En bref
- Les entreprises sociales revendiquent leur autonomie tant vis-à-vis des pouvoirs publics que vis-à-vis des valeurs et normes de fonctionnement de l’économie marchande.
- À côté de l’économie sociale « historique » constituée essentiellement de grandes entreprises, on a vu plus récemment se développer une « nouvelle » économie sociale, fortement légitimée dans l’opinion, opérant dans d’autres champs et expérimentant de nouvelles formes statutaires que la coopérative, l’association ou la mutuelle.
- L’identité des entreprises sociales est aujourd’hui menacée par un double risque de dilution : soit elles s’alignent progressivement sur les entreprises privées à but lucratif, soit elles s’installent dans un sous-secteur public [1].
1En France, tout au long du XXe siècle, s’est consolidée une économie sociale historique (ESH) composée de coopératives, d’associations et de mutuelles de grande taille. Au cours des vingt dernières années, elle s’est étendue à de nouveaux secteurs, se présentant comme une « nouvelle » économie sociale (NES) par la régénération des modes statutaires et d’organisation dans des associations et coopératives de taille plus réduite.
2Ces deux branches de l’économie sociale et solidaire (ESS) ont une visée commune : l’émancipation de la personne et le développement humain. Toutes deux partagent les valeurs de liberté, de responsabilité morale, d’égalité entre membres, de démocratie et de solidarité. Mais la NES s’est progressivement constituée dans l’optique de renouveler le projet initial. Opérant, d’une part, dans le champ de l’intervention sociale et/ou culturelle, de nouveaux types d’association ont bénéficié de financements publics octroyés en contrepartie de services d’intérêt général exprimés dans l’espace local (insertion, services aux personnes, création d’activités). D’autre part, les expérimentations alternatives ont donné naissance à de nouveaux statuts coopératifs (société coopérative d’intérêt collectif ou coopérative d’activité et d’emploi) et à des activités variées (finances solidaires, commerce équitable, circuits courts de distribution).
3La catégorie d’entreprise sociale s’est imposée peu à peu dans ce nouveau contexte pour qualifier des pratiques et des formes entrepreneuriales ne répondant pas aux seuls critères de production et d’échange caractéristiques de l’économie marchande ou de l’économie publique. Dans la mesure où elles ont pour objectif conjoint de fournir des biens et services au bénéfice d’une communauté et de limiter la distribution de leur profit, les entreprises sociales privilégient leur finalité sociale ou sociétale [2]. En France, les entreprises sociales ont très largement adopté un statut associatif. Elles se caractérisent, en fonction de leur taille, par un modèle de gouvernance interne qui rassemble quatre parties prenantes : les adhérents/ associés, les adhérents/ administrateurs, les dirigeants salariés et les employés salariés. C’est par l’intermédiaire de ce « quadrilatère associatif » que les valeurs et les objectifs respectifs de l’association et de l’entreprise peuvent se révéler compatibles et conciliables.
4Les entreprises sociales sont aujourd’hui exposées à un double risque de dilution de leur identité : elles s’alignent progressivement sur les entreprises privées à but lucratif ou s’installent dans un sous-secteur public [3]. L’instrumentalisation de l’Etat et des collectivités territoriales relève du paradoxe : d’un côté, les maintenir sous tutelle publique et sous dépendance relative des subventions ; de l’autre, les exposer aux mécanismes concurrentiels et les convertir aux normes managériales.
Comment catégoriser les entreprises sociales françaises ?
5Si l’on adopte l’approche nord-américaine, les social entreprises se situent dans un troisième secteur à mi-chemin entre l’économie purement marchande et l’économie publique. Ce sont des organisations qui ne sont pas sans profit. Toutefois, elles ne visent pas à le redistribuer aux actionnaires mais à le réinvestir dans l’organisation ou le mettre au service d’une cause externe (non-profit organizations : public charities, private foundations, …) [4]. Puisqu’il s’agit de compléter les dons privés émanant de Fondations et de limiter le plus possible la dépendance vis-à-vis de financements publics, la stratégie des social entreprises est orientée vers la croissance du chiffre d’affaires (approche dite commercial non-profit) et l’adoption d’un statut commercial à finalité sociale. Leur dynamisme économique et leurs capacités d’innovation sociale reposent sur les compétences des entrepreneurs, dont le « leadership visionnaire » détermine les modes de gestion et de prise de décision.
6Les entreprises sociales européennes se placent au carrefour du marché, des politiques publiques et de la société civile. Leurs différentes activités relèvent de missions sociales (sous-développement, pauvreté, handicap, chômage, exclusion, etc.) ou s’effectuent dans des secteurs à vocation sociale (santé, services sociaux, éducation, etc.) [5]. Les recherches poursuivies dans le réseau européen de recherche EMES ont donné lieu à une définition communément admise [6] : « les entreprises sociales sont des organisations privées n’ayant pas pour finalité le profit et fournissant des biens et services ayant pour but explicite de bénéficier à la communauté ». Elles se caractérisent par une propriété collective du capital et une gouvernance à parties prenantes multiples, croisent une logique entrepreneuriale autonome (relative indépendance économique, niveau significatif de souveraineté stratégique et de risque) et une logique d’implication sociale (initiative citoyenne et nature participative des activités) [7].
7Les entreprises sociales françaises, quant à elles, sont des entités de personnes et non de capitaux, situées entre le secteur capitaliste et le secteur public. Elles sont traversées à la fois par des logiques marchandes et non marchandes. Leur existence ne peut donc se justifier, comme c’est le cas pour les approches du troisième secteur (third sector), à l’aide d’une grille de lecture mettant en lumière les déficiences du Marché (Market failures) et de l’Etat (State failures) [8].
8Les entreprises sociales françaises hybrident ainsi des ressources marchandes, non marchandes et non monétaires. Elles ont recours à l’échange marchand (marchés publics et privés) pour élargir leurs champs d’action, toucher de nouveaux usagers-clients, et maintenir ainsi leur viabilité tout en assurant leur croissance. En complément, les subventions publiques aux entreprises (d’exploitation et d’investissement) et les revenus de transfert public versés aux usagers-clients soutiennent respectivement l’offre et la demande. Plus spécifiquement dans le cas des associations, le bénévolat volontaire induit des rapports de réciprocité et devient dès lors une source de créativité, à condition de ne pas être considéré comme un simple affichage ou un palliatif à une pénurie de ressources humaines.
9Sous un angle plus sociopolitique, les entreprises sociales françaises tendent à constituer une économie d’entreprise fondée sur la solidarité démocratique. À la différence de la solidarité philanthropique forgée sur une conception morale et moralisante de l’aide sociale et de la bienfaisance, la solidarité démocratique s’appuie sur des liens sociaux volontaires et le développement de l’entraide mutuelle. En se démarquant du profil type des entreprises sociales nord-américaines, lesquelles reproduisent les inégalités de position sociale et favorisent des rapports de dépendance du fait de l’unilatéralité des dons, le dessein des entreprises sociales françaises relève plutôt d’une volonté institutionnelle de créer des espaces communs de délibération. Toutefois l’effectivité des formes de proximité et d’expression démocratique est conditionnée par un certain nombre des facteurs relationnels institués [9] : relations ouvertes et critiques de médiation sociale, relations d’échanges symboliques où peuvent être traitées les questions portant sur l’intérêt collectif ou l’intérêt général, relations participatives permettant de discuter et d’élaborer des décisions ou de contester des choix stratégiques.
10Ayant pour la plupart un statut associatif, les entreprises sociales françaises ont la particularité de dépendre de l’action publique (cadre réglementaire, financements, objectifs délégués) et de devoir se confronter à une compétition dans des arènes concurrentielles. Leur mise en tension doit nous interpeller sur les limites de leur autonomie stratégique, que nous allons aborder à travers la notion d’isomorphisme.
Une autonomie stratégique relative ?
11Nombreux sont les auteurs qui font état d’un phénomène d’isomorphisme dans le champ de l’économie sociale et solidaire. L’isomorphisme compétitif s’explique ainsi par des exigences techniques et des nécessités d’efficience économique imposées par des mécanismes concurrentiels, qui conduisent des firmes à adopter des modèles de rationalisation managériale et à converger vers des formes d’organisation capitaliste [10]. C’est manifestement le cas des coopératives bancaires françaises qui se sont fortement concentrées en procédant à des stratégies de croissance interne et externe, jusqu’à créer des sociétés holding (dont certaines cotées) et à démultiplier les filiales commerciales. Les objectifs recherchés d’économie de ressources humaines et d’effets de taille brident le fonctionnement coopératif et vide de son sens le sociétariat [11].
12Plus généralement, trois processus d’isomorphisme ont été identifiés [12] :
- un isomorphisme « mimétique » qui constitue une réponse adaptée aux entreprises évoluant dans des contextes de forte incertitude et qui encourage les comportements d’imitation et d’identification aux modèles d’organisation et marchands réputés les plus efficaces ;
- un isomorphisme « normatif » qui découle des formations et des apprentissages, lesquels fournissent une base cognitive partagée (approches similaires des problèmes et des procédures à engager), mais aussi du rôle central joué par les corporations de métier dans la diffusion de nouveaux modes de gestion et de direction ;
- un isomorphisme « coercitif » résultant de pressions, explicites ou informelles, exercées par des corporations de métier influentes et/ou par des acteurs publics, se traduisant par des normes professionnelles ou de régulation publique.
Mimétisme par rapport au secteur marchand
13Ces trois formes expressives de l’isomorphisme institutionnel questionnent l’autonomie stratégique dont se prévalent les entreprises associatives [13].
14L’isomorphisme peut tout d’abord être qualifié de « mimétique ». Certaines entreprises associatives adoptent des modèles de production et de gestion éprouvés au sein des entreprises à but lucratif du même secteur d’activité. Ce phénomène touche de longue date le secteur médico-social et tout particulièrement la branche des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). L’aiguillon de la concurrence et l’influence de sociétés de capitaux (tels que les groupes Orpea ou Medica) ont conduit les associations gestionnaires à infléchir leur finalité sociale par l’intégration de critères d’efficience technique et de rentabilité économique, à repenser les fonctions d’encadrement à travers une transformation des logiques d’intervention de l’action sociale et du travail social par l’incorporation de compétences managériales.
Professionnalisation et isomorphisme normatif
15Sous un autre éclairage, l’isomorphisme peut être qualifié de « normatif » car les entreprises associatives se sont professionnalisées. Elles édictent des normes et transmettent, de facto, des valeurs. La professionnalisation a pour conséquence de faire émerger de nouveaux métiers, de nouvelles méthodes d’organisation et de constituer des identités professionnelles intra-sectorielles.
16Ainsi, dans le secteur de l’insertion par l’activité économique (IAE), l’accompagnement individualisé des personnes à réinsérer s’est construit sur la stabilisation d’un binôme professionnel, accompagnateur socioprofessionnel (travailleur social dans une organisation productive) et encadrant technique (technicien de production dans une entreprise sociale), qui doit répondre aux problématiques sociales de salariés en contrat aidé tout en traitant leurs inaptitudes techniques et assurer le programme de production de l’entreprise d’accueil. L’accompagnement repose sur des étapes et des procédures établies au fil du temps et ayant donné naissance à des outils spécifiques (guides déontologiques et méthodologiques, fiches d’orientation et de suivi, grilles de recrutement et d’évaluation, …) [14]. Plus récemment, les démarches de certification de l’accompagnement (surtout dans les associations intermédiaires et les entreprises d’insertion) participent, sous couvert d’amélioration de la qualité de l’insertion des salariés en parcours, à la standardisation des pratiques d’accompagnement et de la production [15].
17À un autre niveau, les entreprises associatives de l’IAE se sont affiliées à différentes fédérations professionnelles. À la suite de la création du comité national de liaison des régies de quartier (CNLRQ) à statut associatif et du comité national des entreprises d’insertion (CNEI) en 1988, les associations porteuses d’ateliers et chantiers d’insertion (ACI) se fédèrent dans le réseau national chantier-école (RNCE) en 1995 et les associations intermédiaires (AI) dans l’union nationale des associations intermédiaires (UNAI) en 2001. Il existe parallèlement des réseaux transversaux de services (centres de ressources, observatoires, relais auprès des décideurs publics, …) et de formation comme le Coorace créé en 1985 et regroupant aussi des organismes agréés services à la personne (OASP), ou encore à des réseaux très spécialisés comme le réseau Cocagne, créé en 1999, qui rassemblent les ACI spécialisés dans l’exploitation maraîchère biologique.
Tutelle de l’État et isomorphisme coercitif
18Dans de nombreux cas, la professionnalisation des entreprises associatives et l’introduction de modèles de prestation ont eu pour effet de restreindre fortement l’apport en ressources non monétaires que constitue le bénévolat, et de ne plus forcément favoriser l’implication des adhérents considérés à la fois comme membres-associés et usagers-clients (principe de double qualité).
19Le bénévolat se définit comme une contribution de travail sans contrepartie monétaire ni contrat de travail. Dans les entreprises associatives prestataires de biens et services, il se réduit le plus souvent à l’activité volontaire des administrateurs en charge des orientations et du pilotage stratégique. Il peut s’agir que d’un bénévolat « de pure forme », en raison le plus souvent du manque de maîtrise stratégiques des responsables et de leurs faibles compétences organisationnelles nécessaires à une interlocution efficace avec les dirigeants salariés.
20Les entreprises associatives ont tendance, d’autre part, à s’adresser indifféremment à leurs membres ou à des tiers non-adhérents sans aucune préférence de traitement. Elles brouillent la frontière entre bien privé d’intérêt collectif et bien commun d’intérêt général et effacent les liens d’appartenance et de participation qui constituent le socle de leur projet démocratique [16].
21Car « l’absence de participation active est susceptible de générer une gouvernance oligarchique » et « une forme de collusion entre conseil d’administration et dirigeants salariés » peut engendrer un déséquilibre des pouvoirs [17]. Ces deux phénomènes révèlent non seulement des inégalités d’accès aux ressources décisionnelles mais aussi une non-prise en compte de la pluralité des opinions et des positions des membres.
22Enfin, l’isomorphisme peut être qualifié de « coercitif » lorsque l’État régulateur assume une fonction de normalisation (réglementation générale, normes juridiques et fiscales propres à chaque secteur d’activité) et imprime sa marque sur les modèles d’action des entreprises sociales par le biais de contrats administratifs. Deux logiques de régulation publique affectent tout particulièrement les entreprises associatives [18] : une régulation tutélaire correspondant à « l’imposition de normes par les pouvoirs publics » conditionnant l’accès à des financements dédiés aux services d’intérêt général ; une régulation concurrentielle instituant « la compétition entre prestataires de nature différente » (public, privé non lucratif et lucratif).
23Ces deux logiques de régulation publique influencent fondamentalement la stratégie des entreprises sociales sous statut associatif, qui doivent en conséquence se plier à des rapports quasi-hiérarchiques et quasi-marchands.
Les deux logiques dominantes de régulation publique
24La logique de régulation « tutélaire » se caractérise par des mécanismes coercitifs d’intervention publique. L’État et les Collectivités territoriales exercent un pouvoir contraignant et relativement discrétionnaire. Les critères d’attribution de subventions sur constitution de dossiers ne reposent pas sur une véritable concertation. Les entreprises associatives sont soumises à un strict encadrement administratif. L’organisation de leurs activités, leurs produits, leurs résultats, dépendent de prescriptions juridiques et économiques. Les « donneurs d’ordre » publics s’assurent ainsi des capacités et des compétences des entreprises dans leur secteur d’appartenance pour les contrôler régulièrement.
25La régulation tutélaire instaure des rapports de quasi-hiérarchie [19] ou de quasi-administration [20], qui se traduisent par des relations de subordination entre différentes instances de l’État et les entreprises associatives.
26Les entreprises associatives fournissent des prestations auprès d’usagers qui n’en payent pas intégralement le prix. Les agents publics choisissent des agents privés par la voie d’une délégation de service. Les agents privés peuvent se trouver en situation de dépendance, en raison du poids des financements publics dans les budgets de fonctionnement (ressources monétaires affectées et ratio d’encadrement) et des directives et injonctions associées aux financements (critères d’orientation des usagers, répartition des places, durée de leur prise en charge, etc.). Dans ce cadre, les entreprises sociales ont de faibles marges de négociation financière et leur budget peut être soumis à des autorisations de dépenses approuvées par la tutelle. Elles doivent, d’autre part, assumer des délais assez longs de versement des subventions, qui peuvent être assujetties à des reprises d’excédents en fin d’exercice. Par concertation avec les autorités administratives compétentes, les moyens de fonctionnement attribués peuvent toutefois être ajustés en tenant compte de la conjoncture, des contextes locaux et de difficultés de gestion passagères.
27La logique de régulation concurrentielle se caractérise, quant à elle, par des mécanismes incitatifs privilégiant la valeur économique et l’efficience technique des prestataires de service. Il convient de distinguer la régulation concurrentielle stricto sensu, concurrence commerciale directe entre entreprises associatives et entreprises à but lucratif, de la régulation quasi-concurrentielle instituée par les marchés publics administrés. Selon cette dernière modalité concurrentielle, les financements publics découlent de formes contractuelles incitatives (subventions ciblées, contrats d’objectifs, appels d’offre) qui mettent l’accent sur l’évaluation des prestations des entreprises. Promues récemment par l’action publique, les clauses sociales encouragent les entreprises associatives à avoir recours aux marchés publics [21].
28La régulation quasi-concurrentielle instaure des rapports de quasi-marché. Les acteurs publics assume toujours leur fonction de financement des services d’intérêt général mais confient leur production à une variété de fournisseurs indépendants de statut public ou privé, lucratifs ou non, mis en concurrence [22].
29Les usagers-clients ont accès aux services grâce à l’octroi d’allocations monétaires et/ou de titres de paiement (« voucher ») ou à la gratuité/quasi-gratuité des services rendus. Dans le second cas, une « tierce partie » joue un rôle d’interface entre les usagers-clients et les entreprises prestataires [23]. Sur la base de contrats incitatifs, les entreprises associatives sont mises en concurrence avec des entreprises à but lucratif et fournissent, si elles sont retenues, pour le compte des acteurs publics compétents des services d’intérêt général (comme des services d’insertion ou d’hébergement) à des usagers-clients. La force des quasi-marchés est d’accroitre l’efficacité et les capacités de réponse des entreprises sociales aux besoins sociaux tout en laissant une liberté de choix aux usagers-clients [24]. Toutefois, les quasi-marchés appliqués à l’État social intensifient la fragmentation des politiques sociales et la segmentation des usagers-clients, surtout s’ils s’accompagnent de la mise en œuvre de procédures issues du new public management et de stratégies privées purement commerciales de capture de marchés [25].
Une co-construction des politiques publiques
30Au cours de la dernière période, l’État et les collectivités territoriales ont appliqué un modèle de régulation publique hybride, tutélaire et concurrentiel, instaurant simultanément des rapports de quasi-hiérarchie et de quasi-marché. Les transactions administrées marchandes et non marchandes obligent ainsi les entreprises associatives à rechercher des ressources marchandes publiques et privées et à accepter des dispositifs d’évaluation de leurs performances économiques et sociales.
31Pour autant, l’attribution des financements publics peut induire des négociations entre acteurs publics et entreprise associatives qui débouchent sur une logique de régulation conventionnée. La coproduction de biens et services s’établit alors sur des mécanismes de réciprocité tant au niveau de la co-construction des politiques sociales qu’au niveau de la mise en œuvre de ces politiques sur les territoires [26].
32Lorsque les acteurs publics cherchent à co-construire les politiques sociales, Ils peuvent s’appuyer sur des fédérations professionnelles ou sur des groupements d’entreprises associatives afin d’élaborer les lignes directrices de leurs politiques. Ils les consultent préalablement, ils intègrent leurs positions stratégiques et s’enrichissent aussi de leurs connaissances techniques.
33Lors de la mise en œuvre des politiques sociales, les critères d’attribution des financements publics et d’évaluation des résultats peuvent être discutés et les objectifs négociés au sein d’espaces locaux d’intermédiations entre acteurs publics et entreprises sociales, débouchant sur des compromis acceptables par les différentes parties prenantes. La création et la stabilisation d’interfaces de proximité favorisent donc les médiations sociotechniques, permettant dans le même temps une plus grande efficacité de l’action publique et la viabilité de l’entrepreneuriat social sur les territoires.
Notes
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[*]
Cet article a été publié initialement dans Entreprendre & Innover N° 17.
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[1]
Laville (Jean.-Louis), 2010, Politique de l’association, Paris, Seuil, p. 153-183.
-
[2]
Defourny (Jacques) et Nyssens (Marthe), 2008, Social Enterprise in Europe: Recent Trends and Developments, Social Enterprise Journal, vol. 4:3, p. 202-228.
-
[3]
Laville (Jean.-Louis), 2010, Politique de l’association, Paris, Seuil, p. 153-183.
-
[4]
DiMaggio (Paul J.), Anheier (Helmut. K.), 1990, The sociology of nonprofit organizations and sectors, Annual Review of Sociology, vol. 16, p. 137-159. Rose-Ackerman (Susan), 1996, Altruism, Nonprofits, and Economic Theory, Journal of Economic Literature, vol. XXXIV, june, p. 701-728.
-
[5]
Defourny (Jacques), 2009, Social enterprise, social entrepreneur and social entrepreneurship. What does « social » mean in those SE concepts ?, Janelle Kerlin (ed.), Social Enterprise : a Global Comparison, University Press of New England, p. 1-4.
-
[6]
Defourny (Jacques), Nyssens (Marthe), 2009, Conceptions of Social Enterprise and Social Entrepreneurship in Europe and the United States : Convergences and Divergences, Second EMES International Conference on Social Enterprise, University of Trento, Italy, July, p. 12.
-
[7]
Carlo Borzaga et Jacques Defourny présentent neufs indicateurs de repérage. Quatre indicateurs économiques : une activité continue de production de biens ou de services ; un degré élevé d’autonomie ; un niveau significatif de risque économique ; un niveau minimum d’emploi rémunéré. Cinq indicateurs sociaux : une initiative émanant d’un groupe de citoyens ; un pouvoir de décision non fondé sur la détention du capital ; une dynamique participative impliquant différentes parties concernées par l’activité ; une limitation de la distribution des bénéfices ; un objectif explicite de service à la communauté. Borzaga (Carlo), Defourny (Jacques), 2001, The emergence of the social enterprise, London, Routledge.
-
[8]
Ben-Ner (Avner), Van Hoomissen (Theresa), 1991, Nonprofit organizations in the mixed economy. A demand and supply analysis, Annals of Publics and Cooperative Economics, vol. 62, n° 4, p. 519-550.
-
[9]
Dacheux (Eric), 2003, Un nouveau regard sur l’espace public et la crise démocratique, Eric Dacheux et Jean-Louis Laville (dir.), Economie solidaire et démocratie, Hermès, n° 36, CNRS Editions, p. 195-204.
-
[10]
Bager (Torben), 1994, Isomorphic processes and the transformation of cooperatives, Annals of Public and Cooperative Economics, n° 1, vol. 65, p. 35-57.
-
[11]
Gianfaldoni (Patrick), Jardat (Rémi), Hiez (David), 2013, La spécificité démocratique des coopératives bancaires françaises, Revue des Sciences de Gestion, n° 258, février, pp. 19-27.
-
[12]
DiMaggio (Paul. J.), Powell (Walter W.), 1983, The iron Cage Revisited : Institutional Isomorphism and Collective Rationality in Organizational Fields, American Sociological Review, vol. 48, n° 2, p. 147-160.
-
[13]
Enjolras (Bernard), 1996, Associations et isomorphisme institutionnel, RECMA – Revue Internationale de l’Economie Sociale, n° 261, p. 68-76.
-
[14]
Gianfaldoni (Patrick), 2012, Une approche socioéconomique de l’accompagnement dans l’insertion par l’activité économique, Revue de droit sanitaire et social, n° 6, novembre-décembre, p. 1001-1009.
-
[15]
Exemple de la certification CEDRE de la Coordination des Organismes d’Aide aux Chômeurs par l’Emploi (Coorace).
-
[16]
Draperi (Jean-François), 2009, Au bénéfice de la crise ? Pour un projet d’économie sociale et solidaire, RECMA – Revue Internationale de l’Economie Sociale, n° 313, p. 19-35.
-
[17]
Enjolras (Bernard), 2009, Approche théorique de la gouvernance des organisations non lucratives, RECMA – Revue Internationale de l’Economie Sociale, n° 314, p. 63-83.
-
[18]
Laville (Jean-Louis), 2008, La gouvernance au-delà du déterminisme économique, Hoarau (Christian). et Laville (Jean-Louis) (dir.), La gouvernance des associations, Toulouse, Erès, p.9-25.
-
[19]
Powell (Walter W.), 1990, Neither market nor hierarchy : network forms of organization, Research in Organizational behavior, vol. 12, p. 295-336.
-
[20]
Gardin (Laurent), Rival (Madina) Torset (Christophe), 2008, La régulation tutélaire des associations médico-sociales, Hoarau (Christian) et Laville (Jean-Louis) (dir.), La gouvernance des associations, Toulouse, Erès, p. 131-151.
-
[21]
Alors que les incitations fiscales (imposition faible ou nulle des associations) ou sociales (allègement de cotisations sociales) participent d’une politique de structuration de l’offre et de solvabilisation des marchés.
-
[22]
Le Grand (Julian), 1991, Quasi-Markets and Social Policy, The Economic Journal, vol. 101, n° 408, p. 1256-1267.
-
[23]
Gardin (Laurent), Nyssens (Marthe), 2010, Les quasi-marchés dans l’aide à domicile: une mise en perspective européenne, Annals of Public and Cooperative Economics, vol. 81, n° 4, p. 508-572.
-
[24]
Bartlett (Will), Le Grand (Julian), 1993, The theory of quasi-markets, Le Grand (Julian), Bartlett (Will), (eds.), Quasi-markets and social policy, Basingstoke, UK, Macmillan Press, p. 13-34.
-
[25]
Flynn (Rob), 1997, Quasi-welfare, Associationalism, and the Social Division of Citizenship, Citizenship Studies, vol. 1, n° 3, p. 335-350.
-
[26]
Vaillancourt (Yves), 2009, Social economy in the co-construction of public policy, Annals of Public and Cooperative Economics, vol. 80, n° 2, juin, p. 275-313.