
L’auteur
1La croissance sur le long terme des entreprises passe par l’innovation. C’est sur ce postulat schumpétérien qu’Olivier Laborde bâtit sa réflexion dans son livre Innover ou disparaître. Le Lab pour remettre l’innovation au cœur de l’entreprise. Cet ouvrage est le fruit de l’expérience personnelle de l’auteur qui a piloté le Lab Cash management de Natixis pendant cinq ans, avant de devenir Directeur de l’innovation et de la transformation digitale. Il s’agit d’un témoignage sur les démarches d’innovation des grandes entreprises et un partage des convictions de l’auteur sur la manière de mettre en place un espace d’innovation ou « Lab », et plus largement sur quelques bonnes pratiques d’innovation en grande entreprise.
2Pour commencer, Olivier Laborde rappelle pourquoi les grandes entreprises doivent changer leur approche et innover si elles veulent survivre. Dans un contexte d’épuisement des ressources, elles doivent « faire plus avec moins » et s’adapter à un environnement contraint durablement. Or, l’industrialisation de l’économie au XXe siècle, s’est accompagnée de l’adoption de méthodes de gestion mettant en place des processus organisés pour l’ensemble des fonctions de l’entreprise et des réglementations et contrôles renforcés pour limiter les risques et maximiser les profits. Par là même, l’entreprise en grandissant perd son agilité et sa capacité à innover. Cette optimisation toujours plus poussée pour maximiser les résultats financiers induit de surcroît un management directif et autoritaire, peu favorable à la prise d’initiatives des salariés de l’entreprise. Dans un monde où les technologies et les usages évoluent à un rythme effréné, la grande entreprise se doit, pour survivre, d’innover vite et à faible coût. Pour cela, l’auteur l’invite à s’inspirer des start-ups.
3Il présente différentes voies pour innover en grande entreprise dans la lignée du paradigme de l’open innovation instauré par H. Chesbrough (2003). Les grandes entreprises doivent inclure l’ensemble de l’écosystème de l’innovation dans leur stratégie et ne pas se limiter à leurs frontières. Création d’un fonds d’investissement « corporate », dynamiques de co-développement avec des clients ou tierces parties comme des start-ups, partenariats avec des incubateurs, accélérateurs, centres de R&D ou des écoles, création d’un lab d’innovation, ou encore intrapreneuriat : Olivier Laborde décrit clairement l’ensemble des outils à la disposition de l’entreprise.
4Il s’attarde plus particulièrement sur le levier qu’est le Lab qu’il connait particulièrement bien. Le Lab est ainsi défini comme « une structure aux méthodes entrepreneuriales, logée dans l’organisation même d’une grande entreprise » et dont la « finalité est de permettre aux idées et projets innovants de se développer malgré le manque de sponsorship des business units existantes » (p. 38). Il établit une typologie des finalités d’une telle structure :
- agilité (sortir du carcan de la grande entreprise pour innover plus facilement) ;
- prospective (réfléchir à la stratégie de l’entreprise et à l’évolution de son métier à horizon dix ans) ;
- innovation ouverte (stimuler les collaborations avec divers partenaires extérieurs) ;
- facilitateur (incuber les projets internes pour faciliter leur émergence),
- communication (promouvoir une image innovante de l’entreprise, comme une vitrine vis-à-vis de l’extérieur comme des collaborateurs internes) ;
- ou encore espace communautaire inspirant type Corporate Garage (« à finalité de faire ») ;
5Dans tous les cas, l’ouvrage souligne l’importance de protéger ce type de structures que l’organisation aura tôt fait d’écraser naturellement. En effet, le Lab sera amené à développer des prototypes qu’il faudra ensuite transférer aux directions opérationnelles pour en assurer le déploiement à grande échelle, ce que ces dernières peuvent rechigner à faire, du fait du syndrome « Not invented here » d’après l’auteur. Le Lab peut ainsi être perçu par les autres directions de l’entreprise comme un agent perturbateur qu’on aura tôt fait de montrer du doigt comme un centre de coûts, une fonction support à l’utilité douteuse et qui de surcroît tend à rajouter une charge de travail aux équipes opérationnelles. Pour pallier ce problème, l’auteur recommande d’inclure autant que possible des collaborateurs d’autres divisions dans la création et la gestion du Lab.
6Fort de son expérience sur le terrain, Olivier Laborde présente ensuite sa propre méthode pour créer un cadre favorable à l’innovation en grande entreprise : la méthode LISH (Lab Idéation Start-up Humain). Celle-ci doit être comprise comme une approche de la problématique de l’innovation en entreprise (p. 66), plus que comme une recette à suivre pas à pas. Elle repose sur quatre piliers :
7− Mise en place d’une structure autonome dédiée à l’innovation, le Lab, qui « définit un cadre pour expérimenter et oser prendre des risques à moindres coûts » (p. 114). L’enjeu est double : à la fois protéger et accompagner des projets internes d’innovation, et faire évoluer la culture d’innovation de l’entreprise.
8− Organisation de séances d’idéation pour trouver des idées et impliquer les collaborateurs, mais aussi les partenaires externes (start-ups, écoles, incubateurs…) et les clients. Dans cette partie, l’auteur propose une myriade de conseils pratiques pour mettre en place efficacement un tel dispositif de management des idées, comme l’organisation d’un concours d’idées interne ou bien de « Meetups innovation ».
9− Adoption de méthodes très prisées des start-ups : design to cost ou innovation frugale, design thinking, méthodes agiles, lean startup, financement de projets par tours de table (appliquer en grande entreprise le processus de levée de fonds en plusieurs fois en fonction des étapes clés d’un projet), qui sont chacune présentées brièvement et adaptées au contexte de la grande entreprise.
10− Remettre l’humain au cœur de la démarche, via une bonne communication interne sur les projets d’innovation, un système de reconnaissance pour celui qui aura pris des risques, la mise en valeur de résultats concrets et mesurés avec des indicateurs de succès définis en amont (ex : maximisation des revenus, délais de développement, image, baisse de coûts) et un environnement favorisant une motivation supérieure.
11À la suite, la méthode LISH est illustrée par la description de trois exemples de Labs et de quelques projets portés par ceux-ci : le Lab Cash management de Natixis créé en 2009, l’i-Lab d’Air Liquide (2013) et le BIG de Pernod-Ricard (2012). Néanmoins, les descriptions de ces cellules d’innovation sont par trop succinctes pour en faire de réelles études de cas.
12L’ouvrage se poursuit sur une partie pratique dans laquelle l’auteur donne cinq conseils pour promouvoir en interne la création d’un Lab : (1) mettre en valeur la nécessité de devenir une organisation ambidextre [1] ; (2) identifier les principales parties prenantes ; (3) les évangéliser ; (4) rattacher le Lab à la bonne direction et bien mesurer sa proximité avec le business en fonction de ses objectifs ; (5) enfin, expérimenter plutôt que planifier.
13L’auteur termine par une série de conseils pragmatiques pour assurer le bon fonctionnement et la pérennité du Lab. On retiendra par exemple qu’il est crucial :
- d’avoir un soutien fort de la part d’un manager haut placé (dans l’idéal, le directeur général),
- de sanctuariser un budget innovation dédié et négocié sur plusieurs années,
- de bien définir en amont ce qu’est l’innovation pour l’entreprise, quels sont les objectifs du Lab et ses indicateurs de réussite,
- de se préparer aux difficultés que l’on rencontrera lors du passage de l’expérimentation d’un projet au sein du Lab, à son industrialisation et donc son transfert aux métiers.
14Si la lecture de cet ouvrage laissera peut-être l’expert ou le chercheur en innovation sur sa faim, le manager opérationnel en entreprise quant à lui appréciera son efficacité et le côté pratique de l’auteur dont les conseils judicieux (notamment dans les deux derniers chapitres) laissent transparaître sa longue expérience du terrain en entreprise. À l’arrivée, le livre d’Olivier Laborde nous offre une synthèse efficace, truffée de bons conseils, pour qu’un Lab puisse accompagner la transformation de l’entreprise, et nous rappelle très justement que la clé de cette transformation réside dans l’humain et la culture d’entreprise.
Notes
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[1]
En référence aux travaux de Charles A. O’Reilly II et Michael L. Truman.