1Des districts industriels marshalliens aux clusters et pôles de compétitivité vulgarisés par Michael Porter, en passant par les technopoles et les villes créatives, la question de savoir où naissent et se développent les dynamiques d’innovation et d’entrepreneuriat attise la curiosité et l’intérêt des managers, comme celle des politiques et des académiques. Aujourd’hui, ce sont de « nouveaux » types d’espaces d’innovation, sous des appellations variées, qui attirent l’attention et génèrent des controverses.

2Sous le terme ombrelle d’Espaces Collaboratifs d’Innovation (ECI), nous distinguons les espaces de travail multi-entreprises (espaces de coworking, learning labs, incubateurs de startups), les ateliers de fabrication (fab lab, makerspace, techshop, hackerspace), les laboratoires de recherche et d’innovation (centre de R&D, innovation lab) et les espaces d’expérimentation publique (living lab, quartier numérique…). Ces différentes catégories ont en commun de mutualiser des mètres carrés, des ressources et des services (machines, wifi, événements) pour stimuler de nouvelles manières d’entreprendre et d’innover.

3Le nombre d’ECI ne cesse d’augmenter partout dans le monde, dans les grandes villes comme dans les zones rurales, sans épargner aucun secteur d’activité (défense, luxe, banque…). Plus de 10 000 espaces de coworking ont été créés dans le monde en une dizaine d’années [1]. Le réseau des fab labs [2], initié par le MIT, compte aujourd’hui plus de 1 000 sites recensés dans le monde. Quelque 67 % des 200 entreprises interrogées en 2015 par CSA et Aktan avaient lancé ou envisageaient de lancer un espace d’innovation dans les deux ans [3]. Les médias et les ECI eux-mêmes ne tarissent pas d’éloges sur leur potentiel de transformation. Ils sont supposés rendre leurs occupants plus créatifs, plus agiles, plus collaboratifs, etc. Des liens entre espace, entrepreneuriat, innovation et créativité ont certes été mis en avant dans la littérature académique, mais le phénomène empirique encore jeune rend difficile toute conclusion sur la performance de ces espaces en termes d’entrepreneuriat et d’innovation. De plus, les repositionnements fermetures et faillites de ces espaces se multiplient.

4Les ECI composent aujourd’hui un paysage difficile à lire et à comprendre. La recherche est encore balbutiante en la matière, bien que des pistes prometteuses aient été ouvertes par des auteurs issus de différentes disciplines en sciences sociales (gestion, sociologie, design, anthropologie, urbanisme). Entreprendre et Innover a donc souhaité leur consacrer un dossier spécial. Comment peut-on les distinguer les uns des autres ? À quoi servent-ils ? Qu’apportent-ils vraiment ? À qui profitent-ils ?

5Ce numéro s’articule en trois parties. La première porte sur les lieux de coworking. La seconde présente des espaces spécialisés dans les secteurs de la santé et de l’éducation. La troisième partie se concentre, elle, sur les espaces internes aux grandes entreprises établies.

6« Un espace de coworking n’est ni un tiers-lieu, ni un fab lab, ni un incubateur », explique Julie Fabbri dans un article où elle définit ce que sont et ne sont pas les espaces de coworking, en regard notamment d’autres types d’ECI. Elle distingue quatre types d’espaces de coworking et trois formes dérivées, soulignant ainsi la diversité empirique que recouvre le phénomène.

7Ingrid Fasshauer et Cathy Veil analysent ensuite le cas des espaces de coworking ruraux. Elles retracent le développement d’un espace situé dans la Brie, qui parvient à faire émerger un nouveau type d’entrepreneur « alter ». Ce dernier vise à transformer la société en commençant par le territoire où il vit et travaille.

8Alexandra Le Chaffotec ouvre la partie consacrée aux espaces spécialisés sur le cas d’un living lab dédié à l’innovation en santé. Elle constate que les unités d’espace et de temps propres à ce type d’espace permettent de stimuler et d’améliorer le processus d’innovation en replaçant le patient au centre du processus d’innovation. L’ECI favorise ici à la fois la coopération des acteurs et la coordination de leurs actions.

9L’analyse du projet Matrice, un incubateur original destiné à expérimenter l’entrepreneuriat avec des étudiants issus de formations très variées, complète cette partie. À travers les histoires personnelles de François-Xavier Petit et Tiphaine Liu, Caroline Verzat, qui a recueilli leurs propos, retrace la vision du projet éducatif des deux entrepreneurs et leurs réponses originales aux enjeux de l’éducation par et pour l’entrepreneuriat.

10La dernière partie du dossier s’ouvre sur une note de lecture rédigée par Mathilde Tenneroni à propos de l’ouvrage récent « Innover ou disparaître » d’Olivier Laborde, qui analyse les conditions de mise en œuvre et les finalités des ECI au sein d’entreprises établies.

11Les promesses et défis que posent la création et le développement d’un réseau d’espaces d’innovation au sein d’un grand groupe industriel décentralisé sont également abordés dans l’interview de Patrick Sega et Julie Arouna Hardouin, respectivement Valeo Innovation Scientific Development Director et Valeo Car Lab Manager au sein du grand équipementier automobile.

12Valérie Mérindol et David Versailles présentent ensuite une étude réalisée dans une dizaine de laboratoires d’innovation ouverte au sein de grandes entreprises françaises. L’article révèle que ces espaces peuvent constituer des vecteurs de diffusion de valeurs et de pratiques entrepreneuriales en fonction de leur légitimité dans la durée et des modalités de participation des salariés.

13Amadou Lô et Karine Sacépé concluent ce numéro avec une série de recommandations à destination des managers d’espaces d’innovation corporate, sous la forme d’une narration prospective.

14Nous vous souhaitons une bonne immersion dans le monde des espaces collaboratifs d’innovation. N’hésitez pas à aller à leur rencontre en vous rendant sur place pour mieux comprendre et ressentir le potentiel entrepreneurial et d’innovation de ces espaces.