CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Les points forts

  • Les citoyens attendent plus de transparence et de compréhension de la part des acteurs du financement véhiculant des valeurs de territorialité et de solidarité.
  • Les organisations locales de la finance solidaire sont directement impactées par des mutations sociétales fortes (numérisation et digitalisation des relations, entre autres).
  • La finance participative, via la numérisation des relations financières citoyennes, offre des possibilités d’hybridations participatives, solidaires et territorialisées.

1La finance solidaire revendique une implication territoriale de proximité. Elle est venue pallier les différentiels de spécificités territoriales par une organisation qui lui est propre, le plus souvent en France sous statut associatif reconnu d’utilité publique. Les principaux enjeux auxquels répond la finance solidaire sont les difficultés d’insertion sur les marchés du travail, l’accès au financement de l’activité économique locale face aux évolutions « industrialistes » des systèmes bancaires nationaux (bancarisation de masse et déspécialisation des banques coopératives), ainsi que l’appui aux projets de territoires alliant dynamique économique et cohésion sociale. La reconnaissance d’une territorialité financière de la finance solidaire est justifiée par une stratégie historique et continue d’innovations pour répondre aux contraintes sociétales du moment.

2Le présent article questionne la capacité de la finance solidaire à incarner à l’échelle d’un territoire une solidarité renouvelée, où la proximité citoyenne est déterminante, dans un contexte de transparence et de compréhension. Il convient d’appréhender la finance solidaire comme une interaction entre acteurs à vocation sociétale sur les territoires, dans un contexte de mutations socio-économiques sous tension. Ce lien entre parties prenantes d’un territoire (physique ou virtuel) est interpellé par des projets expérimentaux, alternatifs et sociétaux. « Parce qu’elle met les hommes et leurs liens sociaux au centre de sa mission, cette forme de finance agit toujours en fonction des contextes et des milieux, qu’elle cherche à bien connaître pour mieux les servir et les valoriser. La consécration est l’impact sur le capital social et l’autonomie de ses clients, qui à leur tour auront un impact sur la pérennité des institutions. » [1]

3Les démarches participatives s’inscrivent dans ces dynamiques locales d’appropriation d’une finance plus citoyenne et solidaire. La finance participative en est l’illustration et elle est facilitée par la numérisation de nos sociétés. Il existe plusieurs possibilités de financement : le don, le don contre don, le prêt et l’investissement participatif. « Le financement participatif moderne est un mécanisme permettant de fournir des fonds à des projets en faisant appel au plus grand nombre possible d’acteurs, via les réseaux sociaux. La totalité du processus de financement se fait par le biais d’une plateforme internet et ne requiert pas l’intervention d’un intermédiaire financier. Trois notions sont essentielles au financement par la foule : l’appel ouvert, l’implication de la foule et l’importance des réseaux sociaux. » [2]

4Une hybridation avec la finance participative pourrait-elle être une alternative crédible au regard des attentes citoyennes de transparence et de compréhension dans la territorialisation d’une finance plus locale ? « Face à la diversité des logiques d’action de la finance solidaire, il est possible de construire un concept de « finance solidaire territorialisée » que nous définissons comme un ensemble d’organismes financiers, qui respectent les principes de l’économie sociale et solidaire dans ses statuts, ou dans ses pratiques, et dont le rôle est de construire une offre de financement décentralisée sur des critères territoriaux. » La finance solidaire se doit alors d’intégrer ces nouveaux éléments afin d’intégrer les nouvelles attentes sociétales du moment tout en conservant les caractéristiques identitaires qui lui sont propres. La recherche de la solidarité territoriale des acteurs de la finance solidaire est l’une des conditions indispensables à la réussite de ce processus d’hybridation participative.

La mutation des modèles de la finance solidaire

5La finance solidaire démontre une capacité à répondre aux défis sociétaux que peuvent imposer les modalités organisationnelles de la finance plus traditionnelle. Une évolution des modèles socio-économiques du secteur de la finance solidaire s’est développée afin d’entretenir cette mission au fil du temps. L’encadré 1 décrit les principales phases de cette évolution, avec quatre formes de régulation solidaire : régulation communautaire, régulation mutualiste, régulation administrée et régulation associative.

Encadré 1. Historique des modèles socio‑économiques de la finance solidaire

figure im1
Début XIXème siècle Fin XIXème Début XXème Milieu XXème siècle Fin XXème Début XXIème siècle Peu d’outils financiers appropriés au contexte de production capitalistique Concentration du capital et pénurie de financement pour les petits producteurs et les associations ouvrières Encadrement du crédit par l’Etat Bancarisation de masse et déspécialisation des banques coopératives au détriment de l’expertise territoriale Alternative solidaire : Crédit gratuit étatique ou privé Alternative solidaire : Mutualisation de l’épargne des emprunteurs Alternative solidaire : Mutualisation des risques entre les financeurs Régulation communautaire Régulation mutualisée Régulation Administrée Régulation associative Formes des finances solidaires… Owen, Proudhon, Banque du Peuple, Buchez, Blanc… Béluze crédit au Travail, Walras, Raiffeisen Microcrédit, Clubs d’Investisseurs solidaires, capital-risque solidaire, sociétés financières solidaires, Fonds de garantie solidaire

6Même s’il convient de prendre du recul vis-à-vis de cet historique des modèles socio-économiques de la finance solidaire (la temporalité n’est pas toujours facile à déterminer dans la structuration de ces formes de solidarités où celles-ci peuvent évoluer, se renforcer voire même se conforter entre elles), celui-ci repose néanmoins sur le postulat d’un rôle sociologique inhérent à tout processus de monétisation qui est partagé dans notre approche. Les relations financières apparaissent ainsi comme des liens reliant les parties prenantes d’un territoire, qu’il soit réel ou virtuel.

7L’encadré 2 propose de nouvelles formes de régulation pour la finance solidaire territorialisée, lorsqu’elle se veut plus en interaction, au niveau local, avec les citoyens. Cette nouvelle période qui s’affirme (régulation citoyenne) n’apparaît pas en rupture vis-à-vis de la période antérieure (régulation associative). La finance solidaire a toujours sa place dans la connaissance du territoire pour accompagner et financer la création et le développement local. Ces structures solidaires ont plutôt vocation à s’approprier par une démarche partenariale et collégiale des outils participatifs afin d’impulser une dynamique plus citoyenne du rôle de l’épargne sur un territoire. On assiste ici à la recherche d’une meilleure inclusion des citoyens dans les dynamiques de solidarités, renforcée par la digitalisation des modes de communication et d’information.

Encadré 2. Un prolongement des modèles socio-économiques de la finance solidaire ?

figure im2
Fin XXème siècle Début XXIème siècle Bancarisation de masse et déspécialisation des banques coopératives au détriment de l’expertise territoriale Besoin de transparence, de compréhension, d’utilité et de proximité dans l’épargne allouée auprès des citoyens Alternative solidaire : Mutualisation des risques entre les financeurs Alternative solidaire : Utilisation de la finance participative (traçabilité) Régulation associative Formes de finances solidaires… Régulation citoyenne Microcrédit, Clubs d’Investisseurs solidaires, capital-risque solidaire, sociétés financières solidaires, Fonds de garantie solidaire Acteurs déjà présents au sein de la finance solidaire qui vont venir structurer/utiliser les plateformes de financement participatif

8L’encadré 3 liste les conditions d’une solidarité financière territorialisée qu’il semble opportun d’intégrer dans toute démarche d’hybridation participative de proximité. Ce cadrage théorique devra néanmoins être questionné vis-à-vis de son opérationnalisation dans les territoires, notamment en Nouvelle-Aquitaine. Les alternatives qu’apporte la finance participative via l’association des citoyens à une finance solidaire territoriale ne garantissent pas automatiquement une appropriation locale par les parties prenantes (il conviendra de définir les conditions de cette appropriation en prenant appui sur l’exemple de la Nouvelle-Aquitaine).

Encadré 3. Synthèse des alternatives de la finance participative à la finance solidaire

tableau im3
Contraintes actuelles des acteurs de la finance solidaire Solutions/alternatives de la finance participative Risques potentiels à envisager Actions à prévoir Diminution des encours financiers alloués aux structures de financement solidaire (secteur financier traditionnel en crise) Les plateformes de financement participatif permettent de drainer l’épargne des citoyens Il n’est pas sûr que les citoyens orientent leur épargne vers les projets les plus pertinents au sens économique et sociétal Les acteurs de la finance solidaire devront présélectionner les projets (importance de l’accompagnement) Orientation des fonds vers des actifs moins risqués (réglementations prudentielles), souvent au détriment du financement de l’économie locale Les épargnants qui passent par les plateformes déterminent eux-mêmes le degré de risque qu’ils souhaitent prendre. La dimension régionale de la plateforme peut permettre de créer des moments de rencontre (lien direct pour l’appréciation du risque) Diminution des aides publiques aux acteurs de la finance solidaire (diminution du soutien aux missions d’intérêt général) Les plateformes permettent d’effectuer des dons (monétaire, matériel, de compétences…) pour compenser la diminution des aides publiques. Les dons sont de nature volatile, posant des problèmes de pérennité des actions envisagées. Les acteurs de la finance solidaire doivent mutualiser leurs efforts pour diminuer les coûts et renforcer les spécificités de chacun (concurrence à exclue) La crise financière de 2008 a questionné les citoyens quant au sens à donner à leur épargne Les plateformes permettent de donner du sens et de la transparence vis-à-vis des projets proposés. Une plateforme ne garantit pas la proximité géographique des projets (uniquement proximité virtuelle) et peut conduire à une ségrégation territoriale (rupture technologique) Les acteurs de la finance solidaire doivent s’organiser pour créer du lien entre toutes les parties prenantes et garantir l’accessibilité à la plateforme sur tout le territoire.

Quelle finance solidaire et participative pour la Nouvelle-Aquitaine ?

9Les acteurs actuels de la finance solidaire en Nouvelle-Aquitaine, majoritairement sous statut associatif (l’un des statuts de l’Économie Sociale et Solidaire avec les coopératives, les mutuelles, les fondations et les entreprises sociales), sont fortement représentés et impliqués dans le territoire. Le statut associatif permet d’associer plus facilement et librement de multiples parties prenantes, source de mutualisations des compétences et des expériences dans la détermination du risque financier local. Avec plus de 220 000 salariés et plus de 22 000 établissements employeurs, la Nouvelle Aquitaine représente la troisième région française pour le volume d’emplois relevant de l’Economie Sociale et Solidaire (ESS), derrière l’Ile-de-France et L’Auvergne-Rhône-Alpes [3].

10Plusieurs collectifs d’acteurs impliqués / sensibilisés à la finance solidaire en Nouvelle-Aquitaine ont été créés il y a plusieurs années maintenant afin de mutualiser des actions de sensibilisation auprès des citoyens (collectif Aquifisol en Aquitaine, collectif ADEFIP en Poitou-Charentes, animation locale en Limousin…). Ces collectifs cherchent à être au plus près des spécificités des territoires tout en associant de multiples partenaires institutionnels comme l’Adie, la Caisse des Dépôts et des Consignations, les agglomérations, les Cigales, CCFD Terre Solidaire, le réseau CEZAM, le Crédit Coopératif, le Crédit Mutuel, la Chambre Régionale de l’Économie Sociale et Solidaire, Finansol, Habitat et Humanisme, France Active, Macif, Maif, Nef, Herrikoa, CLEF, Terre de Liens, URSCOP, Universités et écoles de commerce, Région Nouvelle-Aquitaine… Ils mettent en place des actions de sensibilisation lors de la semaine de la finance solidaire ou lors de rencontres d’affaires entre financeurs solidaires et entrepreneurs locaux, collaborent à des évènements de la finance participative, valorisent des pratiques innovantes socialement…

11Cette finance solidaire des territoires de la Nouvelle-Aquitaine s’inscrit dans des démarches d’appropriation citoyenne. Elle cherche à impulser une nouvelle dynamique organisationnelle via le recours aux réseaux sociaux, la traçabilité des fonds utilisés, la création de circuits courts de financement… L’enjeu réside dans la capacité de ces acteurs à associer les citoyens dans les écosystèmes territoriaux.

12L’investigation terrain en Nouvelle-Aquitaine doit permettre d’appliquer le cadre théorique précédemment évoqué et d’y faire émerger les zones de tensions dans cette hybridation solidaire et participative. L’enjeu d’une hybridation financière solidaire et participative y est multiple pour ce territoire, ce qui justifie sa pertinence comme terrain d’étude.

Une forte tradition sociale, solidaire et participative

13La Nouvelle-Aquitaine est l’une des régions où la présence de micro-entreprises et de TPE est la plus forte (plus de 52 % de la population active de cette grande région travaille dans une micro-entreprise ou une PME), justifiant un fort besoin d’accompagnement couplé à une connaissance territoriale forte dans l’appréciation des risques. De nombreux dispositifs sont co-construits entre les collectivités locales et les acteurs de la finance solidaire en ce sens dans ce territoire.

14La finance solidaire est ancrée historiquement dans ces territoires avec des exemples forts : le mouvement des mutuelles dans le niortais avec la Maif, la Macif, la Maaf ; le plateau de Millevaches dans le Limousin avec sa forte tradition coopérative ; les fonds solidaires basques comme Herrikoa, Hemen, les Clefe… ; la finance citoyenne avec les Cigales et www.jadopteunprojet.com dans le Poitou… Les composantes de cette finance dite solidaire en Nouvelle-Aquitaine sont aussi en questionnement quant à leur capacité de réappropriation citoyenne via la numérisation et la digitalisation des outils. Ce territoire, source d’expérimentations et d’innovations liées à l’évolution des modèles socio-économiques des acteurs de la finance solidaire au cours du temps, se prête à l’analyse et à l’interpellation, pour y percevoir de nouvelles formes organisationnelles en émergence. À savoir, la capacité à impulser une régulation citoyenne où ceux-ci pourront se satisfaire d’une transparence, d’une compréhension, d’une utilité et d’une proximité dans l’ensemble de la chaîne de financement solidaire.

15La place de la finance participative dans ces territoires n’est pas anodine : la dernière analyse de Financement Participatif France montre que sur un total de 21 375 projets financés en France, 14 % concernent la Nouvelle-Aquitaine. La notion de territorialité de la finance participative prend ici tout son sens dans le développement socio-économique qu’impulsent les citoyens contributeurs. « Le concept de ‘développement local participatif’ apparaît alors. Il s’agit de mettre en place des projets destinés aux populations conçus et réalisés avec les communautés. »

16Le niveau et les conditions d’appropriation d’une finance participative hybridée à une finance solidaire territorialisée auprès de trois parties prenantes de la Nouvelle-Aquitaine, ont été explorés via des investigations menées sur le terrain. Il en résulte une série de recommandations.

Recommandation des acteurs de la finance solidaire en Nouvelle-Aquitaine

17Certains acteurs des collectifs de la finance solidaire ont pu s’interroger sur l’intérêt d’une hybridation participative dans leurs outils d’accompagnement et de financement solidaires. Des entretiens semi-directifs avec six des structures à l’origine de cette réflexion ont été menés pour faire ressortir leurs attentes vis-à-vis de plateformes participatives dans leurs modalités organisationnelles d’acteurs solidaires de territoires (Adie, Cigales, Crédit Coopératif, CRESS, France Active et URSCOP). Les résultats sont synthétisés dans le tableau 1.

Tableau 1

Les attentes des responsables de structures de la finance solidaire vis-à-vis de la finance participative

Activités portant sur la finance solidaireInformation grand public / jeunes et porteurs de projets à plus-value sociétale et culturelle ; Mise en relation pour obtenir des financements complémentaires ; Garantie bancaire pour créateurs d’entreprise et entreprises solidaires ; Apports en fonds propres pour demandeurs d’emploi et entreprises solidaires ; Animation d’un portail de la finance solidaire en région ; Accompagnement au développement de pôles ESS ; Organisateurs Semaine Finance Solidaire…
Porteurs de projets éligiblesPorteurs de projets soutenus par les acteurs de la finance solidaire ; projet local avec plus-value écologique sociale, culturelle (statut ESS non obligatoire) ; Demandeurs d’emploi, femmes créatrices d’entreprises, TPE-PME en développement, entreprises solidaires en création ou développement…
Intérêt de l’utilisation d’une plateformeAccès facilité aux financements (complément des financements solidaires) ; Pas d’objectif de rentabilité ; Parties prenantes acteurs de leur territoire ; Projet locaux porteurs de sens ; Visibilité et notoriété grand public en région (développer les finances solidaires) ; Modèle de plateforme original (statut coopératif et ou associatif) pour maintenir la solidarité entre acteurs ; Valorisation des compétences professionnelles des structures spécialisées dans l’accompagnement et le financement ; Création d’un réseau ou collectif autour de l’accompagnement, le financement et l’hébergement des porteurs de projet (renforcer le parcours d’accompagnement du créateur) ; Promotion des initiatives ;
Type de financement concernésTrois modes de financements : dons, prêts, apports avec droit de reprise ; Modalités de financement mutualisées aux offres des acteurs de la finance solidaire ; Financement basé sur le don/contre don (les associations n’ont pas toujours la possibilité d’emprunter pour financer des activités spécifiques mais elles ont des compétences et savoir-faire qui peuvent être mutualisés) ;
Spécificités d’une plateforme localeAssocier toutes les parties prenantes du développement économique régional ; Plateforme non lucrative ; Outil de mise en commun des acteurs de la finance solidaire et des porteurs de projets (mutualisation collective) ; Plateforme de portée régionale ; Plateforme accompagnement porteur de projet grâce à l’implication des acteurs de la finance solidaire ; Dimension régionale créatrice de liens réels et pas seulement « virtuels » ; Critères de sélection pour que tous les projets aient une dimension sociétale (possibilité labélisation) ; Création d’une charte des valeurs ; Importance du visuel (plateforme agréable et spécifique au territoire régional) ;

Les attentes des responsables de structures de la finance solidaire vis-à-vis de la finance participative

18Les acteurs de la finance solidaire de Nouvelle-Aquitaine développent un éventail d’activités qui répond à l’ensemble des attentes des porteurs de projet, avec une répartition complémentaire de leurs offres respectives. Leur démarche se veut collégiale et partenariale, apte à générer une dynamique favorable vis-à-vis de tout projet (volonté de maintenir la solidarité entre acteurs). Le projet d’hybridation participative n’apparaît pas uniquement comme un outil de financement mais surtout comme un outil de coopération, d’information, d’échanges et de valorisation des initiatives locales et solidaires. In fine, il y a une volonté de conforter voire de développer les compétences offertes dans le processus d’accompagnement des acteurs de la finance solidaire en structurant chaque étape dans l’accompagnement tout en gagnant en visibilité auprès des citoyens localement.

Recommandation des porteurs de projet en région Nouvelle-Aquitaine

19Le recueil des attentes d’une hybridation financière solidaire, participative et territoriale chez les porteurs de projet a été réalisé par questionnaire. Vingt-sept porteurs de projet issus des réseaux locaux de la finance solidaire ont répondu à 24 questions. Une partie des porteurs de projet sollicités avait déjà manifesté son intérêt pour la finance participative en s’inscrivant à un forum organisé en Nouvelle Aquitaine sur cette thématique. Il s’agissait de cibler d’abord des porteurs de projet souhaitant solliciter les plateformes de financement participatif. En effet, ceux bénéficiant déjà d’accompagnement et de financement solidaires territorialisés étaient d’autant plus à même d’y déceler les besoins et les complémentarités d’une hybridation participative. Le tableau 2 synthétise les éléments les plus pertinents issus du questionnaire.

Tableau 2

Synthèse des réponses au questionnaire adressé aux porteurs de projet bénéficiant déjà d’un accompagnement et d’un financement solidaire

Principales caractéristiques des porteurs de projetStatuts juridiques divers ; Projets déjà matures ; Age : 30 ans à 60 ans (l’âge n’est pas un critère) ; Niveau d’étude minimum bac+2 ; expérience minimum de 10 ans avec une bonne maitrise de l’utilisation d’internet)….
Principaux éléments du projetRecherche de sens : solidarité, développement durable, culture, lien local fort… ; Domaines d’activité divers : environnement, solidarité internationale, éducation citoyenne, industrie agroalimentaire… Projets majoritairement innovants et expérimentaux ; Besoins de financement variant de faibles (2 500 euros) jusqu’à des montants importants (1 million d’euros) ; Porteurs de projet ayant bénéficié de financements classiques (apport en capital, prêts bancaires, aide à la création) et d’un accompagnement à l’aide à la création ;
Niveau d’implication dans la finance participativeNiveau de sensibilisation des porteurs de projet aux plateformes faible (ils ne les ont pas utilisées pour financer d’autres projets) ; Intérêt pour rendre participatif et solidaire leur projet même dans son financement ; Souhait de profiter de cet outil pour communiquer sur leur projet, même si des risques existent, notamment le peu de liens physiques avec leurs financeurs et la peur de perdre le contrôle de leur projet ;
Attentes spécifiques vis-à-vis de la finance participativeBesoins envisagés plutôt orientés vers le don (monétaire ou non). Quant aux spécificités d’une plateforme, c’est la spécialisation suivant le mode de financement qui est clairement mise en avant (développement socio-économique du territoire régional) ;

Synthèse des réponses au questionnaire adressé aux porteurs de projet bénéficiant déjà d’un accompagnement et d’un financement solidaire

20Le niveau de qualification et d’expérience professionnelle des porteurs de projet est élevé. Il n’y a que des projets porteurs de sens, innovants, entrant en concordance avec les valeurs portées par la finance solidaire territorialisée (proximité, développement local, cohésion territoriale). Les entrepreneurs bénéficient déjà de dispositifs d’aide à la création et ils les trouvent indispensables au développement de leur activité (il n’y a pas de remise en cause de l’utilité de ces dispositifs). Pour eux, les plateformes de financement participatif apparaissent complémentaires à la finance solidaire. Les porteurs de projet sont plutôt curieux vis-à-vis des plateformes de financement participatif (aucun d’entre eux n’a déjà financé des projets via des plateformes existantes). Mais la possibilité de rendre participatif, solidaire et territorial leur projet les séduit. Les besoins envisagés par les porteurs de projet s’orientent plus vers du don (financier ou non), venant conforter une position complémentaire mais aussi solidaire des plateformes de financement participatif.

Recommandation des plateformes de financement participatif (nationales)

21Quelques acteurs comme Babyloan ont été précurseurs en France, avec une dynamique qui ne cesse de se renforcer depuis 2010. Le mouvement s’est consolidé afin de se regrouper via l’association Financement Participatif France avec plus de 80 plateformes adhérentes. Ce processus de regroupement permet à ces acteurs d’être moteurs vis-à-vis des pouvoirs publics dans leur volonté d’assouplir les réglementations en vigueur (les plateformes font appel à l’épargne publique). Des entretiens semi-directifs ont été réalisés auprès de sep plateformes afin de comprendre leur mode de fonctionnement et les enjeux d’hybridation participative territorialisée auprès des acteurs de la finance solidaire (tableau 3). Il est encore difficile d’avoir une vision sur la structuration du secteur et plus particulièrement de leur modèle économique.

Tableau 3

Synthèse des entretiens semi-directifs des plateformes de financement participatif

Profil des plateformes de financement participatifPrincipalement sous statut capitalistique (SA). Quelques plateformes ont obtenu des agréments solidaires ESUS ; Une majorité de plateformes date de
2012 (création récente) ; Toutes les formes d’offres sont présentes (don, prêts et equity) ; Certaines plateformes se spécialisent sur un seul type d’offre ; Amplitude faible (2 000 euros) jusqu’à des montants assez importants (1 million d’euros) ;
Modèle économiqueAspect financier : commissions prélevées sur les fonds collectés auprès des internautes (5% à 10%) ; « Frais de dossier » éventuels, facturés au porteur de projet ; Pas de publicité sur les plateformes (uniquement les partenaires) ;
Effectifs : Equipes d’associés, de bénévoles, de stagiaires,de salariés… avec des compétences spécifiques (ingénieurs, web designer, juriste…) ;
Les projets financésMobilisation des communautés sur internet ; Réalisation d’événements lors de forum, prise de contact avec des acteurs du milieu (aide à la création, business angels, acteurs de la finance solidaire…) ; Les projets sélectionnés doivent être concrets et concerner les secteurs artistique, humanitaire, innovant, engagé, participatif, social… Sélection par formulaire/questionnaire ainsi que vérifications administratives (numéro siret, visite sur site…) ; L’enjeu est la cible du projet (quel public impacté) avec une décision finale prise par un comité de sélection ; Prise en compte des réseaux du porteur de projet, qui conditionnent la réussite du financement (1er, 2d et 3eme cercles) ; Les plateformes aident surtout à la présentation du projet ; Peu d’accompagnement à la création et développement ;
Niveau d’activité des plateformesAu départ, entre 10 à 15 projets par an, avec une volonté de passer à une centaine ; Pas de garantie apportée aux fonds récoltés par les plateformes ; Pas (peu) de périmètre géographique défini ; Montants demandés allant de 1 500 à 10 000 euros en moyenne sur le don ; Réductions d’impôt pour l’investissements dans les PME-PMI ; Déductions fiscales pour les dons aux associations reconnues d’utilité publique ; Epargne émanant des particuliers ; Plus de 10 % d’entre eux financent plus d’un projet ;

Synthèse des entretiens semi-directifs des plateformes de financement participatif

22La majorité des plateformes relève du statut de la SA, faisant supposer qu’il n’y a pas de liens forts entre la finance participative et la finance solidaire (qui est principalement sous statut associatif). Certaines plateformes sont spécialisées alors que d’autres proposent toutes les formes de concours (don, crédit et investissement). Le modèle économique de ces structures est à conforter. Leur fonctionnement repose sur une commission prélevée sur les fonds récoltés et éventuellement des frais de dossiers demandés aux porteurs de projet. Les plateformes ne garantissent pas les fonds alloués par les épargnants. Le risque est donc supporté par le citoyen, voire la banque partenaire de la plateforme. L’accompagnement à la création et au développement n’est pas véritablement présent. Il peut reposer sur des partenaires spécialisés dans l’entrepreneuriat, où certains acteurs de la finance solidaire sont associés. La proximité offerte par les plateformes via le lien qu’elles peuvent créer entre citoyens et porteurs de projet est à ce jour virtuel (faible implantation territorialisée des plateformes aujourd’hui).

Vers une hybridation solidaire, participative et territorialisée de la finance en Nouvelle Aquitaine ?

23Les acteurs de la finance solidaire en Nouvelle-Aquitaine ont une structuration qui leur permet d’être proches de leur territoire (qu’ils soient physiques, culturels ou virtuels). Les relations denses qui peuvent exister entre acteurs associatifs, mutualistes, coopératifs, collectivités publiques et structures de l’enseignement supérieur offrent une dynamique propice à l’expérimentation participative et citoyenne. Mais les enjeux qui s’y dressent aujourd’hui, tant dans l’évolution des besoins des parties prenantes des territoires (transparence, compréhension, utilité et proximité dans l’utilisation de l’épargne) que vis-à-vis de l’évolution de leur modèle socio-économique (reposant actuellement sur une délégation de mission d’intérêt général soutenue par les pouvoirs publics) viennent interpeller les modalités organisationnelles d’une hybridation solidaire et participative territorialisée.

24À l’aide du cadre théorique décrit précédemment, ce travail a permis d’illustrer les enjeux d’une hybridation participative à la finance solidaire territorialisée.

25Ces enjeux sociétaux, via la recherche d’une implication citoyenne plus dense, ne doivent pas faire oublier les conditions voire les préconisations dans la réussite de ces hybridations. L’étude des territoires de la Nouvelle-Aquitaine a permis de dresser un état des lieux des attentes des principales parties prenantes. Les porteurs de projet souhaitent des dispositifs solidaires et participatifs complémentaires mais aussi bénéficiant d’une territorialité forte pour bénéficier d’une proximité avec les citoyens (potentiels clients). Les acteurs de la finance solidaire sont majoritairement sous statut associatif, les orientant vers des activités à but non lucratif et bénéficiant de soutiens publics et privés dans leur recherche d’une mission d’intérêt général. Cet objet sociétal n’entre pas en concordance avec les plateformes de finance participative. Elles sont sous statut capitalistique, avec des fonds d’investissement dans leur capital et très peu présentes localement, pour des raisons de coûts principalement. In fine, des tensions peuvent émerger tant qu’un alignement des finalités sociétales des uns et des autres pour une finance plus citoyenne dans les territoires ne sera pas réalisé.

26Ce travail prend pour fondement la numérisation et la digitalisation de la société où de nombreux secteurs se retrouvent bouleversés. Qu’en est-il pour cette finance solidaire et comment peut-elle intégrer ces dynamiques participatives et citoyennes ? Ces enjeux sociétaux, dans la capacité des acteurs de la finance solidaire à faire évoluer à nouveau leur modèle socio-économiques, ont été qualifié de régulation citoyenne. In fine, l’hybridation participatif et solidaire dans le financement alternatif des territoires est double : de sa capacité à impulser des dynamiques participatives dans l’appropriation citoyenne des démarches entrepreneuriales de proximité ; de sa capacité à impulser des changements organisationnels dans le renouvellement des acteurs de la finance solidaire historique dans ces territoires.

Notes

  • [1]
    Amouroux, P. (2003). La finance solidaire pour un autre projet de société. Revue du MAUSS, no 21,(1), 66-72. doi :10.3917/rdm.021.0066
  • [2]
    Bessière, V. et Stephany, E. Le crowdfunding, fondements et pratiques, de Boeck Supérieur, deuxième édition, 2017.
  • [3]
    Source : Chambre Régionale de l’Economie Sociale et Solidaire Aquitaine, panorama 2017.
Français

Les acteurs de la finance solidaire proposent des outils d’accompagnement et de financement de proximité répondant aux spécificités territoriales. La crise de 2008 est venue déséquilibrer cette dynamique socio-économique. Cette régulation financière locale, largement sous statut associatif, est depuis peu dans l’obligation de se renouveler. Un besoin de transparence et de compréhension se manifeste chez les citoyens et l’émergence de la finance participative leur apparaît une option crédible, portée par les nouvelles technologies de l’information et de la communication.
Notre travail cherche à construire un cadre théorique d’analyse des hybridations à l’œuvre dans la reconstruction d’une finance territoriale plus citoyenne, à partir des expérimentations en cours dans les territoires de la Nouvelle-Aquitaine.

Thibault Cuénoud
Thibault Cuénoud est Docteur en Sciences Économiques de l’Université de Poitiers, Enseignant-Chercheur et membre de l’IRSI à Sup de Co La Rochelle, Chercheur-Associé au CRIEF (EA 2249) de l’UFR de Sciences Économiques de Poitiers et président de la plateforme de finance participative www.jadopteunprojet.com. Il travaille depuis plusieurs années sur les questions liées aux modalités de financements alternatifs, notamment la finance solidaire, éthique et participative. Appréciant les démarches de recherche appliquée, il côtoie régulièrement les acteurs de terrain pour co-construire des dynamiques proactives afin d’anticiper les enjeux socio-économiques des territoires dans leur financement.
Mis en ligne sur Cairn.info le 12/06/2018
https://doi.org/10.3917/entin.035.0040
Pour citer cet article
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