Les points forts
- Définir le bon modèle de revenus est une étape incontournable pour les jeunes entreprises. Mais la première tentative est rarement la bonne.
- Dans les jeunes entreprises, la stratégie est plus souvent émergeante que planifiée, surtout quand les ressources sont fortement limitées.
- Le cas Woorank est typique des start-ups internet mais facilement généralisable.
1Novembre 2011. Jean reçoit un appel téléphonique de son associé Boris : l’agence web avec laquelle ils s’étaient associés, leur pilier technologique, vient de décider de se retirer de l’aventure WooRank et cette décision est irrévocable. C’est un coup dur pour la jeune entreprise qui développe depuis deux ans un outil en ligne permettant de réaliser un audit de la qualité du référencement d’un site internet.
2Woorank peine à devenir rentable. Pourtant, avec une base de 500 000 utilisateurs uniques mensuels en croissance exponentielle, Boris et Jean y croient. Les deux fondateurs ont récemment quitté leur emploi pour se consacrer à plein temps à ce qui était initialement un projet parallèle. Ils ont conscience de l’important coût supplémentaire que représenterait l’emploi d’un développeur expérimenté pour prendre le relais de l’agence.
3Pourquoi ne parviennent-ils pas à monnayer leur service ? Est-il vraiment raisonnable de poursuivre les investissements dans ce qui ressemble aujourd’hui à un véritable gouffre pour leurs finances personnelles ? Telles sont les questions qui taraudent les deux entrepreneurs.
Un démarrage pourtant encourageant
4WooRank a été fondée à Bruxelles par trois associés : Jean, Boris et une agence web.
5Jean est l’initiateur du projet. Consultant en SEO (Search Engine Optimization), il aide les gestionnaires de sites internet à améliorer leur visibilité en ligne. Il se rend rapidement compte que la plupart de ses activités quotidiennes peuvent être automatisées et c’est de son expertise que naît le concept WooRank. Entrepreneur dans l’âme, il n’en est pas à son coup d’essai : il a notamment fondé et revendu le réseau social Hispanito.com, ainsi que le Betagroup, la plus grande communauté d’entrepreneurs du web en Belgique.
6Boris a 26 ans quand il rejoint le projet, sept de moins que Jean. Scénariste de formation, il a créé sa propre entreprise et s’est déjà fait une place dans le monde du marketing, et en particulier du marketing en ligne. Boris a l’habitude de gérer des équipes de développeurs et sa veille technologique lui permet d’être au courant des dernières tendances et possibilités techniques offertes par le web.
7L’agence de communication partenaire est spécialisée dans la création de sites internet. Elle a été fondée par de jeunes développeurs et designers talentueux, anciennement employés d’une des agences leader sur le marché belge.
8Lorsque Jean rassemble les trois parties en vue de créer WooRank, ils ont une ambition commune. Ils veulent développer un produit qui soit facilement extensible et qui leur permette de se détacher de leur activité de service actuelle où la rémunération évolue linéairement avec le nombre d’heures prestées.
9Rapidement, l’agence partenaire craint le climat d’incertitude lié au lancement de WooRank et préfère consacrer son temps à ses clients habituels qui constituent une source de revenus plus sûre, bien que plus limitée. Elle réduit progressivement le temps consacré au projet et ralentit le développement de nouvelles fonctionnalités et l’amélioration de l’outil.
10Lorsque l’agence annonce sa décision de quitter l’aventure WooRank, Boris et Jean viennent justement d’être approchés par Nils. Celui-ci est diplômé d’un PhD en informatique et travaille alors dans une grande société de télécommunication où il dirige une équipe de développeurs. Il est toutefois à la recherche d’un nouveau challenge. WooRank le passionne et il aimerait pouvoir y contribuer. Le courant passe bien et les deux associés considèrent la possibilité qu’il devienne leur nouveau responsable technique. Dans ce cas, ils lui octroieraient des stock options pour l’intéresser dans le capital.
Un produit unique
11Il existe aujourd’hui près d’un milliard de sites internet et 50 % des visites vers ceux-ci sont générées par les moteurs de recherche dont Google. Ces derniers proposent une liste ordonnée de sites web pertinents sur base de mots clés définis par les internautes. Cette liste peut contenir des centaines de milliers de résultats mais des études montrent que 75 % des clics sont capturés par les trois premiers. Pour cette raison, le SEO (Search Engine Optimization), l’optimisation pour les moteurs de recherche en français, est aujourd’hui une priorité pour les gestionnaires de sites et de nombreux consultants ont développé des offres de services dans ce domaine.
12Après deux ans de missions comme consultant SEO, Jean identifie sa nouvelle opportunité entrepreneuriale. Pourquoi ne pas automatiser le travail des consultants web et permettre aux gestionnaires de sites internet de se passer de leurs services ? Ceci permettrait non seulement aux propriétaires et développeurs de sites internet d’améliorer leur référencement, mais également de réaliser des économies sur les honoraires des consultants.
13Jean imagine de permettre aux utilisateurs de son service d’obtenir des rapports détaillant les problèmes liés au référencement de leurs sites et la façon de les résoudre. Selon Jean, WooRank serait si simple à utiliser qu’il ne nécessiterait pas de formation initiale pour en comprendre les rapports, contrairement aux recommandations de mission des consultants qui sont généralement remplies de jargon technique.
14Fondateur du Betagroup, la plus grande communauté d’entrepreneurs internet à Bruxelles, Jean a d’excellentes connexions avec la sphère entrepreneuriale belge. Il décide rapidement de partager son idée avec Boris et quelques amis qui viennent de lancer leur propre agence web. Il lui semble qu’ils sont complémentaires : il connaît l’industrie et porte la vision ; Boris est un gestionnaire de projets web expérimenté qui pourra transformer sa vision en opérations ; et l’agence possède les connaissances techniques nécessaires au développement de ce service web complexe.
15Quelques mois plus tard, la première version de WooRank est mise en ligne. Il suffit aux utilisateurs d’introduire l’URL du site qu’ils souhaitent analyser et un rapport gratuit est instantanément généré. WooRank devient le premier site automatisant l’audit de sites de manière précise et exhaustive. L’outil est entièrement gratuit et propose une option payante (White Label ou marque blanche) permettant d’exporter les rapports au format PDF en remplaçant l’identité visuelle de WooRank par le logo de l’utilisateur.
Un démarrage concluant
16Le budget publicitaire de la jeune entreprise est extrêmement limité. Boris propose d’utiliser l’Inbound Marketing pour se faire connaître. Cette méthode, en plein essor dans le milieu des start-ups technologiques, consiste à générer du contenu ciblé qui sera ensuite trouvé par des utilisateurs qualifiés effectuant des recherches précises dans les moteurs de recherche. La stratégie marketing se déploie au long de deux axes : les recommandations d’experts et la génération automatique de contenu à valeur ajoutée.

17Afin d’asseoir sa crédibilité, WooRank cible les bloggeurs et communautés les plus influents. Le produit de base leur plaît car il est simple, ergonomique et gratuit. Très rapidement, de nombreux blogs technologiques américains, dont la référence TechCrunch, parlent du projet.
18Parallèlement aux recommandations d’experts, WooRank rend chaque rapport public de sorte à ce que celui-ci soit indexé dans les moteurs de recherche. Près de 150 000 rapports sont ainsi créés et correspondent à autant de pages qui permettent aux internautes de trouver WooRank dans les résultats de leurs recherches sur internet. En réalité, les rapports de WooRank apparaissent très souvent avant les sites analysés dans les résultats des moteurs de recherche. Bien que cette situation soit déplaisante pour le gestionnaire du site, elle motive les développeurs à utiliser WooRank pour améliorer leur positionnement !
19La génération de contenu automatisée, ainsi que les recommandations d’experts s’avèrent être un grand succès. Après quelques mois, WooRank compte plus de 800 000 utilisateurs actifs chaque mois.
Une base d’utilisateurs hétérogène
20Quand Jean et Boris analysent leur base pour mieux connaître les utilisateurs, ils en identifient deux types : les développeurs de sites représentent la grande majorité, tandis que 30 % sont des consultants web.
21Les premiers sont principalement intéressés par WooRank parce que ce qu’il est gratuit et leur permet de proposer des services supplémentaires à leurs clients bien qu’ils n’aient pas d’expertise en SEO. Les développeurs regrettent cependant le manque de régularité dans les mises à jour de l’outil.
22Les consultants web accueillent également WooRank avec beaucoup d’enthousiasme car l’outil leur permet de générer des analyses préliminaires pour leurs clients potentiels et de prospecter de manière plus efficace. Certains consultants parviennent même à revendre les rapports de WooRank associés à leur propre logo (White Label) pour des montants allant jusqu’à 1 000$…
Un financement sur fonds propres
23Boris et Jean ont toujours privilégié leur indépendance financière et sont jusqu’ici parvenus à financer WooRank avec leurs seules économies personnelles, quitte à ne pas se rémunérer.
24En novembre 2011, les coûts mensuels de l’entreprise s’élèvent à 30 000$ en incluant le coût potentiel de Nils alors que les revenus plafonnent à 10 000$ par mois. Cette situation n’est évidemment pas soutenable. Il est urgent de trouver des revenus supplémentaires.
25Quatre types de modèles de revenus sont envisageables et testés par WooRank : la publicité, le ‘White Label’ (dite marque propre ou blanche en français), une place de marché et la mise au point d’un guide en ligne.
- La publicité au clic et les programmes d’affiliations ont été testés dans un premier temps. Dans le premier cas, WooRank se rémunère en vendant des espaces publicitaires sur son site. Leur prix de vente est fixé par un système d’offre et de demande lié aux mots clés utilisés. Les programmes d’affiliation, quant à eux, permettent à WooRank de toucher une commission sur des produits de fournisseurs extérieurs (exemple : sur la vente de livres traitant de problèmes SEO sur Amazon). Jean et Boris abandonnent graduellement cette option car elle ne rapporte pas suffisamment pour compenser pour ses effets négatifs. En effet, ils estiment que la publicité nuit à l’aspect professionnel du site. De plus, les programmes d’affiliation les plus rentables sont ceux qui mettent en avant des produits concurrents…
- L’option White Label permet aux utilisateurs d’obtenir des rapports WooRank personnalisés avec leurs logos et leurs textes d’introduction. Cette option est particulièrement appréciée par les consultants en SEO et représente à l’époque la quasi-totalité des revenus générés par la startup.
- La place de marché permet à des professionnels du SEO de proposer leurs services aux utilisateurs de WooRank. Bien que l’outil ait initialement été imaginé pour permettre à des utilisateurs de tous niveaux de s’en sortir seul, il apparaît que la mise en application des conseils reste complexe. La plateforme met dès lors en relation des gestionnaires de sites conscients des faiblesses de leurs sites avec des professionnels capables de les aider. Cette fonctionnalité est prometteuse aux yeux de Jean et Boris mais elle ne décolle pas car elle est trop peu connue des utilisateurs.
- Le guide en ligne se base sur la même constatation que la place de marché. Il consiste à accompagner les utilisateurs, étape par étape, lors de la mise en œuvre des conseils contenus dans le rapport. Cette fonctionnalité n’en est qu’au début de son développement et celui-ci a déjà pris beaucoup de retard.
Que doivent faire Boris et Jean ?
Une question d’adaptabilité
26Une start-up sur quatre disparaît endéans les deux années qui suivent sa création et seulement un tiers franchit le cap des six ans [1]. Ce constat est d’autant plus flagrant dans le web : 90 % des start-ups internet échouent au cours de leurs quatre premiers mois d’existence [2]. La raison principale de ce taux d’échec exceptionnellement élevé est l’impatience des fondateurs. Trois quarts des start-ups web se développent trop vite, sans réaliser les ajustements nécessaires à la vision initiale de l’entrepreneur. Valider et affiner l’opportunité prend en moyenne trois fois plus de temps que ce que les fondateurs imaginent initialement. Pourtant, les start-ups qui parviennent à combiner vision et apprentissage ont deux fois plus de chances de survivre. Ces start-ups qui apprennent de leur environnement sont également celles qui lèvent en moyenne sept fois plus de financement et voient leur base d’utilisateurs croître deux à trois fois plus vite [3].
27Les revirements fructueux sont ceux qui leur permettent à la fois de créer de la valeur pour leurs utilisateurs mais aussi d’en capter une partie au profit de ses actionnaires. Les start-ups web sont typiquement excellentes quand il s’agit de créer de la valeur pour des utilisateurs qui utilisent le service gratuitement [4]. Elles sont par contre bien moins performantes pour monétiser leur offre et rendre l’activité soutenable. En réalité, la plupart échouent à ce stade.
28Dans le cas de WooRank, la vision initiale de Jean n’a jamais réellement été remise en question. Pour mieux comprendre les points bloquants, il est utile d’analyser l’entreprise selon trois dimensions. Pour qu’un projet entrepreneurial soit un succès, il faut réunir une équipe complémentaire, transformer l’opportunité en une offre rentable et disposer des ressources nécessaires [5].
- Sur papier, l’équipe initiale de WooRank semblait idéale. Les fondateurs avaient une ambition a priori partagée et étaient complémentaires. En pratique, la jeune agence web partenaire a privilégié ses sources de revenus plus sûres auprès de ses clients habituels plutôt que de s’investir réellement dans WooRank. L’idée d’associer une jeune entreprise dans la création d’une autre start-up n’est sans doute pas recommandable. Ici, les objectifs des associés divergent rapidement. À l’inverse, l’arrivée de Nils, qui démontre un réel intérêt pour le projet, semble combler cette lacune, surtout s’il accepte de réduire le montant de sa rémunération en échange de stock options.
- Jean avait bien identifié une opportunité pour WooRank : proposer une solution automatisée d’audit du référencement qui soit simple et compréhensible par tous. Il pensait qu’il s’agissait d’un marché gigantesque vu l’augmentation exponentielle du nombre de sites web et l’importance grandissante du référencement pour améliorer leur visibilité. La preuve : WooRank est devenu l’outil leader en seulement quelques mois. Toutefois, l’erreur de jugement de Jean est flagrante. Alors qu’il pense développer un produit qui permettra aux propriétaires de sites de se passer des services de consultants, ce sont finalement ces derniers qui sont les plus enclins à payer pour WooRank ! Bien que cette découverte ne remette pas en question la viabilité de l’entreprise à terme, il est indispensable que la start-up adapte son offre en fonction de cette nouvelle information.
- Sur le plan financier, WooRank privilégie un financement entièrement sur fonds propres. La décision de l’agence de quitter le partenariat alourdit considérablement les coûts mensuels puisque Boris et Jean doivent désormais payer Nils pour le développement. Il leur manque au moins 20.000 € par mois pour que WooRank soit en équilibre. Ce montant est même sous-estimé car Boris et Jean ne se paient pas malgré le fait qu’ils consacrent l’intégralité de leur temps à leur startup. La situation n’est pas tenable. Pour résoudre ce problème, WooRank doit soit réaliser plus de ventes, soit faire appel à des investisseurs extérieurs. Cette dernière solution semble peu recommandable (elle ne réglerait pas le problème de fond et se limiterait à faire gagner du temps) et peu plausible (WooRank a déjà deux ans et perd toujours de l’argent, ceci n’en fait pas un candidat attractif pour des business angels).
29Résoudre le problème du financement sera donc une conséquence de l’ajustement de la proposition valeur suite à la mise en perspective de l’opportunité. WooRank doit se concentrer sur la création de valeur pour les consultants web dans un premier temps.
La monétisation de la valeur créée
30Créer de la valeur pour les utilisateurs, bien que cela soit nécessaire, n’est évidemment pas suffisant. À un moment, l’entreprise doit parvenir à capter une partie de la valeur générée pour la redistribuer aux actionnaires ou, certainement en phase de lancement, pour la réinvestir dans sa croissance.
31Cependant, quelle que soit l’industrie, les consommateurs apprécient les produits et services gratuits parce que la perception de leur valeur ajoutée est plus importante [6]. Sur le web, l’internaute s’attend à ce que les produits et services soient gratuits par défaut [7]. Il y est relativement simple de copier un produit existant, ce qui facilite l’apparition de concurrents et pousse l’industrie à tendre vers une situation de compétition parfaite [8]. Les prix de vente s’approchent donc du coût marginal qui est proche de zéro sur le web [9]. Ceci n’est bien entendu qu’une façade. Trois catégories de modèles de revenus coexistent sur le web : le (semblant de) gratuit, le payant et le freemium.
- Dans le premier cas, les utilisateurs ne payent pas pour le produit. Soit le créateur du service ne se rémunère pas de manière monétaire (ex. hobby, investissement, défense d’une cause) ou alors ils sont subsidiés, c’est généralement grâce à de la publicité ou au moyen de programmes d’affiliation [10].
- Le second modèle peut prendre la forme de transactions où l’utilisateur achète finalement un produit ou souscrit à un abonnement [11].
- Enfin, le modèle freemium (contraction des mots free et premium en anglais) est une formule hybride combinant une offre de base gratuite avec des fonctionnalités avancées payantes. Le produit gratuit est généralement limité en termes de durée (ex. période d’essai), de crédits (ex. nombre de rapports gratuits générés) ou de fonctionnalités (ex. basiques vs. avancées) [12].
32Le cas WooRank illustre bien cette variété de modèles de revenus qui se résume ici à cinq pistes dont une gratuite, deux payantes et deux offres en freemium.
- Publicité et affiliation : il s’agit du semblant de gratuit où l’utilisateur n’est pas sollicité mais est financé par la vente d’espaces publicitaires et la prise de commissions sur la vente de produits complémentaires.
- La place de marché est un plan payant. Les prestataires de services qui souhaitent y apparaître doivent soit payer pour que leur profil soit publié, soit verser une commission à WooRank sur les transactions qui sont générées par la plateforme.
- Le développement du guide en ligne est également un modèle de revenu payant. Le client s’y abonne et verse une cotisation mensuelle pour accéder au service.
- White Label : c’est un modèle freemium. Les utilisateurs ont droit à une offre de base qui est gratuite, mais s’ils souhaitent personnaliser l’aspect des rapports et les exporter en PDF, ils doivent payer.
- Limitation de l’offre gratuite : modèle freemium où les fonctionnalités actuelles sont catégorisées pour proposer une offre basique plus limitée qui reste gratuite et monétiser les fonctionnalités plus avancées.
33Pour choisir le modèle de revenu le plus adapté, WooRank doit considérer plusieurs critères.
Premier critère
34Tout d’abord, il faut que celui-ci soit cohérent avec la proposition valeur reformulée : « WooRank automatise l’audit SEO des sites internet et donne des conseils pour améliorer leur performance afin de permettre aux consultants SEO de répondre davantage aux attentes de leurs clients et de diminuer leur coût d’acquisition de clientèle ». L’option White Label semble donc une nécessité, tandis que le tableau de bord SEO paraît plutôt s’adresser à la clientèle initiale visée par WooRank dont la volonté de payer s’est révélée très faible.
Second critère
35Ensuite, le modèle de revenu doit pouvoir être implémenté avec les ressources dont disposent les entrepreneurs. Or, Jean et Boris ont constaté que la place de marché ne décollait pas sans l’aide d’une équipe de vente agressive. La mise en place d’une telle force de frappe demanderait un budget important dont ils ne disposent pas.
Troisième critère
36Enfin, le choix du modèle ne doit pas s’opposer à l’image que WooRank souhaite véhiculer. Boris et Jean l’ont déjà perçu par le passé et l’utilisation de publicité ou de programmes d’affiliation a un impact négatif sur la perception de qualité dégagée par l’outil. Le professionnalisme est pourtant central si WooRank décide de cibler les consultants web.
37À la lumière de ces éléments, les options « freemium » sortent du lot. WooRank doit limiter son offre gratuite pour monnayer une partie de celle-ci et mettre l’accent sur les fonctionnalités à haute valeur ajoutée pour les consultants SEO. Une fois que l’outil sera rentable, les fondateurs pourront alors considérer de diversifier leur offre si nécessaire.
La Situation au milieu de l’année 2014
38Dès mars 2012, WooRank a adopté un nouveau modèle d’abonnement mensuel de type Freemium. Boris et Jean limitent la formule gratuite à un rapport par semaine. C’est suffisant pour un utilisateur occasionnel qui continue d’utiliser l’outil et en parle autour de lui. La formule payante augmente le nombre de rapports pouvant être générés et apporte des fonctionnalités de personnalisation (White Label) avancées. En seulement quelques semaines, WooRank devient rentable. Les entrepreneurs sont parvenus à identifier les besoins monnayables de leurs utilisateurs et de les convertir en clients.
39Ce type de service internet est appelé un SaaS (Software-as-a-Service). C’est un modèle très populaire dans le milieu du web. L’ambition de ce type d’offre est de remplacer les logiciels traditionnels par des services hébergés dans le cloud [13]. Un SaaS est donc disponible à partir de n’importe quel navigateur internet et ne doit plus être installé localement sur le terminal de chaque utilisateur. Les utilisateurs n’achètent plus de licence d’utilisation (facturée selon le nombre de machines) mais s’abonnent au service.
40Le choix de ce modèle basé sur des abonnements (location du service) plutôt que sur l’achat de licences d’utilisation (achat du produit) a d’importantes implications [14]. La récurrence des flux financiers fait que chaque transaction est d’une valeur relativement faible par comparaison avec des ventes de licences. Les clients ne deviennent donc rentables qu’au fil du temps puisque le coût d’acquisition (dépenses en marketing et vente) est généralement plus élevé qu’une simple transaction.
41En conséquence, les développeurs de solutions SaaS ne peuvent pas se limiter à acquérir des nouveaux clients, ils doivent également investir dans la rétention (allonger la durée de la relation) et le développement (augmenter le panier moyen en offrant des services complémentaires, favorisant les recommandations ou proposant une variété d’offres à des prix variés). Ces trois activités ont en effet un impact direct sur la profitabilité des clients et sur la valeur de la firme [15].
Tableau comparatif : Logiciel traditionnel vs. SaaS

Tableau comparatif : Logiciel traditionnel vs. SaaS
Créer et capter la valeur
42Pour être performante, une entreprise doit innover sur deux axes : la création de valeur monnayable et la captation de celle-ci. La première est la valeur créée pour le consommateur tandis que la seconde activité s’adresse aux actionnaires [16].
43En fonction de la quantité de valeur créée pour le client et de la proportion de celle-ci qui est redistribuée aux actionnaires, il est possible de positionner la firme sur une matrice à quatre quadrants.
- Rêve : typiquement, les monopoles sont situés ici.
- Enfer : de nombreuses sociétés automobiles sont placées là.
- Cauchemar : de nombreuses start-ups web sont piégées dans ce quadrant.
- Paradis : là où toute entreprise veut se trouver et rester.
44Les start-ups web sont souvent très efficaces pour créer de la valeur pour leurs utilisateurs, mais ont du mal à en capter suffisamment pour rendre leur activité soutenable. Pourtant, échouer à récolter la valeur tôt met les finances sous pression, et peut provoquer la disparition de l’entreprise… C’est d’ailleurs ce qui arrive dans la plupart des cas.
45Créer et capter de la valeur simultanément est la manière la plus évidente d’atteindre le Paradis, comme l’illustre le diagramme ci-dessous. Pour ce faire, il faut sans cesse apprendre de son environnement. Contrairement à la théorie qui conseille généralement une stratégie planifiée, c’est donc l’approche émergeante qui se démarque dans la pratique. Une fois arrivée à bon port, l’entreprise doit continuer d’innover pour ne pas être dépassée par ses concurrents.
46C’est exactement le parcours suivi par WooRank. Après avoir revu sa proposition valeur, la start-up s’est d’abord concentrée sur les besoins monnayables des consultants web. Ce nouveau focus lui a permis de transférer une partie de la valeur créée aux fondateurs. Boris et Jean ont alors pu réinvestir cet argent dans la croissance de leur entreprise, avec succès, et conserver le financement sur fonds propres qui leur est cher. Quel soulagement !

Notes
-
[1]
Timmons, J. A. (1999). New venture creation : entrepreneurship for the 21st century. Boston (Mass.) : Irwin.
-
[2]
Silver, D. (2010, October 31). Why Are So Many Internet Start-Up’s Failing Today ?. Chris Ducker – Start-up and Small ‘New Business’ Strategies for Entrepreneurs. Retrieved March 12, 2013, from http://www.chrisducker.com/internet-business-failures/
-
[3]
Marmer, M., Harrmann, B. L., Dogrultan, E., & Berman, R. (2012). Report : A new framework for understanding why start-ups succeed. Start-up Genome, 1.1. Retrieved February 21, 2013, from blog.start-upcompass.co/pages/start-up-genome-report-1
-
[4]
Subramanian, V., & Verdin, P. (2004). What Value Leaders Do ?. CEB Working Paper, 4(31), 1-13.
-
[5]
Timmons, J. A., Zacharakis A. & Spinelli S. (2004). Business Plans That Work : A Guide For Small Business. McGraw Hill.
-
[6]
Ariely, D., & Shampan’er, K. (2004). Tradeoffs Between Costs and Benefits : Lessons from the Price of 0. Working paper, Massachusetts Institute of Technology, n.a., 1-28.
-
[7]
Leonhard, G. (2009). The price of freedom. RSA Journal, 155(5538), 34-37.
-
[8]
Stevens, K., & Klein, P. (2002). Competition.com : How the Internet is changing the economic landscape. Terry College of Business, n.a., 1-71.
-
[9]
Anderson, C. (2009). Free : the future of a radical price. New York : Hyperion.
-
[10]
Chai, K., Potdar, V., & Chang, E. (2007). A Survey of Revenue Models for Current Generation Social Software Systems. Proceedings of the 2007 international conference on Computational science and its applications, 3, 724-738.
-
[11]
Enders, A., Hungenberg, H., Denker, H., & Mauch, S. (2008). The Long Tail Of Social Networking. Revenue Models Of Social Networking Sites. European Management Journal, 26(3), 199-211.
-
[12]
Anderson, C. (2009). Free : the future of a radical price. New York : Hyperion.
-
[13]
Katzan, H., & Dowling, W. A. (2010). Software-As-A-Service Economics. The Review of Business Information Systems, 14(1), 27-37.
-
[14]
Traynor, D. (2012, March 2). The Fallacy of Funnels. Inside Intercom. Retrieved March 2, 2013, from http://insideintercom.io/the-fallacy-of-funnels/
-
[15]
Blank, S. G., & Dorf, B. (2012). The start-up owner’s manual the step-by-step guide for building a great company. Pescadero, Calif. : K&S Ranch, Inc.
-
[16]
Hawawini, G., Subramanian, V., & Verdin, P. (2004). Creating and Capturing Value : The Strategic Drivers of Performance. N.A., n.a., 1-23.