec l’esprit d’un concours, et révèle un challenge aux objectifs multiples. Dès sa présentation, il est introduit comme réponse aux « attentes et besoins des collaborateurs », comme un moyen de repenser l’organisation et comme vecteur de résolution des problèmes. Il y a là trois missions distinctes : motiver, incarner une innovation managériale, produire.
31Attendre du challenge qu’il permette de redéfinir l’organisation le positionne dans la sphère de l’innovation managériale, en ce sens qu’il s’agit avant tout de créer un nouveau cadre. Le challenge contribue à redéfinir les façons de collaborer et de rompre avec les process existants, à constituer un contexte favorable à l’innovation. Il fait ainsi partie des outils de l’innovation managériale. Mais ce n’est pas sa fonction première.
32De même, si un challenge contribue à l’émulation dans une entreprise, ce n’est pas son rôle clé. Les onze projets finalistes ont reçu le prix initialement prévu pour les trois lauréats. Dans le contexte de l’entreprise (fusion récente, difficulté à identifier un projet d’entreprise commun), la non-sélection des derniers projets en lice faisait sens : il s’agissait de capitaliser sur l’enthousiasme généré, à la manière d’un jeu d’entreprise. Mais en totale contradiction avec la notion de concours.
33Enfin, la relative frugalité des dotations offertes tend à confirmer cette première lecture. Dans un concours d’innovation, la dotation [21] est centrale. Si le concours permet à l’entreprise de réduire les coûts de R&D, le prix est à la hauteur de l’enjeu. Ici, les lots contrastent avec les dotations d’autres concours d’innovation interne [22] et interrogent sur la portée conférée au challenge.
34Il y a donc une confusion entre innovation managériale, challenge d’innovation et animation managériale. Pour être efficaces, les managers doivent dénouer la complexité de concepts mobilisés et apprendre à les maîtriser. Les objectifs à atteindre posent d’eux-mêmes les frontières entre innovation managériale, challenge, animation. Il est donc essentiel de rester au plus près des définitions, des fonctions de ces concepts et de déterminer un objectif. Et ne pas chercher à appliquer une recette à succès. Sans ce questionnement nécessaire, l’efficacité de ces leviers se montre décevante.
Le challenge d’innovation, investissement humain et financier
35Les projets finalistes ont-ils bénéficié des conditions nécessaires à l’émergence de projets innovants (acteurs, financements, marché) ?
36La mise en œuvre s’est heurtée à la difficulté à passer du stade de l’idée à une réelle innovation, au sens schumpétérien du terme. Dans la lecture de Schumpeter [23], l’innovation est source de valeur ajoutée pour l’entreprise : l’innovation est l’application économique d’une invention, d’une idée.
37Malgré onze équipes, l’intériorisation des préjugés par les acteurs du challenge a freiné la dynamique de développement. Les collaborateurs s’autocensurent, des managers considèrent Innov’Action comme un simple outil d’animation. Pour finir, la direction se montre frileuse à investir pleinement dans l’opportunité économique du concours.
38Développer un projet innovant nécessite une réelle mobilisation des collaborateurs. Or, pour les managers intermédiaires, le challenge était avant tout un outil de motivation, un événement isolé dans le temps, dont l’impact sur la disponibilité des collaborateurs se devait d’être nul. Les difficultés logistiques (« c’est compliqué de poser une RTT et de financer un billet de train pour aller voir un éventuel partenaire en province ») quelquefois additionnées à des problématiques hiérarchiques ont ainsi peu à peu dilué l’énergie créatrice initiale.
39La philosophie de l’innovation accepte le risque mesuré et l’erreur. Or, dans un environnement où la prise de risque doit tendre vers zéro et où l’essai-erreur n’est pas une mécanique connue, l’innovation ne peut se déployer entièrement. Avec l’accompagnement par une agence spécialisée limité dans le temps, les collaborateurs sont confrontés à une situation paradoxale. Ils doivent porter et affiner des projets générateurs de valeur. Mais sont dans le même temps contraints de mener à bien cette mission de façon linéaire, dans un temps court, en contradiction avec la dynamique initiale. Une contradiction connue des laboratoires d’innovation interne [24].
40Le développement d’une innovation pose enfin la question du budget. Si le concours permet aux entreprises de réduire le budget R&D, en partie porté par les candidats, il ne l’annule pas. L’absence de définition des moyens alloués aux projets sélectionnés en amont du concours, puis dans la phase de développement, montre que le financement, nécessaire à la mise en œuvre, ne faisait pas partie des caractéristiques du concours. La non-sélection a également posé question : comment développer onze projets au lieu des trois initialement prévus sans hypothéquer les chances de réussite de tous ?
41Déterminer une enveloppe budgétaire, une temporalité flexible, et donner aux collaborateurs les moyens logistiques de s’investir les projets sont des conditions nécessaires à la concrétisation des projets.
42Acculturer, comprendre et anticiper sont trois facteurs de succès d’un challenge interne. L’expérience montre que la difficulté n’est pas de repérer les projets innovants des collaborateurs mais de créer les conditions pour qu’ils le développent ; cela nécessite un travail d’évangélisation interne. Au sein d’Assur’Retraite, le challenge a fait prendre conscience de l’importance de l’acculturation : « Nous menons pour le moment une animation top-down pour former, sensibiliser les personnes. Nous apprécions également que des collaborateurs, par sites, prennent le sujet en main et l’animent localement pour favoriser les projets qui pourraient émaner de collaborateurs internes. » (Directeur du développement durable). Le challenge a révélé l’appétence des collaborateurs pour les projets d’innovation. Il a ouvert des voies permettant d’identifier les évolutions sociales, sociétales et technologiques auxquelles le groupe devra s’adapter et sur les bases desquelles il pourra innover.
Challenge d’innovation interne, do’s et don’t
A faire | A éviter |
---|---|
Définir et positionner le challenge comme un véritable concours d’innovation (problématiques, transversalité, prime d’incitation, sélection) | Confondre concours d’innovation et outil de management |
Impliquer le top management | Ne pas anticiper l’après challenge |
Mobiliser les collaborateurs | Négliger l’aspect culturel (culture d’entreprise et culture d’innovation) |
Valoriser les participants | Ne pas cadrer le développement des projets |
Déterminer une enveloppe budgétaire et un cadre flexible pour les futurs développements | Ne pas donner le droit à l’erreur et rester sur un échec |
Challenge d’innovation interne, do’s et don’t
Mieux comprendre les leviers de l’innovation pour mieux la maîtriser
43Comment réussir un challenge d’innovation ? En gardant à l’esprit son rôle premier. Il est d’identifier, sélectionner, et développer des projets innovants répondant aux problématiques de l’entreprise. Sa spécificité ? S’appuyer sur l’expertise des collaborateurs.
44Dans le cas étudié, le challenge a servi de première pierre d’une nouvelle façon de penser l’organisation pour libérer l’innovation. Il a donné un cap, fédéré les équipes, déclenché une dynamique innovante, mais déçu sur sa véritable mission. En mélangeant les concepts, l’organisation a hypothéqué les chances de succès du challenge. Cadrer et respecter la dimension concours du challenge, créer et enrichir une véritable culture de l’innovation, organiser les conditions de développement des projets est nécessaire pour réussir.
45L’innovation ouverte et les innovations managériales sont des concepts récents dont les frontières restent à définir. Pour les managers, il est nécessaire s’interroger et de cadrer de façon claire leurs objectifs, d’aller au-delà la simple duplication des recettes à succès. Comment s’approprier ces nouvelles pratiques ? En repensant les outils selon les spécificités sectorielles et culturelles de l’entreprise. En donnant du sens aux formes d’innovation qui peuvent émerger. Et en développant une culture de l’innovation.
46Ce besoin de clarification [25] ouvre des voies de recherche en posant la question du succès et des spécificités sectorielles, notamment dans l’assurance. L’InsurTech, sa partie visible de l’innovation, est l’opportunité de se pencher sur un secteur au rôle économique et social central. Depuis son origine, l’assurance a démontré sa capacité à se transformer, à s’adapter aux nouveaux usages. Les récents projets d’innovation ouverte du secteur nous montrent que loin de n’être que des usagers d’innovation, les assureurs peuvent en être à l’origine et en maîtriser les contours.
Notes
-
[1]
Johnson K., Moutot J. M., et Autissier, D. (2018). L’innovation managériale: Design thinking, réseaux apprenants, entreprise libérante, intelligence collective, modes collaboratifs, ateliers participatifs, shadow cabinet, hackathon, junior entrepreneur… Editions Eyrolles.
-
[2]
Dans une logique de simplification, nous désignons sous le terme générique d’assureurs les différents types de structures assurantielles que sont les mutuelles, assurances, institutions de prévoyance : bien qu’ayant des ADN différents, elles partagent les mêmes enjeux d’innovation.
-
[3]
Schenk, E. & Guittard, C. (2011), Towards a characterization of crowdsourcing practices. Journal of Innovation Economics & Management, 7, (1), 93-107.
-
[4]
Liotard I., Revest V. (2014) Web 2.0 et Open Innovation : un regain d’intérêt pour les concours d’innovation en ligne. Le big bang de l’économie numérique : désordre et normalisation.
-
[5]
Pour Barras, banques et assureurs gèrent et commercialisent des transactions financières entièrement dématérialisées : elles sont donc naturellement adaptées à l’informatiques. (Barras R. (1986). Towards a theory of innovation in services, Research policy, 15(4), 161-173.)
-
[6]
Dans “Taming the Beast: A Scientific Definition of FinTech”, Patrick SCHUEFFEL (2016) définit qu’une FinTech utilise les nouvelles technologies pour optimiser les services financiers. Par extension, l’InsurTech utilise les nouvelles technologies pour optimiser les services d’assurance.
-
[7]
Gadrey J., Gallouj F. (1994). L’innovation dans l’assurance : le cas de l’UAP. [Rapport de recherche] Université Lille 1, CLERSE.
-
[8]
Chesbrough, H. W. (2006). The era of open innovation. Managing innovation and change, 127(3), 34-41.
-
[9]
Von Hippel, E. (2005), Democratizing innovation, the MIT Press.
-
[10]
Etude Bluenove “Ouvrir le processus d’innovation de l’entreprise est-il un moyen de mieux répondre à ses enjeux sociétaux ? “Jullien, N., Pénin, J. (2014) Innovation ouverte : vers la génération 2.0. Encyclopédie de la stratégie, Vuibert, pp. 701-714, 2014, 978-2-311-40021-2.
-
[11]
Source : Fédération Arrco-Agirc. Pour en savoir plus : Borderie A., Lafitte M., Les Groupes de protection sociale, évolutions depuis 1945 et perspectives en France et en Europe, Ed Revue Banque, Techniques bancaires, 2006.
-
[12]
Organisée début 2014, l’étude interne repose sur 700 entretiens en ligne de collaborateurs, 70 entretiens de managers en face-à-face.
-
[13]
Afin d’accompagner les collaborateurs désirant s’investir dans le challenge, un “Guide du participant” est édité par la DPSI. Il cadre les différentes étapes du challenge, propose une définition de ce qu’est une innovation, présente les conditions de participation.
-
[14]
Voir les travaux de Liotard & Revest sur les concours d’innovation, et la plateforme Innocentive.
-
[15]
Selon notre interprétation, l’objet de cette statistique est de décomplexer les collaborateurs qui peuvent l’être, dans un univers dominé par le top-down et où seuls 30 % des collaborateurs ont un niveau d’études supérieur à Bac+2 et 30 % des collaborateurs ont un statut cadre. Source : Profil de Branche 2014 – Observatoire des métiers de la protection sociale – http://obsmetiers.rcp-pro.fr/.
-
[16]
Enquête réalisée par la DPSI de l’entreprise en interne, du 13 au 30 janvier 2015, auprès de l’ensemble des collaborateurs (6 600 salariés) et 1 062 répondants. L’échantillon de personnes interrogées est représentatif des salariés du groupe.
-
[17]
Cette donnée interroge sur le ressenti et le vécu des participants ; une étude sur cette dimension du challenge est en cours.
-
[18]
Un proof of concept est une réalisation expérimentale concrète et préliminaire, courte ou incomplète, illustrant une certaine méthode ou idée afin d’en démontrer la faisabilité.
-
[19]
France Innovation Finance (2010). L’innovation dans l’assurance – Livre Blanc.
-
[20]
Davies, M., & Buisine, S. (2017). La culture d’innovation dans les organisations françaises.
-
[21]
Scotchmer, S. (2006), Innovation and incentives, The MIT Press.
-
[22]
En 2016, le second challenge d’innovation interne des Galeries Lafayette a doté les trois équipes d’un voyage à New-York et d’une possibilité d’une certification à l’ESSEC.
-
[23]
SCHUMPETER J. (1934), The theory of Economic Development, new edition 1961, Harvard, MA.
-
[24]
Gibert C., Ben Mahmoud-Jouini S. (2017) “Créez le prochain Uber et soyez rentables à la fin de l’année”. Les Laboratoires d’innovation face aux contradictions entre mandat et gouvernance. Communication aux 8e journées thématiques du GT Innovation de l’AIMS.
-
[25]
Loilier, T. & Tellier, A. (2011). Que faire du modèle de l’innovation ouverte ? Revue française de gestion, 210, (1), 69-85. Jullien N., Pénin P. (2014) Innovation ouverte : vers la génération 2.0. Encyclopédie de la stratégie, Vuibert, pp. 701-714.