1Dominique Frugier. Pouvez-vous nous décrire l’activité de la LME ?
2Patrice Thiry. La vocation de la LME, que j’ai créée en 1996 et que je dirige depuis, est d’accompagner les projets de création innovants et l’innovation des entreprises. Nous aidons plus de 400 projets par an, dont 80 à 100 sont menés jusqu’au stade du business plan. Les autres interventions sont du conseil thématique plus ponctuel, notamment sur la propriété intellectuelle. Notre équipe comprend le directeur, quatre conseillers et trois assistantes.
3Nous sommes un Centre Européen d’Entreprise et d’Innovation, constitué sous la forme d’une société filiale de l’Intercommunale wallonne IDEA basée à Mons. Nous sommes installés dans le parc scientifique INITIALIS, créé à la même époque, avec des Business Centres à Binche et à La Louvière.
4DF : Dans votre présentation et celle de LME, vous parlez de candidat entrepreneur et de néo-entrepreneur…
5PT : Effectivement, je suis linguiste et traducteur de formation initiale, que j’ai complétée par une formation économique. De fait, mon premier emploi était de monter des dossiers transnationaux pour le secteur public.
6Le linguiste que je suis a été effectivement interpellé par la terminologie de l’entrepreneuriat. Ainsi, je segmente les clients du CEEI par les appellations que je précise plus loin. Tout d’abord le CEEI parle de ses ‘clients’, notamment parce que nos services sont payants, même si nos tarifs sont très modérés, grâce à certains financements wallon et européen selon les actions que nous menons.
7Mais, plus fondamentalement, le terme de « porteur de projet » ne m’a jamais convenu. Je lui ai substitué l’appellation de « candidat entrepreneur » pour celui qui se projette son avenir dans l’entrepreneuriat. Le terme de porteur de projet désigne une personne qui s’interroge sur son avenir sans avoir fait encore le choix du métier d’entrepreneur. Il porte littéralement une idée et tâtonne dans son cheminement. Il devient candidat entrepreneur lorsque ses certitudes ont pris de l’épaisseur. Le CEEI prend en charge des candidats entrepreneurs, c’est-à-dire des personnes décidées à entreprendre. Et nous leur donnons un statut, celui de candidat entrepreneur.
8Parmi les clients de notre CEEI, nous avons les néo-entrepreneurs. Le terme « néo » a plusieurs significations dans le langage du CEEI. Il désigne à la fois un nouvel entrepreneur, qui vient de créer pour la première fois son entreprise ; il désigne dans le même temps la création d’une activité innovante.
9Les entreprises existantes ayant un potentiel de développement sont aussi aidées par le CEEI. Leurs dirigeants sont dénommés par nous les entrepreneurs. Nous voulons d’ailleurs faire évoluer la linguistique belge de ce point de vue, car, dans le langage courant, l’entrepreneur désigne souvent l’entrepreneur de bâtiment en Belgique.
10DF : En quoi la préparation au pitch est-elle pour vous au cœur de l’accompagnement des entreprises ?
11PT : Tout d’abord, le terme de pitch me convient bien. Je n’ai d’ailleurs pas de souci, en tant que linguiste, à utiliser des termes anglo-saxons, l’anglais étant une langue holophrastique ; j’utilise les termes qui dénomment parfaitement l’action. Pour le pitch, il s’agit d’une présentation courte pour convaincre. Or, l’entrepreneur ou le candidat entrepreneur doivent convaincre des parties prenantes à tous les stades du projet. Le message que je voudrais faire passer ici est que le pitch ne doit pas venir en conclusion de l’accompagnement du projet, c’est-à-dire dans les derniers livrables du projet. Tout contact avec des parties prenantes doit être préparé soigneusement en amont, dès les premières phases du projet. Dans les premiers stades, on recherche auprès d’interlocuteurs extérieurs des informations ou un appui, on cherche à les engager dans le projet. Il faut convaincre.
12Dans l’accompagnement, la préparation au pitch doit faire partie très tôt des outils à mettre à disposition des accompagnés. Il faut les former à l’esprit de synthèse, les aider à résumer les principaux arguments et éléments pour convaincre en peu de temps. L’exercice permet aussi à l’accompagné de vérifier par lui-même qu’il est convaincu du bien-fondé de l’économie de son projet. À cet égard, en complément du Business Model Canvas largement répandu, nous utilisons « business model you » de Pigneur comme méthode aidant à se convaincre soi-même de son projet. Mais nous constatons que ce n’est pas facile de mettre les accompagnés dans cette attitude.
13DF : Vous voulez distinguer le pitch du show médiatique.
14PT : L’objectif de présentation d’un projet est sensiblement différent de celui de la conception d’un spot publicitaire. Dans le show, ce qui me dérange, c’est l’assurance parfaite dont on doit faire preuve. Or le candidat entrepreneur doit engager dans sa présentation un exercice de crédibilisation, en gagnant par la rigueur la crédibilité.
15On se situe par notre approche du pitch à mi-chemin entre le show percutant et la présentation technique. Une présentation que je considère comme très technique, par exemple, est celle du format du business canvas, qui n’est pas adéquate en l’état car on dilue le message par l’exposé de neuf points successifs. L’outil du business canvas en lui-même est intéressant pour construire le business model, mais ce n’est pas le support idéal pour un pitch.
16Dans le show, il faut aussi maximiser sa tonicité par une forte capacité de conviction. Mais on sait dans notre métier que les personnes qui font preuve de trop d’assurance ont souvent, mais non exclusivement, des comportements obstinés ; tout au moins ces personnes peuvent donner l’image d’une volonté de ne pas s’écarter de leurs certitudes. L’entrepreneur doit être sûr de lui, mais pas obstiné : le candidat entrepreneur va être jugé sur sa capacité à se remettre en question.
17Par ailleurs, dans un show, on a tendance à « surjouer ». L’acteur qui surjoue n’est pas un bon acteur.
18DF : Votre technique est celle du pitch caméléon, pouvez-vous nous en dire plus ?
19PT : Effectivement, il n’y a pas un seul modèle transposable dans toutes les situations. Le pitch doit être adapté au contexte de ce qu’on attend. Pour convaincre un financier en peu de temps, par exemple, il est sans doute plus utile de montrer comment notre capacité commerciale peut générer un flux de revenus dans un délai acceptable ; dans ce cas on remet les documents financiers sous forme papier pour la discussion.
20Les éléments génériques du pitch sont un nombre réduit de messages et la formulation d’une demande vis-à-vis de la partie prenante. La préparation s’impose par le nombre de répétitions qui convient et elle comprend aussi les aspects gestuels et le mode d’expression. De plus, nous sommes tous, nous et tous nos collègues des structures d’accompagnement, confrontés à la crédibilité de notre structure au travers des présentations de nos accompagnés.
Six conseils pour le pitch
- Développer « l’empathie froide », c’est-à-dire la capacité à revêtir le costume de son auditoire, mais sans affect.
- Bannir l’emphase et l’hyperbole : « straight to the point is the key ».
- Privilégier le « slide diet » plutôt que le « slide show », éviter le spectacle.
- Équilibrer sa ligne de vie : parler très peu du passé, à peine du présent, surtout de l’avenir.
- Le storytelling fluidifie la présentation : il est passeur de messages, comme un conte au coucher ; mais si vous ne savez pas raconter une histoire, utilisez un autre registre, sous peine de n’être pas crédible.
- Un tiens vaut mieux que deux tu ne l’auras pas : ancrez-vous dans la réalité du problème résolu.
21Tout ceci exige de la part de l’accompagnant une grande capacité d’adaptation au contexte, à la personnalité du candidat entrepreneur et à celle de la partie prenante qui sera sollicitée. On retrouve bien dans la préparation du pitch, et de manière exacerbée, toute la question de la posture de l’accompagnant, et de la dialogique porteur/projet. L’accompagnant doit avoir les qualités du caméléon !
22DF : Comment articulez-vous l’exercice du pitch avec les notions d’effectuation et de lean startup, avec les business models, ou encore le lead with traction.
23PT : De l’effectuation, on retient notamment le message de la nécessité de convaincre des parties prenantes à chaque stade du projet. Le pitch est un outil indispensable. En lean start up, il faut aller droit au but, en résumé, et le plus rapidement possible pour rechercher le challenge de parties prenantes par l’expérimentation ; il faut donc disposer d’une capacité à convaincre. Le business model est un exercice de mise en cohérence des composantes du projet, de manière à ce que cette cohérence soit convaincante, mais il faut en adapter la présentation pour les entretiens.
24Je suis très intéressé par le concept de ‘traction’ mis en exergue par David Mc Clure en Californie [1]. Son principe est de concentrer la réflexion sur les résultats déjà engrangés (par exemple ‘traction with customers’), ainsi que sur les actions à mener pour obtenir des premières preuves de viabilité du projet, pour obtenir des marques d’intérêt et pour progresser dans la crédibilisation. Tout comme lui, je pense qu’il ne convient pas de faire rêver son auditoire mais bien de le convaincre de la faisabilité de son projet, et de ne pas craindre d’évoquer ses échecs passés. Ils renforcent votre crédibilité, tout comme l’explication en amont du problème dont l’apport de solution est la base de votre projet d’entreprise.
25DF : En conclusion, vous faites du pitch un élément du positionnement de votre structure d’accompagnement.
26PT : L’accompagnement requiert des compétences multiples. Notre constat a été que les candidats entrepreneurs éprouvaient des difficultés à communiquer, alors que le besoin de convaincre des parties prenantes en entrepreneuriat et en innovation est important. Parmi tous les outils au service de l’accompagnement, nous avons eu la capacité de développer ceux de la préparation au pitch. C’est un domaine où nous pouvons encore progresser, mais qui ne relève pas de techniques figées. C’est pourquoi, au 2e trimestre 2015, nous organiserons un symposium de deux jours sur le pitch avec une trentaine de professionnels du domaine, qui se tiendra à Mons dans un contexte transfrontalier.
Notes
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[1]
David Mc Clure, considéré comme un « super angel investor » a créé à San Francisco un incubateur comptant 500 startsups. Précédemment, il fut notamment directeur du marketing de Pay Pal.