CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Les points forts

  • L’hypercroissance des PME est favorisée par le caractère visionnaire de l’entrepreneur.
  • Pour réussir, l’entrepreneur doit avoir une réelle volonté d’entreprendre.
  • Il doit se fonder sur l’expérience et savoir rendre les circonstances favorables.

1De nombreux travaux ont appelé à développer l’étude des PME en croissance rapide [1]. En quelques années rapides, ces petites PME qui deviennent de grandes PME, voire des ETI, éveillent l’attention des politiques publiques, car elles sont susceptibles de générer des emplois et des exportations, ainsi qu’un développement régional équilibré. L’entrepreneuriat à forte croissance est d’ailleurs considéré comme un défi politique en Europe [2].

2Certaines PME présentent un rythme de croissance exacerbé, que l’on peut qualifier d’hypercroissance. Le concept d’hypercroissance a été introduit par Markman et Gartner (2002) [3], qui le définissent comme le fait pour une entreprise de doubler sa taille en moins de quatre années [4].

Que sait-on des dirigeants des PME hypercroissantes ?

3Pour permettre à leur entreprise de croître, les dirigeants combinent une vision stratégique, la capacité de mobiliser les compétences de la firme et la capacité de tirer avantage d’opportunités [5]. « Les motivations des propriétaires de petites entreprises en matière de croissance sont influencées par une large variété de valeurs, de perceptions, de résultats espérés, mais les dirigeants des PME à forte croissance tendent à avoir des styles similaires » [6]. Les fondateurs de firmes à croissance rapide ont des préférences psychologiques différentes de ceux de firmes à croissance lente [7]. Ils privilégient une approche intuitive lorsqu’ils collectent de l’information, et une approche planifiée lorsqu’il s’agit de dresser des conclusions. Enfin, certaines facettes de l’intelligence (intelligence pratique, analytique, ou créative) sont distinctives [8]. La notion de croissance peut paraître évidente, mais plus de la moitié des propriétaires d’entreprises ne souhaitent pas croître [9]. Ces chiffres sont relativement stables depuis l’étude de Blatt. Le succès des dirigeants d’entreprises en hypercroissance réside pour une bonne part dans leur forte volonté et leur capacité à saisir des opportunités [10]. Lorsque l’entreprise est en croissance rapide, le style entrepreneurial est différent de celui adopté par les entreprises à croissance plus modérée [11]. Pour Chan et al. (2006, p. 437), « la capacité à identifier et à surmonter les barrières concurrentielles et organisationnelles est l’élément clé séparant les petites entreprises à croissance rapide de leurs homologues à performance moyenne » [12]. Récemment, cette « obsession de la croissance » leur aurait permis de surmonter la crise [13].

4Le succès de ces dirigeants tient largement à leur forte volonté et à leur capacité à saisir des opportunités. Les dirigeants des firmes à croissance rapide présentent des traits psychologiques communs, qui influencent leur mode d’action. Les dirigeants de PME en forte croissance pratiquent par exemple un leadership particulier. Ils sont en général charismatiques et dynamiques [14]. Ils présentent un niveau d’optimisme et de satisfaction supérieur à leurs homologues [15]. Leur opiniâtreté leur permet de se créer des aptitudes à la gestion de la croissance. Ils affirment avoir le sentiment de pratiquer un métier singulier, et rejettent l’idée de la simple improvisation ou de la simple passion [16]. Charisme, dynamisme et optimisme sont les traits psychologiques dominants des dirigeants de PME en hypercroissance [17]. Enfin, leur action sur la créativité organisationnelle est centrale pour favoriser l’hypercroissance [18]. Ces caractéristiques semblent être des outils nécessaires pour provoquer, puis pour faire durer l’hypercroissance.

Méthodes et données

Cette communication est basée sur une étude qualitative de PME en forte croissance, en région Rhône-Alpes et en PACA. Toutes les entreprises analysées ont fait l’expérience d’une période d’hypercroissance (croissance du chiffre d’affaires d’au moins 20 % annuel pendant au moins quatre ans). Trente-neuf entretiens semi-directifs des dirigeants (présidents, fondateurs, directeurs généraux) et des managers (directeur financier, DRH, directeur d’activités, etc.) des PME ont été menés en 2009 et 2010. Les entretiens ont été réalisés sur la base d’un guide d’entretien traitant des différents aspects du développement de l’entreprise : dynamique générale, stratégie, environnement, marchés, structures, marketing, finance, ressources humaines, etc. Les traits caractéristiques des huit PME les plus significatives de cette recherche sont présentés dans le tableau 1. Les secteurs d’activité sont divers, de même que leur date de création, leur périmètre d’activité ou encore leur mode de fonctionnement. Leur taille s’étage de 26 à 1300 personnes au moment de l’étude en 2009.
Tableau 1

Traits caractéristiques des principales PME étudiées

Tableau 1
Info-Sud Catraff Nettoyage Sud-Est Service Conseil Biodistri Pollu-Tech Voltage Chem-Tex Fiche signalétique Nombre d’entretiens 2 5 8 5 7 4 3 5 Date création 2003 1978 1967 1995 1987 1983 2000 1983 Activités Conseil et services informatiques Régénération de catalyseurs pour raffinage pétrolier Activité de nettoyage tous locaux Marché de service validation des équipements et des systèmes Metteur en marché fruits et légumes bio Dépollution, gestion de déchets dangereux Solutions de transport de courant à forte intensité Films techniques en polyuréthane pour transfert textile Effectifs en fin de période étudiée 80 300 1300 (617 équivalent temps pleins) 225 220 110 26 49 Siège PACA Rhône-Alpes PACA Rhône-Alpes PACA Rhône-Alpes Rhône-Alpes Rhône-Alpes Dynamique générale Épisodes d’hypercroissance 38 % / an (2004-2009) 20 % / an (2004-2008) 26 % /an (2000-2004) 22 % /an (2003-2009) 20 % /an (2005-2009) 20 % /an (2001-2008) 30 % /an (2001-2008). Choix de l’alternance : 40-60% années paires, 20 % impaires 24 % /an (2001-2007) Périmètre d’activité France, Royaume-Uni, Belgique Tunisie, Maroc France, Europe, USA, Arabie saoudite, Russie, (Inde, Chine en projet) France (Sud-Est) France, États-Unis, Belgique, Suisse Espagne, Guinée-Conakry, Costa-Rica, Europe France, essentiellement Rhône-Alpes France, export (40 %) France (10 % CA), export : 90 % (États-Unis, Asie, Europe)

Traits caractéristiques des principales PME étudiées

5Pour mieux comprendre le dirigeant de PME en hypercroissance, nous souhaitons ici identifier le rôle d’entrepreneur visionnaire qu’il assume à travers deux questions :

  • Comment les dirigeants parlent-ils de l’hypercroissance de leur PME et comment se présentent-ils comme entrepreneurs visionnaires ?
  • Comment le caractère visionnaire des dirigeants leur permet-il de construire la croissance de leur entreprise ?

L’entrepreneur visionnaire : volonté, expérience, circonstances

6Envisagée de manière générale, la notion de vision est importante pour les dirigeants. Les dirigeants évaluent la nécessité d’une vision claire à 3-5 ans : « Le dirigeant, à mon sens, doit avoir une vision extérieure de l’entreprise et un positionnement de son groupe dans les trois ans à venir. Il doit toujours penser sur trois ans. Il doit avoir une politique, une stratégie à trois ans. » (Entretien n° 27, Nettoyage Sud-Est, DAF). « On a à peu près aujourd’hui une vision sur cinq ans de notre organisation. » (Entretien n° 1, Ast, fondateur). Pour les dirigeants, la croissance trouve son origine dans leur propre vision : « ça part d’une vision, il y a quand même réellement une vision, sa vision, sa volonté. » (Entretien n° 21, Catraff, directeur financier). Il est également indispensable que cette vision soit rapide pour permettre de prendre ses concurrents de court : « En tant que directeur général, le fait d’avoir une vision extrêmement rapide, cela me permet, par rapport aux objectifs de développement, de voir où l’on va aller, sur quelles activités, sur quel métier, sur quels donneurs d’ordres, sur quels types de clientèle. » (Entretien n° 46, Pollu-Tech).

7Mais il est important que cette vision soit transposée à l’entreprise pour qu’elle puisse être efficace : « Je pense que j’avais une vision pour le groupe. J’avais une vision de où on va ? Qu’est-ce qu’il faut qu’on fasse ? De quels types de compétences on va avoir besoin demain ? Comment anticiper ? Comment commencer à former les gens, les faire grandir pour que demain ils prennent de nouvelles responsabilités ? » (Entretien n° 11, A, Pdg). Cette vision peut être perçue comme différente pour accentuer l’hypercroissance de l’entreprise : « on a une vision un peu différente de la plupart de nos compétiteurs, c’est ce qu’on s’est dit » (Entretien n° 1, B).

8L’analyse approfondie des 39 entretiens nous a permis de relever différentes caractéristiques de l’entrepreneur visionnaire. Il s’agit de la volonté d’entreprendre du dirigeant (1), le poids de son expérience (2) et les circonstances (3) qui vont lui permettre de réaliser ses objectifs.

Affirmer sa volonté d’entreprendre

Volonté de croissance

9Le dirigeant d’entreprise en hypercroissance montre une forte volonté de parvenir à l’objectif qu’il s’est fixé. La détermination reste essentielle dans la quête d’un objectif, dans la construction d’une réussite : « Le ferment du groupe, ce n’est pas qu’un problème d’entreprise, il y a des questions d’hommes aussi, de volonté humaine de son dirigeant. » (Entretien n° 13, Nettoyage Sud-Est, PDG). Pour Service Conseil, l’origine de leur croissance, « c’est à la fois la volonté des dirigeants de privilégier systématiquement la croissance, et leurs capacités à remettre en question l’organisation et les process, en fonction des besoins du client, du marché et de la concurrence » (Entretien n° 7, Service Conseil, DAF).

Goût du défi et du risque mesuré

10Le dirigeant d’entreprise en hypercroissance affiche un goût prononcé pour le défi, ce qui le mène souvent à prendre des risques calculés : « on a certainement un peu surperformé par rapport au marché parce qu’on a pris plus de risques que d’autres, on est allé chercher des produits plus loin, on a fait des métiers plus compliqués » (Président Fondateur de Biodistri). Ce goût du défi démarre dès la création de l’entreprise. La création d’une entreprise, « c’est une passion quelque part. On a créé cette entreprise, pas d’une façon « raisonnable », c’est parce que quelque part on avait des idées, on a senti un marché et puis on a senti devant nous des industriels pas forcément bien » (Entretien n° 9, Service Conseil, PDG).

11La part de l’imagination et du rêve demeure très présente dans la construction de l’idée. Même si les profils des porteurs d’idée sont très différents, chacun croit en son idée et la porte à bout de bras. Le « brin de folie », souvent mentionné et véhiculé par un « chien fou » (Entretien n° 20, Catraff, DG), fait le reste. « C’est quand même une approche une peu folle, un peu passionnelle, avec une idée au départ, et aussi des capacités » (Entretien n° 9, Service Conseil, PDG).

Créativité et maturation de l’idée

12Outre la volonté de croissance et le goût du défi, la créativité joue un rôle important dans la volonté d’entreprendre. Les dirigeants d’entreprises en hypercroissance disent qu’il suffit simplement « d’être un peu plus créatif que les concurrents » (Entretien n° 36, Biodistri, Développeur nouvelles filières). « Je me sens plutôt entrepreneur, il n’y a que la création qui m’intéresse. » (Entretien n° 35, Auto). Le profil du créatif se définit également au travers de gens considérés comme « meneurs » et déterminés dans leur action : « Il faut un minimum de créativité et d’envie pour avancer, et on sait que derrière, les autres vont suivre plus ou moins … » (Entretien n° 9, Service Conseil, PDG). La différence entre l’acteur créatif et les autres réside dans la frilosité d’entreprendre, même lorsque tout semble réuni pour se lancer : « Je pense qu’il y a plein de gens qui ont des idées, mais qui n’osent pas. Alors peut-être que c’est une question de caractère, qu’ils n’iraient jamais, même si ils étaient sûrs que c’est simple. » (Entretien n° 14, Voltage, PDG).

13Mais il ne suffit pas d’avoir une idée pour être créatif. La maturation, le mûrissement de l’idée sont aussi essentiels comme ingrédients à la créativité. Une idée, puisse-t-elle être de génie, ne vaudra rien si elle n’apparaît pas au moment opportun, si elle ne franchit pas le cap de la réflexion, de l’échange, de la confrontation (étapes qui peuvent être éclair comme longues) qui va lui permettre de tendre vers la maturité. Créativité et maturation de l’idée et goût du risque se combinent pour alimenter la volonté d’entreprendre (figure 1).

Figure 1

La volonté d’entreprendre

Figure 1

La volonté d’entreprendre

Mobiliser son expérience

14L’expérience passée des dirigeants, que ce soit dans l’entreprise qu’ils ont créée ou dans les entreprises dans lesquelles ils ont précédemment travaillé, joue pour une part importante dans le caractère visionnaire du dirigeant. Les compétences acquises permettent d’avoir une vision d’ensemble plus claire des stratégies à adopter pour générer ou poursuivre la croissance. Les dirigeants vont pouvoir tirer profit de trois types d’expérience : une expérience personnelle générale qui leur est propre et qui s’apparente à la notion de maturité, une expérience organisationnelle et enfin une expérience de la croissance qui est une agrégation des deux précédentes.

Expérience personnelle

15Le DG de Catraff considère qu’« (il) a une expérience qui (lui) sert très, très fort et qui (lui) a servi à prendre les bonnes décisions et ne pas (se) tromper sur des matériels, sur des voies,… » (Entretien n° 12, Catraff, DG). Les dirigeants d’entreprise en hypercroissance ont tendance à « ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier », l’expérience les y aide. C’est l’expérience qui va aider à obtenir une vision plus claire de la conduite à tenir pour optimiser la croissance de l’entreprise : « On a une vision plus claire d’une entreprise, qu’elle soit industrielle ou qu’elle soit dans le service, à partir du moment où on a une expérience dans sa propre entreprise et qu’on a mené un certain nombre de fronts. » (Entretien n° 1, Entreprise A, PDG)

16Cette qualité visionnaire décelée chez les dirigeants d’entreprise en hypercroissance cache en réalité une multitude de qualités dont ils sont dotés pour relever le défi de la croissance rapide : « Les décisions sont prises au feeling. C’est le marché, la connaissance du marché, c’est l’expérience. La qualité d’un dirigeant, c’est qu’il sent avant les autres ce qui va se passer. Puis il repère ce qui est bien de ce qui est mal chez ses concurrents. À partir de là, il arrive à dire : « je vais aller dans cette direction plutôt que dans celle-là ». Il comprend avant les autres ce qui va se passer. Il a de l’intuition si vous voulez, mais il fait cela par des analyses… L’expérience, oui…, je pense que c’est plutôt l’expérience qui joue. C’est excessivement difficile. Il faut connaître le marché, connaître la concurrence, le monde, tout. » (Entretien n° 33, Entreprise O, PDG).

Expérience de l’entreprise

17Les dirigeants soulignent qu’il convient de savoir s’entourer de « gens d’expérience » (Entretien n° 43, Electro, PDG) et qu’être visionnaire consiste également à « savoir dénicher l’expérience là où elle est » (Entretien n° 10, Chem-Tex), car « l’entreprise se nourrit d’expériences qui viennent de l’extérieur ». (Entretien n° 46, Pollu-Tech).

Expérience de la croissance

18Le PDG de Cyberconseil explique l’intérêt de l’expérience de la croissance : « Je faisais toujours référence à mes expériences antérieures en disant : « est-ce qu’on a besoin d’une direction technique dépendante ou pas ? Non (…). Est-ce qu’on a besoin d’une relation commerciale indépendante ? Oui, ça devient urgent (…) ». (Entretien n° 6, Cyberconseil, PDG). Qu’elle ait été acquise seule avec le temps ou avec d’autres, l’expérience de la croissance permet de « dédramatiser les choses » et de s’orienter plus facilement vers les bons choix.

19Ainsi, « l’expérience personnelle », se caractérisant par de la maturité, conjuguée à « l’expérience de la ou des organisations », se combinent pour alimenter « l’expérience de la croissance » (figure 2).

Figure 2

Combinaison des expériences

Figure 2

Combinaison des expériences

Rendre les circonstances favorables

Rapidité face aux opportunités

20La capacité à saisir l’opportunité est importante dans la formation du caractère visionnaire du dirigeant. L’opportunité peut être une opportunité de lieu, de temps, de circonstances. « On étudie, on regarde ce qu’on fait. On fait des audits, ce qui est normal, on est capable de prendre des décisions parce qu’on connaît tout le marché. On sait où on veut aller, une opportunité, cela se saisit au bon moment. Il faut étudier les synergies des systèmes pour voir si l’intégration pourrait se faire. Voilà, c’est tout. » (Entretien n° 33, ORA).

21L’hypercroissance est parfois présentée comme une suite d’opportunités saisies : « On a constamment pris des opportunités de croissance. Si on est là sur ce marché, c’est parce qu’on a pris des opportunités, surtout dans le développement ces dernières années. Parce qu’on a acheté une vingtaine d’entreprises dans le monde, et donc on a pris des tas d’opportunités » (Entretien n° 33, ORA).

22Enfin, l’opportunité doit être assortie de réactivité et de capacité à prendre des risques, « parce qu’il ne faut pas réfléchir 20 ans. Si on réfléchit et que l’on fait des plans d’action, des stratégies à moyen terme, on ne se serait pas développé comme on l’a fait. » (Entretien n° 44, Pollu-Tech, DAF). « Il faut avoir un petit peu de nez, il faut oser » (Entretien n° 25).

23L’expérience et la réactivité expliquent la capacité à saisir les opportunités. Nombreux sont ceux qui identifient clairement la croissance à des opportunités nouvelles qui leur permettent de se développer par à-coups. Leur développement sera alors plus assuré par un développement par opportunités que par une réflexion stratégique.

24Par ailleurs, les opportunités peuvent également être créées de toutes pièces : « Il y a une certaine période où c’est vous qui faites les opportunités » (Entretien n° 18, Pollu-Tech, DG). En effet, certains entrepreneurs vont ainsi influer sur le chaînon manquant ou le créer pour laisser place à une véritable opportunité qu’ils vont pouvoir saisir. Couplée à l’expérience, l’opportunité permet au dirigeant de faire des choix, d’orienter son action plus rapidement : « Quand on a un peu plus d’expérience, on est capable de voir l’opportunité, de la visualiser, peut-être de la saisir » (45, Pollu-Tech).

Une chance qui se construit

25Les dirigeants expliquent souvent leur réussite personnelle et celle de leur entreprise par la chance. Cette chance semble de prime abord relever uniquement du hasard. Cependant, le discours des dirigeants montre qu’elle est qualifiée comme telle, mais qu’elle relève en réalité de l’aspect purement visionnaire du dirigeant : « On a eu la chance d’anticiper le mouvement ; la chance qu’on a eue, c’est de réfléchir beaucoup à comment demain sera fait pour notre métier, et on voit aujourd’hui que ce qu’on avait prévu se réalise (…) la réforme est exactement dans le terme qu’on avait, nous, anticipés, donc, on a une chance folle » (Entretien n° 48, U) ; « Tout le monde a besoin de propreté, donc on a une chance folle, il faut juste être observateur » (Entretien n° 26, Nettoyage Sud-Est, PDG) ; ou encore : « c’est de la chance, mais pour cela on a investi lourdement… ». (Entretien n° 6, Service conseil).

26Ainsi, la vision ne doit pas uniquement être considérée comme une fonction « cérébrale » ; la vision se réalise également par « l’action ». La volonté, l’expérience et les circonstances bâtissent la « vision ».

Propositions managériales : que recouvre la notion d’entrepreneur visionnaire ?

27La figure suivante propose une structure générale de l’entrepreneur visionnaire et reprend les différents niveaux vus de façon détaillée dans la partie précédente (figure 3).

Figure 3

L’entrepreneur visionnaire

Figure 3

L’entrepreneur visionnaire

28Ainsi, L’hypercroissance est favorisée si elle est conduite par un entrepreneur visionnaire.

  • Il lui faut une farouche volonté d’entreprendre qui va se concrétiser par sa réelle volonté de croissance, son goût prononcé du défi et sa propension à la créativité.
  • Il lui faut se fonder sur tous les types d’expérience qu’il a pu vivre ou dont il a pu tirer profit dans son environnement ; qu’il s’agisse de son expérience de la vie au sens large, de l’expérience des entreprises dans lesquelles il a évolué, ou de l’expérience-même de la croissance.
  • Enfin, il lui faut œuvrer pour rendre les circonstances favorables en étant réactif face aux opportunités qui se présentent à lui, mais également en sachant saisir sa chance et en la « provoquant ».

29Cependant, être visionnaire ne suffit pas pour expliquer à lui seul la croissance exacerbée des PME en hypercroissance. D’autres leviers existent (mais ce n’était pas l’objet ici), comme celui « d’entrepreneur stratégique » dont toute la finesse va consister à gérer les paradoxes de son entreprise en imposant une logique dominante pour maintenir une trajectoire de croissance [19]. Dès lors, le fort besoin de reconnaissance et d’indépendance de l’entrepreneur prend, lui aussi, tout son sens. Tous ces facteurs, associés en un savant et fragile dosage, constituent les ferments de l’hypercroissance, et c’est l’entrepreneur qui en est l’alchimiste.

Notes

  • [1]
    Mustar (Philippe), 2002, Les PME à forte croissance et l’emploi. OCDE, Paris. Julien (Pierre-André), 2002, Les PME à forte croissance : l’exemple de 17 gazelles dans 8 régions du Québec, Montréal, Presses Universitaires du Québec. Delmar (Frédéric), Davidsson (Per) et Gartner (William B.), 2003, « Arriving at the high growth firm », Journal of Business Venturing, vol. 18, p. 189-216. Barringer (Bruce R.), Jones (Foard F.) et Neubaum (Donald O.), 2005, « A quantitative content analysis of the characteristics of rapid-growth firms and their founders », Journal of Business Venturing, vol. 20, n° 5, p. 663-687.
  • [2]
    Autio (Erkko), 2007, High-Growth Entrepreneurship : The Challenge for Europe ; A roundtable debate, 20 Juin, Imperial College London.
  • [3]
    Markman (Gideon D.) et Gartner (William B.), 2002, « Is extraordinary growth profitable ? A study of Inc. 500 high-growth companies », Entrepreneurship Theory and Practice, vol. 27, n° 1, p. 65-75.
  • [4]
    Cassia (Lucio) et Minola (Tomaso), 2012, « Hyper-growth of SMEs : Toward a reconciliation of entrepreneurial orientation and strategic resources », International Journal of Entrepreneurial Behaviour & Research, vol. 18, n° 2, p. 179-197.
  • [5]
    Gasse (Yvon), 1996, « Croissance et gestion de l’entreprise nouvelle ». Actes du 3e Congrès International Francophone sur la PME, Trois-Rivières, Université du Québec à Trois Rivières, 23-25 octobre.
  • [6]
    Chan (Yolande E.), Bhargava (Niraj) et Street (Christopher T.), 2006, « Having arrived : The homogeneity of high-growth small firms », Journal of Small Business Management, vol. 44, n° 3, p. 426-440. Citation p. 429.
  • [7]
    Ginn (Charles W.) et Sexton (Donald L.), 1990, « A comparison of the personality type dimensions of the 1987 Inc. 500 company founders/CEOs with those of slower-growth firms », Journal of Business Venturing, vol. 5, n° 5, p. 313-326.
  • [8]
    Baum (J. Robert) et Bird (Barbara J.), 2010, « The successful intelligence of high-growth entrepreneurs : Links to new venture growth », Organization Science, vol. 21, n° 2, p. 397-412.
  • [9]
    Blatt (R.), 1993, Young Companies Study : 1989-1992. Ministry of Economic Development and Trade, Government of Ontario.
  • [10]
    Davidsson (Per), 1989, « Entrepreneurship – and after ? A study of growth willingness in small firms », Journal of Business Venturing, vol. 4, n° 3, p. 211-226.
  • [11]
    Filion (Louis-Jacques), 2007, « Types de propriétaires-dirigeants de PME », chapitre 4, p. 63. In Filion (ed), Management des PME, de la création à la croissance, Pearson Education, Canada. Sadler-Smith (Eugene), Hampson (Yve), Chaston (Ian) et Badger (Beryl), 2003, « Managerial behavior, entrepreneurial style, and small firm performance », Journal of Small Business Management, vol. 41, n° 1, p. 41-67.
  • [12]
    Chan (Yolande E.), Bhargava (Niraj) et Street (Christopher T.), 2006, « Having arrived : The homogeneity of high-growth small firms », Journal of Small Business Management, vol. 44, n° 3, p. 426-440.
  • [13]
    KPMG, 2010, Les PME qui grandissent – édition 2009-2010 – Comment ces virtuoses de la croissance se sont adaptées pour traverser la crise, étude KPMG, Paris.
  • [14]
    Julien (Pierre-André), 2002, op. cit.
  • [15]
    Chanut-Guieu (Cécile) et Guieu (Gilles), 2010, « Les PME en hypercroissance sont-elles vraiment singulières ? » in G. Lecointre et J.-F. Roubaud, Le grand livre de l’économie PME, Gualino, Paris, partie 3, chapitre 3, p. 223-243.
  • [16]
    Belliato (Elsa), Champagne (Caroline) et Séville (Martine), 2010, « A la découverte d’un métier méconnu et difficile, dirigeant de PME en croissance », in G. Lecointre et J.-F. Roubaud, Le grand livre de l’économie PME, Gualino, Paris, partie 3, chapitre 6, p. 305-330.
  • [17]
    Chanut-Guieu (Cécile) et Guieu (Gilles), 2011, « Stratégie et structuration des trajectoires d’hypercroissance des PME. Une étude de cas comparative », Management & Avenir, n° 43, p. 36-55.
  • [18]
    Chanut-Guieu (Cécile) et Guieu (Gilles), 2014, « Quelle est la place de la créativité organisationnelle dans les PME en hypercroissance ? », Revue Internationale PME, vol. 27, n° 1, p. 35-63.
  • [19]
    Chanut-Guieu (Cécile), Guieu (Gilles), Tannery (Franck) et Dana (Leo-Paul), 2012, « Hypergrowth and sustainability in SMEs. The key figure of the strategic entrepreneur for balancing dominant logic and strategic paradoxes », Rencontres de Saint-Gall, 3-5 septembre.
Français

Les PME en « hypercroissance » constituent un enjeu tant scientifique qu’économique. Ces entreprises singulières, dont la taille double en quatre ans, méritent une attention particulière. Les dirigeants sont souvent au cœur du processus de croissance. La réflexion des auteurs envisage la construction de la croissance comme la résultante du caractère visionnaire de l’entrepreneur. À partir de 39 entretiens avec les dirigeants de huit PME en hypercroissance, ils proposent une structuration en trois volets du concept d’entrepreneur visionnaire. L’entrepreneur doit avoir une réelle volonté d’entreprendre, se fonder sur l’expérience et rendre les circonstances favorables.

Cécile Chanut-Guieu
Cécile Chanut-Guieu est Maître de Conférences à l’IUT d’Aix-Marseille (Aix-Marseille Université, France) en Gestion des Ressources Humaines et chercheur au CNRS-LEST à Aix-en-Provence (UMR 7317). Diplômée de l’Institut d’Études Politiques de Grenoble et d’un DEA d’Affaires Européennes et Internationales de l’Université Stendhal à Grenoble, elle est docteur en Sciences de gestion de l’Université de la Méditerranée. Elle enseigne notamment la GRH et la méthodologie aux départements GEA et AES de Gap et au sein du master recherche de son laboratoire. Ses travaux et publications portent sur l’hypercroissance et la gouvernance des PME, les processus de changement organisationnel, la satisfaction et la santé au travail, dans le cadre d’équipes pluridisciplinaires.
Elle a récemment publié de nombreux articles et chapitres d’ouvrages sur les PME en hypercroissance dans Management & Avenir, Revue Internationale PME, Business Management Review.
Gilles Guieu
Gilles Guieu est professeur de management stratégique et de théorie des organisations au département GEA-Gap de l’IUT d’Aix-Marseille (Aix-Marseille Université) et directeur de recherche au CRET-LOG EA 881. Diplômé de l’Institut d’Études Politiques de Grenoble et de l’Université Stendhal à Grenoble, il est docteur en Sciences de gestion de l’IAE de Grenoble. Ses enseignements portent sur la stratégie des entreprises et les méthodes de recherche. Il intervient également en conférences et conseil sur le thème de la stratégie. Ses travaux actuels portent sur l’hypercroissance des PME, la structuration des conseils d’administration, les stratégies inter-organisationnelles, les multinationales émergentes.
Sur la question de la croissance, il a récemment publié la notice « croissance » de l’Encyclopédie de la stratégie chez Vuibert et l’ouvrage Les 7 points clés de la croissance de l’entreprise chez Eyrolles.
Mis en ligne sur Cairn.info le 17/03/2015
https://doi.org/10.3917/entin.024.0027
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
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