CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Au XIXe siècle, l’esprit d’entreprise s’est développé en France à la faveur de la première révolution industrielle, facilitée par de profondes mutations sociétales. Les nouveaux entrepreneurs avaient des origines variées : bourgeoisie marchande, aristocratie propriétaire de grands domaines, ingénieurs, immigrés [1]... Le Second Empire et la IIIe République furent des périodes fastes pour les entrepreneurs, permettant l’affirmation de la France comme une grande puissance économique. Dans un pays resté colbertiste, les grands entrepreneurs ont souvent noué des relations étroites avec l’État, qui devenait leur client et pouvait leur octroyer des privilèges et des financements. Au XXe siècle, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’économie administrée à la française a renforcé la férule de l’État sur les entreprises, culminant avec les nationalisations de 1981.

2Ainsi, la France peut se prévaloir d’une réelle culture entrepreneuriale mais l’opinion publique et les courants de pensée philosophiques et politiques n’ont pas toujours célébré les grands entrepreneurs comme des bâtisseurs de la Nation, à l’instar de ce qu’on observe dans les pays anglo-saxons [2]. On respecte souvent les fortunes transmises et on suspecte les fortunes acquises par le commerce et l’industrie. En France, s’oppose constamment à une réelle dynamique entrepreneuriale et conquérante une idéologie qui voit dans les entrepreneurs d’abord des exploiteurs plus que des créateurs de richesses, dont on ne pardonne ni la réussite ni l’échec. Selon les périodes, l’une ou l’autre tendance a prévalu.

3Cependant, depuis quelques décennies, de profonds changements de la société française font apparaître un fort renouveau de l’esprit d’entreprendre dans un contexte qui demeure, malgré tout, ambigu. Cet attrait envahit les médias, l’enseignement et les instances publiques, qui en font une nouvelle croisade.

4Nous examinerons les causes de ce mouvement historique puis les formes complexes de ce nouvel entrepreneuriat et les différents niveaux d’environnement qui favorisent ou entravent le développement entrepreneurial français.

Les causes d’un mouvement historique : des bouleversements multiformes

5Quatre mouvements profonds et interdépendants expliquent cette vague de fond entrepreneuriale qui touche de nombreux pays développés et spécifiquement la France : l’explosion technologique, la mondialisation accélérée, les mutations économiques et les mutations sociétales.

L’explosion technologique

6L’explosion technologique est multiforme et s’accélère avec la convergence des NBIC [3]. Dès 2005, Ray Kurzweil notait l’accélération exponentielle des découvertes et des applications des nouvelles technologies qui transforment le monde, l’économie et nos modes de vie [4]. Dans cette grande transformation, il se crée sans cesse de nouveaux savoirs, de nouvelles applications, de nouveaux métiers et des écosystèmes ou sous-systèmes spécifiques. Un peu comme le bouquet final d’un feu d’artifice où chaque élément de la fusée explose en créant de nouvelles figures. De l’industrie à l’agriculture, de l’éducation à la santé, de la finance au tourisme, tous les secteurs traditionnels sont touchés par la numérisation du monde [5]. Parallèlement, des secteurs d’activité entièrement nouveaux se forgent dans le creuset des NBIC [6].

7Ainsi apparaissent d’innombrables opportunités et de nouveaux champs d’exploration pour les entrepreneurs.

La mondialisation accélérée par internet

8Pour la grande majorité des pays, la mondialisation se manifeste par l’accélération des échanges de produits, de capitaux, d’informations et, bien sûr, de personnes. Le basculement vers un monde multipolaire qui démultiplie ces échanges ne se fait pas sans tensions géopolitiques ni soubresauts nationaux [7]. La compétition est généralisée : tout le monde entre en concurrence avec tout le monde pour mettre en valeur et/ou attirer les ressources, les capitaux, les talents et les marchés. Les zones économiques se battent à la fois pour leur compétitivité et pour leur attractivité [8].

9Avec internet, le monde devient plat : instantanéité, ubiquité, mobilité sont les maître-mots de la nouvelle économie numérique. Au milieu de ce maelstrom, les nations peinent à conserver leur unité car les perdants de la mondialisation n’acceptent pas d’être déclassés et le manifestent dans les pays démocratiques par des votes de refus [9].

Les mutations économiques

10L’ouverture des frontières et les progrès technologiques ont bouleversé les structures économiques. En France, certains secteurs (agroalimentaires, luxe, tourisme, transports, santé…) se sont relativement bien adaptés alors que d’autres (agriculture, mécanique, textile) ont beaucoup souffert.

11Le chômage structurel, et particulièrement celui des jeunes sans qualification, s’accroît. Près de 75 % des jeunes chômeurs sont en effet dépourvus de diplôme [10]. La numérisation et la robotisation de l’économie devraient entraîner des gains de productivité et des suppressions d’emplois [11]. Ces dernières ne seront pas nécessairement compensées par les nouveaux emplois créés [12]. Pour autant dans un pays développé, le solde sera d’autant plus positif que l’appropriation de ces techniques sera rapide et propice à la reconfiguration des chaînes de valeur.

12Cette recomposition des filières et des circuits économiques profite ainsi au consommateur français qui peut acheter des produits à bas coût au détriment d’une part des producteurs français qui subissent des pressions sur leur salaire voire perdent leur emploi. A contrario, d’autres producteurs (de logiciel, de robots, etc.) voient le jour. Le pacte fordiste qui reposait sur l’amélioration des revenus des salariés pour soutenir la consommation et donc la production dans une sphère économique donnée est donc rompu pour une partie des salariés [13].

13Ainsi, le renouvellement des schémas de production/distribution/consommation redessine notre système économique. Les nouvelles entreprises de nature très variée comme nous le verrons au chapitre II) permettent aux plus entreprenants de trouver leur place dans ce processus de destruction créatrice.

Les mutations sociétales

14La société française évolue ainsi que ses valeurs et ses aspirations. Pour Michel Mafessoli [14], nous sommes entrés dans une société postmoderne, bien incarnée par les jeunes générations. Ces générations imaginent un monde plus horizontal que vertical et hiérarchique. Elles vivent dans des tribus d’affinités à géométrie variable et ont remplacé la sacro-sainte valeur travail par le goût de la création, du ludique et de l’imaginaire. Elles vivent davantage dans le présent et laissent une plus large place aux affects et à l’émotionnel que les générations précédentes élevées sous le signe de la raison et du raisonnable.

Les quatre courants du nouvel entrepreneuriat

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Les quatre courants du nouvel entrepreneuriat

15Ces générations sont curieuses, plus adaptables et plus mobiles grâce à internet et aux transports low-cost. Le monde est à eux.

16Ces mouvements de fond se conjuguent mutuellement et créent ainsi un nouvel environnement de changements permanents. L’ancien monde s’affaisse, les grandes structures s’effondrent ou peinent à se réformer, à l’instar des institutions publiques analysées par Olivier Frérot [15]. Le nouveau monde façonné par les technologies est en train de naître, dans un climat morose de ralentissement économique général et d’accroissement inquiétant des dettes publiques et privées et de tensions géopolitiques accrues [16].

17Ce contexte global, riche d’incertitude et d’opportunités, est favorable aux entrepreneurs : ce sont à la fois les explorateurs des nouveaux territoires et les architectes qui conçoivent et bâtissent les nouveaux mondes.

Le développement rapide d’un nouvel entrepreneuriat dans un environnement ambigu

18Le nouvel entrepreneuriat est multiforme et s’exerce dans un environnement national complexe qui s’insère de plus en plus dans l’écosystème américain des multinationales du web.

Un développement multiforme

19En deux décennies, le nombre de créations d’entreprises s’est significativement accru [17]. Cette croissance est essentiellement due à l’augmentation du nombre d’entreprises individuelles -plus de 350 000 en 2015 sur un total de 525 000- facilitée par la création du statut d’auto-entrepreneur. Le développement du travail indépendant touche tous les types de métiers, du livreur à vélo au consultant international.

20Ce phénomène s’explique par deux dynamiques complémentaires : d’une part, la diminution de l’emploi salarié traditionnel qui encourage le travail pluri-employeurs plus instable et, d’autre part, la volonté d’indépendance des jeunes générations qui s’adaptent mal aux règles de l’emploi salarié et aux procédures qui leur sont imposées. Ils apprécient l’indépendance, la liberté et la responsabilité du travail autonome dont ils acceptent les risques. Sur les 2,8 millions de travailleurs indépendants en France, près de 30 % auraient moins de 30 ans [18]. Les plus entreprenants d’entre eux vont développer leur activité en faisant travailler d’autres personnes sous différents statuts, indépendants ou salariés.

21Les créations d’entreprises se sont notoirement diversifiées tant par l’origine et l’âge des entrepreneurs que par leur domaine d’activité, leur finalité ou leur processus de création [19].

22Traditionnellement, les entrepreneurs français avaient trois origines : les enfants de familles entrepreneuriales, les professionnels de métiers reconnus (artisans, techniciens…) et les autodidactes. Les diplômés de l’enseignement supérieur étaient pratiquement absents, sauf s’ils appartenaient à une famille entrepreneuriale, comme le montre Yvon Gattaz [20]. Aujourd’hui, leur origine s’est diversifiée : autodidactes, jeunes diplômés de tous niveaux, managers ou ingénieurs en rupture de ban avec leur entreprise, médecins, chercheurs… À noter que 40 % des entreprises individuelles sont désormais créées par des femmes [21]. L’âge n’est plus une limite puisqu’on rencontre des créateurs de 16 à 70 ans. Enfin, les « serial entrepreneurs » se sont multipliés avec l’avènement d’internet. Ils enchaînent les créations de startups et peuvent devenir des business angels avisés.

23L’entrepreneuriat social, qui n’est pas nouveau, semble attirer de plus en plus de jeunes, diplômés ou non, qui rejettent les excès de la financiarisation croissante de nos économies [22].

24Dans l’univers des nouvelles entreprises, dont la majorité appartient aux secteurs d’activités traditionnels (industrie, commerce, services), il faut distinguer la galaxie des startups, ces jeunes entreprises innovantes en quête de croissance. On y voit coexister des entreprises très technologiques et des entreprises de e-commerce ou de e-service, dont la qualité des process et la rapidité d’exécution sont souvent le principal vecteur de compétitivité [23]. Cette galaxie des startups innovantes est également très hétérogène. Elle représente cependant un assez petit nombre d’entreprises : environ 2 000 par an [24].

Créations d’entreprises en France (2015)

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Créations d’entreprises en France (2015)

Données INSEE, hors estimation du nombre de startups

25Des soutiens financiers au moment de la création sont généreusement distribués par l’intermédiaire de la BPI [25], du Crédit Impôt Recherche et du statut de Jeune Entreprise Innovante. Près de 4 000 business angels ont investi 41,2 M€ en 2015 dans moins de 400 entreprises au stade de l’amorçage [26]. Par ailleurs, les 500 jeunes entreprises financées en 2015 par le capital-risque ont levé 750 M€ [27], chiffre en forte hausse en 2016 [28]. Il s’agit de sommes encore relativement modestes et largement d’origine publique [29], qui expliquent en partie le faible nombre de licornes en Europe et, plus spécifiquement, en France [30]. Plus globalement, le niveau du capital risque européen, qui avoisine 0,03 % du PIB par an, demeure loin derrière celui des États-Unis, qui équivaut à 0,33 % du PIB [31]. L’orientation d’une plus large fraction de l’épargne européenne vers un risque élevé mais aussi un fort potentiel de gain reste un défi à relever.

26Enfin, devenir entrepreneur paraît aujourd’hui plus facile. On démarrait souvent son entreprise dans son garage. Dorénavant, on peut la créer dans sa chambre avec sa tablette. On peut effectuer plusieurs tentatives, s’arrêter, s’associer, se relancer… La flexibilité est le maître mot. Autrefois, créer son entreprise était un projet de vie. Aujourd’hui, pour les jeunes, c’est un mode de vie. Si la moyenne d’âge des créateurs d’entreprises innovantes est de 38 ans, l’engouement des jeunes, diplômés ou non, pour l’entrepreneuriat ne se dément pas. La France est, de tous les pays de l’OCDE, celui où les jeunes de 18-24 ans ont le taux le plus élevé d’intention d’entreprendre. Mais le passage à l’acte est nettement plus faible [32].

27Globalement, sans même parler des auto-entrepreneurs, la grande majorité de ces entreprises restera de petite taille et emploiera moins de dix salariés. Beaucoup de startups demeurent des TPE car leurs fondateurs ont des ambitions limitées. Mais les plus audacieux ne trouvent pas toujours en France de capitaux suffisants pour grandir vite. Beaucoup d’entreprises restent sous-dimensionnées pour occuper les marchés internationaux et doivent fréquemment se vendre à une entreprise plus puissante.

28L’entrepreneuriat actuel en France est un véritable manteau d’Arlequin. Celui-ci recouvre une dynamique difficile à décrire par sa variété et sa complexité, accrues par le brouillage des frontières entre vie professionnelle et sphère privée, entre secteurs, entre organisations publiques et privées.

Un environnement ambigu et complexe

29Cet essor entrepreneurial dépend évidemment de l’environnement dans lequel il s’insère. Progressivement, beaucoup de bonnes fées se sont penchées sur les berceaux des jeunes entreprises au point de créer un environnement de plus en plus favorable à leur naissance. Cependant, le dynamisme de ce nouvel écosystème de proximité n’a pas encore permis d’abaisser certains obstacles qui freinent encore leur croissance.

30Depuis la fin des années 1990, avec le développement foudroyant de l’internet marchand, l’entrepreneuriat est devenu une mode, un must qui envahit de nombreux secteurs de notre société. Libres ou contraints, 21 % des Français envisagent de créer leur entreprise, montrant ainsi leur fort intérêt pour cette démarche, même s’il y a beaucoup d’abandons [33].

31Les entrepreneurs sont célébrés de toutes parts : médias, partis politiques, collectivités locales, banques et assurances, grandes entreprises, enseignement… La forte couverture médiatique, les nombreux concours d’innovation contribuent ainsi à modifier les attitudes et les comportements en faveur des entrepreneurs.

32À côté des acteurs historiques comme les chambres consulaires et les ancêtres de la BPI, les programmes d’accompagnement des créateurs d’entreprise, les incubateurs et les accélérateurs se multiplient. Portés à l’origine par des structures publiques, ils sont de plus en plus relayés par des structures privées : associations d’entrepreneurs et d’investisseurs, entreprises, banques… Pour répondre à la demande croissante des étudiants en matière d’accompagnement de leurs projets, beaucoup d’établissement d’enseignement supérieur ont lancé leurs propres incubateurs ou accélérateurs de startups [34] et l’État a promu le statut d’étudiant-entrepreneur.

33Du fait de leur nombre relativement limité, la concurrence pour attirer les “bons projets” s’est durcie entre les structures d’incubation et d’accélération de notre pays. Naturellement, ce foisonnement d’initiatives a ses faiblesses. Ces nouveaux acteurs n’ont pas toujours les compétences, l’expérience et les moyens de devenir des coaches avisés des entrepreneurs. Les jeunes entrepreneurs ont du mal à évaluer a priori la qualité des structures d’accompagnement, d’autant plus que des parasites ou des prédateurs sont venus envahir ce nouveau « marché ». Ces difficultés sont sans doute naturelles : lorsqu’il y a une multiplication soudaine de jeunes pousses sur un terrain ancien, il est normal qu’on y trouve aussi des mauvaises herbes et des ronces.

34Plus globalement, les largesses des aides publiques en faveur de la création d’entreprises ou les célébrations médiatiques de la French Tech ne doivent pas faire oublier que l’État français est parfois schizophrène dans les diverses composantes de son action. Il contribue souvent à étouffer les entreprises qu’il a nourries, par un excès de taxes, de charges, de normes et de lois [35].

35Ces différents obstacles sont probablement le fait de relents idéologiques qui stigmatisent ceux qui s’enrichissent par leur réussite entrepreneuriale. On ne cesse de célébrer dans les médias notre écosystème des startups qui devient souvent un « nécrosystème » pour les PME qui n’ont pas le pouvoir de négociation des grands groupes.

36Les générations précédentes ont permis de créer des leaders mondiaux tels que Accor, Sodexo, Capgemini et Dassault Systèmes. La génération actuelle d’entreprises n’a pas encore eu de succès équivalents, même si le développement de certaines d’entre elles est fort prometteur. Nos PME et nos ETI [36] en fort développement n’ont souvent pas d’autre choix que de se faire racheter par de grands acteurs mondiaux [37].

L’écosystème mondial des entreprises numériques américaines

37L’environnement de nos entreprises s’est subitement enrichi d’un écosystème numérique exceptionnel. Les États-Unis ont su créer un « septième continent numérique » [38] qui englobe et irrigue le monde dans un mouvement de « colonisation » rampante. Les GAFAM [39], et leurs homologues émergents chinois, les BATX [40], leaders jusqu’ici incontestés de ce monde ont constitué une infrastructure terriblement efficace, qui offre à des millions de jeunes entrepreneurs du monde entier une infinité de territoires de conquête.

38Ces nouveaux géants ont su habilement faire exploser leur capitalisation boursière [41]. Leur puissance financière leur permet ensuite de racheter aisément les entreprises qui vont accroître encore davantage leur taille et leur puissance. Ils n’hésitent pas à se diversifier dans de nouveaux secteurs (santé, automobile…) car leur omniprésence leur permet de révolutionner un grand nombre de secteurs d’activité en redessinant les chaînes de valeurs.

39Ces grandes entreprises anglo-saxonnes ou chinoises règnent ainsi sans partage sur des pans entiers de l’économie numérique et captent une part importante de la valeur créée par les échanges. Olivier Sichel remarque ainsi que « les 700 000 applications présentes sur l’Appstore d’Apple correspondent à 500 000 années de temps ingénieurs ; elles ont été créées pour une part significative en Europe. Or, en l’espèce, l’Américain Apple n’a rien payé en frais de développement mais capte 30 % du chiffre d’affaires réalisé » [42]. Nos jeunes entreprises utilisent ces infrastructures et sont taxées de péages importants pour exister dans ce nouvel environnement. Ainsi, Google conserve 75 % des revenus publicitaires de ses partenaires européens [43]. Par ailleurs, les millions d’entreprises qui utilisent les services des GAFAM leur fournissent une matière première gratuite : les données, que les GAFAM traitent ensuite avec leur puissance de calcul et leurs algorithmes pour créer de nouvelles sources de revenus.

40L’Europe n’a pas encore su créer de tels géants, alors que la Chine protège davantage son territoire. Cette infrastructure planétaire qui enrichit l’environnement de nos entreprises offre beaucoup d’opportunités de croissance à court terme mais il est très difficile à des startups du Vieux Continent de s’imposer face aux nouveaux géants mondiaux. Toutefois, il n’est pas impossible que des rachats de startups par des groupes européens permettent de constituer à terme des plateformes de taille comparable : les flux de création et les mutations entrepreneuriales de ces grands groupes pourraient favoriser ce phénomène.

La France, pépinière du monde ?

41Le renouveau de l’esprit d’entreprise en France est patent depuis deux décennies et ressemble fort à une lame de fond. Il s’exprime à la fois dans l’air du temps et par l’accroissement du nombre de créations d’entreprises de tous types. Il s’exprime plus largement par le développement, en dehors de la sphère économique, de nombreuses initiatives « du terrain » dans tous les secteurs de la société. La France évolue et se transforme « par le bas », loin des radars médiatiques [44].

42Mais l’environnement général demeure contraignant pour les entreprises de croissance qui s’essoufflent vite et conservent le plus souvent une taille modeste car elles n’ont pas les meilleures armes dans l’arène mondiale. Si la société devient plus favorable à l’entrepreneuriat, on peut dire que la révolution est en marche [1] mais la nuit du 4 août n’a pas eu lieu.

43Si l’environnement ne s’améliore pas en faveur des PME, notre pays risque de rester la pépinière du monde, le mot pépinière étant pris dans son sens premier : un lieu où l’on cultive de jeunes plants pour les transplanter ailleurs.

44Les grandes orientations à retenir pour que nos entreprises et particulièrement les PME bénéficient de plus d’espaces de liberté et de moins de contraintes sont bien connues. Elles ont été prises par de nombreux pays développés qui ont su s’adapter à la mondialisation et réduire fortement le chômage.

45Il conviendrait :

46– De favoriser le développement d’une culture de l’entrepreneuriat et de l’innovation à tous les niveaux du système éducatif [45].

47– D’introduire une protection sociale et un droit à la formation universels, tant pour les travailleurs indépendants que pour les salariés.

48– D’orienter une fraction plus importante de l’épargne des Français vers le risque et de réduire les délais de paiement inter-entreprises qui fragilisent les PME.

49– De lancer un Small Business Act au niveau national voire européen pour améliorer fortement le carnet de commandes des PME.

50– De créer un environnement juridique, réglementaire et fiscal stable, qui facilite les anticipations des agents économiques et contribue à l’investissement et à la création d’emplois.

51C’est enfin au sein d’une véritable « Europe puissance » que nous pourrons retrouver notre indépendance dans le septième continent, celui du Web, face aux géants américains et chinois. Airbus et Galileo nous ont montré la voie à suivre. Si nous réussissons à consolider et amplifier cette dynamique entrepreneuriale, avec un fort consensus national, les Français pourront retrouver confiance en eux-mêmes et en l’avenir.

Notes

  • [1]
    Jean Lambert-Dansette (2000), L’histoire de l’entreprise et des chefs d’entreprise en France, 5 volumes édités entre 2000 et 2009, Editions L’Harmattan.
  • [2]
    Merry Bromberger (1954), Comment ils ont fait fortune, Plon. Il faut cependant noter que les entreprises et les entrepreneurs français ont été mieux reconnus et encouragés au XIXe siècle ainsi qu’à certaines périodes du XXe siècle.
  • [3]
    Nanotechnologies, Biotechnologies, Informatique et Sciences Cognitives.
  • [4]
    Ray Kurzweil (2005), The Singularity Is Near: When Humans Transcend Biology, Penguin Books.
  • [5]
    Charles-Edouard Bouée & François Roche (2014), Confucius et les automates : l’avenir de l’homme dans la civilisation des machines, Grasset.
  • [6]
    Pierre Giorgini (2014), La transition fulgurante : vers un bouleversement systémique du monde ? Bayard.
  • [7]
    Walden Bello (2002), Deglobalization, Ideas for a New World Economy, Zed Books.
  • [8]
    Michael E. Porter (1993), L’avantage concurrentiel des nations, InterEditions.
  • [9]
    Pierre-Noël Giraud (2015), L’homme inutile : du bon usage de l’économie, Editions Odile Jacob.
  • [10]
    Source : site Internet de l’Observatoire des Inégalités (www.inegalites.fr), article du 30/01/2015 intitulé « Le taux de chômage selon le diplôme et l’âge ». L’étude recense 6 % de chômeurs chez les détenteurs d’un diplôme supérieur à bac + 2, contre 16,8 % chez les non diplômés.
  • [11]
    Carl B. Freyand & Michael A. Osborne (2013), The Future of Employment: How susceptible are Jobs to Computerization? Oxford Martin Programme on the Impacts of Future Technology, 17 Sept. 2013.
  • [12]
    Melanie Arntz, Terry Gregory & Ulrich Zierahn (2016), The Risk of Automation for Jobs in OECD Countries: A Comparative Analysis, OECD Social, Employment and Migration Working Papers, No. 189, OECD Publishing, Paris. Cf. également les travaux du Conseil d’Orientation pour l’Emploi (www.coe.gouv.fr), notamment la présentation de Grégoire Postel-Vinay sur les technologies clés pour 2020 (Groupe de travail « Automatisation, numérisation et emploi », 6 septembre 2016).
  • [13]
    Michel Rocard (2015), Suicide de l’Occident, suicide de l’Humanité ? Flammarion.
  • [14]
    Michel Maffesoli (2009), Apocalypse, CNRS Editions.
  • [15]
    Olivier Frérot (2014), Métamorphose de nos institutions publiques : quand l’altérité renouvelle la fraternité, Chronique Sociale.
  • [16]
    Richard Dobbs, James Manyika & Jonathan Woetzel (2015), Debt and (not much) deleveraging, McKinsey Global Institute, February 2015 (www.mckinsey.com/mgi).
  • [17]
    Une note de conjoncture de l’Agence France Entrepreneur intitulée « La création d’entreprises en France en 2015 » indique que le nombre de créations d’entreprises a augmenté de 146 % entre 2000 et 2015.
  • [18]
    Joël de Rosnay (2017), Il faut écouter les Millenials, L’Usine Nouvelle N°3499, 19 Janvier 2017.
  • [19]
    Sources : études et sites Internet de l’Agence France Entrepreneur (www.afecreation.fr) et de l’INSEE. De nombreux articles et analyses sur l’entrepreneuriat sont également disponibles sur le site http://analysestpe.letowski.fr/.
  • [20]
    Yvon Gattaz (1970), Les hommes en gris, Robert Laffont.
  • [21]
    Source : INSEE « Les créations d’entreprises en 2015 ».
  • [22]
    Amandine Barthélémy et Romain Slitine (2012), Entrepreneuriat social, innover au service de l’intérêt général, Vuibert. Cf. également Carlo Borzaga, Jacques Defourny (2001), The emergence of social entreprise, Routledge.
  • [23]
    Sources : études et sites Internet de l’AFIC (www.afic.asso.fr ; rubrique « Études et Statistiques ») et d’Invest Europe (www.investeurope.eu, rubrique « Research »).
  • [24]
    Le site Internet « 1001 Startups » estime également à 10 000 le nombre de startups créées en France ces 5 dernières années, à comparer aux 3,55 millions de PME existant en France.
  • [25]
    Le rapport d’activités 2015 de la BPI indique en page 15 que Bpifrance a affecté 1,307 Md€ d’aides et de prêts à plus de 5 300 entreprises. Bpifrance étant le principal acteur du financement de l’innovation et de la création d’entreprise, cela valide l’estimation précédente d’un « stock » de quelques milliers de startups.
  • [26]
    Source : France Angels, www.franceangels.org.
  • [27]
    Source AFIC (cf. supra). Ce montant concerne le capital innovation, qui finance la création d’entreprises et les nouvelles technologies. En 2015, l’AFIC recense 499 entreprises financées pour un montant total de 758 M€.
  • [28]
    Source : Ministère de l’Economie et des Finance. Cf. également Nicolas Richaud, Romain Geugneau & Sébastien Dumoulin, « La French Tech a changé de dimension en 2016 », Les Echos Entrepreneurs (29/12/2016).
  • [29]
    Source: Invest Europe, “2015 European Private Equity Activity. Statistics on Fundraising, Investments & Divestments” (www.investeurope.eu).
  • [30]
    Jean-François Royer, François Sebag & Sylvain Bureau (2016), Beyond Unicorns: The Industrialization of Disruption. A case for Europe, EYGM Limited. Voir également le site www.cbinsights.com/research-unicorn-companies qui recense les entreprises dont la valorisation est supérieure ou égale à 1 Md$.
  • [31]
    Sources : Invest Europe (2015), op. cit. et OECD (2016), Entrepreneurship at a glance 2016, OECD Publishing, Paris.
  • [32]
    Voir la synthèse des rapports GEM et GUESSS par Alain Fayolle et Catherine Laffineur dans ce même numéro.
  • [33]
    André Letowski (2016), note d’analyse de février 2016 (http://analysestpe.letowski.fr). « 32 % des Français ont été ou sont concernés par la création/reprise d’entreprise ; au moment de l’enquête, 21 % ont l’intention de le faire et 7 % sont en cours de démarches ».
  • [34]
    Le réseau « IES ! » des Incubateurs de l’Enseignement Supérieur (www.incubateurs.co) regroupe « plus de 30 établissements représentant plus de 60 établissements d’enseignement supérieur ». Le site « Cadre et Dirigeants Magazine » (www.cadre-dirigeant-magazine.com) recense pour sa part 225 incubateurs sur le territoire français en 2016.
  • [35]
    Le réseau « IES ! » des Incubateurs de l’Enseignement Supérieur (www.incubateurs.co) regroupe « plus de 30 établissements représentant plus de 60 établissements d’enseignement supérieur ». Le site « Cadre et Dirigeants Magazine » (www.cadre-dirigeant-magazine.com) recense pour sa part 225 incubateurs sur le territoire français en 2016.
  • [36]
    Entreprises de Taille Intermédiaire, comprises entre 250 et 5000 salariés.
  • [37]
    On peut notamment évoquer Business Objects, groupe français acquis par SAP en 2008 et ayant conservé une grande partie de ses équipes en France.
  • [38]
    Charles-Edouard Bouée & François Roche (2014), op. cit.
  • [39]
    Cet acronyme désigne Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft. Leur capitalisation boursière à fin décembre 2016 est supérieure à celle de l’ensemble des entreprises du CAC40.
  • [40]
    Il s’agit de Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi.
  • [41]
    David Stockman note dans une chronique du 25 janvier 2016 que Facebook, Amazon, Netflix et Google « ont gagné 485 milliards de dollars de capitalisation boursière (+66 %) alors que les 496 autres entreprises du S&P 500 avaient perdu plus de 500 milliards de dollars » (Source : http://la-chronique-agora.com).
  • [42]
    Olivier Sichel (2014), L’échiquier numérique américain. Quelle place pour l’Europe ? Potomac Paper 20, IFRI, Septembre 2014.
  • [43]
    Olivier Sichel (2014), op. cit.
  • [44]
    Michel Berry (2016), « Les entreprenants sont partout : dans les entreprises, mais aussi en dehors », La Gazette de la Société et des Techniques, N° 87, Mai 2016.
  • [45]
    Robin Rivaton (2015), La France est prête. Nous avons déjà changé, Les Belles Lettres.
Philippe Albert
Philippe Albert est directeur associé d’Angelor, président d’honneur de l’Académie de l’Entrepreneuriat et de l’innovation.
Etienne Krieger
Etienne Krieger est professeur affilié à HEC Paris et directeur scientifique du Centre d’entrepreneuriat d’HEC Paris.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 27/11/2017
https://doi.org/10.3917/entin.033.0100
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