CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Les points forts

  • Peu nombreuses sont les méthodes de stratégie d’innovation qui travaillent dans la perspective d’un produit/service inconnu et d’un marché inconnu. Pourtant l’entrepreneur et son accompagnant sont fréquemment confrontés à cette situation.
  • L’effectuation correspond à une démarche pour l’entrepreneur qui doit agir dans l’incertain, en cheminant de moyens disponibles en effets atteignables. ISMA360 s’inscrit dans cette démarche et propose une méthode de type effectual.
  • Pour accompagner les entrepreneurs, il semblerait qu’une méthode qui systématise la manière de penser des entrepreneurs experts en situation d’incertitude soit utile pour permettre à un novice d’apprendre à penser comme un expert.

1Dominique Frugier : Pouvez-vous nous parler des origines de la méthode ?

2Dominique Vian. Mon expérience de chargé d’affaires au contact d’entrepreneurs de Sophia Antipolis, travaillant au sein d’un incubateur technologique [1] pendant plus de trois années, a été déterminante pour comprendre plusieurs difficultés rencontrées par les entrepreneurs. L’une d’elles consiste dans le fait que le couple produit-marché ne soit pas identifiable facilement, au point de départ du projet de création d’une entreprise high-tech. Plus encore, la nouvelle technologie dont l’entreprise est porteuse ne laisse pas entrevoir clairement le marché concerné par cette invention. Par la suite, ayant été amené à travailler avec des chargés d’affaires d’incubateurs en Europe, cette nouvelle expérience m’a permis de constater ce que décrit Saras Sarasvathy à propos d’un individu confronté à une situation d’incertitude : il n’est pas facile de connaître a priori le résultat final qui pourra être atteint. Ce serait pour cette raison que les entrepreneurs expérimentés privilégieraient la séquence moyens-effets que décrit la logique effectuale. De même, les entrepreneurs rencontrés, issus d’un univers technologique ou non, semblent souffrir d’une difficulté à séparer l’information pertinente de celle qui ne l’est pas, les plongeant ainsi dans la confusion. Face à une telle situation, l’accompagnement consiste alors à faire sens de l’information dont l’entrepreneur dispose et qu’il accumule chemin faisant. Il s’agit principalement de l’aider à trier cette information pour lui permettre de coordonner son action. C’est ce constat qui est à l’origine de la méthode ISMA360, dont le développement se poursuit depuis une dizaine d’années. Le déploiement de la méthode ISMA360 dans une cinquantaine d’incubateurs en Europe montre qu’une méthode construite selon les principes de la logique effectuale est utile. L’ouvrage, ISMA360, la boussole de l’entrepreneur innovateur édité chez De Boeck en août 2013, permet d’accéder au détail de la méthode.

3D.F. Il s’agit donc d’une méthode effectuale pour affronter des marchés qui n’existent pas encore ?

4D.V. Dans l’accompagnement de porteurs de projet ayant un profil scientifique ou technologue, ni le produit ou le service, ni le segment de marché ne sont clairement identifiés, sauf exception. Ceci se vérifie souvent en phase de démarrage de l’accompagnement et parfois pendant toute la durée de l’incubation. La question est alors de concevoir le marché pour l’invention, et de travailler très en amont. Les approches de la stratégie comme celles de « lean start-up » et de « business model generation » ne sont pas opérables, car il n’y a pas, au stade de l’invention, de connaissance suffisante des utilisations possibles de l’invention et de premières pistes de marchés. ISMA360 [2] permet de travailler l’amont en dépassant les approches usuelles de créativité ou de brainstorming qui ne permettent pas de capitaliser les explorations successives des applications potentielles de l’invention. Il existe aussi des méthodes comme la théorie C-K [3] qui vise à équiper le raisonnement d’une conception ou de Triz [4] qui permet de résoudre des problèmes à multiples contraintes. Mais ces méthodes n’envisagent pas le déploiement dans un marché [5].

5Les différentes situations évoquées précédemment peuvent être synthétisées dans le tableau 1.

Tableau 1

Une variété de situations et de méthodes selon l’existence ou non d’un but prédéfini

Tableau 1
Marché pour la nouveauté ? La développement de la nouveauté se fait en dehors de tout contexte de marché La concepteur travaille sur un objet, un produit ou un concept dont la nouveauté vise un marché qui Nouveauté n’est pas défini a priori est défini a priori Le concepteur travaille sur un objet, un produit ou un concept dont le résultat final est découvert a posteriori Forte incertitude Théorie C-K (pour concevoir) Forte incertitude ISMA360 (pour concevoir le marché de l’invention) Faible incertitude Lean Start-up (pour concevoir le produit minimum viable) le résultat final attendu est connu a priori Compliqué mais pas incertain Méthode Triz (pour résoudre des problèmes multicontraints) Compliqué mais pas incertain Business Model generation (pour concevoir le modèle économique)

Une variété de situations et de méthodes selon l’existence ou non d’un but prédéfini

6De plus, Sarasvathy a montré que l’interaction avec différentes parties prenantes potentielles permet de vérifier le champ des possibles. Au lieu d’appliquer une logique causale ou prédictive qui consiste à définir un marché précis, et ensuite de chercher les moyens pour l’atteindre, comme on le fait par les études de marché classiques, les entrepreneurs partent des moyens dont ils disposent. À partir de ces moyens, ils imaginent et choisissent des effets atteignables ou de nouveaux buts, comme une conséquence des moyens dont ils disposent. Ce processus est itératif et cumulatif au fur et à mesure de l’implication de nouvelles parties prenantes. ISMA360 structure et donne du sens aux informations recueillies dans le parcours de l’innovateur à la recherche d’opportunités pour valoriser son invention.

7ISMA360 séquence techniquement des variables de la stratégie. C’est aussi une méthode de type effectual au sens de Sarasvathy et de Vankataraman [6], en tant qu’un ensemble de règles qui vont permettre de concevoir un modèle économique de façon itérative par co-création avec les parties prenantes.

8D.F. Pouvez-vous nous fournir des exemples de cette systémique au service de l’effectuation ?

9Fabrice Léger. Prenons l’exemple de cette start up issue du CEA. Cet ingénieur de 40 ans avait envie de créer une boîte et est allé au CEA voir les pépites disponibles. Le projet peut être celui des applications photovoltaïques sur supports souples : cuir, textile… Il a eu au démarrage une vraie problématique de foisonnement car il pense à beaucoup d’applications : domotique, luxe, sport outdoor, sécurité. ISMA360 lui a permis de choisir les marchés appropriés grâce à une analyse de la faisabilité à partir des moyens disponibles comme des besoins insatisfaits, une solution qui peut être développée, le jeu des acteurs en place qui y ont intérêt. Comment cela fonctionne-t-il ? Le candidat créateur explore des utilisations potentielles et des marchés, rencontre des parties prenantes de son réseau de valeur. La méthode lui permet de remonter l’information au bon endroit dans le logiciel VIADESIGNER [7] qui intègre de manière systémique les problématiques d’acteurs de marché, d’usages, de fonctionnalités, de segmentation du marché et de positionnement de l’offre.

10La méthode permet de structurer des informations apparemment disparates, et le logiciel intelligent produit une vue d’ensemble et une représentation des liens entre acteurs à qui le produit apporte de la valeur. Le danger de l’innovateur est en effet de se lancer à fond dans une seule voie d’utilisation de son invention. Il faut éviter les angles morts et ISMA360 permet à chaque itération de reconsidérer le champ des possibles.

11La systémique de la méthode permet de relier les éléments qualifiés et de faire bouger l’ensemble, comme si on travaillait un polygone : on tire sur un côté, et compte tenu des contraintes, tout se réorganise. Tout ceci est bien entendu masqué pour l’utilisateur pour qu’il se concentre sur l’apport d’informations, puis sur la visualisation et l’analyse de son tableau de bord stratégique.

12D.V. : Un entrepreneur effectual ne disposant au départ que d’une invention va troquer la logique d’un « faire pour » contre un « faire avec ». À ce stade, les actions ne peuvent pas être menées en chaînage déductif arrière, par lequel on bâtit le business plan à partir du résultat connu (comme celui issu de l’étude de marché). Il est cependant possible de partir de ce que l’entrepreneur est, de ce qu’il sait et des personnes qu’il connaît pour rechercher des effets atteignables. Il s’agit là d’un mécanisme de la pensée qui correspond à un chaînage déductif en avant [8]. ISMA360 est une méthode qui est adaptée aux situations incertaines, c’est-à-dire celles pour lesquelles le résultat final ne peut être connu a priori. Cette incertitude peut porter sur l’offre contenant l’invention, sur le marché de l’invention ou bien sur les deux à la fois.

Figure 1

Systémique et itérativité de la méthode ISMA360

Figure 1

Systémique et itérativité de la méthode ISMA360

13La démarche est itérative ; elle est à l’origine d’un mécanisme de transformation de l’environnement par intégration progressive des parties prenantes, avec pour résultat la co-création d’échanges de valeur, c’est-à-dire d’un marché.

14D.F. De quelles informations l’entrepreneur effectual a-t-il besoin pour élaborer sa stratégie ?

15D.V. Revenons sur le cœur de la problématique du passage du stade de l’invention à celui de l’innovation, c’est-à-dire comment trouver son marché. Au plus haut niveau du questionnement du processus effectual, il y a quatre questions « Qui suis-je ? Que sais-je ? Qui je connais ? Que puis-je faire ? ». Celles-ci sont génériques, quel que soit le projet entrepreneurial. La figure 2 montre qu’il est possible de trouver des questions génériques de niveau inférieur, c’est-à-dire plus appliquées. C’est le cas des questions : « Qu’est ce qui est nouveau ? » « Est-ce utilisable ? » ou « Est-ce que la valeur créée peut être échangée durablement au sein d’un système d’acteurs ? ». Quand elles sont chaînées, de telles questions permettent d’envisager une méthode.

Figure 2

Schéma simplifié de la méthode ISMA360

Figure 2

Schéma simplifié de la méthode ISMA360

16La partie gauche de la figure concerne les variables et les questions liées à l’invention et la partie droite renvoie au marché de l’invention, c’est-à-dire à l’innovation. Pour simplifier, il suffirait de répondre aux questions de gauche pour participer au concours Lépine [9]. En effet, la nouveauté et son utilisation, au travers d’un démonstrateur, sont au cœur du problème de l’inventeur. Les deux questions à droite du schéma envisagent la dimension sociale intrinsèque à l’innovation, c’est-à-dire une solution acceptée qui soit viable sur le plan économique. Le référentiel de la nouveauté est à la fois de droite et de gauche. Par exemple, le cas d’une invention relative à la téléphonie mobile montrerait que le référentiel correspond à la fois à un domaine technologique (à gauche) et à un marché (dimension sociale de l’échange à droite). La bonne nouvelle est que, si dans un système complexe, comme celui que décrit la figure 2, tout interagit avec tout, tout n’interagit pas avec la même intensité [10]. La décomposition d’un tel système en composants ou variables de la stratégie permet de séparer des réalités qui interagissent faiblement. Chaque variable peut donc être momentanément isolée du reste, le temps de sa conception [11]. Par exemple, l’entrepreneur peut se concentrer sur la question relative à l’utilisabilité de l’invention sans se préoccuper du modèle de revenu qui concerne le déploiement de l’offre. Il pourra s’y intéresser plus tard car il n’a pas besoin de préciser un modèle de revenu pour vérifier l’utilisabilité de l’invention.

17F.L. Une étape cruciale prioritaire est celle de l’analyse des besoins : pas besoin de mettre un produit sur le marché si ça ne sert à rien. Comment ce segment va-t-il me voir arriver ? En pur compétiteur ? Auquel cas les concurrents vont vouloir me détruire. Comme apporteur de valeur en complément de ce qui existe ? Comment, en démarche effectuale, vais-je alors pouvoir souscrire des engagements avec des partenaires ? Toutes ces informations clés nécessitent le passage à l’action : un temps pour le recueil d’informations, un temps pour l’implémentation dans ISMA360/VIADESIGNER® [12], et un temps d’analyse et de réflexion. Pour mettre en œuvre le processus, les créateurs doivent cependant être accompagnés, car la démarche effectuale n’est pas intuitive et elle nécessite un effet miroir.

18La démarche ISMA360 est aussi très pédagogique. Le porteur de projet de cellules photovoltaïques sur matériaux souples s’est emparé de la méthode qui est devenue un outil de dialogue avec l’accompagnateur en fluidifiant les échanges d’information ; la personne s’est imprégnée de la posture qui consiste à partir des besoins, vus comme des moyens. Parmi tous ces marchés potentiels, quel est le plus adéquat pour me positionner le plus facilement et le plus rapidement possible ? ISMA360 permet d’aller le plus vite possible au marché. La temporalité est essentielle pour développer un projet innovant.

19D.F. L’effectuation est donc vue comme un processus permettant de chaîner des variables stratégiques, et donc de soutenir un questionnement ?

20D.V. L’effectuation décrit un processus nécessitant le traitement de multiples informations. Certaines sont des moyens constatés à un instant t et d’autres émergent dans le cerveau de l’entrepreneur comme des possibilités (effets) à partir de ces moyens. La réponse à une question de stratégie n’étant rien d’autre qu’une information, à un instant t, il y a des variables moyens et des variables effets. Par exemple, une réponse positive à la question : « L’invention est-elle utilisable ? » constitue, non seulement une étape de conception nécessaire, mais aussi un moyen permettant d’envisager plusieurs possibilités pour le déploiement de l’offre. Chacune des possibilités est envisagée comme un effet. Il y a bien une relation moyen-effet entre ces variables en suivant un chainage avant de la penser. Le séquencement de la prise en compte des variables selon une succession de moyens et d’effets devient possible, à la manière des flèches que propose la figure 2.

21En effet, le schéma simplifié montre que la méthode part de l’invention et non pas du marché, contrairement à l’approche causale du marketing traditionnel. C’est la prise de conscience de la nouveauté de l’invention qui permet d’envisager une offre nouvelle utilisable. Il devient alors possible d’envisager la faisabilité de son déploiement comme un effet devenu possible. Cette séquence permettrait de définir une méthode quasi-linéaire qui commence par l’invention et qui se termine par son déploiement. En effet, chaque flèche de la figure 2 indique la présence d’un lien effectual entre deux variables. En d’autres termes, une réponse satisfaisante à la question de la variable précédente permet d’envisager la variable suivante.

22Cependant, l’effectuation contredit ce point de vue puisque les informations sont collectées ou envisagées chemin faisant par l’entrepreneur. Dans ce cas, toute information nouvelle concernant une variable permet de redémarrer la séquence effectuale, présentée dans la figure 2, à partir de la variable concernée par cette nouvelle information. Par exemple, un entrepreneur qui perfectionne son invention envisagera de nouvelles offres potentielles qui pourront être déployées dans un réseau d’acteurs et ainsi de suite. La méthode n’est donc pas linéaire mais bien itérative, conformément au processus que décrit la logique effectuale. Elle ne fixe pas de but précis mais explore des possibilités à partir des moyens disponibles.

23La méthode ISMA360 compte 44 questions que des innovateurs [13] se posent [14] et permet de mémoriser les réponses [15]. Un travail de recensement d’une dizaine d’années a été nécessaire pour stabiliser une liste de questions génériques séquencées grâce à la logique effectuale [16]. En effet, à chaque fois qu’émergeait une nouvelle question [17] au cours d’un accompagnement, celle-ci était conservée, le temps de vérifier qu’elle était compréhensible et utile à d’autres. Il est à noter que l’entrepreneur ne connaît en général pas les questions a priori.

24Seul un accompagnement dans la durée des entrepreneurs, ce qui est en général le cas dans un incubateur, permet d’obtenir un recensement satisfaisant de ces questions génériques. Nombreux ont été les incubateurs qui ont participé à faire émerger la méthode ISMA360 telle qu’elle est aujourd’hui [18]. Par exemple, quand une question n’est pas comprise, le chargé d’affaires le fait remarquer et une nouvelle formulation de la question est recherchée jusqu’à ce que celle-ci fasse consensus au sein de la communauté des chargés d’affaires qui travaillent étroitement avec les entrepreneurs. À l’inverse, une question pouvait être tout simplement rejetée par la communauté des utilisateurs de la méthode, car jugée non pertinente.

25D.F. Quels sont les avantages et les limites à l’utilisation de la méthode ?

26D.V. et F.L. La thèse de doctorat [19], dont l’objet a porté sur le développement de la méthode ISMA360 propose une analyse qualitative de l’utilisation de la méthode par les incubateurs entre 2006 et 2009. Fabrice Léger l’utilise avec le logiciel VIADESIGNER®. Nous livrons notre ressenti personnel à propos des avantages et les difficultés rencontrés par les incubateurs.

  • Cette méthode est souvent utilisée en phase initiale de l’accompagnement, c’est-à-dire au moment où l’incertitude est la plus forte. Elle est abandonnée ensuite, dès que l’incertitude concernant le couple produit-marché disparaît. Cela confirmerait le constat de Sarasvathy qui précise qu’en l’absence d’incertitude, la logique causale est privilégiée.
  • Bien qu’étant itérative, la séquence proposée par la méthode n’est parcourue qu’une seule fois dans le cas des incubateurs. Cependant, l’utilisation de VIADESIGNER® montre que des entrepreneurs l’utilisent dans la durée comme outil de dialogue avec leur comité de direction. Ils ont, grâce à la méthode, changé de posture en analysant en permanence les besoins exprimés par le marché et en expérimentant de nouvelles voies possibles, sur le mode effectual. À cet égard, ISMA360 est une méthode formalisée et aboutie qui va dans le sens du design thinking et du lean startup [20].
  • Certaines étapes sont plus utilisées que d’autres. Par exemple, les premières étapes qui permettent de définir le domaine de l’innovation et l’appropriation d’un utilisateur sont les plus fréquemment utilisées. Ceci se justifierait par le fait qu’elles réduisent fortement l’incertitude en faisant ressortir des besoins pertinents.
  • Cette méthode facilite le dialogue entre un entrepreneur et un accompagnant en faisant ressortir ce que sait l’entrepreneur et ce qu’il ne sait pas encore. Elle n’est pas utilisée en dehors d’un accompagnement.

27D.F. En quoi la méthode ISMA360®, en ne séparant pas la pensée et l’action, constitue-t-elle une révolution en occident…

28D.V. ISMA360 est une méthode destinée à guider les entrepreneurs en situation d’innovation pour concevoir une stratégie, sans avoir à recourir à la prédiction d’un futur. Elle est le résultat d’un travail de modélisation :

  1. des informations nécessaires [21] à la réflexion stratégique,
  2. du traitement de ces informations, guidant ainsi le processus de la pensée de l’innovateur et facilitant le dialogue avec son accompagnant.

29Cet article n’épuise pas les possibilités de décrire cette nouvelle méthode. Notamment, la méthode ISMA360 ne sépare pas la pensée de l’action [22]. Il s’agit certainement d’une différence fondamentale avec les méthodes occidentales [23] de la stratégie qui envisagent systématiquement de penser avant d’agir. En ce sens, elle est fidèle à la logique effectuale qui permet de discerner dans l’incertain ce qu’il est possible de faire à un instant t. En effet, ISMA360 n’envisage que les effets atteignables aujourd’hui en refusant de vouloir répondre à toutes les questions de façon précipitée. Une fois que des effets sont atteints, ils deviennent de nouveaux moyens et ainsi de suite. La méthode favorise la collecte et le traitement des nouvelles informations associées à ce temps t+1. Elle a pour objet d’être l’outil d’aide au discernement des moyens et des effets atteignables.

Notes

  • [1]
    Au départ trois cas ont été accompagnés entre 2003 et 2005 qui ont permis l’émergence de la méthode ISMA360. La méthode se diffusant dans les incubateurs à partir de 2006, désormais ce sont les chargés d’affaires, qui sont devenus des utilisateurs de la méthode pour accompagner les projets de création d’entreprise, avec qui nous travaillons.
  • [2]
    ISMA360® est une marque déposée de SKEMA Business School – Concepteur Dominique Vian.
  • [3]
  • [4]
  • [5]
    Si innover consiste à introduire une invention dans un milieu social. Celui-ci ne correspond pas nécessairement à un marché comme dans le cas de la conception d’une surprise partie sympathique, exemple souvent repris par Armand Hatchuel.
  • [6]
    Entrepreneurship as Method : Open Questions for an Entrepreneurial Future ; Saras D. Sarasvathy & Sankaran Venkataraman, Baylor University, 2010. Dans cet essai théorique, les deux auteurs argumentent que la démarche effectuale peut être considérée comme une méthode au même titre que le raisonnement et l’expérimentation scientifique démocratisés par Bacon et ses successeurs depuis le XVIIe siècle. L’effectuation en tant que méthode entrepreneuriale s’oppose à la méthode scientifique dans ses finalités (libérer le potentiel humain plutôt qu’exploiter la nature), ses objectifs (générer des principes de design local contingent plutôt que de découvrir des lois universelles valables dans tous les cas) et ses processus (focalisation sur l’intersubjectivité plutôt que sur l’objectivité). Elle ne vise pas à supplanter la méthode scientifique mais plutôt à la compléter quand la méthode scientifique ne suffit plus, lorsque l’incertitude est telle qu’on ne peut plus se fier aux lois connues, en d’autres termes, quand la crise oblige à réinventer le monde. Les auteurs toutefois restent au niveau théorique et formulent de nombreuses questions sur l’opérationnalisation de cette méthode, son enseignement, et sa diffusion. Tout reste à expérimenter, à décrire avec précision. À notre sens, la méthode ISMA360 s’inscrit dans cette perspective d’opérationnalisation dans les cas précisés dans la fin de cet article.
  • [7]
    ViaDesigner est le logiciel édité par Vianoveo, qui informatise la méthode ISMA360. http://www.via-designer.com
  • [8]
    Le chaînage en avant correspond à une stratégie itérative de raisonnement déductif. [Office Québécois de la langue française, 2007]
  • [9]
    Ce salon vise à promouvoir l’invention, pas l’innovation.
  • [10]
    Selon le principe de quasi-décomposabilité d’un système complexe. Simon, 1969.
  • [11]
    Simon, 1969, éd. 1981, p. 182.
  • [12]
    xxx
  • [13]
    L’innovateur et l’entrepreneur sont considérés comme des synonymes comme l’envisage Schumpeter.
  • [14]
    Les 44 questions sont accessibles sur le blog de la méthode à l’adresse www.isma360.org.
  • [15]
    Les réponses sont mémorisées grâce à des cartes cognitives.
  • [16]
    Les premiers développements de la méthode datent de 2003.
  • [17]
    Pour les besoins de l’article le processus de la recherche a été simplifié. En fait, c’est la co-conception avec les utilisateurs de la méthode de cartes cognitives, du type carte de catégories, qui peut se traduire au final sous la forme de questions génériques.
  • [18]
    Actuellement plus d’une cinquantaine d’incubateurs en Europe utilisent la méthode dont la plupart sont en France. Les incubateurs de Poitiers, Troyes, Nantes, Nice et Toulon, Strasbourg, Compiègne, Cambridge, Newcastle, Udine ont sans doute été les plus actifs pour aider à faire émerger et stabiliser la méthode.
  • [19]
    Thèse de Dominique Vian en ligne sur le site Pastel à l’adresse http://pastel.archives-ouvertes.fr/docs/00/56/44/42/PDF/16122010_thA_se_DVIAN.pdf
  • [20]
    Cependant, nous croyons que Lean start-up est une méthode de type causale ou prédictive, car elle considère le client comme connu a priori (le but) et qu’il suffit de définir l’offre qui convient (le moyen).
  • [21]
    Non pas toutes les informations mais celles qui permettent de répondre aux questions importantes de la stratégie mentionnées dans la figure 2.
  • [22]
    Weick, K.E., (1995), Sensemaking in Organizations, Thousand Oaks, London : Sage publications.
  • [23]
    Les chinois avec l’art de la guerre de Sun Tzu semblent plus proches de la perspective effectuale que de l’approche prédictive de la stratégie.
Français

L’effectuation est connue pour ses cinq principes d’actions mais n’a pas le statut de méthode. Pourtant, couplée à la théorie des systèmes, une méthode effectuale deviendrait possible. ISMA360 a opérationnalisé la logique effectuale pour concevoir une stratégie en situation d’incertitude, notamment pour les cas d’invention qui peuvent devenir des innovations en créant ou en s’introduisant sur des marchés. Ainsi, la logique effectuale est un moyen d’organiser le traitement des multiples informations qui seront nécessaires à l’entrepreneur. C’est cette possibilité qu’explore cet article dans le contexte de l’activité d’accompagnement d’entrepreneurs innovateurs, notamment par des incubateurs européens.

Entretien avec 
Dominique Vian
Dominique Vian (Doctorat en sciences de gestion, Telecom ParisTech) est enseignant-chercheur à SKEMA Business School qu’il a rejoint après une carrière en entreprise et dans le conseil en stratégie et système d’information. Il est l’auteur de la méthode ISMA360 qui aide à concevoir la stratégie d’une innovation.
Fabrice Léger
Fabrice Léger, ingénieur Centralien de Lille, est directeur associé chez ViaNoveo, fondateur de Spheranova (formation, accompagnement dans la structuration et la conduite de projets d’innovation) ; il est responsable des formations en entrepreneuriat à l’École Centrale de Lille.
Propos recueillis par 
Dominique Frugier
Dominique Frugier est professeur honoraire d’entrepreneuriat à l’École Centrale de Lille. Il est président d’Alice-lab’, secrétaire général de l’Académie de l’Entrepreneuriat et de l’Innovation et membre du comité de rédaction d’Entreprendre & Innover.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 17/03/2015
https://doi.org/10.3917/entin.024.0066
Pour citer cet article
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