1L’esprit d’entreprise et d’entreprendre ont particulièrement le vent en poupe. Nouveau statut d’étudiant-entrepreneur, programme Pépites, nouvelles formes d’accompagnement et de formation grâce aux réseaux sociaux, aux espaces collaboratifs et aux Moocs, prix, articles de presse et ouvrages se multiplient pour diffuser l’envie chez les jeunes du primaire au supérieur, former et accompagner tous les porteurs de projet potentiels de l’université à la retraite. La dernière enquête (février 2016) du Global Entrepreneurship Monitor [1] dans 60 pays montre que 66 % des adultes considèrent que l’entrepreneuriat est un bon choix de carrière, et plus de la moitié estiment en avoir les capacités. En France, plusieurs sondages rendus publics début 2016 montrent que l’envie de créer ou reprendre une entreprise atteint son plus haut niveau depuis les années 2000. Un tiers des français se dit aujourd’hui concerné [2].
2Les chercheurs ne sont pas en reste, un domaine complet de recherche en émergence à partir des années 1990 a désormais construit sa légitimité. Plusieurs numéros spéciaux ont vu le jour tout dernièrement ou sont en cours de préparation au sein de revues dédiées à l’entrepreneuriat [3]. Un fort intérêt pour l’accompagnement et la formation à l’entrepreneuriat est également présent en sociologie [4] ainsi que dans les sciences de l’éducation [5]. La revue Entreprendre & Innover a contribué à ces débats depuis l’origine avec le numéro 2 (mai 2009) « Enjeux et illusions de l’accompagnement », puis le numéro 11-12 (décembre 2011) « Éduquer à l’entrepreneuriat : défis et pratiques d’aujourd’hui ». Plus récemment, le numéro 21-22 (juillet 2014) « Accompagner les entrepreneurs : cohérence, sens, réflexivité » est revenu sur la question.
3Malgré cet engouement, il n’en reste pas moins que les finalités et objectifs éducatifs restent toujours difficiles à définir. Car il n’existe pas aujourd’hui de consensus sur le phénomène entrepreneurial lui-même et encore moins sur les compétences, capacités, attitudes et valeurs à développer chez les individus et les équipes volontaires. L’article de Loué et Baronet publié dans le numéro 9-10 présente une enquête fort utile sur les compétences entrepreneuriales. L’une des zones les plus obscures concerne la définition, l’apprentissage et l’enseignement des méta-compétences liées à l’esprit d’entreprendre. L’article publié dans le numéro 11-12 « Esprit d’entreprendre, es-tu là, mais de quoi parle-t-on ? » n’a pas perdu une ride. De même nous savons encore peu de choses sur les approches pédagogiques appropriées et les indicateurs et processus d’évaluation adaptés. Les meilleurs experts convergent sur le fait que nous ne pouvons pas expliquer pourquoi et comment nous devrions enseigner quoi à qui dans le domaine de l’entrepreneuriat.
4Face à cette opacité des pratiques, le témoignage de praticiens de l’éducation et de l’accompagnement permet de s’inspirer mutuellement et de progresser, car les processus d’accompagnement de formation sont fortement inter-reliés. Entraîner l’esprit d’entreprendre, sensibiliser aux carrières entrepreneuriales, former les compétences entrepreneuriales ou accompagner des projets de création / reprise / transformation d’entreprise se présente en réalité comme un continuum de processus complémentaires répondant à des besoins de développement personnel et professionnel tout au long de la vie, de l’école à la retraite. La sensibilisation et la formation sont le plus souvent accompagnées de projets, et l’accompagnement développe des compétences comme tout processus de formation. De plus, les problématiques rencontrées par les formateurs et par les accompagnateurs sont très proches : quels objectifs de performance à court ou long terme, peut/doit-on définir ? Et par qui ? Sur quels critères et par quelle démarche peut-on mesurer les effets des dispositifs justifiant l’investissement public ? Est-il raisonnable de penser que tous les profils peuvent développer des capacités entrepreneuriales et d’ériger la confrontation aux incertitudes et la responsabilisation comme une norme de comportement ? Faut-il plutôt encourager à réaliser des projets dont l’issue est difficilement prédictible ou mettre en garde contre les risques au plus tôt ? Quel partage des rôles apparaît le plus efficient et quel mode de régulation serait souhaitable entre les différents acteurs d’un même territoire ? Les trois articles publiés dans la revue Entreprendre & Innover « Accompagner le projet ou le créateur » (n° 2), « Du réparateur au facilitateur : changement de regard sur l’accompagnement » (n° 21-22), « Écosystème de l’accompagnement : une approche en termes de coopétition » (n° 23) offrent des réponses à plusieurs de ces questions.
Notes
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[1]
GEM Global Entrepreneurship Monitor ». 2016. GEM Global Entrepreneurship Monitor. Consulté le février 26. http://gemconsortium.org.
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[2]
Sondage opinion way «la reconversion professionnelle, l’entrepreneuriat et le travail indépendant» (janvier 2016) et enquête de l’APCE/AFE sur l’indice entrepreneurial français, février 2016
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[3]
Revue de l’Entrepreneuriat, numéro 2, volume 13, 2014, International Small Business Journal, 2016, Entrepreneurship & Regional Development, 2017,
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[4]
voir le numéro spécial en cours de la revue Agora Débats Jeunesse (à paraitre en 2017), l’ouvrage de la sociologue L. Tanguy, Enseigner l’esprit d’entreprise à l’école, Paris, La Dispute, 2016, le «premier dictionnaire sociologique de l’entrepreneuriat», édité par P.M. Chauvin, M. Grossetti, et P.P. Zalio, Presses de Sciences Po, 2014.
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[5]
voir l’article de Verzat Caroline et Toutain. 2016. « Former et accompagner les entrepreneurs potentiels, diktat ou défi ? » Savoirs 39: 11-63.