CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Les politiques censées développer l’entrepreneuriat reposent presque toujours sur des idées simples, qui sont souvent des idées fausses, explique en substance Philippe Albert dans le premier numéro de l’Expansion Entrepreneuriat, daté de janvier 2009. L’auteur fait allusion à l’idée très répandue selon laquelle les secteurs de haute technologie sont les principaux pourvoyeurs de croissance et d’emplois.

2Depuis la parution de cet article, les politiques en question se sont développées, mais le simplisme n’a pas reculé. La déconstruction des clichés, la prise de recul, le regard critique apportés par les travaux de recherche en sciences de gestion sont plus que jamais nécessaires. Si l’on veut accompagner efficacement les créateurs d’entreprise, il faut commencer par désapprendre les méthodes traditionnelles du marketing (études de marché, segmentation, positionnement) mises au point dans les grands groupes et enseignées dans nos écoles, écrit par exemple Gilles Marion dans le numéro 6 de la revue. Il faut aussi savoir compléter les approches purement techniciennes (financement, statuts, etc.) par la prise en compte des enjeux relationnels et émotionnels, comme le fait Sonia Boussaguet dans le numéro 14 à propos des cessions-reprises d’entreprises, qui sont avant tout des « histoires de vies ».

3Dès le numéro 4, la revue s’attaquait, sous la plume d’Alain Fayolle et d autres contributeurs, à ce qui est devenu depuis un véritable mythe : l’entrepreneuriat dit « social ». Dans son article « entrepreneurial et social à la fois », le co-fondateur de la revue Entreprendre & Innover rappelait que l’entrepreneuriat à finalité sociale ou sociétale remonte à l’époque précapitaliste et à l’émergence de l’idée mutualiste et coopérative, qui est au fondement même du secteur de l’Economie Sociale et Solidaire. L’entrepreneuriat social n’est donc pas un phénomène nouveau, même si ses formes se sont diversifiées. Le numéro 17 de la revue revenait en 2013 sur cette riche problématique, entre autres avec Patrick Gianfaldoni. Prenant acte de l’émergence, à côté de l’économie sociale « historique » (associations, mutuelles, coopératives) d’une « nouvelle économie sociale », l’auteur relève un certain nombre de paradoxes, qui à terme peuvent constituer autant de risques. Certaines de ces entreprises tendent à aligner leurs pratiques de gestion sur celles du secteur privé marchand. À l’autre bout du spectre, dans les activités liées à l’insertion ou aux services médico-sociaux, d’autres tendent à devenir de simples sous-traitantes des politiques publiques. Dans les deux cas leur identité, très éloignée du cadre de référence philanthropique du social business anglo-saxon, devient floue.

4Cette plasticité et complexité de l’entrepreneuriat, qui s’incarne également dans des pratiques singulières portées par des acteurs sociaux aux cultures d’appartenance variées, est analysée par Jacques-Henri Coste au prisme du paradigme envahissant de la diversité. La notion polysémique se veut subordonnée au principe d’égalité et de non-discrimination mais aussi au respect des différences culturelles considérées comme une source d’enrichissement futur et de maximisation de l’utilité collective. Au-delà de ses effets d’euphémisation des différences socio-économiques, un entrepreneuriat « issu de la diversité » peut ouvrir un espace de réflexivité et d’échange qui contribue au dynamisme de la société. Dès lors l’entrepreneuriat apparaît comme une philosophie de la diversité en action qui doit toutefois s’accompagner d’un dialogue apaisé entre le projet, l’entrepreneur et son contexte et s’ancrer résolument, pour se réaliser, dans un cadre socio-culturel partagé.

Jacques-Henri Coste
Dominique-Anne Michel
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 04/10/2016
https://doi.org/10.3917/entin.027.0010
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...