CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Les points forts

  • L’enjeu n’est plus tant de favoriser la création des entreprises innovantes à partir des institutions de recherche publique que d’aider ces entreprises à grandir.
  • Une étude menée à partir des données d’un important incubateur en Languedoc-Roussillon et d’une enquête auprès des entreprises innovantes nées dans cet incubateur révèle l’existence d’une réelle dynamique entrepreneuriale, la plupart des projets débouchant sur la création d’une entreprise.
  • Il reste à mieux outiller les porteurs de projet sur le plan managérial, commercial et financier pour les aider à passer à la phase de développement et de croissance.

1 Faisant le constat d’une insuffisante valorisation économique du potentiel de la recherche publique en France, les pouvoirs publics ont mis l’accent, dans les années 1990, sur l’entrepreneuriat et l’innovation afin de favoriser la croissance économique. La création d’entreprises innovantes liées à la recherche publique a été ainsi encouragée par un ensemble de dispositifs instaurés par la loi sur l’innovation et la recherche de 1999. À l’instar des modèles ayant permis le succès de la Silicon Valley, les incubateurs publics ont été créés pour permettre l’émergence et le développement d’entreprises innovantes : les spin-off académiques. Ces nouvelles entreprises sont créées ex nihilo par un ou plusieurs membres d’une organisation publique de recherche afin de valoriser économiquement une invention technologique soit par le départ effectif du salarié pour créer, soit par un transfert de technologie. Les incubateurs académiques sont donc destinés à relever le double défi de l’accompagnement à la réussite du transfert de technologie et au développement d’une entreprise innovante.

2 Néanmoins, plus de dix ans après la mise en œuvre de cette loi, alors que l’innovation est placée au cœur des réflexions pour soutenir l’économie et renforcer la compétitivité de la France en matière d’accompagnement, l’enjeu n’est plus tant de favoriser la création des entreprises innovantes que d’aider ces entreprises à dynamiser leur croissance comme le souligne le rapport Beylat-Tambourin [1]. Les entreprises accompagnées par des incubateurs académiques sont-elles en mesure de relever ce défi ? Certaines études laissent penser qu’essaimage universitaire et croissance constitueraient un mariage contre nature. [2] Cet article vise à mieux comprendre comment l’accompagnement des entreprises innovantes issues de laboratoires de recherche publiques peut générer de la croissance.

3 À partir de l’analyse de dix années d’activité d’un incubateur public, Languedoc-Roussillon Incubation (LRI), il s’agit de préciser l’impact du contexte régional du système d’accompagnement en LR ; de faire le bilan de la dynamique de transfert de la recherche publique au travers la création d’entreprises innovantes ; de présenter les caractéristiques des porteurs et des projets qui semblent clé pour comprendre la dynamique de croissance ; enfin de formuler des recommandations pour identifier comment l’accompagnement pourrait aider les entreprises à se développer.

Les incubateurs « Allègre »

Les candidats potentiels à la création d’entreprises innovantes liées à la recherche publique pouvant parfois être assez éloignés du monde de l’entrepreneuriat, des structures d’accompagnement spécialisées ont été créées. Une trentaine d’incubateurs publics ont été ainsi labellisés par le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. Dans les deux tiers des cas, ces incubateurs sont des constructions entièrement nouvelles. Pour les autres incubateurs, il s’agit de structures préexistantes ou créées sur la base d’organisations œuvrant en faveur du développement des relations entre la recherche et l’entreprise.
Pour favoriser la création d’entreprises, ces structures interviennent très en amont des projets de création. Un premier niveau d’intervention porte sur la sensibilisation à la création d’entreprise et la détection de projets de création. Leur action est ensuite tournée vers les porteurs qu’elles sont chargées d’accompagner en les aidant à formaliser leur projet et en leur proposant des formations, des conseils et un appui en matière de recherche de financement. Leur rôle est parfois comparé à celui de « médecin-accoucheur » [3].
Ces structures accueillent deux grands types de projets : les projets issus de la recherche publique, portés par des chercheurs souhaitant valoriser leurs travaux de recherche par le biais de la création d’entreprise mais aussi des projets liés à la recherche, portés par des personnes extérieures à la recherche publique souhaitant renforcer leur projet par une collaboration technologique avec un laboratoire de recherche publique. Cette collaboration peut porter sur une technologie particulière, une expertise ou un savoir-faire.

La création d’entreprises innovantes issues de la recherche publique en Languedoc-Roussillon

4 L’environnement régional est déterminant dans le développement de spin-off académiques, plus encore que les aides publiques qu’ils peuvent recevoir [4]. La création d’entreprises innovantes représente un enjeu important pour dynamiser l’économie régionale qui repose pour une grande part sur de petites entreprises dont les activités sont tournées principalement vers la population (services à la personne, tourisme et BTP) et où l’industrie est faiblement représentée. Dans ce cadre, la région Languedoc-Roussillon s’est dotée d’une solide stratégie régionale d’innovation alliant un maillage territorial dense et une dynamique entrepreneuriale non moins féconde, avec notamment un incubateur élu meilleur incubateur mondial en 2007. Elle est aujourd’hui au premier rang des régions françaises pour le taux de création d’entreprises et dispose d’un fort potentiel de recherche publique à valoriser en raison de la présence d’un nombre élevé de chercheurs [5], notamment dans les domaines de la santé, des biotechnologies et médicaments, des TIC et de l’agronomie. L’écosystème de la région Languedoc-Roussillon apparaît donc particulièrement propice pour la création d’entreprises innovantes liées à la recherche publique.

LRI, quatrième incubateur national

5 De fait, l’incubateur LRI figure parmi les plus actifs en matière d’incubation de projets. En 2010, il figurait au quatrième rang national en termes de nombre de projets incubés. L’étude porte sur les dix premières années d’activité de l’incubateur LRI, soit les projets ayant été incubés sur la période 2001-2011 (soit 182 projets concernés).

6 Deux sources principales de données ont été mobilisées : les données de l’incubateur et les données récoltées par le biais d’un questionnaire (120 réponses ont été obtenues, ce qui représente les deux tiers des projets). Ces données ont été complétées par une dizaine d’entretiens réalisés auprès des entreprises parmi les plus performantes afin de comprendre les trajectoires de succès.

7 Sur la période 2001-2011, sur les 182 projets accompagnés par l’incubateur LRI, 26 étaient encore en phase d’incubation fin 2011. Deux types de projets prédominent (figure 1) : les projets dans les sciences de la vie, qui sont plutôt des projets issus de la recherche (50 projets), et les projets dans les TIC, majoritairement liés à la recherche (60 projets). Cette concentration sectorielle est à rapprocher du profil de l’économie régionale et des domaines de spécialisation de la recherche publique régionale.

Figure 1

Répartition des projets incubés à LRI entre 2001 et 2011 selon leur secteur et leur relation à la recherche

Figure 1

Répartition des projets incubés à LRI entre 2001 et 2011 selon leur secteur et leur relation à la recherche

Légende : SHS = Sciences Humaines et Sociales, SDI = Sciences de l’Ingénieur, SDV = Sciences du Vivant

Une vraie dynamique de transfert de la recherche publique vers l’économie

8 En termes de création d’entreprises, on peut affirmer que le premier pas vers le transfert des résultats de la recherche publique au monde économique est assuré. Dès 2007, le rapport Guillaume [6] soulignait que les incubateurs publics avaient contribué à dynamiser la création d’entreprises issues de la recherche publique depuis 1999. En Languedoc-Roussillon, la très grande majorité des porteurs ayant été accompagnés par LRI parviennent à créer leur entreprise. C’est le cas de 80 % des projets sortis d’incubation (125 projets sur 156).

Figure 2

La création d’entreprises parmi les projets sortis d’incubation

Figure 2

La création d’entreprises parmi les projets sortis d’incubation

9 Les entreprises créées parviennent généralement à assurer la pérennité de leur activité. Sur les 125 entreprises créées, 100 sont toujours en activité début 2012 (soit un taux de pérennité de 80 %). Plus de neuf entreprises sur dix parviennent à maintenir leur activité à trois ans d’existence (92 %) et 86 % à cinq ans. Ces taux de pérennité sont très proches de ceux observés pour les créations d’entreprises innovantes suivies par OSEO pour lesquelles le taux de pérennité à trois ans est de 94 % et de 85 % à cinq ans [7]. Ils sont bien plus élevés que ceux des entreprises en général : les entreprises de la génération 2002 et 2006 de l’enquête SINE de l’INSEE ont un taux de pérennité à trois ans de 66 %. Sont ici considérées comme pérennes les entreprises toujours actives n’ayant pas été vendues ou cédées. Parmi les entreprises ayant été incubées à LRI, on compte trois cas de rachat ou fusion sur la période 2001-2011. Toutefois, après la cinquième année d’activité, le taux de pérennité décroît plus fortement (figure 3), mettant en évidence une période critique pour ces entreprises. Elle correspond à ce qui est qualifiée dans la littérature de « vallée de la mort » [8], une période durant laquelle les entreprises rencontrent des difficultés d’accès aux financements comme nous le verrons plus loin.

Figure 3

Taux de pérennité selon le nombre d’années d’activité

Figure 3

Taux de pérennité selon le nombre d’années d’activité

10 Tout l’enjeu aujourd’hui consiste à aider ces entreprises à passer le cap de ces cinq années mais aussi de les faire croître pour qu’elles puissent contribuer pleinement au dynamisme de l’économie. En matière de taille des entreprises, les entreprises incubées au sein de LRI ne font pas exception à ce qui est observé à l’échelle nationale. La majorité des entreprises créées sont de petite taille (figure 4). Seules dix entreprises ont un effectif supérieur à 20 salariés ou réalisent un chiffre d’affaires de plus d’un million d’euros.

Figure 4

Répartition des entreprises créées et toujours actives selon leur emploi et chiffre d’affaires en 2011 ou le dernier effectif connu en 2009 ou 2010

Figure 4

Répartition des entreprises créées et toujours actives selon leur emploi et chiffre d’affaires en 2011 ou le dernier effectif connu en 2009 ou 2010

11 Notre enquête a révélé que les porteurs ne semblaient pas non plus se satisfaire de cette situation. Les deux tiers d’entre eux se déclaraient peu ou moyennement satisfaits des ventes et profits dégagés par rapport à leurs attentes au démarrage.

Les porteurs ont-ils le profil pour faire croître leur entreprise ?

12 Les motivations qui conduisent à la création sont généralement multiples et c’est également le cas chez les entrepreneurs accueillis au sein de LRI comme le souligne la figure 5. Différents types de motivations ont été pris en compte : les motivations personnelles (désir d’indépendance, accomplissement personnel…), celles relatives au savoir scientifique, aux ressources et à l’environnement social [9]. Deux motivations jouent un rôle particulièrement important dans la décision de ces porteurs de créer une entreprise : le désir de mettre en pratique leurs connaissances et celui de concrétiser leurs propres idées.

Figure 5

Les motivations à la création des porteurs

Figure 5

Les motivations à la création des porteurs

Légende : une note de 1 à 5 a été attribuée par les porteurs interrogés pour mesurer leur degré d’accord dans l’importance de chaque item dans la décision de créer (1 étant attribué si les porteurs n’étaient pas du tout d’accord et 5 tout à fait d’accord)

13 Ces résultats confirment l’idée que la création de ces entreprises s’inscrit bien dans une logique de diffusion des technologies et des savoirs vers la sphère privée. Toutefois, ils laissent craindre que ces entrepreneurs se focalisent sur les aspects techniques et ne prennent pas suffisamment en compte ou n’anticipent pas assez tôt les aspects commerciaux [10]?

Un déficit de compétences entrepreneuriales et managériales

14 Le bilan des dix années d’activité de LRI montre que les porteurs de projets d’entreprises innovantes, notamment les chercheurs, sont en mesure de créer des entités relativement pérennes. Pour parvenir à ce résultat, ils bénéficient de l’appui des structures qui les accompagnent et de nombreux financements publics de soutien à l’innovation. Mais la faible taille des entreprises créées pose la question de savoir si ces porteurs disposent des compétences suffisantes pour inscrire leur entreprise sur la trajectoire de la croissance ou s’ils sont en capacité de les acquérir ?

15 La figure 6 souligne que les porteurs sont pour la plupart dotés d’expériences dans la recherche et dans le secteur dans lequel ils créent. En revanche, une proportion nettement moins importante dispose d’expériences dans les fonctions support de l’entreprise (domaine marketing et commercial, GRH et gestion financière), fonctions qui prennent de l’ampleur avec le développement de l’entreprise.

Figure 6

Domaines d’expérience des porteurs (porteur interrogé / équipe de porteurs)

Figure 6

Domaines d’expérience des porteurs (porteur interrogé / équipe de porteurs)

16 Un autre résultat mis en évidence dans le tableau est le rôle de l’équipe qui permet de renforcer le niveau d’expérience global dans les différents domaines étudiés. Les porteurs se lancent rarement seuls dans la création : les deux tiers des projets incubés à LRI sont portés par une équipe (68 %). Le plus souvent, ces équipes sont composées de deux porteurs (47 % des projets).

17 Pour consolider le développement de l’entreprise, les porteurs devront par la suite intégrer de nouvelles compétences. Les entretiens ont révélé que c’est pour les compétences commerciales qu’ils avaient le plus de difficultés à recruter. Ces difficultés tiennent pour partie au mode de recrutement, qui repose largement sur le réseau des porteurs, plutôt spécialisé dans les compétences techniques et scientifiques. Elle est liée aussi aux profils recherchés, des profils peu communs maîtrisant l’environnement des produits et services commercialisés. Elle s’explique également par un manque de financement pour recruter ces compétences, notamment pour assurer le développement commercial à l’international.

Les projets développés ont-ils une orientation favorable à la croissance ?

18 Nous souhaitons ici mettre l’accent sur deux aspects pouvant entraver le développement des entreprises : le financement et le temps de développement nécessaire avant l’accès au marché.

La difficulté à réunir les fonds nécessaires au développement de l’entreprise

19 Au démarrage, pour financer leur projet, les porteurs s’appuient d’abord sur leurs propres ressources. Les porteurs incubés à LRI ont eu recours à deux sources principales de financement : en premier lieu, leurs ressources ou celles de leur famille (46 % du financement), puis, les fonds publics (35 %), qu’ils parviennent assez facilement à mobiliser grâce notamment à l’appui des structures d’accompagnement. Les fonds privés représentent 18 % du financement en moyenne.

20 Concernant la phase de consolidation-développement, les financements sont plus difficiles à lever. Réussir à mobiliser les ressources financières nécessaires pour assurer le développement de l’entreprise constitue un point stratégique dans la phase post-création, les besoins en financement des entreprises innovantes étant bien souvent très importants. Le manque de financement peut retarder leur croissance, un temps qui peut leur être préjudiciable dans un contexte concurrentiel.

21 L’accès aux investissements privés, en particulier au capital-risque, est souvent considéré comme un facteur favorisant la performance [11]. Les raisons tiennent non seulement à l’apport financier qui s’en suit mais aussi aux conseils délivrés par ces investisseurs, au réseau et à la légitimité qu’ils procurent à l’entreprise. Toutefois, accéder à de tels investissements est reconnu comme étant un passage difficile pour les jeunes entreprises innovantes. Cette difficulté est en outre aujourd’hui renforcée par le contexte économique. Les investissements des sociétés de capital-risque dans les start-up françaises ont chuté de 25 % en 2012 par rapport à 2010 (indicateur Chausson Finance).

22 Parmi les entreprises enquêtées en Languedoc-Roussillon, trois cas de grand succès se distinguent nettement des autres entreprises (avec un emploi supérieur à 40 et un chiffre d’affaires proche ou supérieur de 2 millions d’euros).

Figure 7

Emploi et chiffre d’affaires des entreprises incubées à LRI et créées depuis au moins 5 ans

Figure 7

Emploi et chiffre d’affaires des entreprises incubées à LRI et créées depuis au moins 5 ans

23 L’analyse de ces trois cas met en évidence qu’il n’existe pas une trajectoire unique vers la croissance. Après une première phase de développement réussie, ces entreprises ont emprunté des trajectoires différentes pour poursuivre leur développement :

  • Une trajectoire « boursière » pour l’entreprise E2 ;
  • Une trajectoire « du rachat » pour l’entreprise E9 ;
  • Une trajectoire « de l’indépendance » pour l’entreprise E7.

24 Les deux premiers cas s’apparentent au modèle de la start-up de croissance [12] avec une création de valeur économique qui passe par l’introduction en bourse ou la vente de l’entreprise. Toutefois, dans ce modèle, l’introduction en bourse ou la vente de l’entreprise est une ambition présente bien souvent dès le démarrage. Dans nos deux cas, il ne s’agissait pas d’un objectif dès le départ mais d’une stratégie incrémentale, non pas tant comme un moyen de réaliser une plus-value financière pour les fondateurs, qui sont d’ailleurs toujours dans l’entreprise, mais comme un moyen de financer la poursuite de leur développement.

25 Dans le troisième cas, le désir de garder la maîtrise de son entreprise était présent chez le fondateur dès le démarrage. L’entrepreneur a pu préserver cette indépendance tout en faisant croître assez rapidement son entreprise grâce au positionnement sur un marché de niche. Cette stratégie lui permettant de dégager suffisamment de ressources financières pour assurer son développement. Le souhait de rester indépendant est un désir assez présent chez les entrepreneurs des entreprises innovantes. Selon une étude menée sur les entreprises innovantes créées en Rhône-Alpes entre 1997 et 2006 [13], 40 % des dirigeants interrogés sont prêts à ouvrir leur capital tout en conservant le contrôle de leur entreprise. Ce choix peut pénaliser la croissance des entreprises car il ne permet pas toujours d’obtenir les financements requis pour se développer. Le succès de l’entreprise E7 constitue peut-être de ce point de vue une exception.

26 Par ailleurs, on peut s’interroger sur le sens de la relation entre investissements privés et croissance des entreprises. Est-ce l’accès à ces financements qui favorise la croissance ou est-ce que ces investissements viennent consolider des entreprises déjà bien engagées sur la voie de la croissance ? Ils constitueraient dans ce dernier cas davantage un révélateur de la croissance qu’un facteur explicatif de celle-ci.

27 Nos entretiens ont en outre mis en évidence une certaine défiance des entrepreneurs rencontrés vis-à-vis des investisseurs privés. Ouvrir son capital est un processus complexe qui revêt des enjeux financiers et de pouvoir importants. On peut penser que leur défiance peut être liée pour partie à leur manque d’expérience dans le domaine financier (cf. figure 6).

La question du degré de maturité des projets entrant en incubation

28 Les entreprises incubées à LRI sont des entreprises innovantes. Toutefois, les innovations développées par ces entreprises présentent un degré de nouveauté plus ou moins marqué. On oppose généralement aux innovations radicales les innovations de type incrémental. Nous avons mesuré ce degré de nouveauté afin d’évaluer son impact sur la réussite des projets enquêtés avec un recul seulement d’une dizaine d’années [14]. Certains projets nécessiteraient de disposer d’un historique plus important pour évaluer leur capacité à se développer.

29 Il est apparu que les entreprises dont le projet reposait sur les innovations les plus radicales n’étaient pas les plus à même de s’engager rapidement dans la voie de la croissance :

  • Tout d’abord, on observe une moindre capacité à assurer la pérennité de l’entreprise parmi les entreprises développant des innovations plus radicales (14 % ont cessé leur activité [15] contre 3 % pour les entreprises aux innovations plus incrémentales). Ces deux types d’entreprises ont été distingués en fonction du degré de nouveauté médian observé chez l’ensemble des entreprises créées.
  • Ensuite, il ressort que les entreprises qui génèrent le plus de chiffre d’affaires ne sont pas généralement celles qui proposent les innovations les plus radicales. Les quelques entreprises enquêtées qui parviennent à dépasser le million d’euros de chiffre d’affaires s’appuient sur des innovations dont le degré de nouveauté est inférieur au degré de nouveauté médian. Par ailleurs, le chiffre d’affaires 2011 des entreprises de plus de 3 ans est corrélé négativement au degré de nouveauté des innovations (r = –0,504, avec une corrélation significative au niveau 0,01). Ces résultats mériteraient d’être approfondis sur une période plus longue et à partir d’un échantillon plus important.

30 Ils peuvent s’expliquer en partie par des temps de développement plus importants pour les innovations radicales qui conduisent à retarder les délais d’accès au marché. Les entreprises doivent réussir à financer ces périodes, un défi qui est d’autant plus difficile à relever qu’elles ne génèrent pas assez de chiffre d’affaires pour donner confiance aux investisseurs, ce qui peut mettre en péril leur survie.

Recommandations

31 Au moment où le paysage des incubateurs publics est en cours de restructuration avec l’arrivée d’un nouvel acteur, les SATT [16] (Sociétés d’Accélération de Transfert de Technologie), il nous a semblé opportun de formuler quelques recommandations sur la base des résultats empiriques observés sur le cas du Languedoc-Roussillon afin d’améliorer l’accompagnement des entreprises innovantes en lien avec la recherche publique et d’aider les entrepreneurs à faire croître leur entreprise.

Sensibiliser davantage à la culture entrepreneuriale

32 Même si la loi sur l’innovation et la recherche a contribué à dynamiser la création d’entreprises innovantes en lien avec la recherche, il nous semble d’abord que cette dernière peut être encore développée en sensibilisant davantage à la création les chercheurs qui peuvent être assez éloignés du monde de l’entrepreneuriat. Les projets issus de la recherche ne représentent que 38 % des projets ayant été suivis par LRI [17]. Ce résultat laisse penser que les cultures de l’entreprise et d’entreprendre pourraient être densifiées au niveau des laboratoires de recherche mais aussi auprès des futurs chercheurs (doctorants et étudiants). Porter à la connaissance de ce public les cas d’entreprises ayant réussi constitue un des moyens de contribuer à diffuser une culture d’entreprise.

Former aux compétences entrepreneuriales et managériales

33 Pour les chercheurs qui s’engagent dans la création, l’étude LRI a montré qu’ils réussissent relativement bien les premières étapes de la création d’entreprise mais que leur entreprise ne se développe guère par la suite. Les questions liées à la maîtrise des compétences et au manque d’ambition de croissance de la part des porteurs sont centrales. En effet, la qualité de l’équipe entrepreneuriale est primordiale pour la croissance de l’entreprise [18]. Ces derniers doivent avoir à la fois la volonté et les compétences pour opérer les changements organisationnels nécessaires et faire évoluer leur structure d’une entreprise axée sur l’innovation à une entreprise orientée vers la croissance. Ainsi, pour mettre les entreprises dans les meilleures dispositions pour réussir, il apparaît important de développer la culture de la croissance auprès des porteurs le plus tôt possible dans le processus.

Développer l’accompagnement à la croissance

34 Les porteurs décidés à s’engager dans la voie de la croissance peuvent avoir besoin d’appui au-delà de la phase de création pour entreprendre les changements structurels nécessaires. Cet accompagnement peut être assuré par d’autres acteurs que les acteurs classiques de l’accompagnement à la création (incubateurs, pépinières…), notamment par les personnes engagées elles-mêmes dans un processus entrepreneurial.

DU Stratégie de croissance des PME

Le Labex Entreprendre, dans le cadre de la chaire Jacques Cœur pour l’accompagnement entrepreneurial, a lancé en 2013 en partenariat avec Montpellier Agglomération (Pack Croissance) un dispositif d’accompagnement destiné à des dirigeants de PME qui ont un projet de croissance. Les dirigeants bénéficient de cinq séminaires qui portent sur l’ambition de grandir, l’efficience de l’organisation, le financement de la croissance, les stratégies relationnelles et l’internationalisation. Les connaissances sont transmises par des universitaires spécialistes de ces thématiques, et par des consultants, des experts et des dirigeants. Un accompagnement personnalisé est assuré par des experts du Pack Croissance et des membres de la Chaire Jacques Cœur mais aussi par des pairs. L’attention est portée aussi bien sur l’attitude vis-à-vis de la croissance que sur la construction du projet de croissance.

Faciliter le recrutement de compétences commerciales

35 Une des difficultés rencontrées par les entreprises en phase de développement concerne le recrutement de forces commerciales leur permettant de consolider leur développement. Deux pistes sont proposées pour faciliter le recrutement de ces compétences :

  • favoriser les mises en relation des porteurs avec des personnes ayant des compétences commerciales ;
  • encourager les formations permettant de développer des profils ayant une double compétence : technologique et commerciale / managériale

36 Développer ses équipes commerciales a un coût, notamment pour asseoir son activité à l’international. Or, les entreprises ne disposent pas toujours de fonds suffisants, ce qui nous conduit à la recommandation suivante.

Renforcer l’accompagnement financier

37 Pour que les entreprises souhaitant s’engager dans la voie de la croissance puissent se doter des ressources financières adéquates, l’accompagnement des porteurs de projets pourrait être renforcé sur les aspects financiers, notamment au niveau des actions suivantes :

  • informer davantage les porteurs sur les différentes sources de financement mobilisables et notamment sur les nouvelles solutions de financement mises en place ces dernières années pour compléter la chaîne de financement des jeunes entreprises innovantes, localement (fonds SORIDEC2 en Languedoc-Roussillon) mais aussi au niveau national (programme croissance du Réseau Entreprendre) ;
  • favoriser les rencontres entre les entreprises et les investisseurs privés ;
  • développer les compétences des porteurs en matière d’ingénierie financière pour qu’ils soient mieux armés pour s’engager dans des négociations avec des investisseurs et lever certaines réticences vis-à-vis de ces sources de financement.

Favoriser la maturation des projets

38 Pour éviter que les entreprises n’aient une période trop longue à financer avant d’accéder au marché dans le cas des innovations radicales, le degré de maturation des projets apparaît un élément important à prendre en compte dans la sélection des projets à retenir dans le processus d’incubation. Le rapport Beylat-Tambourin (2013, p76) souligne que le faible niveau de maturation des projets arrivant aux incubateurs constitue un problème récurrent. La mise en place des Sociétés d’Accélération de Transfert de Technologie (SATT) dont une des missions est la maturation des projets devrait permettre de résoudre ce problème.

Notes

  • [1]
    L’innovation. Un enjeu majeur pour la France. Dynamiser la croissance des entreprises innovantes, (2013), 143p.
  • [2]
    Barès F., Pirnay F., (2011), « Essaimage universitaire et croissance : un mariage contre nature ? », Entreprendre & Innover, n° 9-10, p. 29-39.
  • [3]
    Philippart P., (2003), « La loi sur l’innovation : quelles utilisations du dispositif juridique par les chercheurs fonctionnaires ? », in T. Verstraete La création d’entreprise par les chercheurs de la fonction publique : exploration des dimensions appelées par la loi sur l’innovation n° 99-587 du 12 juillet 1999, Rapport pour le CNRS, p. 91-122.
  • [4]
    Sternberg R., (2014), Success factors of university spin-offs : regional government support programs vs regional environment, Technovation, vol. 34, p.137-148. En ligne
  • [5]
    Avec près de 13 000 chercheurs en 2009 dans le domaine public, le Languedoc-Roussillon se positionne en 5e position des régions françaises.
  • [6]
    Rapport sur la valorisation de la recherche, 2007, 204 p.
  • [7]
    OSEO, 10 ans de création d’entreprises innovantes en France, 2011, 87p.
  • [8]
    Markham SK., Ward SJ., Aiman-Smith L., Kingon AI, (2010), « The valley of death as context for role theory in product innovation » Journal of Product Innovation Management, vol. 27, n° 3, p. 402-417. En ligne
  • [9]
    Morales-Gualdron S., Gutierrez-Gracia A. et Roig Dobon S., (2009), « The entrepreneurial motivation in academia : A multidimensional construct », International Entrepreneurship and Management Journal, vol.5, n° 3, p. 301-317. En ligne
  • [10]
    Radosevich (1995) a été un des premiers à souligner que les chercheurs pouvaient avoir tendance à se focaliser davantage sur les aspects techniques de l’innovation au détriment des aspects commerciaux.
    Radosevich R., (1995), « A model for entrepreneurial spinoffs from public technology sources », International Journal of Technology Management, vol. 10, p. 879-893.
  • [11]
    Davila A., Foster G., Gupta M., (2003), “Venture capital financing and the growth of startup firms”, Journal of Business Venturing, vol. 18, n° 6, p. 689-708.
    Lee C., Lee K., Pennings J., (2001), “Internal capabilities, external networks, and performance: a study on technology-based ventures”, Strategic Management Journal, vol. 22, n° 6/7, p. 615-640.
  • [12]
    Degroof J.J. (2012), « Pourquoi les spin-offs européennes croissent-elles si peu ? », Entreprendre & Innover, n° 16, p. 18-29.
  • [13]
    Asquin A., Chastand M. (2008), La croissance des entreprises innovantes créées en Rhône-Alpes, Étude réalisée en partenariat avec OSEO Rhône-Alpes, 74p.
  • [14]
    En utilisant une échelle de mesure validée par Marvel et Lumpkin (2007).
    Marvel M., Lumpkin G., (2007), « Technology entrepreneurs’ human capital and its effects on innovation radicalness », Entrepreneurship Theory and Practice, vol. 31, n° 6, p. 807-826.
    Une note de 1 à 4 a été attribuée par les porteurs : un score élevé indiquant une innovation plutôt radicale. En ligne
  • [15]
    Il ne s’agit pas des cas de rachats ou de fusions.
  • [16]
    Les SATT sont des structures à vocation locale qui ont pour objectif de mutualiser les dispositifs de transferts de technologie en proposant un guichet unique. Elles peuvent dans ce cadre être amenées à intégrer les incubateurs publics.
  • [17]
    Selon les données du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, les projets issus de la recherche représentaient 32 % des projets accueillis en 2009 au sein des 30 incubateurs publics.
  • [18]
    Visintin F., Pittino D., (2014), « Founding team composition and early performance of university based spin-offs companies », Technovation, vol. 34, n° 1, p. 31-43.
Français

Après avoir encouragé la création d’entreprises s’appuyant sur les résultats de la recherche publique, l’enjeu pour les pouvoirs publics est désormais davantage de faire croître ces entreprises pour faire profiter l’économie nationale de leur fort potentiel. Le présent article s’interroge sur le rôle que peut jouer l’accompagnement dans la croissance de ces entreprises. Il s’appuie sur l’analyse de dix années de fonctionnement d’un incubateur public, Languedoc-Roussillon Incubation, pour proposer des pistes d’actions.

Véronique Bessière
Véronique Bessiere est Professeur des Universités en Sciences de Gestion à l’Université Montpellier 2. Elle est responsable de la recherche de l’IAE de Montpellier et co-dirige le Master 2 Création de jeunes entreprises innovantes – Management de projets innovants (CJEI-MPI).
Marie Gomez-Breysse
Marie Gomez-Breysse est ancienne consultante en stratégie de développement de PME, elle est chercheur et responsable R & D à COEPTIS (Ecole de l’entrepreneuriat en économie sociale). Elle s’intéresse aux processus d’entrepreneuriat dans un contexte de mutations sociétales.
Sophie Gonnard
Sophie Gonnard est docteur en urbanisme, normalienne, diplômée en économie et gestion. Elle travaille comme ingénieur de recherche sur la thématique des chercheurs – créateurs d’entreprise. Elle a travaillé sur les dynamiques territoriales pour le compte de structures publiques.
Karim Messeghem
Karim Messeghem est Professeur des Universités en Sciences de Gestion à l’Université Montpellier 1. Il dirige le Labex Entreprendre et le groupe MRM-Entrepreneuriat. Avec Sylvie Sammut, il a créé le Master Accompagnement Entrepreneurial et la chaire Jacques Cœur pour l’Accompagnement entrepreneurial qu’il co-dirige. Il est rédacteur en chef de la Revue de l’Entrepreneuriat.
Sylvie Sammut
Sylvie Sammut est Maître de Conférences HDR en Sciences de Gestion. Elle effectue ses recherches, centrées sur l’accompagnement entrepreneurial, au laboratoire MRM et au sein du Labex Entreprendre. Elle co-dirige la chaire Jacques Cœur au sein du Labex ; elle est directrice-adjointe de l’ISEM (Université Montpellier 1) et dirige le Pôle Entrepreneuriat Etudiant de la Région Languedoc-Roussillon.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 20/08/2014
https://doi.org/10.3917/entin.021.0053
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