CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Les points forts

  • En France, quelque 4 000 à 5 000 personnes pratiquent au quotidien l’accompagnement des porteurs de projets de création d’entreprise.
  • Tous tiennent le même discours, qui recouvre pourtant, faute d’un référentiel commun, des pratiques très hétérogènes.
  • Sans une meilleure compréhension du phénomène de la création d’entreprise, les dispositifs d’appui à la création ne pourront guère progresser, risquant même d’être remis en cause par les acteurs du développement économique. (Bruyat, 1993)[1]

1 L’accompagnement des créateurs est une belle histoire et comme toute belle histoire, nous pouvons en relater des moments particulièrement remarquables dans le cours de son évolution. Apparu en France dans au début des années 80 pour caractériser l’aide apportée aux candidats à la création d’entreprise dans un contexte particulier, le terme « accompagnement », lancé par le réseau des Boutiques de Gestion, a été repris petit à petit dans des contextes différents par l’ensemble des acteurs œuvrant dans le champ de la création d’entreprise. Il est employé aujourd’hui pour désigner de façon générique toute action d’aide apportée à des porteurs de projet [2] de création.

2 Cependant, nombreux sont les articles sur l’accompagnement qui commencent par évoquer les difficultés à se mettre d’accord sur la notion d’accompagnement avec leurs interlocuteurs. Dès le second numéro de la revue « L’expansion Entrepreneuriat », Alain Fayolle et Bernard Surlemont évoquaient dans un éditorial « l’auberge Espagnole de l’accompagnement », à propos d’une « notion très utilisée mais souvent mal employée et insuffisamment comprise » [3]. Quelques années plus tôt, on pouvait déjà lire qu’il était « …bien difficile de savoir de quoi nous parlons quand nous parlons d’accompagnement. » [4]

3 De plus en plus de structures déclarent œuvrer dans l’accompagnement à la création d’entreprise. Parmi elles on peut compter des figures emblématiques de ce métier, présentes sur leur territoire depuis plus de trente ans et d’autres beaucoup plus récentes, à l’image du très récent « groupement des créateurs [5] ». Dans ce contexte, quasiment tous les professionnels travaillant dans ces structures tiennent à peu près le même discours sur leur métier [6]. Cependant, il est parfois vraiment difficile de discerner une trame commune de pratiques, ces dernières apparaissant même parfois bien éloignées de ce qui est annoncé. Ce discours partagé contribuerait-il à une illusion de construction d’un sens commun de l’accompagnement ?

4 Dans les faits, l’accompagnateur a rarement été réellement formé préalablement à l’exercice de son métier et ne dispose d’aucun référentiel sérieux auquel se confronter. Il est seul face au candidat à la création, à qui il doit démontrer qu’il sait de quoi il parle. Chaque conseiller se trouve naturellement alors dans l’obligation d’inventer, voire de réinventer en partie son métier. La plupart des financements de l’accompagnement sont venus de l’État, des collectivités et d’institutions publiques. Profitant d’un manque évident d’outils fiables d’évaluation des pouvoirs publics, certaines structures d’accompagnement ont certainement progressé en construisant leur argumentaire pour en justifier le financement, mais en oubliant trop souvent de construire des réalités derrière les paroles.

5 Si nous avons pu lire plusieurs approches tentant de clarifier le concept d’accompagnement [7], peut-on pour autant qualifier sérieusement les effets de l’action des structures d’accompagnement sur l’entrepreneuriat qu’en désignant tout, ce terme ne désigne en fin de compte plus rien ?

6 Il est très probable que l’incapacité des acteurs à se mettre définitivement d’accord sur ce que « accompagner un créateur » signifiait, a ouvert une grande fenêtre sur les interprétations personnelles qu’ont pu en faire les professionnels d’un côté et les décideurs de l’autre. Au travers de ces multiples interprétations, il nous est apparu opportun de nous interroger sur les raisons de cette diversité et, de fait, sur la place réelle actuelle de l’accompagnement dans le champ des aides à la création d’entreprise.

Un métier peu formalisé

7 Caroline Verzat et Christelle Gaujard [8] ont écrit dans un article publié en mai 2009 que les accompagnants sont des « oiseaux rares tant leur tâche est complexe ». La complexité de la tâche à accomplir créerait alors la rareté de l’accomplissant ? Sans être en mesure d’en effectuer une comptabilité exacte, nous pouvons estimer entre 4 et 5 000 le nombre de personnes qui œuvrent en France en prétendant faire partie de ces professionnels de l’accompagnement. Indépendants, salariés ou bénévoles, ils prennent le titre de « conseillers », « chargés d’affaires », « experts en création » ou encore « ingénieurs en projets innovants ». On constate que les origines de ces professionnels, principalement recrutés chez les jeunes diplômés et les cadres au chômage, sont très diverses. Comment, alors, faire la différence ?

8 Dans sa présentation, l’incubateur GENI, regroupement de trois incubateurs (Innotex, APUI et CFK) de cinq grandes écoles de la région Nord, met en avant ses « professionnels aguerris de la création d’entreprise ». Le terme n’est certes pas employé par hasard mais qu’est-ce qu’un « professionnel aguerri de la création ? »

9 Le terme « professionnel » joue lui aussi, comme celui d’accompagnement, sur une certaine confusion, tendant à renvoyer à une forme de qualité, opposant le professionnel à l’amateur qui exercerait occasionnellement et maladroitement son art. En réalité, il désigne ici simplement la personne qui, en tant que salariée, a fait de l’accompagnement son métier.

10 Le terme « aguerri » souligne une réalité : en l’absence de références de qualification, c’est la référence à l’expérience de terrain qui permet, comme la guerre, de qualifier son grade par l’acquisition de son métier au fil des années.

11 Mais il révèle dans le même temps une faille importante. Ne pas disposer, après plus de trente années d’existence, d’autres termes que « professionnel » et « aguerri » pour qualifier son niveau d’exercice démontre s’il en était besoin, le faible niveau de progression dans l’explicitation et la formalisation de ce métier.

12 La grande majorité des « professionnels » que nous avons rencontrés [9] parlent à peu près de la même façon. Il est de même constant qu’après quelques mois d’exercice, les mêmes sous-entendent comme une évidence que la tâche est correctement accomplie. Mais si certains atteignent un vrai niveau d’expertise, jusqu’à quel point y a-t-il toujours cohérence entre discours et pratiques ? L’interview de quelques-uns [10] constitue certes une première approche intéressante mais ne révèle rien de concret sur la réalité du métier exercé.

13 Dès lors, ne pouvant distinguer officiellement le « bon » accompagnateur, donc le bon accompagnement, les voies du marketing d’image sont souvent utilisées pour justifier du bon usage de la chose.

14 Outre l’exemple cité plus haut, sont mis en avant fréquemment :

  • l’attachement à une structure reconnue, elle-même souvent référencée au sein d’un réseau (CCI, Boutiques de Gestion, Initiative France, Réseau entreprendre etc.) ;
  • l’ancienneté de l’accompagnant ou de l’organisme ;
  • le nombre de porteurs de projets accueillis et de créations réalisées par la structure [11]  ;
  • les partenaires finançant les actions d’accompagnement comme gage de reconnaissance.

15 Il est probable que ces indicateurs constituent des arguments constitutifs de qualité des interventions mais ne renseignent pas pour autant sur la réalité des pratiques. Le flou laissé, voire entretenu, sur la question, a permis ainsi de voir se multiplier les structures d’accompagnement sans qu’on puisse caractériser leurs spécificités en la matière. La faiblesse des évaluations ajoutée à celle des procédures d’agrément pour entrer dans les dispositifs de financements n’a fait qu’augmenter la confusion et achever l’installation d’un contexte de compétition.

16 La réalité de l’accompagnement, par son manque de formalisation, est multiple et complexe et s’est développée au fil des années dans un contexte de marché, façonné à partir de trois facteurs déviants principaux :

  • il n’existe aucun référentiel partagé permettant une identification claire et une évaluation objective de ces pratiques ;
  • il n’existe actuellement aucune filière officielle de formation sérieuse et reconnue délivrant un diplôme suffisamment crédible pour apporter une reconnaissance professionnelle « monnayable » sur le marché ;
  • il n’existe aujourd’hui plus aucun lieu de réflexion et de concertation réunissant l’ensemble des acteurs intervenants sur le domaine.

Aucun référentiel partagé du métier

17 Un groupe de travail initié en 1997 par l’association EFICEA [12]avait tenté un essai de définition du métier de l’accompagnement en l’envisageant sous l’angle des différentes étapes du parcours du créateur et des différents acteurs intervenant tout au long de ce parcours. Probablement incomplet et à adapter au contexte actuel, ce référentiel est à ce jour la seule contribution partagée sur l’accompagnement et constitue, à ce titre, une valeur exemplaire. Repris un moment par la DGEFP [13] et par le collectif Synergies, il a quasiment été abandonné aujourd’hui.

18 Aux États Généraux de la Création d’Entreprise qui s’étaient tenus en avril 2000, Lionel Jospin [14] avait annoncé la mise en place de travaux sur la qualité de l’accompagnement. Une nouvelle commission du CNCE [15] avait été créée dans ce cadre. L’objectif était de réaliser des études, en les centrant autour des pratiques des grands réseaux et d’ébaucher une charte qualité, puis de s’orienter vers un système de qualification officiel. Cette commission ne s’est réunie que quelques fois, sans suite.

19 Dans le cadre de ces même États Généraux, il était également prévu l’élaboration d’une charte qualité des réseaux d’appui, la définition et la mise en œuvre d’un programme opérationnel de formation à destination des opérateurs des réseaux d’appui. La charte qualité que signèrent les représentants de 14 réseaux d’accompagnement en mai 2001 comportait neuf engagements vis-à-vis des créateurs qui n’engageaient que par la forme [16] et deux engagements vis-à-vis du CNCE [17] qui ne connurent aucune suite. Les programmes de formation ne sont jamais sortis des cartons.

20 Enfin, les travaux du CNCE ont également produit à la même époque un référentiel « compétences » sur le métier de l’accompagnement. Ce référentiel avait « pour vocation de recenser l’ensemble des compétences nécessaires à l’accompagnement à la création d’entreprise, conformément aux engagements de la « Charte Qualité des réseaux d’accompagnement ». Il devait permettre d’ « identifier les éventuels besoins en formation des opérationnels et d’élaborer les cursus de formation adéquates. » [18] Qui en a entendu parler aujourd’hui ? Jugés confus et peu efficaces, les dispositifs existants d’aides à la création par des chômeurs (EDEN, ACCRE, chèques conseil) ont été remplacés le 1er janvier 2009 par le dispositif NACRE (Nouvel Accompagnement pour la Création et la Reprise d’Entreprise) qui, à cette occasion ne fait plus référence qu’à des types d’intervention structurés autour de trois phases, insuffisamment définies [19]?

Pas de référence diplômante suffisamment reconnue

21 Il n’existe encore aujourd’hui, au-delà des expériences ciblées trop isolées [20], aucune filière diplômante suffisamment reconnue pour permettre de situer officiellement le niveau de qualification des praticiens. Les grands réseaux ont mis en place quelques modules internes pour former les nouveaux venus, mais ces derniers sont généralement très courts et visent plus à l’information et à l’intégration dans le réseau qu’à la formation professionnelle des personnes recrutées. Il est évident, d’autre part, qu’une formation initiale, qu’elle soit en gestion, management, voire de créateur d’entreprise, ne suffit pas à faire un bon professionnel de l’accompagnement.

22 Par ailleurs, plusieurs universités et écoles de management proposent des formations diplômantes « création d’entreprises » ; licence, DU ou Master, quasiment toutes évoquent l’accompagnement comme possible débouché. Même si leurs enseignements sont toujours utiles, nous ne pouvons réduire la formation des conseillers professionnels à la connaissance des seuls éléments du parcours du créateur.

Pas de réflexion ni de concertation entre l’ensemble des acteurs

23 Sous le nom de « Synergies pour la création d’entreprises », quelques représentants de réseaux d’appui à la création se sont réunis en 1997 pour tenter une réflexion collective sur l’amélioration des dispositifs. Ce mouvement se scinda vite en deux groupes : d’un côté, le collectif Synergie, réunion de neuf réseaux d’accompagnement, devint un lieu d’échange et de lobbying entre réseaux, et, d’un autre, le groupe « profession créateur » [21], piloté par l’association EFICEA [22] cité plus haut. Le CNCE n’a pas été réuni depuis le 27 novembre 2003 [23]. Un groupe de travail a récemment été initié par L’Académie de l’Entrepreneuriat et de l’Innovation mais sa production, qui se résume à quelques publications, semble rester sans effet sur la revalorisation de ce métier.

24 En l’absence de lieux de concertation et de régulation, l’accompagnement à la création a, la plupart du temps, ainsi évolué au fil des années au croisement des politiques d’encouragement à la création (Europe, états, collectivités), des publics et des territoires visés, au gré des financements disponibles au sein d’un marché concurrentiel.

25 De fait, un tout autre regard peut être jeté sur l’accompagnement si nous observons ce phénomène sous un angle purement économique.

Le marché complexe de l’accompagnement

26 Né autour d’une intention attachée à une grande idée de changement de société (« vivre autrement ») [24], l’accompagnement a revêtu des formes multiples. Nous avons pu observer une multiplication d’initiatives intéressantes, notamment dans des pratiques collaboratives [25] entre acteurs, ou dans des approches différentes [26]. Ces initiatives demeurent cependant trop isolées au regard du nombre de porteurs de projets accueillis. Pour la majorité des structures d’accompagnement, cette activité est entrée petit à petit dans un contexte de marché, et les formes qu’elle revêt aujourd’hui dépendent en grande partie des réactions des structures à l’évolution de ce marché.

27 « La création d’entreprise est devenue un véritable marché sur lequel se positionnent de nombreux acteurs publics ou privés » écrivait Bruyat [27]. « In fine, c’est le marché qui fait foi » répète Caroline Verzat [28]?

28 Avec l’accentuation des pressions politiques sur l’encouragement à la création d’entreprises, on a pu observer dès le milieu des années 80 que ce phénomène avait entraîné dans son sillage une multitude d’initiatives et presque autant de financements, créant ainsi un « marché de la création d’entreprise ». C’est ainsi qu’on a pu voir apparaître de nombreux ouvrages sur « comment créer son entreprise » et tous les sujets pouvant avoir un rapport de près ou de loin avec la création, des dossiers « clés en main », des offres promotionnelles, des salons de la création, etc. Plus récemment, les sites web et blogs de tous genres sont venus s’ajouter à ces « produits dérivés »

29 Sans parler de « produit dérivé », l’accompagnement est cependant directement lié à ce marché de la création et en dépend entièrement, non seulement par les financements qui y sont attachés, mais également par les prescriptions de partenaires vers les structures et les motivations [29], voire obligations, des porteurs de projets à se faire accompagner. Ces dernières peuvent en effet, dans certains cas, se révéler primordiales [30]?

30 Une analyse des différents positionnements de l’ensemble des structures recensées sur le champ de l’accompagnement révèle une grande complexité de ce marché. En émettant l’hypothèse du marché de l’accompagnement, nous en émettons de fait une autre : les structures d’accompagnement prises entre ce marché et les contraintes budgétaires se sont très souvent comportées comme des entreprises en compétition. Les pratiques d’accompagnement ont ainsi évolué au gré des financements mis à disposition pour les prestations. Annoncées la plupart du temps comme une réponse aux besoins des porteurs de projet, et analysées généralement comme telles, les actions d’accompagnement se situent, en fait, au cœur d’un système complexe de demandes et contraintes diverses constitué par l’ensemble des acteurs intervenant sur la filière.

Des contraintes multiples

31 La question de la définition d’un bon accompagnement nous renvoie, en fait, moins à l’évaluation de la qualité des prestations délivrées qu’à l’évaluation de ces prestations au regard des demandes et contraintes auxquelles elles sont soumises. Au-delà des demandes, exprimées ou non, des porteurs de projets, l’analyse de ce système complexe révèle qu’un nombre important d’acteurs peuvent influer sur la prestation. Chacun gère ses propres demandes, induisant à chaque fois des contraintes touchant à l’origine ou la nature des porteurs de projet, les durées d’accompagnement, voire à la forme des fiches de synthèse ou rapports à remettre, aux lieux d’accueil etc. N’oublions pas, enfin, l’influence du niveau de rémunération des prestations.

32 Les demandes et la satisfaction finale des porteurs de projet accueillis constituent certainement la première contrainte. Mais celle-ci varie souvent en fonction des publics, des circuits de prescriptions de la nature et de la taille des projets.

33 En exemple de variable liée au circuit de prescription, nous citerons comme unique « commande » de prescription une simple validation de la démarche du porteur pour décider du versement du RSA [31] à ce dernier. Les contraintes liées au contexte dans lequel évolue la structure porteuse viennent évidemment renforcer la complexité de l’analyse (voir figure 1)

Figure 1

Interactions des contraintes de l’accompagnement

Figure 1

Interactions des contraintes de l’accompagnement

34 Un des effets pervers de l’évolution de beaucoup de structures d’accompagnements réside dans la très forte interaction qui s’est établie progressivement entre les contraintes internes de fonctionnement et les contraintes externes liées aux prestations, notamment celles résultant du niveau des financements négociés en rémunération des prestations.

Les contraintes salariales

35 De nombreux bénévoles se sont investis dans des actions d’accompagnement, mais l’offre proposée reste pourtant en grande partie constituée par des personnes salariées, désignés généralement par le terme « professionnels de l’accompagnement »

36 Chronologiquement, il est difficile d’imaginer que les structures embauchant des salariés ne s’assurent pas auparavant des financements des coûts engendrés. Il existe cependant plusieurs distorsions d’ajustement entre ces deux variables influençant le développement des structures :

  • La première concerne les obligations liées au droit du travail et la précarité des conventions de financement. La plupart des conventions se renégocient tous les ans, mais il n’est pas possible de mettre fin à des contrats à durée indéterminés sans compensations financières lourdes, ni de renouveler des contrats à durée déterminée au gré des financements ;
  • La deuxième concerne le temps important nécessité pour la formation des jeunes conseillers. Les structures sont conduites, soit à réduire au minimum cette formation, quitte à proposer des prestations à faibles valeurs ajoutées, soit, après une formation longue et coûteuse, à chercher tout naturellement un retour d’investissement dans la pérennisation de ces postes, par exemple en étendant le champ des prestations ;
  • la troisième n’a pas été constante, mais a constitué en son temps une forte variable de distorsion. Il s’agit des possibilités d’emplois aidés qui ont été offertes, notamment aux structures associatives. Un des exemples les plus marquants de cette distorsion a certainement été le dispositif « emplois jeunes ». On a pu observer à cette époque une expansion importante des structures d’accompagnement en personnel [32]. La pérennisation de ces emplois a constitué un enjeu principal des négociations de financement.

37 Dès lors, la recherche de financements est allée bien souvent au-delà de la seule rémunération de prestations de qualité.

La pression des financeurs

38 Accordés, dans les années 80, globalement pour l’ensemble des actions mises en œuvre par la structure, les financements se sont progressivement spécialisés et sont devenus liés, selon le dispositif : au public visé, à la nature des projets accompagnés, à la nature des prestations demandées voire à la nature de la structure. Il serait trop long d’énumérer le nombre de cas possibles en fonction de ces différents paramètres, mais chaque convention signée a, à chaque fois, apporté son lot de contraintes.

39 Bien que l’appellation « partenaires » soit utilisée couramment pour désigner les financeurs, il est évident que les rapports de force ont changé profondément, transformant les structures qui pouvaient réellement parler en terme d’échanges, en simples prestataires de services (voir figure 2).

Figure 2

La contrepartie des financements de l’accompagnement

Figure 2

La contrepartie des financements de l’accompagnement

40 ? Les contraintes liées au public

41 Le financement n’est accordé que si le porteur de projet rempli un certain nombre de conditions (demandeur d’emploi, jeune, femme, travailleurs handicapé, bénéficiaire du RMI (RSA), habitant de la Région ou du Département….)

42 ? Les contraintes liées à la prescription

43 Quand bien même la personne remplirait les conditions requises, le financement n’est accordé que si elle a été dirigée vers la structure d’accompagnement par des organismes ou acteurs habilités (pôle emploi, mission locale, assistante sociale…)

44 ? Les contraintes d’organisation des prestations

45 Le porteur de projet doit être reçu dans un délai donné, la prestation doit se dérouler dans un lieu déterminé, le nombre et la durée des prestations financées sont fixés par le financeur, ainsi que la date du rapport…

46 ? Les contraintes administratives

47 Il faut, par exemple inscrire à l’avance dans une base sur Internet les disponibilités des conseillers, constituer un dossier complet sur le porteur, faire des fiches de synthèse à chaque rendez-vous et un rapport à la fin de chaque prestation…

48 ? Les contraintes d’objectifs

49 En passant d’un financement par subventionnement [33] à un financement par conventionnement [34], les structures doivent s’engager sur un objectif quantitatif (nombre de prestations, nombre de personnes accueillies, nombre d’heures…), objectifs déterminant, au bout du compte, le versement total ou partiel des financements.

50 ? Les contraintes de budget

51 La confusion régnant autour de l’accompagnement et des qualités requises pour exercer ce métier a sans aucun doute contribué à la dévalorisation de cette profession. À la création du dispositif en 1989 la valeur du chèque conseil avait été fixée à 400 F pour une heure d’accompagnement, soit 60,98 €. À sa disparition en 2008, sa valeur n’avait pas évolué d’un seul centime (60,98 €). Aujourd’hui, jouant en particulier sur le jeu des appels d’offre au moins disant, Pôle Emploi rémunère certaines prestations d’accompagnement à la création au prix de 32 € de l’heure. En comparaison, La Région Limousin, qui a fait de la création d’entreprises son fer de lance, rémunérait l’heure d’accompagnement 80 € en 2010. Avec des paramètres budgétaires aussi différenciés d’un dispositif à l’autre, il n’est pas étonnant d’observer que les prestations ne sont pas délivrées dans les mêmes conditions.

52 ? Les contraintes induites par les représentants

53 Le fort déséquilibre des forces créé dans les négociations a vu apparaître de la part des interlocuteurs, généralement les techniciens chargés des dossiers [35], des positionnements péremptoires sur la façon dont les prestations doivent être exécutées.

54 Sans aucune expérience mais pensant être investis de compétences en même temps que les pouvoirs de leur mission, ces techniciens ajoutent souvent des contraintes issues de la seule façon dont ils perçoivent le sujet. À l’instar des avis donnés par les clients du « café du commerce », les mêmes personnes peuvent conseiller, ordonner et évaluer les prestations fournies, créant ainsi parfois de fortes déviations de sens.

55 La circulaire « NACRE [36]» de la DGEFP, qui laisse toute liberté pour mettre les opérateurs sous « contrainte de performance » et reconventionner avec ceux « dont l’atteinte des objectifs vous semble satisfaisante » constitue un exemple assez significatif à ce propos [37]:

Revenir aux fondamentaux

56 Avant toute conclusion, il est essentiel, pour la compréhension du contexte, de rappeler qu’en 2005 à Oslo, les États européens se sont mis d’accord sur une définition de l’esprit d’entreprendre : « L’esprit d’entreprendre se réfère à l’aptitude d’un individu à passer des idées aux actes. Il suppose de la créativité, de l’innovation et une prise de risques, ainsi que la capacité de programmer et de gérer des projets en vue de la réalisation d’objectifs. » [38]

57 Cette définition se réfère bien entendu aux compétences liées à la création d’entreprise. « Cette compétence… est le ferment de l’acquisition de qualifications et de connaissances plus spécifiques dont ont besoin les chefs d’entreprise qui créent une activité sociale ou commerciale. » Mais l’essentiel est dans le complément apporté par la Commission. « Cette compétence est un atout pour tout le monde dans la vie de tous les jours, à la maison et en société, pour les salariés conscients du contexte dans lequel s’inscrit leur travail et en mesure de saisir les occasions qui se présentent… »

58 Accrochées essentiellement sur le seul enjeu de l’accès à la création d’entreprise, les politiques françaises de développement de l’accompagnement se sont essentiellement dirigées vers la facilitation de cette démarche, faisant de la création un but en soit, en oubliant parfois le véritablement sens de la démarche : transformer des candidats en entrepreneurs [39]. Pendant des années, les principaux financements de l’accompagnement à la création d’entreprise ont été réservés aux demandeurs d’emploi et bénéficiaires de minima sociaux. L’intérêt de la création d’entreprise résidait alors plus dans la solution possible au chômage que dans la pérennisation des entreprises créées. C’est principalement sur cette donnée et malgré de la mobilisation de convaincus pour défendre ce nouveau métier, que l’accompagnement, né pour apporter une contribution à des formes nouvelles d’entrepreneuriat, s’est réduit petit à petit trop souvent à l’aide au montage de dossiers.

59 Le monde de l’accompagnement s’est probablement enfermé dans un leurre général reposant sur des pratiques quasiment aussi diversifiées qu’il y avait d’intervenants, réunies autour d’un discours commun et conduisant à privilégier la simplification administrative et la recherche de financements aux dépends de son véritable objectif rappelé plus avant. Ce leurre en inclut d’ailleurs un autre : le terme de créateur d’entreprise est appliqué systématiquement à tout candidat accueilli alors que la plupart des structures reconnaissent que pas plus de quinze à vingt porteurs de projets accueillis sur cent créent réellement une entreprise.

60 Nous commençons à avoir une bonne idée de la forme que devrait revêtir réellement une prestation d’accompagnement. Si nous voulons continuer à progresser dans cette recherche, il nous faut impérativement trouver les éléments de référence partagés entre les prestataires et les pouvoirs publics. Nous pourrons seulement alors former efficacement les professionnels, conduire des évaluations fiables des prestations fournies et améliorer significativement l’ensemble des résultats. Mais ces éléments ne pourront cependant trouver leur véritable légitimité que dans les échanges et la confrontation au niveau national avec l’ensemble des représentants de la filière. Dans sa volonté d’associer les professionnels à ses recherches, l’Académie de l’Entrepreneuriat et de l’Innovation pourrait-elle relever ce défi ?

Notes

  • [1]
    Bruyat (Christian), Création d’entreprise : contribution épistémologique et modélisation, thèse pour le doctorat en sciences de Gestion, École Supérieure des Affaires, Université Pierre Mendès France, Grenoble, 2003
  • [2]
    C’est, de la même façon, le terme employé généralement pour désigner tout candidat à la création d’entreprise, quel que soit le stade d’avancement de son projet.
  • [3]
    Fayolle (Alain) et Surlemont (Bernard), l’auberge espagnole de l’accompagnement, revue L’expansion Entrepreneuriat, n° 2, 2009.
  • [4]
    Cuzin (Romaric) et Fayolle(Alain), Les dimensions structurantes de l’accompagnement en création d’entreprise, Revue des Sciences de gestion, n° 210.
  • [5]
  • [6]
    Dont la plus emblématique est certainement « nous ne faisons pas à la place du créateur ».
  • [7]
    Paul Maela), L’accompagnement : une nébuleuse, Éducation Permanente, N° 153», 2002.
    Paul (Maela), L’accompagnement : une posture professionnelle, Paris, L’Harmattan, 2004, Cuzin et Fayolle déjà cités Sammut (Sylvie), L’accompagnement de la petite entreprise en création : entre autonomie, improvisation et créativité, In Marion (Stéphane) et Al, Réflexions sur les outils et les méthodes à l’usage du créateur d’entreprise, Les Editions de l’ADREG, 2003.
  • [8]
    Verzat (Caroline) et Gaujard (Chrystelle), Expert, conseiller, mentor, confident ou tout à la fois ?, L’Expansion Entrepreneuriat, n° 2, mai 2009.
  • [9]
    Au cours de plus de trente années d’implication au sein des réseaux d’accompagnement à la création d’entreprise.
  • [10]
    L’article sur C ; Verzat et C. Gaujard s’appuie sur l’interview de7 professionnels menés au sein de l’incubateur GENI.
  • [11]
    « Réalisées » exprimant parfois simplement que la structure a rencontré au moins une fois le porteur de projet.
  • [12]
    EFICEA deviendra Synergies Créateurs en 2004
  • [13]
    Délégation Générale de l’Emploi et de la Formation Professionnelle.
  • [14]
    Alors premier ministre.
  • [15]
    Conseil National de la Création d’Entreprise.
  • [16]
    Les 2 premiers concernaient la transparence vis-à-vis du porteur de projet, les autres visaient à faciliter l’intervention des organismes financiers, préserver la confidentialité du projet, mettre à disposition les intervenants compétents, etc.
  • [17]
    1. Reconnaître au CNCE la mission de promouvoir la charte qualité et d’organiser l’évaluation et le contrôle de sa mise en œuvre.
    2. Contribuer aux échanges entre les acteurs de l’appui à la création d’entreprises.
    3. Se donner les moyens d’apporter la preuve d’une mise en œuvre conforme aux engagements souscrits vis-à-vis des créateurs.
  • [18]
    Extraits du référentiel.
  • [19]
    Aide au montage, Appui au financement et appui au développement.
  • [20]
    Une expérience intéressante a été conduite à Paris 8 sous l’impulsion de l’association Synergie Créateurs, ou un diplôme de « Conseiller en création d’entreprise » a été délivré de 2004 à 2007. Le CEFAC organise, en partenariat avec l’APCE une formation sur 16 jours de « conseiller création-reprise d’entreprise » avec, à la clé, un certificat de compétence professionnelle « Conseiller les entreprises » du titre ATC. Depuis 2011, Université Montpellier 1 propose un Master 2 « Accompagnement Entrepreneurial » également en partenariat avec l’APCE, et l’IAE de Grenoble un Master 2 « Entrepreneuriat et conseil aux entreprises ».
  • [21]
    Groupe de réflexion constitué d’acteurs de la création, de financeurs et de représentants de l’État et de collectivités.
  • [22]
    Devenue Synergies Créateurs en 2004.
  • [23]
    Réponse du Ministère de l’Économie, industrie et emploi à Monsieur Lionel Tardy publiée au JO le 19/08/2008.
  • [24]
    Duquenne (luc), Au commencement étaient les Boutiques de Gestion, revue L’Expansion Entrepreneuriat, n° 2 (2009).
  • [25]
    Dans certaines régions (Nord pas de Calais ou Limousin) ou certains programmes d’incubation.
  • [26]
    Où les approches formalistes et économiques sont complétées par des approches comportementales et psychologiques.
  • [27]
    Bruyat (1993) déjà cité.
  • [28]
    Verzat et Gaujard (2009), déjà citées.
  • [29]
    Motivations engendrées par les campagnes de communication et les aides promises.
  • [30]
    Pour obtenir une aide, un travailleur handicapé doit obligatoirement rencontrer la structure d’accompagnement agréée sur son territoire d’installation. Choisie sur appel d’offre, cette structure a le monopole sur son territoire.
  • [31]
    Revenu de Solidarité Active, délivré par les Conseils Généraux.
  • [32]
    Au moment du plein essor de ce dispositif, l’ADIE (Association pour le Droit à l’Initiative Économique) comptait par exemple près de 50 % de ses effectifs sur des postes aidés.
  • [33]
    Sommes forfaitaires attribuées pour l’ensemble des actions de la structure. Ce fut par exemple le cas au démarrage des Boutiques de gestion où chaque nouvelle « boutique » recevait une subvention pendant les trois premières années.
  • [34]
    Sommes attribuées en contrepartie d’objectifs quantifiés, remboursables si les objectifs n’ont pas été atteints.
  • [35]
    Inspecteurs du travail dans les DDTE, chargés de mission dans les collectivités, directeur (directrice) d’agence de pôle emploi…
  • [36]
    Circulaire DGEFP n°2008-20 du 4 décembre 2008 relative à la mise en œuvre de la réforme des aides d’État (EDEN et Chèques conseil) à la création/reprise d’entreprise par les demandeurs d’emploi et les bénéficiaires de minima sociaux.
  • [37]
    « L’ensemble de ces actes et des systèmes d’information qui leur sont attachés vous permettra de mettre sous contrainte de performance le parcours d’accompagnement NACRE issu de la réforme… … Il va de soi que le conventionnement n’est pas un droit et que vous ne reconventionnez pour une autre année que les opérateurs d’accompagnement dont l’atteinte des objectifs vous semble satisfaisante. »
  • [38]
    Proposition de recommandation de la Commission européenne sur les compétences clés pour l’éducation et la formation tout au long de la vie, COM(2005) 548 final.
  • [39]
    Duquenne (Luc), Les politiques d’encouragement à la création d’entreprise en France : création d’entreprise ou entrepreneuriat ?, Ve Congrès de l’Académie de l’Entrepreneuriat, 2007.
Français

Nous commençons à avoir une bonne idée de la forme que devrait revêtir une prestation d’accompagnement à la création d’entreprise et les réflexions conduites ont généré des initiatives remarquables. Derrière un même discours, il est cependant très difficile aujourd’hui de décrire une pratique commune, la plupart des acteurs étant conduits à construire empiriquement leur propre référentiel. Avec un manque évident de références, un des phénomènes pervers de l’évolution des pratiques d’accompagnements réside dans la multiplication des contraintes internes et externes de fonctionnement, nées notamment au fil des dispositifs de financements des prestations. Pour continuer à progresser dans cette recherche, il faut impérativement trouver les éléments de référence partagés entre les prestataires et les pouvoirs publics. Nous pourrons seulement alors former efficacement les professionnels, conduire des évaluations fiables des prestations fournies et améliorer significativement l’ensemble des résultats attendus.

Luc Duquenne
Luc Duquenne est consultant, expert européen sur les questions d’entrepreneuriat et de développement local en milieu rural. Fondateur du réseau Airelle (en Dordogne, Charente et et Limousin), il a fait partie, dès la fin des années 70, des pionniers de l’accompagnement. Après avoir dirigé le groupe « profession créateur » sur le référentiel de l’accompagnement, il a été l’initiateur de la première formation diplômante universitaire de « conseiller en création d’entreprise ». C’est le créateur de la méthode MIME (Méthode d’Initiation au Métier d’Entrepreneur) introduite dans de nombreux établissements supérieurs, qui fêtera son 10 000e participant en 2015.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 20/08/2014
https://doi.org/10.3917/entin.021.0077
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